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1928 Davos - 5 -Hans Driesch - Erich Przywara

Publié le par Régis Vétillard

Hans Driesch, 1932

Marietta et Elaine, échangent beaucoup sur le professeur Hans Driesch, de Leipzig. Il aurait bien connu Rudolf Steiner, mort récemment... Sa conférence a semblé très obscure par son approche scientifique, avec des références en embryologie, biologie, psychologie du conscient et du subconscient, parapsychologie, ...etc Un débat - le soir, dans une salle réservée de l'hôtel et avec un public, parait-il, trié sur le volet, Marietta s'est arrangé de tout - a permis à Lancelot et Elaine de saisir un peu mieux, de quoi il s'agissait...

Les travaux embryologiques et les spéculations métaphysiques de Hans Driesch mettent au centre du débat le statut ontologique du vivant : ce qui est ''être vivant'' ( la composante subjective, en lien avec ce qui fait la différence entre une 'cellule morte' et une 'cellule vivante'...)

Driesch estime nécessaire d’introduire en biologie un type de causalité n’existant pas dans l’ordre physico-chimique : une « causalité holistique » ( = holistique parce que, la simple somme de ses parties ne suffisant pas à le définir.  ) avec une interdépendance universelle et selon ce que dit Ernst Mach (1838-1916) : " tout ce que se passe ici et maintenant est le fruit de tout ce qui s'est passé partout depuis toujours ''

Driesch, fait état de l’existence de « lois holistiques » [Ganzheitsgesetze] spécifiquement biologiques... Mais là, le chemin est trop complexe pour continuer ici ...

« La vie ne consiste pas en un arrangement particulier de phénomènes inorganiques. La biologie ne peut être, par conséquent, une physico-chimie appliquée. La vie est une réalité originale et irréductible et la biologie est une science qui a ses principes propres et indépendants. »

D'Arcy Thompson (1860-1948) biologiste et mathématicien écossais ; reprend cette idée : « Comme Kant le disait, « la cause du mode d’existence de chaque partie d’un corps vivant est incluse dans le tout ». Et, selon la tendance ou l’aspect de notre pensée, on peut considérer les parties coordonnées, soit en tant que rapportées et ajustées à la fin ou la fonction du tout, soit en tant que rapportées ou résultant des causes physiques inhérentes à l’ensemble du système de forces auquel le tout a été exposé, et sous l’influence duquel il est venu à l’existence »

 

Le débat s'est ensuite centré sur la Théosophie , et particulièrement l'apport de Rudolf Steiner (1861-1925)... En effet, Steiner développe une démarche anthroposophique, qui s'appuie philosophiquement sur une recherche spirituelle de l'être humain, et de sa relation avec le monde, pour mettre en œuvre une pratique adaptée à l’humain, en pédagogie ( à l'aide de pratiques artistiques...), en médecine, en agriculture, en économie, en pharmacologie...etc ; avec des méthodes de travail concrètes, vivantes qui respectent la nature humaine et son environnement...

Steiner, a parcouru l'Europe pour des conférences, et pour ses dernières quinze années, il s'est attaché à construire le centre de son activité - le Goetheanum – qui se situe à Dornach, près de Bâle, en Suisse.

Elaine et Lancelot décident alors de s'y rendre lors de leur retour...

 

Enfin, avant de quitter Davos ; il est temps de revenir sur la relation qui se crée entre Lancelot et Elaine. Pour rester dans le cadre intellectuel de Davos, je vais tenter de la décrire en me référant au journal de Lancelot et à ses notes, sur le thème présenté par l'un des philosophe allemand invité Erich Przywara (1889-1972).

Erich Przywara, est également jésuite, et poussée par Marietta, Elaine se permit, comme prêtre de lui demander plusieurs entretiens... Et, il fallait bien l'effronterie de jeunes filles, pour que Elaine ose rencontrer le prêtre pour lui demander conseil sur sa relation avec Lancelot, mais par le biais du thème de sa conférence ; et pourtant, lui avouer très vite qu'elle n'a presque rien compris à son exposé sur l' ''Analogia Entis''....

 

L'analogia entis, la clef de voûte d'une « vision religieuse du monde » …

- S'agit-il de comprendre le suprême lien qui relie Dieu et l'humain ? Suprême, dans le sens qu'il est métaphysique...

- Oui, mais il s'agit d'une pensée consciente de ses limites... Pour ce qui est de la métaphysique ; on peut faire de Dieu, la Totalité du monde, ou à l'inverse, faire du monde, l'émanation de Dieu... Je suis dans la logique chrétienne de - la Révélation comme réalité - et Dieu, au-delà... !

- Je ne comprends pas...

- Dieu, dans une ressemblance - si grande soit-elle - s’avère toujours plus dissemblable... Dieu, semblable à l'homme, dans l'incarnation, se présente être un Dieu incompréhensible ...

- Et le lien avec l'Humain... ?

- L'humain, (créé à l'image de Dieu ) est une « manifestation de Dieu ». Créé, il tend vers Lui...

 

- Un lien, exprime un ''aller vers'' … De part et d'autre d’ailleurs... pour l'Homme c'est ce désir d'unité d'être et de conscience qui n'existe qu'en Dieu...

- Je suis consciente quand je suis présente au monde, et à moi-même...

- Et si vous avez une intention d'aller vers... Vous donnez un sens au monde... Vous sortez de vous-même...

- Cela s'apparente à ce que j'expérimente depuis ma rencontre avec Lancelot, je fais l'expérience d'être sortie de moi...

- On existe, au moment où l'on sort de soi... C'est, aussi, le sens de Existence... L'Essence, est en référence à ''esse'', l'être, ce qui est ( du côté de l'esprit).

 

- Etre évoque une plénitude... Et, pour moi, en ce moment , le plein m'évoque de n'être plus '' à moitié'', comme j'ai l'impression que je l'étais... . Si je vous dis : quand il est statique, je suis dynamique ; quand il est conscience, je suis manifestation, quand il est pensée, je suis acte ; quand il est absolu, je suis relatif ; quand il est immobile, je suis changement ; quand il est sans-forme, je suis forme... Je vous choque ?

- Non... L'Humain est une véritable manifestation de Dieu...

- En particulier un homme et une femme qui s'aiment, alors... ?

- Ils exercent l'acte d'être, en analogie avec l'Esprit … Tout être tend au-delà de lui-même à s'accomplir.

 

Ce soir là, Elaine, se sent assurée de la valeur de ses sentiments. Elle rejoint - dit-elle – l'accomplissement de l'amour courtois. Au-delà de ce qui semble interdit, il intègre une vision chrétienne pour dépasser le simple désir charnel. Les deux amants, ont d'abord privilégié la parole, le serment, la noblesse des sentiments, la conduite généreuse, la politesse, et le langage. A la Dame, de décider l'entrée progressive de la sensualité, l’utilisation de l'exercice érotique avec sa grammaire faite de baisers, de caresses, de discussions libertines, et d'étreintes qui cherchent à éviter l’adultère et l’acte sexuel ; ou non....

Ce soir là, Elaine invite Lancelot dans sa chambre. Il y a encore quelques semaines ; elle aurait pensé mourir de honte, à se voir dans les bras d'un homme... Ce soir là c'est la honte qui meurt. Elle s'accepte sensuelle, et se réalise dans sa sensualité nue et sans honte.

Lancelot est alors bouleversé... C'est soudain la beauté de ce corps qu'il découvre... Cette beauté s'offre dans la nudité de la femme qui a besoin d'être plus que soi et de goûter l'union...

Les conférences de la dernière semaine sont plus difficiles à suivre... De plus, les sujets traités, dans les conférences, sont assez techniques, exigent des connaissances spéciales en jurisprudence et sciences sociales...

Avant la clôture de la Rencontre, une dernière excursion rassemble professeurs et étudiants. La compagnie des Chemins de fer rhétiques ( RhB ) offre en effet aux participants un aller-retour à Saint- Moritz, initiative fort appréciée malgré une météo peu favorable.

 

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1928 Davos - 4 - Marietta Martin

Publié le par Régis Vétillard

Marietta Martin

Après le repas, pendant que Lancelot, s'est isolé pour ranger ses notes et écrire quelques impressions; Elaine fait la connaissance d'une française de son âge, Marietta Martin (1902-1944*), en Suisse depuis un an, contrainte de séjourner dans un sanatorium, celui de Leysin dans le canton de Vaud. Il y a trois ans, elle a passé sa thèse sous la direction de Fernand Baldensperger, ici présent, professeur de littératures comparé à Paris.

Après avoir commencé des études de Médecine, elle a changé de voie pour la littérature. Elle parle six langues étrangères; voyage dans toute l'Europe, sa soeur est mariée avec un diplomate. Elle connaît bien les auteurs du XIXe siècle, en particulier Stendhal et travaille sur le Saint-Simonisme. Elle écrit également de la poésie. Elle présente donc beaucoup d'intérêts communs avec Elaine...

 

Lancelot découvre une jeune fille menue, à la démarche de danseuse qui semble à peine toucher la terre; sur son front de grosses boucles de cheveux noirs, et des yeux étincelants.

Elle adore faire du cheval, étrangement elle ajoute: « Mourir en plein galop, ce serait magnifique. »

Balcon sanatorium Davos

 

Marietta se confie à Elaine, sur la mort qui occupe beaucoup ses pensées... Aussi, dit-elle, « La vraie vie ne commence qu'à l'excès. »

Pour elle tout s'est joué avec son année de philosophie. D'une part le choc des ''systèmes'' qui se fracassent entre eux; de l'autre la beauté et le mystère d'un monde...

«  J'ai connu le désespoir de se retrouver seule sur la terre, abandonnée de toute croyance, sans plus d'espoir d'éternité, infime, perdue, désolée dans l'espace et le temps sans limites. »

La philosophie pourrait sembler du bavardage, la religion une duperie ; du moins... aussi longtemps que la mort demeure inexpliquée.

Marietta dit vouloir regarder la mort en face: « Parlez-moi de la mort, ou taisez-vous! »... Elle y a retrouvé de quoi illuminer sa vie... « C'est la mort qui explique tout. Sans la mort, la vie est absurde. »

 

Liegekur Davos, Sanatorium

Marietta s'est liée d'amitié avec Charles du Bos (1882-1939), quelqu'un d'exquis, attentif, qui l'a aidée lorsque ses doutes lui faisaient côtoyer l'absurde.. Lui-même venait de se convertir... Pour lui l'intelligence est source d'amour : de Saint-Jean à Augustin, Thomas d'Aquin, Ignace de Loyola, etc... tous des inspirés, des spirituels... Du Bos est un critique littéraire, un critique original, qui pense que dans toute œuvre s'exprime l'âme immortelle... Mme Wharton, que Lancelot connaît bien, a confié son livre '' The House of Mirth'' ( Chez les heureux du monde ) - à Du Bos – pour sa traduction.

Une maladie chronique accompagne Du Bos, il fait souvent état de douleurs qui l'accompagnent. Marietta ressent à quel point la maladie peut permettre d'appréhender certaines valeurs essentielles. La maladie appelle, et demande une réponse... Elle met aussi à l'épreuve... Quand la souffrance empêche même de penser ; la maladie devient ''immobile'', il n'y a plus ni présent, ni passé, seulement l'instant présent... Seul le corps peut bouger... C'est pour lui, l'image de la Croix...

 

Marietta a la foi. Elle en parle comme d'un secret, parce qu'elle ne relève pas que des croyances. D'ailleurs, dit-elle, elle a retrouvé la foi, dépouillée de ses croyances...

Après son année de Philosophie, Marietta s'est dirigée vers la médecine. Là, elle croise le visage doux, d'un homme, jeune interne qui donne des cours. Elle l'aime. Il est marié. «  Je l'ai vraiment aimé ; En tout bien tout honneur (…) je sais qu'il a deux enfants... » . « Mon regard ne le quitte pas pendant les cliniques, j'essaie de l'hypnotiser, »... « Je me suis un peu brûlé le bout des ailes. » « J'en conserve un peu d'expérience, un peu de douceur. »

 

Au cours d'une promenade sur des sentiers enneigés, Lancelot et Elaine se sont pris par la main, pour s'aider à ne pas glisser... Ils se sont rapprochés, se sont serrés l'un contre l'autre, et se sont sentis aimés...

Elaine ne sait que faire de ce cadeau qu'elle désirait... « Je suis une femme mariée...»

Elle se confie à Marietta... Comment vivre en même temps, cette peur du péché et le plaisir d'aimer... ?

Marietta lui répond, « Je suis une femme qui, après expérience (oh oui!) a dû reconnaître qu'elle n'est bonne qu'à aimer et à être aimée, et qui s'y est résignée... avec ivresse. »

 

Chacun, ici, tente de profiter des belles heures qu'offrent la montagne et la météo. Le Davoser Ski-Club se met à disposition des professeurs et étudiants, et leur propose des initiations aux sports de neige. Ces exercices augmentent cette ambiance particulière communautaire, où après l'étude autour de grand maîtres réputés, la vie offre sa continuité dans une grande fraternité...

Un cortège nocturne aux flambeaux a spontanément été organisé par les étudiants : « un long serpent de feu déroule ses plis enflammés sur notre “Promenade”, de Platz à Dorf, entraînant professeurs, étudiants, curistes et Davosiens dans un mouvant tumulte »

 

Lancelot assiste à la rencontre bienfaisante entre Paul Tillich et Fritz Medicus (1876-1956) ; le premier exprimant sa reconnaissance au second pour lui avoir fait découvrir la richesse de l'idéalisme allemand avec en particulier l'oeuvre de Schelling, qui fait le lien entre théologie et philosophie...

L. Alenza - Satire on romantic suicide

On peut s'interroger ensuite sur la correspondance qui existe entre l'esprit humain et la réalité... Cela n'a t-il pas une influence sur le sens de notre vie..? La réponse idéaliste repose sur un ''Absolu'' ( la Nature, la Raison, un Sens ( de l'histoire ..) …)

La Grande Guerre fut désastreuse pour la pensée idéaliste... En effet, elle a conduit Tillich a faire l'expérience de l'abîme caché au fond de l'existence humaine, ce qui interroge et la philosophie et la théologie...

Par contre le vitalisme de Nietzsche exprime cette expérience de l'abîme... Nietzsche valorise le combat, la lutte ( Par-delà le bien et le mal) ; vivre c'est donner libre cours à une énergie créatrice, un élan, un élan vital … Si « Dieu est mort », alors la vie n'est qu'un chaos sans but où s'affrontent les êtres.

Paul Tillich, en cela, considère que dire que Dieu est mort, signifie qu'aucun nom, aucune définition ne peut être donnée de Dieu, et qu'Il nous concerne existentiellement ( c'est même une fonction religieuse de l'athéisme) ...  « Quand on est vraiment saisi par l’inconditionnel, Dieu ne peut être nié qu’au nom même de Dieu »

C'est pour cela, que le langage religieux est nécessairement symbolique.

Lancelot croise un étudiant qui a suivi son directeur adjoint de l'E.N.S. Célestin Bouglé, un sociologue positiviste. Il s'agit de, Albert Lautman, engagé à la LAURS ( Ligue d’Action Universitaire Républicaine et Socialiste); cependant, ils font état d'une connaissance commune, Daniel Gallois, normalien et maurassien, proche de Jean de Fabrègues... Mais, ce qui intéresse Lancelot, c'est le choix d'Albert Lautman pour la philosophie des mathématiques... Très vite la discussion se porte sur la confiance que nous pouvons avoir de l'intuition mathématiques et de son développement ; peut-elle rivaliser avec la perception sensorielle, dans l'appréhension de la réalité objective ?

Pour Platon, « c’est par le beau que toutes les belles choses deviennent belles » (Phédon). La beauté existe donc en elle-même... Elle est une essence, une réalité pensée par le philosophe... Les idées platoniciennes sont indépendantes du monde sensible, elle sont supérieures au monde sensible : elles constituent la vérité authentique... Et, en particulier pour les idées mathématiques... « La réalité inhérente aux théories mathématiques leur vient de ce qu'elles participent à une réalité idéale qui est dominatrice par rapport à la mathématique, mais qui n'est connaissable qu'à travers elle. »

Ceci étant, Lautman ne se satisfait pas de cette simplification. Il se donne l'objectif de travailler sur ce sujet... ( Il sera fusillé par les allemands le 1er août 1944, près de Bordeaux)

Avec Lautman, Lancelot fait connaissance d'un professeur agrégé de Littérature, Paul Desjardin présent ici comme journaliste. Ce passionné de controverses intellectuelles, organise lui-même dans une abbaye à Pontigny, des ''Décades'' ( ou Entretiens) : il s'agit d'organiser '' une libre coopération intellectuelle, ouverte au plus grand nombre et régie par «l'amour actif de la vérité et du droit» ''. Desjardin invite Lancelot et Elaine aux prochaines Décades de 1929...

Note (*) : Marietta Martin, est une résistante dès 1941, elle écrit et diffuse ''La France continue''. Emprisonnée, elle décède en Allemagne en Novembre 1944...

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1928 Davos - 3 - Albert Einstein et Paul Tillich

Publié le par Régis Vétillard

Paul Tillich

Paul Tillich (1886-1965), pasteur allemand, enseigne à Dresde, la science de la religion. Pour lui, la foi est le fait d'être saisi par une préoccupation ultime ; et celle-ci lui paraît présente dans la culture, science y compris...

A Davos, Tillich est très sollicité, entouré d'étudiants et de collègues. Son ancien professeur, Fritz Medicus, présent, assure qu'il est le philosophe de l'avenir...

 

Einstein et Tillich partagent la même conception du religieux : pour le premier, un homme qui a trouvé une réponse à la question du sens de la vie, est un homme religieux, et Paul Tillich écrit : « Être religieux signifie s’interroger passionnément sur le sens de notre vie et être ouvert aux réponses, même si elles nous ébranlent en profondeur . »

 

Lancelot découvre Paul Tillich, et considère comme un signe que celui-ci évoque ces ''questeurs de vérité '' que sont le jeune Werther, ou les héros des romans du Saint-Graal... Le Quester est à la recherche du Graal - c'est-à-dire ce qu'il y a de plus élevé: connaissance, sagesse, foi … Il est habité de ''Préoccupations ultimes''.

Arthur Hughes - Sir Galahad

 

Tillich constate que la principale source de désaccord entre la religion et la science se trouve dans ce concept de Dieu personnel. Einstein décrit la loi de causalité comme s'appliquant à tous les événements physiques, il est inconcevable pour lui qu'une « Volonté Divine existe en tant que cause indépendante d'événements".

Cependant Einstein exprime son émerveillement devant la « grandeur de la raison incarnée dans l'existence », il ne remarque pas alors, que la théologie moderne appelle cela une « expérience du numineux » c'est à dire la sensation que l’on est en présence de quelque chose au-delà de la compréhension ou du contrôle . En attaquant la conception du Dieu personnel, Einstein se rebelle contre un mélange ancien et dépassé d'éléments mythologiques et rationnels ; aussi Tillich considère qu' « aucune critique de cette idée déformée de Dieu ne peut être opérante.»

Einstein n'a pas remarqué, ajoute Tillich, que '' Dieu'' est un symbole, que le prédicat ''Personnel'' ne peut être dit du Divin « que symboliquement ou par analogie, et qu'il s'affirme et s'annule en même temps. »

 Ce symbole de Dieu est nécessaire à l’existence de l’homme: « Car, comme le dit le philosophe Schelling:" Seule une personne peut guérir une personne. « raison pour laquelle le symbole du Dieu personnel est indispensable à la religion vivante. C'est un symbole, pas un objet ».

Pour Tillich - Le symbole religieux rend compte de la tendance au concret dans la conception religieuse et l’expérience de Dieu... Dans l’expérience de la préoccupation ultime, il y a toujours un contenu plus ou moins concret et en fait les symboles religieux s’identifient à ce nouveau concret.

 

Il y a plus. La suspicion de Tillich se porte également sur le concept de relativité. qui semble éliminer « tout point de référence absolu ». Ce qui est certain, dit-il, c'est que la théorie de la relativité a révélé plus clairement qu'il ne l'était auparavant l'existence de l'infini... Pour Tillich, la théorie, revêt la nature d'un mystère plus profond encore...

Einstein relève le malentendu : il parle de ''relativité'' d'une procédure qui définit une quantité physique ( longueur, temps d'une horloge...), et d'invariance pour la vitesse de la lumière ...etc

Si la Relativité ne considère plus l'espace et le temps, comme des données absolues, mais comme dépendant de la mesure faite par l'homme, comme si le temps et l'espace ''naissent'' de la mesure... alors les thèses de Bergson, par exemple, sont caduques.

Plus généralement, dans un mouvement d'idées tel que le ''relativisme'', on observe que toute connaissance y est considérée comme relative au sujet connaissant... On y dénonce les illusions de l'absolu ; ou du moins on ne prétend pas s'exprimer sur le ''Pourquoi'' des choses...

 

Beaucoup de jeunes gens et jeunes filles fréquentent ces cours ; l'ambiance est à l'étude, à la controverse ( les ''Diskussionsabend'') et à l'amusement plus ou moins officiel.

Diverses soirées musicales sont organisées pour soutenir l’événement, comme le concert de Maria Philipi déjà évoqué, ou le récital de la soprano autrichienne Emmy Heim lors de la quatrième semaine...

Le moment musical le plus couru est sans nul doute le concert donné par le professeur – et violoniste ! – Albert Einstein, au profit des '' Cours universitaires''.

Les journées se terminent tard ; Lancelot et Elaine ne se quittent pas de la journée ; et c'est une véritable complicité qui s'établit entre les deux. Sagement, le soir, l'un et l'autre regagnent leur chambre respective. Devant l'une ou l'autre porte la discussion souvent continue, puis Elaine avoue sa fatigue et chacun se retire seulCarl Schmitt lors d’un discours, en 1930.

Carl Schmitt - discours, en 1930.

 

Une conférence, celle du philosophe et juriste allemand Carl Schmitt de Bonn, a été l'occasion de discussions passionnées et très actuelles... sachant, que - il n'y a aucun doute - le philosophe est un ardent admirateur du fascisme italien : Benito Mussolini, à la tête du parti national fasciste et après sa marche sur Rome, est devenu premier ministre en 1922...

En Allemagne, Hitler chef du parti NSDAP, lors du congrès de Nuremberg de 1927, exalte la communauté du peuple uni sous la direction du chef.

Carl Schmitt va parler de politique, et même de théologie politique.

Sa première grande idée: - Tous les concepts de la théorie moderne de l’État sont « des concepts théologiques sécularisés ». L'Etat moderne tend « d’imiter les décrets immuables de la divinité ». L'Etat est une création récente, c'est « l'instrument qui a permis aux monarchies européennes, à partir du XVIe siècle, de mettre fin aux guerres privées et d'établir la tranquillité, la sécurité et l'ordre dans les limites de leurs territoires. »

La pensée de Carl Schmitt se construit sur une critique du libéralisme et de la démocratie libérale... Il évoque une démocratie d'acclamation ce qui suppose une homogénéité raciale du peuple, et un lien fort entre le leader et son peuple. L'affaire du politique, c'est l'unité politique du peuple. Et un peuple – en opposition à une foule hétérogène – se définit par son identité.

 

Les débats provoqués par la conférence vont préciser certains points qui émanent de la pensée de Carl Schmitt.

Le fascisme rénove le nationalisme parce que c’est un mouvement qui se présente comme révolutionnaire et moderniste. Le fascisme comporte une dimension sociale et veut imposer un État fort, fondé sur des méthodes nouvelles de gouvernement... Schmitt prétend que le fascisme ouvre sur une démocratie fondée sur l'alliance ''mystique'' entre un chef et un peuple. Il s'agit d'une ''démocratie de masse''. Il dénonce une décadence économique, sociale et morale de la bourgeoisie capitaliste. La politique, comme la religion, implique des mythes, qui sont moteur de l'action.

 

- La démocratie ne repose t-elle pas sur un socle de valeurs comme les droits fondamentaux de la personne, et sur le droit avec la séparation des pouvoirs ...?

- Précisément, non! Ces conceptions libérales sapent le principe de souveraineté et neutralise la puissance de l'Etat. L'unité nationale doit s'imposer contre le pluralisme des intérêts économiques.

« Seul un État faible est le serviteur capitaliste de la propriété privée. Tout État fort […] montre sa puissance véritable non contre les faibles, mais vis-à-vis des puissants au plan social et économique. […] C’est pourquoi les employeurs et plus particulièrement les industriels ne peuvent jamais complètement faire confiance à un État fasciste et doivent présumer qu’un jour il se transformera finalement en un État des travailleurs avec une économie planifiée. »

 

- Qu'en est-il de la sphère privée de la personne?

- En tant que religion politique, le fascisme s’ingère dans l’économie, dans l’art, la morale, etc. Il subordonne entièrement le privé au public. " Tout est politique''!

Carl Schmitt prévoit que l'Etat de droit bourgeois ( une fausse démocratie ) disparaisse ... Par la monarchie? Le monarchisme des royalistes lui semble naïf . Et, le parlementarisme est dépassé... La véritable représentation du peuple ne peut se faire qu'avec un leader, acclamé ( démocratie directe).

 

Quelques intellectuels, présents, n'hésitent pas à exprimer leur préoccupation devant ces thèses, même si elles semblent assez populaires. Ainsi, Victor Basch (1863-1944) exprime les fondements humanistes pour une défense de Droits de l'Homme. Il relève également l'antisémitisme et le racisme en oeuvre dans les théories fascistes...

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1928 Davos - 2 - Albert Einstein et Paul Tillich

Publié le par Régis Vétillard

Une photo relate un de ces moments précieux, auquel ont assisté Lancelot et Elaine et qui permit de passionnants échanges entre Albert Einstein et Paul Tillich.

Einstein avec Tillich ( à droite)

La conférence inaugurale d'Einstein portait sur « Les concepts fondamentaux de la physique en son développement » ; Tillich a donné deux conférences, l'une sur « Religion et culture» et l'autre sur « Le savoir religieux ».

 

Einstein, réside à Berlin, il rassure son auditoire, il n'usera pas de formules mathématiques ''compliquées'' .

Un préalable...: « Les concepts physiques sont de libres créations de l’esprit humain et ne sont pas comme il semble, seulement déterminés par le monde extérieur » ( L’évolution des idées en physique )

« C'est la pensée, ce sont les idées qui sont à l’origine de toute théorie physique »... Les mathématiques ont un caractère de certitude absolue... simplement par le fait que l'on s'accorde « sur les propositions fondamentales (axiomes) ainsi que sur les méthodes à suivre pour déduire de ces propositions fondamentales d’autres propositions » 

« Ici surgit une énigme qui, de tout temps, a fortement troublé les chercheurs. Comment est-il possible que les mathématiques, qui sont issues de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, s’appliquent si parfaitement aux objets de la réalité ? La raison humaine ne peut-elle donc, sans l’aide de l’expérience, par sa seule activité pensante, découvrir les propriétés des choses réelles ? »

« Nous constatons avec évidence combien sont dans l’erreur les théoriciens de la connaissance qui croient que la théorie vient par induction de l’expérience.[…] Il n’y a pas de méthode inductive qui puisse conduire aux concepts fondamentaux de la physique. Faute de comprendre ce fait, nombre de chercheurs au XIX siècles ont été victimes d’une erreur philosophique fondamentale. Ce fut probablement la raison pourquoi la théorie moléculaire et la théorie de Maxwell ne purent s’établir qu’à une date relativement tardive. » 

 

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas concevoir que toute la physique puisse être bâtie sur le concept de matière, comme le croyaient les physiciens au début du XIXe s.

Pour le moment nous acceptons deux concepts. Pouvons-nous considérer la matière et le champ comme deux réalités différentes et distinctes ? Une petite particule de matière étant donnée, nous pourrions nous figurer naïvement qu'il existe une surface définie de la particule au delà de laquelle elle cesse d'exister et où apparaît son champ de gravitation. Dans cette image, la région où les lois du champ sont valables est brusquement séparée de celle où se trouve la matière. Mais quels sont les critères physiques qui permettent de distinguer entre la matière et le champ ? Avant d'avoir connu la théorie de la relativité, nous aurions pu tenter de répondre à cette question : la matière a une masse tandis que le champ n'en a pas. Le champ représente de l'énergie, la matière représente de la masse. Mais nous savons déjà qu'une telle réponse est insuffisante quand on considère les connaissances ultérieurement acquises.

 

La théorie de la relativité nous a appris que la matière représente d'immenses réserves d'énergie et que l'énergie représente de la matière. Nous ne pouvons pas ainsi distinguer qualitativement entre la matière et le champ, puisque la distinction entre la masse et l'énergie n'est pas d'ordre qualitatif. La plus grande partie de l'énergie est concentrée en matière, mais le champ qui entoure la particule représente également de l'énergie, bien qu'en quantité incomparablement plus petite. Nous pourrions par conséquent dire : la matière se trouve là où la concentration de l'énergie est grande et le champ là où la concentration de l'énergie est petite. Mais s'il en est ainsi, la différence entre la matière et le champ est plutôt d'ordre quantitatif que d'ordre qualitatif... Nous ne pouvons imaginer une surface définie, qui sépare nettement le champ et la matière...

Nos lois de structure, c'est-à-dire les lois de Maxwell et celles de la gravitation, ne sont pas valables pour de très grandes concentrations d'énergie ou, comme nous pourrions dire, pour les lieux où se trouvent les sources du champ. Mais ne pourrions-nous pas modifier légèrement nos équations, de façon qu'elles soient partout valables, même dans les régions où l'énergie est énormément concentrée ?... Ne pourrions-nous pas rejeter le concept de matière et construire une physique basée uniquement sur le champ ? La matière qui produit des impressions sur nos sens n'est réellement qu'une grande concentration d'énergie dans un espace relativement petit. Nous pourrions regarder la matière comme des régions dans l'espace où le champ est extrêmement intense. On pourrait de cette façon créer un arrière-plan philosophique nouveau... Notre problème ultime serait de modifier nos lois de champ de telle sorte qu'elles restent encore valables dans les régions où l'énergie est énormément concentrée. Mais nous n'avons pas jusqu'à présent réussi à exécuter ce programme... [Avant de le faire, il faut mieux connaître] comment les formes de matières sont construites... On aborde alors les idées nouvelles de la théorie des quanta... ». ( L'évolution des idées en physique, des premiers concepts aux théories de la relativité.)

 

Einstein utilise l’idée des quantas de Planck, un concept pas toujours pris au sérieux à l’époque. Einstein montre qu’on peut les utiliser pour mieux comprendre certains aspects de la physique.

 

La relativité générale est fondée sur des concepts radicalement différents de ceux de la gravitation newtonienne. Elle énonce notamment que la gravitation n'est pas une force, mais la manifestation de la courbure de l'espace (en fait de l'espace-temps)...

 

Les lois régissant le mouvement des corps ont été pendant longtemps basées sur des « évidences » : le temps était « absolu », ou universel : il s’écoulait partout de la même manière.

Le temps, l’espace et le mouvement sont en fait des concepts plus subtils : le « tic-tac » d’une horloge n’est pas le même si on le mesure sur une horloge au repos ou en mouvement par rapport à l’observateur. Il en est de même pour le « mètre étalon », dont la longueur n’a pas la même valeur selon qu’il se déplace ou non par rapport à l’appareil de mesure. Nous savons aussi qu’il existe une vitesse limite, celle de la lumière, pour le mouvement de n’importe quel objet matériel. Enfin, la masse d’un corps peut varier et se transformer en énergie utilisable.

 

Enfin Einstein, fait part de ce qui le préoccupe actuellement, du fait des conclusions de Bohr avec Heisenberg, qui affirment que dans le domaine atomique ( que nous qualifions aujourd'hui, de façon plus large, de quantique), on ne peut plus définir l'état initial selon les modalités de la physique classique. Le ''principe de Causalité'' ( Leibnitz) ( une cause → un effet ; donne le sens du temps …) est contredit. Sachant qu'en relativité restreinte, la vitesse de lumière est invariante, elle ne peut pas être dépassée et garantit le principe de causalité...

Précisément Einstein, insiste sur ce principe de causalité stricte, et qu'il est donc inutile d'aller chercher dans la chaîne des causalités «  une volonté des esprits invisibles » : une croyance « digne de l'homme primitif ». Pour Einstein le concept d'un Dieu personnel est un vestige anthropomorphique des temps primitifs, d'une religion de la peur. Sa religiosité ne porte plutôt sur un sentiment spinoziste, un « sentiment d’émerveillement » face à la rationalité et à la beauté de l'univers.

 

Einstein pense pouvoir élaborer une théorie unique pour expliquer comment le monde s'organise à l'aide de lois élémentaires et universelles.

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1928- Cours Universitaires de Davos - 1

Publié le par Régis Vétillard

1928- Cours Universitaires de Davos - 1

Pour le voyage aller, Lancelot s'est efforcé de trouver de la place dans les ''1ères Classe'' du ''Arlberg Orient Express'' , jusqu'à Zurich ; ensuite il faut changer de train, et s'approcher de Davos au plus près, puisque le chemin de fer n'y accède pas...

Lancelot et Elaine se retrouvent en Gare de l'Est.

Arlberg-Orient-Express (avec voiture-salon Pullman) vu vers 1928

Je reprends à présent, le texte retranscrit du ''journal'' de Lancelot :

« Après l'excitation du voyage qui se prépare, puis qui débute dans la confusion, l'attente, la recherche de sa place. Nous retrouvons le calme alors que nous n'avons pas encore avancé...

Ressentir le départ, puis le mouvement, est une première victoire.

Dans le cocon du train ; il est assez étrange de vivre hors espace, n'ayant plus que le temps comme référence... Notre pensée elle-même, sort de ses repères convenables ; elle s'émancipe, prend le large...

Devant ce paysage qui défile, sommes-nous quelque part ? Je vois des gens qui observent le train, mais cette image semble si peu réelle, ce que j'en ai perçu est incomplet, fugace.

Le temps reste de notre côté, et les arrêts, s'ils ouvrent des possibles à d'autres, n'entament en rien notre sereine sécurité.

Les yeux, rivés sur un paysage déroulant, ne peuvent contrôler notre imagination... Ne demandez jamais à votre voisin : « A quoi pensez-vous... ? » Ce serait bien indiscret...

Le défilé du paysage, me remplit de nostalgie : il se donne et se retire aussitôt, à jamais... Le miracle, c'est que cet arrachement ressenti est compensé par la présence d'une femme près de moi... La voir dans la vitre, alors que mon regard vagabonde de l'autre côté... Elle, est une amie; et le fait qu'elle ait acceptée de m'accompagner, m'ouvre la possibilité qu'elle puisse devenir ''mon'' amie. Ce long voyage, la complicité dans le compartiment, les possibilités de l'aventure qui nous lie à présent, rendent ce moment inoubliable.

« A quoi pensez-vous ? » me demande Elaine. Son sourire semble me dire qu'elle est heureuse, et qu'elle voudrait partager ce bonheur...

Je rêve à tout ce que ce voyage nous donne la possibilité de faire... que de rencontres en perspective... ! Et vous ?

J'ai honte... Je pensais à tort et à travers... Mon imagination élaborait divers canevas de roman. C'est que le voyage sous-tend l'aventure, l'évasion... Le train stimule l'imagination...Chaque personne qui passe dans le couloir, ou s'assoit, pourrait nous cacher son identité, ses raisons d'être là... et, pourtant, elle est susceptible de nous entraîner dans des aventures que nous ne soupçonnons pas mais que le romancier peut imaginer pour nous...

 

Davos, est une petite ville ''hors du monde d'en bas'', posée dans une vallée, entre 1400 et 1800 m d’altitude.

Depuis 1860, les curistes profitent de l'air vivifiant de la vallée aérée, pour soigner en particulier la tuberculose pulmonaire... Un des premier patient eut l'idée d' investir dans la construction de maisons de cure et de pensions.

Ce lieu a déjà attiré l'attention avec la publication, quatre ans plus tôt, du livre, Der Zauberberg, de Thomas Mann ( La Montagne Magique).


 

Comme la plupart des invités, Lancelot et Elaine, ont chacun leur chambre réservée dans le luxueux Grand Hôtel Curhaus. Cent-vingt étudiants français et allemands ( majoritaires) ont été invités ( à leurs frais) à participer à ces ''Cours universitaires'' auxquels se rajoutent autant d'étudiants curistes sur place.

Ce premier Cours Universitaire de Davos est ouvert par le maire Erhard Branger avant, Hans Driesch, philosophe et biologiste allemand, qui parle alors au nom de son pays, Lucien Lévy-Bruhl ( 71ans) , le célèbre philosophe et sociologue pour la France, et Albert Einstein. Chacun se propose de sceller la fragile amitié enfin retrouvée... Ces Davoser Hochschulkurse font figure de '' Locarno des intellectuels '' … On ne craint pas de croire en une Union des intellectuels sans distinction de patrie et de confession.

Ce dimanche 18 mars 1928, peu avant 11h, la foule se presse devant l’entrée du Grand Hôtel Curhaus. Chacun cherche du regard le visage souriant du ''plus grand physicien contemporain '' et prix Nobel, Albert Einstein. Il prend la parole à 17h00, pour la conférence inaugurale.

C’est ensuite dans la grande salle de spectacle de l’Hôtel Curhaus qu’un banquet est offert à l'assemblée cosmopolite ; entrecoupé de moments musicaux interprétés par les compositeurs Béla Bartock et Julius Weismann eux-mêmes avec le concours de la violoniste Riele Queling.

Les deux premières semaines, du 19 au 31 mars, sont consacrées plutôt à des interventions de nature philosophique et littéraire, et les deux semaines suivantes (2 au 14 avril) ont pour thème le droit et les sciences sociales. Les conférences sont données dans la langue du conférencier, allemand ou français et sont réparties sur les six jours de la semaine, elles durent quarante-cinq minutes... En général, elles commencent entre 9h et 10h ; après le repas elles reprennent vers 16h ou 17h, avec le repas du soir à 19h. quelques soirées sont dévolues à des Arbeitsgemeinschaften qui rassemblent des petits groupes d’universitaires autour d’enseignants pour des temps de discussion et de débat.

 

Finalement pour les auditeurs, les conférences ne sont que le prétexte d'un travail plus réel qui s'effectue au hasard de rencontres, à la table des restaurants, autour de verres de bière dans les brasseries, ou sur les chemins enneigés des environs de Davos...

Lancelot remarque que « Les conférenciers étaient prêts à nous parler à toute heure de la journée, jusque tard dans la nuit dans un salon de thé [...]. La plus grande liberté prévalait dans les disputes entre professeurs et étudiants qui savaient qu'ils ne les sanctionneraient pas, par une examen... »

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1928 - L'Europe

Publié le par Régis Vétillard

Quelques nouvelles :

- En Novembre 1922, Albert Einstein a reçu le prix Nobel. Depuis la publication sur la Relativité Générale, il se consacre à tenter d'unifier les interactions gravitationnelle et électromagnétique.

Drapeau de l'Union paneuropéenne

- Un mouvement européistes a vu le jour, en 1923 avec Richard Coudenhove-Kalergi, un aristocrate autrichien qui développe le programme de Paneurope...

Le premier congrès paneuropéen, s'est tenu à Vienne en 1926, et a réunit plus de 2 000 participants, dont de nombreux intellectuels, écrivains, industriels et hommes d’affaires. Il a été salué par des intellectuels célèbres comme Stefan Zweig, Sigmund Freud, Albert Einstein, Heinrich et Thomas Mann, Jules Romain, Paul Valéry...

-En 1927, le Parti Radical est prépondérant, marqué à gauche, laïc, il gouverne au centre, et semble peu réformateur... Jouvenel et Luchaire s'y inscrivent en voulant le transformer de l'intérieur... Édouard Daladier en devient président.

- L'action Française est durement éprouvée par l'excommunication qui frappe ses adhérents.

- Le PCF adopte la stratégie '' classe contre classe '' ( exemple : pas de désistement en faveur des socialistes), en 1928, qui l'isole de la gauche.

- La dévaluation du franc, au détriment des rentiers qui avaient souscrit des bons du trésor, revigore l'industrie à l'exportation... L'industrie textile dont dépend la majorité des revenus familiaux de Lancelot, retrouve de l'essor au cours de ces années vingt. On modernise les moyens de production ; on innove pour les teintures...

Pour Coudenhove, l’Europe est constituée par « la philosophie grecque, le droit romain, la religion chrétienne, le mode de vie d’un vrai gentleman et la déclaration des droits de l’homme».

Les responsables politiques nationaux restent attachés à une stricte conception de la souveraineté... Aristide Briand, semble être le seul à évoquer « une sorte de lien fédéral » qui devrait unir « les peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe ».

- L'Allemagne étant exclue de la SDN, et les intellectuels allemands désireux de participer à des rencontres internationales, conjuguent leurs efforts avec un projet Suisse, sur Davos, d'une Université Internationale, à la faveur de la présence de nombreux étudiants en cure dans cette ville de montagne... Un comité composé d'universitaires locaux et étrangers, se donne la mission d'inviter en 1928, des élites intellectuelles européennes à des semaines de travail et d'échange, autour de cycles de conférences.

Quatre années de suite, de 1928 à 1931, ces universitaires seront accompagnés d'étudiants, et de jeunes gens, habilités par leur pays respectif.

Davos

Les premiers Cours Universitaires de Davos, seront lancés en mars 1928, en présence du prix Nobel Albert Einstein

Dès cette annonce, Lancelot s'est empressé de trouver une manière d'y être présent ; et recevoir une habilitation du gouvernement français...

Paul Painlevé lui propose même, dans le cadre de son ministère, la mission ( toute confidentielle ) d'établir un rapport sur les activités et les participants à cette rencontre internationale. Lancelot bénéficiera des conseils de Roger Picard, un professeur de Droit, qui est au Comité de la LDH, socialiste, et conseiller politique...

Lancelot propose à Elaine de l'accompagner.

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Une jeune génération, impatiente...

Publié le par Régis Vétillard

Paul Painlevé, que Lancelot, rencontre fréquemment avec sa mère ; s'intéresse à lui et à ses passions scientifiques assez éclectiques, qui vont des mathématiques, à l'astronomie, en passant par la télégraphie sans fil. Il l'encourage, lui offre des ouvrages savants et laisse entrevoir que ses compétences pourraient bien être utiles dans son ministère... Je rappelle que Paul Painlevé (1863-1933) est un mathématicien, homme politique et ministre de la Guerre ( 1925-1929), et grand ami d'Anne-Laure de Sallembier.

Painlevé, n'est pas mécontent, non plus, de voir Lancelot affirmer un pacifisme militant... Lui-même, malgré ses fonctions, affiche cette conviction, d'ailleurs il réduit le service à un an... En effet, le jeune homme s'émancipe de son groupe originel, et éprouve beaucoup d'intérêt a rencontré d'autres espaces, en particulier ceux représentés au GUSDN ( Le Groupement universitaire pour la Société des Nations) animé par Robert Lange qui bénéficie de l'aura de son oncle Bergson... Les réunions sont nombreuses, et les appuis de personnalités sont relativement intéressants, avec de nombreux contacts avec Genève et Londres... On fête l'entrée de l'Allemagne dans la SDN en 1926. Une paix est possible, et finalement l'action de Briand est reconnue par tous...

 

Paul Painlevé ( le pacifiste !) occupe de façon quasi continue le ministère de la Guerre - dans lequel travaille Lancelot - puis celui, tout nouveau, de l’Air. Il sera l'un des rares à assumer l'idée européenne d'Aristide Briand. Ce dernier, lors de son discours du 5 septembre 1929 à la tribune de la SDN, parle d’« une sorte de lien fédéral » qui devrait unir «  les peuples qui sont géographiquement groupés, comme les peuples d’Europe.»

Une jeune élite se forme ainsi à la politique, en rupture avec la politique en place: elle s'exerce aux joutes verbales, ne craint pas la confrontation de ses idées, jusqu'aux provocations. On tente de rallier à soi, pour constituer de nouvelles communautés... Parmi cette jeunesse entreprenante, Jean Luchaire semble plein d'ambition....

 

Depuis 1922, Luchaire tente de convaincre Lancelot, que de l'Action Française au socialisme, on peut créer un mouvement de jeunes pour imaginer autre chose que le système républicain en place... La jeunesse est avide d'agir, sensible aux postulats de progrès, de fraternité et de rationalisme … D'ailleurs, Lancelot, s'interroge sur la possibilité d'être – en même temps - rationaliste et chrétien …

Luchaire s'oppose aux ''Camelots du Roi'' qui à son avis terrorisent, sans plus, l’université. Lancelot reconnaît un militantisme violent qu'il récuse...

Pour l'instant la jeunesse ne bouge pas parce qu'elle ne trouve pas la théorie qui va la mobiliser... Mais on ne part pas de rien : il s'agit d'affiner la création " d'une théorie conforme aux faits et à notre tendance mentale", puis d'en affirmer publiquement quelques principes, qui seront la base du mouvement....

Bertrand de Jouvenel estime que les politiques d'avant-guerre n'étaient pas compétents ; et depuis la fin du conflit, rien n'a changé... « Ni réforme administrative, ni réorganisation économique, ni révision de la Constitution, ni refonte du code, ni réparations, ni sécurité, ni prospérité, ni liberté, ni paix, voilà la bilan de cinq années. » Jouvenel, dans Vita, n°2, 02/1924

A plusieurs reprises Jouvenel est à Genève, pour le compte de Vita; il défend la solidarité des pays face aux dégâts causée par le militarisme allemand, et leur sécurité par le désarmement de l'Allemagne.

Ils veulent être pragmatiques et ne prendre en compte que le fait économique, et se défient des positions idéologiques de droite et de gauche:

« Nous proclamerons l'interdépendance des nations qui fait le blé moins cher. » (…) Nous étudierons tout à tour les différentes matières premières [...], nous rechercherons uniquement comment les rendre plus abondantes, meilleur marché, c'est-à-dire comment améliorer les conditions de vie, et avancer la civilisation. »

En 1926, Drieu La Rochelle, rejoint Luchaire, De Jouvenel et beaucoup d'autres situés autour de ce que l'on appelle, la ''Jeune Droite'' et qui se cherche, entre royalisme, personnalisme, justice sociale... Luchaire se félicite de son initiative: « La décadence des vieilles formations politiques et le développement de nouveaux groupes me paraissent être des phénomènes inéluctables... et bienfaisants » ( Luchaire, La Volonté, 01/02/1926.).

« Alors souhaitons de voir vivre et prospérer en France, le plus tôt possible, ce nouveau parti de droite, dont les idées se rapprocheraient d'une façon aussi extraordinaire, de ce que devraient être un nouveau parti de gauche... Ce ne serait pas l'union sacrée de la génération nouvelle, mais ce serait une vaste collaboration possible, d'où pourrait sortir une vaste et pratique réorganisation du pays. »

« Nous trouvons que la première chose à faire, c'est de réparer les ruines de la guerre, c'est de combler un trou formidable provoqué par cinq ou dix ans de consommation effrénée et inutile, c'est de donner à manger à l'Europe et de la mettre en état de soutenir sur notre petit globe, la lutte économique mondiale. » Luchaire La Volonté, 01/06/1926..

La revue ''Notre Temps'' - une ''revue-carrefour'' - créée par Jean Luchaire en 1927, a le projet de devenir l'organe représentatif de la nouvelle génération, et pas seulement en France, ouverte à tous les européens... Proche de Briand, il réussira à obtenir la collaboration du radical Pierre Mendès France et du socialiste Pierre Brossolette... On y trouvera des textes de Proust, Rilke, Wells, à côté de Giraudoux et Drieu La Rochelle... Luchaire a 26ans et un formidable carnet d'adresse d'écrivains de tous bords...

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Jacques Maritain – Nicolas Berdiaeff – Un nouveau Moyen-âge

Publié le par Régis Vétillard

C'est Elaine qui a repris contact. Elle propose à Lancelot de l'accompagner à Meudon, chez les Maritain. Si Lancelot s'empresse d'accepter, c'est autant pour rencontrer le ''maître'' du lieu, que pour revoir Elaine...

Lancelot était allé écouter Jacques Maritain lors d'une conférence à la Sorbonne sur ''Métaphysique et mystique'', c'était le 12 novembre 1925.

Jacques Maritain 1930

Elaine de L. est une habituée du dimanche après-midi, à Meudon. La maison des Maritain, profite du calme ambiant... La grille du jardin franchie, Raïssa et Jacques accueillent chacun avec chaleur, et curiosité . Lancelot et Elaine sont reçus dans un salon clair, au parquet brillant et sur le mur des tableaux de Rouault. Sur la cheminée les portraits de Léon Bloy, Saint-Thomas et Ernest Psichari ( converti et mort à trente ans, au front en 1914) ...

Jacques Maritain, le visage doux, serein, les yeux bleus et une grande mèche sur le front est le maître spirituel, que chacun interroge, autant sur des idées générales, que sur la conduite de sa vie …

On s'interroge sur l'amitié et l'amour... Maritain a une très belle formule : l'amitié, c'est de donner d'abord ce que l'on a, et indirectement ce que l'on est. L'amour c'est donner directement ce que l'on est …

Elaine, dans un entretien particulier avec son directeur spirituel, proche de Maritain, s'est confiée sur les circonstances de son mariage. C'est ce qu'elle a confié à Lancelot :

Elaine se souvient de sa rencontre avec son futur mari, présenté officiellement, lors d'une partie de chasse. Les deux fiancés se sont mesurés du coin de l'oeil, et peut-être se sont-ils plu... Ce jour là, elle craignait d'être seule avec lui, s'imaginant déjà couchée par lui, dans les joncs et la boue...

Dans le mariage s'est révélée, la tromperie dont elle a été victime : cet homme, qui - même si elle le reconnaît - la satisfaisait dans son désir sensuel ; elle ne l'aimait pas... Puis, cette connivence, pour la chair, qu'elle partageait avec son mari, s'est brisée quand elle a appris qu'il la trompait. Alors, elle s'est refusée, il l'a forcée, il est devenu violent, grossier...

Le prêtre lui avait fait cette réflexion, (qu'il avait retenu de Maritain lui-même...) :« on ne peut pas toucher à la chair de l’être humain sans se salir les doigts. Mais, se salir les doigts n’est pas se salir le cœur ». ( Maritain - Humanisme intégral 1936) .

La chair, ne sert-elle pas de langage à l'amour... ? Alors, le le cœur et la chair, ne font plus qu'un.

 

Une autre fois, chez Maritain, on parle de la ''primauté du spirituel'', un sujet d'actualité pour tous les présents dont beaucoup sont proches de l'Action Française...

L'époque qui nous semble alors un modèle, dans cet esprit, est le Moyen-âge... Pourrons-nous, dans le monde nouveau à construire, restituer ces principes spirituels... ? « C’est du point de vue de Dieu que toute chose y était regardée »

L'humanisme de la Renaissance, cependant, a réhabilité la ''créature'' ne tant qu'Homme... L'Homme n'a t-il pas une part de l’initiative dans l’œuvre du Salut, sa ''liberté'' n'est-elle pas affirmée.. ? Ensuite, le rationalisme va détacher cette liberté de la ''Grâce'' qu'elle ignore, bien-sûr... On sépare le naturel du surnaturel, avant d'exclure le surnaturel...

La Renaissance a permis la prise de conscience de soi et favorisé le développement de la science et d'une nouvelle forme d'art...

Maritain remarque que ce désir de rationalité nous a fait perdre la conscience de la souveraineté de la personne, au profit d'une entité collective, l'Etat. On décrète alors la mort de Dieu …

Nicolas Berdiaev

Maritain a rencontré en 1925, Nicolas Berdiaeff qui vient d'arriver à Paris. En 1927, au Roseau d'Or, Berdiaeff publie '' Un nouveau Moyen-Age'', il était un habitué des visites à Meudon.

Pour Berdiaeff, le monde moderne en continuité depuis la Renaissance - l'homme de plus en plus séparé de son centre spirituel - s'affronte à présent avec le bolchevisme qui présente un humanisme inhumain parce que basé sur une fausse conception de l'homme.

« Les temps médiévaux furent éminemment religieux, […] ils allaient entraînés par la nostalgie du ciel [et] […] toute la culture […] était dirigée vers le transcendant et l’au-delà » (N. Berdiaeff, Un nouveau Moyen Âge)

« Pour la pensée médiévale […], l’homme n’était pas seulement un animal doué de raison […], l’homme était aussi une personne », c'est à dire, un « univers de nature spirituelle », au-dedans duquel dieu « est et agit » tout en « respectant sa liberté » (J. Maritain, Humanisme intégral).

Berdiaeff n'idéalise pas le Moyen-âge, il en note aussi toute la barbarie ( et il pense à l'actualité, avec le fascisme italien...) et Maritain évoque et condamne les abus d’un système où les forces du temporel peuvent servir à défendre – et donc, parfois, à imposer – la religion...

Lancelot interroge Berdiaeff sur le régime politique qui pourrait accompagner ce ''Nouveau Moyen-âge''... ? Il pense à une monarchie, qui renoncerait aux castes et aux partis pour leur substituer des organes professionnels et culturels ( corporations …) unis dans une structure hiérarchique... La démocratie parlementaire est viciée par le capitalisme.

 « Le nouveau Moyen Age sera, fatalement et au suprême degré, démotique et il ne sera pas du tout démocratique… Les démocraties sont inséparables de la domination des classes bourgeoises, et du système industriel-capitaliste. Les masses sont ordinairement indifférentes à la politique, elles n’ont jamais assez de force pour arriver au pouvoir » ( Un nouveau Moyen Age )

Dans l'ordre temporel, que nous vivons ; qu'y a t-il de plus divin que le bien commun de la Cité ? Le monde, continue Jacques Maritain, souffre d'un immense besoin d'unité et d'universalité, et soutient l'attente qu'exprime Lancelot au sujet de la S.D.N. Et se différencie en cela à Maurras, qui n'a que sarcasmes pour cette organisation internationale... ( voir Jacques Maritain : Théonas, ou Les entretiens d'un sage... 1922)

Si Maritain affirme que « la cité chrétienne est aussi foncièrement anti-individualiste que foncièrement personnaliste. » ; pourtant, à sa suite, deux tendances s'opposent : Jean de Fabrègues souhaite un « État théologico-politique (…) appuyant sa légitimité et son rôle sur les valeurs du christianisme reconnues pour telles », et Emmanuel Mounier estimant que l'ordre humain ne sera véritablement ordonné ( et chrétien) que par le témoignage personnel de chacun ; il en appelle à un nouvel humanisme, ouvert au spirituel, indépendant du pouvoir politique. Mounier fait confiance à l'Homme ; Fabrègues pense l'Homme pécheur, et le besoin d'une autorité.

Lancelot et Elaine se rencontrent à présent fréquemment ; à l'occasion de conférences, d'une soirée théâtrale, ou d'une visite mondaine. Ils s’apprécient : Lancelot serait plutôt introverti, et s'efforce de répondre à l’invitation sociétale à s'engager dans l'action. A l'aise dans un groupe, Elaine se sentirait plus attirée par la relation, son physique et son caractère attirant la sympathie. Elaine apprécie sa nouvelle vie de femme indépendante ; mais ce lien d'épouse ( toujours existant) d'un homme dont elle s'est séparée, représente une anxiété qui ne la quitte guère...

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Jean Luchaire – Elaine de L.

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot ressent une certaine sympathie pour Jean Luchaire, de même âge et une certaine ascendance intellectuelle, et pour qui la réussite semble sourire.. Des points communs : un goût pour l’étranger ( l'Italie pour Jean) et un désir politique ancré sur le pacifisme ; et une différence non dénuée d'intérêt, qui est la base socialiste de ses convictions …

Entreprenant, Luchaire a déjà tenté la création d'une revue '' Vita '', abandonnée puis reprise en 1924: Il dénonce le mépris et la haine entre les anciens belligérants, et le Traité de Versailles... Il imagine la suppression des armées nationales, la suppression des égoïsmes nationaux...

Luchaire souhaite intervenir dans le débat politique et avec quelques uns lancent un manifeste, l'Effort , c'est une étape. En 1921, ce sera '' La Jeune Europe''...

Jean Luchaire réussit à s'inscrire dans une carrière journalistique ; il intègre '' l'Ere Nouvelle'' et ''Le Matin''

Lancelot se sent appartenir à une jeunesse qui veut affirmer aux générations précédentes sa différence : l'internationalisme, et une inquiétude de l'avenir, qui se traduit en questions, ruptures et recherche d'engagement... On s'amuse, on discute et on se dispute... Chacun teste des groupes, des ligues, des conférences... souvent éphémères. On s'engage dans des joutes verbales afin de chercher de nouveaux cadres théoriques...

Lancelot, de nature, serait plus intéressé par des questions sur les passions, l'existence de Dieu, et la marche des mondes ; mais dans l'ensemble, sa génération est peut-être plus pragmatique, et se confronte davantage aux rapports internationaux, à la politique et à l'économie...

 

Le jeudi, au 86, rue Claude-Bernard, les époux Luchaire reçoivent beaucoup de monde, on peut y croiser ( en mélangeant les époques …) : Paul-Boncour, Osuski, l'ancien ministre de Tchécoslovaquie, Stève Passeur, Claude Dauphin, Paul Reynaud, Pierre Brossolette, Pierre Laval, Otto Abetz, Léo Ferrero, Jacques Chabannes, Marcel Achard et Stève Passeur, Pierre Mendès France et Bertrand de Jouvenel, Rainer Maria Rilke, Paul Colin, Jean Fayard aussi bien que Louis Martin-Chauffier, Claude Aveline ou Georges Auric, Alfred Fabre-Luce et même Jean Giraudoux.

Titaÿna

On discute politique, théâtre. On fume, on se fâche ( source Corinne Luchaire, et Gilberte Brossolette)

 

Lors de l'une de ces soirées, l'invitée vedette est Titaÿna ( Élisabeth Sauvy (1897-1966)) une jeune femme d'action, les cheveux noirs bouclés, belle, « aux yeux de bédouine ( P. Mac Orlan) », mince, nerveuse... Romancière ( en 1925, avec 1925 ''la Bête cabrée'') et en train de devenir ''reporter''... Chacun, chacune est aimantée vers cette jeune femme qui pourrait représenter le modèle de la femme des ''années folles'', avec les rythmes de jazz qui résonne dans un dancing comme le ''Bouf'', cabaret que Titaÿna fréquente...

 

Lancelot, lui, s'est approché d'une femme, un peu en retrait, et dont il saura beaucoup de choses à l'issue de cette soirée...

Elaine de L. est la fille d'un sénateur, elle s'est mariée à dix-huit ans. L'union est devenue désastreuse, la jeune femme dépérit et songe à prendre le voile... Elle part en retraite dans un monastère, mais son père la récupère ; et lui propose de surseoir à sa décision, en l’accompagnant dans un grand tour culturel en Italie...

Réflexion faite, si elle reste très croyante, elle préfère profiter de la vie d'une femme séparée de son mari, mais libre... Elle écrit, et a déjà publié deux romans et un recueil de poèmes préfacé par Claudel …

Lancelot est frappé de la beauté de son visage, et de l'intensité de son regard qui - quand elle parle d'elle - semble craindre d'effrayer son interlocuteur. A cette jeune femme, douce, attentive, Lancelot naturellement en vient à lui parler de ses doutes, de sa recherche...

Elle même se demande si – en quittant le monastère – elle n'a pas tourné le dos à la Vérité ?

Lancelot l'écoute, et se surprend à défendre une autre manière d'envisager sa vocation personnelle :

L- N'était-ce pas une fuite vers un refuge.. ? Et, cela devait être nécessaire, vous aviez besoin de souffler... Votre père aurait pu vous y laisser... Ces deux attitudes ( la vôtre, la sienne) vous auraient été imposées par les circonstances ; auraient-elles correspondu à un véritable choix de votre part … ?

Au lieu de cela il n'a écouté que son amour pour vous, son intuition ; et vous a incité à construire un autre chemin qu'il n'imaginait pas, mais qu'il vous rend possible ….

E- Cet accueil des religieuses, était un don de Dieu...

L- Ce don, n’était-il pas un chemin déjà tracé par d'autres...; ne devez-vous pas le construire par vous-même... ? Que désiriez-vous vraiment?

E- N'est-il pas bon de sacrifier, nos désirs, nos passions humaines ; pour un don plus grand... ?

L- C'est curieux, la manière dont vous posez cette question... Comme si, cet enfermement – qui ne correspond peut-être pas à votre personnalité - permettait seul, de recevoir le don divin ; et comme si donc, il fallait sacrifier son désir.... Quel était donc votre désir profond ?

E- Là-bas, je m'abandonnais à Dieu... 

L- A Dieu, ou à ceux qui décident pour vous … ?

E- La Vérité, ne nous est-elle pas donnée... ?

L- La Vérité est à découvrir, par soi-même, à la lumière d'une Tradition. Pour moi, c'est une Quête …

E- L'Eglise porte la Tradition.

L- Je ne peux pas me contenter de recevoir la Vérité... Je me dois de la vivre, de la valider, de grandir avec... La Tradition n'est pas figée, elle est vivante et ne demande qu'à être reçue, transformée. Il ne s'agit pas de l'enfouir pour la préserver... Ne serais-je qu'un gardien de la Vérité... ?

 

Cette discussion avec Elaine, est retranscrite à partir des notes de Lancelot, à l'issue de cette soirée... Il s'étonne lui-même d'avoir développé ainsi une réflexion sur la Vérité de la tradition, comme si à ce moment là, leurs deux esprits lui avaient permis de clarifier ses propres idées...

Quand Lancelot et Elaine se sont quittés... Elaine lui a exprimé combien ses paroles avaient été justes et la libéraient...

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Mary Butts – Années 1920 – et le Graal. 3

Publié le par Régis Vétillard

Mary Butts raconte à Lancelot, les quelques idées – qui lui sont venues - quant à l'intrigue de son prochain livre... La Coupe du Graal aurait été trouvée au fond d'un puits ; retiré de là, grâce à une lance... Qu'elle influence aurait la présence du Graal sur ses personnages... ?

Elle, serait seule femme avec quatre hommes, dont son frère. Elle s'appelle Scylla, son amant c'est Picus, amant déjà d'un homme, présent... Que va t-il se passer... ?

Parmi les hommes, l'un serait comme un élément rapporté : un américain ; les autres à travers lui, rejetteraient ce monde moderne, un monde brisé par la guerre et le nihilisme...

Alors Mary pense que le chaos se répandrait rapidement... Nous n'avons qu'une arme, dit-elle, la folie !

Mary voudrait insister sur notre relation forte avec la terre, pour elle cela s'exprime par son attachement aux paysages du Dorset, paradis perdu d'une propriété familiale. Le paysage a une influence sur nos croyances, il devient sacré... Ce lien passe par le féminin, comme l'exprime Jane Harrison. Le culte de la déesse précède le monothéisme masculin ; elle pense que le maintien de ce lien spirituel à la terre peut guérir une âme découragée... La femme peut assumer ce rôle de prêtresse.

A l'opposé le paysage urbain est une friche, dominée par la science et la rationalité, le manque de sentiment...

 

L'esprit de Lancelot, est accaparé par la présence de Mary . Éloigné d'elle, il ne pense qu'à la retrouver, et son corps hurle de désir... Mais Mary, sans se refuser, souhaiterait l'initier au sacré par un rite d'union des deux polarités. Si, ''ce qui est en haut est comme ce qui est en bas'', l'union sexuelle est un acte sacré....

 

Mary emmène Lancelot à quelques unes des conférences d'une femme russe, qui attire énormément de monde, pour parler de magie sexuelle. Cela se passe dans une grande salle d'un restaurant, on y croise des artistes de , des surréalistes et beaucoup de curieux..

Cette magicienne propose un véritable système religieux, voire une nouvelle religion qui repose sur un troisième terme de la Trinité, qui remplaçant l'Esprit, serait le Féminin. Le Féminin de qui relève la sexualité... qui permet de transformer le désir en lumière...

La Coupe du saint-Graal est remplacée par la femme. Pendant l'acte sexuel, la femme sujet de la Quête du chevalier affranchi, brûle alors d'un feu d'amour qu'elle transmet au Chevalier, qui s'ouvre à la Lumière , appelée Lucifer ou la Connaissance. Il s'agit de ''noces alchimiques'', fusion de deux natures antagonistes mais complémentaires...

Le propos est très résumé, et ce qui frappe Lancelot, et l'ennuie vraiment, c'est la référence constante à Satan ….

 

Mary comprend cette réticence ; et elle-même qui vient de vivre des expériences similaires à Théléma, qui ne lui ont causé que dégoût, se demande si cela ne relèverait pas de l'inversion entre magie blanche et magie noire ? Un peu, ce qui exprimé dans le rapport entre l'ange et l'ange déchu...

Lancelot se souvient d'avoir rencontré dans les documents relatifs à sa quête ; des écrits sur le combat de Jacob avec l'ange...

Aussitôt, tous les deux se rendent à l'église Saint-Sulpice, pour découvrir le tableau de Delacroix... Pour la chapelle dédiée aux Saints-Anges, c'est le peintre qui a choisi le thème... Ils ont la chance, alors qu'ils commentent la toile, d'échanger avec un vieux prêtre qui les observait ...

Lancelot en profite pour lui faire part de ce qui le trouble :

- Cet ange ne pourrait-il pas être Satan... ?

- Vous voulez dire que Jacob se battrait contre lui-même ? Quant à Satan, pour ma part, ma foi, ma confiance ne porte que sur les anges... Un ange déchu n'est plus un ange, non … ?

- Mais Satan existe, ne tente t-il pas le Christ … ?

- Effectivement l'homme Jésus est tenté par des passions humaines, la gloire, la puissance, la connaissance.... Un ange qui ne serait plus le messager de Dieu, deviendrait une passion humaine...

- Et l'amour … ?

- Ah, l'amour …. Cela, c'est divin !

 

Mary forte de son expérience, désapprouve la recherche de puissance au travers de rituels sexuels ; c'est ce qu'elle appelle la magie noire... La magie blanche ne force pas et nourrit généreusement ce qui peut exister

 

Finalement, le rituel magique ( magie blanche ) eut lieu... La coupe et l'athamé eurent leur part, et Lancelot a communié à la présence de Morgane... Cette expérience fondatrice fut unique, Mary a rejoint Londres, puis le Dorset, la terre de ses ancêtres....

Son roman Armed with Madness, sera publié en 1928.

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