''Maîtresse d'esthètes'' sort des ateliers de Willy ( le mari de Colette) ; et fut écrit par Jean de Tinan ; ce texte emblématique de '' la décadence'', est publié en 1897. Ce devait être un roman à clefs, appuyée par la documentation d'une correspondance intime donnée à Willy par le sculpteur Fix-Masseau ( qui devient Franz Brotteaux, dans le roman) ... On y retrouve décrit les milieux littéraires et artistiques du Symbolisme: le théâtre de l’Œuvre, le Mercure de France, le Sâr Péladan, Colette, Willy lui-même...
Ysolde, éprise d'Art et de Beauté, vampirise un sculpteur épuisé : « je suis la destructrive sorcière, la goule qui suce le sang des artistes, la stryge irrassasiable. (...) Ce que je veux, Moi, c'est qu'ils fassent avec ma Beauté de belles œuvres ».
Ysolde Vouillard : « Wagnérienne, Esotérique, Néo-Platonicienne, Occultiste, Androgyne, Primitive, Baudelairienne, Morbide, - Nietzschienne même lorsqu'elle éternue » : c'est l'aventure de Mina Schrader avec le sculpteur Fix-Masseau, qui servit de trame à Jean de Tinan. Mina est une amoureuse d'art et d'artistes... Elle se dit sculpteur, et sera internée ( comme anarchiste) pour avoir tiré des coups de revolver sur le député et industriel Lazare Weiller.
Jean de Tinan
Mina Schrader
Jean de Tinan (1874-1898), passionné de sciences, est plus encore attiré par les lettres ; il commence par écrire pour des revues symbolistes. Il confie à son journal : «Je veux vivre intensément parce que je dois mourir jeune». Il écrit sur ses nombreuses amantes... Il sera aussi l’amant éperdu de la femme que Louÿs aime depuis toujours, Marie, la fille de José-Maria de Heredia, qui a épousé Henri de Régnier. Il alterne entre la quête de l’«amour fou» et le constat de «l’impuissance d’aimer»...
Il meurt à 24ans.
Robert de Montesquiou-Feznsac (1855-1921).
Dès 1875, il fréquente le monde, et les artistes et écrivains comme Mallarmé, Huysmans et Goncourt entre autres. Mondain, dandy, décadent, esthète, collectionneur, homosexuel, passionné d’art.. Il excelle en poésie : Un recueil de 163 poèmes : Les Chauves-souris, entraînera de la part de Mirbeau un article élogieux, en octobre 1892.
Il recherche les sensations rares et raffinées, il se grise de parfums, il organise de grandes fêtes qu’il met en scène lui-même...
Marcel Proust (22ans) et Robert de Montesquiou (37ans) se rencontrent chez Madeleine Lemaire le 13 avril 1893. Robert est d'une lignée qui appartient à l'histoire de France, ce que Marcel admire ; de plus il est poète ami de Verlaine et de Mallarmé... Conteur, il sait développer des anecdotes en magnifiques histoires...
«Montesquiou invitait fort peu et fort bien, tout le meilleur et le plus grand, mais pas toujours les mêmes, et à dessein, car il jouait fort au roi, avec des faveurs et des disgrâces jusqu’à l’injustice à en crier, mais tout cela soutenu par un mérite si reconnu, qu’on le lui passait […].» Proust
Proust demandera à Montesquiou de lui « montrer quelques-unes de ces amies au milieu desquelles on l'évoque le plus souvent »... Le 1er juillet, chez la princesse de Wagram, Marcel aperçoit la Comtesse de Greffulhe pour la première fois... Marcel Proust lui écrit pour le remercier et lui faire part de son émotion : « Elle portait, une coiffure d'une grâce polynésienne, et des orchidées mauves descendaient jusqu'à sa nuque (…) Elle est difficile à juger (..). Mais tout le mystère de sa beauté est dans l'éclat, dans l'énigme surtout de ses yeux. Je n'ai jamais vu une femme aussi belle. »
Montesquiou s’est bien sûr reconnu en Charlus ; même si Marcel lui signale que le baron Doazan entre également en composition du personnage.
On le prétend aussi le modèle de Des Esseintes, dans A rebours, de Joris-Karl Huysmans; on le voit aussi dans Monsieur de Phocas de Jean Lorrain et Chantecler d’Edmond Rostand.
Il goûte le «plaisir aristocratique de déplaire» ( selon l'expression de Baudelaire). Sarah Bernhardt, Ida Rubinstein sont ses amies... Il vit avec Gabriel Yturri, son secrétaire, de 1885 à la mort de celui-ci en 1905.
«Une impression singulière, plus encore que pénible, est celle qui consiste à s’apercevoir tout d’un coup, brusquement, sans crier gare, sans presque l’avoir vu venir, que sa vie est finie. On est là, plus ou moins physiquement délabré, ou encore résistant, ses facultés, en apparence intactes, mais inadaptées au goût du jour, on se sent désaffecté, étranger à la civilisation contemporaine que l’on a quelquefois devancée, mais dont les manifestations actuelles blessent et choquent moins qu’elles ne paraissent vaines.» Les Mémoires du comte Robert de Montesquiou : ( ''Là résonnent des voix d'outre-tombe et défile le " bal de têtes " des idoles d'une Belle Epoque crépusculaire'', selon l'éditeur) ..
Dans les cent dernières pages du Temps retrouvé, le Narrateur est frappé, lors d’une réception chez les Guermantes, par le vieillissement brutal des personnages qu’il a connus, et l’influence considérable que le temps a eue sur leur corps.
« le plus fier visage, le torse le plus cambré n'était plus qu'une loque en bouillie, agitée de-ci de-là. À peine, en se rappelant certains sourires de M. d'Argencourt qui jadis tempéraient parfois un instant sa hauteur, pouvait-on comprendre que la possibilité de ce sourire de vieux marchand d'habits ramolli existât dans le gentleman correct d'autrefois. »
« J'eus un fou rire devant ce sublime gaga, aussi émollié dans sa bénévole caricature de lui-même que l'était, dans la manière tragique, M. de Charlus foudroyé et poli. »
(…)
« Mme de Forcheville avait l'air d'une rose stérilisée. Je lui dis bonjour, elle chercha quelque temps mon nom sur mon visage.. »
(...)
"Et pourtant de même que ses yeux avaient l'air de me regarder d'un rivage lointain, sa voix était triste, presque suppliante, comme celle des morts dans l'Odyssée. Odette eût pu jouer encore. (…)" Marcel Proust
Ce terme de ''décadent '' reprend les paradoxes d'une époque où la sexualité est omniprésente et réprimée... L'art reprend l'impulsion sexuelle et vitale dans la vie imaginaire... Les décadents blasphèment le naturel en privilégiant les aspects les plus condamnables de la vie sexuelle.. L'exaltation de l'anormal accélère le processus d'auto-destruction, s'y mêle un sentiment de culpabilité : on profane l'amour, dans un étrange mélange de mysticisme et d'érotisme...
Il s'agit d'un imaginaire, en ce que pour beaucoup – comme pour Rachilde par exemple - si elle décrit des comportements sexuels monstrueux et aberrants , et questionne l'identité sexuelle, au grand scandale du public ; Rachilde est une jeune fille à l'existence parfaitement réglée, puis l'épouse ''honnête'' d' Alfred Valette, le directeur du Mercure de France...
La société que fréquente Anne-Laure verrait cela avec amusement, si sa propre jeunesse n'était pas contaminée ; et si quelques-uns ne dépassaient pas la bienséance …
Pour l'instant, restons-en à des personnalités qu'Anne-Laure a approché :
Ainsi des hommes comme, Marcel Schwob (1867-1905), Rémy de Gourmont (1858-1915), Robert de Montesquiou (1855-1921) se reconnaissent comme esthètes et sont déclarés ''Décadents''… Précisément, parlons d'eux...
Anne-Laure adorait écouter Marguerite Moreno (1871-1948), dire de la poésie... Ses lectures au Collège de France, patronnées par Paul Valéry, attiraient du monde... Elle s'agace fortement de sa liaison avec l'ogre Catulle Mendès ( qui – je rappelle - a été marié avec sa vieille amie Judith Gautier).. Marguerite est ensuite la compagne de l'écrivain Marcel Schwob jusqu'à la mort de celui-ci en 1905. Entourée d'amis poètes : Verlaine, Mallarmé, Jean Moréas. Marguerite Moreno donne des récitals de poésie qui valent d'être surnommée la "Muse du Symbolisme.
Marcel Schwob, enfant de bourgeois intellectuels, est un habitué du salon de madame Arman de Cavaillet, comme Proust ou Lucien Daudet. En 1891, il a guidé l'écrivain anglais Oscar Wilde dans les milieux littéraires... Il va éprouver une grande passion pour Marguerite Moreno, confidente de Stéphane Mallarmé et grande amie de Colette ; ils sont liés par une grande complicité intellectuelle, en témoigne une extraordinaire correspondance. Ils se marient en 1900 ; en 1905, il meurt à 37ans...
« Hommes, qui fûtes nombreux à éprouver pour Marguerite un violent amour, vous n'avez pu ignorer, vous n'avez jamais oublié l'odeur qu'exhalait une peau noble et douce, blanche avec un reflet d'ambre errant sous sa blancheur ! » : de Colette ; d'ailleurs, Marcel Schwob sera le premier à faire confiance à Colette - l'auteure…
L'imposante Berthe de Courrière (1852-1916), doit sa notoriété à ses ''relations'' avec plusieurs ministres, dont le ministre de la guerre le Général Boulanger... Elle devient la maîtresse du sculpteur Clésinger ( gendre de George Sand ), et le modèle d'un buste de Marianne et de la statue de la République lors de l'exposition Universelle de 1878... Elle va devenir la maîtresse et l'égérie de Rémy de Gourmont (1858-1915) jusqu'à sa mort... Les lettres passionnées que Gourmont lui adresse seront réunies en volume sous le titre Lettres à Sixtine... Berthe meurt en1916 et elle rejoindra Gourmont dans le caveau de Clésinger au Père-Lachaise où, elle l'avait fait déposer... Berthe de Courrière est enterrée avec ses deux amants, une sorte de ménage à trois parmi les pierres froides du cimetière du Père Lachaise. Son nom est malheureusement absent de la pierre.
Anne-Laure - je l'ai déjà signalé - s'intéressait à l'occultisme ( nous en reparlerons...); et même si rien ne la rapproche de ''la vieille dame'' ( surnom qu'on donnait à Berthe au Mercure) ; il est amusant de rapporter que Berthe, férue d’occultisme, se livre à des expériences et de 'curieuses' cérémonies, au point où mêlée à une affaire de messe noire qui faillit mal tourner, cela lui valut un séjour d'un mois dans un hôpital psychiatrique, alors qu'elle avait été sans-doute la victime d'une agression sexuelle... C'était le 8 septembre 1890, elle se trouvait alors en Belgique, Berthe fut retrouvée presque nue et tremblante dans les buissons près de la maison de Louis van Haecke ( selon Huysmans) . Elle a raconté alors, qu'elle venait de s'enfuir de chez un prêtre local, et elle l'accusait d'être un sataniste. La police ne la crut pas et la fit incarcérer à l’Institut Saint-Julien . Plus tard quand on voulut enquêter sur cet épisode, on fut surpris de découvrir que les dossiers comprenant son témoignage avaient mystérieusement disparu.
Rémy de Gourmont a présenté Berthe à Joris-Karl Huysmans en 1889, qui en fera le modèle du personnage de Madame Hyacinthe Chantelouve dans son roman Là-bas (1891).
Rémy de Gourmont, lui-même la présentait comme : «... une kabbaliste et occultiste, érudite dans l'histoire des religions et des philosophies orientales, fascinée par le voile d'Isis, initiée par de dangereuses expériences personnelles dans les mystères les plus redoutables de l'art noir. Une âme à laquelle le mystère a parlé - et n'a pas parlé en vain. »
Durtal est le personnage principal de ''Là-bas'': il est un véritable écrivain naturaliste dans sa démarche documentaire, à l’instar de Huysmans. Ses recherches sur le satanisme visent à mieux comprendre Barbe Bleue ( Gille de Rais sur qui il écrit un ouvrage...). Intrigué et obsédé par la belle Hyacinthe, Durtal s’intéresse à sa relation avec le chanoine Docre : une des figures les plus sinistres de ce roman, confesseur de Hyacinthe , un personnage débauché, célébrant des messes noires, etc. J. K. Huysmans affirma que son modèle avait été l'abbé van Haecke.
Hyacinthe Chantelouve – par une correspondance assidue - séduit Durtal. Elle devient sa maîtresse, et si, sur le satanisme, elle n'a pas de connaissance intellectuelle, elle lui transmet son expérience de praticienne... Elle refuse de le mettre en relation avec le chanoine Docre, mais elle veut bien le faire assister à une messe noire.
Durtal et Hyacinthe se rendent à la messe noire du chanoine Docre. Les scènes de débauche dégoûtent Durtal..Il pousse Hyacinthe à partir avant la fin. Elle l’emmène alors dans une chambre d’hôtel, où ils font l’amour sur des fragments d’hostie. C’en est trop pour Durtal, qui rompt avec elle. L’écœurement qu’il ressent devant ces scènes sataniques peut être considéré comme le point de départ de sa conversion religieuse: il se détourne de Satan pour se tourner vers Dieu.
Si dans certains milieux, l'occultisme permettait aux hommes de s'adresser directement aux forces mystérieuses.. Depuis la publication en 1862, de ''La Sorcière'' par Jules Michelet, les femmes se réapproprièrent la sorcellerie comme comme un acte de rébellion contre la société patriarcale.
Hyacinthe Chantelouve, femme fatale fictive et initiatrice satanique, pouvait paraître comme la ''nouvelle femme'' émancipée, ou du moins celle que la société traditionnelle craignait, mais qui était secrètement désirée.
Hyacinthe Chantelouve, serait le modèle de ces femmes qui considèrent que Lucifer, serait l'image du libérateur, celui qui émancipe les femmes des liens patriarcaux de l'église, qui réhabilite Eve contre l'idée du péché originel. Au lieu de cela, elles revendiquent l'idéal romantique de Satan comme le symbole de la rébellion contre les oppressions.
Une autre femme de la vie réelle, a inspiré le personnage de Hyacinthe, c'est Henriette Maillat (1849-1906), qui hante les milieux littéraires, se jette dans les bras d'écrivains: elle fut la maîtresse de Péladan entre 1884 et 1887, puis celle de Bloy et de Huysmans vers 1888-1889. Comme Berthe, Maillat était également une amatrice d'occultisme. Beaucoup des lettres d'amour qu'elle a écrites à Huysmans ont été incorporées à Là-Bas , ce qui a posé quelques problèmes à Huysmans par la suite. Une troisième influence sur le personnage de Hyacinthe fut Mme Charles Buet, épouse de Charles Buet...
On retrouve également Henriette Maillat sous les traits d'Ysolde Fouillard dans ''la Maîtresse d'esthètes'' de Willy ; et pas elle seulement...
Après un tel séjour dans l'Allemagne des passions... Anne-Laure craint de se sentir coupée de cette source artistique si exaltante... Mais, l'ambiance culturelle de la ''Belle Epoque '' lui permet de retrouver quelques-unes des ardeurs ressenties à Bayreuth...
Tous les habitués de ce pèlerinage wagnérien, gardent cette nostalgie du séjour... Déjà, en 1892, Henri de Régnier écrivait à André Gide, il s’inquiétait de leur ami commun Pierre Louÿs qui séjournait à Bayreuth et « en est à son septième Parsifal » ! et se demandait s'il parlait encore français …
Saint-Pol Roux, nomme Wagner : « celui qui dota de Parsifal le monde »
En France, dit-on, Wagner aurait influencé nombre d'écrivains, notamment ceux qui se nomment eux-mêmes décadents ou symbolistes...
Premier point :
Bien sûr, on pourrait rappeler que le Graal est français ( avec Chrétien de Troyes, mais personne alors ne l'a lu...) .. En 1922, Joseph Bédier se plaint que Perceval se dise en français Parsifal … !
Effectivement, en cette fin de siècle, le mythe littéraire du Graal, paraît en France oublié ; et Perceval induit la référence à l'Opéra de Wagner.
Joséphin Péladan, reprend le Parsifal de Wagner, pour imaginer une suite où Perceval sauve, après Kundry, son maître qu'est Klingsor...
Ainsi magnifié (par Wagner), le Graal apparaît alors comme trop pur, trop éthéré, trop sacré... Qui peut ensuite emprunter le symbole ? Jules Laforgue en 1886, lui manifeste une certaine défiance : « Le cygne du Saint-Graal, qui rame en avant/ Mais plus pâle qu'une banquise/ qu'Avril dépayse »... Le Graal n'est pas fait pour notre monde...
La Légende Arthurienne serait-elle oubliée... ?
Henri de Régnier, cependant, n'a pas oublié Viviane... Viviane est un mythe de la décadence : Apollinaire en 1909 écrit ''L'Enchanteur pourrissant'' … Au lieu du chevalier pur, on préfère la femme fatale ; au lieu du sauveur qui délivre, le charme qui emprisonne...
En 1892, Henri de Régnier dans '' La Gardienne'' décrit le retour d'un vieux chevalier... Son histoire est celle de l'échec d'une Quête : échec, parce qu'il y manque le Graal... ? On part d'un adolescent, tel Perceval, et on finit avec un Anfortas , un roi blessé, vaincu, humilié...
Le ''Roi vierge'' de Catulle est aussi un roman sur l'absence du Graal : le héros vierge, n'aime personne, a horreur de la sexualité, et finalement se châtre... ! Il vit la passion du Christ, sans graal, sans mythe, sans rédemption...
''Oriane vaincue'' (1893) de Jean Lorrain, s'inspire à la fois de Morgane - à la recherche du parfait amant - qui enferme tous les chevaliers dans le val sans Retour ; et de Kundry qui attend celui qui ne tombera pas dans son pouvoir... Dans ''Viviane'', ou '' Sonyeuse'' ou ''Brocéliande'' ; Viviane est « courtisane », « lascive fée »...
« Et férocement rousse et férocement nue,
Les seins droits et pourprés, rouge tentation,
Le heaume de Myrdhinn sur l’or en fusion
De ses fauves cheveux bondissant sur ses hanches,
Viviane apparut, farouche, entre les branches. » ''Brocéliande''
Les écrivains ''fin de siècle '' s'ébattent dans les jardins de Klingsor ; mais point de Graal ...
Certains, imaginent même Wagner en magicien noir, qui a fait main basse sur le trésor du Graal .. !
( sources : Isabelle Cani '' Graal et décadence...'')
Deuxième point :
Fin de siècle, décadence et Esthétisme...
Si le temps historique se présentait sous forme cyclique, nous pourrions distinguer des périodes d'essor( âge d'or) et de déclin ( de fin de siècle …?). Précisément Anne-Laure de Sallembier parcourt la vie mondaine à une époque , avant la Grande-Guerre, que l'on qualifie de fin de siècle ...
La chute du second Empire a initiée cette période promise aux changements, voire aux transgressions...
En réaction contre le Romantisme, et des idées comme, l'harmonie et l'équilibre dans la nature, la foi en le progrès ; - la mode est à présent à l'étrange, la décomposition, l’excès ; et à la désillusion, la dérision, la démystification …
Si l'humain est privé d'une transcendance ( Schopenhauer,...), la hiérarchie des valeurs n'en est-elle pas bousculée.. ?
Dans les années 1890, 1900 etc ; on lit Schopenhauer, on aime le plaisir, on fréquente les salons, on s'amuse avec tristesse, on cause avec mélancolie, on rit avec désespoir. ( cf Le Figaro 21 mars 1886. - Physiologies parisiennes d'Alfred Millaud) ...
Il semble que ce soit, en 1906, à Bayreuth, précisément, qu'Anne-Laure rencontra Rudolf Steiner (1861-1925), venu lui aussi pour le Parsifal... C'est lui, semble t-il, qui lui apprend que le village dont est originaire Wolfram von Eschenbach : Obereschenbach ( en 1917 son nom changera en ''Wolframs-Eschenbach'') est proche de Nürnberg ... Il lui annonce aussi le plus sérieusement du monde qu'il pense connaître le lieu où – pour Wolfram - se tenait Montsalvage; il suffirait de lire attentivement le Parzival d'Eschenbach … !
Comme Anne-Laure, je suis allé à 'Wolframs-Eschenbach' ; auparavant le trajet nous conduit à Ansbach : une ancienne résidence des Margraves de Brandenburg-Ansbach, une famille noble de Hohenzollern qui a essentiellement marqué la ville.
Charles-Alexandre (1736-1806) est le dernier margrave de Brandebourg-Ansbach (1757-1791), ainsi que le dernier margrave de Brandebourg-Bayreuth (1769-1791). Libertin, il vend son margraviat à la Prusse en 1791 contre une rente annuelle ; il se remarie avec la 'scandaleuse', voyageuse et féministe Elisabeth Craven (1750-1828)... A Ansbach, Elisabeth – écrivaine reconnue par ailleurs – forme une troupe de théâtre et accueille et soutient Maria Theresia Ahlefeldt, une compositrice …
Elizabeth Craven a été mariée à seize ans, a eu sept enfants, issue de la haute société, a parcouru une douzaine de pays et a souvent franchi les limites imposées alors au comportement féminin... Les familles Austen et Craven étaient très proches... Les spécialistes de Jane Austen, ont reconnu dans ses romans une influence de lady Craven …
Revenons à Ansbach, où on peut voir aujourd'hui l'imposant palais 'Residenz Ansbach', avec son orangerie et ses jardins... L'attention du visiteur est orientée vers Kaspar Hauser qui le 14 décembre 1833, fut mortellement blessé dans ce jardin... Kaspar Hauser (1812 (?)-1833) était un jeune Allemand - à l'identité inconnue, apparu le 26 mai 1828, dans une rue de Nuremberg - qui affirmait avoir grandi dans l'isolement total d'une sombre cellule.
A Ansbach, deux églises sont côte à côte... St. Johannis, et surtout St. Gumbertus à l’origine l’église d’un monastère fondé par Saint-Gumbert vers 750. La choeur fut transformée au XVIe siècle en une chapelle ''Schwanenritterkapelle'' (chapelle des Chevaliers du Cygne)... En effet, cette chapelle fut offerte par le margrave Albrecht Achilles à l'ordre des membres de l' ordre des cygnes . On y voit les épitaphes des chevaliers, avec leurs blasons, et certains sont représentés en armure...
George, margrave de Brandebourg-Ansbach , a suivi la Réforme en 1528... La nef a été transformée en une salle de prédication dans une palette restreinte de gris et de crème, construite pour répondre à la concentration luthérienne sur la prédication, sans les ornements des autels latéraux...
L' Ordre des Chevaliers de Notre-Dame du cygne, ou Ordre du Cygne ( Schwanenritterorden), est le plus ancien ordre de chevaliers de la Prusse. Créé le 29 septembre 1440, par l'électeur Friedrich II de Brandebourg, il devait donner à la noblesse des objectifs politiques et sociaux communs sous la direction des Hohenzollern.
Le siège de la branche franconienne était la chapelle George de la collégiale Saint-Gumbertus à Ansbach, qui n’est qu’à environ 20 kilomètres d’Eschenbach, du nom de son habitant le plus célèbre, Wolfram... La Réforme vit l'annulation de l'ordre... Le 24 décembre 1843, le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse tente de rétablir l'Ordre du cygne en tant qu'organisation multiconfessionnelle et humanitaire, et ouvert aux hommes et aux femmes...
Anne-laure de Sallembier continue son pèlerinage, cet ordre du cygne, résonne en harmonie avec ses propres recherches... Je disais, ici même, qu'un ami de son grand-père Charles-Louis : Edgar Quinet ( l'historien …) et sa femme Minna, lui avaient parlé de cette région dont elle était originaire … C.-L. de Chateauneuf, eut également la chance de rencontrer – en visite à Paris - Friedrich de la Motte Fouqué (1777-1843), qui se passionne pour l'épopée du Graal, et en écrit une épopée qu'il nomme '' Der Parcival''... En 1841, Friedrich se rend à Berlin à la demande du roi de Prusse; qui est très interessé par sa version de l' ''épopée du Graal''... Cependant, la Motte Fouqué ne publie pas l'ouvrage... Il meurt le 23 janvier 1843... Après la mort de Fouqué, le roi fidèle à une promesse réhabilite en 1843 l'ordre des chevaliers du Cygne , en la ville d'Ansbach, dont le plus célèbre chevalier est Lohengrin ... En 1845, Wagner commence la conception de son opéra Lohengrin, créé en 1850. Et, en 1877, Richard Wagner entreprend enfin de composer son "Parsifal". C'est sa dernière oeuvre, il meurt en 1883.
Hommage à Eschenbach, dans son village
Tout naturellement, Anne-Laure de Sallembier, n'a qu'à parcourir une dizaine de kilomètres, pour commémorer Wolfram von Eschenbach. Ce chevalier-poète franconien est né autour de 1170 dans le village d’Eschenbach, près d'Ansbach donc, en Bavière et mort autour de 1220.
Il séjourne dans une seigneurie, à Wildenberg, dans l’Odenwald, petit massif montagneux à l`est du Rhin. Au début du XIIIè siècle, sa présence est signalée à la Wartburg, la Cour du Landgrave Hermann 1er ( 1190-1217), landgrave de Thuringe et conte palatin de saxe. C’est là que vraisemblablement il écrit une grande partie de son Parzival. Il est également l’auteur d’un Titurel et d’un autre roman intitulé Wilhelm dont le héros est Guillaume d’Orange.
Poète, chevalier et féru d'astrologie et d'alchimie, mais peu fortuné . Comme Minnesänger (équivalent germanique de trouvère), il est considéré comme le ''champion'' de poésie lyrique, lors de la bataille de la Wartbourg ( Wagner a mis en scène cet épisode dans son opéra Tannhäuser. ) ....
Wolfram von Eschenbach s'inspire assez précisément du Conte du Graal de Chrétien de Troyes ; il ajoute l'histoire des aventures orientales du père du héros, Gahmuret... Le Graal est une pierre, le ''lapsît exillis'', gardé par des Templiers...
« C'est une œuvre conquérente qui sort de la plume de Wolfram ; elle dépasse l'ambiguité de Chrétien de Troyes. En fait, Parzifal inaugure, en milieu germanique, un puissant courant ésotérique, politique et philosophique qui marquera durablement l'ensemble de la tradition européenne. En ce sens, il semble bien y avoir un graal français et un graal allemand qui n'appellent pas les mêmes enjeux culturels. Au terme d'une longue évolution, le pangermanisme du XIXe siècle explorera le mythe dans des recoins ignorés des auteurs français et lui donnera un retentissement exceptionnel. Le texte de Wolfram servira de support à bien des rêves hermétistes ou occultistes jusqu'au XXe siècle. » Philippe Walter
Aujourd'hui, la ville de Wolframs Eschenbach offre au visiteurs un musée ( Attention: il faut être germaniste, sinon c'est incompréhensible ...! et pas d'audio-guide en français ...) en 10 salles... Un jeu de piste littéraire, assez mystérieux; à l'aide de moyens picturaux, de couleurs et de formes inhabituelles, d'un éclairage sophistiqué et de textes sélectionnés... On passe de la légende arthurienne, à la généalogie de Parzival ( complexe mais nécessaire...). Une salle vous plonge dans le monde du Graal: sombre et mystérieux, il est le monde de la douleur, de la culpabilité et de la mort. En quoi Parzival est-il coupable? C'est aussi le monde du malheur amoureux. C'est le monde de sa mère.
Après la salle dédiée à Titurel; celle de la nuit et de l'amour, du jour et de la séparation: la salle du Secret qui ne peut se révéler... La salle des chevaliers avce leur boucliers, leurs armes ... est celle de la souffrance et de la mort. Jusqu'à la tombe de Wolfram...!
Anne-Laure de Sallembier est sortie bouleversée de la représentation de Parsifal... C'est comme si un événement capital avait eu lieu ; quelque chose en elle s'est accompli : « Cette œuvre a atteint le fond de mon âme ; mais je ne sais pas encore ce qu'elle peut me révéler... »
Elle eut l'impression d'avoir assisté à une sorte d'initiation, à un mystère... Celui de la Rédemption...
Elle se demande si la beauté de cette œuvre ne toucherait pas à l'essence même de la religion... ?
C'est comme si elle avait ressenti - après la nuit et les larmes de la souffrance - la fraîcheur, la paix d'un nouveau jour sous la protection d'un amour divin...
Pendant le spectacle, Anne-Laure passe de la terreur aux frissons suaves, de la fascination à l'extase …
Le spectacle s'adresse d'abord à l'intuition par le symbole … Puis, ce que l'intuition ressent, est confirmé par ce que la raison comprend.... Elle retrouve là quelque enseignement de Bergson ...
La musique de Wagner, pénètre dans le corps, on a du mal à dominer ses impressions... Il y a la tentation de la volupté, mais on sent toujours, en même temps, l'aspiration de l'âme verts le haut...
A Montsalvat le Graal est à l'abri d'un temple inaccessible ; confié à la garde d'hommes simples et purs à qui Il donne un pouvoir surhumain. Ils gardent aussi la Lance, mais la lance est passée au pouvoir de l'Ennemi, et le Graal est menacé... La Lance est - comme - à l'avant-poste du Graal …
Je retranscris ici, quelques notes, qui concernent surtout des images, de la musique
Acte I :
* « On voit passer le roi Amfortas couché sur sa litière, se rendant au bain. Kundry, la séductrice, apparaît sous une de ses personnalités. Vêtue comme une sorcière sauvage, elle apporte un baume mystérieux pour le roi malade. Mais son demi-repentir ne suffit pas à l’affranchir, et Klingsor peut s’empare d’elle à volonté pour l’employer au service de ses œuvres de ténèbres. » (...)
« Gournemans assis sous un grand arbre, raconte aux jeunes écuyers groupés autour de lui l’histoire des malheurs récents du Graal et des souffrances du roi Amfortas depuis qu’il a succombé à la séduction d’une magicienne. Soudain, vibre dans l’air le bruit d’une flèche décochée et un beau cygne s’abat expirant à quelques pas du groupe. Les écuyers se précipitent et amènent le coupable devant Gournemans. Parsifal, car c’est lui, regarde effaré;il ne comprend pas ce qu’on veut de lui. »
« Pendant que l’âme de Parsifal s’éveille au sentiment de la pitié pour le cygne, l’orchestre fait entendre les motifs qui, plus tard, seront associés aux scènes les plus religieuses et en particulier à celle de la communion dans le temple du Graal. (…) le procédé musical de Wagner vient renforcer la signification ésotérique de l’idée... » (...)
« L’audition de ces motifs, jointe à la vision de la scène, fait pénétrer instantanément dans le cerveau de l’auditeur cette idée que la communion de l’âme avec le divin et la rédemption qui en est la conséquence, ne peuvent s’accomplir qu’en respectant la loi d’amour qui unit dans une solidarité absolue toutes les parties de l’Univers... » (...)
« C’est en vain que Gournemans interroge Parsifal. Il ne sait rien, ni qui il est, ni d’où il vient. Mais Kundry, la sorcière, révèle sa naissance. Elle apprend à Parsifal que sa mère est morte de chagrin parce qu’il l’a abandonnée.
* « L’orchestre fait entendre le motif de la magie, qui tout au long de l’oeuvre souligne la perte du libre arbitre... (...)
« Gournemans qui vaguement entrevoit que ce naïf enfant des bois pourrait être « le Simple, le Pur » dont l’arrivée a été prédite au Roi pécheur, entraîne Parsifal du côté du Temple. C’est ici que se trouve ''la montée au Graal'': . Cette partie musicale de l’oeuvre est celle qui m’apparaît comme la plus profondément ésotérique ( c'est à dire : à comprendre par l'intuition, avant la raison...), parce que le génie du maître semble avoir exprimé en ces surhumaines harmonies le mystère de l’évolution de la vie sur tous les plans de l’existence: le plan cosmique : évolution des mondes; le plan matériel terrestre : évolution de l’homme; le plan spirituel : évolution de l’âme. » (...)
« Le décor commence à se mouvoir de gauche à droite de façon à donner l’illusion de la marche. Insensiblement les voûtes de la forêt se changent en masses montagneuses. L’obscurité envahit la scène. Au milieu des harmonies puissantes de l’orchestre qui montent et s’enflent comme les vagues de l’Océan, on entend cette phrase cadencée de Gournemans: «Tu vois mon fils, le temps ici devient l’espace.»
Ainsi que les personnages du drame, l’auditeur se croit transporté dans l’infini insondable. Le monde de l’illusion disparaît, nous avons dépassé les limites du temps. Dans le gouffre de la vie universelle, la loi éternelle se déroule avec les mondes qui évoluent et les humanités qui se dégagent lentement des règnes inférieurs de la nature pour s’élever jusqu’à la sphère de l’esprit.
L’orchestre seul parle, car les mots seraient impuissants à peindre le mystère qui se déroule. »
« Le motif de la marche du Graal entremêlé avec l’appel des cloches; puis les motifs de la douleur et de la pitié. Les différents crescendos qui s’accentuent comme une ascension sur des plans d’élévation successifs disent l’effort douloureux de l’univers, de la nature et de l’homme enfantant le divin.
(…) bientôt le thème du Graal s’affirme dans toute sa plénitude avec l’idée de la victoire. Puis, tout s’apaise : seules les cloches du Graal appellent les chevaliers. Ils entrent deux à deux dans le Temple. Le décor est ici à la hauteur du rêve, la vision du Maître est égalée. On se sent dans le tabernacle où s’adore l’immuable.
S'accomplit la liturgie du Graal...
Parsifal porte la main à son coeur, la vérité est devenue vie en lui. Mais.... il reste silencieux !
Désormais, quelles que soient les épreuves qu’il aura à subir, l’étoile du Graal le guidera. La lumière a pénétré jusqu’au fond de son âme. Gournemans peut le chasser hors du Temple, il saura y revenir. »
Au deuxième acte,
« Le prélude du deuxième acte prépare l’auditeur à pénétrer dans le royaume de la magie où s’agitent et se démènent les forces élémentaires, semi-intelligentes, au moyen desquelles Klingsor exerce ses enchantements diaboliques. Rien de plus coloré que cette phrase du début. On dirait une chevauchée de furies. Puis, sur une basse qui semble peindre le chaos des éléments, des traits rapides se dessinent, semblables à des salamandres sillonnant la nuit. » (...)
« Kundry sort d’un gouffre, enveloppée d’une vapeur blanche sous laquelle apparaît sa beauté radieuse.
Au moment où Kundry s’éveille, Klingsor étouffe sa conscience spirituelle et, par la suggestion exercée sur le quatrième principe, ou l’âme animale, il enfonce le dard du désir dans la chair qui commence à tressaillir. (...)
(…) surgit un jardin enchanté, où la séductrice, cachée derrière un bosquet de plantes tropicales, attend l’arrivée de Parsifal. (…) la scène ravissante des filles-fleurs. Rien de plus chastement voluptueux... (…) C’est un trait caractéristique de l’oeuvre de Wagner que l’idée du mal y est toujours représentée d’une façon frappante, sans jamais souiller l’âme par la vulgarité des tableaux ou la lascivité des attitudes. À quelle hauteur se livre la lutte ! On le comprend au premier appel de Kundry : « Parsifal !… »
« Ces trois notes évoquent un monde de pensées ; l’effet en est saisissant. Il dit tant de choses, ce nom prononcé en ce moment, et souligné par les divers motifs de l’orchestre. Il évoque la vaste forêt, les jours de l’enfance, la tendresse maternelle, les rêves de l’adolescent, son pressentiment du Graal ; tout ce-la voluptueusement enveloppé de chauds effluves qui émanent de la séductrice. « Je t’ai vu dans ton berceau de mousse », lui dit-elle. Puis, elle lui décrit les angoisses de sa mère lorsque son fils restait longtemps loin d’elle, sa joie quand elle le retrouvait, ses étreintes folles. Et, pour vaincre la pureté qui s’effarouche, elle ajoute en souriant : « Ces baisers-là ne te faisaient-ils pas peur ? » Ah ! elle sait bien, la subtile magicienne, la rose de l’Enfer, que de vulgaires voluptés ne sauraient séduire le « Simple et le Pur ». Elle a touché juste en faisant vibrer la corde qui chante l’amour unique, le seul qui ne trompe pas. «Ma mère! ma mère!» s’écrie le jeune homme en s’affaissant aux pieds de Kundry. Doucement, la magicienne enlace de ses bras l’enfant qui se souvient et pleure. «L’aveu et le repentir effaceront ta faute, lui dit-elle, en se penchant vers lui, le savoir changera ta folie en raison. Apprends à connaître cet amour qui enveloppait Gamuret lorsque l’ardeur d’Herzeleide l’embrasait. L’amour qui te donna la forme et l’existence, devant lequel la mort et l’innocence reculent, qu’aujourd’hui, avec le salut suprême de la bénédiction maternelle, il te donne son premier baiser»
La séductrice se penche et pose ses lèvres sur celles de Parsifal.
Le baiser qui devait perdre Parsifal, le sauve. Il repousse les bras nus de l’enchanteresse.
« Amfortas ! » Ce cri, qui produit une impression bouleversante, n’est-il pas comme la réponse à l’appel de Kundry, un instant auparavant : « Parsifal ! »
Parsifal, toujours sous l’obsession du souvenir d’Amfortas, se représente la scène où le roi du Graal a succombé... (...)
Désormais elle n’est plus l’esclave de Klingsor qui obéit à une impulsion reçue. C’est une vraie femme en proie aux affres d’un amour méprisé, (...)
Dans son âme blessée, passionnée, mais toujours aspirante, Parsifal se confond avec le Sauveur qu’autrefois, dans une lointaine existence... etc
Il est impossible de donner avec des paroles la moindre idée de la puissance de cette scène exprimée par la musique. (…)
Après le cri «Amfortas» viennent les motifs de la souffrance et de la pitié; puis, semblables à des sifflements de l’enfer, des passages démoniaques, qui s’appliquent à l’œuvre diabolique de Kundry.
(..)
Lorsque Parsifal est à genoux, ce sont les thèmes du Graal et de la Cène qui viennent fortifier son âme contre la tentation. Dans le délire de la passion de Kundry, les harmonies rappellent le château magique avec ses ensorcellements. (...)
Klingsor tient la lance qu’il a dérobée à Amfortas ; il en menace Parsifal. L’éclair du fer reluit, mais il s’arrête au-dessus de la tête du « Simple et du Pur. » Parsifal prend la lance et dessine dans l’air un grand signe de croix. Alors jardins et palais disparaissent. Klingsor s’enfonce dans l’abîme ; les filles-fleurs jonchent le sol. Kundry s’affaisse en poussant un cri. Au fond de la scène, apparaît le sommet neigeux qui domine le Graal.
* Un prélude d’une beauté incomparable nous peint la morne tristesse qui plane sur le Graal, et ces harmonies désolées, venant après le mouvement enfiévré de la magie, font passer dans notre âme le froid de la mort. D’autres motifs nous disent la lutte anxieuse de Parsifal à la recherche du Graal et le cri de Kundry brisée et vaincue. Le moi inférieur est bien crucifié, mais l’âme spirituelle n’a pas encore reçu le baptême de la lumière céleste.
« Le troisième acte s’ouvre comme une idylle de paix et de rédemption. Nous sommes dans un paysage printanier et au milieu d’une prairie parsemée des premières fleurs, à la lisière d’une forêt ombreuse d’où s’échappe une source claire. Le vieil écuyer de Titurel, Gournemans, s’est fait anachorète. Il sort de sa hutte, car il a entendu un profond gémissement, un soupir d’angoisse derrière le buisson. Il approche et voit Kundry endormie là d’un sommeil léthargique. Il la relève inerte comme un cadavre, lui frotte les mains et l’asperge d’eau. Enfin elle ouvre les yeux. Gournemans, qui l’a souvent retrouvée ainsi et qui ne sait rien de sa vie de péché, remarque cette fois-ci une différence. Rien de sauvage ni de fiévreux; elle est humble et triste. Elle porte la robe brune des pénitentes,une corde en guise de ceinture, et arrange soigneusement ses cheveux épars.
(...)
« l’admirable scène connue sous le nom de Charme du Vendredi Saint. (…) Parsifal prend le flacon des mains de Kundry et le remet à Gournemans, afin de recevoir de lui l’onction sainte. « Qu’il soit purifié et lavé de toutes les souillures de sa longue course errante ! » dit le pieux chevalier, tandis que les motifs les plus doux passent comme des brises d’amour sur les têtes inclinées. Puis, au moment où Gournemans prononce ces mots : « Ainsi l’heure est venue, ton front je le bénis et Roi je te salue ! » le motif de Parsifal vainqueur éclate avec une force triomphante et se termine en un grandiose fortissimo sur le thème du Graal. Parsifal puise de l’eau dans le creux de sa main et la répand sur la tête de Kundry en disant : « Ainsi j’accomplis mon premier devoir, reçois l’eau du baptême, et crois en ton Sauveur qui t’aime. » - Kundry s’affaisse aux pieds de Parsifal et pleure.
Le bruit de ses sanglots étouffés qui se mêle à la phrase adorable de la Foi, pénètre l’âme d’une émotion indicible. (...)
« même effet de décor qu’au premier acte. Toute la scène semble se mouvoir, mais en sens inverse. Cette montée au Graal, bien différente de la première, exprime par la musique le désespoir de l’heure actuelle, la mort de Titurel. (...)
Amfortas ne peut échapper à sa souffrance, car son repentir n’a pas changé la direction de son désir. En lui c’est l’être inférieur qui aspire toujours à la vie. Il n’a pas la force de s’élever à un état de conscience supérieur. Parsifal lui, par la pitié pour le souffrant, est monté jusqu’à la sphère de l’amour divin.
Sources : Émilie de Morsier (1843-1896) PARSIFAL de Richard Wagner
Parsifal est l'histoire de la quête spirituelle du héros et le combat du bien et du mal sur fond d’exaltation de l’idéal chevaleresque.
La ''Kundry'' créée par Wagner, apparaît tour à tour comme la servante passionnément dévouée des chevaliers du Graal quand elle est livrée à sa propre nature, et comme leur ennemie acharnée, l’instrument de leur déchéance, lorsque, subissant malgré elle le magique ascendant de Klingsor, elle se transforme en une femme « effroyablement belle » et devient le moyen de séduction le plus irrésistible des jardins enchantés.
Les pieux chevaliers ignorent cette double nature et ne voient en elle qu’un être bizarre, malade, indompté, dont les fréquentes et longues absences, précédées d’un profond sommeil, correspondent toujours à un nouveau malheur venant fondre sur eux ; mais c’est elle qui a séduit, et perdu Amfortas, et c’est sur elle encore que compte le sorcier pour faire sombrer la vertu du ''chaste fou'' promis. Effroyables missions contre lesquelles l’infortunée se révolte ; aussi la voit-on sombre et angoissée chaque fois qu’elle sent s’appesantir sur ses yeux le lourd sommeil hypnotique dans lequel la plonge Klingsor lorsqu’il veut la soumettre à son odieuse puissance.
Finalement, c'est Kundry, qui éclaire Parsifal sur sa propre histoire, et qui lui permet d’accomplir son destin.
Si Parsifal ne se perd pas dans le jardin maléfique des ''filles-fleurs'' de Klingsor ; il est soudain pris par une voix d’une irrésistible beauté qui s’adresse à lui : « Parsifal ! » A quoi le jeune garçon étonné répond: « Est-ce moi que tu as appelé, moi qui n’ai pas de nom? » Kundry, sait que lui, Parsifal, est bien le rédempteur annoncé par la prophétie... Kundry cherche désespérément à se libérer de sa propre malédiction ( celle d’avoir ri autrefois du Sauveur souffrant ), ce qui - pense t-elle – ne pourra se faire qu’en se faisant aimer totalement d’un être pur et innocent comme l’était le Sauveur dont le souvenir l’obsède... Elle entreprend de séduire ce chevalier simple et transparent qui l’attire irrésistiblement.
Au moment où Parsifal s'apprête à sombrer délicieusement : il rejette brutalement la séductrice, se redresse et se précipite loin d’elle en criant de toutes ses forces: « Amfortas – la blessure !- la blessure! -elle brûle dans mon cœur- oh, plainte, plainte, terrible plainte, j’ai vu saigner la plaie. Voilà qu’elle saigne en moi maintenant ! »
Wagner dans une lettre à Louis II explique le sens de cette réaction inattendue: « Le baiser qui fait succomber Amfortas au péché éveille en Parsifal qui lui est innocent la conscience de la faute commise par le malheureux dont il n’a auparavant ressenti que confusément la plainte désolée. La cause du péché d’Amfortas lui apparaît en toute clarté à travers son propre sentiment de la compassion. C’est avec la rapidité de l’éclair qu’il reconnaît le poison. Ainsi le savoir de Parsifal est plus grand que celui de toute la chevalerie de Graal qui a toujours pensé qu’Amfortas ne souffrait que de la blessure infligée par la lance. »
Kundry répond: « Si tu es rédempteur, quel pouvoir méchant t’interdit de t’unir à moi pour mon salut (…) Une heure seulement m’unir à toi, qu’en toi je sois absoute et sauvée! » Parsifal: « Le baume qui guérit ta peine vient d’autre source que ton mal. »
Bien plus tard, Kundry, à genoux aux pieds de Parsifal, lui lave les pieds et les essuie de ses cheveux, telle Marie-Madeleine autrefois avec le Christ.
Lors de la dernière représentation de Parsifal en présence de Wagner, il monte au pupitre pour diriger la fin de l’opéra. Il va mourir six mois plus tard à Venise, le 13 février 1883.
Nietzche va accuser son ancien ami de s’être « effondré soudain, éperdu et brisé, au pied de la croix des chrétiens » ; cependant il admire l'oeuvre : « Parsifal conservera éternellement son rang dans l’art de la séduction, comme le ‘coup de génie’ de la séduction… J’admire cette œuvre, j’aurais aimé l’avoir faite. »
La Légende arthurienne est le ''véhicule'' d'une quête personnelle ... à travers une lignée et les siècles...
Chronologie
Louis VII de France, (1120-1180), roi des Francs de 1137 à 1180.
Henri II d'Angleterre (5 Mars 1133 au 6 Juillet 1189)
Aliénor d'Aquitaine (1122 ou 1124 à 1 Avril 1204)
Marie , comtesse de Champagne (1145 - 1198) est la fille aînée de Louis VII de France et de sa première épouse, Aliénor d'Aquitaine .
Geoffrey de Monmouth, Historia regum Britannie 1136 (latine)
Wace (1100- 1174) Roman de Brut , c. 1155 (anglo-normande)
Chrétien de Troyes (1135-1185)
Wolfram d'Eschenbach ( 1170-1220)
- La cathédrale d'Otrante, c. 1163 Mosaique : Rex Artirus
- ''Découverte'' de la tombe d'Arthur : 1190 (latin ) rapportée par Gerald of Wales
Le cycle de la Vulgate : la Queste del Saint Graal , la Mort (le roi) Artu , le Lancelot , le Estoire del Saint Graal , et la Vulgate Merlin c. 1215-1235 (Français)