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allemagne

1948 – Du chaos allemand à la RFA

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot rentre, bien après Döblin, à l'Ouest. Il fait le voyage de retour à l'occasion de la Conférence de Rittersturz, à Coblence ; et se retrouve dans le même avion que Louise Schroeder. Les ministres-présidents des onze Länder ouest-allemands se réunissent du 8 au 10 juillet 1948. Les partis politiques étaient représentés. Ils vont adopter l’idée de la création d’un État fédéral réunissant les Länder des zones d’occupation occidentales.

ll s'agit donc bien de reconnaître la scission avec la zone soviétique, mais de façon provisoire...

Le Spiegel, va critiquer fortement l'intervention de Louise Schroeder : '' Espérant encore parvenir à un accord en vue de l’unification du pays, la maire de Berlin, trouve prématuré d’envisager l’inclusion de Berlin-Ouest dans la République fédérale.'' Ernst Reuter reviendra sur cette position huit jours plus tard, dans le cadre de la conférence de Niederwald.

 

Le Figaro du 8 Octobre 1947, écrit ceci , dans un article titré : '' … le chaos allemand : En plein imbroglio : « c’est avec un certain recul seulement qu’on se rend compte de l’intolérable chaos qui règne à Berlin. Il y a à Berlin un maire empêché, un maire intérimaire et un maire en réserve. Le premier, M. Reuter, a été nommé par le Conseil municipal, mais refusé par le veto russe lors de la réunion des quatre généraux commandants de Berlin. M. Reuter est un transfuge communiste, devenu socialiste : les Russes ne l’admettent pas. Le maire intérimaire est une femme socialiste, Mme Schroeder, effacée et présente comme l’exigent ses fonctions provisoires ; le maire en puissance, député socialiste et expert économe, M. Suhr, réserve ses forces et refuse le poste, certain de ne pouvoir aller qu’à un échec. J’ai parlé à chacun de ces personnages, M. Reuter, coléreux et ironique, m’a dit : « Nous attendons que les Alliés se mettent d’accord » ; Mme Schroeder a soupiré : « Hélas ! » ; M. Suhr, un Allemand du Nord, au langage pointu, m’a dit : « J’aimerais mieux être pendu que maire de Berlin. Ce qui seul me préoccupe, c’est l’avenir économique de l’Allemagne, mais rien ne peut être fait tant que les Alliés ne s’entendront pas. » Et les chefs de parti que j’ai interrogés ont entonné le même leitmotiv.

Discordes alliées

Berlin est en effet le théâtre des luttes partisanes aussi bien que des explications orageuses du Conseil allié quadripartite, et il n’y a certes plus un Allemand qui puisse ignorer aujourd’hui la grave partie qui se joue. Chaque grande puissance dispose comme instrument de lutte d’un ou de deux partis allemands. L’U.R.S.S. règne sur le S.E.D. (parti ouvrier unifié), la Grande-Bretagne protège les socialistes ; les Etats-Unis patronnent socialistes et chrétiens-sociaux, qui forment généralement dans les « Laender » de sa zone des coalitions assez cohérentes. Le S. E. D. est interdit à l’Ouest; les socialistes à l’Est ; leur point de rencontre et de friction demeure Berlin, où les journaux de chaque parti se déchaînent, injuriant l’adversaire au moyen d’un vocabulaire qui rappelle à s’y méprendre celui de feu les nazis. » Dominique Auclères. 

 

Le blocus est levé le 12 mai 1949, à la suite d’un accord quadripartite, mais la question allemande reste entière et une conférence à quatre, prévue le 23 mai, pourrait permettre de préciser les points suivants : création de deux municipalités différentes à Berlin, création de deux États allemands, Berlin-Ouest deviendrait-elle une enclave occidentale en territoire est-allemand ?

À la fin du blocus, les Occidentaux ont effectué 278 228 vols et importé 2 231 600 tonnes de fret vers Berlin-Ouest. Ces performances, et l'estime croissante qu'elles a suscité, en faveur des alliés ont contribué à l'échec du blocus de Berlin par Staline.

 

Lancelot a suivi la Conférence des quatre, qui s'est ouverte à Paris le 23 mai, au palais de marbre rose de la duchesse de Talleyrand-Perigord ( qui avait décoré toutes les pièces de fleurs magnifiques...), entre les  les ministres des Affaires étrangères : MM. Dean Acheson, Ernest Bevin et Robert Schuman, d’une part, M. Andréi Vychinski, de l’autre. Ils vont s’efforcer de préparer un traité de paix, et un avenir avec l’Allemagne.

Finalement, ce n'est que le 21 juin 49, que s'est terminée la Conférence. On ne peut pas parler ni d'échec, ni de réussite. « Les « Quatre » se sont accordés là reconnaître leur désaccord sur le sujet de l’unité politique et économique de l’Allemagne. Non seulement ils n’ont fait aucun progrès dans la voie de l’unité, mais ils ont même renoncé à fixer les règles du fameux modus vivendi, dont les diplomates nous rebattaient lès oreilles depuis quatre semaines. Il va subsister à Berlin deux municipalités et deux monnaies ; en Allemagne deux gouvernements, deux idéologies, deux monnaies, deux polices. » Raymond Aron

Les plus optimistes avec R. Aron diront : Nous sommes soulagés de constater que ni l’un ni l’autre des deux « Grands » n’a la moindre intention de recourir aux armes pour l’instant.

Ensuite, la création d'une Allemagne fédérale occidentale, va se rajouter à un gouvernement démocrate-chrétien en Italie, à la fin de l’inflation en France, au Pacte atlantique, tout cela pour en finir avec l’obsession de la menace communiste.

Cette ligne de démarcation tracée au milieu de l'Allemagne sera t-elle le signe d'une chance de coexistence pacifique et prolongée ?

D'autres auront du mal à se résoudre à la réalité de deux Allemagnes : la République fédérale d'Allemagne (RFA) est proclamée le 25 mai 1949 sur les trois zones occidentales. Les Soviétiques répliquent le 7 octobre 1949 avec la création de la République démocratique d'Allemagne (RDA) à l'Est. La fin du blocus, vient sceller un '' rideau de fer '' entre le bloc de l'Ouest pro-américain et un bloc de l'Est soviétique, et la continuation d'une Guerre froide.

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1948 - Le Blocus de Berlin-ouest – 2

Publié le par Régis Vétillard

Le 28 juin, 150 avions atterrissent avec 400 tonnes de ravitaillement, le trentième des besoins quotidiens des habitants. Puis, des milliers d’avions se relaient pour transporter vivres, charbon et médicaments dans la capitale allemande.

Aux heures de pointe, un avion atterrit toutes les 2 ou 3 minutes secondes à Tempelhof, Gatow et Tegel (un troisième aéroport rapidement construit en zone française.).

Une escalade peut conduire à la guerre. Pour les berlinois, l'agression est soviétique. Iraient-ils jusqu'à abattre les avions américains ?

Le pilote américain Gail Halverson a l’idée de fabriquer des mini-parachutes à partir de vieux parachutes, qu’il lâche pendant l’approche. Des bonbons pour les enfants et les jeunes qui observent les opérations aériennes y sont attachés.

 

Berlin reste bloqué, ''alliés'' et soviétiques maintiennent leurs positions. Combien de temps pourra t-on tenir ? L'hiver permettra t-il d'assurer le ravitaillement satisfaisant ?

Si les Soviétiques empêchent les communications aériennes avec Berlin, ce sera la guerre. Lancelot n'y croit pas.

Si les russes ne cèdent pas : - Pourquoi ne pas forcer le blocus ? En cette période, l'URSS a l'avantage d'une armée mobilisable et en nombre : on parle de 200.000 soldats, stationnés en Allemagne de l'est, alors que les USA, l´Angleterre et la France viennent de démobiliser leurs forces.

Les Etats-Unis n'ont en Europe que quelques rares "unités de combat", à peine 30.000 hommes, confie le Général Noiret.

Notre avantage est que les Etats-Unis possèdent la bombe atomique... De source sûre, Lancelot apprend que Truman, prévoit de déployer trois escadrilles de bombardiers stratégiques B-29 de l’USAF au Royaume-Uni.

Sinon, - un compromis ne sera pas en notre faveur.

 

Les Occidentaux parviennent à contourner le blocus au moyen d’un pont aérien massif : plusieurs centaines d’avions par jour, la construction d’un troisième aéroport en secteur français (Tegel). L’objectif des premières semaines du pont aérien est d’assurer un volume quotidien de 4.500 tonnes de marchandises. À l’automne 1948, les Alliés le rehaussent à 5.000 tonnes quotidiennes. Le charbon, qui doit garantir l’approvisionnement en énergie, représente une grosse partie de ce tonnage.

L'efficacité exceptionnelle des puissances occidentales et la participation de la Grande-Bretagne, de pilotes d'Australie, du Canada, d'Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, et de la France ; est largement utilisée à des fins médiatiques. utilisent largement cette à des fins médiatiques.

La ville devient le symbole du combat pour la Liberté. Des hommes politiques et des intellectuels occidentaux se succèdent à l'aérodrome pour manifester leur soutien.

Les berlinois sont reconnaissants de n'être pas renvoyés à leur passé nazi, et fiers de représenter le combat pour la liberté et la démocratie, et les Etats-Unis deviennent une puissance protectrice.

Les jeunes allemands acclament les avions du pont aérien, surnommés les « Rosinenbomber » (les « bombardiers de raisins secs »).

L’URSS, ancienne alliée, devient une menace pour la paix et le nouvel ordre international.

 

Alfred Döblin, rentre bien avant Lancelot à Baden-Baden.

Döblin semble désabusé. Il n'accepte pas cette partition de Berlin. Il est à la fois anticommuniste et antibourgeois. Sa vision culturelle débouche sur une action spirituelle. « Élever l’esprit, cela exclut tout ce qui est contraire à la liberté de pensée. La littérature dirigée, pour moi, est le témoignage épouvantable de la misère contemporaine. Les talents sont étouffés, le sens épique dévoyé par une morale imposée de force et une fois pour toutes. Nos écrits ont tout à perdre, quand ils sont soumis aux prescriptions d’une bureaucratie... Mais un écrivain qui, aujourd’hui, n’a aucune foi, est encore moins désirable ... Thomas Mann, voyez- vous, c’est la décadence artiste et athée d’un esprit bourgeois désormais inadmissible. On peut vivre sans foi aucune, je le sais, ... Mais alors le vent de la vie n’entre plus dans votre chambre et, qu’on le veuille ou non, c’est la mort, l’asphyxie à bref délai... D’où le nom de ma revue Das Goldene Tor. »

Lancelot se souvient d'une discussion à propos de Kierkegaard et sa recherche de la vérité. En effet, le philosophe danois met à bas la certitude selon laquelle la vérité peut être obtenue par les sciences. L’objectivité n’est pas exacte ; au mieux, elle fait preuve de neutralité et propose un cadre de réflexion. C’est donc un renversement de la pensée que prône Döblin sous la tutelle kierkegaardienne, en prônant la subjectivité et le renversement des savoirs acquis : « Pour atteindre l’absolu, il faut transgresser le confort, fût-il moral, l’aménagement bourgeois de la finitude. ».

Döblin, confie à Lancelot son désir d'écrire un roman dont le héros, revenu de la guerre avec une jambe en moins, rejetterait toute convention de la vie mondaine. Seule, la Vérité, pourrait lui venir en aide.

Lancelot interroge Döblin, sur la ''Vérité'' selon Kierkegaard. Il répond, mais préfère avertir qu'il ne parle pas selon le discours scientifique. La Vérité ne concerne que les personnes ; la science en appelle à l'objectivité, et la raison s'y prête... C'est à dire, elle se prête à raisonner selon un mode d’accès au réel, parmi d'autres – c'est une question de convention entre scientifiques, Non ? D'ailleurs, si tu appelles Vérité, une vérité objective ; tu te dois de te l'approprier, pour qu'elle devienne ta vérité.

Lancelot se souvient aussi de cette remarque de Döblin:

"Tu me parlais d'Elaine, ta chère et tendre, disparue. Disparue...? Pourtant, aucun élément atomique qui la constituait n'a réellement disparu !"

Mardi 6 juillet 1948, Lancelot lit dans le Figaro que Bernanos est mort ! Un peu plus tard, il rencontrera Béguin, qui l'avait vu auparavant alors qu'il venait d'être opéré de la vésicule biliaire. Il regrettait de ne pas pouvoir se consacrer plus à l'écriture de romans : « j'en ai une douzaine en tête. » disait-il.

Il se sentait une vocation à « contraindre les aveugles à voir et les sourd à entendre » ; aussi il s'efforçait de nous convaincre de sa lecture des ''signes des temps''. Il se plaignait, parait-il, de ces autres Donissan, Cénabre, autres Mouchette, et autres Quine qui hantaient ses sommeils... !

Qui, plus que lui, à notre époque, pouvait être désigné comme ''chevalier du Graal'' ? Sa quête s'appuyait sur sa foi en Christ.

Il est certain que la mort ne nous privera pas de lui. Nous continuerons sa Quête, qui nous rejoint, en relisant le ''Journal d'un curé de campagne'' par exemple.

( Bernanos est mort le 5 juillet 1948 vers cinq heures du matin, à 60 ans. Il était rentré de Tunisie en France pour y être, si possible, soigné. )

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1948 - Le Blocus de Berlin-ouest – 1

Publié le par Régis Vétillard

Donc, le 20 mars 1948, le représentant de Moscou au Conseil de contrôle était parti en claquant la porte. Sokolovsky avait annoncé qu'une réforme monétaire occidentale, amènerait la réalisation immédiatement d'une réforme monétaire dans la zone soviétique. Dans ce cas, la direction soviétique exigerait d'intégrer l’ensemble de la ville dans le système financier et économique de la zone soviétique...

 

A l'annonce de la naissance du Mark, le 18 juin 1948, le maréchal Sokolovsky dans une proclamation publique au peuple allemand, déclare que les accords de la déclaration de Potsdam qui prévoyait que l'Allemagne soit considérée comme un tout économique a été violée ; et que la nouvelle monnaie n'aura aucune valeur dans la zone soviétique et dans le Grand Berlin.

Sokolovsky suspend également le trafic routier et ferroviaire de passagers à destination et en provenance de Berlin et réduit le trafic de fret censé protéger la zone soviétique de l'afflux de l'ancienne monnaie dévaluée.

Staline décide de frapper un grand coup notamment pour faire basculer la capitale de l’Allemagne dans le camp communiste et tester la détermination du camp occidental.  Il est persuadé que les américains ne prendront pas le risque d’engager une guerre avec l’URSS pour défendre leurs anciens ennemis.

Le Blocus de Berlin-Ouest. Le 23 juin, les troupes soviétiques encerclent Berlin et empêchent désormais tout ravitaillement de la ville. Ils introduisent à leur tour une nouvelle monnaie dans leur zone, ils interrompent la fourniture du courant électrique aux secteurs occidentaux, le centre de distribution étant dans leur secteur. Le lendemain, ils bloquent toute circulation par route, chemin de fer et canal qui relient Berlin au reste de l'Allemagne. Seuls les trois corridors aériens permettent aux forces occidentales d’accéder à Berlin-Ouest.

Le 24 juin 1948, Berlin-Ouest est isolée du reste du monde. Va t-on abandonner Berlin aux soviétiques ?

Berlin et ses 2 millions de berlinois de la zone ouest - avec ses champs de ruines, le rationnement, l'électricité coupée- ne bénéficient, au mieux, que d'un mois de nourriture.

 

A Berlin, le 25 juin ; Lancelot écoute les berlinois qui se demandent si ce blocus peut être maintenu indéfiniment ? C’est ce que laisse entendre, ce matin, la presse allemande sous licence soviétique qui cherche à créer la panique en faisant entrevoir la famine et le chômage aux deux millions et demi d’Allemands qui vivent dans leur ancienne capitale, mais sous la surveillance et la tutelle des autorités françaises, américaines et britanniques. 

Le bourgmestre de Berlin-Ouest, Ernst Reuter supplie les alliés de porter secours aux Berlinois touchés par le blocus et menacés à plus ou moins brève échéance de famine si on ne réagit pas rapidement.

Les Occidentaux refusent de quitter Berlin. Mais, que peut devenir une telle enclave au cœur de l'Est ? Quel futur pour cette ville coupée en deux ?

Les américains qui sont les seuls à en avoir les moyens matériels ripostent en organisant un gigantesque pont aérien. Après deux jours, les premiers avions atterrissent à l’aéroport de Tempelhof.

Les Russes commencent déjà à souffrir eux-mêmes des mesures qu’ils ont prises. La zone soviétique commence à manquer d’électricité. Une grande partie des usines thermiques d’énergie de la zone russe dépend du charbon de la Ruhr, dont cette zone recevait 300 000 t. par mois, et les livraisons sont interrompues depuis quelques jours...

Autre sujet d'inquiétude : on redoute l'agitation ouvrière dans les trois secteurs alliés: une grève générale mettrait l'ordre public en danger et pourrait provoquer une intervention soviétique dans les secteurs de l'ouest pour "rétablir l'ordre". Un très haut fonctionnaire américain de la section politique disait à Lancelot que les Soviétiques distribuent déjà dans leur zone des brassards rouges avec l'inscription, en allemand et en russe, "Opfer des Faschismus" à des troupes de choc stylées qu'ils peuvent à tout moment faire entrer dans Berlin.

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1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 3

Publié le par Régis Vétillard

Le Deutsche mark est né, le 20 avril 1948.

Une douzaine d'experts financiers allemands travaillent sur les plans de la réforme monétaire. Le 20 avril 1947, ils sont convoqués par le général Lucius Clay, gouverneur militaire de la zone d'occupation américaine, à Bad Homburg. À leur grande surprise, un groupe de personnes en soutien (secrétaires, traducteurs, cuisiniers et même un coiffeur) se sont également présentées au point de rendez-vous. Un bus de l’armée avec des fenêtres aveuglées les a tous transportés dans une caserne militaire sur un aérodrome à Rothwesten près de Kassel.

Ils apprennent l'objet du voyage: la création d'une nouvelle monnaie. Ils ont été totalement coupés de tout contact extérieur, derrière des barbelés électrifiés, principalement pour cacher aux Soviétiques la réforme imminente dans les zones d’occupation occidentales.

Konklave - Bad Homburg

Les experts entendent un jeune lieutenant américain, Edward Tenenbaum (26 ans) , fils d'immigré juif allemand, leur exposer la réforme concoctée à New York par Joseph Dodge, président de la Detroit Bank and Trust Co. Les experts allemands se rendent compte que leur influence ne se porte que sur les aspects pratiques. Les américains ont déjà choisis le nom de deutsche mark et imprimé depuis l'automne 1947, aux États-Unis, les nouvelles coupures.

Tenenbaum, dirige l’opération « Bird dog » qui a amené en Allemagne – dans le secret de février à avril 1948 – les billets de la nouvelle monnaie. Vingt-trois mille caisses sont arrivées par bateaux à Bremerhaven, transportées par trains spéciaux dans les caves de la Reichsbank à Francfort avant d'être répartis dans les trois zones occidentales.

Depuis la fin de la guerre, les marchandises sont restées très rares. La nourriture et d’autres biens ne sont disponibles qu’en petites quantités et uniquement par le biais de coupons alimentaires. Avec les nazis qui actionnaient la planche à billets, l’argent était disponible en abondance, ce qui a conduit à une inflation refoulée et a rendu le Reichsmark presque sans valeur. La réforme monétaire vise à éliminer le surplus monétaire et à jeter les bases d’une économie de marché viable.

Foule au bureau de change

 

Le général Clay avait initialement fixé au 1er juin 1948 la date de la réforme de la monnaie dans la Bizone.

Lancelot envoie plusieurs courriers pour insister auprès de Schuman, et précipiter l'accord de l'Assemblée Nationale, pour que la France adhère à la Réforme monétaire. Les débats sont difficiles, les députés s’arc-boutant sur les réparations de guerre à exiger de l'Allemagne.

Finalement au dernier moment, le 17 juin, l'Assemblée française ratifie les accords de Londres sur l'avenir de l'Allemagne.

La Sarre qui constitue un État "indépendant et souverain", sous protectorat français, ne fait pas partie de la Trizone.

Le Deutsche Mark est né. Le vendredi 18 juin, les Allemands vont apprendre la nouvelle par la radio : le dimanche 20, ils devront échanger leurs Reichsmarks sans valeur contre les nouveaux billets (10 anciens Reichsmark pour 1 nouveau Deutsche Mark.).

 

Lancelot et Döblin sont logés, dans un bâtiment, avec mess, réservé aux officiers de passage à Heiligensee, une charmante petite ville aux abords d'un lac et située dans la proche banlieue nord-ouest de Berlin en zone administrée par la France.

Berliner Luftbrücke - Eine Stadt als Geisel -

Ils faisaient fréquemment, dans une voiture de service à leur disposition, la traversée de Berlin.

La frontière avec la zone soviétique est bien gardée par des "Vopos" (police allemande sous tutelle soviétique) ou des gardes rouges. Leur chauffeur, allemand, les fait traverser traverser un coin de la zone soviétique, pas seulement pour gagner du temps. Après un rapide contrôle, les Russes, les laissent faire à condition, disent-ils, de ne pas descendre de la voiture, ni de prendre de photos !

A l'occasion de ces trajets, on peut observer les difficultés que doit éprouver le peuple allemand pour assurer sa subsistance. Ainsi, ils remarquent que de nombreux berlinois cultivent dans, les trous de la chaussée et dans les jardinières de leurs fenêtres d'appartement non pas des fleurs, mais des légumes.

 

Alfred Döblin reste très attentif à ce qui se passe dans la zone soviétique, Lancelot remarque même un élan de sympathie pour le projet communiste, même s'il regrette la trop grande influence russe sur le processus.

SED

L’URSS s'est très vite engagée, dans sa zone, à imposer un bouleversement politique, économique et social : la réforme agraire, la nationalisation de l’industrie clé, la transformation du système éducatif... Dès avril 1946, le KPD et le SPD, sont forcés à s'unir pour fonder le SED ( Le Parti socialiste unifié d’Allemagne ). Une motivation majeure tient au souvenir que la scission des opposants de gauche d’Hitler au parlement de la défunte République de Weimar, avait été l’une des principales causes du transfert du pouvoir au NSDAP... La direction du parti est collégiale avec les sociaux-démocrates et les communistes.

 

Döblin a suivi avec intérêt la deuxième Convention Nationale du SED, en septembre 47, le parti déclarait que la «lutte pour l'unité de l'Allemagne» était la «tâche principale du parti». Une campagne de propagande avec pétition est organisée dans toute l'Allemagne.

Dans la zone soviétique, l’anniversaire de la "révolution de Mars" 1848 est particulièrement célébrée.

Lancelot argumente son avis que les Soviétiques ne souhaitent promouvoir une Allemagne unie et démilitarisée, que pour avancer vers l'évacuation des troupes alliées occidentales, et finalement , laisser les mains libres à l'URSS de contrôler l'Europe occidentale.

Présentement, l’Union soviétique veut contraindre les Occidentaux à quitter Berlin, enclave au sein de la zone soviétique.

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1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 2

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot et Alfred Döblin arrivent à Berlin, enclave en zone d'occupation soviétique. Ils sont de suite frappés par des paysages de ruine, avec l'image de ces femmes, les « trümmerfrauen » ( les femmes des ruines) qui nettoient les décombres, récupèrent les briques des immeubles détruits, des planches de bois utilisables, empilent les pierres dans les rues. Les tas sont comptés, et chaque soir ces femmes reçoivent de quoi survivre. Des hommes les aident, ils récupèrent de lourdes barres de fer des décombres, enlèvent les pierres avec des camions.

Cependant, Lancelot pense apercevoir l'action d'un esprit optimiste de reconstruction, et malgré un approvisionnement difficile.

Beaucoup de débrouille et du troc, et des cigarettes comme monnaie d’échange.

Pour Döblin, ces retrouvailles, avec une ville dont il peine à deviner les contours d’antan, sont déchirantes: « j’arrivai sur le Kurfürstendamm. Cela avait été une large avenue plantée d’arbres, un boulevard qui s’étirait jusqu’à Halensee, bordé d’immeubles somptueux, de cinémas et de brasseries. Et maintenant ? (…). Le trottoir est partout éclaté, la pression des bombes a déplacé les carreaux. L’on aperçoit une tour dominée par une pointe ronde et noire. Cette ruine est la Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche, totalement carbonisée, une épave complètement trouée. Le Romanische Café est ouvert, l’on peut y entrer si l’on veut ; il s’ouvre entièrement vers l’extérieur. De la rue, l’on aperçoit les salles du fond, le premier étage. Et là, il y avait un cinéma. Je ne retrouve plus sa place ; il montrait la Première d’un film adapté de mon « Alexanderplatz »

Son Alexanderplatz est en ruine: lieu fondateur de son œuvre, et sa perte : sa Heimatlosigkeit, son absence de patrie irrévocable.

 

En 1931, Lancelot et sa compagne Elaine, étaient venus jusqu'à Berlin, ils y avaient revu Xavier de Hauteclocque ( 1931 - L'Allemagne - 7 - Berlin) ) et ils logeaient au prestigieux hôtel Adlon. Aujourd'hui l'hôtel, épargné par les bombes, mais incendié par les russes, est clos.

Berlin est administrée par la '' Kommandatura '' interalliée, le ''Conseil de Contrôle '' en est l'organe directeur ( le gouvernement) composé des quatre officiers généraux commandant les quatre secteurs de Berlin. En soutien, les alliés se préoccupent de restaurer une administration municipale allemande.

Hôtel Adlon - 1945

Louise Schroeder, sociale-démocrate âgée de 60 ans, est maire intérimaire en mai 1947. Elle parut plus consensuelle que Ernst Reuter, élu. Elle apparut comme sa remplaçante idéale lors de l’invalidation de l'élection de Reuter par les Soviétiques. Elle fut la plus jeune parlementaire de l’Assemblée nationale de Weimar, et siégea au Reichstag en 1920. On la surnomme  « mère de Berlin » par les médias (« die Mutter Berlins »), repris par l'Est en sobriquet familier de « Mutter Schroeder ».

Au Berliner Zeitung ( Berlin Est), Schroder se défend de chercher une paix séparée avec l'ouest : elle y déclare : « Seule une paix avec l’ensemble de l’Allemagne est acceptable pour la social-démocratie »

 

Revenons, au 20 mars 1948 : les représentants soviétiques quittent la réunion du Conseil de Contrôle, et les instances de la Kommandatura. Quelles en sont les raisons ?

Déjà, en février 1948, les communistes se sont emparés du pouvoir en Tchécoslovaquie, c'est ce qu'on appelle : '' le coup de Prague''

Le coup de Prague

Aussi, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et les Etats du Benelux se sont réunis à Londres entre le 23 février et le 6 mars 1948 pour une nouvelle conférence : la ''conférence des Six'', qui se prononça entre autre en faveur d’un gouvernement fédéral en Allemagne occupée de la trizone, et de lui faire accepter le Plan Marshall.

Le 1er mars 1948, est créé la Bank deutscher Länder (BdL) (Banque des Provinces allemandes). La banque aura la responsabilité de la nouvelle monnaie allemande, lorsque le Deutsche Mark pourra être introduit.

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1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 1

Publié le par Régis Vétillard

Au début mai 1948, son ministère accepte que Lancelot soit mandaté par Robert Schuman, pour effectué une mission à Berlin. Il s'agirait d'un rapport afin d'étudier les conditions d'une partition de l'Allemagne en deux états.

La position française du gouvernement français ( avec Bidault, par exemple) vis à vis de l'URSS, était la même que les britanniques, à savoir que le danger russe était « certainement redevenu aussi important sinon supérieur au danger que représentait une Allemagne renforcée. ». Il s'agissait donc de reconstruire les zones occidentales aussi rapidement que possible et sans tenir compte des agissements soviétiques.

Les américains ont annoncé le 1er janvier 1947, l’unification économique des zones américaine et britannique en une zone unique ( bizone ) et plaide en faveur de la « formation prochaine d’un gouvernement provisoire allemand »

La politique française n'est pas encore clarifiée à l'égard de l'Allemagne: L'Allemagne doit-elle se suffire à elle-même, être privée de la majeur partie de son potentiel industriel en démontant ses usines et en la privant de la Ruhr et de la Sarre, et en plus doit-elle payer des réparations aux vainqueurs en même temps ?

En juin 1947, le général George C. Marshall, proposait un programme de reconstruction européenne, le Plan-Marshall. Début 48, nous considérons que les soviétiques n'ont pas abandonné l’idée de contrôler l’ensemble de l’Allemagne.

 

Lancelot rejoint Baden-Baden et son gouvernement militaire qui conserve l'essentiel des pouvoirs économiques et administratifs. La politique de '' démocratisation '' ou de dénazification pose quelques problèmes ; du fait d'une conception missionnaire qui impose des cadres inspirés du modèle français. L'administration est de plus tiraillée entre les militaires ( le général Koenig) et le cabinet civil administrateur. Koenig, ne souhaite pas encourager la fondation d'un nouvel état allemand.

Lancelot retrouve le ''colonel'' Alfred Döblin, berlinois d'origine, qui occupe un poste à la Direction de I'Education publique. Alfred Dôblin, est l’auteur universellement connu du roman '' Berlin Alexanderplatz''. Döblin porte en permanence, même à des soirées littéraires, l’uniforme français. Il s'engage dans la renaissance de l'association des écrivains en zone française et participe à des émissions du Sudwestfunk où il anime tous les quinze jours une "critique du temps. Il propose à Lancelot de l'accompagner à Berlin.

De Baden, Döblin et Lancelot se rendent à Wiesbaden, puis à Francfort sur le Main, d'où ils prennent un train pour Berlin. A la sortie d'Helmstedt ( zone britannique), les russes contrôlent et visitent les wagons. Si des récalcitrants refusent de se soumettre à leur demande, le train peut être renvoyé ; cela est déjà arrivé. De même, le 12 avril 1948 l'autoroute Berlin-Helmstedt a été fermée sous prétexte de travaux de réparation.

Nous sommes bien, pour Lancelot, à la rencontre de deux mondes qui s'affrontent ; vision que se refuse à formuler Alfred Döblin, qui lui en reste à l’anéantissement de l'Allemagne, après ces douze années passées et un pays qu'il ne reconnaît plus.

Alfred Döblin, 9. Juli 1947

 

Revoyons la situation actuelle depuis la fin de la guerre.

Lors de la victoire sur l'Allemagne nazie, les alliés avec l'URSS s'affichent avec le programme d'un nouveau monde sans guerre.

1945 : année zéro. Les occupants renonçaient à l’annexion, mais s’attribuaient la « supreme authority with respect to Germany » ( 5 juin). Il s'agissait de démocratiser l'Allemagne, mais l’Est et l’Ouest ne partagent pas la même conception de la notion même de « démocratie ».

 

- Pour nous, argumente Lancelot, la démocratie signifie : le pluralisme politique, le système représentatif et les droits individuels. Ce sont celles-ci que les communistes qualifient de '' libertés formelles '' ou bourgeoises, celles que les classes laborieuses ne peuvent s'offrir, disent-ils, faute de moyens. C'est seulement par la disparition des classes, que s'épanouiraient les libertés ''réelles'' .

Dölbin répond : - Vous pouvez donner le droit de propriété, mais qui vous garantit qu'il ne permettra pas l'exploitation des travailleurs... ?

 

- Pour moi, continue Döblin, l'Allemagne s'étant déshumanisée, la priorité est donc de restaurer l'individu dans son humanité. (Il faut savoir que Döblin s'est converti au catholicisme en 1941.)

Il est important que les allemands reconnaissent leur implication morale et acceptent d’être vaincus. Seules la conversion et la rédemption du peuple, permettront de garantir une avenir de Paix. J'irai même plus loin : le nazisme les a coupé de leur nature humaine ; culpabilité et expiation sont essentielles dans le processus de dénazification.

Il faut que justice soit rendue au nom des victimes innombrables de ce régime, que la responsabilité et la culpabilité soient reconnues et assumées, que le verdict de l’histoire soit accepté.

Döblin se voit non pas en procureur, mais en « révélateur » (« Aufklärer ») et accoucheur de la prise de conscience, première étape de ce processus.

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1935 – Le danger d'une Allemagne nazie.

Publié le par Régis Vétillard

Dans les couloirs de la Chambre, et au ministère, Lancelot croise et rencontre fréquemment le député Gaston Bergery. Il a plaisir à échanger avec cet homme dont les propos sont rigoureux et rationnels. Il réussit à entraîner autour de lui des personnes un peu plus originales que les adhérents partisans des grandes organisations. A la suite de Jouvenel, Lancelot est séduit par cet homme promis certainement à un grand avenir. Conseiller général et député radical de Seine et Oise, Bergery est éditeur depuis 1933 de la revue frontiste ''La Flèche''.

Gaston Bergery

Bergery tente de promouvoir, un projet antifasciste, au-delà des partis traditionnels, et sans ceux de La Rocque qui, dit-il, prépare les français à l'acceptation du fascisme ( dans L'Europe Nouvelle, 1er déc. 1934)

Jouvenel le suit, il parle d'un rassemblement large des dissidents, jusqu'à des partisans de la Rocque qui sont déçus par la faiblesse de son programme politique et doutent de sa capacité d'homme d'état. Quelle forme donner à ce rassemblement ?

Les groupes Esprit et Ordre Nouveau sont intéressés par une troisième voie, Rougemont écrit : « une masse croissante d'hommes savent ce qu'ils ne veulent pas : la guerre, l'anarchie capitaliste, la dictature, le Comité des Forges, la diplomatie moscoutaire, le parlementarisme, la grande presse. Rien de plus frappant que cette communauté de refus à gauche et à droite. Il est temps de donner à ces troupes une volonté commune constructive à la fois contre Wendel et contre Mitvinov » (Où en est la France 1935).

Un Front Populaire, avec les communistes... ? Une idée de Staline, selon Bergery, qui se sent menacé par les allemands et les japonais. Actuellement, « un front populaire ne réunirait que des réformistes sans réforme et des révolutionnaires sans révolution ! » dit-il.

Cependant, Bergery accepte de participer au Front populaire qui se forme sur un programme ; même s'il s'attend aux élections de 1936 à un échec. Il appelle à une ''réconciliation française'' dirigée contre la classe des 200 familles... Mussolini et Hitler doivent trouver en France, un gouvernement jeune, audacieux, et ayant le sens de la grandeur... Nos nations sont sensibles aux prestige des autres...

- Mais, cela ne nous amènera t-il pas à nous mettre au diapason des fascismes ?

- Non, il nous faut sauvegarder la démocratie, et rivaliser en ardeur et en cohésion, afin d'établir avec eux une paix durable.

- Et l'alliance avec les russes ?

- Peut-être ; mais sans heurter l'Allemagne... De toute manière, le Traité de Versailles n'étant plus opératif; il serait temps d'une négociation d'ensemble …

Lancelot lui, n'a pas de doute sur les intentions guerrières d'Hitler. Au mieux on peut, éventuellement, espérer sur une chance de rester hors des nouveaux conflits qui s'annoncent...

Depuis 1933, nous connaissons le contenu de Mein Kampf, mais Hitler refuse une traduction en Français ; cependant réalisée en 1934 par Calmette. Un procès ne permet pas de la publier.

 

Comme nos renseignements nous l'avaient prédit... Prétextant du pacte franco-soviétique, les troupes allemandes occupent la Rhénanie démilitarisée, le 7 mars 1936.

Otto Abetz

 

Lancelot est également informé, des renseignements que nos services peuvent reconstituer sur des allemands présents sur le sol français, en particulier :

Otto Abetz, l'ami allemand de Jean Luchaire a épousé en 1932 sa secrétaire Suzanne de Bruyker. En 1935, Abetz qui a rejoint le NSDAP depuis 1931, est l'homme de confiance de Joachim von Ribbentrop, le conseiller officieux de Hitler pour les affaires étrangères. Agent d'influence en France, il convainc des dirigeants d'associations d'anciens combattants français, notamment Jean Goy pour l'UNC et Henri Pichot pour l'UF de fonder une association française militant pour un rapprochement franco-allemand, en jouant sur les sentiments pacifistes et anticommunistes des Français, tout en exaltant l'œuvre d'Hitler ; son nom : le Comité France-Allemagne , siège social au 94, boulevard Flandrin. Henri de Kérillis n'aura de cesse, de dénoncer les agissements du Comité, en particuliers ceux de Fernand de Brinon et d'Otto Abetz. Le gouvernement, informé bien-sûr, ne tient pas à intervenir pour ne pas fâcher l'autorité allemande.

Aux Jeux Olympiques de 1936 à Berlin, les membres du C.F.A. seront somptueusement reçus. En retour, ils vont s'efforcer de bien accueillir les allemands nazis en France...

 

Le baron von Dincklage, est attaché de presse à l’ambassade d’Allemagne, rue Huysmans. Il participe pour Berlin au financement d'une presse nationaliste et antisémite française, comme le quotidien Le Jour, fondé en 1933 par Léon Bailby.

Avant cela, en 1928, il s'est installé avec sa femme Maximiliana von Schoenebeck, à Sanary, dans le sud de la France. Un modeste village de pêcheurs, découvert par quelques artistes dont Cocteau ; et populaire chez les compatriotes de von Dincklage, pour beaucoup des exilés juifs... En 1933, il se présente comme le représentant national d’une entreprise de caisses enregistreuses, et se rend régulièrement en Allemagne.

Von Dinklage vers 1935

Le baron Dincklage prend ses fonctions à l'ambassade d'Allemagne en octobre 1933. La domestique du couple, Lucie Braun, est membre de la section française du NSDAP, et participe à alerter les services de la Sûreté ( ministère de l'intérieur). On surveille leur train de vie, deux appartements pour ceux qui se disaient réfugiés à Sanary, et on note leurs contacts avec des ingénieurs allemands qui travaillent dans des usines de la banlieue de Paris.

Une cellule nazie de deux , puis trois centaines de membres se réunit au 53, boulevard Malesherbes.

En novembre 1935, les lois de Nuremberg considère Maximilienne von Dincklage comme juive ; le baron avait anticipé et divorcé de sa femme trois mois plus tôt..

 

Le 9 octobre 1934 à Marseille, Le roi de Yougoslavie Alexandre Ier et le ministre français des Affaires étrangères, Louis Barthou, furent victimes d'un attentat commis par un nationaliste bulgare. Dincklage est soupçonné par nos services, d'avoir participé à l'organisation de l'attentat contre le roi venu soutenir la France contre l’Allemagne nazie. Dincklage quitte alors l’ambassade pour Londres, en particulier le Dorchester Hotel à Mayfair, où il retrouve Stephanie von Hohenlohe, amie intime de dirigeants nazis, propagandiste et espionne nazie.

 

Karl Heinz Bremer enseigne l’allemand à la Sorbonne et à l’École normale ; il se dit proche du parti nazi..., ami de Robert Brasillach.

Karl Epting, proche d'Otto Abetz, travaille à Paris depuis 1933, comme directeur du bureau parisien de l'« Office allemand d'échanges universitaires ». Il soutient l'auteur français Céline, et tente, dit-il, de faire connaître Voyage au bout de la nuit, en Allemagne. Il soutient à ses amis qu'une nouvelle guerre est inévitable ; justifié par le « refus permanent des droits vitaux allemands par l’Occident » et sachant que « l’interventionnisme fait apparemment partie du caractère français ». la solution ''autoritaire est la seule qui peut libérer l'Allemagne du « diktat de Versailles ». Karl Epting aime reprendre le terme allemand de '' Auseinandersetzung '' pour expliquer le rapprochement France – Allemagne ; ce terme ambiguë exprime le dialogue par la confrontation ; et «  met chacun à la place qui lui est propre » !

Friedrich Sieburg, est un auteur allemand qui a l'estime des milieux parisiens. Ainsi sa biographie de Robespierre, publiée en allemand en 1935 et presque aussitôt traduite en français chez Flammarion, par Pierre Klossowski (1936). Auparavant c'est '' Dieu est-il français ?'' (Gott in Frankreich ?), publié par Bernard Grasset en 1930, qui obtient un certain succès. En 1933, il publie ''Que l’Allemagne advienne''. Sa vision de la France est celle d'un pays, aimablement arriéré, figé dans l’esprit « latin », qui s'attribue le monopole de la civilisation, animé d’un « esprit de croisade ». En 1933, rival d'André Malraux, il eut une liaison avec Louise de Vilmorin.

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Esotérisme et nazisme

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot rencontre souvent Xavier de Hauteclocque. En plus de ses reportages qu'il distille dans les journaux, et avec beaucoup de détails dans ses livres ; le reporter fait passer à Lancelot des pistes vers des sujets qu'il n'explorera pas, avec des noms de contact, des articles de presse, parfois même des dossiers peu diffusés...

Je note un dossier, sur lequel Hauteclocque était plutôt sceptique, et qu'il considérait même comme assez farfelu ; cependant - connaissant l'intérêt de Lancelot pour les mythes, il lui a laissé assez de renseignements pour continuer la recherche...

 

Deux pistes intéressantes semblent se dessiner d'après les notes de Hauteclocque. L'une concerne l’intérêt de certains nazis pour l'ésotérisme, les mythes germaniques et même le Graal.

L'autre fait état d'un '' Deutsche Glaubensbewegung'' c'est à dire d'un mouvement de la foi allemande, religieux, mais, non chrétien. Ce mouvement qui soutient la concordance entre un peuple et sa foi : une foi ''aryenne nordique'', s'efforce de créer une Eglise aryenne.

 

A Munich, parmi les chefs nazis rencontrés, Hauteclocque a croisé, un officier Karl Maria Weisthor, promu colonel puis général par Himmler, il serait responsable d'un service sur la race et le peuplement (SS Rase und Siedlungsamt) et serait chargé d'édifier le socle traditionnel du nazisme.. !

Lancelot, s'arrange, en Allemagne, pour aller le visiter...

L'homme a soixante-sept ans et il n'est pas attaché à un emploi du temps rigoureux. Il dirige des conférences, des ateliers sur des questions ésotériques. Il a rencontré Himmler en septembre 1933 à Detmold lors d’une conférence de la Nordische Gesellschaft (« Société nordique ») ; il avait été amené et présenté au SS-Reichsfuhrer, par Frieda Dorenberg, membre du parti nazi ( l'une des premières, avant même Hitler...) et de la Société Edda.

Tout cela semble un peu mystérieux... Pourquoi lui, et pour faire quoi ?

- Karl Maria Weisthor ( de son vrai nom : Wiligut ) est un ésotériste distingué, né à Vienne et initié à la « tradition runique » par son grand-père Karl. Il entre dans l’armée austro-hongroise à l’âge de 14 ans et occupe une série de commandements pendant 40 ans de service.

En Allemagne, Weisthor ( qui signifie ''Thor, le guerrier sage'') fréquente des groupes völkisch, se fait connaître...

La Société de l'Edda produit une revue, Hagal, dans laquelle Weisthor écrit, elle met l'accent sur - l'aspect ésotérique des ''runes'', ces inscriptions d'origine germaniques du IIe s. après J.C., censées être conductrices d'une énergie subtile, qui anime l'univers entier, et porteurs d'une ancienne religion, antérieure au christianisme, que l'on pourrait qualifier de ''altantéenne-aryenne''.

En 1933, un ami officier SS, le présente à Heinrich Himmler, lui-même fasciné par les traditions occultes de la vieille Europe... Impressionné par le vieil homme, Himmler l'installe à la tête d’un département nouvellement dédié à l'étude d'une préhistoire des peuples germaniques. Il est chargé d'officialiser une nouvelle religion, néo-païenne, et de décrire ses outils, ses rituels, ses fondements théologiques, historiques....

Lancelot évoque le Graal et le texte de Wolfram von Eschenbach.

- Weisthor se dit très intéressé par le sujet, d'autant que pour lui, l'objet qu'il soit une coupe ou une pierre taillée, appartient à la mythologie germanique, et indûment récupérée par le christianisme … !

Enfin, Weisthor renvoie Lancelot aux travaux en cours d'un jeune homme spécialiste du Graal, Otto Rahn, et au livre qu'il a écrit tout récemment : ''Kreuzzug gegen den Gral'' (1933). Ce qui donne à Lancelot, un nouvel objectif : rencontrer Otto Rahn. La traduction en français par M. Robert Pitrou, professeur à l'Université de Bordeaux, est parue en 1934 : La Croisade contre le Graal. Grandeur et chute des Albigeois.

 

Édouard Daladier (1884-1970) député radical-socialiste du Vaucluse, avait du démissionner après l’émeute du 6 février 1934, et il est en vacance de ministère. Ministre de la Guerre en 1932, Daladier s'est spécialisé dans les questions de défense. Il a dirigé la politique militaire de la France de 1932 à 1934 ; et actuellement tente de rallier les radicaux à la politique antifasciste ; il milite pour un front populaire et un programme commun...

Je rappelle que Lancelot, est employé du Ministère de la Guerre. Daladier demande à Lancelot d'accompagner Melle Edith Bicron en Allemagne ; elle fait partie de son entourage et, grand reporter, écrit dans différents journaux.

Pendant ce court séjour en Allemagne pendant l'été 1935, Lancelot et Edith, réserve un long moment pour une rencontre avec Otto Rahn, à Bad Homberg, flatté de recevoir des journaliste français qui s'intéressent à ses travaux...

Otto Rahn (1904-1939) se définit comme archéologue et philologue.

Enfant, il était fasciné par les histoires de héros germaniques, en particulier par le poème épique Parzival de Wolfram von Eschenbach. Il prenait cela comme de simples contes ; mais en étudiant la philologie à l’Université de Giessen ; il apprit les découvertes de l’archéologue allemand Heinrich Schliemann, qui 60 ans plus tôt avait suivi les indices de l’Iliade d’Homère pour trouver les ruines de l’ancienne Troie, jusqu'à présent considérée comme un mythe.

Otto connaît en profondeur l'œuvre du minnesœnger allemand du moyen âge, Wolfram d'Eschenbach, Parsifal et Lohengrin. 1215, époque où fut écrit Parsifal, est celle des troubadours, comme l'était le « provençal Kyot », inspirateur d’Eschenbach.

Grâce à une étude approfondie de l’œuvre de Wolfram von Eschenbach, couplée à un raisonnement très sélectif, il a conclu que les Cathares ont été les véritables gardiens du Graal. Il identifie à Montségur, à Montsalvatge, le château du Graal chez le poète allemand...

Otto Rhan, parle à la fois le français et la langue d’oc. De 1930 à 1932, à partir d'Ornolac-Ussat-les-Bains, il va explorer le Languedoc, accompagné en particulier du directeur de l’Office de tourisme local, l’enseignant Antonin Gadal. Il a rencontré également la comtesse de Pujol-Murat, qui lui confie être la descendante ( et la réincarnation) de la châtelaine de Montségur, Esclarmonde de Foix, un personnage historique que Rahn assimile dans son livre au gardien du Graal. La comtesse l'autorise à profiter de sa bibliothèque privée, et d’utiliser sa voiture et son chauffeur lors de sa visite.

Rahn se rend à Montségur pour explorer les ruines de l’un des derniers bastions cathares, lors d'un des événements les plus brutaux de la croisade des Albigeois. En 1244, le château a été capturé par les forces catholiques après un siège prolongé, et 200 Cathares impénitents ont été brûlés vifs ensemble dans ce qui est connu comme le « champ des brûlés ». Cependant, la légende locale veut que quatre chevaliers cathares aient réussi à quitter secrètement le château et à s’échapper avec le trésor de l'église cathare, y compris le Graal.

Rahn a trouvé quelques excavations cachées sur le site, mais rien d’autre.

- Vous dites, je crois, que le catharisme est un mouvement germanique dualiste aux racines aryennes ancestrales ; mais, que serait Graal … ?

- Le Graal, selon Wolfram d'Eschenbach est une pierre... Ce pourrait être une pierre gravée, à l'image de nos pierres qui contiennent un message en écriture pré-runique.

- Le Graal ne serait pas une coupe, celle qui recueillit le sang du Christ.. ?

Parsifal 1933

- Jésus de Nazareth ne venait pas instituer une nouvelle religion. L'image du Graal a été prise et déformée par les chrétiens, leur Eglise - après que les peuples germaniques aient renversés Rome, poursuivent de leur haine les chevaliers protecteurs du Graal, qualifiés d'hérétiques...

Lancelot n'est pas convaincu.. ! Otto Rahn reste vague sur ce qu'il aurait découvert, aux alentours du château... Il affirme avoir pu suivre le trajet des quatre chevaliers fuyards, avoir découvert leur cachette... Par exemple, la grotte de Fontanet- on y voit encore un autel – qui a servi de lieu de cérémonie pour les cathares...

Quelques aspects d'Otto, rendent sympathiques ce jeune homme à Lancelot, qui comme lui-même s'est senti interpellé par le Graal... Il en vient à se comparer à ce passionné qui se voue, beaucoup plus que lui-même, à cet objet mythique. Que signifie cela ?

Edith semble avoir été séduite par l'enthousiasme qui habite ce croyant, d'une tradition hermétique dont il est persuadé pouvoir découvrir son secret... !

Depuis mai 1935, Otto Rahn fait partie de l’état-major personnel de Wiligut-Weisthor et travaille comme conférencier au ''Rasse und Siedlungshauptamt '' des SS, sans fonction bien définie.

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1930 - L'Allemagne - 9 - ''La Montagne Magique'' Thomas Mann (suite)

Publié le par Régis Vétillard

Thomas MANN, 1875-1955

Ensuite, Lancelot ose exposer à l'écrivain, la quête dont il est porteur depuis de nombreuses générations; et la lecture de son roman lui semble s'inscrire dans cette même recherche... Pense t-il qu'il est possible de faire le rapprochement...?

Thomas Mann, loin de se montrer sceptique, s'exclame qu'il s'agit tout à fait de cela ....

- Avec celui du temps, qui lui est lié, j'ai tenté d'aborder le thème de ce que l'on appelle en alchimie la '' sublimation '' . En effet, Hans Castorp est un héros ordinaire; pourtant dans l'atmosphère fébrile de sa réclusion hermétique, en haut de la montagne magique, cet homme simple connaît une sublimation qui le rend apte à des aventures morales, spirituelles, et sensuelles...

Le voyage long et sinueux qui conduit Hans Castorp ''là-haut'' est d'emblée comparé à celui d'Ulysse au royaume des ombres... Settembrini, le met en garde contre un séjour prolongé: " Evitez ce marécage, cet îlot de Circé, vous n'êtes pas assez Ulysse pour y séjourner impunément."

S'installe un rituel, au rythme des températures, des '' caprices du mercure ''... De nombreuses allusions parsèment le cours du récit, comme cet élévation de température qui annonce le processus de spiritualisation... Le médecin-chef est présenté comme un allié des puissances supérieures, le second officie en sous-sol, et ausculte les âmes...

Naphta qui s'identifie à Hermès, puis Settembrini délivrent à Castorp une véritable leçon d'alchimie. Clawdia Chauchat, initiatrice à Eros et Thanatos, est vue par Settembrini comme la ''Béatrice'' qui guide le ''chercheur''...

- Pourtant, à la lecture du roman, Joachim, Clavdia Chauchat, Peeperkorn, Settembrini, sont des personnages bien réels...

- Vous me rassurez... Le roman utilise les méthodes du roman réaliste, mais en fait il n’en est pas un. Il passe au-delà du réalisme par le symbolisme, et fait du réalisme un vecteur d’éléments intellectuels et idéaux.

- Les personnages apparaissent au lecteur comme des porteurs de plus qu’eux-mêmes

- C'est cela, en fait, ils ne sont rien d’autre que des représentants, des émissaires de mondes des domaines de l’esprit.

A la sortie du livre, certaines personnes, et beaucoup de gens encore aujourd’hui, le voient comme une satire sur la vie dans un sanatorium pour patients tuberculeux...! Il a même causé une petite tempête dans les revues médicales.

Mais la critique des méthodes thérapeutiques du sanatorium n’est qu’au premier plan du roman. Son actualité réside dans la qualité de ses arrière-plans. Settembrini, rationaliste et humaniste, relève ce qui peut y avoir de malsain dans un tel milieu ; il n’est cependant qu’une figure parmi tant d’autres , une figure sympathique, en effet, avec un côté humoristique; parfois un porte-parole pour l’auteur, mais en aucun cas l’auteur lui-même.

( Thomas Mann, parle de lui à la troisième personne... )

- Pour l’auteur, la maladie et la mort, et toutes les aventures macabres que son héros traverse, ne sont que l’instrument pédagogique utilisé pour l'aider à accomplir une sorte d'initiation, puis une évolution, à partir de ses propres compétences... Et, il semble que la méthode soit la bonne ; en effet, Hans Castorp, au cours de ses expériences, surmonte son attirance innée pour la mort et arrive à une compréhension d’une humanité qui n’ignore pas bien sûr la mort, qui ne méprise pas ce côté sombre et mystérieux de la vie ; mais en tient compte, sans la laisser prendre le contrôle de son esprit.

Ce qu’il comprend, c’est que l’on doit passer par l’expérience profonde de la maladie et de la mort pour arriver à une plus haute santé mentale, de la même manière qu’il faut avoir une connaissance du péché pour trouver la rédemption. « Il y a, dit Hans Castorp, deux modes de vie : l’un est le moyen régulier, direct et bon; l’autre est mauvais, il conduit par la mort, et c’est la voie du génie. » C’est cette notion de maladie et de mort comme voie nécessaire à la connaissance, à la santé et à la vie qui fait de La Montagne Magique un roman initiatique.

 

- Cela va vous intéresser.... C'est étrange que vous m'ayez parlé de ''Quête du Graal'' ...

J'ai reçu un manuscrit d’un jeune chercheur de l’Université Harvard, Howard Nemerov, intitulé « Le héros de la Quête, un Mythe comme symbole universel chez Thomas Mann », et il a considérablement rafraîchi la conscience que j'avais de mon travail... Nemerov place La Montagne Magique et son héros - un homme ordinaire - dans la lignée d’une grande tradition non seulement allemande mais universelle. Il s'agit de la légende de la Quête qui remonte très loin dans la tradition et le folklore. Faust est bien sûr le représentant allemand le plus célèbre de ce genre ; mais derrière Faust - l’éternel chercheur - se cache un groupe de compositions généralement connues sous le nom de Conte du Saint Graal ( ou Holy Grail romances) . Le héros, qu'il se nomme Gauvain, Perceval ou Galaad est ce héros en Quête qui parcourt le ciel et l’enfer, s'y accorde et conclut un pacte avec l’inconnu, avec la maladie et le mal, avec la mort et l’autre monde, avec le surnaturel, avec ce qui est nommé dans La Montagne Magique comme le «questionnable ». Le héros est toujours en quête du Graal, c’est-à-dire toujours ce qu'il y a de '' Plus Haut '': la connaissance, la sagesse, la consécration, la pierre philosophale, le ''aurum potabile '', l’élixir de vie.

Nemerov, et vous encore, déclarez que Hans Castorp est l’un de ces chercheurs. Peut-être avez-vous raison.

Hermann Hendrich, Parsifal

Le Questeur de la légende du Graal, au début de ses pérégrinations, est souvent traité d’imbécile, de grand imbécile, d’imbécile rusé. Cela correspond à la naïveté et à la simplicité de mon héros. C’est comme si une faible conscience de cette tradition m’avait fait insister sur sa qualité.

Le personnage de Wilhelm Meister, de Goethe, n’est-il pas lui aussi un imbécile rusé ? Dans une large mesure, il est identifié à son créateur; mais même ainsi, il est toujours l’objet de son ironie. On voit ici que le grand roman de Goethe, tombe lui aussi dans la catégorie des ''Quester''. Et après tout, qu’est-ce que le Bildungsroman allemand (roman éducatif) - une classification à laquelle appartiennent à la fois La Montagne Magique et Wilhelm Meister - sinon la sublimation et la spiritualisation du roman d’aventure ?

Le chercheur du Graal, avant d’arriver au Château Sacré, doit subir diverses épreuves effrayantes et mystérieuses, comme celle qui se passe dans une chapelle de bord de route appelée l’Âtre Périlleux. Probablement ces épreuves étaient-elles à l’origine des rites d’initiation, les conditions de pouvoir approcher un mystère caché... L’idée de la Connaissance, de la sagesse, est toujours liée à « l’autre monde », et donc du côté de la nuit et de la mort.

Dans La Montagne Magique, on parle beaucoup de pédagogie alchimiste et hermétique, de la transsubstantiation. Et moi-même, naïf comme le chercheur, j’ai été guidé par une tradition mystérieuse, car ce sont ces mots mêmes ( de transsubstantiation) qui sont toujours utilisés en relation avec les mystères du Graal.

Ce n’est pas pour rien que la franc-maçonnerie et ses rites jouent un rôle dans La Montagne Magique, car la franc-maçonnerie est la descendante directe des rites initiatiques. En un mot, la montagne magique est une variante du sanctuaire des rites initiatiques, un lieu d’investigation aventureuse sur le mystère de la vie. Et mon Hans Castorp, le Bildungsreisende, a une ascendance chevaleresque et mystique très distinguée : il est le néophyte curieux typique , curieux dans un sens élevé du terme , qui embrasse volontairement, trop volontairement, la maladie et la mort, parce que son tout premier contact avec eux promet une illumination extraordinaire et une avancée aventureuse, liées bien sûr, à de grands risques.

Ce qu'écrit ce jeune Nemerov, à ce propos est juste; et je viens de le reprendre pour m'aider à vous l'expliquer ... Il m'a beaucoup aidé moi-même à comprendre cette part inconsciente de mon écriture dans ce roman...

Gustav-Klimt-TodLeben- détail

Hans Castorp est un questeur du Saint Graal. Peut-être si on lit mon livre avec ce nouveau point de vue. Peut-être, est-il possible au lecteur de découvrir ce qu’est le Graal...? La connaissance et la sagesse...

Mais le livre lui-même cherche, il interroge... Regardez dans le chapitre intitulé « Neige », où Hans Castorp, perdu sur les hauteurs périlleuses, rêve de l'humanité. S’il ne trouve pas le Graal, il le devine, dans son rêve mortel, avant d’être arraché de ses hauteurs vers le gouffre de la catastrophe européenne.

Il y a l'idée de la conception d’une humanité future qui traverse et survit à l'épreuve terrible de la maladie et de la mort. Le Graal est un mystère, mais l’humanité est aussi un mystère. Car l’homme lui-même est un mystère, et toute l’humanité repose sur la révérence devant le mystère qu’est l’homme. »

Sources : - Thomas Mann, Introduction à la 'Zauberberg',1939 - Conférence à l'université de Princeton.


 

Lancelot retourne à Berlin, pour assister le 20 août 1931, à la succession de M. de Margerie, par André François-Poncet (1887-1978) comme nouvel ambassadeur qui siège à Berlin au 5 Pariser Platz, près de la porte de Brandebourg en haut de l'avenue Unter den Linden. Il a reçu pour mission de coordonner la coopération et le rapprochement économique entre l’Allemagne et la France...

Heinrich Brüning (1885-1970) devenu chancelier d’Allemagne en mars 1930 tente de sortir son pays de la tourmente dans laquelle l'a plongé la crise économique; il souhaite la suppression des conditions du Traité de Versailles.

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1930 - L'Allemagne - 1-

Publié le par Régis Vétillard

Lors d'une soirée, où Anne-Laure de Sallembier est à Paris; elle reçoit son amie Elisabeth de Gramont, Olivier Costa de Beauregard avec Paul Painlevé qui voulait le rencontrer et , par la même occasion, présenter à Lancelot un journaliste et ''collaborateur'' du ministère, Xavier de Hauteclocque.

Costa de Beauregard (1872-1958) est sur le point de créer une association de la noblesse française, en lien avec la noblesse européenne. Le prétexte de cette organisation s'articule autour de l'usurpation patronymique qui s'amplifie par la vente de titres ou même par le changement de nom à consonnance nobiliaire.

Xavier de Hauteclocque

De trois ans, plus vieux que Lancelot, Xavier de Hauteclocque (1897-1935) s'est distingué lors de la Grande Guerre, où il a perdu son père et son frère... Proche de François de La Rocque, Hauteclocque n'en fréquente pas moins les bureaux ministériels, de plus rédacteur au ''Petit Journal''; il a acquis une certaine notoriété, sur les traces d'Albert Londres et Joseph Kessel, en devenant grand reporter en Norvège, en Arabie wahhabite, et a réussit à pénétrer en Russie Rouge, jusque dans des bagnes soviétiques... Actuellement il s'intéresse de près à l'Allemagne, et s'offre d'ailleurs le luxe de parler allemand, avec un léger accent hongrois... Xavier de Hauteclocque s'interroge sur l'avenir du parti d'Adolf Hitler et sa particularité, dans le paysage politique européen... Il espère être admis à fréquenter ses adhérents...

Le réseau de familles nobles européennes permettra à Hauteclocque d'infiltrer le nouveau parti national-socialiste allemand. On parle, parmi les plus connus, de Philippe de Hesse-Cassel...

Ce doit-être à cette époque que Painlevé propose à Lancelot un travail régulier et reconnu dans les services de renseignements du ''2ème bureau'' de l'Etat-Major. Sa pratique de la langue allemande, son réseau mondain, sa discrétion et aussi son goût du ''chiffre'' vont lui permettre en toute discrétion la poursuite de ses contacts avec des acteurs de la culture allemande. Son contact opérationnel sera le commandant Louis Rivet, stationné à Belfort...

A partir de 1930, Lancelot va donc se rendre régulièrement en Allemagne pour des raisons culturelles...

Affiches de 1930 anti-Plan Young

Alors que se termine la deuxième conférence de La Haye sur les réparations allemandes, avec l'adoption définitive du plan Young; Hauteclocque rappelle que l'Allemagne va devoir payer à peu près deux milliards de marks par an, jusqu'en 1988; alors que le nombre de chômeurs dépasse les 3 millions...!

Les deux chefs nationalistes, Adolf Hitler (NSDAP) et Alfred Hugenberg (DNVP) ont constitué, avec d'autres organisations de droite, un Front national de lutte contre le plan Young. Heureusement, pour l'instant le référendum et le projet de « Loi contre l'asservissement du peuple allemand », soumis au Reichstag, ont été repoussé; mais jusque à quand?

Hauteclocque semble inquiet...

Les Amis du Livre français, dont fait partie Elaine, s'est réuni chez la duchesse de Broglie pour entendre une conférence des plus spirituelles et des plus documentées faite par le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur de Fance, avec son érudition habituelle, sur '' La diplomatie en 1830 ''. Saint-Aulaire, sympathisant de l'Action française, et admirateur de Talleyrand, vante à Lancelot, les fonctions de diplomate... Talleyrand était un partisan résolu de la paix et de l'équilibre européen, Bonaparte ne l'a pas assez écouté...

Saint-Aulaire s'en prend à un parallèle diplomatique lu dans la presse, entre ''Herriot et Talleyrand'', qui présenterait une vision libérale, et ''Napoléon-Poincaré'' qui représentait la voie de l'inflexibilité... Il insiste : Talleyrand pariait sur un équilibre européen et monarchique.

Pour ce qui est du Congrès de Vienne, le conférencier rapporte de nombreuses anecdotes …

Lors de cette conférence, Elaine s'étant entretenue avec la baronne de Brimont, elle tient absolument à la revoir avec Lancelot. En effet, elles échangeaient sur la poésie, et évoquaient le poète Lubicz-Milosz qui parle du poids du mot '' père de l'objet sensible'' ou comme Valéry le dit du mythe, qui est: ce qui a le mot ( ou la parole) pour cause... Cet homme, Milosz qui a été le premier représentant diplomatique de la Lituanie en France, se consacre à présent à l'écriture et rêve de reconstruire une élite spirituelle qu'il imaginait même en son début au sein de la SDN ...!

Renée de Brimont, qui connaît Milosz depuis 1915, va leur faire connaître cet homme diplomate et philosophe qui prophétise des catastrophes, auteur de ''Ars Magna '', et ''Les Arcanes'' et anti-moderne. C'est un mystique, un alchimiste, dit-elle... Un chercheur de mots, de rythme pour déboucher sur du mystère...! Son obsession, trouver l'âme des mots...

Milosz, de haute stature un peu voûtée, se rattache à un christianisme primitif, et dans le prolongement de l'action théosophique, il évoque le projet d’un Ordre du Saint Graal.

Ils sont plusieurs à penser que seule une catholicité nouvelle, c’est-à-dire universelle, et la monarchie permettraient d’inverser cette décadence occidentale...

Malheureusement, le milieu catholique n'est pas prêt; la vogue du thomisme, l'époque nouvelle qu'amorcent 1930 et 1931... n'est pas bien favorable à sa réalisation... Les pères Félix Anizan (1878-1944), le père Clavé de Otaola, puis le père Huriet ( prédicateur à Notre -Dame de Paris) qui est son confesseur l'orientent vers d'autres directions...

Guénon, Milosz se sont rencontrés chez la baronne Renée de Brimont, et se sont vus à la librairie Chacornac, ils se connaissent donc.

Le spectre noir...

 

En février 1930, Lancelot se rend à Berlin, et se présente à l’ambassadeur Pierre de Margerie. Le diplomate se plaint de l'ostracisme allemand envers les français... Des commerçants ne craignent pas d'afficher " Franzosen und Berlgier nicht erwünscht" (les français et les belges ne sont pas les bienvenus)...

C'est pour lui l'occasion de faire un inventaire des liens franco-allemands organisés, comme le Comité Mayrisch regroupant une élite économique; représenté à Berlin par Pierre Viénot. Il retient particulièrement deux structures largement publiques qui peuvent devenir influentes: - L'association francophile Deutsch-Französiche Gesellschaft fondée en 1928 par Otto Grautoff  (1876-1937) ( la DFG fut dissoute avant la Seconde Guerre mondiale. Grautoff, ayant choisi d'émigrer, décéda à Paris en 1937.). Parmi les membres fondateurs de l'association, on trouve Thomas Mann, Otto Dix, André Gide, Georges Duhamel, Albert Einstein et Konrad Adenauer.) et – le cercle de Sohlberg (Sohlbergkreis), fruit d'une première rencontre qui a lieu sur le Sohlberg à l’été 1930.

La DFG, organise, à Berlin, des ''thés'' une fois par mois, avec des français de passage, au programme conférences, lectures ou petits concerts. Lancelot va y rencontrer ainsi Edmond Jaloux (1878-1949) qui lui parle avec ferveur de R.M. Rilke. Petit à petit le caractère mondain des thèmes fera place à des sujets plus politiques...

A Mannheim, du 16 au 21 septembre 1930, se tient le «Congrès des étudiants républicains et socialistes d'Allemagne et de France» organisé en particulier par la LAURS. Lancelot y croise des personnes qui fréquentent la DFG, un groupe d'Etudiants pour la Paneurope et même le mathématicien Ludovic Zoretti connu pour son engagement socialiste et pacifiste, et Félicien Challaye professeur de philosophie à Condorcet

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