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1948

1948 – Du chaos allemand à la RFA

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot rentre, bien après Döblin, à l'Ouest. Il fait le voyage de retour à l'occasion de la Conférence de Rittersturz, à Coblence ; et se retrouve dans le même avion que Louise Schroeder. Les ministres-présidents des onze Länder ouest-allemands se réunissent du 8 au 10 juillet 1948. Les partis politiques étaient représentés. Ils vont adopter l’idée de la création d’un État fédéral réunissant les Länder des zones d’occupation occidentales.

ll s'agit donc bien de reconnaître la scission avec la zone soviétique, mais de façon provisoire...

Le Spiegel, va critiquer fortement l'intervention de Louise Schroeder : '' Espérant encore parvenir à un accord en vue de l’unification du pays, la maire de Berlin, trouve prématuré d’envisager l’inclusion de Berlin-Ouest dans la République fédérale.'' Ernst Reuter reviendra sur cette position huit jours plus tard, dans le cadre de la conférence de Niederwald.

 

Le Figaro du 8 Octobre 1947, écrit ceci , dans un article titré : '' … le chaos allemand : En plein imbroglio : « c’est avec un certain recul seulement qu’on se rend compte de l’intolérable chaos qui règne à Berlin. Il y a à Berlin un maire empêché, un maire intérimaire et un maire en réserve. Le premier, M. Reuter, a été nommé par le Conseil municipal, mais refusé par le veto russe lors de la réunion des quatre généraux commandants de Berlin. M. Reuter est un transfuge communiste, devenu socialiste : les Russes ne l’admettent pas. Le maire intérimaire est une femme socialiste, Mme Schroeder, effacée et présente comme l’exigent ses fonctions provisoires ; le maire en puissance, député socialiste et expert économe, M. Suhr, réserve ses forces et refuse le poste, certain de ne pouvoir aller qu’à un échec. J’ai parlé à chacun de ces personnages, M. Reuter, coléreux et ironique, m’a dit : « Nous attendons que les Alliés se mettent d’accord » ; Mme Schroeder a soupiré : « Hélas ! » ; M. Suhr, un Allemand du Nord, au langage pointu, m’a dit : « J’aimerais mieux être pendu que maire de Berlin. Ce qui seul me préoccupe, c’est l’avenir économique de l’Allemagne, mais rien ne peut être fait tant que les Alliés ne s’entendront pas. » Et les chefs de parti que j’ai interrogés ont entonné le même leitmotiv.

Discordes alliées

Berlin est en effet le théâtre des luttes partisanes aussi bien que des explications orageuses du Conseil allié quadripartite, et il n’y a certes plus un Allemand qui puisse ignorer aujourd’hui la grave partie qui se joue. Chaque grande puissance dispose comme instrument de lutte d’un ou de deux partis allemands. L’U.R.S.S. règne sur le S.E.D. (parti ouvrier unifié), la Grande-Bretagne protège les socialistes ; les Etats-Unis patronnent socialistes et chrétiens-sociaux, qui forment généralement dans les « Laender » de sa zone des coalitions assez cohérentes. Le S. E. D. est interdit à l’Ouest; les socialistes à l’Est ; leur point de rencontre et de friction demeure Berlin, où les journaux de chaque parti se déchaînent, injuriant l’adversaire au moyen d’un vocabulaire qui rappelle à s’y méprendre celui de feu les nazis. » Dominique Auclères. 

 

Le blocus est levé le 12 mai 1949, à la suite d’un accord quadripartite, mais la question allemande reste entière et une conférence à quatre, prévue le 23 mai, pourrait permettre de préciser les points suivants : création de deux municipalités différentes à Berlin, création de deux États allemands, Berlin-Ouest deviendrait-elle une enclave occidentale en territoire est-allemand ?

À la fin du blocus, les Occidentaux ont effectué 278 228 vols et importé 2 231 600 tonnes de fret vers Berlin-Ouest. Ces performances, et l'estime croissante qu'elles a suscité, en faveur des alliés ont contribué à l'échec du blocus de Berlin par Staline.

 

Lancelot a suivi la Conférence des quatre, qui s'est ouverte à Paris le 23 mai, au palais de marbre rose de la duchesse de Talleyrand-Perigord ( qui avait décoré toutes les pièces de fleurs magnifiques...), entre les  les ministres des Affaires étrangères : MM. Dean Acheson, Ernest Bevin et Robert Schuman, d’une part, M. Andréi Vychinski, de l’autre. Ils vont s’efforcer de préparer un traité de paix, et un avenir avec l’Allemagne.

Finalement, ce n'est que le 21 juin 49, que s'est terminée la Conférence. On ne peut pas parler ni d'échec, ni de réussite. « Les « Quatre » se sont accordés là reconnaître leur désaccord sur le sujet de l’unité politique et économique de l’Allemagne. Non seulement ils n’ont fait aucun progrès dans la voie de l’unité, mais ils ont même renoncé à fixer les règles du fameux modus vivendi, dont les diplomates nous rebattaient lès oreilles depuis quatre semaines. Il va subsister à Berlin deux municipalités et deux monnaies ; en Allemagne deux gouvernements, deux idéologies, deux monnaies, deux polices. » Raymond Aron

Les plus optimistes avec R. Aron diront : Nous sommes soulagés de constater que ni l’un ni l’autre des deux « Grands » n’a la moindre intention de recourir aux armes pour l’instant.

Ensuite, la création d'une Allemagne fédérale occidentale, va se rajouter à un gouvernement démocrate-chrétien en Italie, à la fin de l’inflation en France, au Pacte atlantique, tout cela pour en finir avec l’obsession de la menace communiste.

Cette ligne de démarcation tracée au milieu de l'Allemagne sera t-elle le signe d'une chance de coexistence pacifique et prolongée ?

D'autres auront du mal à se résoudre à la réalité de deux Allemagnes : la République fédérale d'Allemagne (RFA) est proclamée le 25 mai 1949 sur les trois zones occidentales. Les Soviétiques répliquent le 7 octobre 1949 avec la création de la République démocratique d'Allemagne (RDA) à l'Est. La fin du blocus, vient sceller un '' rideau de fer '' entre le bloc de l'Ouest pro-américain et un bloc de l'Est soviétique, et la continuation d'une Guerre froide.

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1948 - Le Blocus de Berlin-ouest – 2

Publié le par Régis Vétillard

Le 28 juin, 150 avions atterrissent avec 400 tonnes de ravitaillement, le trentième des besoins quotidiens des habitants. Puis, des milliers d’avions se relaient pour transporter vivres, charbon et médicaments dans la capitale allemande.

Aux heures de pointe, un avion atterrit toutes les 2 ou 3 minutes secondes à Tempelhof, Gatow et Tegel (un troisième aéroport rapidement construit en zone française.).

Une escalade peut conduire à la guerre. Pour les berlinois, l'agression est soviétique. Iraient-ils jusqu'à abattre les avions américains ?

Le pilote américain Gail Halverson a l’idée de fabriquer des mini-parachutes à partir de vieux parachutes, qu’il lâche pendant l’approche. Des bonbons pour les enfants et les jeunes qui observent les opérations aériennes y sont attachés.

 

Berlin reste bloqué, ''alliés'' et soviétiques maintiennent leurs positions. Combien de temps pourra t-on tenir ? L'hiver permettra t-il d'assurer le ravitaillement satisfaisant ?

Si les Soviétiques empêchent les communications aériennes avec Berlin, ce sera la guerre. Lancelot n'y croit pas.

Si les russes ne cèdent pas : - Pourquoi ne pas forcer le blocus ? En cette période, l'URSS a l'avantage d'une armée mobilisable et en nombre : on parle de 200.000 soldats, stationnés en Allemagne de l'est, alors que les USA, l´Angleterre et la France viennent de démobiliser leurs forces.

Les Etats-Unis n'ont en Europe que quelques rares "unités de combat", à peine 30.000 hommes, confie le Général Noiret.

Notre avantage est que les Etats-Unis possèdent la bombe atomique... De source sûre, Lancelot apprend que Truman, prévoit de déployer trois escadrilles de bombardiers stratégiques B-29 de l’USAF au Royaume-Uni.

Sinon, - un compromis ne sera pas en notre faveur.

 

Les Occidentaux parviennent à contourner le blocus au moyen d’un pont aérien massif : plusieurs centaines d’avions par jour, la construction d’un troisième aéroport en secteur français (Tegel). L’objectif des premières semaines du pont aérien est d’assurer un volume quotidien de 4.500 tonnes de marchandises. À l’automne 1948, les Alliés le rehaussent à 5.000 tonnes quotidiennes. Le charbon, qui doit garantir l’approvisionnement en énergie, représente une grosse partie de ce tonnage.

L'efficacité exceptionnelle des puissances occidentales et la participation de la Grande-Bretagne, de pilotes d'Australie, du Canada, d'Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, et de la France ; est largement utilisée à des fins médiatiques. utilisent largement cette à des fins médiatiques.

La ville devient le symbole du combat pour la Liberté. Des hommes politiques et des intellectuels occidentaux se succèdent à l'aérodrome pour manifester leur soutien.

Les berlinois sont reconnaissants de n'être pas renvoyés à leur passé nazi, et fiers de représenter le combat pour la liberté et la démocratie, et les Etats-Unis deviennent une puissance protectrice.

Les jeunes allemands acclament les avions du pont aérien, surnommés les « Rosinenbomber » (les « bombardiers de raisins secs »).

L’URSS, ancienne alliée, devient une menace pour la paix et le nouvel ordre international.

 

Alfred Döblin, rentre bien avant Lancelot à Baden-Baden.

Döblin semble désabusé. Il n'accepte pas cette partition de Berlin. Il est à la fois anticommuniste et antibourgeois. Sa vision culturelle débouche sur une action spirituelle. « Élever l’esprit, cela exclut tout ce qui est contraire à la liberté de pensée. La littérature dirigée, pour moi, est le témoignage épouvantable de la misère contemporaine. Les talents sont étouffés, le sens épique dévoyé par une morale imposée de force et une fois pour toutes. Nos écrits ont tout à perdre, quand ils sont soumis aux prescriptions d’une bureaucratie... Mais un écrivain qui, aujourd’hui, n’a aucune foi, est encore moins désirable ... Thomas Mann, voyez- vous, c’est la décadence artiste et athée d’un esprit bourgeois désormais inadmissible. On peut vivre sans foi aucune, je le sais, ... Mais alors le vent de la vie n’entre plus dans votre chambre et, qu’on le veuille ou non, c’est la mort, l’asphyxie à bref délai... D’où le nom de ma revue Das Goldene Tor. »

Lancelot se souvient d'une discussion à propos de Kierkegaard et sa recherche de la vérité. En effet, le philosophe danois met à bas la certitude selon laquelle la vérité peut être obtenue par les sciences. L’objectivité n’est pas exacte ; au mieux, elle fait preuve de neutralité et propose un cadre de réflexion. C’est donc un renversement de la pensée que prône Döblin sous la tutelle kierkegaardienne, en prônant la subjectivité et le renversement des savoirs acquis : « Pour atteindre l’absolu, il faut transgresser le confort, fût-il moral, l’aménagement bourgeois de la finitude. ».

Döblin, confie à Lancelot son désir d'écrire un roman dont le héros, revenu de la guerre avec une jambe en moins, rejetterait toute convention de la vie mondaine. Seule, la Vérité, pourrait lui venir en aide.

Lancelot interroge Döblin, sur la ''Vérité'' selon Kierkegaard. Il répond, mais préfère avertir qu'il ne parle pas selon le discours scientifique. La Vérité ne concerne que les personnes ; la science en appelle à l'objectivité, et la raison s'y prête... C'est à dire, elle se prête à raisonner selon un mode d’accès au réel, parmi d'autres – c'est une question de convention entre scientifiques, Non ? D'ailleurs, si tu appelles Vérité, une vérité objective ; tu te dois de te l'approprier, pour qu'elle devienne ta vérité.

Lancelot se souvient aussi de cette remarque de Döblin:

"Tu me parlais d'Elaine, ta chère et tendre, disparue. Disparue...? Pourtant, aucun élément atomique qui la constituait n'a réellement disparu !"

Mardi 6 juillet 1948, Lancelot lit dans le Figaro que Bernanos est mort ! Un peu plus tard, il rencontrera Béguin, qui l'avait vu auparavant alors qu'il venait d'être opéré de la vésicule biliaire. Il regrettait de ne pas pouvoir se consacrer plus à l'écriture de romans : « j'en ai une douzaine en tête. » disait-il.

Il se sentait une vocation à « contraindre les aveugles à voir et les sourd à entendre » ; aussi il s'efforçait de nous convaincre de sa lecture des ''signes des temps''. Il se plaignait, parait-il, de ces autres Donissan, Cénabre, autres Mouchette, et autres Quine qui hantaient ses sommeils... !

Qui, plus que lui, à notre époque, pouvait être désigné comme ''chevalier du Graal'' ? Sa quête s'appuyait sur sa foi en Christ.

Il est certain que la mort ne nous privera pas de lui. Nous continuerons sa Quête, qui nous rejoint, en relisant le ''Journal d'un curé de campagne'' par exemple.

( Bernanos est mort le 5 juillet 1948 vers cinq heures du matin, à 60 ans. Il était rentré de Tunisie en France pour y être, si possible, soigné. )

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1948 - Le Blocus de Berlin-ouest – 1

Publié le par Régis Vétillard

Donc, le 20 mars 1948, le représentant de Moscou au Conseil de contrôle était parti en claquant la porte. Sokolovsky avait annoncé qu'une réforme monétaire occidentale, amènerait la réalisation immédiatement d'une réforme monétaire dans la zone soviétique. Dans ce cas, la direction soviétique exigerait d'intégrer l’ensemble de la ville dans le système financier et économique de la zone soviétique...

 

A l'annonce de la naissance du Mark, le 18 juin 1948, le maréchal Sokolovsky dans une proclamation publique au peuple allemand, déclare que les accords de la déclaration de Potsdam qui prévoyait que l'Allemagne soit considérée comme un tout économique a été violée ; et que la nouvelle monnaie n'aura aucune valeur dans la zone soviétique et dans le Grand Berlin.

Sokolovsky suspend également le trafic routier et ferroviaire de passagers à destination et en provenance de Berlin et réduit le trafic de fret censé protéger la zone soviétique de l'afflux de l'ancienne monnaie dévaluée.

Staline décide de frapper un grand coup notamment pour faire basculer la capitale de l’Allemagne dans le camp communiste et tester la détermination du camp occidental.  Il est persuadé que les américains ne prendront pas le risque d’engager une guerre avec l’URSS pour défendre leurs anciens ennemis.

Le Blocus de Berlin-Ouest. Le 23 juin, les troupes soviétiques encerclent Berlin et empêchent désormais tout ravitaillement de la ville. Ils introduisent à leur tour une nouvelle monnaie dans leur zone, ils interrompent la fourniture du courant électrique aux secteurs occidentaux, le centre de distribution étant dans leur secteur. Le lendemain, ils bloquent toute circulation par route, chemin de fer et canal qui relient Berlin au reste de l'Allemagne. Seuls les trois corridors aériens permettent aux forces occidentales d’accéder à Berlin-Ouest.

Le 24 juin 1948, Berlin-Ouest est isolée du reste du monde. Va t-on abandonner Berlin aux soviétiques ?

Berlin et ses 2 millions de berlinois de la zone ouest - avec ses champs de ruines, le rationnement, l'électricité coupée- ne bénéficient, au mieux, que d'un mois de nourriture.

 

A Berlin, le 25 juin ; Lancelot écoute les berlinois qui se demandent si ce blocus peut être maintenu indéfiniment ? C’est ce que laisse entendre, ce matin, la presse allemande sous licence soviétique qui cherche à créer la panique en faisant entrevoir la famine et le chômage aux deux millions et demi d’Allemands qui vivent dans leur ancienne capitale, mais sous la surveillance et la tutelle des autorités françaises, américaines et britanniques. 

Le bourgmestre de Berlin-Ouest, Ernst Reuter supplie les alliés de porter secours aux Berlinois touchés par le blocus et menacés à plus ou moins brève échéance de famine si on ne réagit pas rapidement.

Les Occidentaux refusent de quitter Berlin. Mais, que peut devenir une telle enclave au cœur de l'Est ? Quel futur pour cette ville coupée en deux ?

Les américains qui sont les seuls à en avoir les moyens matériels ripostent en organisant un gigantesque pont aérien. Après deux jours, les premiers avions atterrissent à l’aéroport de Tempelhof.

Les Russes commencent déjà à souffrir eux-mêmes des mesures qu’ils ont prises. La zone soviétique commence à manquer d’électricité. Une grande partie des usines thermiques d’énergie de la zone russe dépend du charbon de la Ruhr, dont cette zone recevait 300 000 t. par mois, et les livraisons sont interrompues depuis quelques jours...

Autre sujet d'inquiétude : on redoute l'agitation ouvrière dans les trois secteurs alliés: une grève générale mettrait l'ordre public en danger et pourrait provoquer une intervention soviétique dans les secteurs de l'ouest pour "rétablir l'ordre". Un très haut fonctionnaire américain de la section politique disait à Lancelot que les Soviétiques distribuent déjà dans leur zone des brassards rouges avec l'inscription, en allemand et en russe, "Opfer des Faschismus" à des troupes de choc stylées qu'ils peuvent à tout moment faire entrer dans Berlin.

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1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 3

Publié le par Régis Vétillard

Le Deutsche mark est né, le 20 avril 1948.

Une douzaine d'experts financiers allemands travaillent sur les plans de la réforme monétaire. Le 20 avril 1947, ils sont convoqués par le général Lucius Clay, gouverneur militaire de la zone d'occupation américaine, à Bad Homburg. À leur grande surprise, un groupe de personnes en soutien (secrétaires, traducteurs, cuisiniers et même un coiffeur) se sont également présentées au point de rendez-vous. Un bus de l’armée avec des fenêtres aveuglées les a tous transportés dans une caserne militaire sur un aérodrome à Rothwesten près de Kassel.

Ils apprennent l'objet du voyage: la création d'une nouvelle monnaie. Ils ont été totalement coupés de tout contact extérieur, derrière des barbelés électrifiés, principalement pour cacher aux Soviétiques la réforme imminente dans les zones d’occupation occidentales.

Konklave - Bad Homburg

Les experts entendent un jeune lieutenant américain, Edward Tenenbaum (26 ans) , fils d'immigré juif allemand, leur exposer la réforme concoctée à New York par Joseph Dodge, président de la Detroit Bank and Trust Co. Les experts allemands se rendent compte que leur influence ne se porte que sur les aspects pratiques. Les américains ont déjà choisis le nom de deutsche mark et imprimé depuis l'automne 1947, aux États-Unis, les nouvelles coupures.

Tenenbaum, dirige l’opération « Bird dog » qui a amené en Allemagne – dans le secret de février à avril 1948 – les billets de la nouvelle monnaie. Vingt-trois mille caisses sont arrivées par bateaux à Bremerhaven, transportées par trains spéciaux dans les caves de la Reichsbank à Francfort avant d'être répartis dans les trois zones occidentales.

Depuis la fin de la guerre, les marchandises sont restées très rares. La nourriture et d’autres biens ne sont disponibles qu’en petites quantités et uniquement par le biais de coupons alimentaires. Avec les nazis qui actionnaient la planche à billets, l’argent était disponible en abondance, ce qui a conduit à une inflation refoulée et a rendu le Reichsmark presque sans valeur. La réforme monétaire vise à éliminer le surplus monétaire et à jeter les bases d’une économie de marché viable.

Foule au bureau de change

 

Le général Clay avait initialement fixé au 1er juin 1948 la date de la réforme de la monnaie dans la Bizone.

Lancelot envoie plusieurs courriers pour insister auprès de Schuman, et précipiter l'accord de l'Assemblée Nationale, pour que la France adhère à la Réforme monétaire. Les débats sont difficiles, les députés s’arc-boutant sur les réparations de guerre à exiger de l'Allemagne.

Finalement au dernier moment, le 17 juin, l'Assemblée française ratifie les accords de Londres sur l'avenir de l'Allemagne.

La Sarre qui constitue un État "indépendant et souverain", sous protectorat français, ne fait pas partie de la Trizone.

Le Deutsche Mark est né. Le vendredi 18 juin, les Allemands vont apprendre la nouvelle par la radio : le dimanche 20, ils devront échanger leurs Reichsmarks sans valeur contre les nouveaux billets (10 anciens Reichsmark pour 1 nouveau Deutsche Mark.).

 

Lancelot et Döblin sont logés, dans un bâtiment, avec mess, réservé aux officiers de passage à Heiligensee, une charmante petite ville aux abords d'un lac et située dans la proche banlieue nord-ouest de Berlin en zone administrée par la France.

Berliner Luftbrücke - Eine Stadt als Geisel -

Ils faisaient fréquemment, dans une voiture de service à leur disposition, la traversée de Berlin.

La frontière avec la zone soviétique est bien gardée par des "Vopos" (police allemande sous tutelle soviétique) ou des gardes rouges. Leur chauffeur, allemand, les fait traverser traverser un coin de la zone soviétique, pas seulement pour gagner du temps. Après un rapide contrôle, les Russes, les laissent faire à condition, disent-ils, de ne pas descendre de la voiture, ni de prendre de photos !

A l'occasion de ces trajets, on peut observer les difficultés que doit éprouver le peuple allemand pour assurer sa subsistance. Ainsi, ils remarquent que de nombreux berlinois cultivent dans, les trous de la chaussée et dans les jardinières de leurs fenêtres d'appartement non pas des fleurs, mais des légumes.

 

Alfred Döblin reste très attentif à ce qui se passe dans la zone soviétique, Lancelot remarque même un élan de sympathie pour le projet communiste, même s'il regrette la trop grande influence russe sur le processus.

SED

L’URSS s'est très vite engagée, dans sa zone, à imposer un bouleversement politique, économique et social : la réforme agraire, la nationalisation de l’industrie clé, la transformation du système éducatif... Dès avril 1946, le KPD et le SPD, sont forcés à s'unir pour fonder le SED ( Le Parti socialiste unifié d’Allemagne ). Une motivation majeure tient au souvenir que la scission des opposants de gauche d’Hitler au parlement de la défunte République de Weimar, avait été l’une des principales causes du transfert du pouvoir au NSDAP... La direction du parti est collégiale avec les sociaux-démocrates et les communistes.

 

Döblin a suivi avec intérêt la deuxième Convention Nationale du SED, en septembre 47, le parti déclarait que la «lutte pour l'unité de l'Allemagne» était la «tâche principale du parti». Une campagne de propagande avec pétition est organisée dans toute l'Allemagne.

Dans la zone soviétique, l’anniversaire de la "révolution de Mars" 1848 est particulièrement célébrée.

Lancelot argumente son avis que les Soviétiques ne souhaitent promouvoir une Allemagne unie et démilitarisée, que pour avancer vers l'évacuation des troupes alliées occidentales, et finalement , laisser les mains libres à l'URSS de contrôler l'Europe occidentale.

Présentement, l’Union soviétique veut contraindre les Occidentaux à quitter Berlin, enclave au sein de la zone soviétique.

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1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 2

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot et Alfred Döblin arrivent à Berlin, enclave en zone d'occupation soviétique. Ils sont de suite frappés par des paysages de ruine, avec l'image de ces femmes, les « trümmerfrauen » ( les femmes des ruines) qui nettoient les décombres, récupèrent les briques des immeubles détruits, des planches de bois utilisables, empilent les pierres dans les rues. Les tas sont comptés, et chaque soir ces femmes reçoivent de quoi survivre. Des hommes les aident, ils récupèrent de lourdes barres de fer des décombres, enlèvent les pierres avec des camions.

Cependant, Lancelot pense apercevoir l'action d'un esprit optimiste de reconstruction, et malgré un approvisionnement difficile.

Beaucoup de débrouille et du troc, et des cigarettes comme monnaie d’échange.

Pour Döblin, ces retrouvailles, avec une ville dont il peine à deviner les contours d’antan, sont déchirantes: « j’arrivai sur le Kurfürstendamm. Cela avait été une large avenue plantée d’arbres, un boulevard qui s’étirait jusqu’à Halensee, bordé d’immeubles somptueux, de cinémas et de brasseries. Et maintenant ? (…). Le trottoir est partout éclaté, la pression des bombes a déplacé les carreaux. L’on aperçoit une tour dominée par une pointe ronde et noire. Cette ruine est la Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche, totalement carbonisée, une épave complètement trouée. Le Romanische Café est ouvert, l’on peut y entrer si l’on veut ; il s’ouvre entièrement vers l’extérieur. De la rue, l’on aperçoit les salles du fond, le premier étage. Et là, il y avait un cinéma. Je ne retrouve plus sa place ; il montrait la Première d’un film adapté de mon « Alexanderplatz »

Son Alexanderplatz est en ruine: lieu fondateur de son œuvre, et sa perte : sa Heimatlosigkeit, son absence de patrie irrévocable.

 

En 1931, Lancelot et sa compagne Elaine, étaient venus jusqu'à Berlin, ils y avaient revu Xavier de Hauteclocque ( 1931 - L'Allemagne - 7 - Berlin) ) et ils logeaient au prestigieux hôtel Adlon. Aujourd'hui l'hôtel, épargné par les bombes, mais incendié par les russes, est clos.

Berlin est administrée par la '' Kommandatura '' interalliée, le ''Conseil de Contrôle '' en est l'organe directeur ( le gouvernement) composé des quatre officiers généraux commandant les quatre secteurs de Berlin. En soutien, les alliés se préoccupent de restaurer une administration municipale allemande.

Hôtel Adlon - 1945

Louise Schroeder, sociale-démocrate âgée de 60 ans, est maire intérimaire en mai 1947. Elle parut plus consensuelle que Ernst Reuter, élu. Elle apparut comme sa remplaçante idéale lors de l’invalidation de l'élection de Reuter par les Soviétiques. Elle fut la plus jeune parlementaire de l’Assemblée nationale de Weimar, et siégea au Reichstag en 1920. On la surnomme  « mère de Berlin » par les médias (« die Mutter Berlins »), repris par l'Est en sobriquet familier de « Mutter Schroeder ».

Au Berliner Zeitung ( Berlin Est), Schroder se défend de chercher une paix séparée avec l'ouest : elle y déclare : « Seule une paix avec l’ensemble de l’Allemagne est acceptable pour la social-démocratie »

 

Revenons, au 20 mars 1948 : les représentants soviétiques quittent la réunion du Conseil de Contrôle, et les instances de la Kommandatura. Quelles en sont les raisons ?

Déjà, en février 1948, les communistes se sont emparés du pouvoir en Tchécoslovaquie, c'est ce qu'on appelle : '' le coup de Prague''

Le coup de Prague

Aussi, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et les Etats du Benelux se sont réunis à Londres entre le 23 février et le 6 mars 1948 pour une nouvelle conférence : la ''conférence des Six'', qui se prononça entre autre en faveur d’un gouvernement fédéral en Allemagne occupée de la trizone, et de lui faire accepter le Plan Marshall.

Le 1er mars 1948, est créé la Bank deutscher Länder (BdL) (Banque des Provinces allemandes). La banque aura la responsabilité de la nouvelle monnaie allemande, lorsque le Deutsche Mark pourra être introduit.

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1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 1

Publié le par Régis Vétillard

Au début mai 1948, son ministère accepte que Lancelot soit mandaté par Robert Schuman, pour effectué une mission à Berlin. Il s'agirait d'un rapport afin d'étudier les conditions d'une partition de l'Allemagne en deux états.

La position française du gouvernement français ( avec Bidault, par exemple) vis à vis de l'URSS, était la même que les britanniques, à savoir que le danger russe était « certainement redevenu aussi important sinon supérieur au danger que représentait une Allemagne renforcée. ». Il s'agissait donc de reconstruire les zones occidentales aussi rapidement que possible et sans tenir compte des agissements soviétiques.

Les américains ont annoncé le 1er janvier 1947, l’unification économique des zones américaine et britannique en une zone unique ( bizone ) et plaide en faveur de la « formation prochaine d’un gouvernement provisoire allemand »

La politique française n'est pas encore clarifiée à l'égard de l'Allemagne: L'Allemagne doit-elle se suffire à elle-même, être privée de la majeur partie de son potentiel industriel en démontant ses usines et en la privant de la Ruhr et de la Sarre, et en plus doit-elle payer des réparations aux vainqueurs en même temps ?

En juin 1947, le général George C. Marshall, proposait un programme de reconstruction européenne, le Plan-Marshall. Début 48, nous considérons que les soviétiques n'ont pas abandonné l’idée de contrôler l’ensemble de l’Allemagne.

 

Lancelot rejoint Baden-Baden et son gouvernement militaire qui conserve l'essentiel des pouvoirs économiques et administratifs. La politique de '' démocratisation '' ou de dénazification pose quelques problèmes ; du fait d'une conception missionnaire qui impose des cadres inspirés du modèle français. L'administration est de plus tiraillée entre les militaires ( le général Koenig) et le cabinet civil administrateur. Koenig, ne souhaite pas encourager la fondation d'un nouvel état allemand.

Lancelot retrouve le ''colonel'' Alfred Döblin, berlinois d'origine, qui occupe un poste à la Direction de I'Education publique. Alfred Dôblin, est l’auteur universellement connu du roman '' Berlin Alexanderplatz''. Döblin porte en permanence, même à des soirées littéraires, l’uniforme français. Il s'engage dans la renaissance de l'association des écrivains en zone française et participe à des émissions du Sudwestfunk où il anime tous les quinze jours une "critique du temps. Il propose à Lancelot de l'accompagner à Berlin.

De Baden, Döblin et Lancelot se rendent à Wiesbaden, puis à Francfort sur le Main, d'où ils prennent un train pour Berlin. A la sortie d'Helmstedt ( zone britannique), les russes contrôlent et visitent les wagons. Si des récalcitrants refusent de se soumettre à leur demande, le train peut être renvoyé ; cela est déjà arrivé. De même, le 12 avril 1948 l'autoroute Berlin-Helmstedt a été fermée sous prétexte de travaux de réparation.

Nous sommes bien, pour Lancelot, à la rencontre de deux mondes qui s'affrontent ; vision que se refuse à formuler Alfred Döblin, qui lui en reste à l’anéantissement de l'Allemagne, après ces douze années passées et un pays qu'il ne reconnaît plus.

Alfred Döblin, 9. Juli 1947

 

Revoyons la situation actuelle depuis la fin de la guerre.

Lors de la victoire sur l'Allemagne nazie, les alliés avec l'URSS s'affichent avec le programme d'un nouveau monde sans guerre.

1945 : année zéro. Les occupants renonçaient à l’annexion, mais s’attribuaient la « supreme authority with respect to Germany » ( 5 juin). Il s'agissait de démocratiser l'Allemagne, mais l’Est et l’Ouest ne partagent pas la même conception de la notion même de « démocratie ».

 

- Pour nous, argumente Lancelot, la démocratie signifie : le pluralisme politique, le système représentatif et les droits individuels. Ce sont celles-ci que les communistes qualifient de '' libertés formelles '' ou bourgeoises, celles que les classes laborieuses ne peuvent s'offrir, disent-ils, faute de moyens. C'est seulement par la disparition des classes, que s'épanouiraient les libertés ''réelles'' .

Dölbin répond : - Vous pouvez donner le droit de propriété, mais qui vous garantit qu'il ne permettra pas l'exploitation des travailleurs... ?

 

- Pour moi, continue Döblin, l'Allemagne s'étant déshumanisée, la priorité est donc de restaurer l'individu dans son humanité. (Il faut savoir que Döblin s'est converti au catholicisme en 1941.)

Il est important que les allemands reconnaissent leur implication morale et acceptent d’être vaincus. Seules la conversion et la rédemption du peuple, permettront de garantir une avenir de Paix. J'irai même plus loin : le nazisme les a coupé de leur nature humaine ; culpabilité et expiation sont essentielles dans le processus de dénazification.

Il faut que justice soit rendue au nom des victimes innombrables de ce régime, que la responsabilité et la culpabilité soient reconnues et assumées, que le verdict de l’histoire soit accepté.

Döblin se voit non pas en procureur, mais en « révélateur » (« Aufklärer ») et accoucheur de la prise de conscience, première étape de ce processus.

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1947-48 - Maritain – Gurdjieff

Publié le par Régis Vétillard

Anne-Laure de Sallembier continue de suivre, par correspondance au moins, l'enseignement des Maritain.

Jacques Maritain est, de 1945 à 1948, ambassadeur de France auprès du Vatican. Il participe à la fondation, en 1950, du Congrès pour la liberté de la culture. À cette époque des doutes s’élèvent contre la Salette, Jacques Maritain remet à Pie XII une note défendant la voyante Mélanie et l’apparition. Son mémoire est transmis par le pape au Saint-Office.

Avec, les pleurs de la Mère de Dieu, et le ''secret'' de la Salette (1846), Maritain voit le signe d'une interprétation de l'Histoire : il partage l'idée de Léon Bloy « Dieu va parler par les faits ». autrement dit : on peut trouver dans les événements historiques, un matériau à l’aide duquel comprendre ou interpréter la volonté de Dieu , à la lumière d’une exégèse appropriée des textes saints.

« La Salette n’est pas que du passé, comme le croit Claudel, c’est la clef du présent et de l’avenir, la clef de l’abîme. (…) le monde et tout ce qui a une place dans le monde va subir l’immense ébranlement dont se réjouit le magnificat, et entrer dans le secret de la Justice divine » ( J. Maritain, L. Massignon, Correspondance ) .

« pour moi, c’est de plus en plus autour de la Salette que se concentre la vie de mon âme. Il me semble qu’il y a dans les larmes de Marie sur notre terre de France un mystère qui répond au Consummatum est du Calvaire, et qui est aussi infiniment vaste et inscrutable » Correspondance Maritain - Massignon

Maritain parle de ''souffrance de Dieu'', ce qui pourrait paraître comme une imperfection divine !  « Il faut tenir au nombre des perfections du Dieu infiniment bienheureux, l’éternel exemplaire, en lui, de toute la douleur humaine. » Je traduis : Dieu trinité est pleinement humain en Jésus. Notre Dieu est un Dieu crucifié. Souffrir est l’apanage de la vie et de l’esprit, c’est la grandeur de l’homme, nous dit Bloy, selon Raïssa Maritain.

 

Manifestement, cette expérience de spiritualité ne convient pas à Pauwels ; il semble à la recherche d'un maître à la hauteur d'un Guénon, et confie à Lancelot son intérêt pour les spiritualités de l'Orient, avec lesquelles l'apprenti est guidé dans les profondeurs de l'être.

Quand Lancelot parle Christianisme, ou cite Bernanos, quand il écrit qu'il n'y a qu'une douleur, celle ne n'être pas un saint ; Pauwels est insatisfait de ne pas savoir ce qu'est un saint ; certainement pas une description de vertus morales, et surtout qu'en est-il du récit du voyage pour arriver jusque là ? Comment fait-il s'y prendre ?

N'est-ce pas la douleur de la foi ? - Non pas la foi en ceci ou cela... Mais, la foi en l'espèce humaine. Quel est donc ce commun entre tous les saints, qu'il soit saint Bernard ou un grand yogi, ou un poète ?

Pauwels raconte que c'est à la suite de la lecture de son livre '' Saint Quelqu'un'' ; qu'on le conduisit chez Gurdjieff . Une des premières phrases de cet enseignement était : « Sauf exception rarissime, les hommes ne sont pas des êtres accomplis. Nous sommes des ébauches d'hommes, non pas des hommes. »

Pauwels continue son questionnement, alors qu'il commence à peine l'Enseignement : «  je veux changer, mais qui veut changer en moi ? J'ai mille ''je'', mais pas de ''Je'' ! Je n'ai pas de moi immuable et permanent, A chacune de mes pensées, de mes humeurs, de mes désirs, je crois engager tout Pauwels. Mais où est tout Pauwels ? »

 

En 1948, également, Arnaud Desjardins ( 23 ans) est introduit dans les groupes Gurdjieff, patronnés par Jeanne de Salzmann. Il témoigne : «  Là, j'ai pour la première fois compris qu'il existait des méthodes ou des techniques susceptibles de m'aider à changer en profondeur, c'est-à-dire à transformer mon être, mon niveau de conscience ; cette découverte a véritablement été le point de départ de ma recherche. »

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