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1942 - La vie parisienne

Publié le par Régis Vétillard

Le couvre-feu, les difficultés de déplacement n'ont pas empêché la reprise - sitôt l'occupant installé - des courses, des concerts, des expositions, des salons.

Les réceptions, sont généralement de l'initiative des occupants... Pour des dîners entre français, chaque invité est inviter à faire déposer sa carte d'alimentation afin d'organiser les achats ; l'hôte se charge d'offrir le café et le sucre.

Anne-Laure retrouve ainsi régulièrement Marie-Laure de Noailles, la comtesse Marthe de Fels, la comtesse de Mun, la comtesse Murat, la comtesse Pierre de Segonzac, la duchesse d'Harcourt, la comtesse d'Oncieux, la baronne de Dietrich...

Pour la comtesse Anne-Laure de Sallembier, la vie mondaine continue et s'accompagne d'une mission particulière dévolue à ceux et celles de la haute société qui sont restés à Paris, la plupart s'étant réfugiés en zone libre. Cette mission est de garder le lien avec l'occupant pour intervenir au mieux de leurs relations... Anne-Laure a l'avantage de parler très bien l'allemand, et de connaître assez bien la culture allemande pour montrer qu'elle sait l'apprécier.

Anne-Laure considère devoir se déplacer pour retrouver des amis au Drouant, ou au Prunier de la rue Duphot ; elle peut également se rendre au Ritz - Gabrielle Chanel y vit - ou au George V, pour y rencontrer des officiers allemands en vue d'y négocier quelques arrangement, ou libération.

Florence Gould

Florence Gould (1895-1983), est installée depuis peu au 2e étage du 129 avenue Malakoff et invite en journée ; on peut y croiser des allemands comme : Otto Abetz, Karl Epting, Friedrich Sieburg, Gerhard Heller ; qui ne se considèrent pas comme des étrangers à Paris, ils ont leurs anciennes relations d'avant guerre.

Elle reçoit des écrivains et des artistes : Léautaud, Pierre Benoît, Cocteau, Marcel Arland, Céline, Giraudoux, Morand, Jean Paulhan; son préféré est Marcel Jouhandeau avec qui elle partage certaines faveurs comme avec Jünger, et quelques autres.

Florence Gould dispense à quelques uns de ses invités, comme Léautaud, une aide matérielle précieuse en ces temps de restriction.

 

Anne-Laure, s'imaginant échapper à la barbarie, recherchent les lieux, les salons placés sous le signe de la culture, comme celui de Mme Boudot-Lamotte, rue de Verneuil, dont la fille est la secrétaire de Gallimard. Elle y a entendu Jean Cocteau faire la lecture de son Renaud et Armide, devant Jünger, Heller et Jean Marais.

Marie-Laure de Noailles en son hôtel de la place des États-Unis reçoit des artistes, musiciens et poètes. Marie-Louise Bousquet (rédactrice parisienne de Harper's Bazaar ) reçoit dans son salon de la Place du Palais-Bourbon. des écrivains comme Giraudoux, Sacha Guitry, Paul Valery, les frères Tharaud, Pierre Benoît...

Anne-Laure de Sallembier rencontre aussi le docteur Hubert Jausion (1890-1959); qu'elle avait autrefois croisé chez Anna de Noailles et qui était un de ses fervents admirateurs. Cet homme, professeur agrégé, directeur de recherches et chef du service de dermatologie à l'Hôpital franco-musulman de paris ( aujourd'hui Avicenne) était une relation des plus agréables, « gai, jovial, enjoué, d'une verve incroyable, humaniste, passionné d'art, très lié au milieu littéraire, et proche de Cocteau. »

On ne parle pas de la guerre. La guerre est lointaine, elle se passe à l'Est...

On ne parle pas des arrestations de juifs. Déjà, il est si dérangeant de croiser '' l'étoile jaune '' ; sur des personnes que rien d'autre ne distingue de soi.

Inégaux devant les restrictions, le froid rétablit un semblant d'égalité entre les parisiens.

Colette conseille de ne pas quitter son lit, et de se blottir contre ses chats.

On écoute la radio. On lit les journaux. A Paris, les quotidiens à disposition sont  : Un faux ''Paris-Soir'' ( le vrai est replié à Lyon), Le Petit Parisien contrôlé par les allemands. Marcel Déat est le nouveau directeur de '' L'Oeuvre '', '' Les Nouveaux temps '' de Jean Luchaire, '' Au Pilori '' spécialisé dans l'antisémitisme populaire.

 

Lancelot préfère sortir du côté du Café de Flore , et des petits prix de restaurants comme le Petit Saint-Benoît.

Au Flore, on s’enorgueillit de dire que « jamais aucun occupant n'y mettra les pieds ». Lancelot aime observer la liberté des jeunes gens, et particulièrement ces étudiants, férus de jazz. Lancelot connaît un peu Jean Jausion, le fils du docteur, étudiant en philosophie, poète et adepte de la révolution surréaliste. Il a publié deux plaquettes : Dégradé (1938) et Polyphème ou l'Escadron bleu (1939).

Un jour de 1942, Jean Jausion annonce son mariage avec Annette Zelman. Simone de Beauvoir écrit avoir déjà remarqué le couple : « les amoureux blonds », Jausion et son amie « Tchèque [sic] et Israélite ».

Annette Zelman

Annette Zelman est une jeune fille juive, née à Nancy en 1921. Elle rencontre Jean en 1939, alors qu'elle vient à Paris pour commencer des études aux Beaux-Arts. Elle fréquente les artistes du Quartier latin. Un de ces groupes, a pour vedette Jean Rouch (1917-2004), séducteur, il sort avec l'une, puis choisit une autre. Ainsi pour Annette Zelman, au cœur des intrigues amoureuses typiques du café de Flore.

Le Docteur Hubert Jausion apprend qu'une demande de mariage à la mairie du 10 arrondissement de Paris est déposée entre son fils Jean et la juive Annette. Opposé à ce mariage, le père de Jean dénonce Annette Zelman aux autorités :

«  (…) Les parents de Jean Jausion désireraient de toute manière empêcher cette union, mais ils n’en ont pas le moyen. J’ai en conséquence ordonné comme mesure préventive l’arrestation de la juive Zelman et son internement dans le camp de la caserne des Tourelles. » note du chef du service des Affaires juives de la Gestapo à Paris, Theodor Dannecker.

Annette est arrêtée le 23 mai 1942, la fiche de police  indique  : « Écrouée au dépôt de la préfecture de police du 23 mai au 10 juin. »

La vie de Jean bascule avec celle de sa fiancée. Son père se rend compte trop tard des conséquences... Jean contacte une avocate, amie de son père, qui lui conseille de ne pas chercher a voir Annette et de s’engager par écrit a ne pas l’épouser.

«  Les deux futurs ont déclaré par écrit renoncer a tout projet d’union conformément au désir du Dr H. Jausion qui avait souhaité qu’ils en fussent dissuadés et que la jeune Zelman fut simplement remise a sa famille sans être aucunement inquiétée. ».

La comtesse de Sallembier va tout tenter pour faire libérer la jeune fille; la réponse négative et définitive qui lui est faite évoque le grave motif d'un projet de mariage entre non-juif et juif.

Anne-Laure rencontre Hubert Jausion ; qui évoque les ''inconvénients des mariages mixtes'', la mère de Jean parle de cette ''chiksa'' comme d'une fréquentation déplorable, une ''dévergondée''. Pour les parents du jeune homme, ce mariage est une déchéance sociale et raciale. Ils ne souhaitent pas que l'on fasse de mal à la demoiselle.... sauf que, le nazi Theodor Dannecker, suit avec fébrilité tous les cas de '' mariages mixtes '' et de conversions, en progression constante depuis 1940, qui parviennent a sa connaissance et qu’il interprète comme le fruit d’une '' stratégie juive ''.

 

Fâché avec son père, Jean rejoint la famille d’Annette qui s'est réfugiée à Limoges. Il écrit un roman. Un homme marche dans la ville, qui va paraître en 1945 chez Gallimard

Annette Zelman est envoyée au camp des Tourelles du 10 au 21 juin ; transférée en Allemagne, elle embarque le 22 juin dans le convoi n° 3 avec elle, 934 hommes et 65 autres femmes . Direction Auschwitz. Deux jours plus tard, le train arrive à destination. 80 % seront immédiatement gazés ou tués dans les trois semaines suivantes. Annette, elle, décédera trois jours après son arrivée.

Jean Jausion va s’engager dans la Résistance, il participera à la Libération de Paris, puis sera tué en Allemagne, le 6 septembre 1944, alors qu’il s'y trouvait comme correspondant de guerre du journal Franc Tireur.; à la découverte des camps de concentration ; dont celui d'Auschwitz, où il espérait pouvoir retrouver sa fiancée.

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1942 - Rencontre avec Fernand de Brinon – Ecole des cadres

Publié le par Régis Vétillard

Fernand de Brinon

Fernand de Brinon ( 1885, fusillé en 1947) est le représentant « du gouvernement français dans les territoires occupés » ( une sorte d'ambassadeur de Vichy en France ! ). Son siège est l'hôtel de Breteuil de Paris, 12 avenue Foch.

Lancelot est reçu selon des apparences toutes cordiales avec des, « cher ami.... », « votre chère maman... », « parlez-moi de vos soirées vichyssoises... » et avec une allusion aux rumeurs sur les nombreux espions qui s'y trouveraient. Enfin, sur le ton de la confidence, de Brinon trouve regrettable que des services secrets français s'en soient pris à de nombreux agents français de l'Abwehr.. ! - Savez-vous que ces activités renforcent l'hostilité des allemands à notre égard. Lancelot se montre très prudent : il ne réagit pas aux propos sur le colonel d'Alès ; et répond que son souci se porte sur la mission que lui a confié le Secrétariat général à la Jeunesse ( SGJ) ...

Il s'agit, donc, de faire un état des associations de jeunesse en zone occupée; le gouvernement souhaite en étudier les possibilité de développement.

Fernand de Brinon vante la collaboration, et la place de la France dans la nouvelle Europe, avec '' ses pâturages, ses troupeaux, ses vergers ; l'attrait du tourisme et le prestige du luxe, l’œuvre du paysan et celle de l'ouvrier...'' etc..

Certes, reconnaît-il, la jeunesse doit, à Vichy comme à Paris, se pénétrer d’un certain nombre de valeurs morales, se pétrir de la culture du chef, obéir à une rigoureuse formation physique, s’accommoder d’une hygiène de vie et de canons de virilité extrêmement stricts, bref, donner naissance à l’homme nouveau que nous appelons de nos vœux....

L'Allemagne nous en donne l'exemple, mais, pour être franc, elle se méfie de la multiplicité des mouvements que promeut Vichy ; une jeunesse européenne, unique serait idéale...

Le SGJ s’est installé dans un vieil hôtel du faubourg Saint-Honoré.

Lancelot comprend bien vite, que si Vichy, considère les mouvements de jeunesse, comme « les véritables animateurs de la Révolution nationale » ; les ''collaborationnistes '' ont une vision plus idéologique et stratégique ; à l'image des Jeunesses Populaires Françaises de Doriot qui proclame que « la jeunesse doit être une » pour être forte. Unir les mouvements de jeunesse, contre l'avis de Vichy, est l'idée défendue par Georges Pelorson.

JPF - Jeunesse avec Doriot -1943

Lancelot reçoit diverses accréditations pour aller visiter et questionner des associations à orientation autoritaire comme les ''Jeunes du Maréchal '' , ou l' '' Union générale des étudiants de Paris.'' Il pourra rencontrer Roland Goguillot ( un ancien militant trotskyste), pour les JNP, les jeunes du RNP de Marcel Déat. Tous ces gens tiennent en peu d'estime l'entourage du Maréchal, qu'ils considèrent comme bourgeois, conservateur et clérical.

Jacques Bousquet, professeur de lettres au lycée Voltaire, fondateur du mouvement "Les jeunes du Maréchal" a été détaché le 25 octobre 1941 comme directeur de des écoles nationale des cadres supérieurs pour la zone occupée.

 

En juin 1941, 4569 stagiaires sont passés par les Ecoles nationales ou régionales de la zone occupée ; leur fonctionnement n'est pas favorisé par l'occupant.

L’école du Château de Madrid est transférée à celui de la Chapelle-en-Serval ( confisqué à des juifs) , près de Senlis. Elle est inaugurée par Georges Lamirand le 4 janvier 1942. Lancelot a souligné dans ses notes la remarque suivante : - Cette propriété confisquée à une famille juive, recevait déjà les cadres du mouvement scout israélite, promotions que l'on nommait '' Montserval'' .

Lancelot prépare la tournée que doit faire Dunoyer de Segonzac ( Uriage) dans la zone Nord. Ce dernier, ne se reconnaît pas dans la nouvelle école nationale transférée à la Chapelle-en-Serval et ouverte par Bousquet, il retrouve en revanche dans les autres écoles (Montry, Saint-Germain-en-Laye…) des anciens élèves de Jean Jousselin ( pasteur protestant et responsable scout) avec qui il continue à partager un même esprit. Jousselin avait ouvert la première école de cadres de l'île de France au château de Sillery ; puis il perdit son poste du fait de son soutien aux juifs.

L'école de la Chapelle-en-Serval, devient un haut-lieu de propagande nazie. Il ne s'agit plus de la ''Révolution Nationale'', mais comme l'écrit '' Je suis partout '' d'une « révolution nationale et sociale Européenne.''

L’École des cadres d’Uriage demeure la plus réputée, elle fut un laboratoire de ce qu'aurait pu être ''la Révolution nationale'', elle expérimente un mode de vie original, fondée sur le lien nécessaire entre savoir théorique et pratique, sur la critique du libéralisme et de l’individualisme, au profit de valeurs communautaires, de la mise à l’épreuve physique et sportive et surtout d’une formation spirituelle pétrie de catholicisme social, qui emprunte largement au personnalisme chrétien et à Emmanuel Mounier, lui-même.

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1942 – Marcel Légaut.

Publié le par Régis Vétillard

Anne-Laure et Lancelot quittent à regret le '' philosophe paysan ''; mais, c'est pour un autre '' paysan '' qui à l'inverse, est un universitaire et un autodidacte de l'agriculture.

Quand Lancelot, avec Elaine, avaient rencontré Marcel Légaut (1900-1990), il était professeur de mathématiques, enseignant à la faculté de Rennes ; et animateur d'une sorte de communauté chrétienne, rue Léo-Delibes ; là, ils y avaient croisé Mounier et Teilhard de Chardin.

 

Depuis novembre 1940, Marcel Légaut, s'était marié, et installé aux Granges de Lesches, près de Lucen-Diois. Il est devenu berger d'un troupeau d'ovins. Autour sont des champs de lavande, des arbres fruitier et des cultures d'auto subsistance.

Sans l'aide de son voisin, ils n'auraient pas survécu. Il a pensé concilier un enseignement à Lyon, avec son installation, mais les conditions de transport ne le permettent pas...

Le pourquoi de cette rupture avec sa vie d'avant, tient beaucoup à l'expérience de la guerre, de la hiérarchie, de l'autorité qu'il eut du mal à assumer comme officier.

Il a proposé par divers courriers à Vichy une demande de ''mis en disponibilité'' pour un projet intitulé ''Essai d'un enseignement supérieur professé dans le cadre d'une vie paysanne'' qui partagerait la journée d'un étudiant entre travail dans l'exploitation et cours d'enseignement supérieur.

Actuellement, ils ont réussi à achever à peu près l'installation de deux maisons d'habitation et la construction de deux autres. Et, une quinzaine de personnes y ont vécu l'année.

Lancelot comprend vite que peuvent aussi être hébergées des personnes victimes des lois raciales ou oppressives.

 

Marcel Légaut porte ce qu'il considère comme une question cruciale aujourd'hui, celle du sens de la vie, de l'espoir pour l'avenir. Il focalise son attention sur l’histoire singulière du sujet comprise comme un cheminement intérieur.

Ainsi, nous dit-il, l'Evangile n'est pas un recueil de textes liturgiques... Il n'est pas l'appui d'un enseignement doctrinal, il n'est pas non plus un recueil d'histoires où la sentimentalité domine... Il n'est pas un livre à l'usage des prêtres... C'est un livre pour une méditation personnelle et quotidienne, en rapport étroit avec la vie de chacun.

Vivre la communauté, ici, c'est se prendre en charge, être à l'écoute de l'appel de Dieu en soi et hors de soi. Ensemble partager la lecture de l'Evangile et savoir marier foi et intelligence critique et être ainsi à même de situer sa fidélité à Jésus à un tout autre niveau que son appartenance à l'Église.

Il convient de « partir de soi et trouver par un effort d’intériorité sa liaison avec le Tout ».

Il a renoncé, dit-il, à un savoir absolutisé et sacralisé sur l’identité de Dieu; «  ce qui m'intéresse c'est la relation de communion entre le mystère de ta personne et le mystère du Tout Autre. »

Marcel Légaut se méfie autant d'une lecture fondamentaliste de la Bible, que d'une exégèse savante qui serait spirituellement stérile.

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1942 – Vichy - Thibon

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot retourne à Vichy. Il pense démissionner de ses fonctions, couper avec Vichy... Il voit Jérôme Carcopino, secrétaire d'état à la jeunesse et l'éducation, à qui il doit aussi remettre un courrier de son ancien étudiant Henri Marrou.

- J'ai beaucoup de respect pour lui - dit-il - ; j'admire sa liberté intellectuelle, la forme la plus accomplie de l'objectivité scientifique et de la droiture morale.

Lancelot se demande, sans l'exprimer, si Carcopino est au courant de son engagement contre la politique d'exclusion de Vichy... ?

Carcopino cependant ne craint pas de qualifier son poste actuel d' « instable galère » ...

Lancelot profite de la sympathie que le secrétaire d'état semble lui témoigner, pour l'interroger en toute franchise. Sa réponse :

- Pour beaucoup d'entre nous, hauts fonctionnaires, nous sommes ici par sens du devoir ; peut-être aussi par respect pour l'ordre public...

Quelle autre solution avons-nous ? L'Angleterre, le repli sur l'Afrique du nord signifieraient l'abandon de la gestion de notre pays aux allemands. Cela signifierait la violence totale pour nous libérer, la guerre civile. Je craindrais qu'alors, il n'y ait plus que deux solutions : le nazisme ou le communisme !

Carcopino propose à Lancelot, de continuer sa mission ; mais, en zone occupée ; pour étudier la situation actuelle des associations de jeunesse, et penser leur développement.

 

Avant de rentrer à Paris, sa mère souhaiterait revoir Gustave Thibon ; Lancelot lui, envisageait de revoir Marcel Légaut... Tous deux sont en accord pour visiter ces deux personnalités.

 

Gustave Thibon (1903-2001) , un étrange homme paysan et philosophe, qu'ils avaient rencontré chez Maritain, alors qu'il était émerveillé par ce jeune autoditacte et l'incitait à « travailler pour Saint-Thomas, et écrire».

 

Lancelot et Anne-Laure de Sallembier ont le privilège de pouvoir rouler avec une 11 CV équipée de bouteilles de gaz ( 150km d'autonomie). Il est interdit de circuler la nuit, et toute la journée du dimanche, et des fêtes.

 

Quand ils arrivent vers Saint-Marcel d'Ardèche, ils descendent vers le Mas de Libian, et croisent un cycliste que Anne-laure reconnaît aussitôt : cet homme de trente huit ans, au béret bleu qui laisse échapper des mèches de cheveux, et qui pédale avec frénésie, façon sportive, c'est bien lui. Demi-tour, et quand ils le rattrapent, Gustave Thibon leur fait signe de le suivre... Ils avaient raté le chemin de terre, à flanc de coteau ; et apparaît la vieille bâtisse familiale, une ferme bien modeste sur quatre hectares, dont deux de culture.

Ils vont rester deux jours, et beaucoup échangé dans une pièce carrelée qui, autrefois, servait à la culture du ver à soie ; aujourd'hui reconvertie en cabinet de travail, avec ses deux bibliothèques, ses chaises et ses deux fauteuils. M. Thibon père, est adorable, et tient absolument à leur parler de la vie des insectes, qu'il dit avoir observé toute sa vie. Il aime tout autant, semble t-il, la poésie... Lancelot et Anne-Laure sont en présence de deux générations d'esthètes. L'épouse de Gustave est très discrète.

Gustave Thibon est un autodidacte, il a appris l'italien et expérimenté avec des travailleurs de passage. Il a appris l'allemand, puis enchaîné avec le latin, la littérature française... Gustave et son père, connaissent par cœur presque tout Victor-Hugo!

Avec la biologie, il se passionne pour la philosophie, achète les ouvrages de Goblot, Challaye ; puis préfère passer aux textes originaux de Hegel, Bergson..., le soir, sous le rond de la lampe à pétrole.

Pourtant, dit-il: « La culture à elle seule ne mène à rien ».

Ah bon... ! Et ? Gustave Thibon, parle alors à mots couverts :

Je suis obligé d'évoquer, la foi... Vous pouvez me comprendre, sinon comment arriver à Thomas d'Aquin ? Il y a dans l'univers un ordre immanent, intelligible, et donc rationnel.

La conversion ne peut être intellectuelle. Dieu se donne lui-même... par la grâce. Je voulais comprendre ; j'ai écrit à Maritain... et vous connaissez la suite.

L'an dernier, en juillet 41; la grâce de cette guerre a été pour moi, la rencontre de Simone Weil, que vous connaissez, m'avez-vous dit, Lancelot...

- Rencontrer cette femme, ne peut vous laisser indifférent. Mais comment est-elle venue jusqu'ici ?

- Le Père Perrin m'a demandé d’accueillir une philosophe israélite qui avait connu l'expérience ouvrière et souhaitait à présent connaître le travail agricole.. J'ai hésité, le caractère juif n'est pas dans mes cordes ; et puis une agrégée de philosophie... Mon Dieu, elle se fait des illusions !

- Vous avez accepté..

- Pour faire plaisir à un ami ; et puis par charité pour ces gens qu'on persécute sans distinction...

Simone Weil et Lanza del Vasto, Marseille, 1941

Quand j'ai vu ce bout de fille, fagotée comme l'as de pique, discutant indéfiniment, refusant la chambre que je lui offrais pour dormir à la belle étoile: j'ai pensé que j'allais faire une partie de mon purgatoire sur terre ! Au bout de 48 heures, j'ai vu que j'avais un être supérieur comme je n'avais jamais rencontré.

 

Simone n'a pas réalisé l'équilibre que pratique spontanément l'homme de la terre entre la liberté et la nécessité ; il est à la fois celui qui veut et celui qui consent. Elle consent totalement, mais à une nécessité qu'elle se fixe elle-même. Dans les travaux des champs, sa bonne volonté est aussi grande que sa maladresse; et finalement j'ai préféré la dispenser des lourdes taches pour converser avec elle. Elle m'a aidé à traduire le grec que je maîtrise mal, et m'a commenté inlassablement Platon. Elle dit sans ménagement ce qu'elle pense ; mon père lui en veut beaucoup, c'était au sujet d'un poème de Hérédia.... ! De ma femme, elle a dit qu'elle lui semblait être dispensée du péché originel. Elle ne voulait pas manger plus les produits de notre ferme, que ce que les tickets de rationnement lui allouaient.. !

Elle n'a pas partagé pas ma passion pour Nietzsche. Elle voulait me vendre Homère, avec l'Iliade.

- A Vichy, on ne tarit pas d'éloges pour vous... On aime citer des passages de votre livre, '' Diagnostics '' écrit à la veille du désastre de mai 1940. Vous êtes le ''sage'' de notre temps ?

- Pas du tout ! Je suis trop attaché à l'Eglise, et à la monarchie ! Et, je ne suis pas de ce temps. Ce que j'ai à dire peut aider à nous questionner. Pour moi, le combat, l'aventure, sont intérieurs. Je réfléchis à l'échelle de Jacob et au combat avec l'ange ; chercher la Lumière n'est pas de tout repos. Ma ''Quête '' est celle du '' seul nécessaire ''.

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1942 – Lyon – Témoignage Chrétien

Publié le par Régis Vétillard

Pierre Chaillet (1900-1972)

Lancelot rencontre Pierre Chaillet, dont il connaît les services pour les SR, en Hongrie. Il est prêtre-jésuite et enseigne à la faculté de théologie de Lyon, il regroupe autour de lui des chrétiens hostiles au régime de Vichy et au nazisme ; et en particulier s'investit pour venir en aide aux juifs dont beaucoup sont ici réfugiés. Alors qu'il anime déjà l’association humanitaire '' L'Amitié chrétienne " ; il décide de lancer sa propre revue pour mettre en garde et alerter l'opinion chrétienne des dangers de l'idéologie nazie.

En novembre 1941, est distribué sous le manteau, un cahier de ''Témoignage Chrétien '' : « France, prends garde de perdre ton âme » co-écrit avec des jésuites et des pasteurs. Puis en décembre et janvier 42 : « Notre combat », « Les racistes peints par eux-mêmes », février et mars 1942... Ces cahiers s'en prennent à l'idéologie nazie, appellent à une ''résistance spirituelle '' et s'inquiètent que la hiérarchie catholique puisse s’accommoder de la '' Collaboration''. En janvier 1942, Henri Colin est arrêté alors qu'il diffuse la revue. Jean Chanton, Pierre Crozier, sont ensuite arrêtés ; et bien d'autres ensuite

Henri Marrou (1904-1977), est professeur à la faculté de Lettres de Lyon. Il est cofondateur de la Revue du Moyen Âge latin et la collection « Sources chrétiennes ». Il s'investit dans '' L'Amitié chrétienne "et écrit dans les cahiers de T.C et collabore avec E. Mounier. Sa personnalité et son érudition séduisent Lancelot. Passionnantes furent les discussions sur le passage d'une culture antique à une culture chrétienne et le rôle de Saint-Augustin. « La recherche historique est une rencontre en un sujet et un objet, il faut être humble devant les faits. » dit-il.

Le Moyen-âge chrétien : la chrétienté... ?

- Un mythe ! Et pour ce qui est de la dernière période de l'histoire romaine, il faut abandonner le terme de ''décadence'', disons : antiquité tardive.

Il rêve d'une civilisation métaphysique, pour le moins d'inspiration chrétienne... De quoi se rapprocherait-elle ( dans le passé) ? Pas de la Contre-Réforme, du baroque... Ni du Gothique … Peut-être proche du Pré-roman, ou de ces basiliques élevées sur les ruines de la Rome païenne....

Actuellement, nous vivons dans un monde épuisé, si malade qu'il ne peut faire illusion sur son sort...

Nous sommes ballottés entre le risque de sombrer dans une atroce barbarie technique,et une conception marxiste négatrice de toute composition valable avec le passé.

Quelle est la vérité de l'Histoire ? Inutile de chercher une impossible objectivité. Je dirais même qu'il est nécessaire de trouver une sympathie avec votre objet d'étude.

Henri Marrou fut l'élève de Jérôme Carcopino à la Sorbonne ; il garde pour lui une véritable admiration de disciple... !.

- Même s'il sert à présent Pétain et son régime ? - Oui.. ! Nous avons des divergences ; mais je préfère que ce soit lui, à ce poste.

Chantiers de jeunesse

 

Les chantiers de jeunesse offrent 50 tonnes de bois de chauffage pour les familles nécessiteuses.

Des ''ménagères'' protestent devant les mairies ( Lyon, Irigny, Givors...) contre la manque de denrées et le marché noir.

 

L'ambiance à Lyon est pesante ; on apprend à se méfier de chacun. Lancelot vit difficilement son statut de ''commis'' du gouvernement de Vichy.

Le 15 janvier 1942, Mounier est arrêté comme ''suspect ''. Son avocat défend un dossier vide ; il est incarcéré à Clermont-Ferrand, et finalement libéré le 21 Février.

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1941 – Lyon – Sinclair

Publié le par Régis Vétillard

Pétain et l'amiral Darlan visitent la foire internationale de Lyon ( 27 septembre- 5 octobre 1941), manifestation qui obtient beaucoup de succès.

Anne-Laure de Sallembier vient à Lyon, passer Noël... Il ne lui fut trop difficile, semble t-il, d'obtenir un ''laisser-passer'' lui permettant de prendre dans les deux sens le train Paris-Lyon.

Le Grand-Hôtel - 1941

Elle loge au Grand Hôtel de Lyon, 16 rue de la République.

Lyon, même libre paraît sinistre : « On y respirait un air saumâtre et empoisonné l’hiver et l’automne. On marchait à tâtons dans des rues sans lumière envahies par le brouillard. Pas de concierges, mais des portes dont il fallait posséder la clé, des communications étranges entre les îlots d’un immeuble et les quartiers, par des passages voûtés, les traboules, où l’on s’enfonçait dans une odeur de moisi, d’ordure et de rat ». Michel Déon dans Mes arches de Noé.

A Lyon, Lancelot a trouvé un appartement meublé pour 600 francs, et mange au restaurant pour 20 frcs.

Anne-Laure visite des connaissances qui ont suivi des titres de presse, fuyant la capitale, comme Le Figaro qui s'est installé rue de la Charité. Elle retrouve André Billy, un chroniqueur du Figaro, établi dans l’immeuble du restaurant Rivier, 1, place des Terreaux ; ainsi que Wladimir d’Ormesson et Louis-Gabriel Robinet.

André Billy se plaît et trouve dans l'histoire de la ville beaucoup de sujets d'inspiration... De plus, il travaille sur une vie de Balzac, écrivain particulièrement apprécié par Anne-Laure et Lancelot.

 

Anne-Laure n'a pas revu Lancelot depuis son départ vers l'Angleterre. Bien-sûr, son fils l'a mis au courant de cette nouvelle qui habite à présent son esprit à tout moment, l'existence du fils de son fils, un petit écossais du nom de Félix Sinclair.

Elle tient encore à l'interroger sur la mère de Félix, Mary, et sur la famille Sinclair... Quelle étrange lignée que celle dans laquelle sont inscrits Lancelot, sa mère, et ses aïeux...! Doit-on parler de coïncidences quand on connaît les liens que nos ancêtres ont eut avec le nom de ''Sinclair'' ?

La légende familiale, admet que Roger de Laron était un chevalier Templier. Nous en conservons l'anneau.

Selon la tradition, les templiers se sont installés en Ecosse en 1128 sur la terre de Balantrodoc, à 7 miles du village de Rosslyn appartenant au Clan Sinclair.

L'Ordre du Temple dissous sur le continent Européen et notamment en France (conséquence des arrestations du 13 septembre 1309), aurait survécu en Ecosse avant de de se métamorphoser au fil du temps en Franc-Maçonnerie. Le dernier Maître de l'Ordre du Temple pour l'Ecosse s'appelait Sir Guillaume Sinclair et, au service du roi écossais indépendantiste Robert Bruce, il aurait dirigé une charge de Templiers Ecossais et  Français lors de la bataille de Bonnockburn en 1314 contre les Anglais.

Sur les terres du clan Sinclair, Sir William Saint-Clair, 3e comte d'Orkney, baron de Roslin et 1er comte de Caithness, a édifié la chapelle de Roslyn en 1446, sur des vestiges que l'on date de 1304.

blason Rosslyn

La chapelle Rosslyn a été un lieu de sépulture pour plusieurs générations de Sinclair.

Le château, lui, fut détruit en 1650 par les troupes de Cromwell. En 1736, la chapelle passe entre les mains du Général James Sinclair, qui commence sa restauration. A la même époque, William Saint-Clair de Roslin (1700-1778) devint le Premier Grand Maître de la Grande Loge d’Ecosse.

Pour ce qui nous concerne, J. L. de la Bermondie rencontre un officier de la Garde Ecossaise( unité d'élite au service personnel du roi de France), qui connaissait son intérêt pour les Templiers... Cet homme - James Sinclair, né à Edinburgh - se dit descendant du '' clan Sinclair''; il soutient également que l'origine de sa famille remonte aux chevaliers Normands de Saint-Clair. Tous deux, vont dévoiler quelques astuces du faux magicien Merlin, qu'est Cagliostro…

James Sinclair et J.L. de la Bermondie rêvent eux, d'une maçonnerie templière qui retrouverait le climat médiéval, mystérieux, de l'alchimie et de cette quête du Graal, qui était tombée '' en sommeil'' … James Sinclair, après une visite-pèlerinage sur la trace de ses ancêtres templiers serait revenu en France avec un ''trésor'' qui devait rattacher symboliquement, mais incontestablement, ce nouveau rite à l'Ordre Templier. Il s'agirait de l'épée de Jacques de Molay... !

Enfin, Anne-Laure s'était déjà intéressée à un personnage qu'a connu son grand-père, et Camille Flammarion : Lady Caithness (1830-1895). Maria de Medina-Pomar, veuve en 1868, vivait à Paris, héritière d'une fortune considérable. Elle réunissait dans son hôtel particulier de l'avenue Wagram tout le milieu ésotérique de l'époque. Elle avait d'ailleurs été à l'origine de la création de l'Eglise gnostique et représentait en France la Société Théosophique. Elle épouse James Sinclair, le 14e Comte de Caithness le 6 mars 1872. En 1877 se produit l’événement de sa vie spirituelle: elle reçoit dans son domaine de Holyrood, en Ecosse, une révélation provenant de l'esprit désincarné de Mary Stuart (1542-1587). Elle reçoit alors des communications par la voie mediumnique – de Mary Stuart – des années durant... Vers 1879, elle s'éloigne de son mari, et s'installe a Paris... Son mari meurt en 1881, et fut inhumé dans l'ancienne chapelle royale de Marie Stuart à Holyrood.

Lancelot rajoute cet épisode, concernant le ''Black Rood'', qui raconte qu'un certain Sinclair aurait récupéré la relique écossaise dans la cathédrale de Durham , pour la cacher dans la chapelle Rosslyn, un lieu associé à sa famille ; en effet un témoin fait état d'une discussion entre la veuve du roi Jacques V, Marie de Guise ( mère de Mary Stuart) , et William Sinclair de Rosslyn en 1546, à propos d'un objet précieux qui était caché à Rosslyn et Marie aurait juré de garder le secret.

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