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litterature

Jacques Boulenger – Les Chevaliers de la Table Ronde.

Publié le par Régis Vétillard

Jacques Boulenger

Réunis par l'Action Française, Jacques Bainville dirige Lancelot vers Jacques Boulenger (1879-1944) dont il sait qu'il travaille sur la Légende arthurienne...

Boulenger, très aimable, semble assez sentencieux quand on commence à le questionner sur son travail... Puis, ses idées se bousculent, se corrigent les unes les autres ; Lancelot parvient à l'apaiser, en lui montrant qu'il connaît plutôt bien le sujet ; alors son propos ne craint pas d'être savant et passionné... Lancelot se régale... !

Boulenger admire Proust, et Gide aussi.. Julien Benda (1867-1956) l'intéresse, avec son questionnement sur l'esthétique ...

- Lisez Belphégor (1918), il développe l'idée que l'art doit viser à la beauté, si celle-ci incarne la raison. Il dénonce une esthétique du sentiment, de l’émotion, du flou...

- Vous êtes rédacteur en chef de ''L'Opinion'' et le chroniqueur littéraire...

- Le rôle de critique littéraire me pèse, on s'y fait des ennemis ou des indifférents. Je ne veux plus être un juge; et au nom de quoi? La beauté absolue? La critique devrait être un art, en elle-même...

- Vous avez défendu Proust, quand il était attaqué après le Goncourt...

Mais très vite, Lancelot parle de chevalerie, et d'héroïsme... Boulenger, pilote pendant la guerre, parle de chevaliers du ciel; et laisse entendre que cette aristocratie militaire l'a amené vers les chevaliers de la Table Ronde... Lui , qui avait fait l'École des Chartes, se devait de retrouver les textes anciens. Il s'était intéressé à Rabelais, avait aimé retrouver l'auteur dans sa vie quotidienne, autour d'anecdotes... Son érudition ne semble pas incompatible avec le goût des légendes, au contraire elles se complètent à merveille, pour faire renaître la légende arthurienne... Il se promène avec délectation parmi les textes anciens de la Vulgate, le Merlin du manuscrit Huth, le Joseph d’Arimathie de Robert de Boron, les poèmes de Chrétien de Troyes, etc...

Jacques Boulenger s'est décidé à transcrire la Légende, il fallait bien ses référence et ses connaissances pour qu'elle soit acceptée par ses pairs... Joseph Bédier qui s'est fort bien essayé avec le Roman de Tristan et d’Iseut, le soutient...

Boulenger remarque que Perceval, en français d’aujourd’hui, se prononce Parsifal !

Les anglo-américains, eux, n'ont rien oublié de la Tradition. D'ailleurs Boulenger possède une édition du Lancelot, en sept forts volumes publiée à Washington, de 1909 à 1913, par M. H. Oskar Sommer. Il suit, dans des revues spécialisées les articles de jeunes érudits - ainsi la thèse d’Albert Pauphilet sur la Queste del saint Graal - et bien sûr, nous avons aujourd'hui la très ingénieuse et très profonde Étude de Ferdinand Lot sur le roman de Lancelot (1918).

 

Lancelot s'étonne qu'un lettré puisse s'attacher à transcrire ces textes anciens, pour le public... N'y a t-il pas un risque d'appauvrir le sens … ?

C'est la difficulté : il faut obtenir du lecteur qu’il se plaise aux méandres des aventures, à leur fourmillement et à leur enchevêtrement. Il faut accepter de partir la féerie légère des contes de Bretagne, pour cheminer vers la légende sainte, chargée de symboles et de mystère.

Je souhaite faire passer le lecteur de la '' chevalerie terrienne'' à la '' chevalerie céleste''. Comme nous le dit Joseph Bédier «  Il faudra que paraisse dans l’action le héros qu’ont annoncé les prophéties, le chevalier aux armes couleur de feu, le Promis, le Désiré, Galaad, celui que tous à son approche salueront de la même parole d’accueil : « Sire, bien soiez vos venuz, que molt vos avons désiré a veoir » ; car il vient pour rompre les enchantements, pour mettre fin aux temps aventureux, pour animer les chevaliers d’Arthur à la recherche du saint Graal, qui n’est autre que la recherche de Dieu. Il faudra, en un mot, qu’après les livres courtois et féeriques du début, Merlin et Lancelot, se déroule le livre ascétique et mystique du Graal, puis encore le livre tragique de la Mort d’Arthur, où sera dépeint le Crépuscule des héros. »

C'est pour le rédacteur lui-même, multiples épreuves au Pays de la Merveille, sur la route qu’il se fraye à travers la forêt âpre et dure, de l'écriture … !

Jacques Boulenger a écrit, lui-même, sur sa manière d'écrire: « La race se marque dans le style par un certain tour vif, naturel, aisé, attique ou extrêmement français (c’est tout de même), qu’on y a de naissance et qu’on n’acquiert jamais ; par une façon inimitable de couper, d’agencer ses phrases, de choisir ses tournures, ses expressions, ses mots mêmes, de manière que tout ait d’abord un air « de chez nous », populaire ensemble et royal à force d’aisance, un je ne sais quoi de fort mais de léger, de traditionnel et de neuf, de vieux comme notre patrie et de jeune comme elle. »

Ainsi, de Jacques Boulenger (1879-1944) comme Adaptateur : L'Histoire de Merlin l'enchanteur (1922), Les romans de la la Table ronde (1922), Le Saint Graal (1923), Les amours de Lancelot du Lac (1923), Le Chevalier à la charrette (1923).

 

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1921 – André Gide. 2

Publié le par Régis Vétillard

Depuis 1906, Gide habite la Villa Montmorency, qu'il s'est fait construire. La maison, située dans l'avenue des Sycomores, relève de la forteresse ou du paquebot....

Villa Montmorency

Lancelot et Jeanne, entrent par la porte entrebâillée... Pas d'employé de service. Une voix, de loin, les sollicite pour persévérer ; ils aperçoivent Gide, leur fait signe, il semble errer seul dans une enfilade de pièces inhabitées et sonores, d'un navire abandonné... Ils prennent un étroit escalier de phare, jusqu'au premier étage, ils distinguent une cabine avec un lit défait; encore quelques marches, un autre couloir, ils passent dans un bureau meublé d'une table pliante et d'un tabouret; Gide les conduit dans le poste de vigie qui domine une bibliothèque avec des piles de livres au sol. Des fauteuils les attendent...

Assis, face à eux pétrifiés ; l'écrivain tient à la main de grosses lunettes d'écaille...

Finalement, ils vont tous rire. L'atmosphère détendue, Gide est très curieux du jeune couple, sur leur passion commune de la lecture... Gide évoque son amitié avec Edith Wharton... Après qu'ils aient répondu à toutes ses questions, Lancelot et Jeanne finissent à poser les leurs...

André Gide 1920

Gide prend une cigarette qu'il ne quitte plus... Il répond, dans un halo de fumée, lentement comme un professeur...

Parmi les notes de Lancelot ; je lis :

- Toute théorie n'est bonne que si l'on s'en sert... et si l'on s'en sert à passer outre... Prenez Darwin, Taine, Barrès ou moi …. Mais si vous lisez Dostoïevsky – je vous le conseille fortement, commencez par ''L'idiot'', puis ''Les Possédés''... – vous verrez qu'il n'a jamais réduit le monde à une théorie.

- Pour définir une œuvre d'art... ? S'en tenir aux vers de Baudelaire : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. »

 

- Sur la religion... Tout ce que je pense contre l'Eglise, c'est avec le Christ... Et tout ce qui me retient d'y entrer, c'est l'Evangile... ! Ghéon me dit que c'est là une erreur des protestants : prétendre limiter aux seuls Evangiles la révélation... Oui... Ghéon, sans-doute le lisez-vous, en ce moment, dans l'Action Française ; j'ai l'impression qu'il me quitte ; ses articles sur la littérature sont une protestation contre ma pensée, contre moi... Et, savez-vous ce que dit Maurras... ?

« Je ne quitterai pas ce cortège savant des Pères, des conciles, des papes et de tous les grands hommes de l'élite, pour me fier aux évangiles de quatre juifs obscurs ».. !

- A mon avis, Dieu me parle davantage ou mieux dans l'Evangile, que dans n'importe quelle encyclique...

- Apprenez que Proust, envoie une auto pour me prendre... Pourquoi ? Pour me demander quelques clartés sur l'enseignement de l'Evangile, il espère y trouver quelque soutien et soulagements à ses maux...

 

- Le classicisme.... Oui, Maurras défend le sien... mais le sien opprime, supprime... Rien ne me dit que ce qu'il opprime ne vaut pas mieux que l'oppresseur. Massis écrit des articles contre moi, il m'attribue les paroles de mes personnages, celles qui peuvent me nuire... Ne lui dites pas que vous m'avez rencontré ; il vous dirait que mon influence est un danger public...

- Mme Mühlfeld... Je me souviens, je vous y ai vu... Ce jour là, je me reprochais d'être venu ; je n'aime pas entendre Valéry et Cocteau dénigrer un sujet ; ils s'amusent à créer des paradoxes de salon pour briller... Séparément, ils sont charmants.

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1921 – La Littérature – Colette

Publié le par Régis Vétillard

Pour Jeanne, c'est le style qui fait l'écrivain ; ensuite il doit pouvoir tout dire. Le style est un peu comme le corps, et la pensée du texte comme l'âme... Le style se doit d'être charnel ; s'il n'est qu'idées, la pensée sera sèche et triste … Colette, comme Gide – quoique différents – en sont de beaux exemples...

Colette 1920

Colette recherche la Beauté, tant pis si la vérité en est travestie. Même un roman, cela doit être de la poésie : il faut peaufiner le son, l'image... Colette s'amuse à inventer des mots :

- Tiens, écoutes : « le los de la crépellaine, du bigarella, du poplaclan, du djirsirisa et de la gousellaine – j’en oublie ! – une griserie phonétique me saisit, et je me mets à penser en pur dialecte poplacote. (…) j’empoigne mon filavella, je chausse mes rubespadrillavellaines et je coiffe mon djissaturbanécla ; la marée baisse, voici l’heure d’aller pêcher, dans les anfractuosités du rockaskaïa, le congrépellina et la dorade zibelinée. »

A propos de ''Chéri'', Colette a écrit : « (…) Chéri est pour moi d’ordre symphonique. Son mutisme comporte le pouvoir désagrégateur de la musique, emprunte des désordres aux timbres instrumentaux et surtout vocaux. (…) Je ne fais à Chéri l’honneur de le rapprocher de la musique que parce que celle-ci est le délectable agent de toute mélancolie. »

- Pourquoi choque t-elle ?

Jeanne répond que cela choque les hommes, et seulement certains... Colette métamorphose ce qui pourrait être pervers... Willy était pervers, mais Colette sublime ce qu'il voulait la faire écrire...

- Son style, c'est le plaisir du corps à travers tous les sens. En fait, j'aime le grand style, classique... C'est pourquoi, je t'ai pris, toi … le monarchiste... !

- Menteuse ! C'est moi, qui t'ai approché, j'ai forcé ta garde de jeunes prétentieux... J'ai pris des risques...

- C'est vrai... T'annoncer ainsi comme monarchiste... Ça m'a plu... J'aurais aimé être une princesse à la cour de Versailles... J'y serais l'épouse d'un vieil homme que je mènerais par le bout du nez, et j'aurais plein d'amants, à la faveur de leur talent littéraire.... Et toi.. ? Tu pourrais être mon page … Tu me désirerais, mais je ne te concéderais qu'un amour courtois... Mais bon, c'est trop tard....

 

Rencontrer Colette, semble affaire délicate. Les Jouvenel sont installés dans un petit hôtel particulier, au 69 boulevard Suchet, dans le 16ème, à la limite d’Auteuil et du Bois de Boulogne. Mais, Mme de Jouvenel ne reçoit pas …

Lancelot et Jeanne, finalement, la rencontre au quatrième étage de ''la maison rouge '', comme on l’appelle à cause de sa façade écarlate, du boulevard Poissonnière, le siège du Matin. C'est un vendredi après-midi, quand Colette, directrice littéraire, reçoit les auteurs. Elle se tient derrière son bureau américain, encombré de manuscrits et de boîtes de bonbons ; à ses côtés, un autre bureau avec Hélène Picard, sa secrétaire et amie...

Colette s'étonne qu'ils viennent à deux.... « comme c'est mignon... » ; qu'ils n'aient aucun texte à lui proposer, et donc.... ? Un conseil ? « Il ne faut pas faire de la littérature, et ça ira »... « Si vous voulez rencontrer un véritable écrivain, allez voir Proust. »

 

- '' Chéri'' est mon premier vrai roman, différent des ''claudines'' ou ''vagabondes''... Je l'ai envoyé à Proust, à Gide ; ils l'ont apprécié.

« Le récit qui ne craignait naguère ni redites ni hors-d’œuvre, et semblait n’obéir qu’à une libre fantaisie de poète, apparaît dans Chéri discipliné, resserré, dompté. […] Tout dans ce livre pourrait se donner en modèle : la composition, et notamment l’exposition du sujet dans les vingt premières pages, l’étude des caractères, la vérité du dialogue, la qualité du style. Colette a pris pleine conscience de son art spontané, et domine ses dons au lieu de s’abandonner. Elle travaille désormais à la façon des classiques, sans plus rien demander au subconscient, et n’écrit plus un mot qu’elle ne l’ait prémédité. […] Elle est de nos grands écrivains le seul qui, depuis la guerre, se manifeste autre que nous la connaissions déjà, sans rien perdre de ses qualités d’antan.» Benjamin Crémieux, La Nouvelle Revue Française, 1er décembre 1920.

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1921 – André Gide.

Publié le par Régis Vétillard

André Gide 1926, par B. Abbott

Jeanne L. est une admiratrice fervente d'André Gide (1869-1951)... Elle raconte qu'un jour, deux hommes sont entrés dans la boutique de son père, ils se sont intéressés aux livres d'occasion que son père présente à la vente... L'un a découvert une édition originale de ''la Porte Etroite'' devenue très rare... L'homme a désiré l’acheter ; l'instant d'avant, elle s'est approchée de son père et a murmuré d'une voix tremblante mais distincte : « Oh ! Non papa... ne vends pas celui-là... ? » Et son père, l'a retiré en s'excusant, prétextant qu'il était déjà vendu... : L'autre homme lui a souri; elle en est sûre c'était André Gide … !

Ce livre pour Jeanne est plein de magie, et dans sa simplicité atteint le sublime des grandes œuvres... Lancelot s'étonne :

- Ne trouves-tu pas Alissa, l'héroïne, trop belle et trop parfaitement pure... ? A moins que ce ne soit ce « trop » qui te fascine...

- Ce ''trop'' peut être fascinant, mais ce ''trop'' du sacrifice va jusqu'à la mort...

- Dieu, lui-même, semble n'être d'aucun secours... Dieu serait-il atroce et muet... ? A moins, qu'en fait, on ne puisse rien demander à Dieu... Pas de marchandage, même pas de récompense... ! Alissa choisit le sacrifice, la ''Porte étroite''...

Jeanne est persuadée que ''la Porte étroite'' (1909) s'équilibre avec '' L'immoraliste'' (1902); la ligne et l'esprit sont les mêmes... Dans les deux textes, l’authenticité est revendiquée ( auteur-narrateur, lettres...).

- Pour moi, la morale rigide pervertit le débat entre vertu et amour. La recherche de l'Absolu est contraire au bonheur, car éloigné des réalités terrestres... !

- Enfin... C'est le propos de Gide... J'admets que chacun des deux ouvrages, incarne une erreur: pour l'un, un mysticisme désincarné, pour l'autre un individualisme charnel...

 

Grâce à Jeanne, Lancelot a découvert Gide : Les Nourritures terrestres l'ont transporté, par son anticonformisme, son appel à s'accomplir soi-même... Il a poursuivi, avec ''la Porte étroite'' et '' L'immoraliste'...

« Ce n’est pas seulement le monde qu’il s’agit de changer ; mais l’homme. D’où surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le découvrir en toi-même et, comme du minerai l’on extrait un pur métal sans scories, exige-le de toi, cet homme attendu. Obtiens-le de toi. Ose devenir qui tu es. Ne te tiens pas quitte à bon compte. Il y a d’admirables possibilités en chaque être. Persuade-toi de ta force et de ta jeunesse. Sache te redire sans cesse : Il ne tient qu’à moi » (Les Nouvelles nourritures )

 

Gide questionne, bouscule... Les camarades de l'A.F., ne l'apprécient pas.

Lancelot s'interroge :

- Gide semble penser, parler pour lui-même ; il valorise un certain individualisme intellectuel, religieux. Henri Massis dénonce cet individualisme, attiré par ce qui serait le plus malsain.

- Il parle de lui, il écrit en vérité, sans effet, en classique...

- Mais, ce n'est que Sa vérité... Mettre à jour les doutes, les errements de l'individu, tend à le dissocier, le perdre... La recherche en soi, la recherche intérieure est préférée à La Vérité... Selon Massis, toujours, il n'admet de contrainte qu'artistique ; et son classicisme ne servirait que le désordre...

 

Lancelot et Jeanne vont tenter de rencontrer André Gide ; mais leurs tentatives tournent court. Le maître ne reçoit pas des inconnus ! Lancelot s'en remet à sa mère, pour essayer l'entre-gens mondain… Effectivement, Gide fréquente souvent Edith Wharton ; et il suffit d'attendre...  Gide a co-dirigé avec Edith Wharton pendant les années de guerre le Foyer franco-belge, organisme officiel d’aide aux réfugiés.

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1921 – Lancelot– Jeanne L.

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot profite de certains aménagements des études pour les étudiants de la classe 1920 ; d'autant qu'il effectue son service auxiliaire dans un ministère... Sont inscrits près de 9500 étudiants, et sont organisés dit-on 14000 examens, lors de cette cession, afin d'octroyer aussi des équivalences dont profitent Lancelot,...

Plusieurs étudiants sont cornaqués par un avocat qui appartient à l'entourage de Paul Painlevé, dont comme je l'ai déjà évoqué, Lancelot ; et une jeune fille, Jeanne L. (1903-1996) qui commence également ses études de droit...

 

Jeanne L. aide son père à corriger les épreuves des ouvrages de droit qu’il édite aux '' Cours de droit '', place de la Sorbonne, où il tient aussi boutiques de livres. C'est lui également qui vend les polycopiés des cours de droit...

Jeanne L. 1925

Son père, affirme que les femmes ne réussissent guère dans cette voie, mais il espère que sa fille, jolie et intelligente, aura l'opportunité de dégoter un futur magistrat plein d'avenir, ou de reprendre son affaire d'éditions... En effet, dit-on, la femme serait toute intuition. Elle aurait du mal à suivre un raisonnement, à moins qu'il soit bien cadré par des règles, comme en sciences ; or en Droit, il s'agit d'assouplir des règles pour les conformer à la réalité …

En fait, dit Jeanne... Les juristes craignent que les femmes investissent un domaine où s’établissent les fondements de la société. En accédant à l’étude des lois, les femmes pourraient prendre conscience de leur servitude et souhaiter leur émancipation... Qui sait... ?

Aussi, dès l'arrivée de la jeune femme auprès des nouveaux étudiants en Droit, elle fut captée par les plus entreprenants... Lancelot abandonna la partie, et pendant plusieurs jours, il s'est contenté d'observer les groupes qui se formaient. Si, lui-même restait seul, il tentait de s'approcher du petit groupe qui commençait à se fidéliser atour de Jeanne. Et, c'est quand elle l'entendit dire qu'il était monarchiste, qu'il rencontra enfin son regard...

 

Lancelot est rapidement séduit par la désinvolture et l'intelligence de la jeune fille. Un chapeau en feutrine enfoncé jusqu'au yeux, le pull en laine au col large sur une jupe mi-longue à plis... Alerte dans sa tenue confortable, un peu plus jeune que lui, et de très beaux yeux émeraude; Jeanne est véritablement passionnée de littérature...

Lancelot va se laisser entraîner, fasciné, puis pris par sa passion littéraire et son exaltation à vouloir rencontrer ses écrivains préférés... Il va mettre tout en œuvre, et en particulier l'accroche que les relations de sa mère peuvent lui fournir.

Lancelot a ainsi l'autorisation de se rendre au 3, rue Georges-Ville, à 18h00 , où Mme Mühlfeld reçoit...

Madame Lucien Muhlfeld

Étendue sur ses fourrures, l’hôtesse lui tend la main, lui fait bon accueil, et le trouvant si jeune, lui propose de rester près d'elle pour lui présenter quelques personnalités qui semblent bien connaître la comtesse de Sallembier... Surtout, il réussit à se faire inviter avec son amie, le dimanche après-midi... Mme Mühlfeld ne reçoit les dames que le dimanche …

Jeanne est émerveillée... Elle y croise Gide, Paul Valéry, Cocteau... Elle s'empresse autour d'eux. Lancelot se sent délaissé, et un peu gêné de la voir si désinvolte et pratiquement tenter tous de les séduire...

Lancelot observe ; Claudel est en partance vers le Japon, comme ambassadeur de France ; il est impatient d'y être et fait admirer à chacun la montre de Rimbaud acheté à son beau-frère, Paterne Berrichon. André Gide attaque brusquement le vieux marquis de Castellane – guindé, la tête rejetée en arrière - à propos de la Paix de Versailles, de la vieille Europe qu'il ne reconnaît plus, et la jeune qui l'effraie... Paul Valéry est brillant, il use de calembours et de contrepèteries.

Jeanne est très reconnaissante à Lancelot de ces premiers contacts avec ces écrivains qu'elle vénère... En particulier, elle s'amuse et appelle le jeune homme ''mon Chéri'', en référence au livre de Colette qui vient de paraître, et qu'elle goûte fort... Colette dont elle admire l'écriture, et son implication dans le journalisme... Il lui fait remarquer qu'à la grande différence du personnage de Colette, il est, lui, un peu plus âgé qu'elle. Elle répond que cela ne se voit pas ; et que, de plus, elle a bien plus d’expérience que lui... Elle ne peut s'empêcher de lui raconter sa relation 'particulière' avec une camarde de classe, qui lui valut un renvoi de son collège... ! D'ailleurs, pour ce qui est des hommes, elle les préfère plus âgés... Elle aime répéter aussi, qu'elle n'épousera qu'un homme de lettres ; même si son père espère la voir convoler avec un magistrat...

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Le XIXe siècle découvreur de Mythes – Le Vril -2/.-

Publié le par Perceval

Venons-en à l'histoire écrite par Edward Bulwer-Lytton (1803-1873), dans son roman de science-fiction ''The Coming Race '' publié en 1871 :

La Race à venir

Un mineur découvre accidentellement le monde souterrain du Vril-ya. Il s’y engage, attiré par une lueur qui brille dans le lointain. Il arrive, non pas dans une contrée déserte et peuplée de monstres, comme le voyageur de Jules Verne, mais dans un pays délicieux, couvert de monuments magnifiques, habité par une race savante, merveilleusement policée, de mœurs douces et hospitalières.

 

Le narrateur se retrouve donc seul face à un univers idyllique, peuplé d’humains dégageant une incontestable aura de supériorité. Une légère histoire d'amour impossible constitue l'intrigue ; mais il s'agit plus d'une suite de descriptions d'une société qui pourrait être considérée comme idéale...

Extraits :

« A ce moment sortit du bâtiment un être... humain ; était-ce bien un être humain ? Debout sur la grande route, il regarda autour de lui, me vit et s’approcha. Il vint a quelques mètres de moi ; sa vue, sa présence, me remplirent d’une terreur et d’un respect indescriptibles, et me clouèrent au sol. Il me rappelait les génies symboliques ou démons qu’on trouve sur les vases étrusques, ou que les peuples orientaux peignent sur leurs sépulcres : images qui ont les traits de la race humaine et qui appartiennent cependant a une autre race. Il était grand, non pas gigantesque, mais aussi grand qu’un homme peut l’être sans atteindre la taille des géants. Son principal vêtement me parut consister en deux grandes ailes, croisées sur la poitrine et tombant jusqu’aux genoux ; le reste de son costume se composait d’une tunique et d’un pantalon d’une étoffe fibreuse et mince. Il portait sur la tête une sorte de tiare, parée de pierres précieuses, et tenait a la main droite une mince baguette d’un métal brillant, comme de l’acier poli. Mais c’était son visage qui me remplissait d’une terreur respectueuse. C’était bien le visage d’un homme, mais d’un type distinct de celui des races qui existent aujourd’hui sur la terre. Ce dont il se rapprochait le plus par les contours et l’expression, ce sont les sphinx sculptes, dont le visage est si régulier dans sa beauté calme, intelligente, mystérieuse. Son teint était d’une couleur particulière, plus rapproche de celui de la race rouge que d’aucune autre variété de notre espèce ; il y avait cependant quelques différences : le ton en était plus doux et plus riche, les yeux étaient noirs, grands, profonds, brillants, et les sourcils dessines presque en demi-cercle. Il n’avait point de barbe, mais je ne sais quoi dans tout son aspect, malgré le calme de l’expression et la beauté des traits, éveillait en moi cet instinct de péril que fait naître la vue d’un tigre ou d’un serpent. Je sentais que cette image humaine était douée de forces hostiles a l’homme. A mesure qu’il s’approchait, un frisson glacial me saisit, je tombai a genoux et couvris mon visage de mes deux mains. »

 

Il est dans un palais luxueusement meublé, une merveille de mécanique; tout ce qu’il contient semble mû par une force inconnue; les domestiques sont remplacés par des automates; les objets nécessaires à la vie apparaissent, disparaissent sur un geste de la main.

« Les Vril-ya ont peu de besoins, et la satisfaction de leurs besoins leur coûte peu d’efforts ; l’outillage de l’industrie est si perfectionne, que le travail est réserve aux seuls enfants. Les adultes n’ont rien a faire, pas de luttes a soutenir, pas de dangers a éviter. Ils se promènent ; ils causent ; ils se réunissent dans des festins ou règne la sobriété ; ils entendent de la musique et respirent des parfums. »

 

« – Qu’est-ce que le Vril ? demandai-je. La-dessus Zee commença une explication dont je compris fort peu de chose, car il n’y a dans aucune langue que je connaisse aucun mot qui soit synonyme de Vril. Je l’appellerais électricité, si ce n’est qu’il embrasse dans ses branches nombreuses d’autres forces de la nature, auxquelles, dans nos nomenclatures scientifiques, on assigne différents noms, tels que magnétisme, galvanisme, etc. Ces peuples croient avoir trouvé dans le vril l’unité des agents naturels, unité que beaucoup de philosophes terrestres ont soupçonnée et dont Faraday parle sous le nom plus réserve de corrélation. « Je suis depuis longtemps d’avis, dit cet illustre expérimentateur, et mon opinion est devenue presque une conviction commune, je crois, a beaucoup d’autres amis des sciences naturelles, que les formes variées sous lesquelles les forces de la matière nous sont manifestées ont une commune origine ; ou, en d’autres termes, qu’elles sont en corrélation directe et dans une dépendance mutuelle, de sorte qu’elles sont pour ainsi dire convertibles les unes dans les autres, et que leur action peut être ramenée a une commune mesure, a un équivalent commun. » Les philosophes souterrains affirment que par l’effet du vril, que Faraday appellerait peut-être le magnétisme atmosphérique, ils ont une influence sur les variations de la température, ou, en langage vulgaire, sur le temps ; que par d’autres effets, voisins de ceux qu’on attribue au mesmérisme, a l’électro-biologie, a la force odique, etc., mais appliqués scientifiquement par des conducteurs de vril, ils peuvent exercer sur les esprits et les corps animaux ou végétaux un pouvoir qui dépasse tous les contes fantastiques de nos rêveurs. Ils donnent a tous ces effets le nom commun de vril. Zee me demanda si, dans mon monde, on ne savait pas que toutes les facultés de l’esprit peuvent être surexcitées a un point dont on n’a pas l’idée pendant la veille, au moyen de l’extase ou vision, pendant laquelle les pensées d’un cerveau peuvent être transmises a un autre et les connaissances s’échanger ainsi rapidement. Je répondis qu’on racontait parmi nous des histoires relatives a ces extases ou visions, que j’en avais beaucoup entendu parler et que j’avais vu quelque chose de la façon dont on les produisait artificiellement, par exemple, dans la clairvoyance magnétique ; mais que ces expériences étaient tombées dans l’oubli ou dans le mépris, en partie a cause des impostures grossières auxquelles elles donnaient lieu, en partie, (...)»

 

Le Vril, a une puissance est infinie. Grâce à lui les Vrill-Ya, peuvent se communiquer leurs pensées, sans parler, à des distances immenses. Emmagasiné à haute pression, ce fluide agit comme la foudre, et détruit tout ce qu’il touche. Emmagasiné à pression plus faible, ses effets sont bienfaisant : il magnétise, il endort, il guérit, il ouvre la mémoire et facilite les travaux de l’esprit. Chaque individu à donc en lui une puissance effroyable dont il peut instantanément se servir. Force dissuasive, il ne peut l'employer contre ses semblables, les représailles seraient terribles, il ne s’en sert que contre les animaux féroces qui menacent son repos.

La guerre, la lutte à main armée n’existent plus chez ce peuple bienheureux...

La cité est gouvernée par un magistrat unique. Et nul ne convoite cette charge suprême car aucun honneur, aucun pouvoir particulier n’y est attaché...

 

Le narrateur est instruit par Zee, la fille de son hôte … Et, Zee va lui faire la cour … !

« Sachez que nos Gy-ei, tant qu’elles ne sont pas mariées, voyagent seules au milieu des autres tribus, pour voir si elles trouveront un An qui leur plaise mieux que ceux de leur propre tribu. Zee a déjà fait trois voyages semblables, mais jusqu’ici son cœur est resté libre. »

(…)

il n’est pas rare qu’une jeune Gy montre un goût que les autres trouvent étrange ; mais il n’existe pas de moyen de forcer une Gy a changer ses résolutions. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’employer le raisonnement, et l’expérience nous prouve que le College entier des Sages essaierait en vain de raisonner avec une Gy en matière d’amour. Je suis desole pour vous, parce qu’un tel mariage serait contre l’A-glauran, ou bien de la communauté, car les enfants qui en naîtraient altéreraient la race

(...)

Vous feriez peut-être bien de dire a Zee qu’elle est laide. Cette assurance, venant de la bouche de l’An qu’elle aime, suffit d’ordinaire a refroidir la Gy la plus ardente. »

 

Qu'en est du couple, et des femmes, les '' Gy-ei'' … ?

« le divorce et la polygamie sont extrêmement rares, et les ménages paraissent très heureux et unis chez ce peuple étonnant ; les Gy-ei, malgré leur supériorité physique et intellectuelle, sont fort adoucies par la crainte de la séparation ou d’une seconde femme, et comme les An sont très attaches a leurs habitudes, ils n’aiment pas, a moins de considérations très graves, a changer pour des nouveautés hasardeuses, les figures et les maniérés auxquelles ils sont habitues. Les Gyei cependant conservent soigneusement un de leurs privilèges ; c’est peut-être le désir secret d’obtenir ce privilège qui porte beaucoup de dames sur la terre a se faire les champions des droits de la femme. Les Gy-ei ont donc le droit, usurpe sur la terre par les hommes, de proclamer leur amour et de faire elles-mêmes leur cour ; en un mot, ce sont elles qui demandent et non pas qui sont demandées. Les vieilles filles sont un phénomène inconnu parmi elles. Il est très rare qu’une Gy n’obtienne pas l’An auquel elle a donné son cœur, ..(...)»

Ce peuple, au physique parfait, est réparti en communautés autonomes et auto-suffisantes, poussant au bout le modèle de la commune anarchiste ou socialiste utopique. Une certaine égalité y règne, quand bien même celle-ci ne va pas de pair avec une uniformisation des richesses, puisque chacun possède la liberté de s’enrichir ou non. Les femmes ont même acquis une certaine supériorité, y compris physique, sur les hommes. ..

 

Enfin,

« Je devinais que Zee, sans me le dire, s’était décidée a m’aider a retourner vers le monde supérieur et que nous nous dirigions vers le lieu ou j’étais descendu. Son silence me gagnait et m’empêchait de parler. Nous approchions du gouffre. (...) »


 

« (..) j’ai cru que mon devoir envers mes semblables m’obligeait à écrire ce récit pour les avertir de la venue de la Race Future. »

 

Un monde, cependant, trop parfait …

Le narrateur ne semble pas toujours emballé … « Comme ils doivent s’ennuyer ! Ils n’ont ni les émotions de la guerre, ni les plaisirs de la chasse, car ils sont trop doux pour s’amuser a tuer des bêtes inoffensives. Ceux d’entre eux qui ont l’esprit aventureux peuvent fonder des colonies, mais ils ne courent aucun risque, et, d’ailleurs, la place finira par leur manquer. Ou bien ils s’appliquent a inventer des machines nouvelles et a faire avancer la science, ce qui ne doit pas être a la portée de tout le monde, dans une civilisation déjà si savante et si bien outillée. Ils n’ont même pas une littérature très florissante et sont obliges de relire les anciens auteurs pour y trouver la peinture des passions dont ils sont exempts, des conflits qui ne sont plus de leur siècle. Cette tranquillité d’âme se reflète sur leur visage qui a quelque chose d’auguste et de surhumain, comme le visage des dieux antiques ; ce sont des hommes de marbre. Ils ne vivent pas. »

 

La civilisation du Vril-ya ne cache pas son mépris pour les peuples qui lui sont inférieurs, car encore au stade démocratique de la bêtise de masse et dépourvus de la maîtrise du Vril, clef de tout progrès collectif.

Notre ''héros'' s’échappe et revient à la surface pour raconter l’histoire de "la race à venir", qui est à l’origine du titre. D'ailleurs, cette ''race à venir '' ne serait-elle pas celle qui nous exterminerait … ?

Pourtant, ce livre n'est aucunement ''sulfureux'' et ne préfigure rien de dangereux... Est-il néanmoins dangereux... ?

Louis Pauwels et Jacques Bergier dans ce fameux livre, "Le Matin des magiciens" soutiennent que ce livre a inspiré un groupe nazi qui se serait appelé : ''La Société du Vril''...

Difficile de penser que des gens qui se prennent au sérieux puissent s'appuyer sur un roman comme celui-ci … La théorie de la Terre creuse ( ou espaces creux) avec une civilisation cachée, n'est pas scientifique mais légendaire …

Les ''Vril-Ya'' n'ont rien à voir avec les Aryens, et sont plutôt dominés par les femmes... C'est vrai qu'ils se considèrent comme une race supérieure ( le concept de race correspond à l'époque …)

Ce qui est moins étonnant, c'est qu'à la fin du XIXe siècle, ce livre ait pu inspiré Helena Blavatsky et sa Théosophie... Pourtant, ce peuple Vril, semble s'être coupé de la passion,et celle de l'Art en particulier …

 

Aujourd'hui ce roman est peu lisible, sinon par curiosité historique. Le texte nous semble lourd, rébarbatif, similaire à un documentaire. L'action, et le suspens sont minimaux.

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Madame Solario - 3-

Publié le par Perceval

Dans cette troisième partie, la narratrice replace l'action sous le regard du jeune Bernard Middleton.

La haute société de l'hôtel à Cadenabbia va réagir à ce que l'on commence à soupçonner de la vraie nature de la relation entre le frère et la sœur....

Bernard ressent fortement la violence qui anime le comte Kovanski. Le colonel Ross, tente paternellement de le dissuader de l'approcher davantage... « nous ne les comprenons pas tout à fait - ils ne respectent pas les mêmes règles que vous connaissez »...

Villa d'Este - lac de Côme

 

Enfin, un bal à la Villa d'Este réunit toute la société des bords du lac.

Madame Solario danse avec grâce... Middleton, toujours fasciné par elle, réduit à la position de spectateur, regarde le magnifique spectacle, dans lequel il regrette de ne pouvoir être lui-même acteur, mais il se sait ''invisible''...

Natalia et Eugène dansent ensemble; quand Missy se jette entre eux, et crée le scandale... Elle s'écrie : « Sa sœur ! Sa sœur.. ! »

Bernard ne comprend pas. Nous-même ne sommes pas persuadés de ce qui existe réellement entre le frère et la sœur ; le mot inceste n'est jamais prononcé.

Dernier bal (1905), d'Aurélio de Figueiredo.

« Il atteignit l'angle du couloir quand, devinant une présence, il se retourna. A l'autre bout du corridor, madame Solario venait vers lui. Ils marchèrent à la rencontre l'un de l'autre et, pendant les dernières secondes, avant qu'ils ne se rejoignissent devant la porte de la jeune femme, il eut conscience de certains détails, comme le frou-frou de sa jupe et le port de sa tête rejetée un peu en arrière. Elle attira Bernard dans la pièce, sans refermer la porte, qu'elle laissa entrouverte. Tandis qu'il demeurait pétrifié, elle leva le bras dans un geste d'une grâce admirable et pencha vers elle la tête de Bernard jusqu'au moment où les lèvres du jeune homme pressèrent les siennes. Puis, se dégageant de ses bras, elle le poussa au-dehors. » fin du chap 28, p 456


 

Le lendemain, Natalia demande à Bernard de l'accompagner dans sa fuite ; sans lui donner aucune explication. Elle tente de fuir son frère, et de retrouver un vieil ami américain qui pourrait être en Italie et qu'elle souhaiterait rejoindre, et avec qui elle retournerait en Amérique...

A travers les yeux de Bernard, Gladys Huntington évoque et souligne à plusieurs reprises la beauté idéale, presque irréelle de Madame Solario... Alors que les événements vont se bousculer et entraîner le jeune homme bien au-delà de ce que son père attendait présentement ( son retour en Angleterre...) ; Madame Solario reste imperturbable, et utilise avec indépendance l'admiration que lui voue le jeune homme...

 

Bernard et Natalia fuient ensemble - le jeune homme se délecte de cette intimité, toute chaste - et vont rechercher en plusieurs villes la trace de ce vieil ami américain, entre Florence, Parme et Milan... C'est à Milan qu'il perdent sa trace... Et c'est au Palace Hôtel, qu'ils vont retrouver Eugène et Kovanski partis à la recherche des fuyards...

Bernard n'a plus d'argent, et tente de demander de l'aide au Consulat d'Angleterre...

Milano - Piazza Cadorna - Stazione

A l'occasion d'un malaise d'Eugène, le médecin qui rencontre le groupe, s'adresse au jeune Bernard :

« - Mais vous avez une famille ? »

Après l'avoir regardé de haut en bas d'un air impatient, le docteur l'observait maintenant, le jaugeait :

« Vous avez des parents quelque part ? demanda-t-il.

- Oui », dit Bernard, après un silence plus long.

Le docteur sembla avoir pris une décision. il commença par mettre sa trousse sous son bras et par enfiler ses gants. C'étaient des gants de coton gris, et Bernard comme fasciné, n'en pouvait détacher ses regards.

« J'ignore quelles études vous avez faites, dit-il, mais vous savez peut-être que les géologues appellent « failles » des points faibles de l'écorce terrestre, qui provoquent des tremblements de terre et des affaissements de terrain. »

Ses gants une fois enfilés, il se mit à les boutonner avec des gestes énergiques :

« Et je vais vous dire une chose que l"expérience m'a apprise, poursuivit-il. Voyez-vous, il existe des gens qui, à l'exemple des failles, sont comme un point faible dans le tissu dont est faite la société : partout où ils se trouvent, ils apportent le trouble et le désastre. »

Sous ses sourcils hérissés, il lança à Bernard un regard féroce.

« Jeune homme, ne restez pas ici ! Retournez sur un terrain solide, le plus tôt possible ! »

Étourdi sous le choc, Bernard, incapable de saisir clairement le sens de ces paroles, se souvint confusément d'une ascension en montagne et du pire moment qu'il eût jamais connu, celui où une crevasse s'était ouverte presque sous ses pieds. » p 454

 

Dans une des dernières scènes du roman, le comte Kovanski, déterminé à se marier avec la fascinante héroïne, malgré le scandale et même pour la racheter en quelque sorte, fait référence sans le nommer à l'inceste commis par Natalia et Eugene. Cependant, ni le frère ni la sœur ne l'admettent... Eugène essaie de le nier, affirmant que la rumeur était simplement le fruit de l'imagination grossière de Missy Lastacori.

Pourtant, Eugène change de comportement quand il crie à Kovanski: « Elle est à moi, seulement à moi. Vous ne l'aurez pas … Elle est à moi! », montre évidemment qu'il ne peut pas se contrôler même en public et qu'il admet la relation transgressive qui existe entre lui et Natalia...

 

Finalement, nous constatons que Madame Solario tente de fuir son frère ; cependant sans plus d'opposition de sa part... c'est ensemble qu'ils quittent l'Italie...

Cette nouvelle fuite, laissent et prennent de surprise Kovanski - qui choisit le suicide - et Bernard Middleton seul devant ses illusions, et sauvé de l’abîme par le consulat et le Colonel Ross qui prennent en charge son retour en Angleterre.

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Madame Solario - 2-

Publié le par Perceval

Dans cette deuxième partie ( Chap 10), la narration se centre autour de madame Solario et de son frère, avec un changement de point de vue : celui d'Eugène, Nelly n'exprimant que très peu le sien... Bernard Middelton est à peine mentionné au cours de ces dix chapitres.

Intéressant de remarquer le titre français du livre, ''Madame Solario'', connecte la femme à Paris - où elle a vécu comme adolescente – et indique son état matrimonial...

On apprend que le mariage de Natalia s'est rompu et qu'elle envisage le divorce. Nous n'en apprenons pas les raisons... Luis Solario, son mari sud-américain, richissime marchand et ami de son beau-père, l'a emmenée dans sa patrie où ils vivaient dans un ranch.

 

A présent, Natalia est aux prises avec son frère Eugène Harden, qui « débarque » littéralement à l'hôtel avec, dans un premier temps, l'intention de demander des comptes à sa sœur à propos de l'héritage familial.

Ce qui s'est réellement passé autrefois, n'est pas clair... Le beau-père ( nommé, de Florez) de Nelly et Eugène, donc le mari de leur mère – aurait eu une ''aventure'' avec la jeune fille alors qu'elle n'avait que seize ans... Eugène, aurait ressenti cela comme un affront fait à sa mère, dont il tient responsable le beau-père, mais aussi sa sœur. Eugène aurait blessé son beau-père, et aurait été contraint à un long exil, reprochant à sa sœur son manque de soutien, et d'avoir accaparé par la suite l'héritage familial …

Ces informations sont distillées lors d'entretiens entre le frère et la sœur, au cours desquels les informations pour le lecteurs restent vagues, d'autant que Madame Solario reste mystérieuse, sans approuver les propos de son frère...

Mort à Venise - Visconti

Par ailleurs, la vie mondaine à l'hôtel, suit son cours...

« A cette époque de féminité triomphante, le comportement de madame Solario était bien particulier. Elle n'apparaissait pas en public avec cet éclat et cette assurance qui étaient alors de règle parmi les femmes, pour peu qu'elles fussent douées de beauté ou de charme. En général, elles revendiquaient hautement le privilège d'être admirées, mais madame Solario n'exigeait rien de semblable. » (chap 13

Sans accent étranger, Eugène Harden n'avait pas l'air tout à fait anglais. «  Il n'avait pas, selon les conceptions du colonel Ross, le bon ou le mauvais type d'Anglais. Pas tout à fait anglais, mais trop anglais pour être étranger - on ne pouvait pas dire, en bref, ce qu'il était... »

 

J'ai été frappé par la référence faite à Peter Schlemilh ( j'en ai parlé ici), l'homme qui avait perdu son ombre … Eugène s'est retrouvé ''sans papiers'', seul, comme sans ombre...

Eugène regrette de n'être pas comme ''ces gens'', il envie leur ''supériorité'': ils ont la supériorité de devoir leur bonne fortune à quelque chose dont ils n'avaient rien à voir. Ils sont nés avec une sorte de ''super-soi'', qui plane au-delà des frontières, et pensent qu'ils ont le droit de regarder d'en-haut...

L'innocent de Luchino Visconti (1976)

Longuement, Eugène interroge sa sœur sur leur passé; s'il obtient peu de réponse de sa part, lui ne se prive pas de commenter seul et avec amertume, jalousie... Il serait, lui, la seule victime de ce drame familial, parce qu'il a vengé la mère, pour être condamné à l'exil, puis à la nécessité... Il semble persuadé (?) que sa sœur a trahi leur mère et causé le malheur de la famille, et n'envisage pas encore qu'elle ait pu être simplement la victime d'un homme plus âgé, sans scrupules.

 

Eugène semble, ensuite, avoir mieux compris... Il n'est plus indigné, et ne blâme plus sa sœur... Mais, si l'acte en soi reste condamnable, la jeune fille immature, désorientée, pourrait avoir gagné à découvrir le plaisir de la sexualité... En effet, on apprend que le jeune Eugène aurait raté sa cible, en essayant de tirer sur de Florez, alors qu'il surprenait le couple en flagrant délit et fut choqué de voir le plaisir exprimé sur le visage de Natalia....

 

Eugène va aussi se rendre compte que sa sœur, n'est pas aussi riche qu'il le pensait.

Silvana Mangano

Il commence à échafauder, par l’opportunité des rencontres dans cet hôtel, l'avantage que sa sœur et lui pourraient en retirer...

 

L'histoire sexuelle sur laquelle repose l'intrigue de '' Madame Solario'' - qui finalement se fait connaître - est ainsi marquée par la transgression, voire même dans l'esprit de certains par la perversion... Cela explique peut-être pourquoi à Cadenabbia, la jeune femme triomphe ainsi non seulement des jeunes filles mais aussi des femmes plus âgées... Madame Solario offre une combinaison toute particulière, faite de beauté, de sexualité, de mystère, de drame; et qui la rend irrésistible aux yeux des hommes.

 

L'attention est alors portée sur la relation de madame Solario avec le comte Kovanski... Ni Eugène, et donc ni le lecteur, n'est au courant de ce qui s'est passé (?) auparavant entre lui et Natalia... Puis, elle semble avouer que le comte est un ancien amant, dont l’obsession pour elle devient à présent menaçante... Eugène, retient ce qui pourrait l'intéresser : le désir du comte - qu'il nomme le Centaure - de se marier avec sa sœur, pourrait être une opportunité...

Le frère et la sœur, s'entretiennent des intrigues galantes du couple San Rufino : Natalia avec le marquis, et Eugène partageant ses flirts entre la marquesa... et la jeune Missy, fille de la Marchesa Lastacori,

La vie sociale de l'hôtel offre multiples occasions de se voir, de se rencontrer de se jauger... Chaque nuance dans le comportement de chacun a une signification, de sorte que le choix d'un siège peut constituer une victoire ou un revers, et quelques mots, peuvent changer la tonalité de la journée....

Eugène s'amuse beaucoup..  Il savoure le luxe, et imagine la manière de manœuvrer pour vivre ensuite à Rome, aux crochets du couple San Rufino...

 

La nuit Eugène entretient longuement sa sœur, dans sa chambre, et y fait des plans sur l'avenir de l'un et l'autre; leur futur à présent semble lier... Elle écoute beaucoup, intervient peu...

Ils forment un beau couple, une paire éblouissante ; on les nomme ''les Gémeaux '', du fait de leur allure commune, de leur beauté...

 

Un incident éclate entre Kovanski, et le marquis San Rufino... Puis, c'est Eugène qui s'affronte au comte; qui disparaît...

On apprend aussi que Missy est au courant de la tentative de meurtre du beau-père par le frère... !

Les sentiments des uns et des autres s'échauffent, et les plans d'Eugène se délitent.... A voir « l'accord » entre Natalia et San Rufino, Eugène se demande s'il n'y a pas entre eux plus qu'il ne le supposait... La mère de Missy reproche à sa fille d'accepter les attentions du frère ; d'autant que lui-même adresse ses hommages à une autre... Puis, Eugène craint que Missy ne colporte des rumeurs sur son compte ...etc

L'innocent de Luchino Visconti (1976)

La dernière scène de cette seconde partie, se passe la nuit dans la chambre de Natalia... Le frère et la sœur envisagent de quitter Cadenabbia... C'est une longue nuit, Eugène quitte la chambre et revient … Longs échanges, et brusquement, Kovanski surgit de la fenêtre, saute à l'intérieur de la pièce... Il s'imaginait trouver Natalia couchée avec un homme ; mais, il ne pensait pas trouver Eugène... Devant la colère du frère, Kovanski reconnaît avoir agi par jalousie...

Les deux hommes vont quitter la chambre de Madame Solario... « Au bout de quelques minutes, il revenait. Il ferma la porte et la verrouilla. Et telle était en lui la violence du désir que pour traverser la pièce il avançait en trébuchant.

« Comme votre papa est bon pour vous ! » dit-il haletant. » Page 348, fin de la partie II.

 

Le lecteur sait que cette dernière phrase fait réponse à la relation perverse entre Natalia et son beau-père... Ces mots était ceux utilisés par une gouvernante française, qui, voyant de Florez penché vers le cahier de Natalia, et ignorante du fait qu'elle avait en fait surpris son employeur en train de séduire sa jeune belle-fille, et non pas de l'aider dans ses devoirs, avait naïvement commenté ainsi l'attachement de l'homme pour la jeune fille. Eugène, donc, connaît les détails de cette scène qui a marqué le début de la relation de Natalia avec son beau-père...

Tout pourrait donc suggérer, que va commencer là une relation incestueuse... qui n'a jamais été évoqué précédemment...

 

A suivre...

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'' La Belle dame sans merci '', œuvre d'Alain Chartier (1424)

Publié le par Perceval

''Merci'', vient du latin ' merces 'avec le sens de '' salaire, récompense '', mais aussi avec la signification de '' grâce, pitié '', peut-être parce que la grâce peut parfois être considérée comme une forme de récompense (je te gracie parce que tu t'es bien battu). C'est d'ailleurs ce dernier sens qu'a ''merci'' lorsqu'il apparaît en français avec cette orthographe au XIe siècle.

En 1427 Alain Chartier est envoyé en Écosse pour y négocier le mariage du jeune dauphin (plus tard Louis XI), alors âgé de cinq ans, avec Marguerite d'Écosse. Ici, ce tableau illustre : The story of the famous kiss bestowed by Margaret of Scotland on « la précieuse bouche de laquelle sont issus et sortis tant de bons mots et vertueuses paroles »

 

 

' La Belle dame sans merci. ' (1424) est l'oeuvre la plus connue de Alain Chartier ; poète français et orateur en langue latine (Bayeux vers 1385-vers 1435). Secrétaire du Dauphin, le futur Charles VII, il est considéré comme un des créateurs de la prose oratoire française (le Quadrilogue invectif, 1422).

 

La Belle Dame sans mercy, rédigée par Alain Chartier dix ans après la défaite d’Azincourt (1415), fait scandale dans les milieux de la cour. Le sujet est généralement considéré comme un défi aux valeurs de l’amour courtois. Ce poème emprunte une forme courante au XVe siècle, le huitain à trois rimes enlacées, ababbcbc .

L’intrigue met en scène trois personnages : un amant plaintif qui déclare son amour, une dame impitoyable repoussant ses avances et un poète malheureux qui écoute leur conversation en cachette.

La combinaison de « l’amant-martyr » et de « la dame-sans-merci » n’est pas rare dans la littérature médiévale . On retrouve également une situation analogue du poète dans le Débat de deux amans de Christine de Pizan. Pourtant, une opposition aussi constante de la Dame à l’Amant est remarquable parmi les textes de poésie lyrique où est mise en scène la « dame-sans-merci ».

Dans l’œuvre d’Alain Chartier, « tous les arguments de l’amoureux sont immédiatement réfutés » par la Dame. Du début jusqu’à la fin, la Dame se défie des paroles de l’Amant, sans jamais changer d’attitude.

La notion de défiance en moyen français (defiance, deffiance et desfiance) désigne à la fois le « défi » et la « défiance ». Le premier sens, « défi », implique l’« action de défier, de provoquer quelqu’un au combat, de déclarer la guerre à quelqu’un ». Le second sens est : « sentiment de celui qui n’a pas de confiance, manque de confiance, défiance »

Dans La Belle Dame sans mercy, l’Amant, à travers le terme deffiance, insiste sur le fait que les yeux de la Dame le provoquent à la guerre en lui envoyant un héraut représenté par le 'doux regard'. Ici, la deffiance prend le sens de « défi » (au combat) en ancien français

Au début du débat, les « belles paroles » sont l’objet de la défiance de la Dame. Le choix de l’adjectif beau pour qualifier les paroles de l’Amant suggère la futilité des paroles des amoureux

Dans la suite du poème, l’Amant remplace le beau parleur auquel la Dame faisait allusion par le jangleur, celui qui se plaint par calcul...

L’Amant souligne le contraste qui existe entre un tel jangleur – qui ne sait guère dissimuler sa faintise (faux-semblant) – et un homme réellement triste. Aussi justifie-t-il l’authenticité de ses propres paroles. La Dame renchérit sur ce motif, employant l’expression « cruel losengeur »

La faintise atténue la divergence entre deux adjectifs, « villain » et « courtoise », à savoir qu’elle dissimule un cœur vil par des paroles courtoises.

La faintise de la parole est donc un fondement de la défiance de la Dame envers les paroles de l’Amant.

La Dame déprise la souffrance d’amour dont l’Amant se plaint, en l’attribuant à une « plaisant folie »...

Enluminure du Roman de la Rose

Si la Dame adoucit son attitude, l’Amant la contredit en se comparant à des animaux de chasse apprivoisés.

En se défendant de la double accusation de faintise et de change, l’Amant synthétise ici l’objet de la défiance de la Dame.

Le refus de l’Amant de croire les propos de la Dame fait un parallélisme avec la défiance de la Dame. Une valeur de l’amour courtois, à savoir la « loyauté », fait l’objet de la foi de l’Amant. ( …)

La Dame reproche à l’Amant de ne pas s’en rapporter à elle...

De son côté, l’Amant n’accepte pas le conseil de la Dame de trouver ailleurs une dame « plus belle et jente », et n’ajoute pas non plus foi aux paroles de sa bien-aimée...

L’Amant prétend que la démonstration de sa loyauté peut dissiper le soupçon de la Dame. (…) En vain l’Amant essaie-t-il de convaincre la Dame...

La guerre verbale entre l’amoureux et son « amoureuse annemie » prend fin avec l’ultimatum de la Dame : « Une fois pour toutes croyez / Que vous demourrez escondit. » . Nous pouvons interpréter le terme croire comme signifiant « être persuadé » . Le verbe escondire signifie « refuser, repousser », en contexte amoureux.

Ici se déroule une guerre verbale, sous forme de débat entre deux combattants qui ne se font pas confiance et refusent jusqu’à la fin de reculer. Dans cette guerre verbale, bien différente de la bataille conforme au code chevaleresque, le fait de se rendre en demandant « merci » n’est pas accepté. Les requêtes formulées par l’Amant, aussi bien celles destinées à obtenir la « pitié » que la « grâce », sont repoussées par la dureté de la Dame... !

D’une part, la défiance de la dame sans merci porte entièrement sur la fausseté de la parole, faintise, énoncée par l’amoureux, ainsi que sur l’inconstance du cœur de ce dernier, le change.

Voir aussi: LE MYTHE DE LA '' LA BELLE DAME SANS MERCI ''

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Madame Solario - 1-

Publié le par Perceval

J'avais lu une première fois ce roman, alors qu'il était considéré d'un auteur anonyme ( collection 10/18) , avec de fortes présomptions que ce soit Winston Churchill...

Je viens de le relire, sachant que l'auteure en est Gladys Huntington, née Parrish, américaine née en 1887 et décédée en 1959.

Ce livre fut publié, anonymement, en 1956. Gladys Huntington se suicide trois ans plus tard. Sur la stèle posée sur sa pierre tombale est inscrite la mention : « Epouse de Constant Huntington et fille d’Alfred Parrish ».

Gladys Parrish Huntington

Je vais tenter de raconter le sujet de ce livre qui m'a impressionné... A noter, tout de suite, que j'ai aimé ce livre pour ce qu'il se retient de dire, plutôt que par son intrigue qui pourrait se résumer, ou se décrire à la manière du film de René Féret (2012) , que je ne recommande précisément pas, du fait de l'absence du mystère qui irradie le livre ( ajouté au fait, sans-doute, de l'anonymat de l'auteur …).

Ce livre, va bien au-delà d'une réflexion sur les structures sociales et familiales : conditionnement social, inceste ..etc..). Le film est trop conventionnel, pas assez mystérieux... ; et trop loin des images que mentalement le lecteur se construit en tournant les pages … Marie Féret ( Natalia Solario) est trop jeune pour le rôle... Restent, l'esthétique des décors et des costumes, la beauté du lac de Côme...

Ce livre de 500 pages, est organisé en trois parties et trente chapitres.

L'héroïne de ce roman est Nelly-Natalia-Ellen Solario, et l'histoire est située en 1906, dans un palace de Cadenabbia, l’Hôtel Bellevue ( qui existe toujours), au bord du lac de Côme, en Italie. Lieu de villégiature, nous sommes au coeur d'une société mondaine cosmopolite (avec des américains, italiens, français, russes et anglais). Le décor, et le mystère qui entoure l'héroïne pourraient nous renvoyer à quelques écrits de Henry James...

Silvana Mangano

Madame Solario distille quelques renseignements sur ses origines : anglaise, américaine et plus encore avec son nom ''exotique''… La réticence de Natalia à donner des informations sur elle-même ne fait qu'ajouter à son énorme charme, ce qui fascine – avec sa beauté - en particulier les hommes.. Citoyenne du monde, déracinée et familiarisée avec la haute société, elle incarne une question que chacun tente de résoudre...

 

Gladys Huntington, nous décrit un tableau, où s'offrent particulièrement à nos yeux les toilettes féminines :

« En l'année 1906, les femmes portaient de longues jupes qui leur moulaient les hanches et rasaient le sol ; les tailles fines étaient serrées dans d'étroites ceintures, les bustes pleins et les corsages très ornementés. La mode d'été exigeait aussi le port de volumineux voiles de mousseline jetés sur les chapeaux à larges bords et flottant de là sur les épaules jusqu'à la taille ou même au-dessous.

Une telle profusion de parures faisait de chaque femme une sorte de divinité, et une divinité suppose toujours un culte. L'atmosphère sociale de cette époque était particulièrement imprégnée de féminité»

La première partie est racontées du point de vue de Bernard Middelton, jeune Anglais qui vient de finir ses études et qui bénéficie de quelques vacances avant de rentrer en Grande-Bretagne prendre un poste dans la banque familiale. Il est ici, seul, de façon inattendue, du fait de la maladie de son compagnon de voyage... Il semble naïf, mais observateur, et rapide à tirer des conclusions...

'Middleton '- comme les jeunes filles l'appellent - est dès son arrivée, rapidement entraînée dans un tourbillon d'excursions en bateau et de bals. Il se sent attiré vers une jeune fille aristocrate hongroise, Ilona Zapponyi ; il remarque sa pâleur et son air malheureux. Mais la jeune fille, n'a d’yeux que pour le comte Kovanski.... Bernard « sut tout de suite qu'il n'aimait ni l'homme ni le regard»; en effet, ce personnage apparaît bien antipathique, hautain...

film de René Féret

Nous aurions pu imaginer une intrigue d'amour entre Middleton, et Llona...

« Sa position à l'égard d'Ilona changea. Il se sentait toujours attiré vers elle, mais leurs routes étaient parallèles, elles ne se rencontraient pas comme il l'avait cru pendant la demi-heure qui venait de s'écouler. »

 

A l’hôtel Bellevue, les jours coulent doucement entre excursions sur le lac, balades, pique-niques, bals et potins en tout genre. Quand le bateau à vapeur du soir arrive, tout le monde observe les éventuels nouveaux arrivants... C'est l'un des événements de la journée, un événement social...

« Le vapeur du soir accostait au même moment et tout le monde était sur la terrasse pour assister à l'arrivée éventuelle de nouveaux pensionnaires. C'était l'un des événements de la journée, et même un événement mondain, une « réunion ». C'est par ce même vapeur que Bernard était arrivé lui aussi et il se rappelait l'impression à la fois chatoyante et mystérieuse que lui avaient faite de prime abord ces gens alors totalement inconnus. Maintenant il les connaissait, tout au moins de vue et de nom, et il était là, parmi eux, regardant un paysage tout différent de celui qui s'offrait aux yeux des arrivants. La roue à aubes de l’archaïque petit vapeur blanc brassait l'eau à grand bruit. On lança des cordages, les noeuds coulants s'accrochèrent aux poteaux du débarcadère et les passagers descendirent la minuscule passerelle. Du rivage, quelqu'un aperçut une figure de connaissance et l'on échangea des paroles d'accueil. Chacun semblait parler et sourire, il régnait une gaieté générale, on aurait presque dit une scène d'opérette. »

L'hôtel devient une scène où vont se fréquenter et s'observer une foule de personnages, qui dans le cadre d''un confortable désœuvrement vont graviter de plus ou moins prêt, autour d'une belle femme mystérieuse puis du couple qu'elle forme avec son frère qui la rejoint... Certains vont être entraînés dans les ''combines'' conçues par le frère et soeur.... En particulier le couple du marquis et de la marquise Lastacori, avec leur fille Missy : « cheveux noirs, et un teint naturellement coloré, des hanches étroites, une poitrine pleine, et ses mouvements nerveux faisaient tinter ses bracelets ». cette jeune fille exubérante, capricieuse va tomber amoureuse du frère de Madame Solario...

 

Alors que Bernard a l'espoir de retrouver Ilona, il entend une conversation entre sa mère et le colonel: « Madame Solario revient demain ». «Ah, vraiment?» répondit la comtesse Zapponyi un peu sèchement. Il est clair que le colonel et la comtesse connaissent Madame Solario, mais le nom entendu derrière une colonne, pour le moment, ne signifie rien pour Bernard.

Puis, il constate le départ de Llona...

(1895)

 

Ensuite, Bernard va être sous le charme de madame Solario, de près de dix ans son aînée, et devient secrètement amoureux d'elle.

Madame Solario apparaît, puis passe comme une enchanteresse qui capte l'attention des hommes; elle pourrait, alors, être comparée à une «Belle dame sans merci», à la fois vulnérable et inatteignable. Nous n'apprenons que fort peu de choses d'elle, celles que peut glaner le jeune Bernard Middelton : n'aurait-elle pas un accent français, d'où vient-elle, n'est-elle pas américaine, pourquoi est-elle ainsi seule... ? Peut-être peut-on capter une certaine froideur, du fait de la distance que met l'énigmatique Me Solario avec les autres résidents ; alors que le jeune anglais, lui, nous devient plus familier …

Il semble que Me Solario apprécie la présence du jeune homme; ils sont de connivence ; elle insiste pour qu'il l'accompagne dans une promenade en barque sur le lac.. Et tout cela semble t-il, sous le regard dissimulé du comte Kovanski...

Ils marchent le long des sentiers sinueux qui longent le lac, Bernard devient un compagnon fréquent, et impressionné par cette beauté insaisissable.

Ils deviennent assez proche, au point qu'elle demande à Middleton de ne rien lui cacher et de la prévenir s'il se passait quelque chose de désagréable … A son tour, il lui demande de ne pas partir sans lui avoir fait savoir.... Elle lui promet.

Mata-Hari

 

Par son charme sa réserve, sa beauté, Natalia Solario, devient le centre d'intérêt de tous ; et en particulier de quelques hommes, comme le comte russe Kovanski, rarement visible... Bernard constate - pendant les repas - que Kovanski couve d'un regard amoureux Me Solario ; et que Ilona, ​​avec qui Bernard a sympathisé, n'a aucune chance de gagner l'intérêt de Kovanski...

Le bal est l'occasion de montrer la grâce naturelle de madame Solario, elle danse de façon exquise ; elle est très demandée, et les hommes se font concurrence et attendent pour danser avec elle …

 

Une certitude est la beauté de Madame Solario : blonde, grande... Elle agit en douceur, mange avec grâce... Et personne n'a idée de ce qu'elle pense...

Elle possède un chapeau pour chaque occasion, mauve, ou blanc ; un chapeau de paille naturelle pour faire du bateau... Il existe même un ''chapeau de restaurant'' avec le bord transparent et une énorme rose rose devant, et le même genre de rose est attaché à la ceinture de sa robe en dentelle blanche.

Enfin, c'est l'arrivée surprise à l'hôtel, d’Eugène Harden, le frère de Madame Solario, qu'elle n'a pas vu depuis douze ans, et qui l'appelle Nelly.

A suivre...

Auparavant... Incursion dans la Légende arthurienne avec la '' Dame sans Merci ''

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