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La légende de Merlin l'enchanteur. 1/3

Publié le par Perceval

Merlin l'Enchanteur

Il était une fois, en Bretagne, une jeune femme qui mit au monde un bébé si velu qu'on n'en avait jamais vu de semblable. Elle demanda aux personnes qui l'assistaient de le porter immédiatement à l'église pour qu'il reçût le baptême. - Quel nom voulez-vous lui donner ? - Celui de son aïeul maternel, répondit la jeune femme.

Parchemin, 435 x 315 mm. 1480-1485

Les seize premières miniatures ont été peintes en camaïeu par un artiste du Centre-Ouest de la France, le Maître de Charles de France. L'enluminure du folio 7 représente en une seule image plusieurs épisodes consécutifs à la naissance de Merlin : à gauche la naissance de Merlin, couvert de poils ; à droite son baptême, qui contrevient au projet du Diable de lutter grâce à lui contre l'action salvatrice de Jésus-Christ ; au centre le jugement de sa mère, tandis qu'on prépare déjà le bûcher pour son supplice.

C'est ainsi que le bébé fut appelé Merlin.

Or, Merlin avait pour père un diable, ce que sa maman n'osait avouer.

Tout en le berçant dans ses bras, elle l'embrassait malgré sa laideur et lui dit un jour :

- Parce que je ne peux désigner ton père, mon bébé chéri, tu seras appelé : « enfant sans père » et moi, selon la loi, je vais être condamnée et mise à mort. Pourtant, je ne l'ai pas mérité...

- Tu ne mourras certainement pas à cause de ma naissance.

Merlin avait alors tout juste neuf mois. La stupéfaction de sa mère en l'entendant parler fut si grande qu'elle le laissa choir. Aussitôt, l'enfant se mit à hurler, ameutant tous les voisins qui voulurent connaître la cause de ce vacarme. La mère de Merlin aurait-elle voulu par hasard le tuer ?

- Figurez-vous que Merlin parle comme une grande personne, expliquait-elle à tous ceux qui l'interrogeaient. Comme Merlin gardait la bouche close, à présent, cela rendait la chose encore plus extraordinaire et plus mystérieuse.

À la fin, certaines personnes, espérant l'entendre, le rudoyèrent. - Ah ! dirent-elles, il eût mieux valu pour ta mère que tu ne fusses jamais né. - Taisez-vous ! cria aussitôt le nourrisson, rouge de colère. Laissez ma mère en paix. Nul ne sera assez hardi, tant que je vivrai, pour lui faire du mal ou justice, hors Dieu. Si jamais gens connurent l'ébahissement, ce fut bien ceux qui entendirent ces mots. Et tous, sans exception, s'empressèrent de colporter la nouvelle à travers le village, tant et si bien, qu'elle parvint aux oreilles du juge.

Or le juge se dit : « Peut-être ferais-je bien de me débarrasser de cette affaire que j'avais oubliée et de convoquer cette mère que je dois condamner à être brûlée vive. » Au demeurant, le juge ne croyait en rien tout ce qui se racontait. Aux questions gênantes qu'il lui posa, la mère ne put que baisser la tête jusqu'à ce que Merlin, qu'elle tenait dans ses bras, éternuât bruyamment et s'écriât :

 

- Ce n'est pas de si tôt que vous la condamnerez, monsieur le Juge...

- Ah ! fit le magistrat qui n'en croyait pas ses oreilles. Et tu vas me dire pourquoi, j'espère...

- Certainement, répondit Merlin imperturbable, car si l'on condamnait toutes les personnes qui ne peuvent avouer le nom du père de leur enfant, il y aurait ici quantité de gens qui seraient brûlés. Je le ferais bien voir, si je voulais.

Et, ajouta le poupon belliqueux, je connais mieux mon père que vous le vôtre, monsieur le Juge, ne vous en déplaise...

À ces mots, le magistrat, le rouge au front, se disait : « ce garçon est extraordinaire. Non, je ne puis le tuer. » - Qui donc est ton père ? dit-il enfin de sa voix la plus douce. - Un de ces diables qui ont nom incubes et qui habitent l'air. De lui, j'ai la science infuse et celle des choses faites, dites, et passées. Je connais également celles qui doivent arriver...

- Les choses faites, dites et passées... répéta le juge en tremblant. Et comme il ne devait pas avoir la conscience bien tranquille, il décida de laisser la mère de Merlin en liberté.

Celui-ci vécut heureux et choyé auprès d'elle jusqu'à l'âge de sept ans.

 

La tour croulante

Manuscrit enluminé ( XIIIe) montrant Uther Pendragon , Æthelbert [ homonymie nécessaire ] , le roi Arthur et Oswald de Northumbrie , de Epitome des Chroniques de Matthieu Paris

Il y avait alors en Bretagne un roi qui se nommait Constant. Il mourut bientôt en laissant deux enfants en bas âge : Moine et Uter Pendragon. Or, le sénéchal du royaume, un certain Voltiger, homme féroce, plein d'ambition, et qui briguait le trône, donna l'ordre de tuer les enfants.

Uter Pendragon eut la chance d'échapper à cet ordre en partant clandestinement, avec de fidèles amis, pour une ville étrangère. Et Voltiger, se croyant sûr de pouvoir agir à sa guise, ne tarda guère à se faire couronner roi de Bretagne. Mais il n'était pas digne d'une aussi haute charge. Il n'aimait que les honneurs et point du tout ses sujets. Et ses sujets le savaient bien, qui haïssaient ses petits yeux au regard méchant, et sa bouche large et mince qui ne s'ouvrait que pour blâmer et punir. Voltiger, en dépit de cette impopularité qu'il sentait grandir autour de lui, était décidé à demeurer roi coûte que coûte. Aussi voulut-il, pour se protéger, faire bâtir aux portes de la ville une tour si haute et si forte qu'elle ne pût jamais être prise. Les maçons se mirent donc à l'oeuvre, mais à peine la tour commençait-elle de s'élever de trois ou quatre toises au-dessus du sol, qu'elle s'écroula. Voltiger convoqua ses maîtres maçons et contenant à peine son mécontentement, il leur commanda d'employer la meilleure chaux et le meilleur ciment qu'ils pourraient trouver. Et gare à eux si le travail ne s'accomplissait pas correctement ! Ainsi firent-ils, vous le pensez bien.

Hélas ! quand elle fut presque achevée, une seconde fois, la tour s'écroula. Puis une troisième, et une quatrième. Si bien que les châtiments tombaient drus sur les maçons et que le roi enrageait de plus en plus. Finalement, dans la crainte de ne jamais voir sa tour édifiée, Voltiger s'avisa qu'il valait mieux s'adresser aux mages et aux astronomes qu'aux maçons. Après onze jours de graves discussions, ceux-ci persuadèrent le roi que la tour ne tiendrait jamais si l'on ne mélangeait au mortier le sang d'un enfant de sept ans, né sans père.

- Que douze messagers partent immédiatement à travers la Bretagne et ramènent un enfant qui réponde à ces conditions, ordonna Voltiger.

Un beau matin, l'un de ces messagers rencontra sur sa route des jeunes garçons en train de s'amuser. Parmi eux se trouvait Merlin. Et Merlin, qui connaissait toutes choses, s'avança vers lui et dit :

- Je suis celui que tu cherches, Messager. Enfant sans père dont tu dois rapporter le sang a ton roi.

- Qui t'a dit cela ? demanda le messager interloqué.

Ce garçon ne ressemblait pas tout à fait aux autres garçons. Il n'avait pas le regard rieur et naïf des jeunes enfants.

- Si tu me certifies que tu ne me feras aucun mal, j'irai avec toi et je t'expliquerai pourquoi la tour ne tient pas, poursuivait Merlin. Mais je pourrais d'abord te montrer que je sais bien d'autres choses, ajouta-t-il négligemment.

- Vraiment ? dit le messager. Allons Parle... Et il regardait Merlin avec une méfiance non déguisée.

- Eh bien, il s'agit d'une tour que le roi Voltiger voudrait bâtir, mais la tour s'écroule toujours. Alors il a réuni des mages... Du geste, le messager l'interrompit. Il se disait : « ce garçon est extraordinaire. Non, je ne puis le tuer. »

- Viens avec moi, ordonna-t-il à Merlin. Et, saisissant le bras de l'enfant, il ajouta plus doucement : n'aie pas peur. Merlin, lisant dans sa pensée, accepta volontiers de le suivre. Auparavant, il alla embrasser sa mère qu'il rassura pleinement. Tout au long du chemin, le messager acquit la conviction que Merlin était l'être le plus prodigieux qui eût jamais foulé le sol breton et qu'il se devait, en conséquence, de le maintenir en vie. Seulement, quand il arriva à quelques kilomètres du palais, il se demanda comment il s'y prendrait avec Voltiger. Merlin aurait-il une idée ?

Merlin et Vortigern

- Dis au roi la vérité, répondit Merlin. Donne-lui l'assurance que je lui expliquerai pourquoi il ne parvient pas à bâtir sa tour. Ainsi fit le messager, si bien que le roi, intrigué au plus haut point, manda Merlin, lequel prononça alors ces mots :

- Sous les fondations de la tour, habitent deux dragons. L'un est rouge et l'autre est blanc. Quand le poids de la tour devient trop pesant pour eux, ils éprouvent le besoin de se retourner. C'est à ce moment que les murs s'écroulent.

- Dans ce cas, il ne reste qu'une chose à faire, dit le roi, creuser le sol. Et aussitôt des ouvriers se mirent au travail. Dès qu'ils atteignirent la base des fondations, ils trouvèrent deux énormes dalles qu'ils soulevèrent.

Merlin avait raison : deux dragons en sortirent qui se jetèrent sauvagement l'un contre l'autre. Stupéfaits, intrigués, Voltiger, sa cour et tous les ouvriers suivirent la bataille, qui dura deux jours.

Le dragon rouge parut d'abord avoir le dessus, mais le blanc, plus agile parce que plus jeune, finit par le tuer. Cependant, son triomphe fut bref, car il se coucha et mourut à son tour. S'adressant à Voltiger, Merlin lui dit : - Maintenant, tu peux faire édifier une tour. Voltiger hocha la tête. Après un temps de réflexion, il demanda : - Saurais-tu me dire ce que signifie la bataille des deux dragons ?

Merlin sourit : - Promets-moi d'abord de ne point me malmener pour t'avoir dit la vérité. - Je te le promets.

- Alors, écoute bien : le dragon rouge, c'est toi, Voltiger, le dragon blanc, c'est Uter Pendragon. Dans quelques jours, vous entrerez en lutte : toi pour garder, lui pour reconquérir son royaume usurpé. Et le dragon blanc sera vainqueur du dragon rouge. À ces mots, le roi pâlit. Uter Pendragon était-il donc encore un vivant avec lequel il fallait compter ? Le coeur lourd d'angoisse, il décida par prudence d'envoyer une armée à Wenchester. Pouvait-il se douter que lorsque ses gens verraient luire au soleil les bannières d'Uter Pendragon sur le bateau qui l'amenait de Petite Bretagne au-devant de cette armée menaçante, ils le reconnaîtraient aussitôt pour leur roi légitime ? C'est ce qui arriva pourtant et Voltiger, abandonné de ses soldats et de ses amis, n'eut que le temps de s'enfuir dans un de ses châteaux forts. Il y demeura quelques jours en proie à la peur, puis, ainsi que l'avait prédit Merlin, il mourut pendant l'assaut qu'Uter Pendragon donna à la forteresse.

Jeux de Merlin

 

Il advint qu'Uter Pendragon, devenu roi de Grande-Bretagne entendit parler de l'extraordinaire Merlin, qui non seulement connaissait toutes choses, mais possédait encore de singuliers pouvoirs. Le roi décida donc de le faire vivre à sa cour, et envoya des messagers à sa recherche, sachant qu'il se cachait dans la forêt de Northumberland.

Un jour que l'un de ces messagers parcourait cette forêt épaisse et toute bruissante du murmure des feuilles, il aperçut, vêtu d'un bliaud élimé, les cheveux hirsutes, la barbe longue, et portant sur 1'épaule la cognée des bûcherons, un homme très maigre qui l'aborda en ces termes :

- Beau Sire, vous ne faites guère, me semble-t-il, la besogne dont vous a chargé votre seigneur...

Amusé autant que déconcerté par cette remarque, l'enquêteur s'arrêta et, d'un ton de plaisanterie, demanda au bûcheron de quoi il se mêlait. Sans répondre directement à la question, celui-ci déclara :

- Si je cherchais Merlin, il y a belle lurette que je l'aurais trouvé ! Cependant, il m'a recommandé de vous dire qu'il se rendra au palais si le roi en personne vient le quérir en cette forêt. Ce qui eut pour résultat de faire ouvrir des yeux tout ronds de stupéfaction à l'enquêteur.

- Merlin ! répétait-il. Tu connais donc Merlin... ? Le bûcheron hocha la tête, puis il disparut dans un fourré après une pantomime compliquée autant qu'intraduisible. Quand le roi Uter Pendragon apprit la chose, il n'hésita pas une seconde :

- Je pars au-devant de Merlin, dit-il. Et c'est ainsi que le roi et ses gens chevauchaient, un beau matin d'automne, à travers feuilles et buissons odorants et jaunis. Parvenus a une clairière, ils virent un troupeau de moutons, puis le jeune berger qui les gardait. Ils l'interrogèrent.

 

- Connaîtrais-tu Merlin, par hasard ? - Certes, répondit le berger. - Tu es son ami ? - J'attends un roi et si ce roi venait, je saurais bien le mener à Merlin.

- Eh bien, conduis-nous à lui... Comme le berger se grattait la tête et paraissait hésiter, Uter Pendragon s'avança et se nomma. - Je suis le roi lui-même, dit-il. - Et moi je suis Merlin, dit le berger. Les compagnons du roi poussèrent des cris d'indignation. Quoi ! Ce berger presque contrefait se prendre pour... Mais ils n'eurent pas le temps de terminer leur phrase : à la place du berger apparut le jeune enfant qui avait expliqué à Voltiger devant tous ses courtisans ce que signifiait la bataille des deux dragons.

Alors, le roi et ses compagnons, fort impressionnés, le saluèrent et l'entourèrent. C'est ainsi qu'on apprit, pour la première fois, en Grande-Bretagne, que Merlin possédait le pouvoir de se transformer à sa guise et de prendre l'apparence d'un autre. Cependant, Uter Pendragon eut beau lui promettre monts et merveilles, Merlin refusa de vivre à sa cour. Comme c'était un sage, il se contenta de remercier le roi et de l'assurer de son aide, préférant laisser aller les choses et ne point donner aux courtisans des sujets de jalousie, ce dont il eût été le premier à pâtir. Le roi s'inclina, mais dès qu'un problème se posait, qu'une question restait sans réponse, il appelait Merlin qui accourait. Ce fut ainsi que grâce à lui, Uter Pendragon put vaincre des ennemis redoutables, les Saines, et grâce à son pouvoir d'enchanteur, donner aux soldats morts, près de Salisbury, un cimetière aux pierres tombales venues d'Islande, si longues et si lourdes que nul homme n'aurait pu les soulever, même avec un engin. Et tant que le monde durera, ces pierres seront là...

La duchesse de Tintagel

Uter Pendragon était maintenant fort et puissant ; cependant, au milieu de ses soldats, il lui arrivait de s'ennuyer. Il songeait alors à la présence d'une reine auprès de lui, mais aucune femme ne lui paraissait assez belle ni assez sage pour lui plaire. Un jour, pourtant, il décida de rassembler pour une grande fête, dans son château de Carduel, au Pays de Galles, les seigneurs des environs, avec les dames et demoiselles. Il vint beaucoup d'invités, et parmi eux, Ygerne, l'épouse du duc Hoel de Tintagel. Dès que le roi la vit, il en tomba amoureux. Mais il n'y avait place, dans le coeur de la belle Ygerne, que pour son mari, en dépit des amabilités de toutes sortes que lui prodigua son suzerain. Convaincu qu'il ne pourrait jamais la conquérir, Uter Pendra on en éprouva un si profond chagrin qu'il en serait peut-être mort, si Merlin...

 

Oui, si Merlin l'enchanteur n'était accouru à son secours.

- Que faire ? Que faire ? gémissait le roi. - Sire, pourriez-vous me promettre un don... ? - Je n'ai rien à te refuser, Merlin... Merlin souriait.

Le roi songeait déjà, à son intention, à quelque récompense, mais à sa grande surprise, Merlin fit simplement préparer les chevaux.

- Voudrais-tu voyager ? demanda le roi.

- Nous allons partir tout de suite pour Tintagel, répondit Merlin. Peu avant d'arriver au château, Merlin descendit de son palefroi et cueillit une touffe d'herbe au bord du ruisseau. Puis, la donnant au roi :

- Il serait bon, sire, que vous vous en frottiez la figure, dit-il. Se demandant ce qui allait bien lui arriver, le roi se hâta d'obéir et aussitôt, il prit la taille et les traits du duc Hoel de Tintagel. Quand il se regarda dans le ruisseau, il n'en croyait pas ses yeux. À la porte du château, les guetteurs n'éprouvèrent aucun doute, et le firent entrer, le reconnaissant pour leur maître. Il était tard et la nuit ne se parait ni de lune ni d'étoiles. Qui fut encore trompée par les apparences et accueillit Uter Pendragon en croyant recevoir son époux ?

Ygerne, bien sûr, pour le plus grand bonheur du roi.

Hélas ! la semaine n'était pas terminée, qu'Ygerne apprenait que son mari avait été tué au cours d'un combat la nuit même où elle l'avait cru de retour. Jugez de son désarroi. La pauvre duchesse de Tintagel pleura toutes les larmes de son corps.

Cependant, Uter Pendragon l'aimait toujours et même davantage. Il s'empressa donc de solliciter sa main. Désemparée et libre désormais, Ygerne la lui accorda. Mais, honnêtement, elle tint à ce que le roi sache ce qui lui était advenu, certaine nuit très sombre, comment elle avait cru voir son mari. Le roi hocha la tête et sourit mystérieusement.

- Ce n'est pas tout, dit Ygerne.

- Quoi donc, ma belle amie ? Et Ygerne avoua qu'elle serait bientôt mère. Alors le roi soupira et dit doucement :

- Il ne faut en parler à personne. Quand votre enfant sera né, nous le confierons à quelqu'un qui s'en occupera. Ce fut alors que Merlin rappela au roi la promesse qu'il lui avait faite, et sollicita, en guise de don, le nouveau-né.

- C'est entendu, dit Uter Pendragon, cet enfant est tien. Et Merlin le remit à l'un des plus honnêtes chevaliers du royaume, Antor, qui le fît baptiser sous le nom d'Artus et qui l'éleva en compagnie de son propre fils que l'on appelait Keu.

Personne, sauf Merlin, ne se doutait du fabuleux destin qui attendait Artus.

Texte venu du web, auteur inconnu, merci à lui.

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Ballade contée au Moyen-âge -8/8-

Publié le par Perceval

Le temps passe.. Guillaume ne manque pas les rendez-vous à la poterne ''abandonnée'' où il retrouve la belle Ermengarde ...

Et, ce jour, les deux amants éclatent de sanglots douloureux.
« Recevez mon dernier adieu, s’écrie Guillaume! C’en est fait, il n’est plus de bonheur pour moi dans cette contrée, et il faut que je la fuis, puisque je ne puis devenir votre époux. Maudites soient à jamais les richesses qui me font perdre tout ce que j’aime.

- Hélas ! je m’applaudissais de les posséder pour pouvoir vous les offrir, répondit la tendre Ermengarde. Faut-il que le sort me réduise à les maudire aussi !


Mais, mon cher Guillaume, ne désespérons pas encore : il nous reste une ressource...
- Vous m'aviez parlé que près d’ici, à Eyjaux, vous avez un vieil oncle de l’âge de mon père et son ami d’enfance ; si vous lui êtes cher, comme je ne puis en douter, allez le trouver et lui confiez le secret de notre amour : sans doute il a aimé dans son jeune âge ; il aura pitié de nous. Dites-lui qu’il peut faire mon bonheur et le vôtre ; je ne lui demande pour cela qu’un service simulé ; c’est de vous céder, pendant quelques jours seulement, trois cents livres de rentes sur sa terre ; qu’il vienne alors me demander pour vous à mon père : il m’obtiendra de son amitié, j’en suis sûre ; et dès que nous serons unis, nous lui remettrons en mains l’acte de son bienfait ! Ah ! mon doux ami, ai-je besoin de ses présents pour t’aimer !

- J’allais mourir, s’écria Guillaume ; vous me rendez l'espoir et la vie. »

Il court aussitôt chez l’oncle et le supplia de seconder son amour, sans lui avouer cependant qu’il est aimé de la demoiselle.
« Votre choix ne mérite que des éloges, répondit celui-ci ; j'ai beaucoup entendu parler de votre mie, elle est charmante, soyez tranquille, je me charge de l’obtenir de son père, et je vais de ce pas la lui demander. » En effet, il monte aussitôt à cheval.
Guillaume, transporté de joie, part de son côté pour Châlucet où est annoncé un tournoi qui doit durer deux jours. Pendant toute la route il ne s’occupe que du bonheur qu’il pourra enfin goûter. Hélas ! il ne soupçonne guère qu’on songe à le trahir.... !
L’oncle est reçu par le père à son ordinaire ; on se met à table, où tout en buvant l’un à l’autre, les deux ''vieillards'' racontent leurs antiques prouesses en amour et en chevalerie. Mais quand on eut desservi et que tout le monde s'est retiré :


« Mon vieil ami, dit le seigneur d'Eyjaux, je suis garçon et m’ennuie de vivre seul ; vous allez bientôt marier votre fille et vous trouver de même. Acceptez une proposition que j’ai à vous faire : accordez-moi Ermengarde ; je lui abandonne tout mon bien, je viens demeurer avec vous et nous ne vous quittons plus jusqu’à la mort. » Cette proposition enchante le père ; après avoir embrassé son vieux gendre, il fait venir sa fille, à laquelle il annonce l’arrangement funeste qu’ils vient de conclure ensemble.

Si la demoiselle est consternée, je vous le laisse à penser. Elle ne rentre dans sa chambre que pour se désoler, pour maudire mille fois la trahison du perfide vieillard, pour appeler à son secours le malheureux Guillaume. Pendant ce temps, le chevalier travaille à la mériter en se couvrant de gloire à Châlucet, et il est bien loin d’imaginer que par une noirceur abominable son oncle la lui enlève, et de plus, en le déshéritant. Le soir, elle courre à la poterne, car elle ignore qu’il est au tournoi ; mais après avoir attendu longtemps sans le voir paraître, elle se croit abandonnée.

Le jour fatal vient d’être fixé par les vieillards au surlendemain. Le futur a demandé que le mariage et la noce se fissent en urgence, et en son château d'Eyjaux. En conséquence, il est réglé que, pour arriver de bonne heure, on partirait au point du jour ; et, en attendant, le gendre et le beau-père envoient dans tout le voisinage inviter leurs amis, c’est-à-dire ceux des gens de leur âge... Le lendemain, arrivent, les uns après les autres, ces barbons au corps décrépit, au front ridé, et à la tête chauve. Jamais ne s'est vue assemblée de noce plus burlesque. On pourrait penser qu'ils viennent tous, avant de partir pour l’autre monde, se dire le dernier adieu.
La journée est employée à préparer les ajustements et la parure de la triste mariée. Elle étouffe intérieurement de douleur, et se voit obligée pourtant de dévorer ses larmes et d’affecter un visage tranquille. Le père vient de temps en temps examiner si l’ouvrage avance. Dans une de ces visites, quelqu’un lui demande s’il a songé à faire venir suffisamment de chevaux pour conduire à Médot toutes les personnes qui doivent s’y rendre. « Les hommes ont les leurs sur lesquels ils sont venus, répondit-il. Ceux de mes écuries serviront ; mais, en tout cas, pour ne pas nous trouver embarrassés, il n’y a qu’à en envoyer chercher quelques-uns de plus chez mes voisins. »
Et sur-le-champ il dépêche un domestique qu’il charge de cette commission.
Celui-ci se rappelle en route que Guillaume a un cheval gris magnifique, et réputé le plus beau de toute la vicomté. Le balourd croit que ce serait sans doute flatter sa jeune maîtresse que de lui procurer, pour une cérémonie aussi agréable, une pareille monture, et il va chez le chevalier l’emprunter.
Guillaume, après avoir remporté le prix du tournoi, passe chez son oncle pour chercher la réponse qu’il attend; mais ne l’ayant pas trouvé et s’imaginant que le père apparemment fait quelque difficulté, il est revenu chez lui, du reste si parfaitement tranquille sur cette affaire, si plein de confiance en la parole du négociateur, qu’en entrant il commande qu’on fasse venir son ami Bertran le troubadour pour chanter avec lui quelques chansons amoureuses. Il se flatte que son oncle se fasse un plaisir de venir lui annoncer lui-même la réussite de son message, et, dans cet espoir, il a sans cesse les sens tournés vers la porte.

C'est un domestique qui finit par apparaître, qui, le saluant de la part de son maître, lui demande au nom du vieillard, pour le lendemain son beau destrier gris. « Oh ! de toute mon âme, répond Guillaume, et pour plus longtemps s’il le veut. Mais quel besoin a-t-il donc de mon cheval ? Sire, c’est pour mener à Eyjaux, Ermengarde, notre demoiselle. Sa fille ! Eh ! que va-t-elle faire à Eyjaux? Se marier. Quoi ! est-ce que vous ne savez pas que votre oncle l’a demandée à monseigneur, et qu’il l’épouse demain matin au point du jour ? »

 

À ces paroles Guillaume reste pétrifié d’étonnement. Il ne peut croire une trahison aussi noire et se la fait certifier une seconde fois. Malheureusement pour lui, les coupables sont tels qu’il ne peut s’en venger. Il se promène pendant quelque temps en silence, les yeux baissés et l’air furieux. Soudain, il s’arrête, appelle son écuyer, fait seller le cheval gris, et le livre au valet. « Elle le montera, se dit-il à lui-même, et en le montant elle songera encore à moi. Ne suis-je pas trop heureux de contribuer à ses plaisirs ? Mais non, c’est à tort que je l’accuse. On a forcé sa main, elle n’en est que plus à plaindre ; moi, j’ai son cœur, et tant que je vivrai, elle aura le mien. »
Le chevalier alors appelle tous ses gens. Il leur distribue le peu d’argent qu’il a, et leur permet de quitter son service dès l’instant même. Ceux-ci éperdus lui demandent en quoi ils ont eu le malheur de lui déplaire. « Je n’ai qu’à me louer de vous tous, répond-il, et je voudrais qu’il me fut permis de vous mieux récompenser ; mais la vie m’est à charge, partez et laissez-moi mourir. »
Les infortunés se jettent en larmes à ses genoux ; ils le conjurent de vivre et le supplient d’agréer qu’ils restent auprès de lui pour adoucir ses maux. Il les quitte sans leur répondre et va s’enfermer dans sa chambre.


On dort pendant ce temps au château du père. Pour pouvoir partir de grand matin on s’y est couché de bonne heure, et le guetteur du donjon a ordre d’éveiller tout le monde au son du tocsin, dès que le jour commence à paraître : Ermengarde seule ne peut reposer. L’instant de son malheur approche et elle n’y voit plus de remède. Vingt fois dans la journée la pauvrette a cherché l’occasion de s’enfuir. Elle l’aurait fait sans crainte si la chose avait été possible, mais elle a trop d’yeux à tromper, et son unique consolation est de passer la nuit dans les larmes.
Vers minuit la lune se lève. Le guetteur, qui le soir a un peu bu et qui s’est endormi, se réveille tout à coup et voyant une grande clarté, croit qu’il est déjà tard, et se hâte bien vite de sonner son tocsin. Aussitôt tout le monde de se lever, et les domestiques de seller les chevaux. Le destrier gris, comme le plus beau, est destiné pour la demoiselle. À cette vue, elle ne peut contenir sa douleur et fond en larmes. On n’y fait point attention, parce que ces larmes sont attribuées au regret de quitter la maison paternelle. Mais quand il est question de monter le cheval, elle s’y refuse si opiniâtrement qu’il faut l’y placer comme de force.

On part: d’abord marchent les domestiques, hommes et femmes, puis les gens de la noce, puis la mariée qui, peu empressée d’arriver, s’est mise à la queue de la troupe. On l’a confiée à un vieux chevalier, homme sage et renommé, lequel doit lui servir de parrain pour la cérémonie, et celui-ci ferme la marche.
Il y avait pour arriver à Eyjaux trois lieues à faire, toujours dans la forêt, et par un chemin de traverse si étroit, que deux chevaux peuvent à peine y passer de front. Il faut donc aller à la file. Pendant la première demi-lieue on cause, on s’égaye un peu ; mais nos barbons qui n’ont pas dormi suffisamment succombent bientôt au sommeil. Vous auriez ri de voir leurs têtes chenues vaciller à droite et à gauche ou tomber penchées sur les cous des chevaux.

La demoiselle suit, trop occupée de sa douleur pour songer à eux. Pareille à ces condamnés qu’on mène au supplice, et qui, pour vivre quelques instants de plus, retardent la marche autant qu’ils peuvent, elle ralentit le pas de son cheval. Mais on n’a pas fait une lieue que, sans le vouloir, elle se trouve séparée de la troupe Son vieux conducteur ne s’en aperçoit pas davantage, parce qu’il sommeille comme les autres. Cependant ses yeux s’entr’ouvrent de temps en temps ; mais comme il voit toujours devant lui le destrier gris, ils se referment tout aussitôt : les chevaux, au reste, n’ont pas besoin de guides ; dans un chemin pareil ils ne pouvent s’égarer.
Il y a un endroit pourtant où la route se partage en deux ; l’une est la continuation de celle d'Eyjaux, et l’autre un petit sentier qui conduit chez Guillaume. Tous les cavaliers de la troupe ont suivi la première comme de raison ; et le cheval du vieux parrain ne manque pas de suivre la trace des autres. Pour le palefroi gris, depuis le temps qu’il conduit son maître au rendez-vous de la poterne de Lasnours, il est si fort accoutumé au sentier, qu’il le prend à son ordinaire.

Il faut, pour arriver chez Guillaume, passer à gué une petite rivière. Au bruit que fait le cheval en mettant le pied dans l’eau, Ermengarde sort de sa triste rêverie ; elle se retourne pour appeler le parrain à son secours, et ne voit personne ; seule et abandonnée dans une forêt à pareille heure, un premier mouvement d’effroi la fait tressaillir ; mais l’idée de pouvoir échapper au malheur qui la menace étouffe sa frayeur ; et elle pousse hardiment son cheval dans la rivière, prête à périr, s’il le faut, plutôt que de consommer cet hymen abhorré. Il n’y a rien à craindre ; le cheval, selon sa coutume, traverse de lui-même le gué ; et bientôt il arrive chez son maître.
Le guetteur apercevant la demoiselle corne aussitôt pour avertir, et vient lui demander ensuite, à travers la petite porte du pont-levis, ce qu’elle veut. « Ouvrez vite, crie la jeune fille, c’est une femme poursuivie par des voleurs qui vous demande secours. » L’autre regarde par le guichet : il voit une jeune personne parfaitement belle et couverte d’un riche manteau d’écarlate. La parure, la beauté de la demoiselle, ce cheval gris qu’elle monte et qui lui semble être le palefroi de Guillaume, l’étonnent au point qu’il croit que c’est quelque fée favorable que la compassion amène auprès de son bon maître pour le consoler. Il court aussitôt l’avertir. Guillaume a passé la nuit dans les larmes. Ses gens, véritablement affligés parce qu’ils l’aiment, n’ont pas voulu se coucher plus que lui. De temps en temps ils vont sans bruit écouter à sa porte, dans l’espoir que peut-être sa douleur s’allège; mais l’entendant toujours soupirer et gémir, ils reviennent pleurer ensemble. Cependant, des qu’il apprend qu’une femme est à sa porte, par courtoisie il va au-devant d’elle et fait baisser le pont-levis.

O joie inespérée ! O bonheur ! il voit sa mie. Elle s’élance dans ses bras, en criant : « Sauvez-moi » ; et en même temps elle le serre avec les siens de toutes ses forces, et regarde derrière elle d’un air d’effroi, comme si réellement des ravisseurs l'ont poursuivie.
« Rassurez-vous, s’écrie-t-il, rassurez-vous, je vous tiens et il n’y a personne sur la terre qui puisse désormais vous arracher à moi. » Alors il appelle ses gens, leur donne différents ordres, et fait lever le pont. Mais ce n’est pas assez ; pour être parfaitement heureux, il faut qu’il soit de façon urgente l’époux d'Ermengarde ; il la conduit donc à sa chapelle, et, mandant son chapelain, lui ordonne de les marier ensemble. Alors la joie rentre dans le château ; maîtres et domestiques, tous paraissent également enivrés de plaisir ; et jamais à tant de chagrin ne succèdent aussi promptement des transports de joie aussi vifs.
Il n’en est pas ainsi à Eyjaux. Tout le monde y est arrive excepté la demoiselle et son gardien. Mais on a beau se demander ce qu’ils sont devenus, personne ne peut l’apprendre. Enfin son gardien parait, toujours dormant sur son cheval ; et il est fort étonné, quand on le réveille, de ne plus voir la mariée devant lui.
Comme on soupçonne qu’elle ait pu s’égarer dans la forêt, plusieurs domestiques sont détachés pour aller la chercher. Mais on sait bientôt à quoi s’en tenir par l’arrivée d’un écuyer qu’envoie Guillaume, et qui vient annoncer que la demoiselle est chez lui et - de la part du chevalier - invite le père et tous les gentilshommes de la noce à se rendre chez lui. On y court ; Guillaume va au-devant d’eux, tenant par la main sa nouvelle épouse qu’il leur présente sous cette qualité.

À ce mot d’abord s’élève dans la troupe un grand murmure. Mais quand Guillaume prie qu’on l’écoute, quand il a conté toute l’histoire de ses amours jusqu’à l’aventure de son fidèle destrier, tout change. Ces vieillards, blanchis dans des principes d’honneur et de loyauté, témoignent même leur indignation de ce qu’on les a rendus complices d’une perfidie ; et ils se réunissent tous pour presser le père de ratifier l’union des deux jeunes gens.
Celui-ci ne peut s’y refuser, et la noce se fait chez Guillaume.
L’oncle est mort dans l’année ; le chevalier par cet événement hérite d'Eyjaux. Peu de temps après, son beau-père étant mort aussi, il se voit un des plus riches seigneurs de la Vicomté de Limoges, et Guillaume et Ermengarde ont vécu aussi heureux qu’ils méritaient de l’être.

-- Fabliaux adapté du Lai du Palefroi Vair (Histoire du cheval gris)

 

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Ballade contée au Moyen-âge -7/.-

Publié le par Perceval

Guillaume a obtenu de Dame Emma, ce qu'il voulait.

A vouloir goûté un bien si précieux, il en garde nostalgie, dès sa séparation... Et, le jeune chevalier en désire encore... Mais l'épouse de son seigneur, lui fait comprendre, qu'elle n'acceptera plus de répondre à aucun marché venant de lui.

Cependant, le jeune chevalier souhaite à présent le soutien de sa dame, dans son projet matrimonial – je le rappelle, il avait imaginé avec son ami Bertran, de s'attacher la Dame de son seigneur ; pour obtenir d'elle son soutien à son projet de mariage avec Ermengarde, qui, l'espère t-il, l'attend avec plus de fidélité qu'il ne le fait lui-même...- Mais, depuis sa victoire … Dame Emma, l'évite...
Guillaume se dit, comme si ce nouveau défi l'accaparait à nouveau : que cette fois-ci, il saura utiliser la nouvelle conquête de la dame de son seigneur...

La dame même, après en avoir goûté, s'ennuie de ses empressements ; et Guillaume la prie, alors, de le soumettre, lui, à un défi, qu'il s'engage à mener à bien, pour son amour d'elle. Et, elle imagine de s’en défaire en lui faisant quelque proposition bizarre et dont l’exécution est impossible.

- Il faut me construise ici près, hors de la ville, au mois de janvier, un jardin, rempli de verdure, de fleurs, d’arbres couverts de feuilles, comme au mois de mai 
Dame Emma déclare que si Guillaume ne satisfait pas son désir, qu’il ne la revoit plus jamais... !
- Et s'il m’importune encore, elle découvrira à son mari, à ses parents, tout ce qu'elle leur a caché jusqu’à présent...
Elle pense ainsi se débarrasser du chevalier de la bonne façon.

Mais … L’offre de sa maîtresse parait séduisante à Guillaume ! … Il est même si curieux de savoir ce qu’il en résulterait, qu’il se résout à chercher les moyens de la satisfaire à quelque prix que ce soit. Il fait chercher, dans toutes les parties de la vicomté, quelqu’un qui puisse l’aider et le conseiller. Enfin, il trouve un homme qui s’offre de lui faire, par magie, le jardin demandé. Il conclut marché avec lui, moyennant une fort grosse somme d’argent, et attend le mois de janvier avec l’impatience de l’amour.

Il arrive enfin, ce mois si désiré, et la nuit après les fêtes de Noël, lorsque toute la campagne est couverte de neige et de glace, le magicien fait tant, avec le secours de son art, qu’il apparaît dans un pré voisin de la ville un des plus beaux jardins qu’on ait jamais vus, réunissant les fleurs et la verdure du printemps aux fruits de l’automne.

Dès que messire Guillaume voit ce prodige, Dieu sait s’il est comblé de joie. Il fait aussitôt cueillir les plus beaux fruits et les plus belles fleurs, et les envoie secrètement à la dame de Hauterive, en l’invitant de venir voir le jardin qu’elle a demandé, pour être convaincue de l’amour dont il brûle pour elle.

Quand la dame voit les fleurs et les fruits que son amant lui a envoyés,... elle commence à se repentir de sa promesse.

Cependant la curiosité de voir des choses si nouvelles la fait glisser légèrement sur le repentir, et elle va, avec plusieurs damoiselles, voir ce jardin miraculeux. Après l’avoir examiné, loué et admiré, elle s’en retourne chez elle le cœur très-affligé, songeant à quoi ce jardin l’oblige. Son trouble est si violent, qu’il ne lui est pas possible de le déguiser, si bien que son mari s’en aperçoit. Il lui en demande la raison. La 'situation' lui fait renfermer pendant quelque temps son secret au dedans d’elle-même ; mais enfin, pressée d’une manière à ne pouvoir s’en défendre, et résolue de sortir de situation, elle lui conte la dernière partie de cette aventure.
D’abord le mari se fâche, se met en colère, sans trop faire du bruit ; ensuite, considérant l’honnêteté de sa femme, il se calme sagement.


« Dame Emma , il ne convient pas à ma femme, lui dit-il, de prêter l’oreille aux discours des amants, et encore moins de faire un marché déshonnête, quel qu’en soit le prix ; car c’est par l’oreille qu’on arrive jusqu’au cœur, et il n’est rien de difficile dont l’amour ne puisse venir à bout. Tu as donc commis deux fautes, la première d’écouter les discours d’un homme amoureux, l’autre de prendre des engagements. Mais, pour la tranquillité, je veux bien te mettre à portée de remplir ta promesse, en t’accordant ce qu’un autre refuserait sans doute ; d’ailleurs, il est à craindre que si Guillaume n’est pas satisfait, ce ''magicien'', qui le sert si bien, ne nous jouera quelque mauvais tour. Va donc trouver le chevalier, et fais tous tes efforts pour sauver à la fois ton honneur et ta parole ; si cela n’est pas possible, que le corps cède, mais que la volonté résiste. »

La dame feint de pleurer, et dit qu’elle ne veut pas de la permission qu’il lui donne ; mais le mari use d’autorité, et il faut obéir.

 Le lendemain, dès la pointe du jour, Dame Emma, travestie, accompagnée d’une servante, se rend au logis de messire Guillaume. Quel n'est pas son étonnement quand on lui annonce une pareille visite ! Il se lève et appelle le jardinier-magicien :

« Viens voir, lui dit-il, viens voir de quel trésor ton art me rend possesseur. » Il va au devant de la belle, et après l’avoir saluée avec toutes les démonstrations de la joie, il la fait entrer dans une belle chambre. Quand elle y est assise :
« Madame, lui dit-il, si l’amour que je vous ai voué, et que je vous conserverai toute ma vie, peut mériter quelque récompense, dites-moi, je vous prie, quelle heureuse occasion vous appelle chez moi à cette heure... ?
– Ce n’est point l’amour qui m’amène ici, lui répond-elle , le rouge aux joues ; ce n’est point non plus la promesse que je vous ai jurée, c’est … C'est uniquement pour obéir à mon mari, qui, plus sensible à votre amour criminel qu’à son honneur et au mien, m’a lui-même ordonné de venir vous trouver. Me voilà donc chez vous, par son ordre, et prête à faire tout ce qu’il vous plaira. »
 Si la visite inopinée de la femme de son seigneur étonne messire Guillaume, son discours l’étonne bien davantage. Touché de la générosité de Guy de Hauterive, l'amour pour sa dame, se change en admiration.

« À Dieu ne plaise, ma dame, que je sois assez peu loyal et assez ingrat pour souiller l’honneur d’un homme qui a daigné s’attendrir sur mes maux ! Vous pouvez donc demeurer ici, si bon vous semble, tant que vous le jugerez à propos, avec l’assurance d’y être respectée comme ma sœur. Vous en sortirez quand il vous plaira, à condition cependant que vous voudrez bien témoigner à seigneur Guy, dans les termes que vous jugerez convenables, la juste reconnaissance dont je suis pénétré pour son généreux procédé, et que vous l’assurerez que je suis pour la vie son vassal chevalier et son serviteur. »
 À ces mots, Dame Emma cache un peu sa déception, et assure être rassurée...
« J’avais de la peine à me persuader, lui dit-elle, que vous fussiez assez peu délicat pour profiter de ma situation...Ma reconnaissance, égale votre sacrifice, et je ne doute point que mon mari ne la partage. »
Guillaume ensuite, s'empresse de la soutenir pour que Guy de Hauterive consent – en suzerain – à son mariage avec Ermengarde la fille du seigneur de Laron... Et Guillaume raconte à sa dame de cœur, le refus du père de la jeune fille à la lui accorder...
Après ces mots, dame Emma prend congé, et court raconter à son mari tout ce qui s’est passé...

Inspiré d'un conte : Le jardin enchanté du Décameron

 

 

 

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La femme au Faucon

Publié le par Perceval

En illustration de mon histoire précédente:
 
« La chasse au vol est pratiquée de manière indistincte par les hommes et par les femmes, ce qui en fait un exercice s’intégrant parfaitement à l’univers symbolique courtois, puisque, comme l’a fait remarquer Jean Wirth, la thématique de l’échange désintéressé, au centre de ce même système courtois, implique «la similitude des comportements masculin et féminin». Les rôles ne sont plus distribués en fonction des sexes, mais de l’opposition entre être aimant et être aimé. »
 
« (…) nous commencerons par élucider la signification de l’oiseau de proie dans les couples courtois, afin d’en déduire la spécificité d’un tel attribut porté par une femme. »
 
« Le faucon chasse pour le cœur, ainsi que l’affirme le bestiaire médiéval et que le rappelle Guillaume de Machaut. Il apparaît donc comme une parfaite métaphore de l’amant. La tapisserie arrageoise du Louvre, bien connue car rare exemple conservé de tapisserie du début des années 1400, montre un homme offrant son cœur à sa dame, qui tient un faucon sur le poing. »
 
 
Notons d’ailleurs la comparaison récurrente dans la littérature des yeux de la femme avec ceux du faucon, muant la dame en une sorte d’oiseau de proie, à l’affût de coeurs à pourchasser.
 
Sources : La femme au faucon, article de Térence Le Deschault de Monredon ( Document Librairie Droz)
 
 

 

 
Dans la forêt, deux jeunes gens vêtus à la mode du début du XIVème siècle chevauchent au pas; le faucon et les chiens indiquent qu'ils partent pour la chasse. D'un geste audacieux, l'amant passe un bras autour du cou de sa dame, lui caressant la poitrine. Objets de luxe, caractéristiques de la production des ivoiriers parisiens du XIIIème et du XIVème siècle, les valves de miroirs sont un reflet des moeurs courtoises de la haute société du temps. Composées de deux parties enchâssant un miroir d'étain ou de corne et placées dans des trousses en cuir, elles étaient accompagnées de différents objets de toilette: peigne, gravoir pour séparer les cheveux et parfois rasoir et ciseaux. Leur décor, le plus souvent profane, s'inspire des textes courtois contemporains: roman de la Table Ronde, de la Châtelaine de Vergy, de Tristan et Iseult.  
 
 
Valve de miroir en ivoire (ca.1350-1375), de fabrication parisienne,  avec des scènes courtoises. Elle fait 11,4 x 11,3 cm. Le médaillon est bordé de quatre lions. Il contient une rosace à huit ‘pétales’ entourée de mascarons. Il est divisé en quatre parties délimitées par un arbre. Chaque sujet met en scène le couple en suivant une rhétorique iconographique courtoise avec des gestes précis comme celui de tenir le visage de sa bien-aimée avec la main, et des symboles tels : le faucon ou l’offrande du cœur (en bas à droite). Cet ivoire fait originellement partie d’un ensemble composé de deux valves s’emboîtant l’une dans l’autre et contenant un miroir qu’on atteint en les dévissant. Une ou les deux faces externes peuvent être décorées le plus souvent de scènes courtoises ou chevaleresques

 

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Ballade contée au Moyen-âge -6/.-

Publié le par Perceval

Guillaume connaît bien le Château de Hauterive, écuyer il y a fait ses armes, y a été adoubé chevalier. Le seigneur Guy, connaît la situation du jeune homme, et le reçoit parmi ses proches comme s'il résidait toujours au château.
Guillaume, se joint à tous ceux qui fréquente assidûment la cour que Dame Emma anime depuis son mariage avec Guy de Hauterive.

La Dame de Hauterive, lorsqu'elle se fait voir magnifiquement vêtue et parée, surpasse pour la grâce et le brillant, l'épervier qui s'élance dans les airs. Sa robe est de pourpre et son manteau, bien ajusté, constellé d'or, et sa fourrure d'hermine n'est point pelée ni le riche sebelin qui entourdit son cou.
Quand la Dame laissait s'épancher ses cheveux, ils semblent entièrement d'or fin, tant ils sont luisants et blonds. Elle a le front poli et plein, et, sous les sourcils bruns, les yeux clairs et riants, bien fendus et d'un bleu verdâtre. Elle a le nez droit et en proportion avec son visage où le vermeil et le blanc se marient, entre le menton et l'oreille, mieux que ne le font le sinople et l'argent.

Et c'est merveille de sa bouche qui est comme une passe-rose ; et quant à sa gorge, elle a l'éclat de la glace ou du cristal, et deux mamellettes y viennent poindre, semblables à deux petites pommes.
Enfin, que vous dirais-je de la beauté de cette Dame ? Nature qui l'a faite pour ravir aux hommes le coeur et le sens, y a mis toute son application.

Un jour le Châtelain, dans l'espoir de faire apprécier sa valeur, se résout de repartir et de fréquenter les champs de bataille. Il mène avec lui un grand nombre de chevaliers et de sergents, qui tous, en chemin, vont se montrer dignes de louange, car le plus couard devient hardi sous un tel chef. Guillaume n'a point suivi son maître. Il ne songe pas au gain ni à la gloire, mais seulement à la Dame qu'il convoite.

La beauté d'Emma, et la fin Amour l'échauffe et le presse. Guillaume vient devant la salle où la Dame se tient d'ordinaire. Doucement, il pousse l'huis.

Par aventure, la Dame se trouve seule dans la salle ; toutes les suivantes se sont rendues autre part, dans une chambre, pour travailler. Elles mènent grande joie, en cousant un lionceau ou un léopard sur un drap de soie qui doit servir d'enseigne au seigneur, leur maître.

La Dame est assise sur un lit : un homme qui de mère soit né ne vit oncques plus belle Dame.
Après un moment d'hésitation, Guillaume s'avance vers la Dame et la salue fort courtoisement. Elle, sans se troubler d'aucune façon, la salue à son tour, tout en riant.
- Guillaume, dit-elle, approchez.
- Dame, très volontiers, répond Guillaume en soupirant.
- Asseyez-vous ici, bel ami cher, fait-elle.
Guillaume s'assied auprès de la Dame au clair visage et tous deux devisent joyeusement. Ils parlent de mainte chose, et, tout-à-coup, Guillaume pousse un grand soupir.
- Dame, fait-il, écoutez-moi. Je vous supplie de me conseiller sur ce que je vais vous dire.
- Dites, je vous le promets, fait la Dame.
Et Guillaume reprend :
- Dame, écoutez-moi : supposez un clerc ou un chevalier, un bourgeois, un écuyer ou qui que ce soit, épris d'une dame ou d'une damoiselle, d'une reine, d'une comtesse ou de n'importe quelle autre femme, qu'elle soit de haut lieu ou bas endroit ; il aime depuis sept ans entiers et il n'ose faire connaître sa passion. Il aurait pu cependant, plus d'une fois, parler à son aise et découvrir son coeur à celle qui cause son martyre. Or, dites-moi ce que vous en pensez : est-ce folie, est-ce raison que de tant celer son amour ?
- Guillaume, dit la Dame, je vous répondrai franchement. Je ne tiens pas, quant à moi, pour sage, l'homme qui se tait si longtemps ; puisqu'il avait le loisir de parler, il convenait de le faire : on aurait pitié de lui, apparemment. Et si l'on ne voulait pas l'aimer, il fallait chercher des consolations. Enfin dans tous les cas, Amour demande hardiesse.
Guillaume soupire profondément.

- Dame, fait-il, voyez-le devant vous celui qui a tant souffert pour votre amour. Oh ! Dame, je frémis de ma témérité... J'ose enfin vous découvrir la douleur et le martyre que j'ai si longtemps endurés. Ma douce Dame, je me rends à vous, je suis en votre pouvoir, guérissez la plaie que j'ai si grande dans le coeur ; vous le pouvez seule, et il n'y a point de remède pour me porter secours. Je suis tout vôtre, je le fus, je le serai. Personne ne vivra jamais d'une manière plus douloureuse que celle où j'ai vécu sans vous. Dame, je vous prie et je vous requiers de ma pardonner et de m'accorder votre amour par qui je suis dans ce trouble et dans ce tourment.
La Dame écoute la plainte de Guillaume, mais elle ne l'estime pas un denier vaillant.
Elle répond sans tarder :
- Guillaume, vous raillez !... Assez de pareils propos, ou, par ma foi, je vous ferai honte. Quoi ! vous aimer ?... Beau sire, fuyez d'ici, allez dehors ; et prenez garde de paraître là où je me trouve. Certes, mon seigneur sera fort satisfait d'apprendre vos façons. Certes, lorsqu'il reviendra, je lui dirai bien de quoi vous m'avez requise. Vous n'êtes qu'un étourdi, un vrai musard... Beau sire, allez par là !...
En entendant ce langage, Guillaume se sent tout ébahi, et il commence à se repentir d'avoir entrepris cette quête. Cependant, beau désir qui lui commande, l'exhorte à parler encore.
Dame, dit-il, cela me pèse de n'obtenir de vous que de mauvaises paroles. C'est un grand péché et vous ne pouvez pas souhaiter de faire plus mal. Vous m'avez pris et lié, tuez-moi, si vous voulez. Ah ! puisque vous me repoussez si durement, je jure de ne jamais manger jusqu'à l'heure où j'aurai obtenu le don de votre amour.
- Par Saint-Omer, dit la Dame, vous jeûnerez longtemps, si vous ne devez point manger avant d'avoir mon amour.
Guillaume sort de la chambre sans mot dire. Il se fait préparer un lit. Il se couche, mais il ne trouve point de repos.
Trois jours pleins, il gît dans son lit, sans manger, ni boire. De cette manière le quatrième jour arrive, et la Dame n'a point l'air de s'en inquiéter. Toutefois, Guillaume jeûne toujours et ne mange d'aucune chose. Sa fierté l'assaut sans trêve et le pauvre garçon a perdu totalement la couleur. Ce n'est pas merveille s'il maigrit ; il ne mange rien et veille continuellement. Parfois, dans son délire, Guillaume se figure que la Dame, cause de sa perte, est dans son lit ; qu'il la tient entre ses bras et en fait tout son contentement. Tant que cela dure, Guillaume est heureux, car il accole et baise ce qu'il aime ; et quand la vision disparaît, il recommence ses soupirs et ses plaintes. Il étend ses bras et il ne rencontre que le vide, hélas ! Il est transi de froid et de désir.

 

Un écuyer, qui devance le seigneur de Hauterive, arrive pour annoncer à sa Dame que son mari revient de bataille et de tournoi, suivi de quinze prisonniers qui tous sont des Chevaliers riches et puissants. Le reste du gain est aussi fort considérable. Cette nouvelle remplit de joie la Dame et la rend plus belle encore. Elle fait faire des préparatifs pour le souper dans la grande salle, et alors, seulement, elle songe à Guillaume. La voici qui monte aussitôt dans sa chambre pour lui apprendre le retour de son seigneur.

Elle demeure assez longtemps devant le lit, mais Guillaume ne la voit point. Elle l'appele par son nom, mais il ne répond pas, tellement il rêve. Alors la dame le pousse de son doigt et lui crie plus haut. Et quand Guillaume l'entend, il tressaille de tout son corps ; et, quand il la sent auprès de lui, il tremble des pieds à la tête ; et quand il l'aperçoit, il la salue :
- Dame, fait-il, venez-vous à mon aide ? Ah ! Dame, pour Dieu, je vous prie d'avoir pitié de moi.
Aussitôt la Dame lui répond :
- Par ma foi, Guillaume, je n'aurai jamais pitié de vous, de la façon que vous l'entendez... C'est mal payer les bienfaits de votre seigneur que d'adresser à sa femme telle requête ! Vous aimer d'amour ? N'espérez point ce don de moi. Mais vous êtes insensé de vous priver ainsi de nourriture. Ne vous tuez pas, malheureux ; il y va de votre salut éternel ! Levez-vous, et laissez vos folies ; mon seigneur et le vôtre revient de bataille. Je jure qu'il saura tout si vous vous obstinez à vous laisser mourir de faim.
- Dame, dit Guillaume, c'est inutile ! On peut me trancher tous les membres, mais je ne mangerai pas. Ah ! Dame, je le vois bien ; rien ne saura me défendre contre votre inimitié, ni le jeûne, ni la mort.
La Dame quitte Guillaume sans se laisser toucher par son désespoir. Elle revient dans la salle qui est déjà ornée fort richement. On y a dressé les tables et les blanches nappes y sont mises dessus ; et l'on commence à apporter les mets : pain et vin et toutes sortes de viandes rôties.

Bientôt arrive le Châtelain avec tous les chevaliers, et ils s'assoient à table où ils sont servis magnifiquement. Et la Dame mange aussi, à côté de son mari.
Le Châtelain regarde dans la salle pour voir si Guillaume et il s'étonne de son absence.
- Dame, dit-il, ne sauriez-vous dire, vraiment, pourquoi Guillaume ne se trouve point parmi nos amis ?
- Je vous le dirai, fait la Dame, sans mentir. Il est devenu trop délicat. Il souffre d'un mal dont il n'aura point remède, d'aucune façon, comme je crois. - Dame, par Saint-Denis, c'est bien dommage que cela soit, fait le Châtelain, qui aime bien Guillaume.
Il ne se doute point du véritable motif de la maladie du jeune chevalier, ni pourquoi il a perdu la tête.
Après avoir soupé, les Chevaliers se lèvent de table et quittent la salle. Alors, la Dame prend son mari par un pan de son manteau. - Mon mari, fait-elle, je m'étonne que vous n'alliez point voir Guillaume. Vous devriez savoir quel est son mal. Qui sait s'il ne feint point ?
Ils vont et trouvent Guillaume triste et pensif.
Le Châtelain s'assied au pied du lit, et commence à parler à Guillaume, doucement :
- Bel ami, dites-moi, comment vous sentez-vous ?
- Seigneur, fait Guillaume, fort mal.
- De quoi souffrez-vous ?
- D'une grande douleur au coeur et à la tête. Jamais je n'en relèverai...
La Dame ne se tient plus ; elle s'adresse à son mari:
- Seigneur, fait-elle, pour Dieu, laissons cela... Guillaume dit ce qu'il veut, mais je connais la vérité. Certes, il souffre d'un mal qui donne de la sueur et du tremblement.

Puis se tournant vers Guillaume :

- Si vous tardez encore à manger, dit-elle, le terme approche où vous ne mangerez plus jamais.
- Dame, fait celui-ci, que voulez-vous ! Dites ce qu'il vous plaira, vous êtes ma Dame et il est mon seigneur. Mais quant à manger, je ne le ferais point.
Et la Dame de s'écrier :
- Or, voyez sire, la fausseté de Guillaume. Lorsque vous fûtes au tournoi, lui qui, maintenant, gît ici malade, vint en ma chambre...
- Et pourquoi y vint-il, Madame ? Et qu'avait-il à vous demander ?
La Dame répond :
- Je vous le dirai, Monsieur. Mais, auparavant, ne mangerez-vous pas, Guillaume ? Sinon, je devrai tout raconter à notre seigneur.
- Non, je ne mangerai jamais plus, fait Guillaume.
- Vous me prenez pour fol ou pour homme de rien, dit le Châtelain à la Dame. Je ne sais ce qui me retient de vous donner du bâton sur les côtes.
- C'est inutile, fait-elle ; je parlerai. Mais Guillaume, avant que je parle, mangerez-vous !
Guillaume soupire et répond tristement :
- A aucun prix je ne mangerai, si le mal de mon coeur n'est pas soulagé.

La Dame en a alors pitié, et touchée de son amour d'elle, elle dit à son seigneur :
- Sire Guillaume que vous voyez là, m'a demandé mon oiseau, mon faucon... Et moi j'ai refusé de le lui donner. Il est mien, mais il est aussi à vous ...

La dame au faucon  par jane.merelle

- J'eusse mieux aimé, dit le Châtelain, que tous nos oiseaux, faucons, éperviers, autours, fussent morts plutôt que de voir souffrir Guillaume.
Cette réponse émeut agréablement la Dame.
- Puisque c'est votre vouloir, Monsieur, donnons-le lui, dit-elle.
Puis, se tournant vers Guillaume, elle ajoute :
- Messire le veut ; je ne lui ferai point cette injure que par ma faute, vous ne l'ayez point.
Guillaume en entendant ces mots se lève, plus joyeux qu'il ne peut exprimer. Il n'a plus ni maux, ni soucis. Sitôt vêtu, il s'en vient à la salle.
En le voyant la Dame soupire. Elle change de couleur, comme surprise par le trait rapide de l'Amour : elle est, tour à tour, pâle et rougissante.
-Je n'en sais pas de plus fous, dit le Châtelain à Guillaume, que ceux qui se laissent, ainsi que vous, prendre le coeur par la possession d'un ''fau-con''. Allez chercher cet oiseau, commande-t-il à un page.
C'est ainsi deux bonheurs qui échouent à Guillaume. Car il a le faucon et l'amour de la Dame.

Plus tard, c'est Guillaume, lui-même, qui viendra dans l'intimité, chercher l'oiseau de sa dame.

Histoire tiré d'un fabliau : '' Guillaume au faucon ''

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Ballade contée au Moyen-âge -5/.-

Publié le par Perceval

Guillaume a donc conquis le cœur (et plus encore) de la belle Ermengarde. Mais son père défend à présent à sa fille de lui parler et a reçu le jeune chevalier d'une froideur si marquée, que le favori de la demoiselle n’ose plus revenir.

Un jour enfin qu’il cherche et rôde autour des murs, Guillaume aperçoit une poterne ''abandonnée'' close par une forte porte de bois, fermée à clé... , à travers laquelle il est possible de se parler, mieux peut-être, un jour de se voir, de se toucher … Il s'agit, vous savez de cette poterne par laquelle nous sommes entrés en cette ballade …
Il trouve moyen de le faire savoir à Ermengarde, et ne manquent pas d’en profiter. Pour lui il peut venir en sûreté au lieu du rendez-vous par de petits sentiers détournés, à travers la forêt, que lui seul connaît. Ce dédommagement léger fait d’abord le bonheur des deux amants : ils en jouissent pendant quelque temps avec transport ; mais quoi ! se parler sans se voir, s’aimer tendrement et ne pouvoir se le prouver ! pas un baiser ! toujours craindre d’être découverts et d’être séparés pour toujours ! Guillaume ne peut tenir à une pareille situation.
Et Guillaume revient de force au défi que son ami Bertran, lui a soufflé... Un défi qui ne le détournera point de sa passion pour Ermengarde, mais qui lui commande de tourner ses ardeurs vers la dame de Hauterive, gagner son cœur pour qu'elle devienne auprès du seigneur de Laron son ambassadrice...


Alors que Guillaume et Bertran, échangent sur le plan de cette bataille... Le troubadour commence à divertir son ami, avec l’idée même du cocuage, souvent raillé et même fêté à cette époque... Le cocu a de nombreux amis : ceux de sa femme sont aussi les siens. Ils ont même leur Saint-patron :  Saint Gengoul assassiné en 760 par un clerc, amant de sa femme (fêté le 11 mai).
Tout homme possède un devenir-cocu en raison du mariage, il s’ensuit que chacun, avant de se marier, a joué le rôle de cocueur. Parfois même, le cocuage est considéré comme unes sorte de ''partage des femmes'', partage qu'affectionne les ''compagnons'' et renforcent le lien d'amitié...

Rabelais écrit les bienfaits du cocuage dans LE TIERS LIVRE, et conseille le mari cocu : n'y fait rien : «  Si tu es cocu, ergo ta femme sera belle, ergo seras bien traité d'elle, ergo tu auras des amis beaucoup, ergo tu seras sauvé.... »

Les deux amis rient beaucoup, et Guillaume s'habitue à l'idée même de s'engager à séduire la jeune et belle Emma, épouse du seigneur Guy de Hauterive.

  Bertran le supplie d'écouter encore, cette histoire qui court avec succès, dans les châteaux :


* La belle épouse du seigneur, brûle de donner à son nouvel amant une forte preuve de son amour. Elle cherche un défi, imagine et trouve le moyen de satisfaire sa passion en présence de son mari. Elle feint pour cet effet d’être indisposée. Sa femme de chambre a instruit Pirrus son amant, du personnage qu’il doit jouer.
Pirrus va voir madame à l’heure de l’après-dîner, en son logis, où le mari est auprès d’elle. À peine y est-il arrivé, qu’elle témoigne une grande envie de prendre l’air du jardin, et les prie tous deux de vouloir l’y conduire.


Son mari la prend d’un côté, Pirrus de l’autre, et ils la mènent ainsi au pied d’un beau poirier, où ils s’assoient tous trois sur un tapis de verdure. Quelques moments après, il prend fantaisie à la belle de manger des poires. Elle prie Pirrus de monter sur l’arbre pour lui en cueillir des plus mûres. Le galant obéit, et n’est pas plutôt monté sur le poirier que, feignant de voir le seigneur caresser sa femme, il s’écrie :
« Eh ! quoi, monsieur, en ma présence ? mais vous n’y pensez pas ; et vous, madame, n’avez-vous point de honte de vous prêter à un pareil jeu ? Mais, finissez donc ; ce sont des choses qu’on ne doit pas faire devant témoins : les nuits ne sont-elles pas assez longues ? Faut-il venir au jardin pour une semblable besogne ? N’avez-vous pas assez de chambres, assez de lits plus commodes ?
- Que veut-il dire, dit la femme à son mari ? a-t-il perdu l’esprit ?
- Non, madame, je ne suis point fou, je vois fort bien ce que je vois.
- Tu rêves assurément, lui dit le mari, qui rit de son idée.
- Je ne rêve point du tout, monsieur, et il me paraît que vous ne rêvez pas non plus. Mais si vous n’avez point d’égards pour moi, vous devriez au moins en avoir pour vous-même et vous éloigner un peu plus, si tant est que vous désiriez vaquer à un tel exercice. Peste ! comme vous vous remuez ! je ne vous aurais jamais soupçonné une si grande vivacité. Si j’agitais aussi fort le poirier, je doute qu’il y restât une seule poire.
- Que peut donc être ceci ? dit alors la dame ; serait-il possible qu’il lui parait que nous faisons ce qu’il dit ?
- En vérité, je monterais bien sur l’arbre, pour voir ce qu’il croit voir lui-même.
- Soyez sûre, madame, ajouta Pirrus, que je n’ai point la berlue, et que ce que je vois n’est point une illusion.
- Eh bien ! descends, dit le mari, descends, te dis-je, et tu verras ce qu’il en est.
- J’avoue, dit Pirrus, quand il est descendu, que vous ne vous caressez point à présent ; mais il n’est pas moins vrai que vous le faisiez tout à l’heure, et que je vous ai vu, comme je descendais, vous séparer de madame, et vous mettre à l’endroit ou vous êtes maintenant assis.
- Mais tu rêves, mon pauvre ami, dit le mari de la belle: depuis que tu es monté sur le poirier, je n’ai pas bougé du lieu où je suis.

- Si cela est, reprit Pirrus, il faut que ce poirier soit enchanté ; car je vous jure que j’ai vu, mais bien vu, ce que je viens de vous dire. »
Le seigneur du logis, étonné de plus en plus, et persuadé de la vérité du récit de son jeune compagnon par l’air sérieux dont il l’a accompagné, veut voir par lui-même si le poirier est réellement enchanté et l’effet que cet enchantement produit à son égard.
- « Je vais y monter, » dit-il. Il y monte en effet, mais à peine est-il sur les branches, que Pirrus et la dame commencèrent leur jeu.
- « Que faites-vous donc, madame ! et toi, Pirrus, est-ce ainsi que tu respectes ton seigneur ? »
Les amants ont beau lui répondre qu’ils sont assis, il se hâte de descendre, en les voyant ainsi se trémousser ; mais il ne descend pas si vite, et ils ont le temps d’achever à peu près la besogne et de reprendre leur place.
- « Quoi ! madame, me faire cet affront à mes yeux ! et toi, maraud…
- Oh ! pour le coup, dit Pirrus en l’interrompant, j’avoue que vous avez été sages l’un et l’autre pendant que j’étais sur le poirier, et que ce que je croyais voir n’était qu’un enchantement. Ce qui achève de me le persuader, c’est que monsieur croit voir lui-même ce qui n’est pas.
- Tu as beau vouloir t’excuser, reprend le mari, ce que j’ai vu ne saurait être l’effet d’un enchantement.
- Vous êtes, en vérité, aussi fou que Pirrus, dit la dame : si je vous croyais capable d’avoir réellement de pareilles idées sur mon compte, je me fâcherais tout de bon.
- Quoi ! monsieur, dit Pirrus, vous feriez cet outrage à madame, qui est l’honnêteté, la vertu même ! Quand à moi, je ne chercherai point à m’excuser : Dieu m’est témoin que je souffrirais plutôt mille morts avant qu’une pareille chose m’entrât jamais dans l’esprit, à plus forte raison avant de l’exécuter en votre présence. Je vois à présent clair comme le jour que la faute en est au poirier. Il a fallu que vous y soyez monté vous-même, et que vous ayez cru voir ce qui vous met de si mauvaise humeur, pour me faire revenir sur votre compte et sur celui de madame. J’aurais juré vous avoir vus l’un et l’autre dans la posture la plus indécente.
- Est-il possible, dit ensuite la dame en se levant et faisant un peu la fâchée, pour mieux dissuader son bonhomme de mari ; est-il bien possible que, me connaissant depuis si longtemps, vous ayez pu me croire capable de m’oublier à ce point ? Me jugez-vous donc assez dépourvue de raison pour oser vous faire cocu en votre présence ? Soyez persuadé que, si j’en avais la moindre envie, les occasions ne me manqueraient pas, sans que vous en sussiez jamais rien. »

 Nicostrate se rend à ces raisons. Il ne peut effectivement se persuader que sa femme et ce chevalier aient osé se porter à un tel excès d’insolence. Il leur fait des excuses, et se met ensuite à discourir de la singularité de l’aventure et des effets de la vue qui ne sont pas les mêmes quand on se trouve sur le poirier. Mais la dame, qui feint toujours d’être fâchée de la mauvaise opinion que son mari a eue de sa fidélité :
- « Puisque ce maudit poirier, dit-elle, fait voir de si vilaines choses, je ne veux pas qu’il me nuise davantage, ni à aucune autre femme. »
Puis, s’adressant à Pirrus : - « Allez chercher une cognée et jetez-le à bas pour le brûler ; quoiqu’il serait beaucoup mieux d’en donner sur la tête de mon mari, pour lui apprendre à mieux penser de la fidélité de sa femme et de la votre. Oui, monsieur, continue-t-elle, vous mériteriez d’être châtié pour l’injustice que vous m’avez faite. Je ne reviens point de votre aveuglement. Quand il s’agit de mal penser de votre femme, vous ne devez pas en croire vos yeux. »
 Pirrus, ayant pris une hache, abattit incontinent le poirier. Alors la belle, se tournant vers son mari: « Puisque je vois à terre, lui dit-elle, l’ennemi de ma vertu, je perds toute espèce de ressentiment. Je vous pardonne, ajouta-t-elle avec douceur, et vous recommande, sur toutes choses, d’avoir désormais une meilleure opinion de votre femme, qui vous aime mille fois plus que vous ne méritez. » Le mari s’estime trop heureux de ce que sa femme veuille bien oublier l’outrage qu’il lui a fait. Il fait des excuses à Pirrus d’avoir soupçonné sa bonne foi ; et tous les trois satisfaits, ils rentrent dans le château.

C’est ainsi que ce bon mari est maltraité, trahi et plaisanté par sa femme. A présent, elle vit familièrement avec Pirrus, qui lui fait souvent goûter les plaisirs de l’amour avec plus d’agrément et de liberté qu’ils n’en ont certainement eu sous le poirier.
Guillaume applaudit, et les deux amis jugent ridicule et mérité la situation du mari cocu... Le jeune chevalier se dit que la chose se présentera peut-être moins facilement ...

Histoire tirée du Fabliau ''Le Poirier enchanté ''.

A suivre ...

 

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Ballade contée au Moyen-âge -4/.-

Publié le par Perceval

Avertissement : Dans les fabliaux, lorsque le thème de la sexualité est abordé, c’est d’une façon crue, en utilisant particulièrement la métaphore ...


Je rappelle, qu'il s'agit de l'histoire de Guillaume, chevalier riche en bonnes qualités, mais pauvre d’avoir. En quête de l'amour d'Ermengarde, il va arriver sans doute à force de ''courtoisie'' et d'astuce – comme vous allez vous en rendre compte - à se faire remarquer de la fille du seigneur de Laron...
Je reviens donc en arrière, pour vous expliquer l'astuce 'courtoise' utilisée par Guillaume, pour ne pas effaroucher la belle damoiselle...


En effet, si le père est grincheux mais de grande fortune, sa fille – la plus belle – de la Vicomté, semble très difficile, et nombre de prétendants s'y sont cassés les dents...
Il semble qu'il y ait une sorte d'épreuve que tous les chevaliers précédents n'ont pu réussir. La demoiselle refusant subitement de les revoir... !
Guillaume se met en chasse de rencontrer les malheureux chevaliers qui l'ont précédé dans cette quête... Il apprend de l'un que la demoiselle est orgueilleuse, inhumaine, dédaigneuse … D'un autre, que la demoiselle serait une sorte de nonne recluse par son père... Et enfin du suivant qu'elle ne peut entendre parler de ''foutre'' ou de coucherie à aucun prix …

De fait, demoiselle Ermengarde est d'une telle pruderie qu'elle ne peut supporter que soient prononcé devant elle ces mots crus qui désignent l'entrejambe et leur voisinage immédiat. Elle va jusqu'à refuser la proximité d'un quelconque domestique de peur qu'un de ces rustauds-là ne lâche étourdiment , un jour, en sa présence un de ces mots que les jeunes d'aujourd'hui adorent prononcer …

Aussi, ce dimanche d'août, le malicieux Guillaume, demande à la porte du château de Laron, l'hospitalité au pèlerin qu'il est devenu par un travestissement assez habile pour ne pas être reconnu et découvert trop vite...
Le maître le reçoit, et tente de le dissuader de rester, puis enfin le prie sans aucune politesse de surveiller alors son langage, et surtout d'éviter de conter ou chanter ces textes de troubadours qui effraient tant sa fille, en particulier s'ils évoquent quelque foutrerie... !

Guillaume essuie sa bouche, et puis aussi il crache et se mouche, comme s’il avait avalé une mouche. Il dit au prud’homme : « Arrêtez, cher seigneur ! Vous ne devez pas prononcer de mot si grossier ! Taisez-vous, pour l’amour du Dieu céleste, car c’est un mot du diable :
S'il vous plaît, ne le dites jamais plus devant moi ! Si quelqu'un en parle ou prononce le mot de coucherie, une grande douleur me saisit le cœur!»
La fille qui surveille, sans se faire voir, en entendant ces mots ; se presse et fini d’apparaître pour souhaiter la bienvenue au visiteur....
Guillaume est invité à dîner. Il dit le bénédicité, mange la soupe, le gigot, les pommes cuites au four, et boit même l'alcool de cerise réservé aux amis ...
Après cette soirée fort sage. Le père tranquillisé laisse sa fille se charger du coucher de cet honnête homme.

La belle Ermengarde pour la première fois a plaisir à choyer ce pèlerin, chevalier, jeune et bien fait de surcroît. Conformément, aux règles chevaleresques, elle propose dans une chambre avenante et belle, de le baigner elle-même... Puis de le coucher.

Enfin, elle s'allonge à côté de son hôte, et chacun de rester immobile. Enfin, la chandelle s'éteint.

« Oh, qu'est ceci ? Dit le jeune homme, la main sur son sein rondelet.
C'est l'une de mes deux collines. Voici l'autre, Guillaume. Est-ce doux ?
- C'est ma foi vrai. Oh, et ce duvet, sous le nombril ?
C'est ma prairie, mon herbe tendre.
- Seigneur Jésus, quel beau pays ! Et là, au milieu, cette fente ?
C'est ma fontaine, elle est profonde. Vous pouvez y risquer un doigt... Là, un peu plus haut, le perron, clé de tous mes plaisirs...
- Jeune fille, comme il y fait chaud.
C'est qu'au fond est un soleil noir. Mais, vous, qu'avez-vous là qui pousse. Oh, Guillaume, c'est si raide, si dur... ?
- Belle amie, c'est mon cheval rouge ! Il piaffe, il a faim, il a soif... !
Amenez-le donc à mon pré, il faut bien que tout être vive ! Qu'il broute et boive tout son saoul !
- Ainsi soit-il ! Voyez ma mie, comme il va et vient à sa guise !

Qu'il aille donc et vienne, et plus encore...
- Dame, c'est que je redoute le sonneur de cor, dit Guillaume, et que mon cheval ne rue ...
Oh foutre oui ! Répond-elle dans un irrépressible élan... ! »

Quatre fois leurs corps s'entre-burent de minuit au soleil levant.

Le seigneur de Laron reconnaît l'avantage du jeune chevalier ; mais s'inquiète ensuite de l'attachement entre les deux jeunes gens. Il reconnaît son jeune voisin, lui pardonne son travestissement, mais n'excuse pas son manque de fortune...

Sa décision est prise, et exige d'interrompre toute communication entre lui et sa fille !
L’âge ne permet plus au père de monter à cheval, ni de sortir ; ainsi on ne peut espérer aucune absence ... Le vieux renard, d’ailleurs, ayant eu dans sa jeunesse plusieurs aventures, avait appris par son expérience à devenir défiant et rusé. Guillaume ne demande seulement qu’à voir sa mie, mais cette faible consolation lui est désormais interdite !
A suivre ...

Cette histoire reprend le célèbre fabliau : ''La Damoiselle qui ne pooit oïr parler de foutre'', repris aussi par Henri Gougaud.

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Balade contée au Moyen-âge -3/.-

Publié le par Perceval

Gui de Hauterive, est un fidèle d'Aliénor.. Il l'a rencontrée pendant la 2ème croisade, alors qu'elle accompagnait son mari , Louis VII, le roi de France...
Gui de Hauterive est revenu vivant, donc couvert de gloire... !
Quelque temps après son retour, dans son pays limousin, Aliénor se remarie avec le futur roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt...
Et, Gui de Hauterive affirme sa loyauté au Roi d'Angleterre ; et comme il doit assurer sa lignée, il souhaite se marier... Il demande à ses suzerains, de lui proposer une épouse... Comme son lointain cousin Adémar V, Vicomte de Limoges vient de le faire... En effet, Henri II, lui fait épouser Sarah, sa propre cousine, fille de Renaud, Comte de Cornouailles.
 
Gui de Hauterive, en présence d'Aliénor, épouse à Poitiers, Emma de Crèvecœur ( Seigneurie de Leeds dans le Kent). La jeune femme ( elle a bien vingt ans de moins que lui...), est très belle … A cette époque, être belle : c'est être blonde, le teint clair, diaphane et avoir un long cou ...
Elle a grandi dans l'environnement d'Aliénor... Elle aime danser, écouter de la musique …
Aussitôt installée dans son château, elle organise une vie bien différente de celle qui régnait jusqu'à présent …

 

Gui de Hauterive est un guerrier aguerri, qui n’apprécie vraiment que la bataille et la chasse... Sa maison est commandée par un capitaine des gardes, son ancien écuyer, celui-là même qui l'accompagnait pendant la croisade … Et le soldat n'apprécie guère le changement d'ambiance …

 

 
Dame Emma, invite les troubadours, reçoit les hommages de jeunes chevaliers en quête d'aventure, tel notre Guillaume. Elle fait organiser des tournois... Tous se disputent, pour porter ses couleurs …
Et, grande nouveauté : Dame Emma préside une cour d'amour... Comme Aliénor, comme Marie de France...
On y discute poésie, mais surtout on soumet à ces réunions des questions de morale chevaleresque, puis des questions de personnes ; ainsi la Dame de Hauterive a traduit l'une de ses voisines dont l'ami de cœur était parti, voilà deux ans, en croisade et songeait à le remplacer … La cour statua '' qu'une amante ne doit jamais abandonner son amant pour cause d’absence prolongée "… Un seigneur, était fort jaloux et empêchait son épouse de remettre sa manche à un chevalier afin qu'il se batte pour elle... Et bien, belles dames, jongleurs et troubadours de la région ont boycotté les fêtes données par ce seigneur, jusqu'à ce qu'il cède …
 
Dame Emma voyage.. Par exemple, elle se déplace jusqu'à Limoges pour visiter sa compatriote Sarah de Cornouailles... Elle se déplace protégée par des chevaliers... Les valises d'aujourd'hui sont remplacés par un coffre ; meuble indispensable dans la chambre d'une dame ….
Guy de Hauterive a du mal à suivre et à apprécier les désirs de sa jeune femme … Il ne manque pas de lui exprimer sa mauvaise humeurs quand des jeunes chevaliers attirent son attention …
Son seigneur est jaloux, mais la dame n'en a que faire … !
 
Et bien ce jour là, alors que la belle Emma est de retour de Limoges... Le capitaine des gardes, le fidèle compagnon de Gui de Hauterive, lui demande dans l'urgence de pouvoir l’entretenir, en privé .. !
- Il soupçonne sa femme, la dame de son seigneur, d'avoir caché dans le coffre, son amant... !
 
Gui de Hauterive est sonné... Puis, la colère monte... Il veut en avoir le cœur net ; et se rend dans la chambre de sa femme.
Elle y est seule, surprise par cette entrée fracassante … Le coffre est là...
Emma n'a pas de peine à se rendre compte que son mari est rempli de colère... Une colère de jaloux … , qu'elle finit par bien connaître!
« Dame Emma, ouvrez ce coffre... »
 
Emma, retire la clef qu'elle porte autour de son cou …
« Mon ami, votre colère vous fait imaginer qu'un homme est caché dans ce coffre … N'est-ce pas... ? … J'imagine, que la parole de votre dame, ne vous suffit pas … ?
 
« Alors, Mon Seigneur, puisque tel est votre volonté... Prenez la clef et ouvrez ce coffre ….
Mais, avant réfléchissez bien … »
 
« - Si ce coffre contient un homme, vous serez blessé dans votre amour-propre, vous devrez le punir, peut-être le tuer ; et moi, vous me perdrez à jamais... Et peut-être aussi, votre alliance avec les Plantagenêt...
 
- Si ce coffre est vide d'homme, vous aurez blessé mon amour-propre, tué mon amour pour vous, et bafoué la parole de votre dame ; vos chevaliers - même vous le reprocheront...
 
Le seigneur hésite...
Peut-être aime t-il sa belle et jeune femme.. ? Peut-être pense t-il à la puissance de son suzerain... ?
Il ne prend pas la clef...
Il regarde le coffre... Il sourit à sa femme
« Vous avez raison ... »
 
Le seigneur sort de la chambre ; et donne des ordres pour que l'on en surveille portes et fenêtres …
Il réfléchit, puis il donne l'ordre
« Que l'on prenne le coffre de la chambre de ma femme, et qu'on l'enterre dans le fond de ma propriété. »
Ce que l'on exécute dans l’instant …
« Ma bien aimée femme, je trouve que ce coffre ne vous méritait pas … Je vais à l’instant vous l'échanger par un bien plus précieux ... »
 
De ce jour, chacun semble en avoir tiré la leçon. Le seigneur Guy à décidé de prendre en avantage les hommages des chevaliers à sa femme. Et Dame Emma, reste discrète et dévouée au service de la gloire de son époux...


Guillaume décide lui de relever le défi lancé par son ami troubadour...

A suivre ....

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La dame, le chevalier et l'amour courtois. -2/2-

Publié le par Perceval

 
Le Moyen-âge favorise un mode de vie plus raffiné, plus élégant, où la place de la femme noble permet des attitudes nouvelles que l'on désigne par « courtoisie », et chantées par les troubadours et trouvères. Aliénor d'Aquitaine va apporter avec elle ces idéaux et habitudes courtois ; ainsi que ces deux filles, Aelis de Blois et Marie de Champagne (protectrice de Chrétien de Troyes).

Les principes de la courtoisie :

Dans la relation amoureuse, c'est la dame qui est en position de maîtrise et c'est l'amant qui, entièrement soumis, la supplie de lui accorder ses faveurs. La mysogynie du temps, saura jouer de cette règle...

Il est admis que si le véritable amour doit rester platonique, une relation de ce genre peut comporter un certains nombre de faveurs sexuelles …

Les troubadours chantaient l’échelle progressive des faveurs de la dame, du regard au « don de merci », en passant par le baiser et, juste avant le stade ultime, l'asag ( ou essai) , au cours duquel l'ami devait passer une nuit avec sa dame, « nu à nue », sans pour autant aller plus loin, afin de manifester sa maîtrise sur son désir …

Bien sûr, seules peuvent être objet d'amour, des dames également nobles ; celles qui ne méritent pas ce sentiment, peuvent être moins bien traitées.
 
Avant qu'on en arrive à un code plus raffiné, selon lequel toute jeune fille ou toute femme doit recevoir de tout chevalier aide et protection, les chevaliers errants ont tendance à se dédommager des épreuves que leur infligent leurs dames courtoises implacables, en troussant sans le moindre scrupule les pastoures qu'ils rencontrent sur leur chemin.... Et, évidemment aucune dame digne de ce nom, n'accorderait ses faveurs à un vilain.
 
L'amour courtois, ne concerne pas l'amour conjugal. 
Le secret est nécessaire, il est renforcé par la menace des individus « non courtois ». 
De plus ce rapport illégitime est condamné par l'Eglise, et une partie de la société. La loi donne au mari trompé, le droit de répudier sa femme, voire de la tuer ainsi que son amant. ( voir la triste histoire du troubadour Guillaume de Cabestaing).
 
Sources : « Le roman courtois » d'Anne Berthelot.
 

La cour imaginaire du roi Arthur dans les romans de la Table Ronde devient le modèle idéal des cours réelles : non seulement le chevalier est brave, mais il a en plus le désir de plaire ; parce que les femmes sont présentes, le chevalier doit avoir des attitudes élégantes, des propos délicats. Dans le service d’amour, pour plaire à sa dame, le chevalier essaie de porter à leur perfection les qualités chevaleresques et courtoises : il doit maîtriser ses désirs, mériter à travers une dure discipline l’amour de sa dame. Cet idéal est bien celui des gens de cour.

 

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Ballade contée au Moyen-âge -2/.-

Publié le par Perceval

C'est l'histoire de Guillaume, chevalier riche en bonnes qualités, mais pauvre d’avoir. En quête de l'amour d'Ermengarde, il arrive bientôt sans doute à force de ''courtoisie'' et d'astuce à se faire remarquer de la fille du seigneur de Laron... ( histoire édifiante que je vous raconterai une prochaine fois...).

Ensuite, ...Quand le père voit les visites du chevalier devenir trop fréquentes, il défend à sa fille de lui parler et le reçoit lui-même avec une froideur si marquée, que le favori de la demoiselle n’ose plus revenir.


Guillaume s'en ouvre à son ami, Bertran, compagnon de ripailles, et expert dans l'art de séduire les plus belles dames … Pour cela Bertran trouve les mots et la musique, et se fait donc appeler ''trobador''. Il se vante d'affoler les amants, les femmes et les époux et va, disant que si les maris deviennent jaloux et que les dames sont dans l'angoisse, c'est que l'amour va de travers... Et le mieux à faire, c'est de l'écouter et l'entendre.
Aussi, fort de son expérience, Bertran, déconseille à Guillaume de poursuivre cette aventure.

Car enfin … ! Pour un chevalier, la belle aventure, le haut fait dont aujourd'hui on peut se vanter, c'est : - plus que d'avoir remporté le prix d'un tournoi – plus que d'encliner ( fotre) une demoiselle.. C'est … C'est attirer dans ses bras... une fée !
Une fée ? Oui, le haut fait : c'est de s'emparer de la femme, de toutes la plus sévèrement interdite, c'était bravant les terribles châtiments promis à l’adultère et au félon, ravir la dame, l'épouse du seigneur. Double forfait certes. Mais éclatante démonstration de hardiesse, le plus envié des titres de gloire... !

Lui-même Bertran, a rencontré récemment, le bel écrivain chargé d'écrire l'éloge du fameux Guillaume le Maréchal ( 1145-1219) , et ce lettré rapporte que les rivaux de son héros l'ont accusé d'avoir séduit l'épouse de leur commun seigneur, Henri de Plantagenêt, le roi.

Cette épouse n'est rien de moins que la belle Aliénor. L'auteur de la chanson ne cherche pas à disculper Guillaume, il ne confirme pas non plus le fait. Mais ce que Bertran a retenu c'est que Le Maréchal, ce parfait chevalier, alors célibataire, a laissé lui-même planer le doute, fier que cette insigne prouesse ait pu lui être attribuée.
Guillaume n'en croit pas ses oreilles... Il doute encore.
Bertran lui fait entendre, que la dame est l'honneur de son seigneur. Elle fait sa gloire. C'est pourquoi il la couvre d'ornements et l'expose.

Dans le lai de Graelent, que Bertran se promet de lui conter ce soir même ; le grand roi Arthur, chaque année, le jour de la Pentecôte, fête du printemps et de la chevalerie, avait établi une coutume bien singulière. Il faisait monter la reine sur une estrade; puis on lui ôtait son manteau, afin de pouvoir admirer à son aise l'élégance de sa taille et de ses formes. Le monarque s'adressant ensuite à l'assemblée, leur disait : Seigneurs barons, que vous en semble? Avez -vous jamais vu sur terre une aussi belle reine?
La beauté de la reine, la séduction qu’elle peut exercer sur les vassaux, est simplement l’un des attributs, l’un des modes d’exercice de la puissance royale.

«Ne crains pas Guillaume, Le désir et le service d'amour ne viennent-ils pas ricocher sur la personne de la dame pour se porter sur celle du seigneur. ?
Je sais, mon ami, combien grande est la reconnaissance que tu dois au seigneur de Hauterive... Aussi, mon conseil serait de garder tes passions, pour les tourner vers sa dame, Emma de Hauterive … On la dit belle, gentille, gaie, plaisante et très désireuse de prix et d'honneur ; elle n'a pas grandi dans la cour d'Aliénor pour rien … !
Crois-moi, mon ami, il vaut mieux traiter avec un mari même jaloux, qu'avec un père gardien de sa fille … !  Ensuite quand tu auras fait tes armes, et gagné le cœur de celle dont tu auras fait ta reine. C'est elle qui portera jusqu'au grincheux seigneur de Laron, ta demande pour marier Ermengarde. Et lui, sera tout honoré de te prier d'accepter la main de sa fille …

Guillaume est convaincu par ce dernier argument, et le passage par la quête de la dame de Hauterive, ne lui déplairait pas s'il ne connaissait pas l'histoire que l'on raconte à son propos … C'était l'année passée, alors qu'il venait d'être adoubé chevalier par Guy de Hauterive, et qu'il le servait encore...

Vous ne connaissez pas l’histoire du coffre de Dame Emma ?
A suivre ...

 

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