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Soir du lundi 19 février 1951 – Mort d'André Gide

Publié le par Régis Vétillard

Julien Green a raconté à Lancelot, comment il vit la dépouille de Gide sur son petit lit de fer. Il avait l'air de réfléchir. Il y avait Roger Martin du Gard. Dans la rue, Green a pleuré. A Cuverville, où Gide fut enterré près de son épouse ; Martin du Gard fit un esclandre alors qu'un pasteur venu du Havre ( voir La Porte étroite, avec le pasteur Vautier, du Havre..!) commençait religieusement la cérémonie.

Le 13 décembre 1950, avait eu lieu à la Comédie-Française (salle Richelieu), la pièce adaptée par Gide, des Caves du Vatican - mise en scène par Jean Meyer – en même temps que la célébration nationale d'une grande figure de la littérature que représente André Gide ; avec la présence du président Vincent Auriol ; et beaucoup de fleurs, d’applaudissements et de rappels...

Certains pouvaient déjà parler d'enterrement.

 

André Gide

Gide avait régné sur la littérature française ; et la publication de son Journal nous livrait ses états-d'âme au cours d'un demi-siècle.

Un trait de caractère que retient Lancelot est sa totale sincérité. Sincérité littéraire, mais aussi humaine ; s'il donnait des conseils de force , de courage ; il refusait de donner des directions à suivre.

- « Eh bien, je voudrais dire aux jeunes gens que l’absence de foi désoriente : pour que ce monde rime à quelque chose, il ne tient qu’à vous. Il ne tient qu’à l’homme, et c’est de l’homme qu’il faut partir. Le monde, ce monde absurde, cessera d’être absurde, il ne tient qu’à vous. Le monde sera ce que vous le ferez » ( Souvenirs littéraires et problèmes actuels, Les Lettres Françaises, 1946.)

- « ...ne vous laissez point dessaisir de ce qui fait votre valeur d’homme, votre personnelle valeur : l’esprit de doute et de libre examen »  (« A Naples » )

Paul Claudel et André Gide

Lancelot repense à cette correspondance, juste publiée entre Claudel et Gide. Devant la violence du premier, le charme du second lui paraît bien plus séduisant. Gide était sensible à la force de la poésie de Claudel. Il n'en appréciait pas forcément la signification, mais elle éveillait en lui, le ''mystère''.

Claudel, le converti, sommait Gide d'en faire autant. Des amis ( Francis Jammes) faisaient le pas, Gide se sentait assiégé. Il écrit '' le Retour de l'enfant prodigue'', et détourne la parabole. 1910, avec ''La Porte étroite'' ( 1909 - premier succès public) un parfum de religiosité a fait croire d'un retour vers la religion. Gide résiste.

1910, Claudel écrit : « Vous pensez bien que l'Eglise représentée par ses théologiens sérieux ne préconise en aucun cas l'assassinat ou la violence. Mais étant ce qu'elle est, c'est à dire se croyant seule et exclusivement en possession de la vérité absolue, et d'autre part pensant que les écarts de doctrine entraînent le terrible risque de perte éternelle de l'âme, elle ne peut admettre ce qu'on appelle la liberté de penser ou plutôt de publier sa pensée (...). Elle cherche non pas à exterminer les hérétiques, (...) mais à les empêcher de nuire. Vous admettrez que son point de vue est assez logique. A un point de vue catholique, comme je vous le disais l'autre jour, un livre qui peut faire perdre la foi constitue un véritable homicide. »

Claudel insiste : Fin 1911, Claudel écrit à Gide : « Il faudra que nous causions un de ces jours comme ces personnages de Dostoïevski qui se disent des choses tellement confidentielles que le lendemain ils n'osent plus se regarder et sont pris d'une haine mortelle l'un contre l'autre. »

En janvier 1912, Gide écrit dans son Journal : «  Je ne voudrais n'avoir jamais connu Claudel. (…) ma pensée s'affirme en offense à la sienne. »

1914 paraît le roman voltairien de Gide : ''Les caves du Vatican''


 

Albert Béguin, dit qu'il y a chez Gide du Nietzsche et du Montaigne ; que ses œuvres avaient été, pour lui, des libérations ( Les Nourritures, l'Immoraliste...) ; mais qu'il s'en était heureusement détaché. Gide n'aurait-il pas exagérément cultivé son non-conformisme, sa singularité ? Mauriac, lui, parle d'un luciférien pari de Pascal, à l'envers !


 

Gide avait mesuré les dangers de l'engagement politique ; et face au jeune Sartre et son Existentialisme, il exprimait sa méfiance :  « Je crains que ce ne soit encore elle, la barbarie, sous une apparence nouvelle, qui s’introduise dans vos rangs, à votre insu, protégée, approuvée par vous, camouflée en liberté... » ( Essais critiques )


 

A quoi, donc, croyait Gide?

« Je crois au monde spirituel, et tout le reste ne m’est rien. Mais ce monde spirituel, je crois qu’il n’a d’existence que par nous, qu’en nous; qu’il dépend de nous, de ce support que lui procure notre corps.
(...) Je crois qu’il n’y a pas là deux mondes séparés, le spirituel et le matériel, et qu’il est vain de les opposer. Ce sont deux aspects d’un même et unique univers
 » (André Gide, Journal, t. II,)


 

À la mort de Gide, dans ''Les Temps modernes'', Sartre déclare : « On le croyait sacré et embaumé : il meurt et l’on découvre combien il restait vivant » 


 

Green a raconté, qu'il avait beaucoup ri, d'un télégramme que Mauriac a reçu peu de jours après la mort de Gide et ainsi rédigé : « II n'y a pas d'enfer. Tu peux te dissiper. Préviens Claudel. André GIDE. »

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1950 – Moïra de Julien Green

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot se souvient très bien des lectures de Mont-Cinère (1926), Adrienne Mesurat (1927), Léviathan (1929) . Julien Green y dépeignait une humanité privée de transcendance, ce que refuse ce monde contemporain. Le monde n'en devient pas moins irrationnel, et incohérent. « Le vrai monde est ailleurs » répète Green.

Depuis son retour d'Amérique, l'écrivain cherchait l'appartement qui lui permettrait, enrichi de ses meubles, de retrouver le décor de sa jeunesse. Il le découvre au 52b rue de Varenne. Il restreint le cercle de ses fréquentations, et semble tourmenté par la question religieuse. Il dit apprécier le dialogue avec des dominicains qui ne craignent pas '' de vivre dangereusement, à moitié dans le monde.'', et se montre très exigeant quant à leur exemplarité spirituelle.

Lancelot évoque Teilhard de Chardin, qu'il connaît mal, et regrette que ces intellectuels fassent l'impasse, d'après lui, sur les questions non résolues du péché et de Satan.


 

Lancelot voulait avoir lu Moïra, avant de revoir Julien Green.

- La lecture de ce roman fut pénible, par son ambiance moite, et intolérante. note t-il. L'action se déroule dans un espace étranger, c'est à dire étrange dans sa topographie composée d'une université de Virginie, et de pensions pour étudiants, dans sa culture classique et vieillotte, et par sa religion décrite comme un carcan mortifère. A tout cela se rajoute l'angoissante culpabilité d'une sensualité exacerbée par le carcan religieux; de surcroît homosexuelle. Cela faisait beaucoup, pour Lancelot qui espérait que Green eut approfondi sa réflexion religieuse, comme le laissait transparaître les dernières discussions qu'ils avaient eues. Lancelot était déçu.

Il eut avec Green, une discussion sincère, qui l'a réconcilié, un peu, avec le thème choisi.

Moïra représente l'instinct sexuel et s'interpose entre Joseph et Dieu. Moira est l'obstacle, Joseph fera le choix ( choisit-il vraiment ?) de s'y fracasser.

- Pourquoi, décrivez-vous la vie dans ce monde, comme un drame ?

- Je suis face à un dilemme : vivre selon ma nature ou vivre selon les commandements de Dieu ? Il faut choisir entre les joies du plaisir ou les joies de l'ange ?

- L'ange ?

- L'ange que j'aspire à devenir : je voudrais devenir un saint ! Pourquoi nous faut-il choisir entre le monde et le ciel ?

- Comment évoquer l'amour, quand Joseph associe le mal, avec tout désir ?

- Parce qu'un désir de nature homosexuel, ne peut se réaliser. Sentiment et plaisir sont dissociés ; assure Julien Green.

 

-Autre chose, annonce Green, ne ressentez-vous pas parfois, que ce monde est irréel ?

- Du moins, répond Lancelot, je m'interroge si le monde que je perçois est bien la réalité du monde...

- Oui... Ce monde n'est peut-être que « la projection de ce que nous portons en nous. », c'est la grande idée de ''Minuit'' (1936).

- Certains répondraient, que ce sentiment d'irréalité, est l'expression d'un refus d'accepter cette réalité... ? L'angoisse de vivre le Mal du monde … ?

 

- Je sais combien vous appréciez Bernanos, et donc nous savons que le Mal travaille aussi dans l'invisible. Mais, une parole du Père Couturier m'avait frappé : « le démon ne peut faire des miracles. » ; le démon se donne des apparences de surnaturel.

Lancelot est ébranlé par ces dernières réflexions... Qu'en est-il donc, du Mal, de l'enfer... ? A l'opposé du divin, où se situe l'espace du Mal, exclusivement dans ce monde ?

- Si les tentations charnelles sont de ce monde ; y céder, finit par ….ne plus vouloir Dieu.

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1950-51 - La Cybernétique 2

Publié le par Régis Vétillard

Un article, titré '' Le cerveau et la machine '' des ''Nouvelles littéraires ...'' du 1er juin 1950, est signé Léon Brillouin.

Lancelot se souvient bien de Léon Brillouin (1889-1969), physicien et professeur au Collège de France, au début de Vichy, il était sous-secrétaire d'Etat à la Radiodiffusion nationale depuis sa nomination par Daladier en juillet 1939. Il avait démissionné fin 40 et émigré aux Etats-Unis. Il y est toujours, et travaille chez IBM depuis 1948.

IBM est cette entreprise qui utilisait ses brevets de mécanographie, par le biais d'appareils à cartes perforées ( tabulatrices), ces cartes servaient essentiellement de support des données en entrée et en sortie. En ces années 1950, des calculateurs électroniques connectés aux tabulatrices, vont permettre, grâce à leur vitesse, des applications beaucoup plus sophistiquées.

 

L'intérêt de l'article de Brillouin, est que sa réflexion sur la cybernétique, s'appuie sur une comparaison avec la physique.

Sa première remarque concerne la chimie : « la chimie de la matière vivante ne se distingue pas essentiellement de la chimie générale. Elle obéit aux mêmes lois et les corps organiques sont des produits chimiques comme les autres. Dès que l’un d’eux est découvert dam la vie, il est bientôt fabriqué au laboratoire. Les réactions chimiques vitales sont très analogues à celles de l’industriel ou du pharmacien. »

Sur la physique : « Schannon, travaillant aux Bell Telephone Laboratories, s’est attaché à dégager les principes généraux de transmission, les lois essentielles des télécommunications. Il a découvert une curieuse analogie entre la notion d'information et la conception d’entropie familière aux physiciens. Le fameux principe de Carnot spécifie que, dans tout phénomène physique ou chimique, une certaine quantité, l’entropie, ne peut jamais diminuer. L’entropie a tendance à augmenter sans cesse ou peut à la rigueur rester constante. Sa variation est à sens unique. » pendant la guerre, Claude Shannon a travaillé au décodage de communications de l’ennemi.

Je passe sur les exemples qui illustrent sa réflexion :

L’information peut se perdre, se dissiper ; elle n’augmente pas. Le lecteur de cet article peut en comprendre une partie ou la totalité. Il ne peut tirer de ces lignes davantage ou plus que l’auteur n’y a mis. ( ...)

L’information présente donc des caractères semblables à ceux d’une entropie négative ; toutes deux doivent constamment décroître ou tout au plus rester constantes.

** Tout d’abord, une différence saute aux yeux : lorsqu’en physique, deux corps échangent de la chaleur, l’un perd de l’entropie, le second en gagne. La balance est positive, l’entropie totale augmente.

Pour l’information, la situation est différente : si j’envoie un télégramme, mon correspondant ne reçoit qu’une partie des informations que je désirais lui transmettre, mais moi, l’expéditeur, je n’ai rien perdu. ( …) La différence entre information et entropie, sur ce point, est fondamentale. Nous pouvons disséminer une information sans la perdre, répandre l’instruction au moyen de cours et conférences, sans diminuer la science du professeur.

Second point : la pensée, l’effort de réflexion du savant ou du philosophe représentent une création de nouvelles informations. (...) D’où la conclusion : la pensée crée de l’entropie négative. La réflexion et le travail du cerveau humain vont à l’inverse des lois physiques usuelles ; réflexion surprenante et dont l’examen peut nous conduire à d’étranges découvertes ! »

 

Pour Brillouin, la comparaison entre cerveau et machine à calculer, n'est pas fondée.

« Chaque machine, si complexe soit-elle, exige un homme (et plus exactement le cerveau d’un homme) pour la diriger et la conduire. (…) Elle ne pense pas, mais exécute. Une machine parfaite suit rigoureusement le programme de la bande perforée (…).

La machine applique le code et déchiffre le message illisible. Elle ne réfléchit pas, ne pense pas, n’invente rien et elle est tout à fait incapable d’imagination. (...)

La machine mathématique est incapable de pensée créatrice. Elle peut suppléer le travail du cerveau humain dans un rôle purement passif et son rendement entropique est dans le sens naturel de l’augmentation. (…)

Le cerveau humain crée de l’entropie négative, dont la machine est parfaitement incapable. »

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1950-51 - La Cybernétique 1

Publié le par Régis Vétillard

Et, aujourd'hui, le danger se serait précisé et aggravé ; puisqu'on envisage l'autonomie de la technique. En effet, nous entrons dans l'ère de la cybernétique.

La cybernétique est un mot forgé par Norbert Wiener (1894-1964), mathématicien au MIT, vers 1848. Derrière ce mot, se trouve une effervescence de projets extra-ordinaires et qui concernent : la robotique, la théorie des systèmes, la théorie de l'information, les sciences cognitives, l'intelligence artificielle... Cela a commencé par la mise au point d’un appareil de pointage automatique pour canon antiaérien avec un dispositif qui ajuste la trajectoire de tir grâce à un procédé de régulation appelé feed-back (action en retour). Wiener pense avoir découvert un mécanisme transposable à d’autres domaines.

Norbert Wiener

La cybernétique devient la science des communications et de la décision et prépare la deuxième révolution industrielle, quand la machine pourra se substituer au cerveau de l'homme. En effet, la machine n'est plus seulement efficace, elle peut être intelligente, puisqu'elle traite de la connaissance.

Déjà quelqu'un comme Günther Anders (1902- ) - élève de Heidegger, il fut le premier mari de la philosophe Hannah Arendt ( ils se sont mariés en 1929, et ont divorcé en 1937), l’ami de Bertolt Brecht, de Walter Benjamin, de Theodor Adorno – répète que nous ne maîtrisons plus rien : le monde autosuffisant de la technique décide dorénavant de toutes les facettes de ce qui nous reste d’existence ; c'est ce qu'il nomme : '' L'Obsolescence de l'Homme ''. Il écrit que Hiroshima et la Shoah ne sont pas des accidents de la modernité ; ils expriment une perversion de la raison dans la rationalisation des moyens, en l’occurrence ici des moyens de destruction. L'humanisme devient hors-sujet ; puisque l'homme perd ses caractéristiques : la liberté, la responsabilité, la capacité d’agir, la capacité à se faire être.

 

Lancelot retrouve avec plaisir et intérêt, le dominicain Dominique Dubarle, déjà rencontré en mai 45 , il enseigne actuellement la philosophie à l'Institut catholique de Paris. Il raconte qu'après avoir suivi ses études et assimilé Aristote et St Thomas, ses supérieurs lui ont demandé de se consacrer aux scientifiques. Après avoir travaillé et rencontré des scientifiques ; il dut complètement tout repenser ! Il a passé deux ans à temps partiel au labo de Leprince-Ringuet pour faire des expériences; en math, il est très fort.

Dominique Dubarle (1907 – 1987)

Lancelot a noté des extraits de sa discussion sur ce nouveau visage de la technique : la cybernétique.

- L'humanisme risque t-il, vraiment, d'être hors-sujet ?

- L'humanisme, n'est-ce pas aussi de vivre dans ''le monde'', et de bien le connaître pour l'adapter à soi, au lieu d'en être esclave...

Avec Pascal - continue Dubarle - je ressens en moi la grâce divine qui m'appelle vers l'infini ; et « de ce petit cachot où je me trouve logé, j’entends l’univers »... A la suite du père Teilhard, je vois l'origine de l'humanisme dans la transition qui fait de l'homme, animal parlant, un être raisonnable. Cette noogénése marque le moment où l'homme s'est élevé au-dessus de son milieu, de lui-même et se rapproche de Dieu. L'humanisme n'est-il pas de dépasser constamment sa condition ?

La création est inachevée. L'humain est inachevé.

- Vous pensez donc, qu'il ne peut y avoir d'humanisme, sans progrès ?

- L'humanisme doit poursuivre dans le sens de l'évolution ; mais il ne doit pas se laisser entraîner et se noyer... Le progrès doit s'effectuer pour le bénéfice de l'Homme. La technique ne doit pas asservir l'homme, ni le remplacer. Il est fondamental de ne pas démissionner !

- Comment faire ?

- Ce n'est pas nouveau : « Connais-toi toi-même », étendre le champ de notre conscience. Et puis, il est important de reprendre ce que dit le P. Teilhard de Chardin qui appelle à la convergence de l'en-avant et de l'en-haut, ; alors qu'un humanisme matérialiste ne conduit qu'en avant. Teilhard affirme la nécessité, pour le salut de l'humanité, d'élever l'homme au dessus de lui-même, dans la confiance et la foi, vers Dieu...

 

En octobre 1950, Alan Turing, publie dans la revue ''Mind'' un article sous le titre "Computing machinery and intelligence ». Il s'interroge : « Les machines peuvent-elles penser ? Turing propose de reconnaître qu'une machine est ''intelligente'' quand on ne saura discerner leur conversation de celle des humains ; et élabore un test.

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1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 3

Publié le par Régis Vétillard

Les notes de Lancelot, montrent que les paroles de Teilhard, ne cessent de résonner dans sa tête. Réflexion sur Teilhard et l'Entropie

Teilhard remarque que l'apparition de la vie, puis de la pensée, s'accompagne d'un progrès du degré d'organisation, de la complexité.

Ajoutons le fait que, par exemple : une cellule est plus qu'un simple agrégat de molécules. Dans le Tout (somme de ses constituants) émergent des propriétés nouvelles, absentes chez ses constituants.

Cependant, la vie contient un processus d'ordre et d'organisation, et un processus de désordre, la mort. Le vivant se réorganise de façon permanente. Ainsi, l'évolution du vivant s'accompagne d'une croissance d'entropie, et ( est-ce contradictoire ?) selon Teilhard, d'une convergence vers la victoire de l'esprit ( point Oméga).

XVIIe siècle. Robert Fludd, Utriusque cosmi maioris scilicet et minoris  , tomus II (1619)

 

Nous sommes nés d'une cellule ( fusion de deux cellules...) et nous nous transformons en un corps de 30.000 milliards cellules ! Qu'en est-il de la vie et de la mort de toutes ces cellules ? Certaines se renouvellent en permanence, d'autres atteignent quelques jours, ou plusieurs dizaines d'années.

La mort continue de nos cellules, nous métamorphose.

Nous sommes comme le fleuve dont parlait Héraclite : le même et sans cesse renouvelé. Être vivant, c'est en partie mourir et renaître.

Qu'est-ce qui en nous nous remémore le passé, nous crée des émotions ? Si ce ne sont pas les cellules, qui ''meurent avant nous'' ; ce sont, l'organisation, l'information ? L'âme, dirait peut-être Teilhard.

Je répète donc : d'un côté la thermodynamique nous explique que l'univers va vers sa fin comme un Tout, un et indifférencié, du fait de l'Entropie. De l'autre, l'Evolution semble générer des systèmes toujours plus complexes, à l'entropie négative....

 

En ce début des années cinquante, Lancelot remarque avec intérêt que la science - plus particulièrement par le biais de la technique - alimente la réflexion morale et même métaphysique. C'est bien-sûr causé par l'arrivée de la bombe atomique ; mais aussi par ce qui semble caractériser notre société, et que Jacques Ellul nomme la '' société technicienne '' caractérisée par « la soumission de l'homme aux nécessités rigides du milieu technique dans lequel il est désormais contraint d’évoluer. » ( La technique ou l'enjeu du siècle, écrit en 1950 et publié en 1954 )

Déjà, pour Bernanos,  '' la technique '' ne désigne pas la machine, mais le système qui s'y appuie, et ne voit plus qu'au travers de cette efficacité et son développement ; la Technique comme fin, prive l'homme de sens...

« Que fuyez-vous donc ainsi, imbéciles? Hélas, c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau… On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » ( Georges Bernanos, La France contre les robots, 1947 )

 

Mais, Lancelot, se souvient aussi d'une discussion aux Rencontres de Genève, avec le journaliste René Sudre qui expliquait qu'à son avis, « la technique ne peut pas être arrêtée, (...) En ce qui concerne les moyens de résoudre le problème de l’exagération de la technique, je trouve que nous sommes tout à fait désarmés. Nous ne pouvons pas empêcher le progrès de la technique qui ira jusqu’au bout de ses possibilités (…) Je ne sais pas si ce sera un bien pour l’humanité. En tout cas, je sais que nous y arriverons. On créera des hommes, qui seront peut-être des surhommes, mais qui courront le risque d’être des monstres. ».

Le philosophe Gabriel Marcel (1889-1973), publie '' Les Hommes contre l’humain '' (1951). L'expérience des fascismes, l'amène à craindre aujourd'hui la tyrannie technocratique et bureaucratique. La technique, à présent, il nous faut apprendre à en être maître, en devenant d'abord maître de soi.

Jacques Ellul, se demande si, précisément, l'enjeu du siècle n'est plus s'il faut défaire le capitalisme ; en effet, la question du « capitalisme est une réalité déjà historiquement dépassée. (…) Ce qui est nouveau, significatif et déterminant, c’est la technique ». La technique serait d’abord un imaginaire global, une nouvelle manière de percevoir le monde...

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1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 2

Publié le par Régis Vétillard

Les intuitions du Père Teilhard de Chardin semblent sur le plan théologique véritablement révolutionnaires. Lancelot est fasciné par la cohérence qu'il pourrait ainsi exister entre matériel et spirituel. Et, précisément, le 25 mars 1951, Lancelot a l'opportunité d'assister à une conférence du père, son titre : '' Du cosmos à la cosmogénèse.''

Sans publicité, le public est composé de disciples acquis à la cause du maître. Les mots de passe pour entrer, pourraient être ''noosphère'' ou ''ultra-humain'' ; c'est que la connaissance d'un certain vocabulaire est effectivement nécessaire pour suivre l'exposé. Ce soir, il s'agit de '' cosmogénèse ''.

Le Père, spirituel et scientifique à la fois, semble inquiet de voir un public de plus en plus vaste, et enthousiaste. Il reste bienveillant, et ironique de sa popularité.

Teilhard reprend sa vision évolutive du monde : - nous pensions le Cosmos, comme un modèle statique d'Univers. Un monde qui serait donné à l'homme. - Non, le Cosmos se construit au fur et à mesure en un « mouvement d'ensemble vers l'unité , et où l’apparition de l’homme s’insère dans le développement du cosmos physique et comme son couronnement.

Le sens de l’évolution, vers l’Homme et jusque dans l’humanité encore en développement, se ferait selon une loi de complexité croissante des relations entre les éléments du cosmos.

La cosmologie devient cosmogenèse. L'Evolution devient un modèle pour penser ce qui s'est passé, de la formation de l'univers à l'émergence de la vie. Ce concept a le grand mérite de sortir le débat philosophique du dualisme stérile entre esprit ou matière dans lequel il se trouvait jusqu'alors enfermé. « D'un côté l'Esprit, de l'autre la Matière : et entre eux, rien d'autre chose que l'affirmation d'un accolement inexpliqué et inexplicable » constate Teilhard. « Atomes, électrons, corpuscules élémentaires, quels qu'ils soient… doivent avoir… une étincelle d'Esprit. ».

Le père, propose la loi de ''spiritualisation par union'', ou loi de ''complexité-conscience" : Chaque progrès dans la complexité s'accompagne d'une augmentation de conscience de l'organisme en cause.

« Laissée assez longtemps à elle-même, sous le jeu prolongé et universel des chances, la Matière manifeste la propriété de s'arranger en groupements de plus en plus complexes et en même temps de plus en plus sous-tendus de conscience; ce double mouvement conjugué d'enroulement physique et d'intériorisation (ou centration) psychique se poursuivant, s'accélérant et se poussant aussi loin que possible,-- une fois amorcé. Cette dérive de complexité/conscience (aboutissant parfois à la formation de corpuscules de plus en plus astronomiquement compliqués) est facilement reconnaissable dès l'Atomique,- et elle s'affirme dans le Moléculaire. Mais c'est évidemment chez le Vivant qu'elle se découvre avec toute sa clarté. » ( Teilhard de Chardin, L’apparition de l’homme, p 195 - 196 )

La présentation du père, est suivie de discussions entre les participants.

Une question revient souvent et concerne la part de liberté de l'homme, dans ce processus ?

La création est un processus dynamique toujours en action; mais l'homme en est responsable ; et Teilhard a foi en l'homme. Il exprime sa conviction optimiste et soutenue par sa foi, en un avenir divin. L'Evangile est une ''Bonne nouvelle '' et révèle à l’homme ce vers quoi l’évolution elle-même l’oriente.

Une autre question concerne le lien entre Science et Métaphysique. La physique peut remettre en cause la métaphysique, non pas dans sa nature, mais dans sa formulation ; par exemple, l'évolution appartient à la science pour ce qui est de l'observation ; cependant, quand celle-ci donne lieu à des hypothèses, elles peuvent déjà constituer une approche philosophique. Enfin, le philosophe peut proposer une interprétation. La science se doit de garder son domaine propre.

Enfin, à l'occasion d'un échange, Lancelot exprime le regret que le ''Dieu'' présenté par un scientifique, semble limité par sa transcendance en quelque sorte, et fait peu cas du Dieu intérieur de saint-Augustin, par exemple. Une personne cite, alors, un livre d'un prêtre, Maurice Zundel, qui avait déjà attiré l'attention de Lancelot. Dans, ''Recherche du Dieu inconnu'' (1949), Zundel écrit : « Dieu n'est pas une invention, mais une découverte ». Le lecteur est invité à découvrir en grande partie par lui-même un enseignement vivant et libérateur des vérités de la foi. C'est publié aux Editions Ouvrières, grâce à un père dominicain, ami de Zundel réticent: le Père Moos. Ce livre eut tout de suite un grand succès.

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