teilhard de chardin
Entropie et Néguentropie
Le constat scientifique de l'augmentation de l'Entropie, pourrait trouver des équivalences avec le vieillissement des vivants, ou des sociétés. Le déclin progressif des fonctions biologiques peut être vu comme une perte d’ordre et une augmentation de l’entropie chez l'humain vieillissant.
La perte d'identité culturelle, la montée de la violence, pourrait être une dégradation de l’ordre et de la structure sociétale. Les guerres, les catastrophes naturelles et écologiques contribueraient à l'augmentation de l'entropie.
Qu'en est-il ?
La vieillesse et la mort sont-ils signes d'entropie ?
Cependant une personne ne peut-elle pas, en vieillissant, se transformer en mal ou en bien, selon qu'il s'agit de sa ''substance'' ou de son'' âme''.. ?
Un argument s'oppose à considérer la mort comme le signe de l'entropie, parce qu'elle est aussi un avantage pour les espèces à reproduction sexuée. '' Le sexe mélange nos gènes pour créer une variation infinie avec très peu de mutations fatales. Mais cela ne fonctionne que si l’ancienne génération meurt pour ne pas concurrencer sa propre progéniture.''
La Tradition dans son sens le plus large ( les contes, les chants, les légendes, les rituels, les écrits de maîtres, les commentaires de Livres saints...) préserve la mémoire ( l'information), enseigne et se cumule. Nous nous transmettons, notre science, notre technique, et les peuples s'organisent en vue de plus de cohésion sociale. Notre écriture, notre histoire et nos traditions nous donnent la capacité de résister à l'entropie.
Aussi, est-il nécessaire d'envisager un phénomène opposé ou complémentaire, je ne sais pas....
La néguentropie, en opposition à l'entropie, représente la création d'information, la complexité et l'ordre. La photosynthèse, l'évolution des espèces, les découvertes scientifiques en sont des exemples.
Les organismes vivants, et l'humain en particulier stockent de plus en plus d'information.
La néguentropie relie l’information à l’ordre et à la structure dans les systèmes physiques et biologiques.
L'évolution biologique, dans laquelle nous humains intervenons dans la complexité, n'en est-il pas un parfait exemple de néguentropie ?
C'est en 1944, que le physicien autrichien Erwin Schrödinger introduit le terme de néguentropie dans son ouvrage Qu’est-ce que la vie ?, pour nommer la présence d’ordre à l’intérieur des êtres vivants, en opposition à la tendance naturelle à la désorganisation observée dans les systèmes physiques.
Le physicien français Léon Brillouin met en perspective le concept de néguentropie à partir des travaux du mathématicien Claude Shannon. Dans son ouvrage La Science et la théorie de l’information (1956), Brillouin explore comment l’information et l’ordre émergent à partir de la néguentropie.
Michel Serres (1930-2019) défendra le concept en le liant à l’organisation de l’univers et à la croissance de la conscience ; et en considérant une méthode néguentropique qui mettrait l'accent sur l'information, l'écologie, afin de préserver l'ordre et la diversité des écosystèmes.
La vie est néguentropique. C’est une affirmation intéressante ! La néguentropie fait référence à l’idée que la vie et l’ordre peuvent émerger spontanément à partir du chaos et de l’entropie. Elle peut susciter des réflexions spirituelles.
Déjà, l’existentialisme, même si l'on reconnaît l’absurdité de la vie, propose à l'homme de créer créer son propre sens et ordre à travers ses actions et ses choix.
Déjà, Saint-Augustin soutenait que Dieu est la source ultime de l’ordre et de la structure dans l’univers. Selon lui, le mal et le désordre (entropie) sont des absences de bien, et la création divine tend vers l’ordre et la perfection.
Plus précisément, Teilhard de Chardin relève que l’évolution de l’univers est marquée par une complexité croissante, allant des particules élémentaires à la vie consciente. Cette complexité croissante est une forme de néguentropie, où l’ordre et l’organisation augmentent.
Il introduit le concept de noosphère, une couche de pensée et de conscience humaine qui enveloppe la Terre. Selon lui, la noosphère représente un niveau supérieur d’organisation et de complexité, et un lieu de convergence spirituelle. La néguentropie serait manifeste à travers l’évolution de la conscience collective.
On parle de '' propriétés émergentes '' : ce sont des caractéristiques d’un système qui ne peuvent pas être prédites simplement en examinant ses composants individuels. L’émergence est un concept central dans la théorie des systèmes complexes. Par exemple, la conscience est souvent citée comme une propriété émergente du cerveau
La noosphère de Teilhard de Chardin, ne serait-elle pas une propriété émergente au même titre que la conscience?
1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 3
Les notes de Lancelot, montrent que les paroles de Teilhard, ne cessent de résonner dans sa tête. Réflexion sur Teilhard et l'Entropie
Teilhard remarque que l'apparition de la vie, puis de la pensée, s'accompagne d'un progrès du degré d'organisation, de la complexité.
Ajoutons le fait que, par exemple : une cellule est plus qu'un simple agrégat de molécules. Dans le Tout (somme de ses constituants) émergent des propriétés nouvelles, absentes chez ses constituants.
Cependant, la vie contient un processus d'ordre et d'organisation, et un processus de désordre, la mort. Le vivant se réorganise de façon permanente. Ainsi, l'évolution du vivant s'accompagne d'une croissance d'entropie, et ( est-ce contradictoire ?) selon Teilhard, d'une convergence vers la victoire de l'esprit ( point Oméga).
XVIIe siècle. Robert Fludd, Utriusque cosmi maioris scilicet et minoris , tomus II (1619) |
Nous sommes nés d'une cellule ( fusion de deux cellules...) et nous nous transformons en un corps de 30.000 milliards cellules ! Qu'en est-il de la vie et de la mort de toutes ces cellules ? Certaines se renouvellent en permanence, d'autres atteignent quelques jours, ou plusieurs dizaines d'années.
La mort continue de nos cellules, nous métamorphose.
Nous sommes comme le fleuve dont parlait Héraclite : le même et sans cesse renouvelé. Être vivant, c'est en partie mourir et renaître.
Qu'est-ce qui en nous nous remémore le passé, nous crée des émotions ? Si ce ne sont pas les cellules, qui ''meurent avant nous'' ; ce sont, l'organisation, l'information ? L'âme, dirait peut-être Teilhard.
Je répète donc : d'un côté la thermodynamique nous explique que l'univers va vers sa fin comme un Tout, un et indifférencié, du fait de l'Entropie. De l'autre, l'Evolution semble générer des systèmes toujours plus complexes, à l'entropie négative....
En ce début des années cinquante, Lancelot remarque avec intérêt que la science - plus particulièrement par le biais de la technique - alimente la réflexion morale et même métaphysique. C'est bien-sûr causé par l'arrivée de la bombe atomique ; mais aussi par ce qui semble caractériser notre société, et que Jacques Ellul nomme la '' société technicienne '' caractérisée par « la soumission de l'homme aux nécessités rigides du milieu technique dans lequel il est désormais contraint d’évoluer. » ( La technique ou l'enjeu du siècle, écrit en 1950 et publié en 1954 )
Déjà, pour Bernanos, '' la technique '' ne désigne pas la machine, mais le système qui s'y appuie, et ne voit plus qu'au travers de cette efficacité et son développement ; la Technique comme fin, prive l'homme de sens...
« Que fuyez-vous donc ainsi, imbéciles? Hélas, c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau… On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » ( Georges Bernanos, La France contre les robots, 1947 )
Mais, Lancelot, se souvient aussi d'une discussion aux Rencontres de Genève, avec le journaliste René Sudre qui expliquait qu'à son avis, « la technique ne peut pas être arrêtée, (...) En ce qui concerne les moyens de résoudre le problème de l’exagération de la technique, je trouve que nous sommes tout à fait désarmés. Nous ne pouvons pas empêcher le progrès de la technique qui ira jusqu’au bout de ses possibilités (…) Je ne sais pas si ce sera un bien pour l’humanité. En tout cas, je sais que nous y arriverons. On créera des hommes, qui seront peut-être des surhommes, mais qui courront le risque d’être des monstres. ».
Le philosophe Gabriel Marcel (1889-1973), publie '' Les Hommes contre l’humain '' (1951). L'expérience des fascismes, l'amène à craindre aujourd'hui la tyrannie technocratique et bureaucratique. La technique, à présent, il nous faut apprendre à en être maître, en devenant d'abord maître de soi.
Jacques Ellul, se demande si, précisément, l'enjeu du siècle n'est plus s'il faut défaire le capitalisme ; en effet, la question du « capitalisme est une réalité déjà historiquement dépassée. (…) Ce qui est nouveau, significatif et déterminant, c’est la technique ». La technique serait d’abord un imaginaire global, une nouvelle manière de percevoir le monde...
1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 2
Les intuitions du Père Teilhard de Chardin semblent sur le plan théologique véritablement révolutionnaires. Lancelot est fasciné par la cohérence qu'il pourrait ainsi exister entre matériel et spirituel. Et, précisément, le 25 mars 1951, Lancelot a l'opportunité d'assister à une conférence du père, son titre : '' Du cosmos à la cosmogénèse.''
Sans publicité, le public est composé de disciples acquis à la cause du maître. Les mots de passe pour entrer, pourraient être ''noosphère'' ou ''ultra-humain'' ; c'est que la connaissance d'un certain vocabulaire est effectivement nécessaire pour suivre l'exposé. Ce soir, il s'agit de '' cosmogénèse ''.
Le Père, spirituel et scientifique à la fois, semble inquiet de voir un public de plus en plus vaste, et enthousiaste. Il reste bienveillant, et ironique de sa popularité.
Teilhard reprend sa vision évolutive du monde : - nous pensions le Cosmos, comme un modèle statique d'Univers. Un monde qui serait donné à l'homme. - Non, le Cosmos se construit au fur et à mesure en un « mouvement d'ensemble vers l'unité , et où l’apparition de l’homme s’insère dans le développement du cosmos physique et comme son couronnement.
Le sens de l’évolution, vers l’Homme et jusque dans l’humanité encore en développement, se ferait selon une loi de complexité croissante des relations entre les éléments du cosmos.
La cosmologie devient cosmogenèse. L'Evolution devient un modèle pour penser ce qui s'est passé, de la formation de l'univers à l'émergence de la vie. Ce concept a le grand mérite de sortir le débat philosophique du dualisme stérile entre esprit ou matière dans lequel il se trouvait jusqu'alors enfermé. « D'un côté l'Esprit, de l'autre la Matière : et entre eux, rien d'autre chose que l'affirmation d'un accolement inexpliqué et inexplicable » constate Teilhard. « Atomes, électrons, corpuscules élémentaires, quels qu'ils soient… doivent avoir… une étincelle d'Esprit. ».
Le père, propose la loi de ''spiritualisation par union'', ou loi de ''complexité-conscience" : Chaque progrès dans la complexité s'accompagne d'une augmentation de conscience de l'organisme en cause.
« Laissée assez longtemps à elle-même, sous le jeu prolongé et universel des chances, la Matière manifeste la propriété de s'arranger en groupements de plus en plus complexes et en même temps de plus en plus sous-tendus de conscience; ce double mouvement conjugué d'enroulement physique et d'intériorisation (ou centration) psychique se poursuivant, s'accélérant et se poussant aussi loin que possible,-- une fois amorcé. Cette dérive de complexité/conscience (aboutissant parfois à la formation de corpuscules de plus en plus astronomiquement compliqués) est facilement reconnaissable dès l'Atomique,- et elle s'affirme dans le Moléculaire. Mais c'est évidemment chez le Vivant qu'elle se découvre avec toute sa clarté. » ( Teilhard de Chardin, L’apparition de l’homme, p 195 - 196 )
La présentation du père, est suivie de discussions entre les participants.
Une question revient souvent et concerne la part de liberté de l'homme, dans ce processus ?
La création est un processus dynamique toujours en action; mais l'homme en est responsable ; et Teilhard a foi en l'homme. Il exprime sa conviction optimiste et soutenue par sa foi, en un avenir divin. L'Evangile est une ''Bonne nouvelle '' et révèle à l’homme ce vers quoi l’évolution elle-même l’oriente.
Une autre question concerne le lien entre Science et Métaphysique. La physique peut remettre en cause la métaphysique, non pas dans sa nature, mais dans sa formulation ; par exemple, l'évolution appartient à la science pour ce qui est de l'observation ; cependant, quand celle-ci donne lieu à des hypothèses, elles peuvent déjà constituer une approche philosophique. Enfin, le philosophe peut proposer une interprétation. La science se doit de garder son domaine propre.
Enfin, à l'occasion d'un échange, Lancelot exprime le regret que le ''Dieu'' présenté par un scientifique, semble limité par sa transcendance en quelque sorte, et fait peu cas du Dieu intérieur de saint-Augustin, par exemple. Une personne cite, alors, un livre d'un prêtre, Maurice Zundel, qui avait déjà attiré l'attention de Lancelot. Dans, ''Recherche du Dieu inconnu'' (1949), Zundel écrit : « Dieu n'est pas une invention, mais une découverte ». Le lecteur est invité à découvrir en grande partie par lui-même un enseignement vivant et libérateur des vérités de la foi. C'est publié aux Editions Ouvrières, grâce à un père dominicain, ami de Zundel réticent: le Père Moos. Ce livre eut tout de suite un grand succès.
1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 1 –
L'hebdomadaire ''Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques'' du 11 janvier 1951, offre un bel article sur le père jésuite Teilhard de Chardin ( 1881-1955). Il est à présent une des personnalités du monde religieux les plus célèbres, alors que ses écrits non scientifiques sont confidentiels, comme ses conférences.
Nommé Directeur de recherche au CNRS et élu à l'Académie des sciences. Teilhard est célèbre, et très controversé. Il sollicite Rome et interroge le Saint-Office. Fin d'année 1948, il apprend la décision de Rome : - 'non' à la publication de ses œuvres autres que scientifiques, - 'non' à son acceptation de la chaire de paléontologie humaine qu'on lui propose au Collège de France, - 'non' à sa présence en France où ses idées trouvent trop d'écho.
Le père Coignet, par exemple, proche d'une spiritualité ''type Bossuet '', lui reproche de vouloir faire du christianisme une religion de l'évolution, de nier le problème du Mal et de supprimer les notions de péché, de fausser les notions de vie sacramentaire, de Révélation et d'en supprimer tout élément surnaturel. Il lui reproche de poser en principe, la collectivisation fatale de la société. Il note cependant un effort pour repenser nos grandes vérités chrétiennes dans le cadre de la pensée contemporaine ; même s'il en constate l'échec.
A l'opposé, Jean Rostand ( 1894-1977 - agnostique, libre penseur ) lui reproche d'affirmer – au nom de la science – que l'évolution a un dessein : celui d'aboutir à l'Homme ( ou à un ''surhumain''). Il décèle en lui, une volonté désespérée de croire, Teilhard se serait écrié : « la seule issue est la foi aveugle et absolue... Coûte que coûte, je le crois, il faut se cramponner à la foi en un sens et un terme de l'agitation humaine. »
Lancelot est sensible au difficile combat que Teilhard mène à la fois contre les méthodes de l'Eglise Romaine, d'un autre temps et de plus en plus discutées jusqu'à cette conviction manifestement fausse que le Monde a été créé par Dieu une fois pour toutes ; et aussi contre une vison scientiste et mécaniste du monde.
* Oui, Teilhard est résolument évolutionniste. Dans un texte de 1921, le père écrit: «Dieu fait moins les choses qu'il ne les fait se faire» et dans un texte de 1922 : «Plus nous ressuscitons scientifiquement le Passé, moins nous trouvons de place, ni pour Adam, ni pour le Paradis terrestre.». Le Cardinal Merry del Val, de la Curie Romaine - qui, très engagé dans la lutte contre le modernisme fit condamner le Sillon de Marc Sangnier – lui reproche de nier le dogme du Péché originel...
* Et, le combat de Teilhard est aussi de s'opposer à une vision mécaniste du monde : Forts de notre vision scientifique, nous avons abandonné une vision holistique du monde, pour une vision essentiellement mécaniste.
Que s'est-il passé ? R. Descartes (1596- 1650) acquiert la certitude que les lois de la nature sont accessibles à l'intellect, et permettent à notre esprit de déterminer l'essence des choses. ( Ego cogito, ergo sum ). Il estime que la pratique de la science permet de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » Discours de la Méthode (6e partie).
Avec Descartes, nous avons pensé que tous les aspects des phénomènes complexes peuvent être compris en les réduisant à leurs éléments constituants. La matière comme objet scientifique est quantifiable ; et ses qualités, sont vues comme étant issues du processus mental et non des propriétés de l’objet même. Newton (1642-1727) va valider cette intuition cartésienne. Sa théorie permet de formuler des lois générales du mouvement des corps solides, jusqu'aux objets du système solaire. L'idée d'un '' Monde – machine'' s'impose et cette vision mécaniste s'étend à la sociologie, à l'économie... L'humain seul réunit deux substances, la matière et l'esprit.
*Teilhard se situe à l'opposé de cette vision mécaniste du monde :
** Autour de 1910, Teilhard lit L’Evolution créatrice (1907) de Bergson, et comprend, au contraire, qu'il existe « une hétérogénéité de fond entre Matière et Esprit - corps et âme, inconscient et conscient, deux “substances” de nature différente […] non point deux choses, mais deux états, deux faces d’une même étoffe cosmique ». Cependant, Bergson dissocie âme et corps, et envisage l'immortalité de l'âme. Teilhard préfère unir ce que Bergson sépare, et va beaucoup plus loin sur l'étendue de la conscience ( Bergson s'en tient aux animaux), il l'a fait déborder du vivant à l'Univers entier....
Je reviens à cet article des Nouvelles littéraires (1951), qui permet au père jésuite d'expliquer ses intuitions : « (...) dans l’ordre de la pensée scientifique, la découverte, la prise de conscience, veux-je dire, de l’idée d évolution — d’évolution biologique, j’entends — me permettait de relier, dans le domaine de l’expérience, les deux notions d’énergie matérielle et d’énergie psychique. »
« (…) je ne suis ni un philosophe ni un théologien, mais un étudiant « du phénomène » (un physicien au vieux sens grec). Or, à ce modeste niveau de connaissance, ce qui domine ma vision des choses, c’est la métamorphose que l'homme nous oblige à faire subir à l’univers autour de nous à partir du moment où (conformément aux invitations impérieuses de la science) on se décide à le considérer comme formant une part intégrante, native, du reste de la vie. Comme suite, en effet, à cet effort d’incorporation, deux constatations capitales émergent, si je ne me trompe, dans notre perception expérimentale des choses. La première étant que l’univers, bien plus que par une « entropie » (le ramenant aux états physiques les plus probables), est caractérisé par une dérive préférentielle d’une partie de son étoffe vers des états de plus en plus compliqués, et sous-tendus par des intensités toujours croissantes de « conscience ». De ce point de vue strictement expérimental, la vie n’est plus une exception dans le monde ; mais elle apparaît comme un produit caractéristique — le plus caractéristique — de la dérive physicochimique universelle. Et l’humain, du même coup, devient, dans le champ de notre observation, le terme provisoirement extrême de tout le mouvement. L’humain : un bout du monde...
» Ceci posé, la deuxième constatation à laquelle on se trouve amené, à mon avis, par une acceptation scientifique intégrale du « phénomène humain », c’est que le courant de complexité-conscience, dont le psychisme réfléchi (c’est-à-dire la pensée) est expérimentalement issu, n’est pas encore arrêté ; mais que, à travers la totalisation biologique de la masse humaine, il continue à fonctionner — nous entraînant, par effet biologique de socialisation, vers certains états encore irreprésentables de réflexion collective — c’est-à-dire, comme je dis, vers quelque « ultra-humain ». »
** 1900, Max Planck, avec l'hypothèse des quanta, ruine la vision mécaniste du monde. Il écrit : « …une réalité métaphysique se tient à l’horizon du réel expérimental. » ( Max Planck, L’image du monde dans la physique moderne p 74 -1949 ) Puis, avec les relations de Heisenberg, c'est le rêve de Laplace d'un déterminisme absolu, qui s'écroule.
La physique quantique, qui analyse les composants ultimes (particules élémentaires ou quantons), met en évidence une indétermination radicale, et des propriétés de continu et de discontinu...
1947 - Teilhard de Chardin.
Lancelot a réussi à retrouver Dominique Dubarle (1907-1987), dominicain, théologien, philosophe et scientifique. Le père Dubarle, lui annonce aussitôt le retour en France de Teilhard de Chardin
Dubarle est convaincu que le progrès des sciences et des techniques provoque une rupture dans le cours de notre civilisation, c'est à dire a un impact sur l'humain et son devenir, sur notre culture. Il est donc nécessaire d'actualiser notre discours sur la foi. N'est-il pas important de reconnaître dans la philosophie de la science, un matérialisme et une œuvre spirituelle ?
Nous avons abandonné notre vision ancienne du cosmos, sous la pression d'une vision scientifique matérialiste du monde. La réalité du spirituel ne contredit pas l'explication matérialiste.
C'est d'ailleurs un point important de la discussion qui s'est déroulée le 21 janvier 1947, organisée par l'équipe '' Science et conscience '' du CCIF, entre le P. Teilhard de Chardin et Gabriel Marcel.
Un débat fort intéressant qui a fait défendre par Teilhard l'idée que « l'effort collectif pour pénétrer les secrets de la matière est un acte spirituel », et « plus l'acte est spirituel, plus il peut être hautement christianisé si l'Esprit le complète »...
G. Marcel, est sceptique : il envisage par exemple, la conscience des médecins des camps de concentration, des savants nazis: « qu'il y a t-il là d'hominisant ? » N'est-ce pas plutôt une conception anti-chrétienne, qui nous ramène à l'homme prométhéen ?
Teilhard répond : « ce qui fait l'homme prométhéen, c'est le refus de transcender son geste.. »
Tous les deux sont d'accord pour reconnaître la fêlure profonde que le mal a introduite dans la condition humaine... L'homme oscille de l'invocation au refus. G. Marcel voit dans le collectivisme et la technique , une nouvelle manifestation de l'esprit prométhéen.
Note : Prométhée « Le héros enchaîné [qui] maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les Dieux, c’est cette longue obstination qui a du sens pour nous. » Camus. - Camus dirait, qu'un '' esprit prométhéen '', prône sa foi en l’homme, en l’action et la transformation de la nature.
Teilhard ne nie pas le mal, mais pour lui la technique est un effort pour spiritualiser la matière, pour assimiler le cosmos à l'homme, et donc pour enrichir le plérôme ; le «plérôme» : « la mystérieuse synthèse de l'Incréé et du Créé, la grande complétion de l'Univers en Dieu».
L'idée de collectivisation, ne le gêne pas, elle crée une complexité nouvelle , et permet la maturation de l'humain, dit-il : ce serait l'ultra-humain....
Dans le même cadre, Lancelot, au mois de mai, entendit Louis Lavelle ( ce philosophe donnait des cours privés à Elaine, c'était en 1938.) répondre devant un abondant public à la question : '' A quoi sert le monde ? '' - L'homme, tout en étant dépendant du monde, peut – par sa vie spirituelle – se dégager des réalités extérieures ; Il s'agit donc – au-delà de la société des corps – d'assurer des rapports plus étroits entre les esprits. Le monde et nos limites, sont une épreuve, mais une épreuve féconde.
Teilhard ne partage pas cette conception. Il regrette l'opposition Dieu-Monde. « Être c'est s'unifier », dit-il. Le Monde ( le cosmos...) n'est pas un obstacle, au contraire.
Le père reconnaît la crise actuelle de la conscience ; mais il a une confiance philosophique ( et chrétienne) sans faille dans l'avenir humain.
Le mal c'est le prix de l'être. La création ( le multiple ) permet l'apparition du mal. Le multiple évolue vers l'unification ( bien).
Le Père reconnaît que le mal devient de plus en plus grave ( la bombe atomique) : - « cela laisse en suspens le succès de l'univers. Mais par l'infaillibilité statistique des libertés, rien n'empêche une vérité de monter. »
Certains philosophes « se meuvent encore dans un Univers pré-galiléen » : « une des dimensions les plus essentielles du '' Phénomène '' , qui n'est pas d'être perçu par une conscience individuelle, mais de signifier à cette conscience individuelle, qu'elle se trouve incluse dans un processus universel de '' noogénèse '' ( qui aboutit à une noosphère) ».
Lancelot est émerveillé par cette représentation du Monde. Hélas Teilhard ne publie pas, le père refuse les grands conférences, et préfère des rencontres dites ''privées'' ( et parfois peuplées).