1950-51 - La Cybernétique 2
Un article, titré '' Le cerveau et la machine '' des ''Nouvelles littéraires ...'' du 1er juin 1950, est signé Léon Brillouin.
Lancelot se souvient bien de Léon Brillouin (1889-1969), physicien et professeur au Collège de France, au début de Vichy, il était sous-secrétaire d'Etat à la Radiodiffusion nationale depuis sa nomination par Daladier en juillet 1939. Il avait démissionné fin 40 et émigré aux Etats-Unis. Il y est toujours, et travaille chez IBM depuis 1948.
IBM est cette entreprise qui utilisait ses brevets de mécanographie, par le biais d'appareils à cartes perforées ( tabulatrices), ces cartes servaient essentiellement de support des données en entrée et en sortie. En ces années 1950, des calculateurs électroniques connectés aux tabulatrices, vont permettre, grâce à leur vitesse, des applications beaucoup plus sophistiquées.
L'intérêt de l'article de Brillouin, est que sa réflexion sur la cybernétique, s'appuie sur une comparaison avec la physique.
Sa première remarque concerne la chimie : « la chimie de la matière vivante ne se distingue pas essentiellement de la chimie générale. Elle obéit aux mêmes lois et les corps organiques sont des produits chimiques comme les autres. Dès que l’un d’eux est découvert dam la vie, il est bientôt fabriqué au laboratoire. Les réactions chimiques vitales sont très analogues à celles de l’industriel ou du pharmacien. »
Sur la physique : « Schannon, travaillant aux Bell Telephone Laboratories, s’est attaché à dégager les principes généraux de transmission, les lois essentielles des télécommunications. Il a découvert une curieuse analogie entre la notion d'information et la conception d’entropie familière aux physiciens. Le fameux principe de Carnot spécifie que, dans tout phénomène physique ou chimique, une certaine quantité, l’entropie, ne peut jamais diminuer. L’entropie a tendance à augmenter sans cesse ou peut à la rigueur rester constante. Sa variation est à sens unique. » pendant la guerre, Claude Shannon a travaillé au décodage de communications de l’ennemi.
Je passe sur les exemples qui illustrent sa réflexion :
L’information peut se perdre, se dissiper ; elle n’augmente pas. Le lecteur de cet article peut en comprendre une partie ou la totalité. Il ne peut tirer de ces lignes davantage ou plus que l’auteur n’y a mis. ( ...)
L’information présente donc des caractères semblables à ceux d’une entropie négative ; toutes deux doivent constamment décroître ou tout au plus rester constantes.
** Tout d’abord, une différence saute aux yeux : lorsqu’en physique, deux corps échangent de la chaleur, l’un perd de l’entropie, le second en gagne. La balance est positive, l’entropie totale augmente.
Pour l’information, la situation est différente : si j’envoie un télégramme, mon correspondant ne reçoit qu’une partie des informations que je désirais lui transmettre, mais moi, l’expéditeur, je n’ai rien perdu. ( …) La différence entre information et entropie, sur ce point, est fondamentale. Nous pouvons disséminer une information sans la perdre, répandre l’instruction au moyen de cours et conférences, sans diminuer la science du professeur.
Second point : la pensée, l’effort de réflexion du savant ou du philosophe représentent une création de nouvelles informations. (...) D’où la conclusion : la pensée crée de l’entropie négative. La réflexion et le travail du cerveau humain vont à l’inverse des lois physiques usuelles ; réflexion surprenante et dont l’examen peut nous conduire à d’étranges découvertes ! »
Pour Brillouin, la comparaison entre cerveau et machine à calculer, n'est pas fondée.
« Chaque machine, si complexe soit-elle, exige un homme (et plus exactement le cerveau d’un homme) pour la diriger et la conduire. (…) Elle ne pense pas, mais exécute. Une machine parfaite suit rigoureusement le programme de la bande perforée (…).
La machine applique le code et déchiffre le message illisible. Elle ne réfléchit pas, ne pense pas, n’invente rien et elle est tout à fait incapable d’imagination. (...)
La machine mathématique est incapable de pensée créatrice. Elle peut suppléer le travail du cerveau humain dans un rôle purement passif et son rendement entropique est dans le sens naturel de l’augmentation. (…)
Le cerveau humain crée de l’entropie négative, dont la machine est parfaitement incapable. »