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1951

1951... - L'Ecole privée ( '' libre '')

Publié le par Régis Vétillard

Rappel sur la IVe République (1946-1958): Une coalition : SFIO (socialistes), MRP (chrétiens-démocrates) et Radicaux, doit faire face à l'opposition du PC (communistes) et du RPF ( le Rassemblement du peuple français, créé par le général de Gaulle, en avril 1947). « Tous les cabinets comprennent grossièrement un tiers de MRP, un tiers de socialistes et un tiers de radicaux et de modérés. Le président du conseil est interchangeable qu’il soit Socialiste (Ramadier), MRP (Schuman, Bidault), Radical (Queuille, André Marie) ou UDSR (Pleven) » ( UDSR = Union démocratique et socialiste de la Résistance (avec Mitterand) )

Pour Lancelot, l'actualité est chargée depuis quelque temps d'un débat sur ''l'aide à l'enseignement libre'' . En effet, en août 1951, la question pouvait mettre en danger le cabinet Pleven ; on s'inquiète et Lancelot est chargé de mesurer le poids de l'opinion catholique.

L'augmentation de la population scolaire exige des mesures urgentes. Et, on ne peut pas répondre à l'obligation scolaire sans l'enseignement privé.

Avant guerre on comptait à peu près 600.000 naissances dans l'année ; ces dernières années nous en sommes autour de 850.000 par an. En 1952, 858.000 enfants recevaient leur instruction primaire à l'école privée( plus de 4 millions dans l'école laïque) et 350.000 faisaient leurs études dans les collèges catholiques ( 450.000 dans le public). Les éducateurs catholiques font donc œuvre de service public.

Les catholiques se plaignent de payer deux fois pour l'éducation de leurs enfants, une fois comme contribuable et la seconde en subventionnant directement leur école. Ils souhaiteraient que l’État finance écoles publiques et écoles libres en proportion de leurs effectifs. Ce financement par l’État a été refusé pendant toute la Troisième République. Il n'a trouvé un accueil favorable que sous le régime de Vichy.

 

Que ce soit les organisations laïques, les évêques de France, le MRP ( dominante catholique...), tous veulent sauvegarder la '' paix scolaire'' ; mais y a t-il une paix sans justice ? La paix existe t-elle sans la liberté ?

Politiquement, si le camp de l'école libre s'oppose au camp laïque, Radicaux et MRP peuvent se diviser, le RPF peut s'abstenir et une grève des instituteurs n'est pas exclue. A l'ouest du pays en particulier, on ne craint pas de répondre par la grève de l’impôt, et tout ceci à la veille de la campagne pour les législatives de juin 1951.

Lancelot note que l'Assemblée des cardinaux et des évêques de France, est divisée, sur la question de l'action pratique et politique et souhaitent la dissocier des ''principes doctrinaux''...

 

Que craignent les partisans de la laïcité ? - Beaucoup d'entre eux pensent que l'Eglise a partie liée avec les forces conservatrices de la société, avec des connaissances du domaine de la croyance, alors que l'Ecole doit rester dans le domaine de la raison. Ils relèvent, également, que ce serait encourager toutes les autres confessions à réclamer leurs écoles ; et en Algérie par exemple, empêcher le rapprochement des divers éléments de la population.

Les évêques de France parlent de violation de la justice scolaire, puisqu'elle concerne la liberté de l'enseignement religieux. D'autre part, l'Etat peut très bien être laïque et permettre un enseignement chrétien : il suffit que son enseignement à lui demeure laïc, c'est à dire au-dessus des divergences confessionnelles.

 

Le contexte des élections législatives de Juin 1951, est lié aux soucis de pouvoir d'achat et d’inflation, à la question scolaire, et bien sûr à la guerre d’Indochine fortement contestée par le PCF. La ''Troisième force'' ( alliance de: la SFIO, les modérés, le MRP, le Parti radical et l'UDSR.) reste majoritaire 50,9%, le RPF a 21,7% et le PCF, 25,9%.

 

Le gouvernement ( Pleven) ne propose pour le moment que d'octroyer aux élèves des écoles privées le bénéfice des bourses d’enseignement... Les opposants répondent que ce serait tout de même une façon de subventionner ces écoles...

Une majorité au sein de l'Assemblée nationale semble exister en faveur du soutien des écoles libres.

Finalement, les lois scolaires dites « loi Marie » et « loi Barangé », sont votées le 21 et le 28 septembre 1951. Elles accordent une modeste aide à l’enseignement privé.

La loi Marie admet les élèves des établissements privés au bénéfice des bourses de l'Etat et la loi Barangé octroie une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l'école primaire publique ou privée. Pour les élèves de l'enseignement public, l'allocation est versée à la Caisse départementale scolaire, gérée par le Conseil général, lequel assure la répartition des fonds.

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1951 - Le Journal d'un curé de campagne – Film de R. Bresson – Louis Lavelle.

Publié le par Régis Vétillard

La foi est encore au cœur d'une œuvre - qui de plus nous renvoie à ces années d'avant guerre - transposition au cinéma d'un roman de Bernanos, le '' Journal d'un curé de campagne '', publié en 1936, et sorti en salle en février 1951. Un film de Robert Bresson.

Un très grand film, fidèle – je crois – à l'esprit de Bernanos ( mort en 48). un film sobre porté par la voix intérieure du jeune prêtre, et une suite de séquences en noir et blanc avec quelques dialogues et ce visage du prêtre, portrait des tourments de l'âme...

Bresson reste fidèle au livre, avec des dialogues courts, sans effet mélodramatique. Le film reprend sans effet, les paysages froids de l'Artois, la plaine picarde, des arbres immenses, le ciel chargé de nuages...

Au contraire du livre, Lancelot s'est senti porté beaucoup plus par les images, que par les textes ; au point même, où nous pourrions nous passer de certaines paroles redondantes.

Dans la narration, Bresson a choisi de suivre l'écriture du journal sur un cahier d'écolier, et l'oblige à une fin qui ne pouvait inclure la mort de celui qui écrit. C'est Louis Dufrety, qui sur fond d'une croix noire, raconte dans une lettre la mort de son jeune ami.

 

La foi nous est-elle donnée ?

Un film spirituel, peut-être éloigné des préoccupations de notre époque ?

 

Libération_22 fevrier 1951 le Journal d'un curé de campagne

Dans Le Figaro, Bresson parlait de ses projets, en particulier un film sur ''Lancelot du Lac'', centré sur son amour pour la reine Guenièvre et sa fidélité à son roi. Lancelot est persuadé que cette liaison est la cause de son échec dans sa Quête du Graal.

A propos du '' Journal …'' ; Bresson dit : « Les larmes du saint curé d’Ambricourt sont dues autant à un excès de pitié envers l’espèce humaine qu’à la nostalgie d’un monde révélé qui, continuellement, lui échappe. ». A propos du cinéma : «  l’action dans un film doit être et sera de plus en plus intérieure. ». Il regrette que la plus souvent le mouvement au cinéma, ne soit que de l'agitation... Il dit aussi : « Le silence est la grande découverte du cinéma sonore.»

Bresson confie qu'il a écrit un scénario sur Ignace de Loyola, en relation avec Julien Green, et tous deux souhaitaient mettre l'accent sur la complexité d'une telle figure « qui ne voyait pas seulement le mal dans les ennemis de l’Église, mais aussi tapi dans les plis de l’Église elle-même. »

 

Le philosophe Louis Lavelle est mort ce 1er septembre 1951 ( il avait 68ans). Il avait beaucoup nourri la spiritualité d'Elaine.

Il pensait que le problème majeur de l’humain, était le Mal, « le scandale du monde ». Nous cherchons « à l'expliquer et à l'abolir ». Au Mal répond le Bien : « Le bien ne donne un sens au monde que par le scandale même du mal qui me fait désirer le bien, m’oblige à me le représenter et impose à ma volonté le devoir d’agir pour le réaliser ». « 

De même : « la vie et la mort forment un couple : elles n'ont de sens qu'en s'opposant ; et le contraire de la vie n'est pas le néant, mais la mort. C'est l'idée de la mort, c'est-à-dire d'une vie qui se termine, qui donne au sentiment de la vie son extraordinaire acuité, son infinie puissance d'émotion. Dès que l'idée de la mort s'éloigne, la vie n'est plus pour nous qu'une habitude ou un divertissement : seule la présence de la mort nous oblige à la regarder face à face. Celui qui se détourne de la mort afin de mieux jouir de la vie se détourne aussi de la vie et, pour mieux oublier la mort, il oublie la mort et la vie. »

« (…) La méditation sur la mort, en nous obligeant à percevoir nos limites, nous oblige à les dépasser. Elle nous découvre l'universalité de l'Être et sa transcendance par rapport à notre être individuel. Ainsi, elle nous ouvre l'accès non pas d'une vie future, qui garderait un caractère toujours provisoire, mais d'une vie surnaturelle, qui pénètre et qui baigne notre vie manifestée : il ne s'agit pour nous ni de l'ajourner, ni même de la préparer, mais, dès aujourd'hui d'y entrer. »

Louis Lavelle, La conscience de soi, 1933,

 

Lavelle était bien plus un ''sage'' qu'un ''philosophe'' puisqu'il s'intéressait au sens de l'existence. Cette sagesse gravite autour de la notion d'esprit, qu'il puise dans des sources autant spirituelles que philosophiques.

Au cœur de nos questions sur l'univers, sur la vie, est celle de l'être : « Tout savoir vise à nous donner une représentation de l’être : mais dans la philosophie, c’est l’être même que nous cherchons à atteindre » ( De l’intimité spirituelle,)

Pour Lavelle, la recherche, sur « le chemin de l'être » n’ignore pas la nécessité de l’intellect, de l’analyse réflexive. Et, pour atteindre l'être dans sa présence spirituelle, la pensée rencontre la spiritualité par l'intermédiaire d'une religion.

Le temps ne se dissocie pas de l'éternité, dit-il. Il fait référence à diverses expériences, dont celles de l'art, mais aussi religieuses.

La mort n'est pas un drame. L’essentiel de l’existence appartient au domaine spirituel.

La figure du philosophe, s'apparenterait-elle à celle du moine ?

- « Je ne m’étonne pas, mais j’éprouve du contentement à vous entendre dire que ma pensée a de la parenté avec l’idéal de la vie monastique (...). Un philosophe est comme un moine dans le monde » 

La recherche de la sagesse passe par le recueillement et la solitude.

Louis Lavelle s'est nourri des ''Écritures'' et des Pères ( Augustin en particulier), des médiévaux, de Pascal. Pour les philosophes, il cite souvent : Platon, Leibniz, Descartes, Spinoza, Malebranche, Kant, Bergson ...

Pour Lavelle, l'Esprit ne se réduit pas au ''Dieu des philosophes'', s'il est la cause et la raison de tout, il est le Dieu intime, « Aussi ne faut-il pas s’étonner que nous considérions Dieu comme une personne. » ( Traité des valeurs, II )

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1951-52 – Les Deux Etendards – Rebatet

Publié le par Régis Vétillard

Le docteur Destouches a été amnistié par le tribunal militaire ce 20 avril 1951 ! Destouches, c'est l’écrivain Céline - on dit que le juge n'avait pas fait la relation... - c'est celui aussi, qui s'en prenait à Pétain pour être trop tiède en matière d'antisémitisme ; qui a soutenu Doriot, et écrit dans les journaux les plus collaborationnistes.

Pétain, lui est mort en prison, lundi matin 23 juillet 1951. Il avait été condamné à mort, six ans plus tôt, pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison. Mais ce vieux et glorieux maréchal - il avait 84 ans en 1940 - n'était peut-être que le faire-valoir de Darlan, Laval, et Bousquet...

En 1951, nous souhaitons nous détacher et renvoyer cette absurde période, dans les dossiers de l'Histoire, pour - quand même - qu'elle serve de leçon, à nos héritiers.

Lucien Rebatet

Pourtant, cette même année, Lucien Rebatet, celui-là même qui avait publié en 42, Les décombres, un violent pamphlet antisémite, et fasciste, qui fut un ''best-seller'' pendant l'Occupation ; donc, ce Rebatet publie ''Les Deux Étendards'' en 2 volumes, dans la collection Blanche de Gallimard. Il est vrai que l'écrivain fut gracié le 12 avril 1947 de sa condamnation à mort, grâce à une pétition d'écrivains comme Camus, Mauriac, Paulhan, Martin du Gard, Bernanos, Aymé ou encore Anouilh.

Rebatet avait achevé en prison ce roman commencé à Sigmaringen. Et la rumeur veut que ce soit Camus qui l'ait recommandé à Gallimard.

Lancelot hésitait à se lancer dans la lecture de ce livre de 1300 pages, écrit par un antisémite, anticlérical, collaborateur ; mais Paulhan estime que son boycott n'est pas justifié : il ne traite ni de politique, ni de la guerre ; mais d’amour, de religion et d’art ; il ajoute « un catholique en tout cas ne peut ignorer ce roman de premier ordre. ». La curiosité est donc plus forte...

De plus - le roman de Lucien Rebatet est directement inspiré par cette expérience amoureuse de jeunesse : autour des années vingt, Rebatet est ami avec François Varillon dont l'appel au sacerdoce se heurte à une passion amoureuse pour une jeune voisine ; puis, Rebatet va s'éprendre d'elle.

A l'inverse de son ami, Varillon va choisir la foi, et la résistance. Il va participer à l’aventure de ''Témoignage Chrétien''. Après la guerre, il anime des cycles de conférences mensuelles ; Lancelot en suivra plusieurs ; séduit par son enseignement qui repose sur la raison ; et le discernement.

Les ''Deux étendards'' sont une référence à un passage des ''Exercices de Loyola'' ; ils exaltent un combat et les deux bannières « autour desquelles les armées s’assemblaient en vue de la grande bataille : celle de l’Enfer et celle de l’Église,.. », en reprenant les mots du jésuite Naphta, dans ''La Montagne Magique '' de T. Mann.

 

Guillaume et Michel sont deux amis, à l'esprit potache et grossier, anti-bourgeois, anti-chrétiens et misanthropes... Michel, Nietzschéen,( alter ego de Rebatet), se destine à devenir un grand écrivain. Partagé entre Paris et Lyon, pauvre, il s'enivre de la vie parisienne des années vingt.

Régis camarade d'enfance qu'il connaît de Lyon, est à l'opposé, un peu mièvre, et surtout catholique : tout ce que méprise Michel. Régis, pourtant, a l'ambition de restaurer une religion qu'il reconnaît comme déclinante. Régis est un pianiste accompli ; la musique tient une grande place dans ce livre.

Régis est très amoureux d'Anne-Marie ; amour réciproque, mais sublimé, pour l’éterniser plutôt que de le consommer bourgeoisement sur terre.

La raison en est que Régis se destine au sacerdoce dans la Compagnie de Jésus, et Anne-Marie par fidélité à cet amour, après son baccalauréat, envisage d'entrer au couvent. Régis se confie à celui qu'il pense être son ami, Michel est bouleversé par l'incroyable récit de cet amour et souhaite découvrir cette mystérieuse Anne-Marie.

Si Lancelot s'est laissé prendre par cette lecture, parfois rude du fait de jugements à l'emporte pièce , il ressent de la part de l'auteur une certaine ''mauvaise foi'' dans le développement des sentiments que Michel dit éprouver pour Anne-Marie. Quand on comprend dès le début du roman, l'état d'esprit de Michel et Guillaume envers les femmes - qui ne cessent de les obséder – on se laisse difficilement emporté par sa soudaine passion pour l'amoureuse de son ami. A cela, il faut ajouter son désir d'une conversion religieuse dont dépendrait la conquête de la pure jeune fille !. Lancelot estime que la situation est trop tordue pour être honnête ; elle semble construite pour démolir ce qui est pour Régis et Anne-Marie est essentiel, leur spiritualité ( foi, amour, don de soi...)

Michel, passionnément amoureux, envisage de se convertir, seul voie – pense t-il - , pour rejoindre Anne-Marie.

Il n’ose pourtant avouer la vérité et son amour à Anne-Marie que le jour où Anne-Marie et Régis se sépareront.

Finalement, Anne-Marie, n'accepte pas cette séparation qui lui semble absurde; comment pourrait-elle venir de Dieu ? Régis semble s’enfermer orgueilleusement dans un ordre catholique. Cette soumission lui semble être une trahison.

Influencée par Michel, elle perd sa foi.

Anne-Marie se laisse embarquer, dans un voyage en Italie et en Turquie, et dans les plaisirs charnels. Michel tente de détruire en elle son attachement à sa religion, pour la jouissance de la vie.

De belles pages érotiques, laisseraient penser que la jeune fille partage pleinement cette passion. Un mariage entre les deux amants se prépare, les familles y consentent.

 

Mais Anne-Marie refuse et rompt avec Michel.

Anne-Marie, n'est-elle que la victime de ses deux amants ? Elle dit elle-même : « Deux garçons se succèdent dans ma vie : le premier me chante le ciel, l'amour en Dieu, pour me lâcher à la porte d'une religion encore plus imbécile que la justice. Le second me prêche pendant un an la révolte, la massacre, et quand il a tout démoli, tout retourné, mon magnifique petit furibond me propose les douceurs bourgeoises, une descente de lit pour la vie. »

L'esprit est-il plus fort que la chair ? Si Anne-Marie ne retrouve pas la foi, elle en garde cependant la nostalgie, et la marque profonde. Elle dit elle-même que le christianisme est une « drogue », mais qu’elle en a pris « une trop forte dose » et « qu’elle ne s’en remettra jamais ».

 

Rebatet, par l'intermédiaire de Michel, trouve le sens d'une vie, dans l'art, la création d'une œuvre ; cela passe par la connaissance et le développement de soi. Vision élitiste, sans aucun doute, ouverte à une révolution nietzschéenne des valeurs, en opposition nette - selon lui - à un christianisme pervers et empli d'orgueil, à l'image du comportement du ''jésuite''.

Ce roman rempli de cette fièvre nietzschéenne, correspond bien, sans-doute, à l'état d'esprit d'un condamné dans sa cellule, qui écrit jour et nuit. Même si le langage y est cru, c'est plutôt bien écrit. Les sentiments sont disséqués, comme le christianisme, d'ailleurs ; le culte, les dogmes raillés. Il parle bien de Gide, de Proust.

Un roman long, parfois ennuyeux, sauf les dernières cent pages.. On en ressort bousculé, satisfait d'en finir...

S'il n'y avait pas eu la guerre. On aurait crié vive l'artiste ! C'est violent, démesuré, mais c'est artistique... Seulement, cet artiste, s'il prend les rennes de votre vie, devient un fasciste. Le fasciste et l'artiste, sont le même homme.

Lancelot, retrouve à la fin de l'ouvrage, sa première impression concernant la vraie-fausse amitié entre Michel et Régis. Au final, alors que Régis tente son « numéro évangélique. », et propose de se quitter en faisant la paix; Michel fait éclater sa haine, son mépris.

Et comme, il est écrit, en quatrième de couverture : « Régis et son Dieu triomphent, mais sur les ruines de tout bonheur humain ». Rebatet affirme que la doctrine catholique est encore plus nihiliste, que sa philosophie, dans le sens où elle nierait la nature humaine.

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Soir du lundi 19 février 1951 – Mort d'André Gide

Publié le par Régis Vétillard

Julien Green a raconté à Lancelot, comment il vit la dépouille de Gide sur son petit lit de fer. Il avait l'air de réfléchir. Il y avait Roger Martin du Gard. Dans la rue, Green a pleuré. A Cuverville, où Gide fut enterré près de son épouse ; Martin du Gard fit un esclandre alors qu'un pasteur venu du Havre ( voir La Porte étroite, avec le pasteur Vautier, du Havre..!) commençait religieusement la cérémonie.

Le 13 décembre 1950, avait eu lieu à la Comédie-Française (salle Richelieu), la pièce adaptée par Gide, des Caves du Vatican - mise en scène par Jean Meyer – en même temps que la célébration nationale d'une grande figure de la littérature que représente André Gide ; avec la présence du président Vincent Auriol ; et beaucoup de fleurs, d’applaudissements et de rappels...

Certains pouvaient déjà parler d'enterrement.

 

André Gide

Gide avait régné sur la littérature française ; et la publication de son Journal nous livrait ses états-d'âme au cours d'un demi-siècle.

Un trait de caractère que retient Lancelot est sa totale sincérité. Sincérité littéraire, mais aussi humaine ; s'il donnait des conseils de force , de courage ; il refusait de donner des directions à suivre.

- « Eh bien, je voudrais dire aux jeunes gens que l’absence de foi désoriente : pour que ce monde rime à quelque chose, il ne tient qu’à vous. Il ne tient qu’à l’homme, et c’est de l’homme qu’il faut partir. Le monde, ce monde absurde, cessera d’être absurde, il ne tient qu’à vous. Le monde sera ce que vous le ferez » ( Souvenirs littéraires et problèmes actuels, Les Lettres Françaises, 1946.)

- « ...ne vous laissez point dessaisir de ce qui fait votre valeur d’homme, votre personnelle valeur : l’esprit de doute et de libre examen »  (« A Naples » )

Paul Claudel et André Gide

Lancelot repense à cette correspondance, juste publiée entre Claudel et Gide. Devant la violence du premier, le charme du second lui paraît bien plus séduisant. Gide était sensible à la force de la poésie de Claudel. Il n'en appréciait pas forcément la signification, mais elle éveillait en lui, le ''mystère''.

Claudel, le converti, sommait Gide d'en faire autant. Des amis ( Francis Jammes) faisaient le pas, Gide se sentait assiégé. Il écrit '' le Retour de l'enfant prodigue'', et détourne la parabole. 1910, avec ''La Porte étroite'' ( 1909 - premier succès public) un parfum de religiosité a fait croire d'un retour vers la religion. Gide résiste.

1910, Claudel écrit : « Vous pensez bien que l'Eglise représentée par ses théologiens sérieux ne préconise en aucun cas l'assassinat ou la violence. Mais étant ce qu'elle est, c'est à dire se croyant seule et exclusivement en possession de la vérité absolue, et d'autre part pensant que les écarts de doctrine entraînent le terrible risque de perte éternelle de l'âme, elle ne peut admettre ce qu'on appelle la liberté de penser ou plutôt de publier sa pensée (...). Elle cherche non pas à exterminer les hérétiques, (...) mais à les empêcher de nuire. Vous admettrez que son point de vue est assez logique. A un point de vue catholique, comme je vous le disais l'autre jour, un livre qui peut faire perdre la foi constitue un véritable homicide. »

Claudel insiste : Fin 1911, Claudel écrit à Gide : « Il faudra que nous causions un de ces jours comme ces personnages de Dostoïevski qui se disent des choses tellement confidentielles que le lendemain ils n'osent plus se regarder et sont pris d'une haine mortelle l'un contre l'autre. »

En janvier 1912, Gide écrit dans son Journal : «  Je ne voudrais n'avoir jamais connu Claudel. (…) ma pensée s'affirme en offense à la sienne. »

1914 paraît le roman voltairien de Gide : ''Les caves du Vatican''


 

Albert Béguin, dit qu'il y a chez Gide du Nietzsche et du Montaigne ; que ses œuvres avaient été, pour lui, des libérations ( Les Nourritures, l'Immoraliste...) ; mais qu'il s'en était heureusement détaché. Gide n'aurait-il pas exagérément cultivé son non-conformisme, sa singularité ? Mauriac, lui, parle d'un luciférien pari de Pascal, à l'envers !


 

Gide avait mesuré les dangers de l'engagement politique ; et face au jeune Sartre et son Existentialisme, il exprimait sa méfiance :  « Je crains que ce ne soit encore elle, la barbarie, sous une apparence nouvelle, qui s’introduise dans vos rangs, à votre insu, protégée, approuvée par vous, camouflée en liberté... » ( Essais critiques )


 

A quoi, donc, croyait Gide?

« Je crois au monde spirituel, et tout le reste ne m’est rien. Mais ce monde spirituel, je crois qu’il n’a d’existence que par nous, qu’en nous; qu’il dépend de nous, de ce support que lui procure notre corps.
(...) Je crois qu’il n’y a pas là deux mondes séparés, le spirituel et le matériel, et qu’il est vain de les opposer. Ce sont deux aspects d’un même et unique univers
 » (André Gide, Journal, t. II,)


 

À la mort de Gide, dans ''Les Temps modernes'', Sartre déclare : « On le croyait sacré et embaumé : il meurt et l’on découvre combien il restait vivant » 


 

Green a raconté, qu'il avait beaucoup ri, d'un télégramme que Mauriac a reçu peu de jours après la mort de Gide et ainsi rédigé : « II n'y a pas d'enfer. Tu peux te dissiper. Préviens Claudel. André GIDE. »

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1950-51 - La Cybernétique 1

Publié le par Régis Vétillard

Et, aujourd'hui, le danger se serait précisé et aggravé ; puisqu'on envisage l'autonomie de la technique. En effet, nous entrons dans l'ère de la cybernétique.

La cybernétique est un mot forgé par Norbert Wiener (1894-1964), mathématicien au MIT, vers 1848. Derrière ce mot, se trouve une effervescence de projets extra-ordinaires et qui concernent : la robotique, la théorie des systèmes, la théorie de l'information, les sciences cognitives, l'intelligence artificielle... Cela a commencé par la mise au point d’un appareil de pointage automatique pour canon antiaérien avec un dispositif qui ajuste la trajectoire de tir grâce à un procédé de régulation appelé feed-back (action en retour). Wiener pense avoir découvert un mécanisme transposable à d’autres domaines.

Norbert Wiener

La cybernétique devient la science des communications et de la décision et prépare la deuxième révolution industrielle, quand la machine pourra se substituer au cerveau de l'homme. En effet, la machine n'est plus seulement efficace, elle peut être intelligente, puisqu'elle traite de la connaissance.

Déjà quelqu'un comme Günther Anders (1902- ) - élève de Heidegger, il fut le premier mari de la philosophe Hannah Arendt ( ils se sont mariés en 1929, et ont divorcé en 1937), l’ami de Bertolt Brecht, de Walter Benjamin, de Theodor Adorno – répète que nous ne maîtrisons plus rien : le monde autosuffisant de la technique décide dorénavant de toutes les facettes de ce qui nous reste d’existence ; c'est ce qu'il nomme : '' L'Obsolescence de l'Homme ''. Il écrit que Hiroshima et la Shoah ne sont pas des accidents de la modernité ; ils expriment une perversion de la raison dans la rationalisation des moyens, en l’occurrence ici des moyens de destruction. L'humanisme devient hors-sujet ; puisque l'homme perd ses caractéristiques : la liberté, la responsabilité, la capacité d’agir, la capacité à se faire être.

 

Lancelot retrouve avec plaisir et intérêt, le dominicain Dominique Dubarle, déjà rencontré en mai 45 , il enseigne actuellement la philosophie à l'Institut catholique de Paris. Il raconte qu'après avoir suivi ses études et assimilé Aristote et St Thomas, ses supérieurs lui ont demandé de se consacrer aux scientifiques. Après avoir travaillé et rencontré des scientifiques ; il dut complètement tout repenser ! Il a passé deux ans à temps partiel au labo de Leprince-Ringuet pour faire des expériences; en math, il est très fort.

Dominique Dubarle (1907 – 1987)

Lancelot a noté des extraits de sa discussion sur ce nouveau visage de la technique : la cybernétique.

- L'humanisme risque t-il, vraiment, d'être hors-sujet ?

- L'humanisme, n'est-ce pas aussi de vivre dans ''le monde'', et de bien le connaître pour l'adapter à soi, au lieu d'en être esclave...

Avec Pascal - continue Dubarle - je ressens en moi la grâce divine qui m'appelle vers l'infini ; et « de ce petit cachot où je me trouve logé, j’entends l’univers »... A la suite du père Teilhard, je vois l'origine de l'humanisme dans la transition qui fait de l'homme, animal parlant, un être raisonnable. Cette noogénése marque le moment où l'homme s'est élevé au-dessus de son milieu, de lui-même et se rapproche de Dieu. L'humanisme n'est-il pas de dépasser constamment sa condition ?

La création est inachevée. L'humain est inachevé.

- Vous pensez donc, qu'il ne peut y avoir d'humanisme, sans progrès ?

- L'humanisme doit poursuivre dans le sens de l'évolution ; mais il ne doit pas se laisser entraîner et se noyer... Le progrès doit s'effectuer pour le bénéfice de l'Homme. La technique ne doit pas asservir l'homme, ni le remplacer. Il est fondamental de ne pas démissionner !

- Comment faire ?

- Ce n'est pas nouveau : « Connais-toi toi-même », étendre le champ de notre conscience. Et puis, il est important de reprendre ce que dit le P. Teilhard de Chardin qui appelle à la convergence de l'en-avant et de l'en-haut, ; alors qu'un humanisme matérialiste ne conduit qu'en avant. Teilhard affirme la nécessité, pour le salut de l'humanité, d'élever l'homme au dessus de lui-même, dans la confiance et la foi, vers Dieu...

 

En octobre 1950, Alan Turing, publie dans la revue ''Mind'' un article sous le titre "Computing machinery and intelligence ». Il s'interroge : « Les machines peuvent-elles penser ? Turing propose de reconnaître qu'une machine est ''intelligente'' quand on ne saura discerner leur conversation de celle des humains ; et élabore un test.

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1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 3

Publié le par Régis Vétillard

Les notes de Lancelot, montrent que les paroles de Teilhard, ne cessent de résonner dans sa tête. Réflexion sur Teilhard et l'Entropie

Teilhard remarque que l'apparition de la vie, puis de la pensée, s'accompagne d'un progrès du degré d'organisation, de la complexité.

Ajoutons le fait que, par exemple : une cellule est plus qu'un simple agrégat de molécules. Dans le Tout (somme de ses constituants) émergent des propriétés nouvelles, absentes chez ses constituants.

Cependant, la vie contient un processus d'ordre et d'organisation, et un processus de désordre, la mort. Le vivant se réorganise de façon permanente. Ainsi, l'évolution du vivant s'accompagne d'une croissance d'entropie, et ( est-ce contradictoire ?) selon Teilhard, d'une convergence vers la victoire de l'esprit ( point Oméga).

XVIIe siècle. Robert Fludd, Utriusque cosmi maioris scilicet et minoris  , tomus II (1619)

 

Nous sommes nés d'une cellule ( fusion de deux cellules...) et nous nous transformons en un corps de 30.000 milliards cellules ! Qu'en est-il de la vie et de la mort de toutes ces cellules ? Certaines se renouvellent en permanence, d'autres atteignent quelques jours, ou plusieurs dizaines d'années.

La mort continue de nos cellules, nous métamorphose.

Nous sommes comme le fleuve dont parlait Héraclite : le même et sans cesse renouvelé. Être vivant, c'est en partie mourir et renaître.

Qu'est-ce qui en nous nous remémore le passé, nous crée des émotions ? Si ce ne sont pas les cellules, qui ''meurent avant nous'' ; ce sont, l'organisation, l'information ? L'âme, dirait peut-être Teilhard.

Je répète donc : d'un côté la thermodynamique nous explique que l'univers va vers sa fin comme un Tout, un et indifférencié, du fait de l'Entropie. De l'autre, l'Evolution semble générer des systèmes toujours plus complexes, à l'entropie négative....

 

En ce début des années cinquante, Lancelot remarque avec intérêt que la science - plus particulièrement par le biais de la technique - alimente la réflexion morale et même métaphysique. C'est bien-sûr causé par l'arrivée de la bombe atomique ; mais aussi par ce qui semble caractériser notre société, et que Jacques Ellul nomme la '' société technicienne '' caractérisée par « la soumission de l'homme aux nécessités rigides du milieu technique dans lequel il est désormais contraint d’évoluer. » ( La technique ou l'enjeu du siècle, écrit en 1950 et publié en 1954 )

Déjà, pour Bernanos,  '' la technique '' ne désigne pas la machine, mais le système qui s'y appuie, et ne voit plus qu'au travers de cette efficacité et son développement ; la Technique comme fin, prive l'homme de sens...

« Que fuyez-vous donc ainsi, imbéciles? Hélas, c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau… On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » ( Georges Bernanos, La France contre les robots, 1947 )

 

Mais, Lancelot, se souvient aussi d'une discussion aux Rencontres de Genève, avec le journaliste René Sudre qui expliquait qu'à son avis, « la technique ne peut pas être arrêtée, (...) En ce qui concerne les moyens de résoudre le problème de l’exagération de la technique, je trouve que nous sommes tout à fait désarmés. Nous ne pouvons pas empêcher le progrès de la technique qui ira jusqu’au bout de ses possibilités (…) Je ne sais pas si ce sera un bien pour l’humanité. En tout cas, je sais que nous y arriverons. On créera des hommes, qui seront peut-être des surhommes, mais qui courront le risque d’être des monstres. ».

Le philosophe Gabriel Marcel (1889-1973), publie '' Les Hommes contre l’humain '' (1951). L'expérience des fascismes, l'amène à craindre aujourd'hui la tyrannie technocratique et bureaucratique. La technique, à présent, il nous faut apprendre à en être maître, en devenant d'abord maître de soi.

Jacques Ellul, se demande si, précisément, l'enjeu du siècle n'est plus s'il faut défaire le capitalisme ; en effet, la question du « capitalisme est une réalité déjà historiquement dépassée. (…) Ce qui est nouveau, significatif et déterminant, c’est la technique ». La technique serait d’abord un imaginaire global, une nouvelle manière de percevoir le monde...

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1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 2

Publié le par Régis Vétillard

Les intuitions du Père Teilhard de Chardin semblent sur le plan théologique véritablement révolutionnaires. Lancelot est fasciné par la cohérence qu'il pourrait ainsi exister entre matériel et spirituel. Et, précisément, le 25 mars 1951, Lancelot a l'opportunité d'assister à une conférence du père, son titre : '' Du cosmos à la cosmogénèse.''

Sans publicité, le public est composé de disciples acquis à la cause du maître. Les mots de passe pour entrer, pourraient être ''noosphère'' ou ''ultra-humain'' ; c'est que la connaissance d'un certain vocabulaire est effectivement nécessaire pour suivre l'exposé. Ce soir, il s'agit de '' cosmogénèse ''.

Le Père, spirituel et scientifique à la fois, semble inquiet de voir un public de plus en plus vaste, et enthousiaste. Il reste bienveillant, et ironique de sa popularité.

Teilhard reprend sa vision évolutive du monde : - nous pensions le Cosmos, comme un modèle statique d'Univers. Un monde qui serait donné à l'homme. - Non, le Cosmos se construit au fur et à mesure en un « mouvement d'ensemble vers l'unité , et où l’apparition de l’homme s’insère dans le développement du cosmos physique et comme son couronnement.

Le sens de l’évolution, vers l’Homme et jusque dans l’humanité encore en développement, se ferait selon une loi de complexité croissante des relations entre les éléments du cosmos.

La cosmologie devient cosmogenèse. L'Evolution devient un modèle pour penser ce qui s'est passé, de la formation de l'univers à l'émergence de la vie. Ce concept a le grand mérite de sortir le débat philosophique du dualisme stérile entre esprit ou matière dans lequel il se trouvait jusqu'alors enfermé. « D'un côté l'Esprit, de l'autre la Matière : et entre eux, rien d'autre chose que l'affirmation d'un accolement inexpliqué et inexplicable » constate Teilhard. « Atomes, électrons, corpuscules élémentaires, quels qu'ils soient… doivent avoir… une étincelle d'Esprit. ».

Le père, propose la loi de ''spiritualisation par union'', ou loi de ''complexité-conscience" : Chaque progrès dans la complexité s'accompagne d'une augmentation de conscience de l'organisme en cause.

« Laissée assez longtemps à elle-même, sous le jeu prolongé et universel des chances, la Matière manifeste la propriété de s'arranger en groupements de plus en plus complexes et en même temps de plus en plus sous-tendus de conscience; ce double mouvement conjugué d'enroulement physique et d'intériorisation (ou centration) psychique se poursuivant, s'accélérant et se poussant aussi loin que possible,-- une fois amorcé. Cette dérive de complexité/conscience (aboutissant parfois à la formation de corpuscules de plus en plus astronomiquement compliqués) est facilement reconnaissable dès l'Atomique,- et elle s'affirme dans le Moléculaire. Mais c'est évidemment chez le Vivant qu'elle se découvre avec toute sa clarté. » ( Teilhard de Chardin, L’apparition de l’homme, p 195 - 196 )

La présentation du père, est suivie de discussions entre les participants.

Une question revient souvent et concerne la part de liberté de l'homme, dans ce processus ?

La création est un processus dynamique toujours en action; mais l'homme en est responsable ; et Teilhard a foi en l'homme. Il exprime sa conviction optimiste et soutenue par sa foi, en un avenir divin. L'Evangile est une ''Bonne nouvelle '' et révèle à l’homme ce vers quoi l’évolution elle-même l’oriente.

Une autre question concerne le lien entre Science et Métaphysique. La physique peut remettre en cause la métaphysique, non pas dans sa nature, mais dans sa formulation ; par exemple, l'évolution appartient à la science pour ce qui est de l'observation ; cependant, quand celle-ci donne lieu à des hypothèses, elles peuvent déjà constituer une approche philosophique. Enfin, le philosophe peut proposer une interprétation. La science se doit de garder son domaine propre.

Enfin, à l'occasion d'un échange, Lancelot exprime le regret que le ''Dieu'' présenté par un scientifique, semble limité par sa transcendance en quelque sorte, et fait peu cas du Dieu intérieur de saint-Augustin, par exemple. Une personne cite, alors, un livre d'un prêtre, Maurice Zundel, qui avait déjà attiré l'attention de Lancelot. Dans, ''Recherche du Dieu inconnu'' (1949), Zundel écrit : « Dieu n'est pas une invention, mais une découverte ». Le lecteur est invité à découvrir en grande partie par lui-même un enseignement vivant et libérateur des vérités de la foi. C'est publié aux Editions Ouvrières, grâce à un père dominicain, ami de Zundel réticent: le Père Moos. Ce livre eut tout de suite un grand succès.

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1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 1 –

Publié le par Régis Vétillard

L'hebdomadaire ''Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques'' du 11 janvier 1951, offre un bel article sur le père jésuite Teilhard de Chardin ( 1881-1955). Il est à présent une des personnalités du monde religieux les plus célèbres, alors que ses écrits non scientifiques sont confidentiels, comme ses conférences.

Nommé Directeur de recherche au CNRS et élu à l'Académie des sciences. Teilhard est célèbre, et très controversé. Il sollicite Rome et interroge le Saint-Office. Fin d'année 1948, il apprend la décision de Rome : - 'non' à la publication de ses œuvres autres que scientifiques, - 'non' à son acceptation de la chaire de paléontologie humaine qu'on lui propose au Collège de France, - 'non' à sa présence en France où ses idées trouvent trop d'écho.

 

Le père Coignet, par exemple, proche d'une spiritualité ''type Bossuet '', lui reproche de vouloir faire du christianisme une religion de l'évolution, de nier le problème du Mal et de supprimer les notions de péché, de fausser les notions de vie sacramentaire, de Révélation et d'en supprimer tout élément surnaturel. Il lui reproche de poser en principe, la collectivisation fatale de la société. Il note cependant un effort pour repenser nos grandes vérités chrétiennes dans le cadre de la pensée contemporaine ; même s'il en constate l'échec.

A l'opposé, Jean Rostand ( 1894-1977 - agnostique, libre penseur ) lui reproche d'affirmer – au nom de la science – que l'évolution a un dessein : celui d'aboutir à l'Homme ( ou à un ''surhumain''). Il décèle en lui, une volonté désespérée de croire, Teilhard se serait écrié : « la seule issue est la foi aveugle et absolue... Coûte que coûte, je le crois, il faut se cramponner à la foi en un sens et un terme de l'agitation humaine. »

 

Lancelot est sensible au difficile combat que Teilhard mène à la fois contre les méthodes de l'Eglise Romaine, d'un autre temps et de plus en plus discutées jusqu'à cette conviction manifestement fausse que le Monde a été créé par Dieu une fois pour toutes ; et aussi contre une vison scientiste et mécaniste du monde.

* Oui, Teilhard est résolument évolutionniste. Dans un texte de 1921, le père écrit: «Dieu fait moins les choses qu'il ne les fait se faire» et dans un texte de 1922 : «Plus nous ressuscitons scientifiquement le Passé, moins nous trouvons de place, ni pour Adam, ni pour le Paradis terrestre.». Le Cardinal Merry del Val, de la Curie Romaine - qui, très engagé dans la lutte contre le modernisme fit condamner le Sillon de Marc Sangnier – lui reproche de nier le dogme du Péché originel...

* Et, le combat de Teilhard est aussi de s'opposer à une vision mécaniste du monde : Forts de notre vision scientifique, nous avons abandonné une vision holistique du monde, pour une vision essentiellement mécaniste.

Que s'est-il passé ? R. Descartes (1596- 1650) acquiert la certitude que les lois de la nature sont accessibles à l'intellect, et permettent à notre esprit de déterminer l'essence des choses. ( Ego cogito, ergo sum ). Il estime que la pratique de la science permet de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » Discours de la Méthode (6e partie).

Avec Descartes, nous avons pensé que tous les aspects des phénomènes complexes peuvent être compris en les réduisant à leurs éléments constituants. La matière comme objet scientifique est quantifiable ; et ses qualités, sont vues comme étant issues du processus mental et non des propriétés de l’objet même. Newton (1642-1727) va valider cette intuition cartésienne. Sa théorie permet de formuler des lois générales du mouvement des corps solides, jusqu'aux objets du système solaire. L'idée d'un '' Monde – machine'' s'impose et cette vision mécaniste s'étend à la sociologie, à l'économie... L'humain seul réunit deux substances, la matière et l'esprit.

*Teilhard se situe à l'opposé de cette vision mécaniste du monde :

** Autour de 1910, Teilhard lit L’Evolution créatrice (1907) de Bergson, et comprend, au contraire, qu'il existe « une hétérogénéité de fond entre Matière et Esprit - corps et âme, inconscient et conscient, deux “substances” de nature différente […] non point deux choses, mais deux états, deux faces d’une même étoffe cosmique ». Cependant, Bergson dissocie âme et corps, et envisage l'immortalité de l'âme. Teilhard préfère unir ce que Bergson sépare, et va beaucoup plus loin sur l'étendue de la conscience ( Bergson s'en tient aux animaux), il l'a fait déborder du vivant à l'Univers entier....

Je reviens à cet article des Nouvelles littéraires (1951), qui permet au père jésuite d'expliquer ses intuitions : « (...) dans l’ordre de la pensée scientifique, la découverte, la prise de conscience, veux-je dire, de l’idée d évolution — d’évolution biologique, j’entends — me permettait de relier, dans le domaine de l’expérience, les deux notions d’énergie matérielle et d’énergie psychique. »

« (…) je ne suis ni un philosophe ni un théologien, mais un étudiant « du phénomène » (un physicien au vieux sens grec). Or, à ce modeste niveau de connaissance, ce qui domine ma vision des choses, c’est la métamorphose que l'homme nous oblige à faire subir à l’univers autour de nous à partir du moment où (conformément aux invitations impérieuses de la science) on se décide à le considérer comme formant une part intégrante, native, du reste de la vie. Comme suite, en effet, à cet effort d’incorporation, deux constatations capitales émergent, si je ne me trompe, dans notre perception expérimentale des choses. La première étant que l’univers, bien plus que par une « entropie » (le ramenant aux états physiques les plus probables), est caractérisé par une dérive préférentielle d’une partie de son étoffe vers des états de plus en plus compliqués, et sous-tendus par des intensités toujours croissantes de « conscience ». De ce point de vue strictement expérimental, la vie n’est plus une exception dans le monde ; mais elle apparaît comme un produit caractéristique — le plus caractéristique — de la dérive physicochimique universelle. Et l’humain, du même coup, devient, dans le champ de notre observation, le terme provisoirement extrême de tout le mouvement. L’humain : un bout du monde...

» Ceci posé, la deuxième constatation à laquelle on se trouve amené, à mon avis, par une acceptation scientifique intégrale du « phénomène humain », c’est que le courant de complexité-conscience, dont le psychisme réfléchi (c’est-à-dire la pensée) est expérimentalement issu, n’est pas encore arrêté ; mais que, à travers la totalisation biologique de la masse humaine, il continue à fonctionner — nous entraînant, par effet biologique de socialisation, vers certains états encore irreprésentables de réflexion collective — c’est-à-dire, comme je dis, vers quelque « ultra-humain ». »

 

** 1900, Max Planck, avec l'hypothèse des quanta, ruine la vision mécaniste du monde. Il écrit : « …une réalité métaphysique se tient à l’horizon du réel expérimental. » ( Max Planck, L’image du monde dans la physique moderne p 74 -1949 ) Puis, avec les relations de Heisenberg, c'est le rêve de Laplace d'un déterminisme absolu, qui s'écroule.

La physique quantique, qui analyse les composants ultimes (particules élémentaires ou quantons), met en évidence une indétermination radicale, et des propriétés de continu et de discontinu...

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