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A la recherche de Marcel Proust - Hélène Standish -

Publié le par Perceval

A l'intérieur de la malle que nous a léguée mon aïeule Anne-Laure de Sallembier, il y a un dossier empli de documents ( articles, journaux, notes...) autour de Marcel Proust, composé après sa mort... Cependant, rien n'indique qu'elle ait de près partagé quelque lien avec l'écrivain ; aucune autographe, lettre ou photo...

Marcel Proust

Je sais pourtant qu'elle eut plusieurs fois l'occasion de le croiser, non seulement lors de cette soirée chez la princesse de Polignac le 4 juin 1908 ; mais également au cours du mois d'août 1907 à Cabourg, comme je vais avoir l'occasion d'en raconter quelques péripéties dignes d'un vaudeville...

 

Je vais remonter le temps encore, pour évoquer les liens relationnels qui me permettent de penser que Marcel Proust et Anne-Laure de Sallembier ont eu bien d'autres raisons de se croiser...

 

La personne qui ferait le lien, serait Hélène Standish (1847-1933), née Hélène de Pérusse des Cars, épouse d'Henry Standish...

Helène Standish, est une femme du monde connue pour sa beauté, et bien connue de la société française et britannique.. Elle a reçu dans son salon parisien de nombreux artistes de renom et inspiré Marcel Proust.

Mme Henry Standish née Hélène de Pérusse des Cars (28 mars 1882). Paul Nadar (1856-1939)

Le prince de Galles, futur souverain du Royaume-Uni sous le titre d'Édouard VII (1841-1910), est un francophile ardent. Il est reçu dans les grandes maisons de l'aristocratie, notamment chez la comtesse Élisabeth Greffulhe rue d'Astorg à Paris, le duc et la duchesse de La Trémoille à Rambouillet ainsi que Lord et Lady Standish dans leur Hôtel particulier, au no 3 rue de Belloy dans le 16e arrondissement de Paris. Parmi ses liaisons, la rumeur rapporte la relation passionnelle en 1874 tissée entre le prince et la belle Mme Standish...

Plus tard, le couple royal et la famille Standish resteront des amis proches...

 

A propos de la passion qu'inspire Hélène Standish, il y a celle du général Gaston de Galliffet (1831-1909) - le massacreur de la Commune – et qui va inspirer à Marcel Proust le vaniteux personnage du général de Froberville. La confidence est rapportée par Alfred de Gramont, alors que le Général loge chez Henry Standish; il n'hésite pas à le critiquer, alors qu'il lui donne l'hospitalité, mais plus par jalousie, car il avoue au prince de Gramont sa passion pour la maîtresse de maison : « Il m'a répété souvent qu'il n'avait jamais aimé et qu'il n'aimait qu'une seule femme au monde plus que tout, c'était Mme Standish » Galliffet est à ce moment, Inspecteur général de la cavalerie, avant de devenir Ministre de la Guerre de 1899 à 1900.

 

Anne-Laure a passé une grande partie de son enfance à Fléchigné (en Mayenne).

Mariée, puis enceinte et mère, elle se retrouve ''coincée'' sur ses terres, alors que la vie mondaine de Paris, n'a cessé de l’éblouir et de l'attirer...

Le 10 janvier 1900, elle met au monde un fils, qu'elle appelle Lancelot... Quelques années après son mariage, Georges de Sallembier, meurt subitement ( 1902) d’une fièvre typhoïde, à Paris...

La belle Anne-Laure navigue alors entre Paris, le château de Fléchigné, et les loisirs de la vie mondaine parisienne qui prend villégiature, en bord de mer ...

 

Non loin des terres et du manoir de Fléchigné - à quelques kilomètres - se situe le château d'Hauteville. Des liens amicaux se sont tissés entre Anne-Laure de Sallembier et Émilie de Pérusse des Cars (1844-1901) qui a hérité en 1882 du château de Hauteville et de son domaine à Charchigné. Emilie est mariée depuis 1874 avec le comte Bertrand de Montesquiou-Fezensac. Ils ont une fille, Mathilde née en 1883, qui y passe une jeunesse heureuse aux côtés de sa mère protectrice pendant les périples de son père - capitaine de frégate - sur de lointains océans.

le Château_de_Hauteville à Charchigné propriété de Mathilde de Montesquiou-Fézensac depuis 1902

"Le château à l'époque de sa splendeur employait une cinquantaine de domestiques. Il comprenait 99 chambres. L'entretien de l'aile principale occupait une personne l'année durant. Il permettait à plusieurs familles de vivre sur les terres. Les fermiers étaient en métayage. Ils n'étaient pas riches, mais ne manquaient cependant pas du nécessaire. Tout devait être partagé de moitié avec le château. Des règles étaient à respecter de façon draconienne : les fermiers n'étaient pas assurés de rester d'une année sur l'autre sur la même exploitation. L'intendant régnait en maître. Un certain Galereau, un novateur dans l'agriculture, qui introduisit le chou cavalier dans la région, et fit le premier coucher les vaches dehors, était particulièrement craint." (wiki)

 

Le 1er mars 1901, la mère de Mathilde, Emilie, meurt de maladie, en son château de Hauteville; puis son père, l'année suivante... Ils sont inhumés en la chapelle de Hauteville dans le cimetière de Charchigné.

Mathilde est alors mineure et elle est prise en charge par sa tante Hélène Standish, née de Pérusse des Cars...

Hélène est l'épouse de Lord Henry Noailles Widdrington Standish of Standish, une très ancienne famille aristocratique britannique.

Hélène Standish accueille sa nièce et l'installe en son hôtel parisien au no 3 rue de Belloy dans le 16e arrondissement de Paris. Leur salon est l'un des plus réputés de la capitale avec celui de leur amie, la comtesse Élisabeth Greffulhe rue d'Astorg à Paris. Élisabeth Greffulhe est la fille de Marie Joséphine Anatole de Montesquiou-Fézensac, nièce du contre-amiral Bertrand de Montesquiou-Fézensac et donc cousine de Mathilde.

à l’Opéra de Paris (1907) par Jean Béraud

 

Marcel Proust s'est inspiré pour son personnage de la duchesse de Guermantes de plusieurs grandes dames comme Laure de Chevigné, la comtesse Jean de Castellane, Mme Straus, la comtesse Greffulhe et son amie Mme Standish.

Pendant un gala, à l’Opéra de Paris, le narrateur contemple la société aristocratique installée dans les baignoires, sortes de loges disposées derrière les fauteuils d’orchestre. La scène où la duchesse et la princesse de Guermantes côte à côte et « s'admirant mutuellement », aurait été inspirée par la vision de Mme Standish en 1912, auprès de la comtesse Greffulhe dans l'illustre loge où Marcel Proust était invité pour la représentation de Sumurum, pantomime inspirée des Mille et Une Nuits montée par Max Reinhardt le 24 mai 1912 au Vaudeville.

Le journaliste Saint-Simon du Gaulois, décrit Lady Standish au cours d'un bal organisé à l'hôtel Continental au mois de mai 1883, au profit de l'œuvre de l'Hospitalité de nuit

« Mme Standish est la belle des belles. L'admiration de tous court au devant d'elle comme les yeux vont à la lumière. Elle n'est pas la plus distinguée des Parisiennes ; elle est la distinction incarnée. Sa robe est noire et relevée de nœuds-blancs. Elle porte en sautoir une écharpe de perles, et comme une reine, elle a le front ceint d'un diadème. »

La gouvernante de Marcel Proust, Céleste Albaret, évoque Mathilde de Montesquiou-Fézensa :

« Je me rappelle… Pendant les deux dernières années, quand nous étions rue Hamelin, après avoir quitté le boulevard Haussmann, il y avait une dame du monde [Hélène Standish] qui avait son hôtel particulier juste au coin de la rue La Pérouse […] Cette dame avait été très belle et gardait une élégance très stricte […] M. Proust la connaissait pour l'avoir vue chez la comtesse Greffulhe, je crois, et avait été fasciné par sa mise. Elle avait une nièce qui vivait avec elle comme sa fille, parce qu'elle n'avait pas eu d'enfant, et cette nièce, me racontait M. Proust en riant, avait une telle admiration pour lui que, disait-elle, si elle ne parvenait pas à l'épouser, elle ne voyait qu'un autre homme avec qui se marier : le célèbre organiste Widor, qui était beaucoup plus âgé qu'elle. De fait, elle s'est mariée avec Widor, qui est venu partager l'hôtel particulier de la rue La Pérouse. »
d'Albert Guillaume

Ainsi, Anne-Laure de Sallembier fréquentant le salon d'Hélène Standish, n'a pas manqué de croiser Marcel Proust et la comtesse Élisabeth Greffulhe; elle-même recevant Hélène Standish dans son salon de la rue d'Astorg à Paris.

Il est intéressant aussi de constater qu'Anne-Laure ait pu rencontrer chez Hélène Standish, Raymond Poincaré, républicain laïque, est plusieurs fois ministre puis président du conseil et enfin président de la République. Elles apprécient et estiment cet homme d'État pour sa modération, son attitude tolérante envers la religion et son opposition à l'anticléricalisme.

Mathilde est une jeune femme qui n'a pas la beauté et surtout la force de caractère de sa tante; et elle finit par abandonner la gestion du domaine de Hauteville à Hélène et Henry Standish... Ils entreprennent des travaux de rénovation et installe un calorifère afin d'assurer le chauffage de la propriété. Ils viennent régulièrement séjourner dans le prestigieux domaine avec leur nièce.

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Jules de Gaultier – le Bovarysme.

Publié le par Perceval

En particulier au Mercure, les préoccupations et les discussions tournent beaucoup autour des relations entre les hommes et et les femmes … A ce propos, une figure de femme entretient de longues discussions, celle d'Emma Bovary... !

 

Madame Bovary est parue pour la première fois, en 1856, dans La Revue de Paris.

Nous dirions que c'est une histoire banale... et précisément, fait scandale à cause de sa banalité même : deux adultères et un suicide. Un fait divers, marqué par son époque.. Une femme insatisfaite, qui, après avoir cherché des sensations intenses dans la littérature, les images de la religion et la relation amoureuse, n’échappe à son milieu que par la mort. Ce portrait fait par Flaubert (1821-1880) semble si juste, réaliste ; qu'est adopté un néologisme basé sur ce personnage : « le bovarisme » ou « bovarysme »... Ce terme est employé une première fois en 1880 dans le Siècle pour qualifier la ''maladie'' ( Flaubert était médecin) dont souffre Emma...

Jules de Gaultier (1858-1942) - (Paris, entre 1901 et 1905)

L'homme qui entretient Anne-Laure de Sallembier, de ce sujet est Jules de Gaultier (1858-1942), que nous avons déjà évoqué...

Jules – homme élégant, à l'attitude noble - est un simple receveur des finances, qui va faire de la philosophie et publier dans les revues les plus prestigieuses… Il connaît bien la Normandie, qu'il apprécie ( Anne-Laure y est bien-sûr attachée …) ; à Paris, dit-il, il est comme « dans une chambre sans fenêtre » ...

Il soutient que le bovarysme, qui toucherait beaucoup de femmes, serait d'être amoureuse de l'amour, au lieu d'être amoureuse d'un homme ( bien réel...)... Comme Don Quichotte ( pour l'homme...), Emma Bovary mélange la vie, et ses illusions ; et ils ne peuvent pas supporter la réalité...

- Il s'agit donc d'une maladie... ?

- Non …. C'est un état de fait … !

- Vous exagérez...

- Pensez-vous que chacun d'entre nous puissions avoir la connaissance effective de la réalité … ? Le premier pas – disons créateur - de l'homme, c'est de distinguer le moi du monde extérieur … Il voit la diversité du monde, il distingue des ''phénomènes''...

- Il se fait une idée du monde qui l'entoure ….

- Oui, mais attention... Ce monde n'est pas figé. Il évolue...

- Mais, ce qui se montre à nous, peut nous mentir ! ?

- Oui... et de plus, notre perception aussi … Le tout repose nécessairement sur une illusion... !

- Alors... Comment accéder à la Vérité … ?

- « Croire ! Contempler ! ce double vœu a hanté de tout temps les cervelles philosophiques ; il a partagé le monde des philosophes en deux types rivaux et ennemis : le sacerdote et l’artiste. »

En fait, Jules de Gaultier pense « que toute vérité, qu’elle soit morale ou scientifique, n’est jamais vraie en soi, mais qu’elle ne l’est qu’en fonction de son utilité présente ou passée. »

Jules de Gaultier se rattache à à Schopenhauer, par son éducation philosophique...

« Le monde est un spectacle à regarder et non un problème à résoudre » dit-il.

Anne-Laure de Sallembier, découvre Nietzsche, grâce à Gaultier qui tient la chronique philosophique du Mercure... Il ne réside pas à Paris, mais Anne-Laure le voit régulièrement lors de ces passages. Élégant, physique d'officier de cavalerie, il parle posément en bon professeur. Il semble ne parler que de ''bovarysme'' ; il en a fait la clé de voûte de sa philosophie. C'est une manière de parler de la limite de la Connaissance ; et concerne l'humain en général... « toute réalité qui se connaît elle-même, se connaît autre qu’elle n’est. Ainsi s’énonce, resserrée en la forme d’un aphorisme, la notion du Bovarysme ».

Ce que nous appelons connaissance est en fait une création de notre part. La réalité phénoménale est autre qu'elle n'est ! Notre perception repose sur une illusion... Il ne resta au philosophe que de croire ou contempler...

Proche de Nietzsche, Gaultier reste fondamentalement persuadé que toute vérité, qu’elle soit morale ou scientifique, n’est jamais vraie en soi, mais qu’elle ne l’est qu’en fonction de son utilité présente ou passée.

Le « rationalisme » lui apparaît comme étant « une confusion des catégories de l’intelligence et de la croyance ».

Seuls les artistes ne sont pas dupes des illusions qu'ils créent. L'art est essentiel, c’est un des moyens que la vie choisit pour manifester « qu’elle veut aussi prendre conscience d’elle-même ». C'est ce que Gaultier appelle : la « justification esthétique de l'existence ». Le philosophe-artiste est critique du monde, même s'il reste sensible aux idées du temps...

 

Le philosophe tente de comprendre le mécanisme des actions humaines et de chercher quel peut bien être leur but, et si elles en ont un, ou si la vie n'est pas autre chose qu'un ensemble de gestes évoluant parmi les ténèbres du hasard.

La philosophie rejoint les mythes qui ré-enchantent la banalité du quotidien, non que ce quotidien soit banal, mais parce qu'ils en traitent avec génie ( analogue à un sujet traité avec art, ou sans art …) Schopenhauer dit, comme Shakespeare... Frédéric Nietzsche, est en même temps un grand poète et un grand philosophe.

Je peux imaginer comment ce discours a pu émouvoir Anne-Laure ; elle, qui tentait de comprendre comment l'histoire du Graal, de Perceval, des chevaliers de la Table Ronde, et des femmes-fées, pouvaient encore parler à des hommes et femmes de raison en ce début du siècle … !

 

La question posée par ''le bovarysme'', est qu'il peut se développe dans un sens absolument opposé à la personnalité réelle de l'individu. On parle alors de maladie, s'il s'agit de fausse passion, fausse vocation. Le ''non-vrai'' devient une condition de l'existence ; jusqu'au moment où le rêve se brise au contact de la réalité... Par exemple, quand Emma imite la signature de son mari sur les billets qu'elle a souscrits, malheureusement, son imagination ne change pas la loi du monde. Les effets souscrits sont représentés à leur échéance. Impayés, ils sont protestés. Emma, plutôt que d'avouer, choisit la mort.

 

Pour Gaultier, encore, l''instinct de vie'' pousse l'individu à créer de l'illusion pour vivre ( idoles …) ; à l'opposé'' l'instinct de connaissance'' en doute et démystifie...

Baudelaire disait : « … Je sortirai quant à moi satisfait d'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve. » ( Reniement de saint Pierre, des Fleurs du Mal )

 

Nietzsche affirme que le mythe est d'une manière générale « le lit de paresse de la pensée » … Et donc, s'il s'agit de nourrir sa pensée par les mythes, il faut ne pas s'y laisser enfermer, telle une croyance ; mais s'y laisser inspirer, interroger... Le mythe a cette faculté de proposer une multiplicité de sens …

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1900 - Le Mercure de France (suite)

Publié le par Perceval

Le parcours intellectuel - je n'ose dire la vie...- d'Anne-Laure de Sallembier va connaître un tournant avec son entrée dans l'intimité du cercle littéraire du '' Mercure de France ''… Non pas comme écrivain ; plutôt – j'imagine – comme femme du monde, qui soutient - à l'image de ces femmes de la bourgeoisie, retenues dans leur énergie – et gravite autour de sphères d'influence pour soutenir des causes intellectuelles...

 

A leur retour de Nouvelle-Calédonie, Anne-Laure reçoit chez elle le couple Paul et Marie Chabaneix, lui médecin, et tous les deux écrivains... Leur pseudonyme est Nervat... Anne-Laure sympathise avec Marie Nervat et exprime son émerveillement devant l'union tendre que renvoie le couple. Ils publient en 1897, les ''cantiques des cantiques'', les ''Rêves unis'' en 1905, sous leur double pseudonyme. Hélas, Marie va mourir en 1909... !

Marie Nervat. par Kees van Dongen

 

« C'est si beau, le ciel bleu, la mer, toute la vie ;

je suis jeune et l'on m'aime, et j'ai peur de mourir !

l'idée de mort me hante ainsi quand le soir tombe,

dans la tranquillité de la maison j'ai peur;

il me semble La voir glisser ainsi qu'une ombre

et puis, pour l'arrêter, ses mains touchent mon cœur.

Idée, je voudrais te chasser! Quand sous la lampe

je le vois laisser là son livre et me sourire

alors qu'il fait si noir en moi, sans rien lui dire,

je détourne mes yeux pour lui cacher mes larmes...

De son bonheur il ne faut ne parler qu'à voix basse. » Marie Nervat

 

C'est peut-être par l’intermédiaire du couple Nervat, qu'Anne-Laure de Sallembier va pénétrer le salon du Mercure de France... Elle y fera d'étonnantes rencontres, qui chacune seront une facette de cette Quête qu'elle a héritée...

Elle va rencontrer Remy de Gourmont (1858-1915) , et le visiter semble t-il assez souvent dans un appartement sous les toits, rue des Saints-Pères, encombré de livres...: rencontres surréalistes ! ( enfin, disons ''symbolistes''...)...

Dans sa mansarde, sans luxe, Gourmont semble vivre tel un grand seigneur sur de vastes domaines intellectuels... Il vit reclus ( défiguré par une sorte de lupus...) ; seule Natalie Clifford Barney (1876-1972) réussira ( par la passion qu'elle lui inspire) à le sortir... et le Cinématographe que Blaise Cendrars lui aurait fait découvrir...

 

Remy de Gourmont est un esprit curieux de tout, énormément érudit, il écrit beaucoup... Homme de passion ; Anne-Laure est touché par cet absolu qu'il donne à l’intelligence, mais aussi parce que tout son esprit accorde à l'amour, la beauté... Il lui répond « on écrit autant avec son caractère, qu'avec son esprit... »

Il semble pour Anne-Laure, être un vieux sorcier allemand hanté par des visions somptueuses, ou effrayantes...

Quand Remy de Gourmont, rencontre Natalie Barney – amenée chez lui par Edouard Champion ; elle a 34ans ( lui 52) ; Elle est belle. Il est laid. Elle est riche. Il ne l’est pas. Elle aime les femmes. Il les aime également : un amour platonique pour celle qui faisait un poème de sa vie... On dit – et c'est écrit sur sa tombe – qu'elle fut l’Amazone de Remy de Gourmont...

 

Jules Gaultier qui tient la chronique philosophique, va compléter les notions d'Anne-Laure sur Schopenhauer – auteur à la mode – et l'initier à la lecture de Friedrich Nietzsche... Elle se souvient aussi de plusieurs discussions autour de ''Madame Bovary '' de Flaubert ; et de qu'il appelle le '' bovarysme '' ( nous en reparlerons bientôt...) …

Anne-Laure se méfie de ce Paul Léautaud qui ne quitte guère la Revue ; toujours là, il a l’œil sur tout. Très indépendant, critique et brutal... Elle n'aime pas son regard sur elle...

Léautaud (1915) de Michele Catti

 

Paul Léautaud (1872-1956) - invité par Gourmont a rejoindre le Mercure comme secrétaire de rédaction – est un familier du salon de Rachilde. Il est injuste avec les femmes ( comme à son ordinaire), il affecte de se plaindre de leur « bêtise, de leur physionomie », telle Mme Kolney : « si cuisinière, femme de service, avec son éternelle rhume de cerveau et ses gros yeux de … bœuf ; Mme Danville, prétentieuse, l'idée qu'elle est spirituelle, mordante, lettrée, que dis-je ? Intellectuelle. Ah ma chère ! (…) et cette dinde prétentieuse de Madame Aurel …. etc...» Paul Léautaud dans son '' Journal ordinaire'' Il est étrange que cet homme peu sympathique, soit l'ami de Paul Valéry (1871-1945), lui qui aime tant les femmes …

 

Madame Danville pratique le spiritisme, avec son mari, Gaston Danville (1870-1933); lui-même collaborateur fidèle des premières années du Mercure de France et auteur des ''Contes d’au-delà''. Le couple est passionné de sciences et de psychologie; et, Anne-Laure s'amuse de les entendre parler d'amour, comme s'il parlait d'une expérience toute scientifique …

Les expériences sur l’esprit humain, sont très à la mode en cette fin de siècle avec les cours de Charcot, l’école de la Salpêtrière, les expériences de magnétisme, de suggestion, d’hypnose...

 

En 1905, Gaston Danville publie '' Le parfum de la luxure''. Dans ce roman,un paquebot est piégé dans les eaux de l'Atlantide ( la dérive du bateau est décrite comme un désir amoureux) lorsqu'une éruption sous-marine ramène le continent perdu à la surface( l’île joue alors le rôle de la séductrice ) et que son équipage et ses passagers sont soumis à d'étranges influences mentales qui stimulent leurs pulsions érotiques.

En ce début du XXe siècle, l'Atlantide évoquent pour certains un espace dominé par les femmes. L’île - terrae incognitae - s’incarne dans une figure féminine.

L’Atlantide est une énigme... Il s'agit d'un voyage vers le Féminin, représentée par l'île engloutie... La curiosité vers l'inconnu s'exprime en une attirance sexuelle, et l'exploration et une rencontre amoureuse. Découvrir une femme, c’est résoudre l’énigme.

En fait, ce sont les souvenirs, les émotions ou les pulsions inconscientes qui hantent les personnages et alimentent leurs actions. Sur l'île les passagers oublient leurs préjugés, libres de l'envie, de la possession, et de la pudeur... Ces transgressions seront finalement entraînées dans un cataclysme.

La vie en Atlantide est une tentation, un rêve exaltant mais irréalisable ...

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1900 - Les salons artistes et mondains -4- le Mercure de France

Publié le par Perceval

La revue s'inscrit dans la lignée du couple improbable que forment Marguerite Eymery dite, Rachilde (1860-1953) et Alfred Valette (1858-1935). Le rayonnement de Rachilde avec ses réceptions du mardi, contribue à la réussite de l’entreprise de presse puis de publication...

Femme et ''homme de lettres'', on la nomme la '' reine des décadents'' ou ''Madame Baudelaire''...

Elle tient salon, selon le mot de Paul Valéry, sur un « pandémonium de fumeurs » dans un lieu « rouge sombre » - au 26 rue de Condé… Elle y reçoit es écrivains et poètes comme Jules Renard, Maurice Barrès, Pierre Louÿs, Émile Verhaeren, Paul Verlaine, Jean Moréas, Paul et Victor Margueritte, Francis Carco, André Gide, Catulle Mendès, Léo d'Orfer (Marius Pouget), Natalie Clifford Barney, Henry Bataille, Guillaume Apollinaire, Alfred Jarry, Léon Bloy, Remy de Gourmont, Joris-Karl Huysmans, l'astronome Camille Flammarion, Stéphane Mallarmé, Henry Gauthier-Villars dit « Willy », Jean Lorrain, Laurent Tailhade, Louis Dumur et Oscar Wilde....

Léon Paul Fargue « Ces réunions célestes avaient lieu à la fin de la journée. Au bout d’une heure, le petit salon était devenu une tabagie. L’air y était épais comme une miche. On se voyait à peine. Les grands personnages y semblaient peints sur un fond de brouillard, comme les génies du Titien ou de Rubens, au point que Vallette fut un jour tout à fait obligé d’acheter un appareil à absorber la fumée. Il nous fut alors possible de voir nos grandes personnes, autrement que dans les formes de fantômes : Remy de Gourmont […], Henri de Régnier […], Valéry, tout en traits vigoureux et en nerfs, la moustache en pointe, déjà maître d’une conversation qui cloquait d’idées ; Marcel Schwob, plein de lettres et de grimoires […], Pierre Louÿs, qui avait un des plus jolis visages de l’époque […], Alfred Jarry, […], Paul Fort […], Jean Lorrain, […] aux yeux poilus et liquides […], les mains baguées des carcans, des ganglions et des cabochons de l’époque […], Jean de Tinan, Philippe Berthelot, Édouard Julia et tant d’autres, ceinturés dès la porte d’un coup de lasso par le grand rire de Rachilde! »

Rachilde 1860 - 1953.

 

En 1878, alors qu'elle travaille comme journaliste pour '' L'école des Femmes '', et qu'elle pratique l'occultisme ; elle prend le nom d'un gentilhomme dont elle rapporte la parole comme médium : un gentilhomme suédois du seizième siècle, Rachilde....

En 1884, elle publie '' Monsieur Vénus '' qui lui vaut une condamnation en Belgique pour pornographie …

Un an après elle devient une des rares femmes à obtenir un permis de la préfecture de la police pour s'habiller comme un « homme », compte-tenu de sa profession de journaliste...

Rachilde rencontre Vallette au bal Bullier en 1885... Elle fréquente les cafés à la mode, le Chat Noir et le Café du Soleil d’or, où elle gifle Moréas qui a osé déclarer : « Victor Hugo est un con ». Tailhade, Victor et Paul Margueritte, Jules Renard et Verlaine, sont déjà ses amis... Elle sort d'une passion malheureuse pour le poète Catulle Mendès...

Vallette confie à Jules Renard, qui retranscrit ses paroles dans son Journal : « Rachilde et moi, nous nous emboîtons bien cérébralement. Nous sommes égaux […], c’est une femme d’un esprit vraiment hors ligne... »

 

Le 12 juin 1889, Laurent Tailhade, est le témoin du mariage de Rachilde avec Alfred Vallette. Nous connaissons déjà M. Tailhade.... En 1897, il a une liaison avec Anne Osmont (1872-1953), traductrice, poète et romancière française qui publie au Mercure. Elle est une des plus grandes occultistes du début du vingtième siècle. Etrange liaison, entre une ésotériste et un polémiste anarchiste de droite... 

 

Je reviens au salon de Vallette et de sa femme Rachilde, qui reçoit aussi beaucoup les femmes ; comme épouses, Mme Berthelot ou Mme Jane Catulle Mendès (1867-1965)..., ou comme femmes du monde telle Anne-Laure..., et surtout comme femmes de lettres : la poétesse Lucie Delarue-Mardrus, également Liane de Pougy (1869-1950), et même la journaliste militante Séverine (1855-1929). Oui, ici, se mêlent dreyfusards et anti-dreyfusard, plutôt patriotes, plutôt conservateurs jusqu'à anarchistes de droite...

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1900 - Les salons artistes et mondains - la Porte de Parsifal

Publié le par Perceval

1899 chez Anna de Noailles- De gauche à droite, debout : prince Edmond de Polignac, princesse de Brancovan, Marcel Proust, prince Constantin de Brancovan (frère d’Anna de Noailles), Léon Delafosse. Au 2ème rang : Mme de Montgenard, princesse de Polignac, comtesse Anna de Noailles, Au 1er rang : princesse Hélène de Caraman-Chimay (sœur d’Anna de Noailles), Abel Hermant

1899 chez Anna de Noailles- De gauche à droite, debout : prince Edmond de Polignac, princesse de Brancovan, Marcel Proust, prince Constantin de Brancovan (frère d’Anna de Noailles), Léon Delafosse. Au 2ème rang : Mme de Montgenard, princesse de Polignac, comtesse Anna de Noailles, Au 1er rang : princesse Hélène de Caraman-Chimay (sœur d’Anna de Noailles), Abel Hermant

PAUL CÉSAR HELLEU Princesse E. de Polignac

Nous avons évoqué la finalité de l'Art... Une femme, encore, a porté à cette époque cet idéal esthétique, par la musique en particulier ; il s'agit de Winnetta Singer devenue Princesse Polignac (1865-1943)...

Les Polignac, est une dynastie originaire du Puy-en-Velay qui remonte ses preuves de noblesse au IXe siècle, elle ne se réduit pas à la personne de la grande amie de Marie-Antoinette, gouvernante des enfants de France. 

 

D’origine américaine, née en 1865, Winnaretta est très jeune à la mort de son père, Isaac Singer, l’inventeur de la machine à coudre, qui lui laisse une fortune considérable. Winnaretta Singer (1865-1943) est millionnaire à 18 ans...

D'abord mariée à 22 ans, avec le prince Louis de Scey-Montbéliard en 1887, ce mariage sera annulé par le Vatican en 1892 ( Elle se serait réfugiée sur une armoire pendant sa nuit de noces, effrayée de ce qui se passait et aurait menacé son mari de se tuer s'il l'approchait. ).

En 1893, elle se marie avec le prince de Polignac, homosexuel, bien plus âgé qu'elle, et amoureux platonique. Le Prince Edmond de Polignac, est le fils du ministre de Charles X... Son ami Marcel Proust le compare à « un donjon désaffecté qu’on aurait aménagé en bibliothèque » ...

 

Winnaretta est musicienne et une artiste peintre ; mécène, elle reçoit dans son atelier de peinture de la rue Cortambert (que Proust surnommait le Hall), dans sa campagne de Saint-Leu-la-Forêt ou dans son immense hôtel particulier parisien au 57 de l’avenue Henri-Martin, « la plus élégante fumerie d’opium de Paris » selon Paul Morand. On y croisait, outre Marcel Proust -qui évoqua son Salon dans un article publié dans le Figaro du 6 septembre 1903-, Monet, Cocteau, Colette, Nabokov, Picasso, Valéry. Surtout on pouvait y entendre, en avant-première, les chefs d’œuvres musicaux qu’elle commanditait à la fine fleur de l’avant-garde.

Avec son mari, ils font chaque année le ''pèlerinage'' à Bayreuth ; Edmond est déjà venu au secours de Wagner après son échec avec Tannhäuser à l’Opéra de Paris...

Figaro - Dîner chez la princesse de Polignac, ce 4 juin 1908, présence de Me de Sallembier, et M. Proust

Ravel a présenté à la Princesse de Polignac la dédicace de son dernier ouvrage: Pavane pour une infante défunte . À cette époque, il était courant que les artistes demandent la permission avant de dédier une œuvre à qui que ce soit, mais avant que Winnaretta ne puisse s'opposer à la décision de Ravel, Pavane s'était déjà avéré être un succès exceptionnel. Elle accepta cette dédicace et devint finalement l'un des supporters les plus passionnés de la musique de Ravel.

« Le désir de Winnaretta de faire entendre des œuvres qui nécessitaient des exécutants en très grand nombre, ce que l'on ne voyait jamais dans des demeures privées avait une conséquence fâcheuse. Elle devait inviter beaucoup de monde à ses concerts pour équilibrer la foule des musiciens et, souvent, la qualité des auditeurs diminuait en fonction de leur quantité. Les critiques et les chroniqueurs mondains étaient tantôt ennuyés, tantôt amusés par la réunion de princesses coiffées de chapeaux élégants et de ducs qui renversaient leur chaise, faisaient tinter leur cuillère dans les tasses et papotaient bruyamment cependant que les musiciens tentaient de lutter énergiquement contre ce fond sonore évocateur d'une basse-cour. » Michael de COSSART: Une américaine à Paris (Paris, Plon, 1978)

Baronnne Olga de Meyer (à droite)

Winnaretta a de nombreuses relations amoureuses, qu'elle ne dissimule pas, avec des femmes, notamment : la compositrice Ethel Smyth, la peintre Romaine Brooks qui débute en 1905, et met fin à sa liaison avec Olga de Meyer.

Olga de Meyer (1871-1930) est connue pour sa beauté, elle est le modèle et la muse de nombreux artistes, donc Jacques-Émile Blanche, James Jebusa Shannon, James McNeill Whistler, Giovanni Boldini, Walter Sickert, William Ranken, John Singer Sargent et Paul César Helleu.

Un autre de ses admirateurs n'était autre que Charles Conder, qui s'amouracha d'Olga Caracciolo et peignit son portrait. On comptait également dans son cercle de fréquentation Aubrey Beardsley. Olga de Meyer a également inspiré des personnages des romans d'Elinor Glyn et d'Ada Leverson.

Winnaretta aima d'autres femmes mariées... A Venise, un mari ''offensé'' d'être trompé, voulut se battre en duel avec elle…

Porte de Parsifal - Eugène Grasset, Projet de Porte monumentale, aquarelle de présentation (1890), Paris, Petit Palais.

Porte de Parsifal - Eugène Grasset, Projet de Porte monumentale, aquarelle de présentation (1890), Paris, Petit Palais.

Winnaretta confia à Anne-Laure sa passion pour la musique de Wagner... et le désir qu'elle eut de créer à côté de son atelier une sorte de Temple au Graal... !

Sérieusement … Elle a envisagé une porte monumentale qu'elle confierait au sculpteur et céramiste Jean Carriès. Eugène Grasset, dessinateur, conçut un projet dont il reste un dessin daté du 16 janvier 1890. Satisfaite du projet, Winnaretta a signé la commande à Carriès, qui n'est jamais allé au bout du projet … !

Ce dessin est nommé '' la Porte de Parsifal'' :

La porte monumentale devait être habillée de carreaux de céramique représentant des visages masculins et féminins et un bestiaire assez étrange. Au centre, un pilier portait une statuette à l’effigie de Winnaretta, elle-même assez curieuse, car elle est représentée comme une très jeune fille belle et altière, qui foule aux pieds un serpent, et porte sur le bras gauche… un chat.

Paris Musées - Petit Palais - Jean Carriès

 

Les salons sont plus ou moins '' artistes '' ou plus ou moins ''mondains'' .. Pour les mondains : des salons raffinés comme celui de la Comtesse Aimery de la Rochefoucauld (1852-1913)( fréquenté par M. Paul Bourget, Proust...) ; le salon '' finance et grande industrie '' de Mme Henri Schneider , ou celui plus ''aristocratie politique'' de la duchesse de La Rochefoucauld-Doudeauville... pour lesquels les règles de ''recrutement sont très ciblées...

Le salon de Mme de Caillavet, est un ''salon littéraire'', le dimanche ...

Chez la comtesse Greffülhe, on est « mondain, musical, littéraire ; très éclectique », chez la comtesse d'Haussonville, on est « mondain, politique littéraire ; chez Mme Madeleine Lemaire « musique et littérature »...

Certains salons esquissent des carrières académiques, et pour être candidat à l'Académie, à l'Institut... ; il est recommandé de faire quelque stage dans certains salons de ''grandes examinatrices '' …

Le jeune poète Henri Hertz (1875-1966) est convié dans l'un de ces salons :

« (…) il y a là aussi quelques regards lourds d'amoureuses qui se posent et se retiennent ; et dans ceux des jeunes femmes mariées, il y a de la langueur de regret : ceux des mères frétillent à l'unisson des yeux de leurs filles ! L’œil des hommes insulte, marque, ou gouaille, avec tous les signes de la luxure, du dédain blasé, ou de l'expérience indulgente comme ne face des naïvetés enfantines ! Tout cela assoupi et retenu ici, sans excès, parce qu'on est dans un salon protestant ! »

Hertz continue et note sur ces ''salons'' ce qui lui semble spécifiquement français : « En France, le sens romanesque, passionnel, galant prime tout ; une femme est toujours une femme dans les trafics aussi bien que dans les salons ; la femme se montre continuellement femme, l'homme continuellement homme ; le souci du sexe ne quitte ni leurs yeux, ni leurs gestes.

L'amour règle toutes leurs réunions. C'est ce qui donne à toutes les assemblées françaises, aux plaisirs, aux discours, aux affaires, un aspect particulier... »

Sources :''Paris 1900: Essai d'histoire culturelle'' de Christophe Prochasson

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