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1936 – la Guerre d'Espagne.

Publié le par Régis Vétillard

Interview - Hitler - Titayna 1936

L’entretien de Titaÿna - ( cette jeune femme reporter croisée lors de cette même soirée durant laquelle Lancelot a rencontré Elaine...) - qu'elle eut avec Hitler, est paru le 26 janvier 1936 en première page de Paris-Soir-Dimanche dont la formule, bien qu’il fût en noir et blanc, s’inspirait des magazines. L’article décrit « ce conducteur d’hommes », au « visage plein d’intelligence ». Sans la moindre réserve la journaliste le laisse présenter l’image qu’il entend donner de sa politique européenne, une politique de dialogue et de bonne volonté.

Un mois plus tard, Bertrand de Jouvenel, récidive et présente Hitler d’une manière flatteuse, donnant de lui l’image d’un « homme simple [qui] s’est fixé des tâches gigantesques : changer la mentalité du peuple allemand [et] mettre fin à la vieille haine franco-allemande ». Un portrait propre à encourager les partisans en France d’un rapprochement avec le régime hitlérien.

Face à une Allemagne qui se remobilise ; le 11 juin 1936, Bertrand de Jouvenel, décrit une France de deux millions de grévistes, qui attend dans une ambiance joviale de « pique-nique prolongé ».

Luchaire constate que si la France est coupée en deux : blancs et rouges ; il s'agit de prendre « position, avant tout chose, contre les fameuses deux cent familles qui manient sans contrôle la quasi totalité de la fortune française ». Le Front Populaire même s'il n'est qu'un assemblage de « vieilleries » l'intéresse ; mais il rejette l'alliance avec les communistes.

 

Pierre Laval, qui de par sa politique de déflation a facilité la victoire du Front Populaire, entre résolument dans l'opposition, face à Blum, Chautemps et Daladier.

Le Pélerin

L'Eté 1936, est marqué par la Guerre d'Espagne.

Lorsque Simone Weil rencontre Lancelot, elle se le représente comme un acteur politique dans le ministère de Daladier à la Défense nationale et de la Guerre au sein du gouvernement Léon Blum... Elle doute que le Front Populaire puisse changer la condition ouvrière ; et se plaint de la politique coloniale. Juillet 1936, elle est scandalisée du soulèvement militaire contre la jeune république espagnole et son gouvernement de « Frente Popular ».

La politique de non-intervention en Espagne, par crainte d'un embrasement guerrier, aboutit à un accord signé par 26 pays dont la France, l'Allemagne, l'Italie...

Simone Weil souhaite aller sur place, partager, voir, en s'engageant auprès des républicains.

Guernica - Picasso

Pendant la nuit du 14 au 15 août, jour de l'Assomption, a lieu le massacre de Badajoz commis par les troupes franquistes avec la complicité ( si ce n'est même au nom) de l'Eglise !

Lancelot et Elaine se félicitent des nouvelles positions de François Mauriac envers la politique étrangère ; il avait protesté contre l'agression de Mussolini envers l'Ethiopie,et désapprouve à présent les nationalistes de Franco, dans le Figaro puis dans Sept.

Déjà, ils avaient lu et apprécié son succès de librairie '' Le nœud de vipères'' sorti en 1932 : il s'agit d'une prise de conscience d'un certain pharisaïsme bourgeois qui subordonne avant toute morale, avant l'Evangile même, la transmission et la valorisation du patrimoine...

Mauriac n'a pas été enthousiaste de la victoire du Front populaire, mais au nom de l’humanisme chrétien il accompagne Jacques Maritain, Henri Guillemin ou Stanislas Fumet. Il attend ( lui aussi...) l'homme providentiel. André Tardieu - qui proposait une véritable réforme de l'Etat - aurait pu l'être, pense t-il.

Simone Weil revient assez déçue de son expérience espagnole ; qu'elle ne regrette pas, parce qu'elle contribue à penser le réel : ainsi, son idée de la révolution qui évolue vers même son impossible réalisation.

- Bien sûr, on prend conscience que la guerre c'est tuer ; mais pire, c'est de se rendre compte que ceux qu'on tue ne sont que ''choses-à-tuer ''.

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1936 - Maritain – L'humanisme intégral

Publié le par Régis Vétillard

Jacques Maritain

En cette année 1936, Avant que les Maritain ne partent en Argentine, Lancelot et Elaine participent à une présentation du dernier ouvrage de Jacques Maritain publié "Humanisme intégral"

La personnalité de Maritain reste influente sur ces jeunes ''non-conformistes'', en rupture de ce que Mounier appelle le '' désordre établi'', et qui face à une crise de civilisation en appelle à une ''révolution spirituelle'', d'où cette recherche de ''troisième voie''.

Malgré quelques divergences politiques ( Ethiopie, guerre d'Espagne, accords de Munich...) , Fabrègues reste fidèle au Maritain spirituel.

Quand des mesures disciplinaires sont évoquées de la part de Rome contre ''Esprit'', Maritain apporte sa caution morale à Mounier. Maritain préfère la formule ''révolution de l'esprit'' à '' révolution chrétienne'' ; de même il préfère dire que «  les chrétiens s'expriment "en tant" que chrétiens », alors que Mounier pense que les chrétiens doivent s'exprimer « en chrétiens » pour être les coauteurs de la révolution spirituelle et personnaliste qu'Esprit entend susciter.

Humanisme intégral veut proposer un idéal concret : celle de l'édification d'une cité où toutes les dimensions de l'homme seraient restaurées. « L'humanisme intégral» est un « humanisme de l'incarnation »

- Vous pensez à cette fameuse société médiévale... ?

- Non ! Pas de retour en arrière. «  C'est en avant que la sagesse chrétienne nous invite à nous déplacer ». Je note seulement que c'est la théologie médiévale qui a dégagé cette notion fondamentale : la personne, façonnée de naturel et de surnaturel...

- Une nouvelle civilisation ?

- Une autre civilisation inspirée par les exigences de l'Evangile : « N'est-il pas temps que du ciel du sacré que quatre siècles de style baroque lui avaient réservé, la sainteté descende aux choses du monde et de la culture, travaille à transformer le régime terrestre de l'humanité, fasse œuvre sociale et politique? »

- Aujourd'hui, quelle peut être notre position face au nazisme, à l'antisémitisme ?

- Nous croyons à la commune appartenance des humains à «la même nature humaine ». Notre démocratie semble se présenter comme une chiffe molle, sans détermination ni résistance intellectuelle. Elle est bien fragile si l'on ne vénère ensemble la vérité et l'intelligence, la liberté et la dignité, le bien moral et l'amour fraternel.

- Pourquoi en appeler à un humanisme intégral ?

- Pour ne pas en rester à la seule mesure humaine... Vous connaissez la formule : « L'homme est la mesure de toute chose » - selon le sophiste Protagoras et rapporté par Platon pour le critiquer... - Cette mesure est basée sur les sens de l'homme, sur le jugement de l'homme, toute chose relative... Et qui s'oppose à ce que pense Platon de la Vérité...

Il est nécessaire de présenter une vision complète de la vocation humaine. L'Homme comme personne inclut tout son potentiel, toutes ses virtualités, y compris la dimension spirituelle...

- S'agit-il de restaurer une théocratie ?

- Non ! La société à venir devra être personnaliste : « le bien de la cité demeure subordonné au bien de la personne. »

- Dans l’Humanisme intégral, vous écrivez : « C’est seulement dans une nouvelle chrétienté à venir que cette valeur éthique et effective du mot démocratie pourrait réellement être sauvée »

- Notre démocratie est-elle donc suspendue à l’avènement de la « nouvelle chrétienté » ?

- Il s'agit de bâtir une société fondée sur un humanisme qui tire sa source de l’Evangile.

 

- L'Homme n'est pas une idée, une idée que l'on se fait de la nature humaine ; avec ses catégories, ses races... L'Homme est un existant. Chaque Homme est un être unique, irremplaçable : c'est ce que l'on veut dire quand on dit que l'Homme est une personne. - Aimez-vous Elaine, parce qu'elle répond à certaines catégories ( couleur de peau, forme du nez, taille ...etc) ? Ou pour ce qu'elle est ?

- Ce que l'on aime chez l'être aimé, n'est-il pas la réalité la plus substantielle et cachée, la plus existante de l’être aimé ?

La personne doit se sentir libre d'être ce qu'elle est, quelle que soit ses différences avec les autres. . Thomas d’Aquin souligne que la personne est: « ce qu’il y a de plus noble et de plus parfait dans toute la nature.» ( Somme théologique, Paris, PUF, 1990, I, 29, 3. )

Hegel, à la suite d'Augustin, déclare que la faculté de prendre conscience de soi-même est un de privilèges de l’esprit et que les grands progrès de l’humanité sont des progrès dans la prise de conscience de soi.

- Pourtant le repliement sur soi - ce moi haïssable de Pascal – peut causer quelques dégâts... ?

- L'Homme est tiraillé entre son individualité et sa personnalité véritable ( spirituelle).

- Ne pourrait-on pas parler de ''Personne'' sans faire référence à Dieu ?

C'est Elaine, qui parle : Louis Lavelle dont elle suit les cours, dit que que si l'Homme centrait son humanisme uniquement sur l'humain, c'est comme s'il rompait ses amarres, s'il naviguait sans boussole. Il attendrait tout de lui-même.

Maritain confirme : Notre ''humanisme'' a mal tourné parce qu'il était centré sur l'homme seul. Il rajoute même : « l’humanisme a abandonné son caractère héroïque, pour revêtir un caractère essentiellement utilitaire. » « il a cherché à reléguer dans l’oubli la mort et le mal, au lieu de les regarder en face... »

 

Elaine, souffrant de plus en plus, accepte l'opération chirurgicale. La confiance qu'elle a en son médecin, le confort de la clinique et la gentillesse du personnel l'aident à consentir à son sort. Lancelot est frappé de son acceptation; et tente d'être aussi positif qu'elle...

Devant ce sort injuste, comment ne pas en vouloir à cette vie qui nous livre ainsi à la mort ? Lancelot ne peut être davantage interpellé sur le sens de sa présence au monde.

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1936 - Le Front Populaire

Publié le par Régis Vétillard

Paul-Iribe et Coco-Chanel

Gabrielle Chasnel, après s'être fait construire sa maison ( La Pausa) à Roquebrune, décide de vivre dans une suite de l’hôtel Le Ritz, à Paris, proche de son atelier. Paul Iribe, décorateur ''art déco'' cinéaste, illustrateur, relance sa revue nationaliste et xénophobe ''Le Témoin'' ; il dessine régulièrement une ''Marianne'' sous les traits de Chanel, dont il est l'amant et qu'elle soutient financièrement. Selon Iribe, la France est livrée à ses ennemis intérieurs : les juifs étrangers, la mafia maçonnique, Thorez, Blum ...etc

En août 1935, Iribe décède brutalement chez elle à La Pausa.

 

Chanel, dans les années trente fréquente des milieux de la vie mondaine, parmi lesquels une élite pro-allemande, que Lancelot connaît comme telle : Marie-Louise Bousquet, la duchesse Antoinette d'Harcourt et Marie-Laure de Noailles en font partie, et connaissent bien le baron Dincklage, et Otto Abetz qui leur confie des anecdotes sur Hitler, et leur assure que si les juifs français poussent à la guerre, la France ne doit craindre aucune agression de l’Allemagne.

L'opinion qui se partage dans ces salons, est que l'Angleterre et l'Allemagne devraient s'entendre ; et attaquer l'Union Soviétique qui menace l'Occident.

 

Le 1er Mai 1936, Gabrielle Chanel a peur ; des milliers d'ouvriers défilent et chantent l'Internationale. Les grèves qui suivent obligent des usines à fermer, les vendeuses de sa boutique rue Cambon, ses couturières, suivent le mouvement; serait-ce l'avènement du bolchévisme ? « Vous ne me direz pas que ces gens-là n'étaient pas des malades. Je vous le dis: 1936, c'est le tournis.»

 

Dimanche soir 3 mai 1936, devant les locaux du quotidien '' Le Matin'' , les résultats des élections sont projetés sur des tableaux lumineux. Lancelot croise Jean Cavaillès, enthousiaste avec la foule, de la victoire du Front Populaire. Cavaillès connaît Simone Weil, et surtout son frère par les mathématiques.

Enfin, c'est avec Elaine, à l'écoute de '' Radio-Cité'' qu'ils suivent cette soirée électorale dans toute la France...

Dans le gouvernement du Front populaire de 1936 à 1937 ; au ministère de la Guerre, Lancelot retrouve Edouard Daladier, radical, il appelait à l'union avec la SFIO. Il plaide pour un large plan de réarmement, face à Hitler.

 

Emmanuel Mounier, reste sceptique, ce qu'il nomme « la mystique du 6 février » et ses remous, n'a rien donné; « Un grotesque carnaval de trois semaines vient de ouvrir sous le prétexte officiel d'un acte de souveraineté respectable : comment passer sans rougir le long de ces panneaux où étale une frénésie ridicule de bacchanale. » ( dans Esprit N°44, de mai 36). Cependant, Mounier adresse « un salut fraternel. aux vainqueurs dans toute la mesure où ils serviront sans asservir » ( Rassemblement populaire - Esprit N°45 juin 1936)

Mounier considère le Matérialisme comme le Mal absolu : il craint la place prépondérante du marxisme dans la coalition de gauche : « Les causes sociales et humaines dont le Front populaire se fait avocat sont les nôtres, à les prendre dans leur aspect le plus immédiat. Mais l'élément offensif de ce rassemblement, c'est aujourd'hui encore, demain si nous mettons ordre, le marxisme, c'est-à-dire une conception totale de l'homme et de l'Etat à laquelle nous ne pouvons adhérer, bien plus, que nous ne saurions que combattre en ses positions dernières, après avoir défriché tant qu'on voudra les malentendus intermédiaires comme nous avons déjà fait plusieurs reprises » ( Rassemblement populaire - Esprit N°45 juin 1936)

Denis de Rougemont, rejoint Mounier et craint que le Front Populaire soit l'affaire du parti Communiste, qui sous le nom de ''Liberté'', ne veut que « la dictature, l’étatisme et la guerre. »

Gaston Bergery, élu député du Front Populaire, avec son parti frontiste, apporte un soutien critique au Front Populaire. Bertrand de Jouvenel, se dit opposé à cette politique et rejoint cette même année , avec Drieu la Rochelle, le  Parti populaire français (PPF) créé en juin par l'ancien membre du Parti communiste Jacques Doriot, qui déclare : « Je ne veux copier ni Mussolini, ni Hitler. Je veux faire du PPF un parti de style nouveau, un parti comme aucun autre en France. Un parti au-dessus des classes (…) ».

 

Aimée Loste tenait salon, ce jour de janvier 1935, où se croisent Christiane Renault, l'épouse de l'industriel, et Drieu la Rochelle. Ils deviennent amants, et « l'ignorante » se laisse conduire : elle lit Stendhal, Giraudoux, et les romans de Drieu. En 37, initiée à la mythologie grecque, elle part en Grèce avec ''Une femme à sa Fenêtre'' ; elle assiste avec son amant à une conférence de Jacques Doriot, ils mangent tous ensemble un mois plus tard.... Mais, elle le fait réfléchir et lui se préfère au-dessus des partis. Drieu présente à Christiane, Otto Abetz.

Louis Renault, que l'on présente comme riche, puissant, brillant et brutal fait rapidement des affaires avec Hitler présent à l'Exposition internationale de l'automobile de Berlin.

Il présentera en 1939 – la Juvaquatre, voiture populaire pour s'extraire de la ville qui met en danger l'intégrité et la vitalité du peuple...

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1936 - Simone Weil

Publié le par Régis Vétillard

En janvier 1933, Daladier cherchait dans son ministère quelqu'un pour représenter les services de l'administration à une conférence d'un cercle de réflexion sur l'économie des anciens élèves de l'École polytechnique. C'est ainsi que Lancelot suivit, les l6 et 20 janvier 1933, le contenu très mathématique d'une théorie toute nouvelle et présentée de manière lumineuse par Edouard et Georges Guillaume, qui consistait à appliquer à l'économie les voies de la modélisation... La présentation assez convaincante alimentait le débat entre ''libéralisme'' et ''économie dirigée''.

Une remarque sur l'économie, et la vision (des années trente) que peut en avoir un chrétien sincère. La puissance de l'argent est telle, que l'Eglise rappelle sa position quant à '' l'Usure '' ; même si elle évolue et parle à présent de juste salaire, Pie XI dans Quadragesimo anno, condamne aussi bien le ''libéralisme amoral'', que le ''communisme athée''.

Maritain dans Esprit reproche au capitalisme, en mars 1933, « le principe contre nature de la fécondité de l'argent. ». L'idée assez anti-économique du néothomisme, n'incite pas vraiment Mounier, Maritain et de nombreux catholiques à proposer une politique économique pragmatique en ces temps de crise.

Auguste Detoeuf

L'actualité en ce 1er mai 1936, est la réunification de la CGT et la CGTU ( mars), et le premier tour des élections législatives le 26 avril qui place le Front Populaire en position de les emporter. Ce même jour, Lancelot ne pouvait manquer, dans ce même cadre de l'Ecole polytechnique, la conférence de Auguste Detoeuf qui proclamait la fin du libéralisme, «  le libéralisme est mort, il a été tué non par la volonté des hommes ou à cause d'une libre action des gouvernements mais par une inéluctable évolution interne ». Detoeuf est le directeur général d'Alsthom qui représente plus de 50% de l’industrie électromécanique française. Son management est anti-autoritaire, il croît en l'homme, au progrès, à la science et à la force du syndicalisme. Pour Detœuf, les rapports sociaux doivent relever d’un dialogue collectif entre organisations. « Le patron social ne s’occupe pas des syndicats. Le syndicat, c’est l’affaire des salariés. Le patron discute avec le syndicat lorsque celui-ci s’adresse à lui ; j’aimerais d’ailleurs beaucoup mieux que ce ne soit pas le patron qui discute, mais le représentant de la profession ».

Auguste Detoeuf participe à la création de '' Nouveaux Cahiers '', cette revue antibolchévique défend l’idée d’une gestion rationnelle et dirigée de l’économie. Parmi les collaborateurs de la revue, on trouve aussi bien Jacques Maritain que Boris Souvarine, communiste antisoviétique, et aussi Denis de Rougemont, Jean Paulhan ou Simone Weil ...

A l'occasion de réunions qui concernent l'équipement de la ligne Maginot pour laquelle Alsthom fournit en groupes électrogènes ; Lancelot revoit et sympathise avec Auguste Detoeuf, personnage attachant, plein d'humour amateur de mathématiques, et autant que de poésie et de musique.

Ce que Lancelot lui doit de très précieux, c'est la connaissance d'une jeune femme, que Boris Souvarine recommande au grand patron: une professeur agrégée de philosophie qui s'intéresse de près à la classe ouvrière , et qui a le projet de travailler en usine. Effectivement, Simone Weil (1909-1943) va travailler chez Alsthom comme 'ouvrière sur presse' à l’usine Lecourbe du 4 novembre 1934 au 5 avril 1935 avec une assez longue interruption pour maladie (otite et anémie) du 16 janvier au 23 février 1935 et une mise à pied du 8 au 18 mars 1935. Travail parcellaire, rebutant, dans un local mal isolé, mal chauffé, équipé de matériel vétuste ; les relations entre ouvriers sont impersonnelles et même âpres, dans une atmosphère tendue...

 

Lancelot avait déjà entendu parler de cette jeune fille à l'étrange dégaine, par ceux qui fréquentent l'ENS. En ce début du gouvernement par le Front Populaire, et alors qu'elle enseigne à Bourges, elle revient à Paris, dès qu'elle le peut. Elle fait la tournée des usines occupées, signe des articles Simone Galois ( du nom du jeune mathématicien)... Lancelot a le privilège de pouvoir passer un moment avec elle, lors de ses visites. Elle s'inquiète que Léon Blum ne s'attaque pas au colonialisme...

Très marquée par son expérience en usine, elle n'hésite pas à la partager. Cette expérience dit-elle, est celle du malheur - « C'est inhumain »....

'' Inhumain '' relève Lancelot. - Cela remettrait en question ce qui en nous est humain...

- Précisément : inhumain, parce que cela touche notre intégrité.

Lancelot se laisse aller à penser tout haut : - Cela blesse ce que je suis …. - A noter encore que l'inhumain, peut être calculé, rationnel, légal... Le fascisme ? … Et, si on parle d'humain, et donc d'in-humain... Cela interroge l'universel.. Et demande à préciser, ce qu'est la nature humaine... ?

Simone Weil, témoigne de ce qu'elle a découvert, en elle : - non pas la révolte ! Mais la docilité... ! - Et je vais certainement vous choquer, dit-elle, mais je sentais qu'à travers l'esclavage, je percevais le sentiment de ma dignité d'être humain !

- Pourtant, je ne vous sens pas vraiment aliénée...

- Après avoir vécu réellement cette souffrance ; je ne comprends pas à présent « Comment, après Platon, après Descartes, après les Lumières, le monde a-t-il pu inventer ce système: réduire une part de la population en bêtes de somme, en accessoires de machine à produire toujours plus, moins cher, plus vite ? En esclaves. »

- Précisez-moi, encore ce qui est inhumain, et en quoi cela atteint l'humain en vous ?

- L'aptitude à penser, et la liberté « comme rapport entre la pensée et l'action ». Et d'ailleurs, comment se révolter, chercher à s'affranchir de cette condition ; si l'esprit est tué dans l'oeuf ?

 

- Vous parliez du fascisme, mais pour ce qui du communisme, «Marx ne fait-il pas, de l'essor de l'industrie et des forces productives, « la divinité d'une nouvelle religion » dont les idoles sont des machines ? »

«Quand je pense que les grrrrands [sic] chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu'aucun d'eux – Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus - n'avait sans doute jamais mis le pied dans une usine et par suite n'avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers - la politique m'apparaît comme une sinistre rigolade. »

 

Simone Weil avance un élément important, à travailler : le ''Mal'' pour elle, n'appartient pas à des hommes particuliers, pour simplifier aujourd'hui les nazis, ou des « satans descendus sur terre détenteurs du mal absolu » ; le mal traverse chaque homme, il aux racines de l'humain...

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Bertrand Russell et l'Entropie

Publié le par Régis Vétillard

Bertrand Russell (1872-1970)

En 1936 - juste après son mariage avec Patricia et avant qu'il parte vers les États-Unis - Bertrand Russell a fait un court séjour à Paris. L'occasion pour lui de rencontrer des scientifiques, et des philosophes engagés dans l'éducation populaire. En effet, Russell s'intéresse à la transmission des savoirs, contre l’obscurantisme. Athée, il dénonce les religions qui se nourrissent de l’ignorance scientifique ; et sur le même plan il s'en prend au nationalisme alimenté par l'école actuelle...

Anne-Laure de Sallembier, même si elle n'est pas souvent de son avis, aime bien Russell : avec sa distinction de lord britannique et beaucoup d'humour, il n'hésite pas à scandaliser l'opinion commune. Elle organise à Paris, une soirée intime et savante, à sa demande avec notamment Paul Langevin et Frédéric et Irène Joliot Curie ; tous curieux de rencontrer cet intellectuel excentrique et respecté. Russell, alors qu'il vient de publier ''Science et religion'' est très intéressé par les récentes découvertes scientifiques.

Paul Langevin (1872-1946) est également préoccupé d'éducation, et défend « la science comme facteur d’évolution morale et sociale », selon le titre de l'un de ses ouvrages.

Irène et Frédéric Joliot-Curie - 1935

Le couple Joliot-Curie a obtenu le prix Nobel en 1935, pour leur découverte de la radioactivité artificielle, créée en laboratoire ; découverte précédée de celle du neutron, particule présente dans le noyau de l'atome.

Tous sont préoccupés de la situation politique en France, et autour de la France. Les récents événement sociaux laissent présager une réaction du peuple français, à l'opposé des allemands, du moins, dit Langevin, si la mobilisation anti-fasciste permet d’entraîner un gouvernement de front populaire qui seul peut combattre une droite tentée par l'expérience fasciste. Anne-Laure de Sallembier, soutenue mollement par Lancelot, semble bien être la seule présente à défendre des valeurs nationales et chrétiennes ; par contre, Russell rejoint la comtesse sur son opinion opposée au communisme. Il n'admet pas que l'on puisse considérer cette idéologie comme libératrice...

Russell, qui a visité l'Union soviétique dès mai 1920, avec une délégation du British Labour, est bien avant Victor Serge ou Souvarine, conscient de la démarche totalitaire du communisme russe.

« Le communisme est enseigné avec le même dogmatisme que la religion en Occident ». Il donne une vision du monde extrêmement simpliste : « le monde est plus riche et plus varié que la formule marxiste »  De plus, « le dogmatisme risque à terme de devenir un grand obstacle pour le développement intellectuel » et en particulier pour le progrès scientifique, comme l’avait été le christianisme, en son temps ; le rejet de la théorie quantique en fournit déjà un exemple...

En effet, la critique marxiste dénonce les penchants idéalistes et bourgeois des scientifiques qui travaillent sur les théories de la relativité et quantiques... La première privilégiant l'énergie sur la matière – au détriment donc du matérialisme – et la mécanique quantique permettant l'abandon de la causalité.

Langevin tente d'expliquer qu'en France, le parti communiste accompagne un grand espoir à l'intérieur des couches populaires ; les intellectuels ont décidé d'accompagner cette révolution pour rejoindre le peuple dans une réelle volonté de justice sociale; et ils s'engagent aussi à défendre la liberté qui ne peut qu'accompagner cet élan... Condamner le communisme sous prétexte de dérapages propres à la société russe, serait décevoir nos ouvriers, et les pousser dans les bras des fascistes...

Langevin a le souci d'ouvrir la science aux classes populaires, il a créé l’Université ouvrière créée avec Romain Rolland et Henri Barbusse (1932). Il compte beaucoup sur ce nouveau moyen de communication qui est la radio, il est d'ailleurs membre du conseil supérieur des émissions de la radiodiffusion.

Frédéric Joliot, réagit à cette argumentation matérialiste, en relativisant la portée de l'incertitude quantique ; en effet, si certaines choses sont incertaines, cela ne veut pas dire qu'elles sont indéterminées... La science a toujours cherché à établir des liens de causalité entre les phénomènes, et cette pratique est extrêmement féconde...

Lancelot demande si l'enseignement n'amène pas le maître à paraître dogmatique, et faire penser qu'il n'y a jamais de doute dans nos connaissances ?

Russell approuve et confirme son intérêt pour l'éducation au doute...

Russell revient sur cette prétention des idéologies à prétendre détenir une vérité, qui permettrait de contrôler la véracité des résultats scientifiques !

- Mais enfin, sir Russell – intervient Anne-Laure, permettez-moi de reprendre les valeurs, et même la conception du monde que m'ont légué mes ancêtres - férus des ''Lumières'' d'ailleurs - ; elles me permettent de donner un sens au progrès dont nous sommes témoin, et auquel vous participez aussi...

-Ma très chère amie, loin de moi l'idée de nous empêcher de bâtir un idéal qui conduirait nos vies. Je distingue la vérité de la véracité, le fait de fonder ses opinions sur des preuves.

 

A la lecture des notes de Lancelot sur cette soirée mémorable, je retiens aussi les propos de Russell sur un argument scientifique qui semblait essentiel dans sa réflexion.

Une future « mort universelle » est inévitable et prouvée par le second principe de la thermodynamique. Tout dans l'Univers est dominé par une tendance à s'épuiser ou se dégrader... Ce que l'on appelle l'Entropie, est toujours plus élevée dans le sens du temps. « Tous les grands travaux de l'histoire, tout l'éclat aveuglant du génie humain, tout est destiné à s'éteindre dans l'immense anéantissement du système solaire, et le temple des exploits de l'Homme à être enfouis sous les débris d'un univers en ruine » B. Russell ( Pourquoi je ne suis pas chrétien)

- Continueriez-vous vos recherches, l'écriture de vos livres, si vous saviez que votre mort serait suivie aussitôt de la disparition de notre planète ?

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1935 - Le nazisme, et les fascismes. 3 - Philosophie

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot est resté secoué par cette rencontre. Il lui a fallu plusieurs jours pour digérer les réponses des uns et des autres... Et surtout, finalement, le manque de réponses satisfaisantes.

Comment peut-on ainsi échanger et mettre en perspective des arguments idéologiques qui sont en train de se mettre en œuvre et de transformer notre vie et qui vont nous donner des raisons de vivre ou de mourir, ou de tuer...

Peut-on d’ailleurs imaginer, ou espérer même, pouvoir se comprendre, et négocier quelque chose de recevable... Alors que l'enjeu est existentiel !

 

Lancelot assume mal, notre apathie, qui ne répond en rien à l'urgence du moment.

Et plus profondément, Lancelot est insatisfait de lui-même... Sur quels fondements repose sa foi en la vie ? Un socle qui lui permettrait d'être certain de ses convictions, de ne plus avoir peur et d'être mu par un volonté de servir la vérité... ?

Ne s'agit-il pas également des fondements de notre société d'après-demain ! Pour demain, que peut-ont-on attendre d'états fascistes en guerre les uns contre les autres, sinon le chaos ? Et donc, aujourd'hui, n'est-il pas essentiel d'être sûr de nous, pour ce que nous allons décider ?

 

Lancelot ne s'est jamais senti aussi proches de ses chevaliers, qui errants et en Quête, étaient plus ou moins prêts à suivre l'Aventure qui allait les conduire à une rencontre, à une épreuve, et leur donner le sens et même l'objet de la Quête...

 

Lancelot a la chance de pouvoir partager son trouble, ses incompréhensions avec sa mère, et avec Elaine.

Anne-Laure connaît bien l'Allemagne, et ses philosophes; la conception du monde d'Hitler, dit-elle est une macédoine d'ingrédients germaniques : l'esprit guerrier pour exalter le surhomme aryen, l'idée d'un état qui s'impose sur l'individu, le conflit des races comme force de l'histoire, le dogmatisme médiéval des Eglises chrétiennes réfuté par Kant. De Fichte, Hitler aurait repris le nationalisme, et l'antisémitisme... Et Schopenhauer lui aurait appris qu'il fallait glorifier la volonté plus que la raison...

Bien sûr, ce fatras d'idées philosophiques pourraient être démenti par chacun des philosophes qui en seraient, dit-on, l'inspirateur : de Nietzsche à Hegel, de Fichte à Kant ; ils ne s'y retrouveraient pas ! - Je ne pense pas, dit-elle, que la pensée allemande soit responsable de la déraison nazie...

Je me demande si la responsabilité ne tient pas à l'élaboration occidentale d'une eschatologie de l'histoire qui se présenterait comme une théologie sans Dieu, et qui satisfait aux aspirations de beaucoup, aujourd'hui... ?

Kant pointe une maladie, qu'il appelle le ''fanatisme moral'' et qui consiste à se sentir possédé par le bien, sans ressentir de contrainte morale, et à exalter le sacrifice de soi... D'ailleurs, Kant dénonce le choix qui en a été fait pendant la Révolution...

 

- Tu remarques, que les nazis n'osent pas rejeter le monument qu'est Kant ; pourtant en totale contradiction... Le ressort de la morale, c'est l'universalisme ( impératif catégorique) ; alors que pour eux, c'est le Führer - porte parole du peuple - qui est le garant de ce qui est bon pour le peuple ( allemand).

 

Pour Elaine, nous avons besoin de comprendre la finalité des enjeux qui se posent aujourd'hui, nous avons besoin de raison, donc de philosophie; mais nous avons besoin de sens, donc de théologie.

Pourquoi ne pas revenir aux sources de notre Tradition : Aristote, Thomas d'Aquin ...

Maritain pointe le néo-paganisme antisémite et anti-chrétien de l’hitlérisme : « Il rive les hommes à des catégories et à des fatalités – biologiques – auxquelles aucun usage quel qu’il soit de leur liberté ne leur permet d’échapper. »

 

Tu remarques, note Lancelot, que les nazis semblent fasciné par l'antiquité, plutôt grecque; et élaborent un curieux mélange gréco-germain. Pour eux, le christianisme - avec sa doctrine universaliste et égalitaire - serait une invention juive pour subvertir l'ordre hiérarchisé germain...

 

Les chrétiens, reconnaît Lancelot, ont la chance de connaître la ''fin''... Une fin inaccessible à la raison, car au-delà de notre existence... Cette connaissance est offerte par la Révélation : elle est pour tous, mais elle est théologique... Est-il possible que Théologie et philosophie se complètent naturellement... ?

- Thomas d'Aquin nous ouvre une porte . Enfin, c'est Maritain, via Thomas qui – pour moi – le fait, répond Elaine

 

Lancelot rencontre un prêtre.

- Vos politiciens parlent de nationalisme ; les chrétiens s'intéressent à l'humanité, l'humain transcende la nationalité. La Vérité n'intéresse pas Hitler, il pense que c'est lui qui construit la vérité. Il pense que la guerre va lui permettre d'affirmer cette vérité. C'est une folie...

 

Le prêtre demande à Lancelot ce qu'il aimerait devenir : Président du Conseil, Général..., un héros ? Lancelot, ne sait pas...

Le prêtre lui dit : moi, j'aimerais devenir un saint..

Lancelot répond : « j’aimerais apprendre à croire ».

Le prêtre ajoute : vous êtes plus près du but, que moi... Puisque le christianisme n'est pas réservé à une élite, il est ouvert à tout homme désireux de devenir humain, pleinement humain...

Pourtant, dit le prêtre, vous n'y arrivez pas seul ; c'est bien ça ? Ce manque que vous ressentez me dit, que vous êtes prêt du but que vous recherchez...

 

Il est difficile de savoir à quoi l'on croit et si l'on croit vraiment...

Qui est Jésus-Christ pour aujourd'hui... quel rapport entre la foi et le fascisme ( qui est un monde sans Dieu )... Comment ce monde s'accomplit-il en Dieu ?

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