Une fête littéraire à Versailles - Le Gaulois 31 Mai 1894 Proust - (Gallica)
En quoi la vie mondaine, contribue t-elle à la Quête … ? La comtesse Anne-Laure de Sallembier en est persuadée : par exemple, quand elle interroge ses amis sur la place de l'art dans leur vie... Anne-Laure appartient à une société où la place de l'esthétique est prépondérante...
Si l'esthétique s'offre à la sensibilité, elle est destinée à l'esprit : un esprit ouvert à l'Absolu...
L'Art passe par l'humain, et lui offre une prise de conscience de soi … Et, à cette époque, ce qui est flagrant c'est la tension constante entre le masculin et le féminin...
Exemple mondain: la femme y est sujet et objet de beauté... La sensibilité provoque les cœur et le corps ; mais finalement ce sont l'âme et l'esprit qui s'enrichissent de l'expérience esthétique ...
« Je tiens l’art pour la tâche suprême et l’activité proprement métaphysique de cette vie » Nietzsche (1844-1900) (La Naissance de la tragédie)
Comme nous venons de le voir, la place du vêtement est essentiel dans une soirée mondaine. La femme, alors s'y sent investit d'une mission : la toilette féminine est une œuvre d’art.
« Mme la comtesse Greffuhle, délicieusement habillée : la robe est de soie lilas rosé, semée d’orchidées et recouverte de mousseline de soie de même nuance, le chapeau fleuri d’orchidées et tout entouré de gaze lilas » Proust - dans la revue Le Gaulois et intitulé ''Une fête littéraire à Versailles''
Ce qui gène Anne-Laure, favorisée alors par sa jeunesse et ses traits ; c'est d'être ''objet '', et non ''sujet''...
Cependant ce n'est pas le cas. Marcel Proust fait de l'élégante, une artiste. Il assigne à la femme qui porte le vêtement un rôle de créateur.
« Je me disais que la femme que je voyais de loin marcher, ouvrir son ombrelle, traverser la rue, était, de l’avis des connaisseurs, la plus grande artiste actuelle dans l’art d’accomplir ces mouvements et d’en faire quelque chose de délicieux » Proust À la recherche du temps perdu, La Pléiade, 1987 t. II – Ici la duchesse est une artiste dans l'art d'accomplir des gestes, dans le mouvement du corps...
Mme Swann au bois déploie « le pavillon de soie d’une large ombrelle de la même nuance que l’effeuillaison des pétales de sa robe […] ayant l’air d’assurance et de calme du créateur qui a accompli son œuvre et ne se soucie plus du reste » Proust À la Recherche du Temps Perdu, La Pléiade, 1987 t. I.
La femme artiste, finit d'âtre assimilée elle-même comme oeuvre d'art. Elle est ''contaminée'' par sa toilette ; cette impression est valorisée par la comparaison d'un tableau : Oriane et son manteau avec un « magnifique rouge Tiepolo » RTP, tome III ; ou Albertine et son manteau de Fortuny qui évoque un tableau de Carpaccio...
« Quand il avait regardé longtemps ce Botticelli, il pensait à son Botticelli à lui qu’il trouvait plus beau encore et, approchant de lui la photographie de Zéphora, il croyait serrer Odette contre son cœur. »
Oui, tout ceci est ''beau'' ; mais ce n'est pas la vie... ! ?
Cette question est fondamentale pour Proust : l'Art réside t-il dans la femme peinte ou dans la femme réelle … ?
« (…) tout mon argent passait à avoir des chevaux, une automobile, des toilettes pour Albertine. Mais ma chambre ne contenait-elle pas une œuvre d'art plus précieuse que toutes celles-là ? C'était Albertine elle-même. » La Prisonnière,RTP, t. III
La femme comme œuvre d'art... ?... Non... En conclusion :
« Mais non, Albertine n'était nullement pour moi une œuvre d'art. Je savais ce que c'était qu'admirer une femme d'une façon artistique, j'avais connu Swann. »
En 1907, une femme peut s'affirmer comme ''artiste de l'élégance'' et contrer cette tentation (perverse) de l’idolâtrie... Ce qu'il faut admirer, c'est l'artiste en œuvre...
L'art pour Proust éclaircit la vie, la révèle à elle-même :
« La grandeur de l'art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie.» Le temps Retrouvé, RTP, t. IV
M. de Norpois est un diplomate, et son art fait de tact et d'usages, se rapproche de celui de l'écrivain : trouver les bons mots, la bonne formule...
Pour Anne-Laure, la question essentielle de l'Art, trouve une réponse avec la proposition de Marcel Proust :
« (…) le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. » Proust, Le Temps Retrouvé.
Ainsi l'art permet d'accéder au vrai ; à la vraie vie , qui n'est pas la vie sociale avec ses conventions ; mais la vie intérieure.
Anne-Laure de Sallembier vivait dans un hôtel particulier avenue Victor-Hugo... Vendu à la fin de la grande guerre, il fut détruit pour construire un immeuble...
Anne-Laure, intégrée au grand monde, a prêté sa plume pour quelques chroniques dans les colonnes du Figaro... Gaston Calmette est directeur du journal, depuis 1902 ; il modernise et fait remonter les tirages en visant surtout les milieux aristocratiques... Beaucoup de ''petites mains '' relaient les festivités les plus prestigieuses ; et il faut y participer soi-même, pour nommer ensuite les personnes les plus en vue …
Des grandes familles, de noblesse ancienne, voire chevaleresque, sont particulièrement suivies : les ''Clermont-Tonnerre'', ''Salignac-Fénelon'' ''Castelbajac''...
Dans les carnets d'Anne-Laure, nous trouvons 142 comtes(ses), 46 marquis(es) et 32 princes(ses), sans oublier les ducs comme les Broglie, les Brissac et les Gramont.
Bien sûr, de nombreux bourgeois : des grandes personnalités des mondes politique, diplomatique, économique, artistique et littéraire, sont présents sur la liste des mondains...
Le Figaro, tient à présenter une société élégante, qui se croise dans un monde de raffinement et de goût. Les formules consacrées sont celles de « Tout-Paris élégant », de « Société élégante », d’« assistance nombreuse et élégante ».
Les femmes incarnent le raffinement des modes vestimentaires : pour cette raison elles doivent « briller » en société. Les chroniques mondaines n’insistent jamais assez sur « l’élégance des toilettes » féminines : des descriptions très précises sont faites sur les tenues portées par les grandes dames du Monde lors des courses hippiques ou des bals costumés.
Anne-Laure de Sallembier elle-même semble s'habiller exclusivement chez Jeanne Paquin ; la maison est installée : 3 rue de la Paix à Paris , à côté de la célèbre maison de Worth.
Madame Paquin, n'hésite pas à s'exhiber dans tous les lieux à la mode, à l'Opéra Garnier ou sur les champs de courses, accompagnée d'amies, femmes du monde, ou mannequins, habillées de pied en cap en Paquin. La maison habille également des actrices parmi les plus célèbres du moment : Mesdemoiselles Caron, Sorel et Granier, puis Lantelme et Polaire ; et surtout, elle le fait savoir!
Aristide Briand est un amateur de ses salons …
Isidore Paquin, le mari de Jeanne, décède en 1907 à l'âge de 45 ans, laissant Jeanne veuve à 38 ans. Plus de 2 000 personnes assistent aux funérailles d'Isidore. Depuis la mort d’Isidore, Jeanne s'est habillée principalement en noir et blanc.
Mode - Jeanne Paquin
Gervex_1906 - Cinq_Heures_Chez_Paquin
Précisément, Marcel Proust publie au Figaro, en 1903-1904, une série de 6 chroniques intitulées “Salons parisiens” : salons artistiques, bourgeois et aristocratiques de Paris. Ces chroniques de mondanités lui valurent une réputation de journaliste snob plutôt que d’écrivain et lui fut nuisible dans sa quête d’un éditeur ( Gide ne prit pas la peine de lire le manuscrit...) pour le premier volume de son roman, Du côté chez Swann.
Ces écrits dépassent largement la chronique mondaine ; Proust s'y livre sans retenue, sous les pseudonymes d'Horatio ou de Dominique ; son œil de journaliste observe les mœurs de la société avec beaucoup d'attention, en particulier à l'esthétique médiatique de la mondanité, à ses règles formelles, et à son inscription dans l'histoire … Ces écrits sont bien préparatoires à ''La Recherche'' et apparaissent ses goûts pour Saint-Simon et les mémorialistes...
Le Grand Monde parisien incarne les valeurs françaises : élégance, raffinement, bon goût, il se veut être une société d’esthètes ; et Le Figaro est son porte-parole...
Les réceptions peuvent se tenir dans des cadres privés, ou dans des espaces publics, comme l'opéra, les théâtres, les ambassades, les grands hôtels... L'action caritative en est également le mobile.
L’engouement est aux salons musicaux : de nombreux compositeurs célèbres, comme Jules Massenet, Camille Saint-Saëns... sont à l’honneur et interprètent eux-mêmes leurs œuvres pour de grandes dames illustres.
En règle générale, on promeut l’œuvre artistique, et la chronique ne craint pas d'associer le nom de l'artiste reconnu à celui de la maîtresse de maison, elle-même amatrice dans l'art ; comme par exemple la Comtesse de Maupeou... ...
Paul Vidal qui devient le chef d’orchestre à l’Opéra en 1906; fréquente assidûment les salons...
Des merveilles d’ingéniosité et de goût se déploient dans les bals, et ceux de Boniface de Castellane et de Robert de Montesquiou sont restés célèbres...
La Recherche de Proust, pourrait s'apparenter à la Quête du Graal...
Pour la Recherche, il s'agit de faire le lien entre le présent : celui des actes du quotidien, et l'esprit d'un passé qui refait surface ; pour la Quête c'est retrouver les correspondances avec le mythe, et rejoindre l'Idée du Beau, du Vrai ; et les deux au travers de la littérature...
De plus, c'est au nom de la religion de la Beauté que Proust s'en prend à la ''loi de séparation'', pour défendre les cathédrales ( Le Figaro du 16/08/1904) ; même si c'est ici une religion sans transcendance...
Et surtout, Proust fait référence à Wagner:
« Le rôle du héraut et du roi tout entier, le rêve d'Elsa, l'arrivée du cygne, le chœur du juste, la scène entre les deux femmes, le refalado, le Graal, le départ, le présent du cor, de l'épée et de l'anneau, le prélude, est-ce que tout cela n'est pas beau ? » sur Lohengrin lettre à Reynaldo Hahn (1894) de Trouville)
Le Narrateur de la Recherche serait un ''Perceval'' agnostique, découvrant en début une tasse de thé, qui n'en finit pas de la questionner, échappant aux jeunes ''filles-fleurs'', et qui finalement retrouve le Graal à la faveur de pavés disjoints, ou d'un livre...
Encore, c'est le rôle que tient la duchesse de Guermantes : vue dans l'église de Combray, elle apparaît comme dans l'opéra de Wagner : ''Les Maîtres chanteurs de Nuremberg''. Ce serait là l'église Ste Catherine de Nuremberg avec l'entrée solennelle de la duchesse.. Juliette Hassine (Essai sur Proust et Baudelaire) rapproche cette scène de Parsifal : « Pour l'enfant qui attend d'être touché par la grâce du regard de Mme de Guermantes, le spectacle de la duchesse s'avançant dans la sacristie est pour lui une vraie apparition du Graal. »
C'est aussi, lors de la représentation en 1908 de Tristan und Isolde que Proust, dans sa correspondance, dit admirer pour la première fois, assise dans sa loge, la princesse de Bibesco (1886-1973) qui semble avoir été un des modèles pour la duchesse de Guermantes...
Son salon parisien était fréquenté par Paul Claudel, Georges Clémenceau, Gérard de Nerval, Montesquiou, Anatole France et de nombreuses autres personnalités du beau monde de l'art et de la politique. Proust va la rencontrer lors du bal de L'Intransigeant, le 10 mai 1911, à l'hôtel Carlton .
Dans Au Bal avec Marcel Proust, celle-ci le décrit « livide et barbu, le col de son manteau relevé sur sa cravate blanche, qui avait traîné sa chaise depuis le début de la soirée ».
Emmanuel et Antoine Bibesco furent les voisins du jeune Marcel Proust, boulevard Malesherbes. Ils partageaient un même humour, s’étaient donnés des surnoms, et avaient un goût commun pour les choses de l’esprit. En leur compagnie, Proust fut entraîné au théâtre, dans les salons, au restaurant, en excursion pour visiter les églises en vue de sa traduction de Ruskin. Ils voyagèrent jusqu’en Belgique et en Hollande. La rencontre des Bibesco fut, en outre, pour Proust, l’entrée dans un monde différent du sien.
L'objet de la Recherche, c'est le '' Temps retrouvé '', lors d'un éblouissement, d'une félicité...
C'est ce qu'écrit Proust « « je présenterai comme une illumination à la Parsifal la découverte du Temps retrouvé dans les sensations, cuiller, thé etc. » Cahiers Proust
À la fin du Temps retrouvé, la longue séquence intitulée « L’Adoration perpétuelle » emprunte son titre à la liturgie catholique pour désigner la découverte du sens de sa vie et de sa vocation littéraire par le héros. En début de la « matinée » du prince de Guermantes, le narrateur est contraint de faire une halte dans le salon-bibliothèque pour attendre la fin du morceau musical dont l’exécution a commencé avant son arrivée. Il y découvre un livre '' François le Champi ''…
« (...) je sentais que le déclenchement de la vie spirituelle était assez fort en moi maintenant pour pouvoir continuer aussi bien dans le salon, au milieu des invités, que seul dans la bibliothèque ; il me semblait qu’à ce point de vue, même au milieu de cette assistance si nombreuse, je saurais réserver ma solitude. » (Le Temps retrouvé) Et c'est ensuite le passage du « bal de têtes »...
Cristophe Imperiali ( de l'Université de Lausanne) rapproche deux moments du Conte du Graal de Chrétien de Troyes; et de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust : d'un côté, l'impérissable scène des gouttes de sang sur la neige; de l'autre, la scène capitale où, dans la bibliothèque des Guermantes, Marcel décide de devenir écrivain.
Cette révélation de la mémoire involontaire et de la fonction qu'elle est appelée à jouer dans l'œuvre d'art à créer, Proust l'appelle, dans ses cahiers, une « illumination à la Parsifal »:
Je cite ci-dessous des extraits de ce texte qui donne la clé de toute ''La Recherche''
(…) il y a un instant j'étais entré dans la cour de l'hôtel de Guermantes, (…) au moment où, me remettant d'aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s'évanouit devant la même félicité qu'à diverses époques de ma vie m'avaient donnée la vue d'arbres que j'avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d'une madeleine trempée dans une infusion, tant d'autres sensations dont j'ai parlé et que les dernières œuvres de Vinteuil m'avaient paru synthétiser. (…)
(…) je m'efforçais de tâcher de voir clair le plus vite possible dans la nature des plaisirs identiques que je venais, par trois fois en quelques minutes, de ressentir, et ensuite de dégager l'enseignement que je devais en tirer. (..)
(..) Et, au passage, je remarquais qu'il y aurait dans l'oeuvre d'art que je me sentais prêt déjà, sans m'y être consciemment résolu, à entreprendre, de grandes difficultés. (..)
(…) au vrai, l'être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu'elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu'elle avait d'extra-temporel, un être qui n'apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j'avais reconnu, inconsciemment, le goût de la petite madeleine, puisqu'à ce moment-là l'être que j'avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l'avenir.
A la recherche du temps perdu (Marcel Proust) - VII : Le Temps Retrouvé III : Matinée chez la princesse de Guermantes. L'Adoration perpétuelle...
Dans Le Temps retrouvé, rien n'indique quel est le «morceau» de musique qui se joue dans le salon, au moment où le narrateur médite dans la bibliothèque; mais dans la Matinée chez la Princesse de Guermantes, le morceau était très précisément identifié: il s'agissait du deuxième acte de Parsifal, dont la princesse organisait la première audition parisienne. Or, 1' expression « illumination à la Parsifal » renvoie très évidemment à la révélation vécue par Parsifal dans ce deuxième acte, à travers le baiser de Kundry. Or, c'est précisément par un de ces court-circuits temporels que nous évoquions, que Parsifal est soudain capable de relier l'étreinte de Kundry et la blessure d'Amfortas, c'est-à-dire d'aller chercher très loin l'autre moitié de sa sensation présente pour créer cette conjonction hors du temps qu'évoque Proust.
(…)
Parsifal a intégré instinctivement, par la puissance d'une pure compassion, ce qu'aucun raisonnement intellectuel ne permet de saisir, et il est prêt à entreprendre le chemin qui lui permettra de revenir à Montsalvat, de guérir Amfortas et de rédimer le monde du Graal. C'est donc cela qui se joue dans le salon, au moment même où le narrateur, dans la bibliothèque, reçoit son« illumination à la Parsifal » ... Même si la mention de la pièce jouée dans le salon a disparu du Temps retrouvé, une étude génétique montre bien qu'il n'y a guère de doute à avoir quant à l'influence directe qu'exerce sur ce passage le Parsifal de Wagner.
(...)
Dans le Conte du Graal, c'est immédiatement après cet épisode du sang sur la neige que Perceval accède enfin à la cour d'Arthur, mais, surtout, qu'il s'en écarte aussitôt pour partir en quête du Graal - quête qui ne débute, précisément, qu'à ce moment là.
Sources de cette comparaison : Cristophe Imperiali
Marcel Proust publie au Figaro, en 1903-1904, une série de 6 chroniques intitulées “Salons parisiens” : salons artistiques, bourgeois et aristocratiques de Paris.
Ces chroniques de mondanités lui valurent une réputation de journaliste snob plutôt que d’écrivain et lui fut nuisible dans sa quête d’un éditeur ( Gide ne prit pas la peine de lire le manuscrit...) pour le premier volume de son roman, Du côté chez Swann.
Ces écrits dépassent largement la chronique mondaine ; Proust s'y livre sans retenue, sous les pseudonymes d'Horatio ou de Dominique ; son œil de journaliste observe les mœurs de la société avec beaucoup d'attention, en particulier à l'esthétique médiatique de la mondanité, à ses règles formelles, et à son inscription dans l'histoire … Ces écrits sont bien préparatoires à ''La Recherche'' et apparaissent ses goûts pour Saint-Simon et les mémorialistes...
LE SALON DE S. A. I. LA PRINCESSE MATHILDE
Mais aujourd’hui encore c’est une des seules maisons de Paris où l’on soit invité à venir dîner à sept heures et demie.
Après le dîner, la princesse vint s’asseoir au petit salon, dans un grand fauteuil qu’on aperçoit à droite en venant du dehors, mais au fond de la pièce. En venant du grand hall, ce fauteuil serait au contraire à gauche, et fait face à la porte de la petite pièce, où, tout à l’heure, seront servis les rafraîchissements.
En ce moment, les invités du soir ne sont pas encore arrivés. Seules, les personnes qui ont dîné sont là. À côté de la princesse, une ou deux des habituées de ses dîners de la rue de Berri : la comtesse Benedetti, si spirituellement jolie et si joliment spirituelle ; Mlle Rasponi ; Mme Espinasse, dame d’honneur de la princesse ; Mme Ganderax, femme universellement aimée et appréciée de l’éminent directeur de la Revue de Paris.
(…)
Déjà la porte du salon de la princesse s’entr’ouvre, elle reste entrebâillée, pendant que la dame qui va entrer – personne ne sait encore qui c’est – ajuste une dernière fois sa toilette ; les messieurs ont quitté la table où ils feuilletaient les revues. La porte s’ouvre : c’est la princesse Jeanne Bonaparte suivie de son mari, le marquis de Villeneuve. Tout le monde se lève.
Quand la princesse Jeanne est à mi-chemin de la princesse, celle-ci se lève et accueille à la fois la princesse Jeanne et la duchesse de Trévise qui vient d’entrer avec la duchesse d’Albuféra.
Chaque dame qui entre fait la révérence, baise la main de la princesse, qui la relève et l’embrasse, ou lui rend sa révérence, si elle la connaît moins.
Voici M. Straus, l’avocat bien connu, et Mme Straus née Halévy, à qui son esprit et sa beauté donnent une puissance de séduction unique ; M. Louis Ganderax, le comte de Turenne, M. Pichot s’empressent autour d’elle, tandis que M. Straus regarde autour de lui d’un air malicieux.
La porte s’ouvre encore, c’est le duc et la duchesse de Gramont, puis la famille bonapartiste par excellence, la famille de tous les beaux titres d’empire, la famille Rivoli, c’est-à-dire : le prince et la princesse d’Essling, avec leurs enfants ; le prince et la princesse Eugène et Joachim Murat, le duc et la duchesse d’Elchingen, le prince et la princesse de la Moskowa.
Voici M. Gustave Schlumberger, M. Bapst, M. et Mme du Bos, le comte et la comtesse Paul de Pourtalès, le prince Giovanni Borghèse, un érudit, un philosophe, qui est aussi un brillant causeur ; M. Bourdeau, le marquis de La Borde, M. et Mme Georges de Porto-Riche.
Le petit salon est déjà si plein de monde que les plus anciens habitués montrent le chemin du hall où les moins intimes vont admirer avec une certaine timidité, comme écoliers sous l’œil du maître, les trésors d’art qui y sont rassemblés.
On s’arrête devant le portrait du prince impérial par Madeleine Lemaire, le portrait de la princesse par Doucet, le portrait de la princesse par Hébert, où elle a de si beaux yeux, de si douces perles. Bonnat le regarde de cet œil bon qui brille devant la belle peinture et échange des réflexions de technicien avec Charles Éphrussi, le directeur de la Gazette des Beaux-Arts, l’auteur du beau livre sur Albert Dürer, mais à voix si basse qu’on les entend mal.
La princesse ne s’assied plus. Elle va de l’un à l’autre, accueillant les nouveaux arrivés, se mêlant à chaque groupe, ayant pour chacun le mot particulier, personnel, qui tout à l’heure, quand il sera rentré chez lui, lui fera croire qu’il était le centre de la soirée.
Quand on pense que ce salon (nous prenons ici le mot de « salon » dans son sens abstrait, car matériellement le salon de la princesse était rue de Courcelles avant d’être rue de Berri) a été un des foyers littéraires de la seconde moitié du XIXe siècle ; que Mérimée, Flaubert, Goncourt, Sainte-Beuve sont venus là chaque jour dans une intimité vraie, ...(...)
DOMINIQUE. Le Figaro, 25 février 1903.
LE SALON DE Mme MADELEINE LEMAIRE
(…) dès qu’une soirée était sur le point d’avoir lieu, chaque ami de la maîtresse de maison venant en ambassade afin d’obtenir une invitation pour un de ses amis, Mme Lemaire en est arrivée à ce que tous les mardis de mai, la circulation des voitures est à peu près impossible dans les rues Monceau, Rembrandt, Courcelles, et qu’un certain nombre de ses invités restent inévitablement dans le jardin, sous les lilas fleurissants, dans l’impossibilité où ils sont de tenir tous dans l’atelier si vaste pourtant, où la soirée vient de commencer. La soirée vient de commencer au milieu du travail interrompu de l’aquarelliste, travail qui sera repris demain matin de bonne heure et dont la mise en scène délicieuse et simple, reste là, visible, les grandes roses vivantes « posant » encore dans les vases pleins d’eau, en face des roses peintes, et vivantes aussi, leurs copies, et déjà leurs rivales. À côté d’elles, un portrait commencé, déjà magnifique de jolie ressemblance, d’après Mme Kinen, et un autre qu’à la prière de Mme d’Haussonville Mme Lemaire peint d’après le fils de Mme de La Chevrelière née Séguier, attirent tous les regards. La soirée commence à peine et déjà Mme Lemaire jette à sa fille un regard inquiet en voyant qu’il ne reste plus une chaise ! Et pourtant ce serait le moment chez une autre d’avancer les fauteuils : voici qu’entrent successivement : M. Paul Deschanel, ancien président, et M. Léon Bourgeois, président actuel de la Chambre des députés, les ambassadeurs d’Italie, d’Allemagne et de Russie, la comtesse Greffulhe, M. Gaston Calmette, la grande-duchesse Vladimir avec la comtesse Adhéaume de Chevigné, le duc et la duchesse de Luynes, le comte et la comtesse de Lasteyrie, la duchesse d’Uzès douairière, le duc et la duchesse d’Uzès, le duc et la duchesse de Brissac, M. Anatole France, M. Jules Lemaître, le comte et la comtesse d’Haussonville, la comtesse Edmond de Pourtalès, M. Forain, M. Lavedan, MM. Robert de Fiers et Gaston de Caillavet, les brillants auteurs du triomphal Vergy, et leurs femmes exquises ; M. Vandal, M. Henri Rochefort, M. Frédéric de Madrazzo, la comtesse Jean de Castellane, la comtesse de Briey, la baronne de Saint-Joseph, la marquise de Casa-Fuerte, la duchesse Grazioli, le comte et la comtesse Boni de Castellane.
Cela n’arrête pas une minute, et déjà les nouveaux arrivants désespérant de trouver de la place font le tour par le jardin et prennent position sur les marches de la salle à manger ou se perchent carrément debout sur des chaises dans l’antichambre. La baronne Gustave de Rothschild, habituée à être mieux assise au spectacle, se penche désespérément d’un tabouret sur lequel elle a grimpé pour apercevoir Reynaldo Hahn qui s’assied au piano. Le comte de Castellane, autre millionnaire habitué à plus d’aises, est debout sur un canapé bien inconfortable.
Il semblerait que Mme Lemaire ait pris pour devise – comme dans l’Évangile : « Ici les premiers sont les derniers », ou plutôt les derniers sont les derniers arrivés, fussent-ils académiciens ou duchesses. Mais Mme Lemaire par une mimique que ses beaux yeux et son beau sourire rendent tout à fait expressive fait comprendre de loin à M. de Castellane son regret de le voir si mal placé. Car elle a comme tout le monde un faible pour lui. « Jeune, charmant, traînant tous les cœurs après soi », brave, bon, fastueux sans morgue et raffiné sans prétention, il ravit ses partisans et dé-
(...)
La grande-duchesse Vladimir s’est assise au premier rang, entre la comtesse Greffulhe et la comtesse de Chevigné. Elle n’est séparée que par un mince intervalle de la petite scène élevée au fond de l’atelier, et tous les hommes, soit qu’ils viennent successivement la saluer, soit que pour rejoindre leur place, ils aient à passer devant elle, le comte Alexandre de Gabriac, le duc d’Uzès, le marquis Vitelleschi et le prince Borghèse montrent à la fois leur savoir-vivre et leur agileté en longeant les banquettes face à Son Altesse, et reculent vers la scène pour la saluer plus profondément, sans jeter le plus petit coup d’œil derrière eux pour calculer l’espace dont ils disposent.
(…) Reynaldo Hahn fait entendre les premières notes du Cimetière (…) Dès les premières notes du Cimetière, le public le plus frivole, l’auditoire le plus rebelle est dompté. Jamais, depuis Schumann, la musique pour peindre la douleur, la tendresse, l’apaisement devant la nature, n’eut des traits d’une vérité aussi humaine, d’une beauté aussi absolue. Chaque note est une parole – ou un cri ! La tête légèrement renversée en arrière, la bouche mélancolique, un peu dédaigneuse, laissant s’échapper le flot rythmé de la voix la plus belle, la plus triste et la plus chaude qui fut jamais, cet « instrument de musique de génie » qui s’appelle Reynaldo Hahn étreint tous les cœurs, mouille tous les yeux, dans le frisson d’admiration qu’il propage au loin et qui nous fait trembler, nous courbe tous l’un après l’autre, dans une silencieuse et solennelle ondulation des blés, sous le vent.
(…) « Puis, tout s’éteint, flambeaux et musique de fête », et Mme Lemaire dit à ses amis : « Venez de bonne heure mardi prochain, j’ai Taomagno et Reszké. » Elle peut être tranquille. On viendra de bonne heure.
DOMINIQUE. Le Figaro, 11 mai 1903.
LE SALON DE LA PRINCESSE EDMOND DE POLIGNAC
(...) Souvent données dans la journée, ces fêtes étincelaient des mille lueurs que les rayons du soleil, à travers le prisme des vitrages, allumaient dans l’atelier, et c’était une chose charmante que de voir le prince conduire à sa place, qui était celle du bon juge et du soutien fervent, celle de la beauté-reine, la comtesse Greffulhe, splendide et rieuse. Au bras du prince alerte et courtois elle traversait l’atelier dans le sillage murmurant et charmé que son apparition éveillait derrière elle et, dès que la musique commençait, écoutait attentive, l’air à la fois impérieux et docile, ses beaux yeux fixés sur la mélodie entendue, pareille à « … un grand oiseau d’or qui guette au loin sa proie. »
D’une politesse exacte et charmante avec tous ses invités, on voyait la figure du prince (la plus fine que nous ayons connue) s’animer d’une joie et d’une tendresse paternelles quand entraient les deux incomparables jeunes femmes que nous ne voulons que nommer aujourd’hui, nous réservant d’en parler plus tard, devant le magnifique et naissant génie desquelles il s’émerveillait déjà : la comtesse Mathieu de Noailles et la princesse Alexandre de Caraman-Chimay. Ces deux noms, qui ont la première place dans l’admiration de tout ce qui pense aujourd’hui, riches du double prestige de la gloire littéraire et de la beauté.
(…) Ces belles heures, ces fêtes de l’élégance et de l’art reviendront. Et dans l’assistance, rien ne sera changé. Les familles La Rochefoucauld, Luynes, Ligne, Croy, Polignac, Mailly-Nesles, Noailles, Olliamson, entourent la princesse de Polignac d’une affection à laquelle la mort du prince n’a rien changé, qui s’est accrue, si l’on peut dire, d’une reconnaissance profonde pour les années de bonheur qu’elle a données au prince, lui qu’elle a si bien compris, dont elle a si affectueusement de son vivant, si pieusement depuis sa mort, réalisé les rêves artistiques.
HORATIO. Le Figaro, 6 septembre 1903.
LE SALON DE LA COMTESSE D’HAUSSONVILLE
(…)
En dehors des personnes que nous avons déjà nommées, on voit souvent à Coppet quelques-uns des meilleurs amis de M. et Mme d’Haussonville, leurs enfants le comte et la comtesse Le Marois, la comtesse de Maillé, le comte et la comtesse de Bonneval, leurs beaux-frères et cousins Harcourt, Fitz-James et Broglie. La princesse de Beauvau et la comtesse de Briey y venaient l’autre jour de Lausanne, ainsi que la comtesse de Pourtalès et la comtesse de Talleyrand. De temps en temps, le duc de Chartres y fait des séjours. La princesse de Brancovan, la comtesse Mathieu de Noailles, la princesse de Caraman-Chimay, la princesse de Polignac, y viennent d’Amphion. Mme de Gontaut y vient de Montreux ; la baronne Adolphe de Rothschild de Prégny. On y applaudit quelquefois la comtesse de Guerne, née Ségur. La comtesse Greffulhe s’y arrête en allant à Lucerne.
Tout le monde y admire la comtesse d’Haussonville, le merveilleux essor d’un port incomparable, que surmonte, que couronne, que « crête » pour ainsi dire, une admirable tête hautaine et douce, aux yeux bruns d’intelligence et de bonté. Chacun admire le salut magnificient dont elle accueille, plein à la fois d’affabilité et de réserve, qui penche en avant tout son corps dans un geste d’amabilité souveraine, et par une gymnastique harmonieuse dont beaucoup sont déçus, le rejette en arrière aussi loin exactement qu’il avait été projeté en avant.
HORATIO. Le Figaro, 4 janvier 1904.
LE SALON DE LA COMTESSE POTOCKA
(…) Tous ses fidèles, la duchesse de Luynes douairière, Mme de Brantes, la marquise de Lubersac, la marquise de Castellane, la comtesse de Guerne, la grande cantatrice que je ne fais que citer aujourd’hui, la marquise de Ganay, la comtesse de Béarn, la comtesse de Kersaint, M. Dubois de l’Estang, le marquis du Lau, un de ces hommes de premier ordre, que les vicissitudes de la politique ont seules empêché de servir au premier rang et de briller aux premières places, le charmant duc de Luynes, le comte Mathieu de Noailles, dont le duc de Guiche vient d’exposer au Salon un portrait superbe de distinction et de vie ; le comte de Castellane (dont nous avons déjà parlé à propos du salon de Mme Madeleine Lemaire et dont nous aurons à reparler bientôt), le marquis Vittelleschi, M. Widor, enfin M. Jean Béraud dont nous avons déjà dit dans ce même salon de Mme Madeleine Lemaire la gloire, le talent, le prestige, le charme, le cœur, l’esprit – tous iraient jusqu'au bout du monde pour la retrouver parce qu’ils ne peuvent se passer d’elle.
Tout au plus, au début, lui laissèrent-ils sentir, comme elle ne paraissait pas le remarquer, qu’ils faisaient pour la voir un voyage assez difficile. « C’est très joli, lui dit le comte de La Rochefoucauld la première fois qu’il entreprit le pèlerinage. Est-ce qu’il y a quelque chose de curieux à visiter dans les environs ? » Parmi les visiteurs habituels de la comtesse, il en est un dont le nom est particulièrement aimé des lecteurs de ce journal, habitués à trouver dans ses chroniques une sorte d’opportunité philosophique, des applications saisissantes, comme dans cet article sur la manie d’écrire qui atteignait s’il ne les visait pas tant de jeunes gens du monde en mal de vocation littéraire. C’est le comte Gabriel de La Rochefoucauld. Vous avez tous vu ce grand jeune homme qui porte au front, comme deux pierres précieuses héréditaires, les clairs yeux de sa mère. Mais plutôt que de vous en parler moi-même, car ce n’est pas l’habitude ici que nos collaborateurs se louent les uns les autres, j’aime mieux citer à son sujet l’opinion d’un juge autorisé. « Il aura un extraordinaire talent, disait dernièrement M. Eugène Dufeuille ; il sera la gloire de son monde et il en sera aussi le scandale. »
(...)
Elle (la comtesse Potocka ) a connu tous les plus curieux artistes de la fin du siècle. Maupassant allait tous les jours chez elle. Barrés, Bourget, Robert de Montesquiou, Forain, Fauré, Reynaldo Hahn, Widor y vont encore. Elle fut aussi l’amie d’un philosophe connu, et si elle fut toujours bonne et fidèle à l’homme, en lui elle aimait à humilier le philosophe. Là encore je retrouve la petite nièce des Papes, voulant humilier la superbe de la raison.
(…) On comprend qu’elle puisse être bien séduisante avec sa beauté antique, sa majesté romaine, sa grâce florentine, sa politesse française et son esprit parisien.
HORATIO. Le Figaro, 13 mai 1904.
LA COMTESSE DE GUERNE
(…) il y a longtemps que la comtesse de Guerne a reçu ses lettres de plus grande naturalisation artistique ; et pour personne, pas plus pour les artistes que pour les gens du monde, elle n’est à aucun degré un amateur, mais une des deux ou trois plus grandes chanteuses vivantes.
Le salon de la comtesse Greffulhe...
L'article sur le salon de la comtesse Greffulhe, par Marcel Proust, hélas, n'est pas paru … Il a longtemps été considéré comme perdu...
Puis, redécouvert par Laure Hillerin lors de ses recherches pour sa biographie: ''La Comtesse de Greffulhe. L'Ombre des Guermantes ''. En explorant les archives « Je suis descendu sur une petite enveloppe bleue. Sur le recto, écrit au crayon: "article sur le suivi de Calmette". Au verso, au crayon bleu 'Soirée chez ctesse G.'. À l’intérieur, huit feuilles imprimées réunies au moyen d’un trombone, numérotées au crayon bleu. A la fin, une signature: Dominique. Mon cœur battait à tout rompre: j'avais découvert l'article inédit de Proust. »
Calmette du Figaro avait envoyé les épreuves à la Comtesse pour approbation. Apparemment, Mme Greffulhe a refusé la permission d'imprimer l'article.
Mme Greffulhe a écrit vers la fin de sa vie: « Il [Proust] m'a envoyé un portrait de moi qu'il a composé après m'avoir vu, ce qui était l'un des grands désirs de sa vie. Il m'a demandé de le lui retourner si je le trouvais bien. Mais, ayant très peur de la publicité à cause de mon mari, je l'ai caché à Bois-Boudran. Hélas! Est-il perdu? »
Anne-Laure de Sallembier a nécessairement croisé Marcel Proust (1871-1922) lors d'une réception ( comme nous le verrons plus loin, le 4 juin 1908 à un Dîner de la princesse Polignac), ou à Cabourg en ces mêmes années...
Elle s'est peut-être reconnue dans une partie du portrait que Proust publiera dans sa Recherche, et qui concerne Madame de Cambremer, même si - sur plusieurs aspects – il n'est guère favorable ….
« « Ne parlez pas à tort et à travers de Mme de Cambremer « , dit Swann, dans le fond très flatté. « Mais je ne fais que répéter ce qu’on m’a dit. D’ailleurs il paraît qu’elle est très intelligente, je ne la connais pas... »
« M. de Cambremer », me dit-il. « Ah ! C’est vrai, mais c’est d’une ancienne connaissance que je te parle. (…) Je lui répondis que je le connaissais en effet et sa femme aussi, que je ne les appréciais qu’à demi. Mais j’étais tellement habitué, depuis que je les avais vus pour la première fois, à considérer la femme comme une personne malgré tout remarquable, connaissant à fond Schopenhauer et ayant accès, en somme, dans un milieu intellectuel qui était fermé à son grossier époux, que je fus d’abord étonné d’entendre Saint-Loup répondre : « Sa femme est idiote, je te l’abandonne. Mais lui est un excellent homme qui était doué et qui est resté fort agréable. » Par l’« idiotie » de la femme, Saint-Loup entendait sans doute le désir éperdu de celle-ci de fréquenter le grand monde, ce que le grand monde juge le plus sévèrement. »
Les Cambremer, font partie de la petite aristocratie de province; et la jeune Madame de Cambremer est une jeune femme intelligente et ambitieuse qui rêve d’être admise dans le milieu des Guermantes. Elle est très jolie et rend jalouse beaucoup de femmes. Elle a été amoureuse de Swann et a eu une liaison avec lui dans sa jeunesse.
Anne-Laure de Sallembier a souhaité, en effet, fréquenter le Monde et ses salons; mais, c'était pour satisfaire avant tout sa Quête...
Anne-Laure, mariée, s'était ennuyée à suivre, soumise, le rythme de son vieux mari, qui découvre sur ses terres le plaisir de la chasse, et le soir, le jeu de cartes ; puis, sa grossesse l'a contrainte à l'ennui total coincée dans sa propriété de Fléchigné, alors qu'elle rêvait de la vie mondaine parisienne...
A Paris, et avec son mari, elle a fréquenté les salons ''orléanistes''. Sallembier est proche du duc de Broglie (1821-1901), et de son fils Victor de Broglie (1846-1906). A Paris, ils retrouvent Albert de Mun... Par son entremise, ils seront reçus chez José-Maria de Heredia...
Albert de Mun, a pour cousine, Élisabeth de Gramont, duchesse de Clermont-Tonnerre. De plus, le frère d'Albert : Robert de Mun, a épousé le tante de la duchesse, Jeanne de Gramont. Anne-Laure va se lier avec Élisabeth de Gramont (1875-1954)...
Veuve, son intelligence, et sa beauté ; lui ouvrent bien des portes... Et, sa grande curiosité va lui permettre de dépasser les couleurs politiques, et même sociales des nombreux salons qui agitent les soirées parisiennes sous la troisième République.
Les ''gens de lettres'', les artistes, sont les principaux faire-valoir d'une soirée... Anne-Laure recherchent particulièrement les philosophes et les scientifiques...
Ainsi, dans les années précédant ce nouveau siècle, le salon de Lydie Aubernon, est resté célèbre pour ses conversations qu'elle dirigeait à la baguette... On pouvait rencontrer le philosophe mondain Elme Caro, vulgarisateur de Schopenhauer, Ferdinand Brunetière, directeur de la Revue des Deux Mondes, et le médiéviste Gaston Pâris, ou Renan, ou Alexandre Dumas …
Aujourd'hui ( ces premières années 1900...), les salons sont plus restreints, certains sont établis autour des rédactions de revues comme celui de La Plume ou du Mercure de France, qu'Anne-Laure va être invitée à fréquenter ; mais seulement, après avoir commencé dans des salons plus mondains, où quelques proches l'ont introduite...
Une femme de la bourgeoisie, aussi modeste soit-elle, se doit de consacrer un jour par semaine pour recevoir des visites... Les autres jours, pour les faire...
Le salon, est la pièce d'apparat du bourgeois où trône le piano, au milieu du mobilier ''Louis-Philippard'', ou mieux Henri III, ou encore mieux signés ou imités de Boulle.. Des portraits de famille couvrent les murs, un fond de peluche ou de velours rouge, éclairé par des becs Auer au gaz. Les bibelots encombrent les meubles... La Princesse de Polignac remplace les "portraits de famille" par des Monet...
Des personnalités reçoivent comme José Maria de Heredia (1842-1905) au 11bis rue Balzac:
Henri de Régnier, se souvient : la première fois, chez Heredia :
« Je me rappelle que la pièce où l’on nous introduisit était pleine de soleil et de fumée. Il y avait là des gens, mais je ne sais plus qui. Heredia était debout quand nous entrâmes. Je me souviens du brun et affable visage, de l’accueil chaleureux, de la main tendue cordialement. J’entendis la voix sonore et parfois hésitante et je me sentis soudain rassuré et à l’aise dès les premières paroles amicalement louangeuses du poète.
(…) Il venait beaucoup de monde, le samedi, chez Heredia. C’était un défilé incessant. Mais il y avait aussi les habitués, ceux qui venaient là, non pas en visite, mais qui y passaient la journée ou une partie de la journée. Je devins assez vite de ceux-là. (…) On se sentait moins dans un salon que dans une espèce de cercle. Aussi dépassait-on facilement les limites de la visite ordinaire. (…) L’obligation de manquer à cette habitude hebdomadaire était un contretemps fâcheux. Le samedi était à Heredia, comme le mardi soir à Mallarmé.
(…) que de visages j’y vis passer ! Certains y revenaient assez régulièrement, d’autres à intervalles variables. J’y ai vu Prévost et Barrès – lui rarement. J’y ai vu Maupassant, Jules Breton, Callias, Pouvillon, Pomairols, Tiercelin, le marquis de Gourjault, qui avait été l’ami de Théophile Gautier, le musicien Benedictus, qui était celui de Judith Gautier, le baron de Pontalba, Chenevière, Nolhac, Cazalis, qui encore ? »
Tous les vendredis, les Saint-Marceaux : le sculpteur René de Saint-Marceaux 1845-1915) et sa femme, née Marguerite Callou, en couple uni, reçoivent dans leur appartement du 100 boulevard Malesherbes. Salon d'artiste, on doit venir en tenue de travail, présenter ses œuvres … On y rencontre Jean-Louis Vaudoyer, Chausson, Lalo, Vincent d'Indy, Paul Dukas, Sargent, Claude Monet, André Messager, Henri Gauthier-Villars (Willy) et sa femme (Colette), Ravel, Pierre Louÿs, Debussy, Fauré.
Marcel Proust s'est inspiré de '' Meg '' pour le personnage de Madame Verdurin...
Elle critique le snobisme et les positions dreyfusardes, de la Comtesse Greffulhe... Et, c'est vrai que la simplicité de Marguerite de Saint-Marceaux, attire de nombreux artistes, même ceux qui n'apprécient pas '' le monde '', comme Debussy...
« Une fine chienne bassette, Waldine, écoutait, une ouistitite délicieuse venait manger des miettes de gâteau, un peu de banane, s’essuyait les doigts à un mouchoir avec délicatesse, attachait aux nôtres ses yeux d’or, actifs et illisibles. De telles licences, discrètes, quasi-familiales, nous plaisaient fort. Pourtant nous nous sentions gouvernés par une hôtesse d’esprit et de parler prompts, intolérante au fond, le nez en bec, l’oeil agile, qui bataillait pour la musique et s’en grisait. Là, je vis entrer un soir la partition de Pelléas et Mélisande. Elle arriva dans les bras de Messager, et serrée sur son cœur, comme s’il l’avait volée. Il commença à la lire au piano, de la chanter passionnément, d’une voix en zinc rouillé.
Souvent, côte à côte sur la banquette d’un des pianos, Fauré et lui improvisaient à quatre mains, en rivalisant de modulations brusquées, d’évasions hors du ton. Ils aimaient tous deux ce jeu, pendant lequel ils échangeaient des apostrophes de duellistes : “Pare celle-là !... Et celle-là, tu l’attendais ?... Va toujours, je te repincerai...”
Fauré, émir bistré, hochait sa huppe d’argent, souriait aux embûches et les redoublait...
Un quadrille parodique, à quatre mains, où se donnaient rendez-vous les leitmotive de la Tétralogie, sonnait souvent le couvre-feu… » Colette Willy
Revenons à la Théosophie, à ne pas lier forcément à la Société théosophique, fondée elle, en 1875, lors de la fondation en Amérique de la Société théosophique par Helena Petrovna Blavatsky et le colonel Olcott. Nous y reviendrons....
Le principe de la Théosophie chrétienne, pourrait remonter à Jacob Boehme ( allemand, XVIIe siècle)...
Mais ce que, Anne-Laure de Sallembier, en ces années 1900, retient : c'est l'enseignement d'une expérience de Dieu, intuitive, analogique ( le jeu des correspondances ) et symbolique. La théosophie aide à répondre aux questions existentielles ( pourquoi le monde, le mal, la mort … ?). L'idée de Nature, englobe le divin, l'humanité et l'univers... Tout le visible est le miroir de l'invisible, il peut être compris et vécu comme une expérience mystique...
L'aspect mythique de la révélation chrétienne est privilégié ; et les aspects dogmatique et clérical de la religion sont rejetés... L'aller-retour entre la raison, et l'expérience personnelle est privilégié. La science est valorisée, mais reste insuffisante pour modéliser la réalité...
Pour ce qui est de la Société théosophique, la successeure de Mme Blavatski, Annie Besant (1847-1933), est une authentique militante socialiste féministe. Elle va tenter de promouvoir, dans l’esprit prophétique du début du siècle, un nouveau Messie instructeur de l’humanité... Ce rôle fut confié à un jeune Indien Jiddu Krishnamurti (1896-1986) qui rejeta finalement cette lourde charge comme l’avait fait Claire Bazard choisie par les saint-simoniens comme Femme-Messie en 1832.
En Allemagne, Franz Hartmann (1838-1912),un médecin allemand, franc-maçon, théosophe, martiniste, occultiste, géomancien, astrologue et auteur d'ouvrages ésotériques ; fonde une société théosophique allemande, et en 1906, est membre fondateur, de l'Ordo Templi Orientis (O.T.O.).
En France, c'est Lady Caithness (1830-1895), amie de H.P. Blavatski ( qui était plutôt ouverte aux spiritualités orientales), qui prend la tête d’une théosophie chrétienne, et donc scissionnaire, en profitant du passage par son salon de la quasi-totalité du monde occultiste parisien. La question du christianisme provoquera également la rupture de Rudolph Steiner (1861-1925) dans le monde germanophone à la veille de la guerre, soucieux d’intégrer l’acquis traditionnel occidental dans sa démarche d’acculturation de l’ésotérisme au monde moderne.
Même problématique :
Joséphin Péladan (1858-1918) affirme rester catholique, et s'oppose à Stanislas de Guaita (1861-1897 à 36ans) chrétien, mais à l'esprit éclectique ( christianisme, bouddhisme, spiritisme …) Tous deux avaient fondé l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, dont fit aussitôt partie Papus ( passé pat la Théosophie) … Tous les jeudis soirs, les ''gnostiques'' se réunissent avenue Trudaine chez Stanislas de Guaïta. En collaboration avec son secrétaire et ami Oswald Wirth, Stanislas de Guaita réalise un Tarot...
Gérard Encausse, dit Papus, (1866-1916) est l'un des grands animateurs de la vie occultiste parisienne pendant la Belle Epoque. Papus avait fait des études de médecine et comptait nombre de médecins dans ses proches amis et disciples. il décédera en 1916, ''victime d'un envoûtement''... ou d'une tuberculose … Les amis de Papus se réunissaient au siège de la Librairie du Merveilleux, 29 rue de Trévise.
En 1909, la '' Librairie du Merveilleux'' est au 76, rue de Rennes, à Paris, et elle est tenue par Pierre Dujols (1862-1926) et sa conjointe Mademoiselle Charton ( bretonne, née en 1868) , devenue son épouse en 1887... Elle aime à faire sa prière le soir en regardant le coucher du soleil. Elle est décrite par Mme Dubois comme ayant des dons de clairvoyance, faisant des rêves prémonitoires, lisant les lignes de la main et dans les cartes.
Ici, Anne-Laure de Sallembier, a pu croiser: Joris-Karl Huysmans, l'abbé Mugnier, l'artisan de la conversion de J. K. Huysmans, la cantatrice Emma Calvé, Paul Sédir, Paul Adam, Victor-Emile Michelet, Stanislas de Guaïta, Josephin Péladan, Charles Maurras, Villiers de l'Isle-Adam, Maurice Barrès, Catulle Mendès ( l'ex-mari de Judith Gautier) , Augusta Holmès ( maîtresse et compagne de Catulle M.), Victorien Sardou, et même le sceptique Anatole France... Et aussi, anecdotiquement, Mademoiselle Sarah Bernhardt...
Beaucoup de ces personnes, peuvent aussi se retrouver à ''La librairie de l'Art indépendant'', d'Edouard Bailly... Haut lieu de l'ésotérisme parisien...
Même si, Huysmans et Jules Bois vont s’opposer fermement à Papus et à Guaïta.
Judith Gautier, regrette et s'écarte des excès de Péladan, Guaïta, Papus, Paul Adam, Léon Bloy, Jules Bois, Huysmans, l'abbé Boullanet quelques autres, luttant à grand renfort d'anathèmes, de maléfices fluidiques, envoûtements, exorcismes, jusqu'au duel à l'épée ou au pistolet … !
Parmi les femmes plus rares dans ce monde d'hommes ; on remarque :
Emma Calvé, cantatrice, maîtresse de Jules Bois qui fut le grand ami de Maurice Leblanc. Emma Calvé était la meilleure amie de Georgette Leblanc...
''On'' dit, comme la légende ..., qu'elle aurait été en relation avec le fameux abbé Saunière, curé de Rennes-le-Château qui dépensa une fortune, d'origine inconnue...
Augusta Holmès (1847-1903), égérie et véritable compagne de Catulle Mendès, est compositrice.
Vers 1869 elle devient la compagne de Catulle Mendès (1841-1919), écrivain prolifique très en vogue, directeur de journaux littéraires, actif dans le mouvement poétique dit du «Parnasse». Catule Mendès est marié avec Judith Gautier (la fille du poète Théophile Gautier) depuis 1866... Raphaël, le premier enfant d'Augusta Holmès et de Catulle Mendès naît en mai 1870.
Elle gagne les milieux parisiens vers 1870, se distingue par la ferveur qu'elle porte à la musique de Wagner, fait une forte impression et devient rapidement une célébrité. Pougin la décrit comme une jeune femme d'une beauté rayonnante, à l'opulente chevelure blonde, au regard clair, perçant et assuré, à l'allure fière et décidée. Elle fera l'admiration de Liszt, Wagner, Gounod et de Saint-Saëns dont elle repousse une demande en mariage tout en liant avec lui une amitié durable.
En 1899, elle prend le parti réactionnaire de Déroulèdes et prend cause pour les «anti-dreyfusards».
Son salon est témoin d'étonnantes expériences occultes: racontées dans ''L'au-delà et les forces inconnues'' de Jules Bois... Enfin, elle se convertit au catholicisme et prend pour prénom Patricia.
Sources : de Agnès de Noblet : ''UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier'' - dictionnaire – L'Harmattan 2003
Laure de Sallembier, par l’influence de Rudolf Steiner , s'est démarquée de « l'occultisme non scientifique » ; et garde du mot ''occulte'' un synonyme à ''initiatique''. Pour elle l'anthroposophie est une connaissance spirituelle de l’Évolution, qui relie l'être humain aux autres êtres vivants...
Anne-Laure de Sallembier, n'a pas pu rencontrer Lady Caithness ; mais elle en a entendu beaucoup parler; et en particulier par Judith Gautier et par Camille Flammarion...
Son grand-père, Charles-Louis avait rencontré chez Balzac, la toute jeune épouse du Comte de Medina Pomar ; elle évoquait déjà certaines expériences occultes …
Bien plus tard, à Paris, Lady Caithness reçoit chez elle - tous les mercredis du printemps à l'automne - et invite des intervenants sous forme de conférences, comme le médecin Charles Richet (1850-1935), élève de Charcot et analyste des phénomènes parapsychologiques ( futur lauréat du prix Nobel) , l'astronome Camille Flammarion (1842-1925), le spirite Léon Denis (1846-1927) ou Annie Besant (1847-1933), future présidente de la Société théosophique.
«Réunion des plus élégantes hier, chez la duchesse de Pomar, pour entendre la conférence de Léon Denis sur la doctrine spirite. D'une éloquence très littéraire, l'orateur a su charmer son nombreux auditoire en lui parlant de la destinée de l'âme qui peut, dit-il, se réincarner ici-bas jusqu'à épuration parfaite.(...) » 7 juin 1893 - Article de Journal...
Voici un programme, joint avec une carte de visite...
18 Avril 1894 - M. Camille Flammarion : Les étoiles et l'infini.
26 Avril - M. le Professeur Bonnet-Maury : Le Congrès des religions à Chicago.
2 Mai - Mme Hardinge Britten : Le spiritualisme moderne (en anglais).
9 Mai - M. le Professeur Ch. Richet : La Paix internationale.
18 Mai - M. Victor du Bled : La femme au XVIII° siècle.
23 Mai - M. Léon Denis : Le Problème de la vie et de la destinée.
30 Mai - M. l'abbé Petit : L'Esprit nouveau.
Le Journal parisien l’Événement, du 21 mars 1895 : «Orateur littéraire, armé d'une ardente conviction, Léon Denis a su vite conquérir l'auditoire mondain qui se pressait dans la salle des fêtes de l'hôtel de Pomar, et c'était un plaisir de voir cet essaim de belles dames de l'aristocratie parisienne, amusées au début par quelques pensées frivoles, modifiant peu à peu l'expression de leurs regards pour devenir graves et montrer une attentive fixité »
Lady Caithness soutient financièrement la branche française de la Society for Psychical Research Society chargée d'étudier les phénomènes paranormaux... Elle compte parmi ses membres des personnalités aussi diverses qu'Arthur Conan Doyle, Henri Bergson, Camille Flammarion, le chimiste William Crookes et le naturaliste Alfred Russel Wallace.
Voici le témoignage de la jeune Alexandra David-Néel :
«Elle habitait un très vaste et somptueux hôtel, remarquable par un escalier monumental en marbre rose. La maîtresse du logis recevait dans une chambre à coucher dont le plafond peint représentait le Cercle de l'étoile, c'est à dire plusieurs centaines de figures de bienheureux et d'anges disposés en rangées concentriques autour d'une étoile d'or.(...) Le jour de la maîtresse de maison l'on discutait dans cette chambre de théories occultes et de recettes d'alchimie mais, surtout de l'évocation des Esprits. La duchesse et ceux qu'elle recevait étaient tous des adeptes du spiritisme.»
Lors de ces séances, l'exploratrice croise Camille Flammarion, attablé avec une douzaine d'autres personnes dans la chapelle faiblement éclairée. « Les Esprits qui se manifestent dans des séances des spirites sont des élémentaires, des âmes désincarnées plus ou moins longtemps conscientes. Elles sont plus ou moins intelligentes, souvent hébétées aussi, par l'état inconfortable que leur créent leur manque d'enveloppe matérielle et l'impossibilité où elles se trouvent, faute d'organes sensoriels, de participer encore à l'activité du monde auquel elles ont appartenu. Ces élémentaires cherchent activement les occasions de se réincarner et de nouer avec les vivants des relations propres à leur faciliter cette réincarnation. Or, à défaut de celle-ci, ces entités tendent à occuper temporairement les individus incapables de s'opposer à leur emprise ou ceux qui la subissent volontairement. De là, les phénomènes de possession et de médiumnité...»
L’intérêt d'Anne-Laure s'est portée, également, sur la période où elle vécut en Ecosse... Elle a épousé James Sinclair, le 14ème comte de Caithness, le 6 mars 1872.
Une nuit, alors qu'elle dormait dans un château de Caithness (le château de Thurso) , elle eut un songe qui lui enjoignait de se rendre immédiatement à la chapelle du château royal de Holyrood... Ce qu'elle fit... Elle vécut cette nuit là, une expérience médiumnique avec Mary Stuart... Expériences qui se reproduiront...
Holyrood Abbey, a été envisagée en 1906, comme chapelle pour les Chevaliers du Chardon -
Un 24 juin 1314, à Bannockburn, Robert Bruce roi d'Ecosse battait Edouard II roi d'Angleterre, gendre de Philippe IV le Bel. En ce jour de victoire il institua l'Ordre de Saint-André du Chardon d'Ecosse, en l'honneur du saint patron de l'Ecosse, en y insérant les Templiers écossais qui avaient participé à la bataille et qui n'avaient plus de nom depuis la destruction de leur Ordre. Il cessa d'exister après la mort de Marie Stuart: tombé dans le silence, le secret, cet Ordre fut réveillé par Jacques VI d'Ecosse, fils de la reine Marie Stuart et de son époux et cousin Henri Stuart de Lennox, seigneur de Darnley. De nouveau tombé dans l'oubli, le secret et le silence, il fut réveillé une troisième fois (1687) à Saint-Germain-en-Laye par son petit-fils Jacques VII d'Ecosse, roi d'Angleterre ( sous le nom de Jacques II), d'Ecosse et d'Irlande... La reine Anne le reconstitua en 1703, et, vingt ans plus tard, le roi Georges 1er le confirma solennellement et en modifia les statuts.
Cet ordre se compose aujourd'hui d'une seule classe de membres, portant tous le titre de chevaliers. Il est destiné à récompenser le mérite et les services de la noblesse d'Ecosse.
“Qui s’y frotte, s’y pique''...
Une superstition populaire voyait en lui un don du Diable. Néanmoins, le chardon évoque aussi l'amour et le labeur qui résistent aux épreuves et aux souffrances. Il est associé aux amours terrestres d'Aphrodite ainsi qu'à l'amour miséricordieux de la Vierge Marie. On lui a également attribué des vertus curatives, de purification et de longévité. En Écosse, dont il est l'emblème national, le chardon est célébré dans une légende du Xe siècle : espérant attaquer furtivement le château de Staines, les envahisseurs vikings ôtèrent leurs bottes ; les Écossais avaient rempli les douves asséchés de chardons et furent avertis par les cris de douleur de l'ennemi (Heilmeyer). Faisant jaillir une belle fleur hors d'une tige rêche, les racines du chardon auraient la propriété de dissiper la mélancolie."
Le peintre ''allemand'' Albrecht Dürer, peintre, mais aussi féru de mathématiques, représente dans ses tableaux de nombreux symboles : compas, la pierre taillée, le sablier, l’échelle, le triangle lumineux. Dans un célèbre autoportrait, Dürer se représente tenant à la main un chardon, selon les uns il représente la fidélité : le chardon gage de son amour pour sa femme ( que l'on dira ensuite très revêche...!) et pour d'autres ce serait le symbole de l’initiation. Le chardon est la fleur du soleil, c’est l’image de la vertu cachée protégée par ses piquants....
Selon les légendes qui courent ici, il y aurait un lien entre l'abbaye de Holyrood et la chapelle de Rosslyn... Nous sommes alors en 1545-46, la régente d'Ecosse et Sir William Sinclair de Roslin (petit-fils du fondateur de la chapelle Rosslyn), signent un accord dans lequel il est écrit : « et le secret confié à nous, nous le garderons... ». Cela concernerait un ''trésor'', celui de Holyrood, caché par les Sinclair sous les voûtes souterraines de la célèbre chapelle Rosslyn...
Ce trésor contenait sans doute des reliques : '' le fragment de la Vraie Croix, dans son reliquaire en argent, en or et en bijoux; le Crucifix sacré ou noir de l'Écosse, qui a été maintenu pendant cinq siècles comme le symbole sacré le plus précieux de la nation par le premier saint-clair-écossais, l'échanson de la reine Marguerite et de la famille St. Clair. "
La chapelle de Rosslyn nécessita quarante années de travaux, et fut achevée en 1486, soit 6 ans après le décès de son créateur William Sinclair (11th baron), qui y fut enterré.
Son père, Sir Oliver St Clair, douzième baron de Rosslyn, avait poursuivi les travaux de construction de la chapelle Rosslyn et avait quatre enfants, dont deux évêques - Henry et John -, qui officièrent lors du mariage entre Marie, reine d'Écosse, et Henry Stuart, lord Darnley, dans l'église de Holyrood le 29 juillet 1565. Il convient également de noter que le XIVe baron de Rosslyn, également appelé William, fut nommé président de la Cour suprême d'Écosse par la reine Marie en 1559.
Plusieurs Sinclair ont été enterrés dans l'abbaye …
Lady Caithness a décrit son expérience avec Mary Stuart dans une brochure intitulée A midnight visit to Holyrood (1884) .. A la suite de quoi Lady Caithness a décidé de vouer sa vie à la spiritualité, comme il le lui avait été demandé : « (…) tu as été choisie (…) parce que tu as une nature complète et bien équilibrée qui te permet de voir et de comprendre tous les côtés de la vérité. » .
Lady Caithness décède à Paris le 2 novembre 1895. Elle sera inhumée à Holyrood..
La Légende arthurienne est le ''véhicule'' d'une quête personnelle ... à travers une lignée et les siècles...
Chronologie
Louis VII de France, (1120-1180), roi des Francs de 1137 à 1180.
Henri II d'Angleterre (5 Mars 1133 au 6 Juillet 1189)
Aliénor d'Aquitaine (1122 ou 1124 à 1 Avril 1204)
Marie , comtesse de Champagne (1145 - 1198) est la fille aînée de Louis VII de France et de sa première épouse, Aliénor d'Aquitaine .
Geoffrey de Monmouth, Historia regum Britannie 1136 (latine)
Wace (1100- 1174) Roman de Brut , c. 1155 (anglo-normande)
Chrétien de Troyes (1135-1185)
Wolfram d'Eschenbach ( 1170-1220)
- La cathédrale d'Otrante, c. 1163 Mosaique : Rex Artirus
- ''Découverte'' de la tombe d'Arthur : 1190 (latin ) rapportée par Gerald of Wales
Le cycle de la Vulgate : la Queste del Saint Graal , la Mort (le roi) Artu , le Lancelot , le Estoire del Saint Graal , et la Vulgate Merlin c. 1215-1235 (Français)