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1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 1 –

Publié le par Régis Vétillard

L'hebdomadaire ''Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques'' du 11 janvier 1951, offre un bel article sur le père jésuite Teilhard de Chardin ( 1881-1955). Il est à présent une des personnalités du monde religieux les plus célèbres, alors que ses écrits non scientifiques sont confidentiels, comme ses conférences.

Nommé Directeur de recherche au CNRS et élu à l'Académie des sciences. Teilhard est célèbre, et très controversé. Il sollicite Rome et interroge le Saint-Office. Fin d'année 1948, il apprend la décision de Rome : - 'non' à la publication de ses œuvres autres que scientifiques, - 'non' à son acceptation de la chaire de paléontologie humaine qu'on lui propose au Collège de France, - 'non' à sa présence en France où ses idées trouvent trop d'écho.

 

Le père Coignet, par exemple, proche d'une spiritualité ''type Bossuet '', lui reproche de vouloir faire du christianisme une religion de l'évolution, de nier le problème du Mal et de supprimer les notions de péché, de fausser les notions de vie sacramentaire, de Révélation et d'en supprimer tout élément surnaturel. Il lui reproche de poser en principe, la collectivisation fatale de la société. Il note cependant un effort pour repenser nos grandes vérités chrétiennes dans le cadre de la pensée contemporaine ; même s'il en constate l'échec.

A l'opposé, Jean Rostand ( 1894-1977 - agnostique, libre penseur ) lui reproche d'affirmer – au nom de la science – que l'évolution a un dessein : celui d'aboutir à l'Homme ( ou à un ''surhumain''). Il décèle en lui, une volonté désespérée de croire, Teilhard se serait écrié : « la seule issue est la foi aveugle et absolue... Coûte que coûte, je le crois, il faut se cramponner à la foi en un sens et un terme de l'agitation humaine. »

 

Lancelot est sensible au difficile combat que Teilhard mène à la fois contre les méthodes de l'Eglise Romaine, d'un autre temps et de plus en plus discutées jusqu'à cette conviction manifestement fausse que le Monde a été créé par Dieu une fois pour toutes ; et aussi contre une vison scientiste et mécaniste du monde.

* Oui, Teilhard est résolument évolutionniste. Dans un texte de 1921, le père écrit: «Dieu fait moins les choses qu'il ne les fait se faire» et dans un texte de 1922 : «Plus nous ressuscitons scientifiquement le Passé, moins nous trouvons de place, ni pour Adam, ni pour le Paradis terrestre.». Le Cardinal Merry del Val, de la Curie Romaine - qui, très engagé dans la lutte contre le modernisme fit condamner le Sillon de Marc Sangnier – lui reproche de nier le dogme du Péché originel...

* Et, le combat de Teilhard est aussi de s'opposer à une vision mécaniste du monde : Forts de notre vision scientifique, nous avons abandonné une vision holistique du monde, pour une vision essentiellement mécaniste.

Que s'est-il passé ? R. Descartes (1596- 1650) acquiert la certitude que les lois de la nature sont accessibles à l'intellect, et permettent à notre esprit de déterminer l'essence des choses. ( Ego cogito, ergo sum ). Il estime que la pratique de la science permet de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » Discours de la Méthode (6e partie).

Avec Descartes, nous avons pensé que tous les aspects des phénomènes complexes peuvent être compris en les réduisant à leurs éléments constituants. La matière comme objet scientifique est quantifiable ; et ses qualités, sont vues comme étant issues du processus mental et non des propriétés de l’objet même. Newton (1642-1727) va valider cette intuition cartésienne. Sa théorie permet de formuler des lois générales du mouvement des corps solides, jusqu'aux objets du système solaire. L'idée d'un '' Monde – machine'' s'impose et cette vision mécaniste s'étend à la sociologie, à l'économie... L'humain seul réunit deux substances, la matière et l'esprit.

*Teilhard se situe à l'opposé de cette vision mécaniste du monde :

** Autour de 1910, Teilhard lit L’Evolution créatrice (1907) de Bergson, et comprend, au contraire, qu'il existe « une hétérogénéité de fond entre Matière et Esprit - corps et âme, inconscient et conscient, deux “substances” de nature différente […] non point deux choses, mais deux états, deux faces d’une même étoffe cosmique ». Cependant, Bergson dissocie âme et corps, et envisage l'immortalité de l'âme. Teilhard préfère unir ce que Bergson sépare, et va beaucoup plus loin sur l'étendue de la conscience ( Bergson s'en tient aux animaux), il l'a fait déborder du vivant à l'Univers entier....

Je reviens à cet article des Nouvelles littéraires (1951), qui permet au père jésuite d'expliquer ses intuitions : « (...) dans l’ordre de la pensée scientifique, la découverte, la prise de conscience, veux-je dire, de l’idée d évolution — d’évolution biologique, j’entends — me permettait de relier, dans le domaine de l’expérience, les deux notions d’énergie matérielle et d’énergie psychique. »

« (…) je ne suis ni un philosophe ni un théologien, mais un étudiant « du phénomène » (un physicien au vieux sens grec). Or, à ce modeste niveau de connaissance, ce qui domine ma vision des choses, c’est la métamorphose que l'homme nous oblige à faire subir à l’univers autour de nous à partir du moment où (conformément aux invitations impérieuses de la science) on se décide à le considérer comme formant une part intégrante, native, du reste de la vie. Comme suite, en effet, à cet effort d’incorporation, deux constatations capitales émergent, si je ne me trompe, dans notre perception expérimentale des choses. La première étant que l’univers, bien plus que par une « entropie » (le ramenant aux états physiques les plus probables), est caractérisé par une dérive préférentielle d’une partie de son étoffe vers des états de plus en plus compliqués, et sous-tendus par des intensités toujours croissantes de « conscience ». De ce point de vue strictement expérimental, la vie n’est plus une exception dans le monde ; mais elle apparaît comme un produit caractéristique — le plus caractéristique — de la dérive physicochimique universelle. Et l’humain, du même coup, devient, dans le champ de notre observation, le terme provisoirement extrême de tout le mouvement. L’humain : un bout du monde...

» Ceci posé, la deuxième constatation à laquelle on se trouve amené, à mon avis, par une acceptation scientifique intégrale du « phénomène humain », c’est que le courant de complexité-conscience, dont le psychisme réfléchi (c’est-à-dire la pensée) est expérimentalement issu, n’est pas encore arrêté ; mais que, à travers la totalisation biologique de la masse humaine, il continue à fonctionner — nous entraînant, par effet biologique de socialisation, vers certains états encore irreprésentables de réflexion collective — c’est-à-dire, comme je dis, vers quelque « ultra-humain ». »

 

** 1900, Max Planck, avec l'hypothèse des quanta, ruine la vision mécaniste du monde. Il écrit : « …une réalité métaphysique se tient à l’horizon du réel expérimental. » ( Max Planck, L’image du monde dans la physique moderne p 74 -1949 ) Puis, avec les relations de Heisenberg, c'est le rêve de Laplace d'un déterminisme absolu, qui s'écroule.

La physique quantique, qui analyse les composants ultimes (particules élémentaires ou quantons), met en évidence une indétermination radicale, et des propriétés de continu et de discontinu...

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