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Après la Grande Guerre, le Monde, les salons... 1

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot, qui a bénéficié pendant quatre années du préceptorat de l'abbé Degoué ; craint pour cette première année universitaire d'être distancé ; aussi est-ce avec application et assiduité et recherchant l'attention de ses professeurs, qu'il va somme toute, avancer vite, avec méthode et, au final, accomplir brillamment son cursus jusqu’à la licence...

A son avantage, il profite de bonnes conditions matérielles ; avec un grand appartement et une gouvernante à ses soins, qui ne manque pas d'effectuer son rapport régulier à sa mère ; elle le rejoint de temps à autre... Il se rend, régulièrement, au ministère des armées, pour rendre compte de ses études, et se préparer au concours de rédacteur...

Seule ombre, dans cette vie studieuse, son amie Jeanne, qui disparaît de longs jours, sans donner de nouvelle, puis revient avec une envie précise, pour laquelle elle sait se montrer très convaincante afin d'entraîner le jeune homme avec elle... En général, il s'agit de se mettre sur la piste d'un écrivain, et s'introduire dans ce monde réservé à la grande bourgeoisie, et aux artiste renommés...

Anne-Laure de Sallembier, voulut s'informer de la demoiselle, sujet de cette amourette, et les surprenant tous deux ; les emmène un après-midi au salon de thé Angélina, près des Tuileries goûter un chocolat chaud... Son idée, qu'elle partage bien vite à son fils ; est que la demoiselle l'utilise pour pénétrer le monde. Jeanne serait certes, une jeune et jolie jeune fille intelligente; mais, elle déconcerte la comtesse de Sallembier par son ambition qui lui semble démesurée et pour le moins, peu adaptée, pour une jeune étudiante dépourvue de fortune...

Angelina, salon de thé

Jeanne parle très peu de ses parents, encore moins de sa jeunesse ; mais se montre prolixe pour se projeter dans ses aspirations; comme celle d'envisager reprendre les affaires de son père et développer sa maison d'édition ; ou devenir journaliste et écrivain comme Colette, ou une grande avocate, métier peu féminin, de l'avis de la comtesse...

 

A Paris, et avec son mari, La Comtesse de Sallembier avait fréquenté les salons ''orléanistes''. Sallembier était proche du duc de Broglie (1821-1901), et de son fils Victor de Broglie (1846-1906). A Paris, ils ont retrouvé Albert de Mun, légitimiste et social chrétien... Malheureusement, celui-ci meurt en 1914... Anne-Laure a souhaité être présente, avec son fils, à une soirée en son honneur, le samedi 24 janvier 1920. Elle présente Lancelot au général Édouard de Castelnau, conférencier, qui continue à porter le message d'Albert de Mun, celui d'une droite sociale...

 

Albert de Mun, a pour cousine, Élisabeth de Gramont, duchesse de Clermont-Tonnerre. Anne-Laure s'était liée à Élisabeth de Gramont, du même âge qu'elle, et s'en est éloignée après la guerre... C'était peut-être bien par son entremise qu'elle fréquentait le cercle littéraire du '' Mercure de France '', et surtout qu'elle a rencontré Remy de Gourmont, et l'a visité semble t-il assez souvent : rencontres surréalistes ! ( enfin, disons ''symbolistes''...), jusqu'à sa mort en 1915...

1921

Les femmes du monde, même si elles ne revendiquent pas la notoriété des hommes, ne sont pas sans influence, et sans talent ...

Anne-Laure de Sallembier a repris dans ses carnets, beaucoup de ces apports féminins...

Ainsi le début de ce poème de la baronne de Brimont: " Ma pensée est un cygne harmonieux et sage/ qui glisse lentement aux rivages d’ennui /sur les ondes sans fond du rêve, du mirage, /de l’écho, du brouillard, de l’ombre, de la nuit... (...)  « Renoncez, beau cygne chimérique, (...) nul (...), nulle (...) ne vous accueilleront en des havres certains." qui exprime peut-être le peu de cas porté à ces pensées de femme... Pourtant quelqu'un comme Gabriel-Louis Pringué, qui ''croit au monde '' reconnaît le grand esprit, et voit, en quelques-unes abondamment titrées, de ''profonds philosophes''...

Elisabeth De Gramont

Ainsi, de Mme Manœuvrier-Duquesne « La nature est un grand livre ouvert sur lequel chacun se penche mais qui est rédigé en caractères secrets. » Ou bien ceci : « Le souvenir erre souriant parmi les deuils dans cette union de la vie et de la mort qui accompagne nos pas. » Ou encore : « L'amour est la seule richesse qui ait cours à la fois dans le temps et dans l'éternité. »

D'Élisabeth de Gramont: « On ne comprend vraiment la vie qu'au moment de la quitter. » « En général, on n'aime jamais qu'à contretemps. » « L'expérience est un fruit que l'on ne cueille que mûri et inutilisable. »

Imaginons ce genre de phrase, dite dans un diner, et essayons de répondre avec autant d'esprit et de répartie... La comtesse de Durfort, continue: « Vivons au jour le jour, chaque heure est une voyageuse qui vient timidement à nous. Recevons-la avec des brassées de rose et des sourires. Cela sera mieux pour elle et pour nous. »

Tout ceci est à prendre avec beaucoup d'esprit... et d'humour.

La princesse de Wagram, la tante d'Elisabeth de Gramont, passait pour savante, elle répondait: " Je suis peut-être pédante, mais mon instruction me le permet." Elle élevait souvent la discussion à des hauteurs que l'on pouvait trouver incommodant, le père d'Elisabeth se disputait alors avec elle en la traitant d'étudiante d'Heidelberg...

Paul Valéry est un grand adepte des salons privés ; on l’aperçoit chez Mme Aurel et chez Misia Sert, chez Marie Scheikevitch, Anna de Noailles, Marie-Louise Bousquet et Boni de castellane, chez la Baronne de Brimont, la comtesse de Béhague, les Duchesses de Clermont-Tonnerre ou de la Rochefoucauld, la Princesse Edmond de Polignac....

Paul Valéry, donc assure que «  Certains propos échangés autour d'une table de dîner ou de thé instruisent et murissent un homme bien plus que la lecture de cent volumes. En quel lieu de l'univers se peuvent donc rencontrer le politique, le financier, le diplomate, l'homme d'église, l'homme d'esprit, l'homme de club, l'homme de lettres, si ce n'est sur le bord d'une tasse et à l'occasion de petits gâteaux. » ( Frédéric Lefèvre, Entretiens avec Paul Valéry (1926))

Anne-Laure de Sallembier, en effet, se souvient d'un certain Paul Valéry, dont on parle beaucoup en ce moment... : « un hyper-nerveux, on fait état de ses yeux saillants, comme de bourrache éblouie, de sa diction chantante, légèrement zézayante, et de son extraordinaire faculté de résoudre n'importe quel problème. », comme l'a très bien rapporté alors Anna de Noailles.

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1921 – André Gide. 2

Publié le par Régis Vétillard

Depuis 1906, Gide habite la Villa Montmorency, qu'il s'est fait construire. La maison, située dans l'avenue des Sycomores, relève de la forteresse ou du paquebot....

Villa Montmorency

Lancelot et Jeanne, entrent par la porte entrebâillée... Pas d'employé de service. Une voix, de loin, les sollicite pour persévérer ; ils aperçoivent Gide, leur fait signe, il semble errer seul dans une enfilade de pièces inhabitées et sonores, d'un navire abandonné... Ils prennent un étroit escalier de phare, jusqu'au premier étage, ils distinguent une cabine avec un lit défait; encore quelques marches, un autre couloir, ils passent dans un bureau meublé d'une table pliante et d'un tabouret; Gide les conduit dans le poste de vigie qui domine une bibliothèque avec des piles de livres au sol. Des fauteuils les attendent...

Assis, face à eux pétrifiés ; l'écrivain tient à la main de grosses lunettes d'écaille...

Finalement, ils vont tous rire. L'atmosphère détendue, Gide est très curieux du jeune couple, sur leur passion commune de la lecture... Gide évoque son amitié avec Edith Wharton... Après qu'ils aient répondu à toutes ses questions, Lancelot et Jeanne finissent à poser les leurs...

André Gide 1920

Gide prend une cigarette qu'il ne quitte plus... Il répond, dans un halo de fumée, lentement comme un professeur...

Parmi les notes de Lancelot ; je lis :

- Toute théorie n'est bonne que si l'on s'en sert... et si l'on s'en sert à passer outre... Prenez Darwin, Taine, Barrès ou moi …. Mais si vous lisez Dostoïevsky – je vous le conseille fortement, commencez par ''L'idiot'', puis ''Les Possédés''... – vous verrez qu'il n'a jamais réduit le monde à une théorie.

- Pour définir une œuvre d'art... ? S'en tenir aux vers de Baudelaire : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. »

 

- Sur la religion... Tout ce que je pense contre l'Eglise, c'est avec le Christ... Et tout ce qui me retient d'y entrer, c'est l'Evangile... ! Ghéon me dit que c'est là une erreur des protestants : prétendre limiter aux seuls Evangiles la révélation... Oui... Ghéon, sans-doute le lisez-vous, en ce moment, dans l'Action Française ; j'ai l'impression qu'il me quitte ; ses articles sur la littérature sont une protestation contre ma pensée, contre moi... Et, savez-vous ce que dit Maurras... ?

« Je ne quitterai pas ce cortège savant des Pères, des conciles, des papes et de tous les grands hommes de l'élite, pour me fier aux évangiles de quatre juifs obscurs ».. !

- A mon avis, Dieu me parle davantage ou mieux dans l'Evangile, que dans n'importe quelle encyclique...

- Apprenez que Proust, envoie une auto pour me prendre... Pourquoi ? Pour me demander quelques clartés sur l'enseignement de l'Evangile, il espère y trouver quelque soutien et soulagements à ses maux...

 

- Le classicisme.... Oui, Maurras défend le sien... mais le sien opprime, supprime... Rien ne me dit que ce qu'il opprime ne vaut pas mieux que l'oppresseur. Massis écrit des articles contre moi, il m'attribue les paroles de mes personnages, celles qui peuvent me nuire... Ne lui dites pas que vous m'avez rencontré ; il vous dirait que mon influence est un danger public...

- Mme Mühlfeld... Je me souviens, je vous y ai vu... Ce jour là, je me reprochais d'être venu ; je n'aime pas entendre Valéry et Cocteau dénigrer un sujet ; ils s'amusent à créer des paradoxes de salon pour briller... Séparément, ils sont charmants.

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1921 – La Littérature – Colette

Publié le par Régis Vétillard

Pour Jeanne, c'est le style qui fait l'écrivain ; ensuite il doit pouvoir tout dire. Le style est un peu comme le corps, et la pensée du texte comme l'âme... Le style se doit d'être charnel ; s'il n'est qu'idées, la pensée sera sèche et triste … Colette, comme Gide – quoique différents – en sont de beaux exemples...

Colette 1920

Colette recherche la Beauté, tant pis si la vérité en est travestie. Même un roman, cela doit être de la poésie : il faut peaufiner le son, l'image... Colette s'amuse à inventer des mots :

- Tiens, écoutes : « le los de la crépellaine, du bigarella, du poplaclan, du djirsirisa et de la gousellaine – j’en oublie ! – une griserie phonétique me saisit, et je me mets à penser en pur dialecte poplacote. (…) j’empoigne mon filavella, je chausse mes rubespadrillavellaines et je coiffe mon djissaturbanécla ; la marée baisse, voici l’heure d’aller pêcher, dans les anfractuosités du rockaskaïa, le congrépellina et la dorade zibelinée. »

A propos de ''Chéri'', Colette a écrit : « (…) Chéri est pour moi d’ordre symphonique. Son mutisme comporte le pouvoir désagrégateur de la musique, emprunte des désordres aux timbres instrumentaux et surtout vocaux. (…) Je ne fais à Chéri l’honneur de le rapprocher de la musique que parce que celle-ci est le délectable agent de toute mélancolie. »

- Pourquoi choque t-elle ?

Jeanne répond que cela choque les hommes, et seulement certains... Colette métamorphose ce qui pourrait être pervers... Willy était pervers, mais Colette sublime ce qu'il voulait la faire écrire...

- Son style, c'est le plaisir du corps à travers tous les sens. En fait, j'aime le grand style, classique... C'est pourquoi, je t'ai pris, toi … le monarchiste... !

- Menteuse ! C'est moi, qui t'ai approché, j'ai forcé ta garde de jeunes prétentieux... J'ai pris des risques...

- C'est vrai... T'annoncer ainsi comme monarchiste... Ça m'a plu... J'aurais aimé être une princesse à la cour de Versailles... J'y serais l'épouse d'un vieil homme que je mènerais par le bout du nez, et j'aurais plein d'amants, à la faveur de leur talent littéraire.... Et toi.. ? Tu pourrais être mon page … Tu me désirerais, mais je ne te concéderais qu'un amour courtois... Mais bon, c'est trop tard....

 

Rencontrer Colette, semble affaire délicate. Les Jouvenel sont installés dans un petit hôtel particulier, au 69 boulevard Suchet, dans le 16ème, à la limite d’Auteuil et du Bois de Boulogne. Mais, Mme de Jouvenel ne reçoit pas …

Lancelot et Jeanne, finalement, la rencontre au quatrième étage de ''la maison rouge '', comme on l’appelle à cause de sa façade écarlate, du boulevard Poissonnière, le siège du Matin. C'est un vendredi après-midi, quand Colette, directrice littéraire, reçoit les auteurs. Elle se tient derrière son bureau américain, encombré de manuscrits et de boîtes de bonbons ; à ses côtés, un autre bureau avec Hélène Picard, sa secrétaire et amie...

Colette s'étonne qu'ils viennent à deux.... « comme c'est mignon... » ; qu'ils n'aient aucun texte à lui proposer, et donc.... ? Un conseil ? « Il ne faut pas faire de la littérature, et ça ira »... « Si vous voulez rencontrer un véritable écrivain, allez voir Proust. »

 

- '' Chéri'' est mon premier vrai roman, différent des ''claudines'' ou ''vagabondes''... Je l'ai envoyé à Proust, à Gide ; ils l'ont apprécié.

« Le récit qui ne craignait naguère ni redites ni hors-d’œuvre, et semblait n’obéir qu’à une libre fantaisie de poète, apparaît dans Chéri discipliné, resserré, dompté. […] Tout dans ce livre pourrait se donner en modèle : la composition, et notamment l’exposition du sujet dans les vingt premières pages, l’étude des caractères, la vérité du dialogue, la qualité du style. Colette a pris pleine conscience de son art spontané, et domine ses dons au lieu de s’abandonner. Elle travaille désormais à la façon des classiques, sans plus rien demander au subconscient, et n’écrit plus un mot qu’elle ne l’ait prémédité. […] Elle est de nos grands écrivains le seul qui, depuis la guerre, se manifeste autre que nous la connaissions déjà, sans rien perdre de ses qualités d’antan.» Benjamin Crémieux, La Nouvelle Revue Française, 1er décembre 1920.

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1921 – André Gide.

Publié le par Régis Vétillard

André Gide 1926, par B. Abbott

Jeanne L. est une admiratrice fervente d'André Gide (1869-1951)... Elle raconte qu'un jour, deux hommes sont entrés dans la boutique de son père, ils se sont intéressés aux livres d'occasion que son père présente à la vente... L'un a découvert une édition originale de ''la Porte Etroite'' devenue très rare... L'homme a désiré l’acheter ; l'instant d'avant, elle s'est approchée de son père et a murmuré d'une voix tremblante mais distincte : « Oh ! Non papa... ne vends pas celui-là... ? » Et son père, l'a retiré en s'excusant, prétextant qu'il était déjà vendu... : L'autre homme lui a souri; elle en est sûre c'était André Gide … !

Ce livre pour Jeanne est plein de magie, et dans sa simplicité atteint le sublime des grandes œuvres... Lancelot s'étonne :

- Ne trouves-tu pas Alissa, l'héroïne, trop belle et trop parfaitement pure... ? A moins que ce ne soit ce « trop » qui te fascine...

- Ce ''trop'' peut être fascinant, mais ce ''trop'' du sacrifice va jusqu'à la mort...

- Dieu, lui-même, semble n'être d'aucun secours... Dieu serait-il atroce et muet... ? A moins, qu'en fait, on ne puisse rien demander à Dieu... Pas de marchandage, même pas de récompense... ! Alissa choisit le sacrifice, la ''Porte étroite''...

Jeanne est persuadée que ''la Porte étroite'' (1909) s'équilibre avec '' L'immoraliste'' (1902); la ligne et l'esprit sont les mêmes... Dans les deux textes, l’authenticité est revendiquée ( auteur-narrateur, lettres...).

- Pour moi, la morale rigide pervertit le débat entre vertu et amour. La recherche de l'Absolu est contraire au bonheur, car éloigné des réalités terrestres... !

- Enfin... C'est le propos de Gide... J'admets que chacun des deux ouvrages, incarne une erreur: pour l'un, un mysticisme désincarné, pour l'autre un individualisme charnel...

 

Grâce à Jeanne, Lancelot a découvert Gide : Les Nourritures terrestres l'ont transporté, par son anticonformisme, son appel à s'accomplir soi-même... Il a poursuivi, avec ''la Porte étroite'' et '' L'immoraliste'...

« Ce n’est pas seulement le monde qu’il s’agit de changer ; mais l’homme. D’où surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le découvrir en toi-même et, comme du minerai l’on extrait un pur métal sans scories, exige-le de toi, cet homme attendu. Obtiens-le de toi. Ose devenir qui tu es. Ne te tiens pas quitte à bon compte. Il y a d’admirables possibilités en chaque être. Persuade-toi de ta force et de ta jeunesse. Sache te redire sans cesse : Il ne tient qu’à moi » (Les Nouvelles nourritures )

 

Gide questionne, bouscule... Les camarades de l'A.F., ne l'apprécient pas.

Lancelot s'interroge :

- Gide semble penser, parler pour lui-même ; il valorise un certain individualisme intellectuel, religieux. Henri Massis dénonce cet individualisme, attiré par ce qui serait le plus malsain.

- Il parle de lui, il écrit en vérité, sans effet, en classique...

- Mais, ce n'est que Sa vérité... Mettre à jour les doutes, les errements de l'individu, tend à le dissocier, le perdre... La recherche en soi, la recherche intérieure est préférée à La Vérité... Selon Massis, toujours, il n'admet de contrainte qu'artistique ; et son classicisme ne servirait que le désordre...

 

Lancelot et Jeanne vont tenter de rencontrer André Gide ; mais leurs tentatives tournent court. Le maître ne reçoit pas des inconnus ! Lancelot s'en remet à sa mère, pour essayer l'entre-gens mondain… Effectivement, Gide fréquente souvent Edith Wharton ; et il suffit d'attendre...  Gide a co-dirigé avec Edith Wharton pendant les années de guerre le Foyer franco-belge, organisme officiel d’aide aux réfugiés.

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1921 – Lancelot– Jeanne L.

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot profite de certains aménagements des études pour les étudiants de la classe 1920 ; d'autant qu'il effectue son service auxiliaire dans un ministère... Sont inscrits près de 9500 étudiants, et sont organisés dit-on 14000 examens, lors de cette cession, afin d'octroyer aussi des équivalences dont profitent Lancelot,...

Plusieurs étudiants sont cornaqués par un avocat qui appartient à l'entourage de Paul Painlevé, dont comme je l'ai déjà évoqué, Lancelot ; et une jeune fille, Jeanne L. (1903-1996) qui commence également ses études de droit...

 

Jeanne L. aide son père à corriger les épreuves des ouvrages de droit qu’il édite aux '' Cours de droit '', place de la Sorbonne, où il tient aussi boutiques de livres. C'est lui également qui vend les polycopiés des cours de droit...

Jeanne L. 1925

Son père, affirme que les femmes ne réussissent guère dans cette voie, mais il espère que sa fille, jolie et intelligente, aura l'opportunité de dégoter un futur magistrat plein d'avenir, ou de reprendre son affaire d'éditions... En effet, dit-on, la femme serait toute intuition. Elle aurait du mal à suivre un raisonnement, à moins qu'il soit bien cadré par des règles, comme en sciences ; or en Droit, il s'agit d'assouplir des règles pour les conformer à la réalité …

En fait, dit Jeanne... Les juristes craignent que les femmes investissent un domaine où s’établissent les fondements de la société. En accédant à l’étude des lois, les femmes pourraient prendre conscience de leur servitude et souhaiter leur émancipation... Qui sait... ?

Aussi, dès l'arrivée de la jeune femme auprès des nouveaux étudiants en Droit, elle fut captée par les plus entreprenants... Lancelot abandonna la partie, et pendant plusieurs jours, il s'est contenté d'observer les groupes qui se formaient. Si, lui-même restait seul, il tentait de s'approcher du petit groupe qui commençait à se fidéliser atour de Jeanne. Et, c'est quand elle l'entendit dire qu'il était monarchiste, qu'il rencontra enfin son regard...

 

Lancelot est rapidement séduit par la désinvolture et l'intelligence de la jeune fille. Un chapeau en feutrine enfoncé jusqu'au yeux, le pull en laine au col large sur une jupe mi-longue à plis... Alerte dans sa tenue confortable, un peu plus jeune que lui, et de très beaux yeux émeraude; Jeanne est véritablement passionnée de littérature...

Lancelot va se laisser entraîner, fasciné, puis pris par sa passion littéraire et son exaltation à vouloir rencontrer ses écrivains préférés... Il va mettre tout en œuvre, et en particulier l'accroche que les relations de sa mère peuvent lui fournir.

Lancelot a ainsi l'autorisation de se rendre au 3, rue Georges-Ville, à 18h00 , où Mme Mühlfeld reçoit...

Madame Lucien Muhlfeld

Étendue sur ses fourrures, l’hôtesse lui tend la main, lui fait bon accueil, et le trouvant si jeune, lui propose de rester près d'elle pour lui présenter quelques personnalités qui semblent bien connaître la comtesse de Sallembier... Surtout, il réussit à se faire inviter avec son amie, le dimanche après-midi... Mme Mühlfeld ne reçoit les dames que le dimanche …

Jeanne est émerveillée... Elle y croise Gide, Paul Valéry, Cocteau... Elle s'empresse autour d'eux. Lancelot se sent délaissé, et un peu gêné de la voir si désinvolte et pratiquement tenter tous de les séduire...

Lancelot observe ; Claudel est en partance vers le Japon, comme ambassadeur de France ; il est impatient d'y être et fait admirer à chacun la montre de Rimbaud acheté à son beau-frère, Paterne Berrichon. André Gide attaque brusquement le vieux marquis de Castellane – guindé, la tête rejetée en arrière - à propos de la Paix de Versailles, de la vieille Europe qu'il ne reconnaît plus, et la jeune qui l'effraie... Paul Valéry est brillant, il use de calembours et de contrepèteries.

Jeanne est très reconnaissante à Lancelot de ces premiers contacts avec ces écrivains qu'elle vénère... En particulier, elle s'amuse et appelle le jeune homme ''mon Chéri'', en référence au livre de Colette qui vient de paraître, et qu'elle goûte fort... Colette dont elle admire l'écriture, et son implication dans le journalisme... Il lui fait remarquer qu'à la grande différence du personnage de Colette, il est, lui, un peu plus âgé qu'elle. Elle répond que cela ne se voit pas ; et que, de plus, elle a bien plus d’expérience que lui... Elle ne peut s'empêcher de lui raconter sa relation 'particulière' avec une camarde de classe, qui lui valut un renvoi de son collège... ! D'ailleurs, pour ce qui est des hommes, elle les préfère plus âgés... Elle aime répéter aussi, qu'elle n'épousera qu'un homme de lettres ; même si son père espère la voir convoler avec un magistrat...

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Lancelot à Paris : 1920 – René Guénon -2-

Publié le par Régis Vétillard

Hildegarde de Bingen, ~1180

La Tradition, pour Guénon, permet de reconnaître le sens de nos actions, si elles on en un... La Tradition a une ''origine divine'', une origine primordiale, reconnaissable dans les grands religions... Cette Tradition s'exprime par le symbole ; la particularité du symbole est qu'il n'exprime pas qu'un seul aspect d'une réalité, mais en manifeste plusieurs à la fois...

- Serait-ce pour cela que je ressens une difficulté à appréhender plusieurs vérités à la fois... C'est un peu déroutant... ? - Chez moi, nous nommons ''traditions'' les coutumes locales...

- La Tradition dont je parle, c'est bien-sûr, bien plus que cela ! Oui, elle se transmet, mais de maître à disciple … Oui, c'est une connaissance ; mais intérieure. C'est notre raison d'être. Chez nous, cette connaissance a pris forme dans la religion. La religion souhaite faciliter le rapport à la Tradition, par le dogme en aide à l’intelligence ; par la morale en aide à l'âme, et par les rites pour s'aider du corps... Pour ce qui est du sens profond, il me semble que les spiritualités orientales l'expriment mieux ; elles proposent par exemple, un ''non-dualisme'', assez étranger à notre religion...

 

La politique … ?

Guénon entrevoit en effet, une possible restauration d'une tradition occidentale ; et c'est pour lui l'unique moyen de sortir de la crise actuelle... Ce déclin ne date pas seulement de la Révolution, dit-il ; il faut remonter à Philippe de Bel, qui rompit la distinction médiévale des « deux glaives » ( en opposition à Boniface VIII – 1302), pour qui ces deux glaives sont ceux du Christ, et seul le glaive spirituel peut gouverner le glaive temporel, le pape étant juge et arbitre...

Les deux glaives - Haute-Loire

Puis les conclusions des traités de Westphalie (1648), mirent fin à ce qui subsistait encore de la ''Chrétienté '' médiévale : la religion devient un domaine géré librement par chaque État, avec une laïcisation progressive des relations internationales qui permet aux états de s'émanciper des dogmes religieux. Pour Guénon, l'esprit de la Tradition quitte alors l'Europe, pour l'Orient... Seuls quelques aspects de la Franc-Maçonnerie, et de la religion surent garder un léger fil de transmission... Une restauration est toujours possible, espère t-il...

 

Le Christianisme ?

- Dans votre cas, je dirais « oui ! . Par le Graal...

Peut-être gagneriez-vous à visiter la spiritualité orthodoxe, et l'hésychasme en particulier...

Le Graal, c'est cette coupe que les égyptiens représente pour signifier le cœur... Pour moi, le Graal, c'est le coeur du Christ. Le cœur envisagé comme le centre de l'être, être à la fois humain et divin.

Et si, vous parler de la Quête du Graal, et des chevaliers qui partent à sa recherche ; c'est que nous sommes en présence de quelque chose qui aurait été perdu, ou caché... Les francs-maçons parlent de la ''Parole perdue''...

L'homme a été écarté de son centre originel... Aujourd'hui enfermé dans la sphère temporelle, l'humain n'a plus accès à cette vision d'où toutes choses sont contemplées sous l’aspect de l’éternité.

La perte du Graal, c'est en somme la perte de la Tradition avec tout ce que celle-ci comporte...

Vous me parliez de votre ancêtre Roger de Laron templier ; et précisément, on pourrait penser que des organisations initiatiques médiévales, comme l'ordre du Temple, ont pensé préserver ce dépôt spirituel que représente le Graal... ?

la Tradition du Graal

Une question taraude Lancelot depuis quelque temps, et à ce jeune homme qui semble si bien le comprendre; il peut oser le demander...

- Mais moi, que puis-je faire de plus que tous ceux de ma lignée, dont mon grand-père, ma mère me parlent ?Je ne sais même pas ce que je vais faire de mes études... !

- Ne vous en faites pas ! Et, dites-moi simplement : comment connaissez-vous, la chevalerie..., la chevalerie du Graal … est-ce seulement de l’intérêt culturel... Peut-être bien plus.. ?

- Oui, j'y suis très attaché; quelque chose d'elle, pourtant si ancienne, résonne en moi ...

- Et bien, n'hésitez pas... « appelez à votre aide cette Chevalerie du Très Saint Graal... ! Lorsque vous com­mencerez à être un chevalier et que vous partirez à la quête de votre réalité divine, cette Chevalerie du Très Saint Graal vous aidera, vous répondra, et vous serez le maillon actif d’une chaîne immense qui peut changer l’humanité ».

* Lancelot écrivit ensuite: « Cela m'a semblé bien mystérieux... mais me confortait dans mon intérêt pour ce mythe du Graal qui prenait de plus en plus de place dans ma vie. » : selon une note, qui reprenait cet entretien ...

 

Je résume ainsi, à la suite, quelques enseignements que la fréquentation de René Guénon, a permis à Lancelot de garder pour lui... Même si nous y reviendrons vers 1928-1930, Lancelot, ensuite perdra le contact avec cet homme hors système, qui choisira de s'écarter du monde, ou plutôt de la modernité...

 

Lancelot retient que cet homme fin à l'esprit acéré, ne souhaite que renforcer le ''croyant'' dans sa foi ; tout en éveillant son intelligence, sa faculté de discernement ; et là est sa discipline. L'objectif de cette discipline est d'atteindre «  le point sublime d’intuition où toute chose est perçue sous l’angle de la vérité » D.G. Ce point en-deçà du raisonnement... Peut-être, l'intuition comme saisie immédiate d'une réalité... Sa mère lui a tant parlé de cette faculté que Bergson a tenté d'appréhender...

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