Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

gide

Soir du lundi 19 février 1951 – Mort d'André Gide

Publié le par Régis Vétillard

Julien Green a raconté à Lancelot, comment il vit la dépouille de Gide sur son petit lit de fer. Il avait l'air de réfléchir. Il y avait Roger Martin du Gard. Dans la rue, Green a pleuré. A Cuverville, où Gide fut enterré près de son épouse ; Martin du Gard fit un esclandre alors qu'un pasteur venu du Havre ( voir La Porte étroite, avec le pasteur Vautier, du Havre..!) commençait religieusement la cérémonie.

Le 13 décembre 1950, avait eu lieu à la Comédie-Française (salle Richelieu), la pièce adaptée par Gide, des Caves du Vatican - mise en scène par Jean Meyer – en même temps que la célébration nationale d'une grande figure de la littérature que représente André Gide ; avec la présence du président Vincent Auriol ; et beaucoup de fleurs, d’applaudissements et de rappels...

Certains pouvaient déjà parler d'enterrement.

 

André Gide

Gide avait régné sur la littérature française ; et la publication de son Journal nous livrait ses états-d'âme au cours d'un demi-siècle.

Un trait de caractère que retient Lancelot est sa totale sincérité. Sincérité littéraire, mais aussi humaine ; s'il donnait des conseils de force , de courage ; il refusait de donner des directions à suivre.

- « Eh bien, je voudrais dire aux jeunes gens que l’absence de foi désoriente : pour que ce monde rime à quelque chose, il ne tient qu’à vous. Il ne tient qu’à l’homme, et c’est de l’homme qu’il faut partir. Le monde, ce monde absurde, cessera d’être absurde, il ne tient qu’à vous. Le monde sera ce que vous le ferez » ( Souvenirs littéraires et problèmes actuels, Les Lettres Françaises, 1946.)

- « ...ne vous laissez point dessaisir de ce qui fait votre valeur d’homme, votre personnelle valeur : l’esprit de doute et de libre examen »  (« A Naples » )

Paul Claudel et André Gide

Lancelot repense à cette correspondance, juste publiée entre Claudel et Gide. Devant la violence du premier, le charme du second lui paraît bien plus séduisant. Gide était sensible à la force de la poésie de Claudel. Il n'en appréciait pas forcément la signification, mais elle éveillait en lui, le ''mystère''.

Claudel, le converti, sommait Gide d'en faire autant. Des amis ( Francis Jammes) faisaient le pas, Gide se sentait assiégé. Il écrit '' le Retour de l'enfant prodigue'', et détourne la parabole. 1910, avec ''La Porte étroite'' ( 1909 - premier succès public) un parfum de religiosité a fait croire d'un retour vers la religion. Gide résiste.

1910, Claudel écrit : « Vous pensez bien que l'Eglise représentée par ses théologiens sérieux ne préconise en aucun cas l'assassinat ou la violence. Mais étant ce qu'elle est, c'est à dire se croyant seule et exclusivement en possession de la vérité absolue, et d'autre part pensant que les écarts de doctrine entraînent le terrible risque de perte éternelle de l'âme, elle ne peut admettre ce qu'on appelle la liberté de penser ou plutôt de publier sa pensée (...). Elle cherche non pas à exterminer les hérétiques, (...) mais à les empêcher de nuire. Vous admettrez que son point de vue est assez logique. A un point de vue catholique, comme je vous le disais l'autre jour, un livre qui peut faire perdre la foi constitue un véritable homicide. »

Claudel insiste : Fin 1911, Claudel écrit à Gide : « Il faudra que nous causions un de ces jours comme ces personnages de Dostoïevski qui se disent des choses tellement confidentielles que le lendemain ils n'osent plus se regarder et sont pris d'une haine mortelle l'un contre l'autre. »

En janvier 1912, Gide écrit dans son Journal : «  Je ne voudrais n'avoir jamais connu Claudel. (…) ma pensée s'affirme en offense à la sienne. »

1914 paraît le roman voltairien de Gide : ''Les caves du Vatican''


 

Albert Béguin, dit qu'il y a chez Gide du Nietzsche et du Montaigne ; que ses œuvres avaient été, pour lui, des libérations ( Les Nourritures, l'Immoraliste...) ; mais qu'il s'en était heureusement détaché. Gide n'aurait-il pas exagérément cultivé son non-conformisme, sa singularité ? Mauriac, lui, parle d'un luciférien pari de Pascal, à l'envers !


 

Gide avait mesuré les dangers de l'engagement politique ; et face au jeune Sartre et son Existentialisme, il exprimait sa méfiance :  « Je crains que ce ne soit encore elle, la barbarie, sous une apparence nouvelle, qui s’introduise dans vos rangs, à votre insu, protégée, approuvée par vous, camouflée en liberté... » ( Essais critiques )


 

A quoi, donc, croyait Gide?

« Je crois au monde spirituel, et tout le reste ne m’est rien. Mais ce monde spirituel, je crois qu’il n’a d’existence que par nous, qu’en nous; qu’il dépend de nous, de ce support que lui procure notre corps.
(...) Je crois qu’il n’y a pas là deux mondes séparés, le spirituel et le matériel, et qu’il est vain de les opposer. Ce sont deux aspects d’un même et unique univers
 » (André Gide, Journal, t. II,)


 

À la mort de Gide, dans ''Les Temps modernes'', Sartre déclare : « On le croyait sacré et embaumé : il meurt et l’on découvre combien il restait vivant » 


 

Green a raconté, qu'il avait beaucoup ri, d'un télégramme que Mauriac a reçu peu de jours après la mort de Gide et ainsi rédigé : « II n'y a pas d'enfer. Tu peux te dissiper. Préviens Claudel. André GIDE. »

Voir les commentaires

1938 – André Gide

Publié le par Régis Vétillard

André Gide, par Gisèle Freund

Lancelot rencontre André Gide, qui lui propose de l'accompagner et déjeuner chez Lesur; ça ne se refuse pas !

Gide se plaint de l'abandon de la grammaire française : les speakers de la TSF propagent toutes sortes d'incorrections ; l'un n'a t-il pas dit : « en terminer avec.... » ! Il avoue que la raison d'être de l'artiste est d'être en désaccord avec son temps. Il s'était rendu à une répétition d'une pièce de Cocteau ; l'élégant public, avec ses sourires et ses courbettes, l'a fait fuir. Le lendemain, Gide lisait dans les journaux que, arrivé tard et n'ayant pu trouver de place, il s'en était retourné.

 

Gide commente cette expérience relatée par Hebbel : « Que peut faire de mieux le rat pris au piège ? - C'est de manger le lard. ». Un homme pourrait-il profiter tranquillement de l’appât ; s'il se savait pris dans un piège ?

Il a lu dans le Figaro un article de Abel Hermant, dont il pense beaucoup de bien ; et qui compare nos représentations du ''bourgeois'' … « J'appellerai bourgeois quiconque pense bassement », comme Flaubert. Le bourgeois n'admet que la littérature utilitaire : et il ne peut se servir d'une littérature qui ne sert qu'à s'élever...

 

Lancelot lui reproche de moins publier: « Si les autres écrivaient moins, j'aurais plus de plaisir à écrire ».... Un long silence, puis, Gide, lui dit que depuis la mort de Madeleine ( 17 avril 1938) ; il ne fait que semblant de vivre... « J'ai perdu ce témoin de ma vie qui m'engageait à ne point vivre ''négligemment''... Mais de même que je ne laissais pas son amour incliner dans son sens ma pensée, je ne dois pas à présent laisser peser sur ma pensée, le souvenir de cet amour. » Le dernier acte de la comédie, il doit ''le jouer solitaire'' ; il se sent vieux, et dit n'avoir plus d'autre espoir que d'en sortir... !

Gide lit ''Temps Présent'' ; dans le dernier numéro ; il y avait un article de Stanislas Fumet sur la crucifixion du Seigneur, qu'il nomme le « plus grand forfait de l'histoire »... Mais, se demande Gide : que se serait-il passé si le crime avait été évité... ! Comment nous aurait-il sauvé ? Peux t-on appeler ''forfait'' le geste de ceux qui ont permis la rédemption... ? !

 

Lancelot interroge Gide sur ''Munich'' : il lui semble que la raison emporte une victoire sur la force. - Et la justice, le bon droit ? - En effet, son ami hollandais Jef Last, pense qu'il ne s'agit que d'une défaite honteuse, et qu'il n'en résultera que de nouvelles revendications de Hitler... Gide doute que l'Allemagne eut cédé.

 

Gide conforte Lancelot dans son attachement à l'Eglise ; il pense que les événements récents lui permettent de s'exprimer en vérité ; grâce en effet à Maritain, Marcel, Mauriac, Berdiaeff, l'espagnol Bergamin... Lancelot ne connaît pas ce dernier ; alors Gide lui conseille en urgence de lire le discours d'Unamuno ( le philosophe espagnol) du 12 octobre 1936 : « A l'instant, je viens d'entendre un cri mortifère et insensé : "Vive la mort !" Et, moi qui ai passé ma vie à forger des paradoxes, je peux vous dire avec l'autorité d'un expert que ce paradoxe incongru me répugne.» etc … C'est Bergamin qui lui a fait connaître...

Valery et Jeanne L.

 

Subitement, Gide interroge Lancelot sur la jeune fille qui l'accompagnait, alors qu'ils venaient l'interviewer - villa Montmorency – c'était en … 1921. - N'était-ce pas Jeanne L. - Oui... - Et bien savez-vous que Valéry s'en est entiché ? Cette dame du Tout-Paris, aujourd'hui, se pressait avec d'autres à ses cours du Collège de France. Je m'inquiète pour lui ; n'a t-il pas soixante-sept ans ? Et elle … ? - Trente-cinq ans. - Je crois que Giraudoux... - Ah ! Je savais pour Bertrand de Jouvenel...

Gide reprend:- J'adore être reçu chez les Valéry, c'est toujours exquis et charmant. « Je suis à l'aise avec Paul, et son extraordinaire intelligence, depuis que je sais limiter les dégâts de sa conversation. »

Voir les commentaires

Juin 1935 : Congrès international des écrivains

Publié le par Régis Vétillard

Aragon, André Gide et Malraux

Ce soir d'ouverture, à la mutualité, prend place jusqu'au balcon, une foule ardente composée d'une majorité de jeunes. A la tribune, André Gide et André Malraux président ; ils sont entourés d’écrivains soviétiques, mais aussi d'Heinrich Mann, Egon Erwin Kisch pour l’Allemagne, d'E. D'Ors pour l'Espagne, de Sforza pour l'Italie, de Forster pour l'Angleterre, et aussi de Barbusse, Benda, Bloch, Guehenno, Cassou, Vaillant-Couturier, Nizan pour la France.

Ilya Ehrenbourg, est là, ambassadeur culturel de Moscou. La politique des communistes est alors à l’ouverture et le congrès de la Mutualité veut accueillir toutes les tendances antifascistes, tant qu’elles ne critiquent pas l’Union soviétique.

André Malraux lit un télégramme de Romain Rolland. A part Forster qui déclare ne pas être communiste, mais le serait s'il était plus jeune et plus brave, et Julien Benda, courageux, qui tient à clarifier que pour lui il y a une conception occidentale de l'Art qui s'appuie sur la métaphysique grecque, et une conception communiste de l'Art, matérialiste et qui annihilerait la culture du passé ; à part ces deux orateurs, le congrès s'annonce dans sa participation très favorable à la révolution communiste... Sauf encore, Robert Musil, mais il s'adresse en allemand ; et la presse se plaint de ne pas avoir reçu la traduction. Seuls les auditeurs connaissant la langue allemande, entendent un discours qui renvoie dos à dos bolchévisme et fascisme... !

Palais Mutualité-Le congrès des écrivains de juin 1935

« Je crois que ce qui retient bon nombre de nos écrivains, c’est leur manque de confiance dans le prolétariat, et même… un manque de confiance en l’homme. » selon André Malraux, à la tribune.

 

Le discours d'Erwin Kisch, lui, est lu en français par Vaillant-Couturier... Le soviétique Luppol, reprend le débat sur la culture, et les valeurs du passé ; valeurs que seul le prolétariat est en mesure de critiquer.

Barbusse n'est pas en forme et ennuie l'assemblée. Klaus Mann pétrifie la salle en lisant des témoignages d'artistes restés en Allemagne. Malraux improvise, s'agite... Le cas de ''Victor Serge '' divise la salle; mais la tribune clôt le débat et affirme sa confiance à l'égard de l'Union soviétique.

Haldous Huxley

Lancelot parvient à saluer Aldous Huxley qui le reconnaît, malgré l'épaisseur de ses verres. S'il ne croît pas à un régime fasciste dans son pays ; il remarque une fascisation des esprits ; pourtant il doute que l'on puisse longtemps – comme en Allemagne – réduire un peuple au rang de primitif, et enrégimenter la science comme le font les nationaux-socialistes. Michaël Gold du Daily Worker de New-York, note que même aux Etats-Unis des écrivains comme Mencken ou T.E. Elliot peuvent se fasciser... Si certains magnifient les pionniers du passé... Nous autres, dit-il, nous sommes pour les ouvriers, les pionniers de l'avenir... ! Les intellectuels lui semblent bien impuissants ; les ouvriers s'il s'organisent, peuvent vaincre le fascisme...

 

Lancelot et Elaine sont frappés par cet espoir que tous ( presque ) ici, semblent mettre dans la vocation collective des ouvriers, des paysans, des travailleurs... Voilà une foi, qu'ils ont du mal à partager...

Ils ont pu entendre la réponse que fait Alexis Tolstoï à un journaliste, qui lui demande si un tel congrès serait possible en Union Soviétique ?

- Dans notre pays, un tel congrès n'aurait pas de sens, puisque chez nous, cent soixante-dix millions de volontés sont tendues justement vers la conquête de la culture. Il n'est pas question de défendre celle-ci, mais de la répandre, de la répandre toujours davantage.

-Riche de l'expérience soviétique, pensez-vous que les intellectuels soient capables de défendre efficacement la culture ?

- Non, non, proteste Tolstoï. Je vous le dis très sérieusement. Les intellectuels isolés de la masse des lecteurs prolétariens doivent à tout prix modifier leurs conceptions...

Henri_Barbusse, Alexej_Tolstoi, Boris_Pasternak - Paris_1935

Lancelot se rapproche de Gide, qui explique que l'important c'est que les écrivains aient compris la nature du danger qui les menace et que, dans ce sentiment, ils se soient réunis par-dessus toutes les divergences particulières. La culture est menacée par le fascisme, n'est- ce pas la pensée profonde de chacun de nous ?

Beaucoup – parmi les radicaux et les socialistes – veulent rester confiants, l'antifascisme relève d'un contenu républicain, et donc d'une culture nationale... La France ne peut être fasciste !

 

Une question reste sous-jacente difficilement abordable, c'est '' la question russe '' et la possible critique du régime soviétique, avec l'actualité des premiers procès de Moscou.

Cette question est sans-doute la raison d'un certain malaise qui empêche Lancelot de communier à la ferveur communiste. Elaine l'explique plus fortement encore, par un confusionnisme ici entretenu. Le communisme chercherait dans notre culture, nos traditions, de quoi se masquer pour nous vendre leur révolution ; et plus exactement dit-elle – alors qu'elle vient de lire le ''Staline : Aperçu historique du bolchevisme '' de Boris Souvarine – pour vendre la dictature de Staline... !

L'ordre du jour, ici serait plutôt de défendre l'idée qu'en Union Soviétique la pensée libre y reçoit les plus grandes possibilités de développement. André Gide déclare : « Je n'admire rien tant en U.R.S S. que ce grand souci de protection, de respect des particularités de chaque peuple, de chaque petit Etat compris dans la grande Union soviétique; respect de la langue, des mœurs, des coutumes, de la culture, particulières à chaque petit Etat.

Lequel respect va directement à l'encontre de ce reproche courant fait au communisme et à l'U.R.S.S. de tenter d'égaliser, de niveler et d'uniformiser tous les hommes de l'immense Russie, en attendant de pouvoir opérer sur la terre entière. (...)

Ce que nous attendons de lui, et ce que commence à montrer l'U.R.S.S. après une dure période de luttes et de contrainte momentanée en vue d'une libération plus complète, c'est un état social qui permette le plus grand épanouissement de chaque homme, la venue au jour et la mise en vigueur de toutes ses possibilités. »

Le soir , dans la journée, les discussions se poursuivent au bar de la Mutualité ou autour des cafés alentour, en particulier pour Lancelot, à une table des Deux Magots.

 

Le 24 juin après-midi, Lancelot dut se rendre à la garden-party organisée au ministère des affaires étrangères par M. Pierre Laval, en l'honneur des congressistes, non pas des écrivains, mais des chambres de commerce mondiales qui étudient les causes et les remèdes du marasme économique actuel...

Ce congrès permit à de nombreux intellectuels de proclamer leur admiration pour l'URSS, et leur leur solide attachement au prolétariat qui édifie le socialisme. André Gide y a affirmé que « C'est dans une société communiste que chaque individu, que la particularité de chaque individu, peut le plus parfaitement s'épanouir. »

Le congrès se clôt par la fondation de l'association internationale des écrivains pour la défense de la culture, dirigée par un bureau international qui a pour mission le maintien et l'élargissement des contacts que le congrès a permis d'établir.

Elle s'assigne - selon les termes mêmes de la résolution adoptée - « à lutter sur son propre terrain, qui est la culture, contre la guerre, le fascisme, d'une façon générale contre toute menace affectant la civilisation ». A sa tête un présidium de douze membres, quelques-uns des plus grands noms de la littérature mondiale: André Gide, Henri Barbusse,, Heinrich Mann, Thomas Mann, Maxime Gorki, Forster, Aldous Huxley, Bernard Shaw, Sinclair Lewis, Selma Lagerlof, Romain Rolland, les quatre prix Nobel. Le siège de l'organisation est à Paris.

Voir les commentaires

André Gide, le communisme et l'antifascisme.

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot, et il n'est pas le seul, est étonné de la conviction communiste qui semble animer André Gide depuis quelques temps ; sa notoriété est telle que '' l'Union pour la Vérité '' organise un débat sous le titre '' André Gide et notre temps '' avec divers contradicteurs. C'est un 26 mars 1935, rue Racine, qu'André Gide se plie à l'exercice accompagné par la NRF au complet.

Le communisme est au centre de l'affrontement orchestré par Henri Massis. Lancelot regrette la contradiction de Daniel Halévy hostile et personnelle, basée sur la dimension religieuse que Gide était censé rejeter parce que dogmatique, pour finalement se convertir à la religion communiste... !

Guilloux, Aragon, Gide - 1935

Gide explique, avec sincérité son attachement plus sentimental que intellectuel, au communisme qu'accompagne une sorte de culpabilité, et comme il le dit : « En face de certains riches, comment ne pas se sentir une âme de communiste ? ». Il rapproche même le communisme d'un christianisme qui reviendrait aux sources ; ce que lui reproche fermement Maritain.

Henri Massis lui, tente de révéler les contradictions de l'auteur des '' Faux-Monnayeurs'' ; il termine : « Aussi est-ce le drame de notre civilisation qui se joue comme dans un microcosme, dans la personne d'André Gide, personne qui à son propre sujet, met en cause les valeurs humaines sur lesquelles cette civilisation est tout entière établie. »

Sur le plan strictement politique, Gide n’apparaît pas comme crédible... Lui-même reconnaît qu'au cours de la Grande Guerre, c'est '' L'Action Française'' qui lui paraissait le parti « le plus sûr et le plus solide ». Pourquoi ce besoin d'un parti ?,- la nécessité de se grouper : « Oui c'est un besoin d'adhérer pour lutter contre une dissolution, qui était au fond de tout cela »

Gillouin ironise un peu quand il décrit Gide, dupe d'une foi ingénue dans la vocation messianique du prolétariat exempt du péché originel d'exploitation... Mais alors, que penser du péché de tyrannie, du péché contre l'esprit, de la suppression des élites...etc ?

Lancelot remarque que Gide n'écrit plus... Le communisme aurait-il désarmé son angoisse ? Vivement, qu'il retourne à ses démons … !

Ce temps du milieu des années trente, est à rapprocher de celui de l'affaire Dreyfus ; avec de nouveaux enjeux pour des intellectuels de gauche, et de droite.

Le parti communiste exerce une attraction auprès des intellectuels soucieux de s'engager, alors que chacun ressent une montée de grands périls. Le 6 février 34, résonne encore...

La culture paraît alors le fer de lance d'un combat contre la barbarie, barbarie à laquelle on donne un nom : le fascisme.

Des communistes aux radicaux, chacun défend son modèle ; mais tous reconnaissent une culture nationale, voire une civilisation, en danger.

 

Lancelot, à la lumière du personnalisme de Rougemont, définit ainsi le fascisme :

- Le fascisme exige un état fort, dispensateur de tous les biens, méritant donc tous les sacrifices. L’État fasciste met fin aux luttes politiques : il supprime les partis et jugule la presse. Il s'en prend aux valeurs occidentales ; il subordonne à l'Etat divinisé, les libertés fondamentales de la personne et des églises, ainsi que toute espèce de création spirituelle.

Un mot allemand : Gleichschaltung - mise au pas - résume le fascisme et justifie les coups de force hitlériens.

La Mutualité - 1935

 

Dans l'engagement antifasciste, la prochaine étape est le Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui se tient à Paris du 21 au 25 juin 1935.

Il a lieu au moment même où les britanniques sont à Paris pour s'expliquer sur la signature de leur accord naval avec l'Allemagne, et qui autorisent  le Troisième Reich à disposer d'une flotte de guerre au tonnage limité ; et ceci, sans accord de leurs alliés !

En réaction, sans-doute, Pierre Laval, sera amené à consolider notre entente avec l’Italie de Mussolini. L’Allemagne se réarme, l'Angleterre s'y résigne et certainement surveille l'entente entre Paris et Rome...

Lancelot a pu échapper aux entretiens annexes à cette rencontre des ministres ; et beaucoup plus intéressé, a obtenu de participer à ce Congrès des écrivains... C'est près de deux cent cinquante écrivains, de trente-huit pays, qui ont été invités... !

En possession des tickets d'entrée nécessaires pour lui et Elaine, ils peuvent prendre place au parterre. Devraient être présents : Pasternak - qui remplace Gorki - Heinrich Mann, Bertolt Brecht, Robert Musil, Aldous Huxley, H. G. Wells, Giono, Barbusse, Dabit, Guéhenno, Mounier, Rolland, Vitrac, E. M. Forster, Max Brod, Paul Nizan, Julien Benda, Aragon, Roger Martin du Gard, Guilloux... James Joyce, Queneau, Prévert se sont abstenus... Deux, peut-être trois milliers de personnes sont attendus ; des hauts parleurs sont installés dans les couloirs du Palais de la Mutualité et à l’extérieur.

Voir les commentaires

Les Années 1930 – à Paris, la vie intellectuelle 1

Publié le par Régis Vétillard

Ses nouvelles fonctions au Ministère de la Guerre ne permettent pas à Lancelot de prendre publiquement position sur le plan politique. Et s'il doit être bien informé, il doit rester discret et abandonner tout désir de notoriété...

Les services français sont de plus sollicités par les politiques sur les intentions des dirigeants allemands... Lancelot se rend souvent en Allemagne ; il fait le lien entre le ministère et les diplomates, et beaucoup plus discrètement avec des informateurs, et des journalistes comme Xavier de Hauteclocque.

Ses interlocuteurs allemands, officiellement, sont très heureux de coopérer avec l'intelligentsia française... Lancelot organise des rencontres culturelles par le biais de l'ambassade à Berlin, facilite le séjour de jeunes universitaires comme celui de Raymond Aron, de 1931 à 1933.

 

A Paris, Lancelot retrouve les participants de la revue ''Notre Temps'', qui ouvre ses pages à de nombreux auteurs germanophones. La question du moment reste le règlement des réparations de l'Allemagne. Brossolette et Luchaire y consacrent de nombreux articles.

1935-Pierre-Brossolette

Ne s'agit-il pas à présent de bâtir « un édifice nouveau à la place de l'ancien qui s'écroule ». Une attitude nouvelle permettrait de revoir la dette, de l'Allemagne vis à vis de la France ; et … de la France vis à vis des Etats-Unis ! Cette question est liée à celle du désarmement... Luchaire défend l'idée d'un arrangement avec l'Allemagne, à tout prix ; la France ayant tout à gagner de cesser d'être l'oppresseur. Brossolette alerte des dangers que représenterait le réarmement de l'Allemagne, mais pour Luchaire, il s'agit d'une question d'amour propre national, et non de résolution offensive.

 

Lancelot, finalement fréquente les milieux qui pour sa génération, sont moteurs dans l'action politique et intellectuelle du moment. Son milieu d'origine, une droite orléaniste et libérale, représente aujourd'hui une classe bourgeoise qui s'est très bien adaptée à la troisième République, elle a même coupé sur le plan politique, un peu moins sur le plan intellectuel, le lien avec l'Action Française …

Pour échapper à l'emprise marxiste ; beaucoup de jeunes se réfugient au Parti Radical, parti de gouvernement, avec la détermination d'intervenir sur les choix politiques qui ne sauraient être que déterminants en cette période de crise...

 

Dans les milieux que continuent de visiter Anne-Laure de Sallembier, il est toujours de l'habitude d'indiquer dans le Bottin mondain son jour de réception. On se reçoit, pour dîner et lire des textes des grand écrivains ''survivants''...

Les femmes peuvent porter successivement robe de sport pour le matin, robe de ville pour le shopping, robe de cocktail en fin d'après-midi, puis enfin robes du soir. L'innovation d'Elsa Schiaparelli, avec sa robe sirène : toute droite, permet aux élégantes de passer la journée sans changer de toilette. L'homme distingué a abandonné la jaquette, il se permet de paraître en pull-over, ou en chemise sport.

 

François Mauriac apprécie les bars à la mode, et fréquente les Deux-Magots, comme beaucoup d'autres artistes ou intellectuels, Elsa Triolet, Louis Aragon, André Gide, Jean Giraudoux, Picasso, Fernand Léger…

Comme Lancelot, vous pouvez avoir la surprise de croiser André Gide, qu'il vous reconnaisse et vous invite à boire un porto dans un café ; surprise toujours qu'il vous écoute attentivement lui raconter les déboires maritaux d'Elaine...

Il conseille de lire Mauriac ; on y retrouve dit-il cette sorte d'angoisse qui n’appartient qu'aux chrétiens... Lui, il se dit bien heureux de s'en être échappé...

Gide ajoute « Ceux qui cherchent à voir avec ''les yeux de l'âme'', sont ceux qui n'ont jamais su vraiment regarder. » Lancelot ne partage pas cette vision. Le dieu dont parle Gide serait dissous dans la nature, et ce n'est de la foi dont nous aurions besoin, mais de l'attention. Ce dieu mérite t-il encore le nom de Dieu ?

Ils parlent de Thomas Mann, que Gide vient de rencontrer lors de son passage à Paris, et qu'il souhaite revoir. Il devrait aller à Berlin et Munich à la fin de l'été.

Gide raconte une soirée dans le salon de Mme B. où la présence de « trois princesses » est plus qu'il « ne peut supporter. ».. !

Quelques jours plus tard, Lancelot rencontre une jeune femme, amoureuse de l'auteur des '' Nourritures terrestres '', qui a abandonné mari et enfant à Avignon, pour se rapprocher de lui... Gide serait venu la visiter chez elle, en 1932, après un courrier qu'elle lui a envoyé ; elle avait vingt-cinq ans. Actuellement, elle travaille chez Gibert, où précisément Lancelot recherchait des ouvrages de Gide. La conversation s'est rapidement engagée, d'autant que chacun dit le connaître. Lancelot la croisera encore, et Yvonne D. s'arrangera pour ne jamais être bien loin de son auteur passionnément aimé.

Voir les commentaires

Les années 1920 – François Mauriac

Publié le par Régis Vétillard

François Mauriac

La comtesse de Sallembier, avait eu diverses occasions de rencontrer François Mauriac (1885-1970) , elle n'en avait cependant pas user pour le connaître davantage ; ce que regrettait dans ces années vingt Lancelot, qui découvrait avec grand intérêt ses livres. Anne-Laure se méfiait, disait-elle, de cet homme qui fustigeait son milieu, sa famille, tout en minaudant dans les salons, en particulier celui d'Anna de Noailles. Elle-même, n'avait-elle pas confié qu'elle trouvait cet ''oiseau'' « triste, enfermé dans sa rêverie. », et qui ne pouvait appartenir à « la vraie famille des poètes ».

Cependant Lancelot reconnaissait en ce ''frère aîné '' long jeune homme, lascif et tourmenté, un vrai romancier. Et il lui en savait gré de se reconnaître catholique, tout en dénonçant l'hypocrisie qu'il pouvait s'y attacher.

 

Dès 1922, avec Le Baiser au lépreux : un homme conscient de sa laideur, fait face - au cours de son mariage arrangé - par le sacrifice, Mauriac, déjà, y dénonce les vilenies d'un milieu bourgeois.

A partir de Génitrix (déc 1923) Mauriac préfère montrer les conséquences de l'absence de la Grâce sur les âmes, plutôt que « de rendre témoignage '' de la Foi ; comme dans cette fin ''ratée'' du '' Fleuve de feu'' (avr. 1923).

Lancelot lira beaucoup cet auteur, et ne trouvera jamais l'occasion d'entrer plus avant dans la relation.

N'est-ce pas un peu exagérée, cette obsession toute chrétienne ( et bourgeoise) de ne pouvoir vivre le plaisir de la chair sans culpabilité ; au point d'être contraint de choisir entre la vie sexuelle et Dieu, comme dans le ''Désert de l'amour''. C'est Maria Cross qui l'exprime le mieux, chez qui « le plaisir et le dégoût se confondent ». Le quotidien ''La Croix'' critique assez souvent ses romans, qu'il qualifie de scabreux. Il est assez intéressant, en effet, d'observer que ce ''catholique qui écrit'', et non cet ''écrivain catholique'' mette, ainsi, toute l’Église en alerte. Avec l'excellent '' Thérèse Desqueyroux '' il aurait manqué, dit-on , l'excommunication !

Politiquement, depuis la victoire du cartel des gauches (1924), Mauriac devient favorable à l'Action Française. Il s'affirme surtout anti-communiste ; il dénonce au travers de leur protestation quant à la guerre du Maroc, leur hypocrisie qui se moquent du '' droit des peuples à disposer d'eux-mêmes''. Il n'hésite pas à signer une pétition de soutien des intellectuels aux troupes françaises qui « combattent au Maroc pour le Droit, la Civilisation et la Paix », aux côtés de Bainville, Massis, Bourget, Valéry, Maurois...

Mauriac, cependant, semble inféodé à aucun mouvement politique. Dès 1921,il prend la défense d'André Gide contre Henri Massis ( catholique maurrassien ).

Pendant sa crise religieuse (1926-1929) il écrit les Souffrances du chrétien (1928), et reste proche de l'Action française ; après sa ''conversion'' et la publication de Bonheur du chrétien (1929) il se désabonne de L'Action française ; alors même que le mouvement de Maurras est condamné par le pape Pie XI.

C'est au cours de cette période que Lancelot croisera Mauriac, lors de ces fameuses retraites annuelles qu'organisent les Maritain, à Meudon ; également présent : Jean Daniélou qui deviendra jésuite et cardinal.

Lancelot reconnaît - en particulier - à partir de la publication de ''Thérèse Desqueyroux'', la révolte d'un homme ligoté par son éducation, un homme en révolte contre un système religieux qui lui a été imposé. Ce livre remporte en 1925 le Grand Prix du roman de l'Académie.

Comme chez Bernanos - que son roman « Sous le Soleil de Satan » paru en 1926 rend célèbre en quelques jours - les personnages sont torturés par un combat que se livrent en eux Dieu et le Diable.

 

Autre occasion de pouvoir rencontrer l'écrivain, c'est l'invitation de Paul Desjardin présent à Davos, à assister aux ''Décades'' ( ou Entretiens) de 1929, qu'il organise à Pontigny. Lancelot et Elaine vont être témoins d'une controverse entre Gide et Mauriac.

Gide évoque la biographie de Racine, où Mauriac traite de la contradiction entre l'exigence littéraire et l'exigence religieuse. Gide dénonce ce ''compromis'' : « En somme, ce que vous cherchez, c'est la permission d'être chrétien sans avoir à brûler vos livres; et vous n'êtes pas assez chrétien pour n'être plus littérateur. »

Mauriac répond qu'en soldat du Christ, il ne craint pas l'adversité. Il continuera d'écrire, et « je ne me séparerai pas de vous ni de vos amis bien que chaque numéro de la N.R.F. semble prendre position contre Jésus-Christ. Je veux rester au milieu de vous comme le pauvre ambassadeur d’une puissance méconnue » ( Correspondance Gide-Mauriac) 

Voir les commentaires

1921 – André Gide. 2

Publié le par Régis Vétillard

Depuis 1906, Gide habite la Villa Montmorency, qu'il s'est fait construire. La maison, située dans l'avenue des Sycomores, relève de la forteresse ou du paquebot....

Villa Montmorency

Lancelot et Jeanne, entrent par la porte entrebâillée... Pas d'employé de service. Une voix, de loin, les sollicite pour persévérer ; ils aperçoivent Gide, leur fait signe, il semble errer seul dans une enfilade de pièces inhabitées et sonores, d'un navire abandonné... Ils prennent un étroit escalier de phare, jusqu'au premier étage, ils distinguent une cabine avec un lit défait; encore quelques marches, un autre couloir, ils passent dans un bureau meublé d'une table pliante et d'un tabouret; Gide les conduit dans le poste de vigie qui domine une bibliothèque avec des piles de livres au sol. Des fauteuils les attendent...

Assis, face à eux pétrifiés ; l'écrivain tient à la main de grosses lunettes d'écaille...

Finalement, ils vont tous rire. L'atmosphère détendue, Gide est très curieux du jeune couple, sur leur passion commune de la lecture... Gide évoque son amitié avec Edith Wharton... Après qu'ils aient répondu à toutes ses questions, Lancelot et Jeanne finissent à poser les leurs...

André Gide 1920

Gide prend une cigarette qu'il ne quitte plus... Il répond, dans un halo de fumée, lentement comme un professeur...

Parmi les notes de Lancelot ; je lis :

- Toute théorie n'est bonne que si l'on s'en sert... et si l'on s'en sert à passer outre... Prenez Darwin, Taine, Barrès ou moi …. Mais si vous lisez Dostoïevsky – je vous le conseille fortement, commencez par ''L'idiot'', puis ''Les Possédés''... – vous verrez qu'il n'a jamais réduit le monde à une théorie.

- Pour définir une œuvre d'art... ? S'en tenir aux vers de Baudelaire : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. »

 

- Sur la religion... Tout ce que je pense contre l'Eglise, c'est avec le Christ... Et tout ce qui me retient d'y entrer, c'est l'Evangile... ! Ghéon me dit que c'est là une erreur des protestants : prétendre limiter aux seuls Evangiles la révélation... Oui... Ghéon, sans-doute le lisez-vous, en ce moment, dans l'Action Française ; j'ai l'impression qu'il me quitte ; ses articles sur la littérature sont une protestation contre ma pensée, contre moi... Et, savez-vous ce que dit Maurras... ?

« Je ne quitterai pas ce cortège savant des Pères, des conciles, des papes et de tous les grands hommes de l'élite, pour me fier aux évangiles de quatre juifs obscurs ».. !

- A mon avis, Dieu me parle davantage ou mieux dans l'Evangile, que dans n'importe quelle encyclique...

- Apprenez que Proust, envoie une auto pour me prendre... Pourquoi ? Pour me demander quelques clartés sur l'enseignement de l'Evangile, il espère y trouver quelque soutien et soulagements à ses maux...

 

- Le classicisme.... Oui, Maurras défend le sien... mais le sien opprime, supprime... Rien ne me dit que ce qu'il opprime ne vaut pas mieux que l'oppresseur. Massis écrit des articles contre moi, il m'attribue les paroles de mes personnages, celles qui peuvent me nuire... Ne lui dites pas que vous m'avez rencontré ; il vous dirait que mon influence est un danger public...

- Mme Mühlfeld... Je me souviens, je vous y ai vu... Ce jour là, je me reprochais d'être venu ; je n'aime pas entendre Valéry et Cocteau dénigrer un sujet ; ils s'amusent à créer des paradoxes de salon pour briller... Séparément, ils sont charmants.

Voir les commentaires

1921 – André Gide.

Publié le par Régis Vétillard

André Gide 1926, par B. Abbott

Jeanne L. est une admiratrice fervente d'André Gide (1869-1951)... Elle raconte qu'un jour, deux hommes sont entrés dans la boutique de son père, ils se sont intéressés aux livres d'occasion que son père présente à la vente... L'un a découvert une édition originale de ''la Porte Etroite'' devenue très rare... L'homme a désiré l’acheter ; l'instant d'avant, elle s'est approchée de son père et a murmuré d'une voix tremblante mais distincte : « Oh ! Non papa... ne vends pas celui-là... ? » Et son père, l'a retiré en s'excusant, prétextant qu'il était déjà vendu... : L'autre homme lui a souri; elle en est sûre c'était André Gide … !

Ce livre pour Jeanne est plein de magie, et dans sa simplicité atteint le sublime des grandes œuvres... Lancelot s'étonne :

- Ne trouves-tu pas Alissa, l'héroïne, trop belle et trop parfaitement pure... ? A moins que ce ne soit ce « trop » qui te fascine...

- Ce ''trop'' peut être fascinant, mais ce ''trop'' du sacrifice va jusqu'à la mort...

- Dieu, lui-même, semble n'être d'aucun secours... Dieu serait-il atroce et muet... ? A moins, qu'en fait, on ne puisse rien demander à Dieu... Pas de marchandage, même pas de récompense... ! Alissa choisit le sacrifice, la ''Porte étroite''...

Jeanne est persuadée que ''la Porte étroite'' (1909) s'équilibre avec '' L'immoraliste'' (1902); la ligne et l'esprit sont les mêmes... Dans les deux textes, l’authenticité est revendiquée ( auteur-narrateur, lettres...).

- Pour moi, la morale rigide pervertit le débat entre vertu et amour. La recherche de l'Absolu est contraire au bonheur, car éloigné des réalités terrestres... !

- Enfin... C'est le propos de Gide... J'admets que chacun des deux ouvrages, incarne une erreur: pour l'un, un mysticisme désincarné, pour l'autre un individualisme charnel...

 

Grâce à Jeanne, Lancelot a découvert Gide : Les Nourritures terrestres l'ont transporté, par son anticonformisme, son appel à s'accomplir soi-même... Il a poursuivi, avec ''la Porte étroite'' et '' L'immoraliste'...

« Ce n’est pas seulement le monde qu’il s’agit de changer ; mais l’homme. D’où surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le découvrir en toi-même et, comme du minerai l’on extrait un pur métal sans scories, exige-le de toi, cet homme attendu. Obtiens-le de toi. Ose devenir qui tu es. Ne te tiens pas quitte à bon compte. Il y a d’admirables possibilités en chaque être. Persuade-toi de ta force et de ta jeunesse. Sache te redire sans cesse : Il ne tient qu’à moi » (Les Nouvelles nourritures )

 

Gide questionne, bouscule... Les camarades de l'A.F., ne l'apprécient pas.

Lancelot s'interroge :

- Gide semble penser, parler pour lui-même ; il valorise un certain individualisme intellectuel, religieux. Henri Massis dénonce cet individualisme, attiré par ce qui serait le plus malsain.

- Il parle de lui, il écrit en vérité, sans effet, en classique...

- Mais, ce n'est que Sa vérité... Mettre à jour les doutes, les errements de l'individu, tend à le dissocier, le perdre... La recherche en soi, la recherche intérieure est préférée à La Vérité... Selon Massis, toujours, il n'admet de contrainte qu'artistique ; et son classicisme ne servirait que le désordre...

 

Lancelot et Jeanne vont tenter de rencontrer André Gide ; mais leurs tentatives tournent court. Le maître ne reçoit pas des inconnus ! Lancelot s'en remet à sa mère, pour essayer l'entre-gens mondain… Effectivement, Gide fréquente souvent Edith Wharton ; et il suffit d'attendre...  Gide a co-dirigé avec Edith Wharton pendant les années de guerre le Foyer franco-belge, organisme officiel d’aide aux réfugiés.

Voir les commentaires

1921 – Lancelot– Jeanne L.

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot profite de certains aménagements des études pour les étudiants de la classe 1920 ; d'autant qu'il effectue son service auxiliaire dans un ministère... Sont inscrits près de 9500 étudiants, et sont organisés dit-on 14000 examens, lors de cette cession, afin d'octroyer aussi des équivalences dont profitent Lancelot,...

Plusieurs étudiants sont cornaqués par un avocat qui appartient à l'entourage de Paul Painlevé, dont comme je l'ai déjà évoqué, Lancelot ; et une jeune fille, Jeanne L. (1903-1996) qui commence également ses études de droit...

 

Jeanne L. aide son père à corriger les épreuves des ouvrages de droit qu’il édite aux '' Cours de droit '', place de la Sorbonne, où il tient aussi boutiques de livres. C'est lui également qui vend les polycopiés des cours de droit...

Jeanne L. 1925

Son père, affirme que les femmes ne réussissent guère dans cette voie, mais il espère que sa fille, jolie et intelligente, aura l'opportunité de dégoter un futur magistrat plein d'avenir, ou de reprendre son affaire d'éditions... En effet, dit-on, la femme serait toute intuition. Elle aurait du mal à suivre un raisonnement, à moins qu'il soit bien cadré par des règles, comme en sciences ; or en Droit, il s'agit d'assouplir des règles pour les conformer à la réalité …

En fait, dit Jeanne... Les juristes craignent que les femmes investissent un domaine où s’établissent les fondements de la société. En accédant à l’étude des lois, les femmes pourraient prendre conscience de leur servitude et souhaiter leur émancipation... Qui sait... ?

Aussi, dès l'arrivée de la jeune femme auprès des nouveaux étudiants en Droit, elle fut captée par les plus entreprenants... Lancelot abandonna la partie, et pendant plusieurs jours, il s'est contenté d'observer les groupes qui se formaient. Si, lui-même restait seul, il tentait de s'approcher du petit groupe qui commençait à se fidéliser atour de Jeanne. Et, c'est quand elle l'entendit dire qu'il était monarchiste, qu'il rencontra enfin son regard...

 

Lancelot est rapidement séduit par la désinvolture et l'intelligence de la jeune fille. Un chapeau en feutrine enfoncé jusqu'au yeux, le pull en laine au col large sur une jupe mi-longue à plis... Alerte dans sa tenue confortable, un peu plus jeune que lui, et de très beaux yeux émeraude; Jeanne est véritablement passionnée de littérature...

Lancelot va se laisser entraîner, fasciné, puis pris par sa passion littéraire et son exaltation à vouloir rencontrer ses écrivains préférés... Il va mettre tout en œuvre, et en particulier l'accroche que les relations de sa mère peuvent lui fournir.

Lancelot a ainsi l'autorisation de se rendre au 3, rue Georges-Ville, à 18h00 , où Mme Mühlfeld reçoit...

Madame Lucien Muhlfeld

Étendue sur ses fourrures, l’hôtesse lui tend la main, lui fait bon accueil, et le trouvant si jeune, lui propose de rester près d'elle pour lui présenter quelques personnalités qui semblent bien connaître la comtesse de Sallembier... Surtout, il réussit à se faire inviter avec son amie, le dimanche après-midi... Mme Mühlfeld ne reçoit les dames que le dimanche …

Jeanne est émerveillée... Elle y croise Gide, Paul Valéry, Cocteau... Elle s'empresse autour d'eux. Lancelot se sent délaissé, et un peu gêné de la voir si désinvolte et pratiquement tenter tous de les séduire...

Lancelot observe ; Claudel est en partance vers le Japon, comme ambassadeur de France ; il est impatient d'y être et fait admirer à chacun la montre de Rimbaud acheté à son beau-frère, Paterne Berrichon. André Gide attaque brusquement le vieux marquis de Castellane – guindé, la tête rejetée en arrière - à propos de la Paix de Versailles, de la vieille Europe qu'il ne reconnaît plus, et la jeune qui l'effraie... Paul Valéry est brillant, il use de calembours et de contrepèteries.

Jeanne est très reconnaissante à Lancelot de ces premiers contacts avec ces écrivains qu'elle vénère... En particulier, elle s'amuse et appelle le jeune homme ''mon Chéri'', en référence au livre de Colette qui vient de paraître, et qu'elle goûte fort... Colette dont elle admire l'écriture, et son implication dans le journalisme... Il lui fait remarquer qu'à la grande différence du personnage de Colette, il est, lui, un peu plus âgé qu'elle. Elle répond que cela ne se voit pas ; et que, de plus, elle a bien plus d’expérience que lui... Elle ne peut s'empêcher de lui raconter sa relation 'particulière' avec une camarde de classe, qui lui valut un renvoi de son collège... ! D'ailleurs, pour ce qui est des hommes, elle les préfère plus âgés... Elle aime répéter aussi, qu'elle n'épousera qu'un homme de lettres ; même si son père espère la voir convoler avec un magistrat...

Voir les commentaires