madame solario
Madame Solario - 3-
Dans cette troisième partie, la narratrice replace l'action sous le regard du jeune Bernard Middleton.
La haute société de l'hôtel à Cadenabbia va réagir à ce que l'on commence à soupçonner de la vraie nature de la relation entre le frère et la sœur....
Bernard ressent fortement la violence qui anime le comte Kovanski. Le colonel Ross, tente paternellement de le dissuader de l'approcher davantage... « nous ne les comprenons pas tout à fait - ils ne respectent pas les mêmes règles que vous connaissez »...
Enfin, un bal à la Villa d'Este réunit toute la société des bords du lac.
Madame Solario danse avec grâce... Middleton, toujours fasciné par elle, réduit à la position de spectateur, regarde le magnifique spectacle, dans lequel il regrette de ne pouvoir être lui-même acteur, mais il se sait ''invisible''...
Natalia et Eugène dansent ensemble; quand Missy se jette entre eux, et crée le scandale... Elle s'écrie : « Sa sœur ! Sa sœur.. ! »
Bernard ne comprend pas. Nous-même ne sommes pas persuadés de ce qui existe réellement entre le frère et la sœur ; le mot inceste n'est jamais prononcé.
« Il atteignit l'angle du couloir quand, devinant une présence, il se retourna. A l'autre bout du corridor, madame Solario venait vers lui. Ils marchèrent à la rencontre l'un de l'autre et, pendant les dernières secondes, avant qu'ils ne se rejoignissent devant la porte de la jeune femme, il eut conscience de certains détails, comme le frou-frou de sa jupe et le port de sa tête rejetée un peu en arrière. Elle attira Bernard dans la pièce, sans refermer la porte, qu'elle laissa entrouverte. Tandis qu'il demeurait pétrifié, elle leva le bras dans un geste d'une grâce admirable et pencha vers elle la tête de Bernard jusqu'au moment où les lèvres du jeune homme pressèrent les siennes. Puis, se dégageant de ses bras, elle le poussa au-dehors. » fin du chap 28, p 456
Le lendemain, Natalia demande à Bernard de l'accompagner dans sa fuite ; sans lui donner aucune explication. Elle tente de fuir son frère, et de retrouver un vieil ami américain qui pourrait être en Italie et qu'elle souhaiterait rejoindre, et avec qui elle retournerait en Amérique...
A travers les yeux de Bernard, Gladys Huntington évoque et souligne à plusieurs reprises la beauté idéale, presque irréelle de Madame Solario... Alors que les événements vont se bousculer et entraîner le jeune homme bien au-delà de ce que son père attendait présentement ( son retour en Angleterre...) ; Madame Solario reste imperturbable, et utilise avec indépendance l'admiration que lui voue le jeune homme...
Bernard et Natalia fuient ensemble - le jeune homme se délecte de cette intimité, toute chaste - et vont rechercher en plusieurs villes la trace de ce vieil ami américain, entre Florence, Parme et Milan... C'est à Milan qu'il perdent sa trace... Et c'est au Palace Hôtel, qu'ils vont retrouver Eugène et Kovanski partis à la recherche des fuyards...
Bernard n'a plus d'argent, et tente de demander de l'aide au Consulat d'Angleterre...
A l'occasion d'un malaise d'Eugène, le médecin qui rencontre le groupe, s'adresse au jeune Bernard :
« - Mais vous avez une famille ? »
Après l'avoir regardé de haut en bas d'un air impatient, le docteur l'observait maintenant, le jaugeait :
« Vous avez des parents quelque part ? demanda-t-il.
- Oui », dit Bernard, après un silence plus long.
Le docteur sembla avoir pris une décision. il commença par mettre sa trousse sous son bras et par enfiler ses gants. C'étaient des gants de coton gris, et Bernard comme fasciné, n'en pouvait détacher ses regards.
« J'ignore quelles études vous avez faites, dit-il, mais vous savez peut-être que les géologues appellent « failles » des points faibles de l'écorce terrestre, qui provoquent des tremblements de terre et des affaissements de terrain. »
Ses gants une fois enfilés, il se mit à les boutonner avec des gestes énergiques :
« Et je vais vous dire une chose que l"expérience m'a apprise, poursuivit-il. Voyez-vous, il existe des gens qui, à l'exemple des failles, sont comme un point faible dans le tissu dont est faite la société : partout où ils se trouvent, ils apportent le trouble et le désastre. »
Sous ses sourcils hérissés, il lança à Bernard un regard féroce.
« Jeune homme, ne restez pas ici ! Retournez sur un terrain solide, le plus tôt possible ! »
Étourdi sous le choc, Bernard, incapable de saisir clairement le sens de ces paroles, se souvint confusément d'une ascension en montagne et du pire moment qu'il eût jamais connu, celui où une crevasse s'était ouverte presque sous ses pieds. » p 454
Dans une des dernières scènes du roman, le comte Kovanski, déterminé à se marier avec la fascinante héroïne, malgré le scandale et même pour la racheter en quelque sorte, fait référence sans le nommer à l'inceste commis par Natalia et Eugene. Cependant, ni le frère ni la sœur ne l'admettent... Eugène essaie de le nier, affirmant que la rumeur était simplement le fruit de l'imagination grossière de Missy Lastacori.
Pourtant, Eugène change de comportement quand il crie à Kovanski: « Elle est à moi, seulement à moi. Vous ne l'aurez pas … Elle est à moi! », montre évidemment qu'il ne peut pas se contrôler même en public et qu'il admet la relation transgressive qui existe entre lui et Natalia...
Finalement, nous constatons que Madame Solario tente de fuir son frère ; cependant sans plus d'opposition de sa part... c'est ensemble qu'ils quittent l'Italie...
Cette nouvelle fuite, laissent et prennent de surprise Kovanski - qui choisit le suicide - et Bernard Middleton seul devant ses illusions, et sauvé de l’abîme par le consulat et le Colonel Ross qui prennent en charge son retour en Angleterre.
Madame Solario - 2-
Dans cette deuxième partie ( Chap 10), la narration se centre autour de madame Solario et de son frère, avec un changement de point de vue : celui d'Eugène, Nelly n'exprimant que très peu le sien... Bernard Middelton est à peine mentionné au cours de ces dix chapitres.
Intéressant de remarquer le titre français du livre, ''Madame Solario'', connecte la femme à Paris - où elle a vécu comme adolescente – et indique son état matrimonial...
On apprend que le mariage de Natalia s'est rompu et qu'elle envisage le divorce. Nous n'en apprenons pas les raisons... Luis Solario, son mari sud-américain, richissime marchand et ami de son beau-père, l'a emmenée dans sa patrie où ils vivaient dans un ranch.
A présent, Natalia est aux prises avec son frère Eugène Harden, qui « débarque » littéralement à l'hôtel avec, dans un premier temps, l'intention de demander des comptes à sa sœur à propos de l'héritage familial.
Ce qui s'est réellement passé autrefois, n'est pas clair... Le beau-père ( nommé, de Florez) de Nelly et Eugène, donc le mari de leur mère – aurait eu une ''aventure'' avec la jeune fille alors qu'elle n'avait que seize ans... Eugène, aurait ressenti cela comme un affront fait à sa mère, dont il tient responsable le beau-père, mais aussi sa sœur. Eugène aurait blessé son beau-père, et aurait été contraint à un long exil, reprochant à sa sœur son manque de soutien, et d'avoir accaparé par la suite l'héritage familial …
Ces informations sont distillées lors d'entretiens entre le frère et la sœur, au cours desquels les informations pour le lecteurs restent vagues, d'autant que Madame Solario reste mystérieuse, sans approuver les propos de son frère...
Par ailleurs, la vie mondaine à l'hôtel, suit son cours...
« A cette époque de féminité triomphante, le comportement de madame Solario était bien particulier. Elle n'apparaissait pas en public avec cet éclat et cette assurance qui étaient alors de règle parmi les femmes, pour peu qu'elles fussent douées de beauté ou de charme. En général, elles revendiquaient hautement le privilège d'être admirées, mais madame Solario n'exigeait rien de semblable. » (chap 13
Sans accent étranger, Eugène Harden n'avait pas l'air tout à fait anglais. « Il n'avait pas, selon les conceptions du colonel Ross, le bon ou le mauvais type d'Anglais. Pas tout à fait anglais, mais trop anglais pour être étranger - on ne pouvait pas dire, en bref, ce qu'il était... »
J'ai été frappé par la référence faite à Peter Schlemilh ( j'en ai parlé ici), l'homme qui avait perdu son ombre … Eugène s'est retrouvé ''sans papiers'', seul, comme sans ombre...
Eugène regrette de n'être pas comme ''ces gens'', il envie leur ''supériorité'': ils ont la supériorité de devoir leur bonne fortune à quelque chose dont ils n'avaient rien à voir. Ils sont nés avec une sorte de ''super-soi'', qui plane au-delà des frontières, et pensent qu'ils ont le droit de regarder d'en-haut...
Longuement, Eugène interroge sa sœur sur leur passé; s'il obtient peu de réponse de sa part, lui ne se prive pas de commenter seul et avec amertume, jalousie... Il serait, lui, la seule victime de ce drame familial, parce qu'il a vengé la mère, pour être condamné à l'exil, puis à la nécessité... Il semble persuadé (?) que sa sœur a trahi leur mère et causé le malheur de la famille, et n'envisage pas encore qu'elle ait pu être simplement la victime d'un homme plus âgé, sans scrupules.
Eugène semble, ensuite, avoir mieux compris... Il n'est plus indigné, et ne blâme plus sa sœur... Mais, si l'acte en soi reste condamnable, la jeune fille immature, désorientée, pourrait avoir gagné à découvrir le plaisir de la sexualité... En effet, on apprend que le jeune Eugène aurait raté sa cible, en essayant de tirer sur de Florez, alors qu'il surprenait le couple en flagrant délit et fut choqué de voir le plaisir exprimé sur le visage de Natalia....
Eugène va aussi se rendre compte que sa sœur, n'est pas aussi riche qu'il le pensait.
Il commence à échafauder, par l’opportunité des rencontres dans cet hôtel, l'avantage que sa sœur et lui pourraient en retirer...
L'histoire sexuelle sur laquelle repose l'intrigue de '' Madame Solario'' - qui finalement se fait connaître - est ainsi marquée par la transgression, voire même dans l'esprit de certains par la perversion... Cela explique peut-être pourquoi à Cadenabbia, la jeune femme triomphe ainsi non seulement des jeunes filles mais aussi des femmes plus âgées... Madame Solario offre une combinaison toute particulière, faite de beauté, de sexualité, de mystère, de drame; et qui la rend irrésistible aux yeux des hommes.
L'attention est alors portée sur la relation de madame Solario avec le comte Kovanski... Ni Eugène, et donc ni le lecteur, n'est au courant de ce qui s'est passé (?) auparavant entre lui et Natalia... Puis, elle semble avouer que le comte est un ancien amant, dont l’obsession pour elle devient à présent menaçante... Eugène, retient ce qui pourrait l'intéresser : le désir du comte - qu'il nomme le Centaure - de se marier avec sa sœur, pourrait être une opportunité...
Le frère et la sœur, s'entretiennent des intrigues galantes du couple San Rufino : Natalia avec le marquis, et Eugène partageant ses flirts entre la marquesa... et la jeune Missy, fille de la Marchesa Lastacori,
La vie sociale de l'hôtel offre multiples occasions de se voir, de se rencontrer de se jauger... Chaque nuance dans le comportement de chacun a une signification, de sorte que le choix d'un siège peut constituer une victoire ou un revers, et quelques mots, peuvent changer la tonalité de la journée....
Eugène s'amuse beaucoup.. Il savoure le luxe, et imagine la manière de manœuvrer pour vivre ensuite à Rome, aux crochets du couple San Rufino...
La nuit Eugène entretient longuement sa sœur, dans sa chambre, et y fait des plans sur l'avenir de l'un et l'autre; leur futur à présent semble lier... Elle écoute beaucoup, intervient peu...
Ils forment un beau couple, une paire éblouissante ; on les nomme ''les Gémeaux '', du fait de leur allure commune, de leur beauté...
Un incident éclate entre Kovanski, et le marquis San Rufino... Puis, c'est Eugène qui s'affronte au comte; qui disparaît...
On apprend aussi que Missy est au courant de la tentative de meurtre du beau-père par le frère... !
Les sentiments des uns et des autres s'échauffent, et les plans d'Eugène se délitent.... A voir « l'accord » entre Natalia et San Rufino, Eugène se demande s'il n'y a pas entre eux plus qu'il ne le supposait... La mère de Missy reproche à sa fille d'accepter les attentions du frère ; d'autant que lui-même adresse ses hommages à une autre... Puis, Eugène craint que Missy ne colporte des rumeurs sur son compte ...etc
La dernière scène de cette seconde partie, se passe la nuit dans la chambre de Natalia... Le frère et la sœur envisagent de quitter Cadenabbia... C'est une longue nuit, Eugène quitte la chambre et revient … Longs échanges, et brusquement, Kovanski surgit de la fenêtre, saute à l'intérieur de la pièce... Il s'imaginait trouver Natalia couchée avec un homme ; mais, il ne pensait pas trouver Eugène... Devant la colère du frère, Kovanski reconnaît avoir agi par jalousie...
Les deux hommes vont quitter la chambre de Madame Solario... « Au bout de quelques minutes, il revenait. Il ferma la porte et la verrouilla. Et telle était en lui la violence du désir que pour traverser la pièce il avançait en trébuchant.
« Comme votre papa est bon pour vous ! » dit-il haletant. » Page 348, fin de la partie II.
Le lecteur sait que cette dernière phrase fait réponse à la relation perverse entre Natalia et son beau-père... Ces mots était ceux utilisés par une gouvernante française, qui, voyant de Florez penché vers le cahier de Natalia, et ignorante du fait qu'elle avait en fait surpris son employeur en train de séduire sa jeune belle-fille, et non pas de l'aider dans ses devoirs, avait naïvement commenté ainsi l'attachement de l'homme pour la jeune fille. Eugène, donc, connaît les détails de cette scène qui a marqué le début de la relation de Natalia avec son beau-père...
Tout pourrait donc suggérer, que va commencer là une relation incestueuse... qui n'a jamais été évoqué précédemment...
A suivre...
Madame Solario - 1-
J'avais lu une première fois ce roman, alors qu'il était considéré d'un auteur anonyme ( collection 10/18) , avec de fortes présomptions que ce soit Winston Churchill...
Je viens de le relire, sachant que l'auteure en est Gladys Huntington, née Parrish, américaine née en 1887 et décédée en 1959.
Ce livre fut publié, anonymement, en 1956. Gladys Huntington se suicide trois ans plus tard. Sur la stèle posée sur sa pierre tombale est inscrite la mention : « Epouse de Constant Huntington et fille d’Alfred Parrish ».
Je vais tenter de raconter le sujet de ce livre qui m'a impressionné... A noter, tout de suite, que j'ai aimé ce livre pour ce qu'il se retient de dire, plutôt que par son intrigue qui pourrait se résumer, ou se décrire à la manière du film de René Féret (2012) , que je ne recommande précisément pas, du fait de l'absence du mystère qui irradie le livre ( ajouté au fait, sans-doute, de l'anonymat de l'auteur …).
Ce livre, va bien au-delà d'une réflexion sur les structures sociales et familiales : conditionnement social, inceste ..etc..). Le film est trop conventionnel, pas assez mystérieux... ; et trop loin des images que mentalement le lecteur se construit en tournant les pages … Marie Féret ( Natalia Solario) est trop jeune pour le rôle... Restent, l'esthétique des décors et des costumes, la beauté du lac de Côme...
Ce livre de 500 pages, est organisé en trois parties et trente chapitres.
L'héroïne de ce roman est Nelly-Natalia-Ellen Solario, et l'histoire est située en 1906, dans un palace de Cadenabbia, l’Hôtel Bellevue ( qui existe toujours), au bord du lac de Côme, en Italie. Lieu de villégiature, nous sommes au coeur d'une société mondaine cosmopolite (avec des américains, italiens, français, russes et anglais). Le décor, et le mystère qui entoure l'héroïne pourraient nous renvoyer à quelques écrits de Henry James...
Madame Solario distille quelques renseignements sur ses origines : anglaise, américaine et plus encore avec son nom ''exotique''… La réticence de Natalia à donner des informations sur elle-même ne fait qu'ajouter à son énorme charme, ce qui fascine – avec sa beauté - en particulier les hommes.. Citoyenne du monde, déracinée et familiarisée avec la haute société, elle incarne une question que chacun tente de résoudre...
Gladys Huntington, nous décrit un tableau, où s'offrent particulièrement à nos yeux les toilettes féminines :
« En l'année 1906, les femmes portaient de longues jupes qui leur moulaient les hanches et rasaient le sol ; les tailles fines étaient serrées dans d'étroites ceintures, les bustes pleins et les corsages très ornementés. La mode d'été exigeait aussi le port de volumineux voiles de mousseline jetés sur les chapeaux à larges bords et flottant de là sur les épaules jusqu'à la taille ou même au-dessous.
Une telle profusion de parures faisait de chaque femme une sorte de divinité, et une divinité suppose toujours un culte. L'atmosphère sociale de cette époque était particulièrement imprégnée de féminité. »
La première partie est racontées du point de vue de Bernard Middelton, jeune Anglais qui vient de finir ses études et qui bénéficie de quelques vacances avant de rentrer en Grande-Bretagne prendre un poste dans la banque familiale. Il est ici, seul, de façon inattendue, du fait de la maladie de son compagnon de voyage... Il semble naïf, mais observateur, et rapide à tirer des conclusions...
'Middleton '- comme les jeunes filles l'appellent - est dès son arrivée, rapidement entraînée dans un tourbillon d'excursions en bateau et de bals. Il se sent attiré vers une jeune fille aristocrate hongroise, Ilona Zapponyi ; il remarque sa pâleur et son air malheureux. Mais la jeune fille, n'a d’yeux que pour le comte Kovanski.... Bernard « sut tout de suite qu'il n'aimait ni l'homme ni le regard»; en effet, ce personnage apparaît bien antipathique, hautain...
Nous aurions pu imaginer une intrigue d'amour entre Middleton, et Llona...
« Sa position à l'égard d'Ilona changea. Il se sentait toujours attiré vers elle, mais leurs routes étaient parallèles, elles ne se rencontraient pas comme il l'avait cru pendant la demi-heure qui venait de s'écouler. »
A l’hôtel Bellevue, les jours coulent doucement entre excursions sur le lac, balades, pique-niques, bals et potins en tout genre. Quand le bateau à vapeur du soir arrive, tout le monde observe les éventuels nouveaux arrivants... C'est l'un des événements de la journée, un événement social...
« Le vapeur du soir accostait au même moment et tout le monde était sur la terrasse pour assister à l'arrivée éventuelle de nouveaux pensionnaires. C'était l'un des événements de la journée, et même un événement mondain, une « réunion ». C'est par ce même vapeur que Bernard était arrivé lui aussi et il se rappelait l'impression à la fois chatoyante et mystérieuse que lui avaient faite de prime abord ces gens alors totalement inconnus. Maintenant il les connaissait, tout au moins de vue et de nom, et il était là, parmi eux, regardant un paysage tout différent de celui qui s'offrait aux yeux des arrivants. La roue à aubes de l’archaïque petit vapeur blanc brassait l'eau à grand bruit. On lança des cordages, les noeuds coulants s'accrochèrent aux poteaux du débarcadère et les passagers descendirent la minuscule passerelle. Du rivage, quelqu'un aperçut une figure de connaissance et l'on échangea des paroles d'accueil. Chacun semblait parler et sourire, il régnait une gaieté générale, on aurait presque dit une scène d'opérette. »
L'hôtel devient une scène où vont se fréquenter et s'observer une foule de personnages, qui dans le cadre d''un confortable désœuvrement vont graviter de plus ou moins prêt, autour d'une belle femme mystérieuse puis du couple qu'elle forme avec son frère qui la rejoint... Certains vont être entraînés dans les ''combines'' conçues par le frère et soeur.... En particulier le couple du marquis et de la marquise Lastacori, avec leur fille Missy : « cheveux noirs, et un teint naturellement coloré, des hanches étroites, une poitrine pleine, et ses mouvements nerveux faisaient tinter ses bracelets ». cette jeune fille exubérante, capricieuse va tomber amoureuse du frère de Madame Solario...
Alors que Bernard a l'espoir de retrouver Ilona, il entend une conversation entre sa mère et le colonel: « Madame Solario revient demain ». «Ah, vraiment?» répondit la comtesse Zapponyi un peu sèchement. Il est clair que le colonel et la comtesse connaissent Madame Solario, mais le nom entendu derrière une colonne, pour le moment, ne signifie rien pour Bernard.
Puis, il constate le départ de Llona...
Ensuite, Bernard va être sous le charme de madame Solario, de près de dix ans son aînée, et devient secrètement amoureux d'elle.
Madame Solario apparaît, puis passe comme une enchanteresse qui capte l'attention des hommes; elle pourrait, alors, être comparée à une «Belle dame sans merci», à la fois vulnérable et inatteignable. Nous n'apprenons que fort peu de choses d'elle, celles que peut glaner le jeune Bernard Middelton : n'aurait-elle pas un accent français, d'où vient-elle, n'est-elle pas américaine, pourquoi est-elle ainsi seule... ? Peut-être peut-on capter une certaine froideur, du fait de la distance que met l'énigmatique Me Solario avec les autres résidents ; alors que le jeune anglais, lui, nous devient plus familier …
Il semble que Me Solario apprécie la présence du jeune homme; ils sont de connivence ; elle insiste pour qu'il l'accompagne dans une promenade en barque sur le lac.. Et tout cela semble t-il, sous le regard dissimulé du comte Kovanski...
Ils marchent le long des sentiers sinueux qui longent le lac, Bernard devient un compagnon fréquent, et impressionné par cette beauté insaisissable.
Ils deviennent assez proche, au point qu'elle demande à Middleton de ne rien lui cacher et de la prévenir s'il se passait quelque chose de désagréable … A son tour, il lui demande de ne pas partir sans lui avoir fait savoir.... Elle lui promet.
Par son charme sa réserve, sa beauté, Natalia Solario, devient le centre d'intérêt de tous ; et en particulier de quelques hommes, comme le comte russe Kovanski, rarement visible... Bernard constate - pendant les repas - que Kovanski couve d'un regard amoureux Me Solario ; et que Ilona, avec qui Bernard a sympathisé, n'a aucune chance de gagner l'intérêt de Kovanski...
Le bal est l'occasion de montrer la grâce naturelle de madame Solario, elle danse de façon exquise ; elle est très demandée, et les hommes se font concurrence et attendent pour danser avec elle …
Une certitude est la beauté de Madame Solario : blonde, grande... Elle agit en douceur, mange avec grâce... Et personne n'a idée de ce qu'elle pense...
Elle possède un chapeau pour chaque occasion, mauve, ou blanc ; un chapeau de paille naturelle pour faire du bateau... Il existe même un ''chapeau de restaurant'' avec le bord transparent et une énorme rose rose devant, et le même genre de rose est attaché à la ceinture de sa robe en dentelle blanche.
Enfin, c'est l'arrivée surprise à l'hôtel, d’Eugène Harden, le frère de Madame Solario, qu'elle n'a pas vu depuis douze ans, et qui l'appelle Nelly.
A suivre...
Auparavant... Incursion dans la Légende arthurienne avec la '' Dame sans Merci ''
Edith Wharton – Les règles de la fiction
L'ambiance qui règne dans ce colloque littéraire improvisé semble excellente, et peut-être facilitée par quelque vin frais italien... Très vite la discussion entrevoit le thème du sujet du roman; par sujet j'entends l'enjeu, duquel les personnages et la situation sont au service...
Winston et Edith se disputent sur le sujet, que chacun rêverait d'écrire, mais - qui ne peut se faire - ... Edith raille d'ailleurs ces romans qui se voudraient résolument modernes par leur écriture ''pornographique''. Elle en revient encore à son ami, Henry James... Subjectivité et mystère, tout l'opposé d'un Maupassant ... Si l'instinct sexuel anime un personnage, et que l'auteur explique la situation, alors le personnage devient une marionnette... Ceci dit même si Maupassant est un auteur exceptionnel, par sa maîtrise de l'écriture, son style puissant et précis; il pense qu'on obtient le meilleur effet en peignant les êtres de l'extérieur plutôt que de l'intérieur; il ne tient pas compte de la nature morale de l'homme...
Churchill, reconnaît que Maupassant choque la bienséance victorienne... Edith Wharton, ajoute que la culture victorienne mêle art et morale... Au fond, à Maupassant il manque l’ambiguïté, et le mystère de James...
« La quête du secret ne doit jamais se terminer car elle constitue le secret lui-même. » Tzvetan Todorov, critique littéraire bulgare, à propos de la nouvelle de Henry James, « Le motif dans le tapis ».
Et si nous relevions le défi - propose Clémentine - quel est le sujet le plus choquant qu'un auteur ne pourrait écrire sans talent, et que seule la vraie littérature pourrait s'emparer...?
Anne-Laure rappelle qu'Edith est déjà allée bien loin dans cette exploration... En effet, dans « L’ermite et la sauvageonne », la romancière nous plonge dans une ambiance mystérieuse pour témoigner avec finesse et subtilité de ... disons ''l'appel de la chair'', même si ici, il est encore aveugle et sans objet. Dans « Le prétexte », Edith tourne en dérision les contraintes sociales et les réticences morales qui entravent les sentiments d’une femme mûre; hélas si l'écriture est délicate, l'intrigue est cruelle....
Edith Wharton, se plaint amèrement de la situation dans laquelle se trouve la femme aujourd'hui... En littérature, aussi, reconnaissez - dit-elle - qu'avant Jane Austen il était possible d'aborder sans honte tous les aspects de la vie. A partir de cette époque, la pruderie s'est mise à régner...
Thackeray (1811-1863), lui-même, présentant sa merveilleuse ''Foire aux vanités'' (1848) comme un spectacle de marionnettes, reconnaissait avec amertume et tristesse: « Depuis la mort de l'auteur de Tom Jones (1749), aucun romancier parmi nous n'a été autorisé à dépeindre un ''homme'' dans toute sa vigueur »... Les romans de Charlotte Brontë (1816-1855), d'un romantisme irréel, sont accusés de sensualité et d'immoralité... !
Finalement, Morton Fullerton propose un sujet, qui lui semble tabou par excellence... Edith le sait, Morton est attiré par les relations en marge... L'amour très protecteur de sa mère, son attirance très jeune pour sa petite cousine, Katherine Fullerton, élevée avec lui comme sa sœur... Tout cela sans-doute l'amène à proposer le sujet de l'inceste... Et, précisément, Edith est interpellé depuis longtemps par ce thème...!
Alors, attention...! Je reste avec Edith Wharton, sur le plan littéraire; l'inceste n'est pas pris dans sa réalité scandaleuse... Son évocation est une stratégie d'évitement... En effet, écrire sur l'exquise découverte du plaisir sexuel, par un rapport incestueux, rend inavouable cette bouleversante révélation... Edith, sait que l'émoi féminin est condamné au mutisme...!
Donc, effectivement, évoquer l'inceste, signifie au lecteur que le plaisir sexuel, en soi, devient alors un motif inavouable, qui ne peut être écrit...
Et cependant, quelqu'un va relever le défi...? Winston Churchill...? Edith Wharton...? ou ... Gladys Parrish...?
Effectivement, Gladys Parrish (1887-1959) sera l'auteure d'un best-seller, mais l'oeuvre restera anonyme, et provoquera en partie son suicide... Et, précisément, la trame de ''Madame Solario'', pourrait bien être née, là pendant ces longues discussions autour du thème d'un futur succès littéraire... Longtemps ce roman, sera attribué à tort à Churchill....!
Les trois prochains articles seront consacrés au roman ''Madame Solario''
Sources: ''Les règles de la fiction'' d'Edith Wharton