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marrou

1950 - Henri-Irénée Marrou (1904-1977)

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot passe beaucoup plus de temps dans les couloirs et les bureaux des ministères à Paris, qu'au Vatican. L'année 1956 est assez particulière, en ce que la fébrilité qui s'empare des politiques amène Lancelot à répondre à de multiples sollicitations.

Henri-I Marrou avec Danielou

La présence intellectuelle d'Henri Marrou va beaucoup l'aider. J'ai déjà fait état de la rencontre de Lancelot avec Henri-Irénée Marrou (1904-1977), à Lyon en 1942, proche de Mounier et de ''Témoignage Chrétien''. J'ai cité l'une d'entre nombreuses discussions sur l'histoire et le christianisme dans l'antiquité tardive... En 1955, Lancelot et Henri Marrou se croisent dans le cadre de la revue ''Esprit'', et Lancelot sollicite souvent son avis sur l'actualité.

 

Henri Marrou occupe la chaire d'histoire du christianisme à la Sorbonne depuis 1945. Emmanuel Mounier lui a proposé de le rejoindre aux ''Murs blancs'' dans la banlieue sud de Paris. Il s'agit de deux maisons bourgeoises divisées en appartements à Chatenay-Malabry, dans un grand parc, où vont se côtoyer les familles Mounier, Marrou, Baboulène ; les Domenach, les Fraisse et les Ricoeur ( le derniers en 1957). Chacun est indépendant, mais participe à une vie communautaire.

Simone Fraisse est agrégée de lettres et spécialiste des œuvres de Simone Weil ; Jean-­Marie Domenach, est un intellectuel et journaliste engagé, et sa femme, Nicole, professeure à l’école d’arts appliqués Estienne ; Jean Baboulène est à ''Esprit'' comme tous, et secrétaire général de la Jec, directeur de Témoignage chrétien jusqu’en 1949.

 

Lancelot apprécie beaucoup de passer aux 'Murs Blancs ', en particulier pour y rencontrer Henri Marrou, sa femme Jeanne, et parce qu'il est très intéressé par sa réflexion sur l'Histoire; elle est une constante question, il la nomme « l'histoire-questions » ; et l'Histoire est une rencontre, elle est dit-il « une rencontre d'autrui » et, même « un mixte indissoluble du sujet et de l'objet ».

Lumière du Graal - Cahiers du Sud -1950

 

Pour Marrou, le sujet du Graal est « l'un des plus beaux que présente le moyen âge occidental. ». Il le rapproche volontiers d'une réflexion sur l'histoire des religions, en commençant par l'exploration des vieilles croyances celtiques, jusqu'à l'eucharistie chrétienne. Nous sommes confronté également, dit-il, à la transmission de la légende : par quels moyens est-elle parvenue à la connaissance des auteurs médiévaux ? Comment a travaillé Chrétien de Troyes, sur quels documents ? Cette '' Matière de Bretagne'' est bien originale, dans sa '' Merveille '' qui n'est ni grecque, ni romaine, ni slave...

- Ne trouve t-elle pas ses origines « dans le sol même de la Bretagne, de la vieille Bretagne celtique. » ?

- Oui, sans-doute ; mais il faudrait faire le ménage de beaucoup d'hypothèses fantaisistes... et je pense à celle du catharisme.

Un livre récent de Jean Marx, sur ce thème, est assez éclairant. Bien sûr, il privilégie l'arrière-plan celtique pour expliquer l'ossature de la légende.

Si Lancelot ne nie pas l'origine celtique de la Légende, il estime fondamental de ne pas occulter la transcription catholique de la légende et sa perpétuation à partir d'un environnement médiéval. Car enfin, pour nous, le Graal prend corps à cette période de notre histoire !

S'amusant un peu ; de l'identification de Lancelot à la quête de son personnage emblématique ; Henri Marrou pointe dans la recherche historique une fonction libératrice, aussi bien pour la société que pour l'individu.

- Vous ne croyez-donc pas à la l'objectivité et l’exhaustivité des historiens ?

- Non... L'historien n’appréhende pas le passé directement, mais à travers lui-même et son propre présent.

- On ne peut pas parler de ''vérité historique'' ?

- Cette vérité se cherche et se construit, avec à mon sens, d'autant plus de justesse que nous connaissons ce qui fait la spécificité d'une époque et « ce principe de la différence des temps », pour éviter l'anachronisme.

Pour se faire comprendre du plus grand nombre, l'historien ne craint pas d'utiliser ce que Augustin Thierry nommait au XIXe s. « la puissance de l'analogie », avec ses limites... Attention à l'anachronisme !

Carte Lancelot - 1950

 

Lancelot ne manque pas d'évoquer son arrière grand-père Charles-Louis de Chateauneuf qui connaissait bien Augustin Thierry (1795-1856), et il notait combien cet historien s'était nourri des romans de Walter Scott. Dans son travail, il faisait la place aux légendes, à l'imaginaire...

Bien sûr, Thierry revenait aux sources, aux textes originaux et aussi aux poésies populaires ; il aimait retrouvait le vieux langage français. Il disait s'intéresser plus aux vaincus qu'aux vainqueurs, à la différence du XVIIIe s. pendant lequel l'historien était au service du ''Prince''. Il pensait qu'il revenait à l'historien de faire revivre par son style les individus et les peuples disparus : « II faut pénétrer jusqu'aux hommes, à travers la distance des siècles, il faut se les représenter vivants et agissants sur le pays où la poussière de leurs os ne se retrouverait pas même aujourd'hui... (…) Que l'imagination du lecteur s'y attache ; qu'elle repeuple la vieille Angleterre de ses envahisseurs et de ses vaincus du XIe siècle ; qu'elle se figure leurs situations, leurs intérêts, leur langage divers, la joie et l'insolence des uns, la misère et la terreur des autres, tout le mouvement qui accompagne la guerre à mort de deux grandes masses d'hommes. »

 

Henri-Marrou ( ancien ''tala'' de l'Ecole Normale) se définit comme catholique, spécialiste de Saint-Augustin, lecteur de Cassien ( IVe s.) et du frère carme Laurent de la Résurrection ( XVIIe s.) ; et passionné par l’œuvre de Teilhard de Chardin, qu'il avait rencontré étudiant, lors de réunions du groupe « tala » de la rue de Grenelle.

Marrou dit qu'il prie, depuis, avec une vision christocentrique du monde : « Aidez-moi Seigneur à me dégager par ascèse de la gangue inerte de mon cœur et que je puisse travailler avec vous, Christ, à réconcilier toutes choses avec le Père » (...). « sentir avec l’Église, mais aussi sentir avec le monde. »

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1942 – Lyon – Témoignage Chrétien

Publié le par Régis Vétillard

Pierre Chaillet (1900-1972)

Lancelot rencontre Pierre Chaillet, dont il connaît les services pour les SR, en Hongrie. Il est prêtre-jésuite et enseigne à la faculté de théologie de Lyon, il regroupe autour de lui des chrétiens hostiles au régime de Vichy et au nazisme ; et en particulier s'investit pour venir en aide aux juifs dont beaucoup sont ici réfugiés. Alors qu'il anime déjà l’association humanitaire '' L'Amitié chrétienne " ; il décide de lancer sa propre revue pour mettre en garde et alerter l'opinion chrétienne des dangers de l'idéologie nazie.

En novembre 1941, est distribué sous le manteau, un cahier de ''Témoignage Chrétien '' : « France, prends garde de perdre ton âme » co-écrit avec des jésuites et des pasteurs. Puis en décembre et janvier 42 : « Notre combat », « Les racistes peints par eux-mêmes », février et mars 1942... Ces cahiers s'en prennent à l'idéologie nazie, appellent à une ''résistance spirituelle '' et s'inquiètent que la hiérarchie catholique puisse s’accommoder de la '' Collaboration''. En janvier 1942, Henri Colin est arrêté alors qu'il diffuse la revue. Jean Chanton, Pierre Crozier, sont ensuite arrêtés ; et bien d'autres ensuite

Henri Marrou (1904-1977), est professeur à la faculté de Lettres de Lyon. Il est cofondateur de la Revue du Moyen Âge latin et la collection « Sources chrétiennes ». Il s'investit dans '' L'Amitié chrétienne "et écrit dans les cahiers de T.C et collabore avec E. Mounier. Sa personnalité et son érudition séduisent Lancelot. Passionnantes furent les discussions sur le passage d'une culture antique à une culture chrétienne et le rôle de Saint-Augustin. « La recherche historique est une rencontre en un sujet et un objet, il faut être humble devant les faits. » dit-il.

Le Moyen-âge chrétien : la chrétienté... ?

- Un mythe ! Et pour ce qui est de la dernière période de l'histoire romaine, il faut abandonner le terme de ''décadence'', disons : antiquité tardive.

Il rêve d'une civilisation métaphysique, pour le moins d'inspiration chrétienne... De quoi se rapprocherait-elle ( dans le passé) ? Pas de la Contre-Réforme, du baroque... Ni du Gothique … Peut-être proche du Pré-roman, ou de ces basiliques élevées sur les ruines de la Rome païenne....

Actuellement, nous vivons dans un monde épuisé, si malade qu'il ne peut faire illusion sur son sort...

Nous sommes ballottés entre le risque de sombrer dans une atroce barbarie technique,et une conception marxiste négatrice de toute composition valable avec le passé.

Quelle est la vérité de l'Histoire ? Inutile de chercher une impossible objectivité. Je dirais même qu'il est nécessaire de trouver une sympathie avec votre objet d'étude.

Henri Marrou fut l'élève de Jérôme Carcopino à la Sorbonne ; il garde pour lui une véritable admiration de disciple... !.

- Même s'il sert à présent Pétain et son régime ? - Oui.. ! Nous avons des divergences ; mais je préfère que ce soit lui, à ce poste.

Chantiers de jeunesse

 

Les chantiers de jeunesse offrent 50 tonnes de bois de chauffage pour les familles nécessiteuses.

Des ''ménagères'' protestent devant les mairies ( Lyon, Irigny, Givors...) contre la manque de denrées et le marché noir.

 

L'ambiance à Lyon est pesante ; on apprend à se méfier de chacun. Lancelot vit difficilement son statut de ''commis'' du gouvernement de Vichy.

Le 15 janvier 1942, Mounier est arrêté comme ''suspect ''. Son avocat défend un dossier vide ; il est incarcéré à Clermont-Ferrand, et finalement libéré le 21 Février.

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