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Edith Stein et la Pierre de Conscience

Publié le par Régis Vétillard

Alors qu'Edith Stein, résidait chez son amie Hedwig, à Bergzabern, elle trouva dans la bibliothèque l’autobiographie de Thérèse d’Avila. Elle la lut toute la nuit. « Quand je refermai le livre, je me dis : ceci est la vérité ». Le ler janvier 1922, Édith Stein se faisait baptiser, et déjà envisageait le Carmel. Le Père Erich Przywara, l'en dissuada. Edith Stein enseigna, de 1923 à1931, chez les dominicaines de Sainte Magdalena à Spire, aux futures enseignantes, la littérature et l'histoire.

Édith Stein avec ses élèves.

Soutenue par Przywara, elle donnait de nombreuses conférences à travers l'Allemagne. Elle traduisit en langue allemande les Lettres de Newman, puis le De Veritate de saint Thomas d'Aquin. Le prêtre l'incitait à écrire ses œuvres philosophiques. Ainsi, cet ouvrage sur les principaux concepts de Thomas d'Aquin : '' Puissance et acte ''. Plus tard, au monastère des Carmélites à Cologne, elle le complétait pour son œuvre majeure, sous le titre '' L’être fini et l’Être éternel '', qui ne put être imprimée de son vivant à cause des lois antisémites.

Elle devint maître de conférences à l'Institut scientifique de pédagogie de Münster, mais pour peu de temps. En tant que “ non aryenne ”, elle fut exclue de l'enseignement par les nazis. Elle donna son dernier cours le 25 février 1933.

Une partie de son travail fut sauvegardé par les dominicaines du monastère Sainte-Madeleine. Malheureusement, selon les directives du Troisième Reich, leurs écoles furent fermées en 1937/38 ; et les sœurs durent quitter le monastère.

 

Elaine imagina qu'afin de sauver les enseignements et les explorations philosophiques d'Edith Stein, un réseau clandestin ( de Spire et Heidelberg à Munich) rejoignit sous l'initiative du père Przywara, d'autres œuvres menacées par la censure et la destruction.

la crypte - Spire

Le nom de ce réseau était '' Gewissensstein'' : la pierre de conscience, dans la mesure où il s'agit d'une gemme qui évoque la clarté, la pureté et la lumière intérieure.

Les manuscrit de Stein étaient devenu le symbole de la lutte contre l'obscurité. Au moment de leur départ, les dominicaines remirent au réseau les documents qu'elles détenaient, qui les cachèrent avec d'autres dans la crypte secrète sous l’église de Saint-Spire.

Lorsque la guerre éclate, “La Pierre ...'' continue son travail dans l’ombre, diffusant des copies du manuscrit de Stein et d’autres textes essentiels, jusqu'en France, éveillant les consciences et maintenant l’espoir d’un monde où la liberté de pensée prévaudra.

Et c’est ainsi qu'Elaine, écrit-elle, découvrit le manuscrit caché, intact, prêt à éclairer une nouvelle génération sur la nature de l’âme, tout comme Edith Stein l’avait espéré en cette lointaine conférence de Juvisy.

Dans ce récit, Elaine imagine quelques œuvres que “La Pierre ...” auraient pu protéger : Les écrits de Walter Benjamin, la poésie de Paul Cela, des pièces de Bertolt Brecht, les journaux de Dietrich Bonhoeffer ; tous des écrits honnis par les nazis...

 

Toujours, selon les notes d'Elaine, le réseau '' La Pierre de conscience'' est entouré de légendes que j'ai déjà évoquées ; et déjà dans ce contexte de guerre et de barbarie, elle évoque la pierre de David face à Goliath , puis l'Orphanus, cette opale de feu qui aurait orné la couronne du Saint-Empire romain germanique et qui a disparu au Moyen-âge. Enfin, et surtout, la Pierre de conscience, qui serait, selon Wolfram von Eschenbach, la '' lapsit exillis '' associée à la chute de Lucifer. Elle serait le matériau du Graal...

Cette Pierre, portée par la figure de Lucifer ( qui signifie ''porteur de Lumière ''), nous interroge sur la quête de connaissance, et sur le libre arbitre avec les excès de l'abus de pouvoir ou de la toute puissance, ( parallèle à faire avec la figure de Prométhée). Lucifer exprime la dualité morale, entre lumière et ténèbres.

Dans le contexte de la guerre mondiale, puis de la ''guerre froide'' avec la menace nucléaire, nous espérons que nos dirigeants parviendront à maîtriser la Pierre sans se laisser corrompre, et que l'Humain atteindra à une compréhension plus élevée de la conscience, transcendant les limites entre lumière et ténèbres.

 

Il en est de même sur le plan individuel et spirituel, cette pierre qui représente la dualité de la conscience, capable du plus grand bien comme du plus grand mal ; pourrait - comme le propose Elaine – être représenté par un cristal céleste doté de la capacité de réfléchir l’état intérieur de l’âme et de révéler les vérités cachées. Elle raconte que cette pierre serait la matérialité de la part compatissante de tout ange ( même Lucifer) et qu’elle possède le pouvoir d’éclairer l’esprit, d’harmoniser les émotions et de guider les individus vers une compréhension plus profonde d’eux-mêmes et du monde qui les entoure.

Je rappelle encore que - selon une légende médiévale, arthurienne - cette pierre ( une ''opale de feu '' dit-on), serait tombée du front de Lucifer, et qu'elle servit de matériau à la coupe du dernier repas de Jésus ( la Cène), puis – dans les mains de Nicodème – la coupe qui reçut le sang du Christ, sur la croix.

L’opale de feu, avec ses reflets changeants, évoque la dualité entre lumière et obscurité, entre le divin et le déchu.

La quête de la “Pierre de Conscience” serait une métaphore de la quête personnelle de la sagesse et de l’illumination, un voyage qui demande introspection et croissance spirituelle. Ceux qui la recherchent doivent faire preuve de pureté d’intention et de dévouement à la vérité, reflétant ainsi les épreuves de vertu et de caractère nécessaires pour atteindre la sagesse ultime.

Autre représentation, la carte du Tarot - Le Diable (XV) - symbolisant les défis et les tentations que nous devons surmonter. Elle rappelle que la connaissance et le pouvoir peuvent être utilisés pour le bien ou pour le mal, selon la volonté de celui qui les détient.

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Edith Stein, la Rose Blanche

Publié le par Régis Vétillard

Edith Stein 1938

Après l’adoption des lois de Nuremberg en 1935 et l’intensification de la persécution des Juifs en Allemagne, Edith Stein a perdu son poste d’enseignante. Elle est entrée au Carmel de Cologne et a pris le nom de Sœur Teresa Benedicta de la Croix.

Edmund Husserl fut radié de l'Université en 1936. Il refusa de s’exiler aux États-Unis, ayant choisi de rester en Allemagne, il décéda en 1938.

En 1942, Edith a été arrêtée par la Gestapo et déportée au camp de Westerbork, aux Pays-Bas, d’où elle a été ensuite transférée à Auschwitz-Birkenau, où elle a été exécutée dans une chambre à gaz. 

 

Un mot sur Hedwig Conrad-Martius et son mari Theodor Conrad, chez qui se réunissait le cercle de Bergzabern, dont faisaient partie Edith Stein et Alexandre Koyré. Les deux femmes se connaissaient depuis longtemps, et c’est d’ailleurs, en partie, grâce à leurs échanges que Edith Stein va abandonner le judaïsme pour le catholicisme en 1921, Hedwig quoique protestante, sera la marraine d'Edith.

En 1937, les Conrad vendaient leur maison de Bergzabern et déménageaient à Munich. Nous ne savons presque rien, sur eux, pendant la sombre période qui a suivi.

 

J'ai écrit comment Anne-Laure de Sallembier assurait pendant la guerre des traductions d'articles scientifiques pour l'équipe de Gentner. Les documents étaient transmis par un homme nommé Kurt Müller. Alors qu'il se présentait, Lancelot découvrant l'homme, avec stupeur reconnaissait celui qu'il avait secouru au château d'Uriage. Il s'était nommé '' Lithargoël '', n'avait laissé de sa présence que deux cartes du tarot ( le Fou et l'Empereur) ; et semblait alors être à la recherche d'une pierre ; pourquoi ? «  Nur die Rose kann... ( Seule la rose peut...) avait-il ajouté. Le matin, il était disparu. ( voir : L'Ecole d'Uriage -3- Lithargoël - Les légendes du Graal (over-blog.net) )

L’équipe de la Rose blanche. De gauche à droite  Hans et Sophie Scholl et leur ami Christoph Probst. Juillet 1942

Kurt M. établissait le contact entre diverses universités dans lesquelles s'organisait la résistance au nazisme. En particulier, à Munich, un mouvement de résistance appelé ''Die Weiße Rose'', la Rose Blanche.

La presse allemande avait fait état du “dangereux état d’esprit” de la jeunesse estudiantine . Puis Lancelot et sa mère avaient appris « le procès de trois étudiants. Christoph Probst, Hans Scholl et Sophie Scholl, le 22 février 1943, condamnés à mort et exécutés à Munich pour la diffusion de tracts anti’hitlériens. Deux ouvriers de Freiburg. coupables de ne pas les avoir dénoncés. et une femme de Stuttgart qui leur avait fourni des fonds, ont été condamnés à 10 ans de prison. Ces étudiants étaient les fondateurs de ''la Rose Blanche ».

Thomas Mann avait salué à la BBC ces « courageux et magnifiques jeunes gens ». « Vous ne serez pas morts en vain, vous ne serez pas oubliés ».

Avec Kurt M. ils mirent au point le projet de faire disperser par l'aviation anglaise, sur le territoire allemand, des exemplaires du 6ème et dernier tract de la Rose Blanche ; projet réalisé durant l'été 1943.

Erich Przywara (1889-1972)

A Munich, une résistance très prudente s'organisait entre Erich Przywara ( 1889-1972), un jésuite très proche d'Edith Stein, et dont le confrère Alfred Delp fut exécuté pour trahison, tout comme l’élève de son ami Karl Barth, Dietrich Bonhoeffer.

Przywara, dès 1933, faisait des conférences à Berlin, à Munich, pour démontrer que le christianisme et les nazisme n'étaient pas conciliables sur des notions en vogue, comme les idées que le peuple allemand pouvaient se faire du Reich, ou de la ''Volkskirche '' ( une Eglise populaire) ou de la notion même de ''peuple'', ou encore de l'héroïsme... Finalement, dès 1936, le jésuite n'eut plus les moyens d'expression, et fut contraint au silence.

 

Przywara développait la notion de '' l’analogie de l’être '', qui cherche à expliquer comment les créatures peuvent être comparées à Dieu sans compromettre la transcendance divine. En effet, l'humain partage avec Dieu une certaine ressemblance, mais toujours de manière analogique, c’est-à-dire limitée et imparfaite. Aucune créature ne peut totalement saisir ou se représenter l'être infini de Dieu.

Cette idée de celui qu'elle considérait comme son mentor, a permis à Edith Stein, par sa démarche phénoménologique, de transformer l’analogie de l’être en une “analogie de la personne”. Pour Stein, l’analogie ne se situe pas seulement entre Dieu et l’être en général, mais spécifiquement entre deux personnes : Dieu et l’homme. Ainsi, elle envisage l’analogie comme une communication possible entre l’immanence et la transcendance, où « Dieu et l’homme sont analogués en tant que personnes ». Il s'agit en fait, d'une approche personnaliste de l’analogie...

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Edith Stein à Paris, en 1932

Publié le par Régis Vétillard

Le 28 avril 1964, le professeur Alexandre Koyré décédait. Elaine apprenait que son père le connaissait. Elle lui exprima sa contrariété : en effet, il ne lui avait jamais parlé de cet élève d'Husserl alors qu'il était sans aucun doute un être d'exception, un philosophe et historien des sciences, et qui connaissait bien Edith Stein, dont il parlait souvent... !

Lancelot dut revenir sur ses souvenirs :

Edith Stein (1891-1942)

Lancelot, après son voyage en Allemagne, avait retrouvé Edith Stein lors de son séjour en France, du 7 au 17 septembre 1932, chez le professeur Koyré et sa femme au 2 rue de Navarre, où elle séjournait. Edith et Alexandre se connaissaient depuis ce '' cercle de Bergzabern '' dont ils firent partie dans les années 20, se considérant  comme les héritiers de la « vraie phénoménologie »....

Je rappelle que Lancelot avait invité - de la part de Maritain - Edith Stein à Juvisy, pour une conférence à la Société Thomiste, le 12 septembre.

A Paris, Lancelot avait accompagné la philosophe allemande, au cours de quelques visites, qu'elle souhaitait faire. Ainsi, à Saint-Germain-des-Prés, l’église dédiée à l’évêque Germanus, où René Descartes a été enterré ; puis à « Saint-Sulpice », paroisse de Jean-Jacques Olier (1608-1657), qui prônait une ''spiritualité de séparation'', et qui s'approche de la phénoménologie, selon Edith :

- Se détacher des attachements mondains pour se rapprocher de Dieu, peut se traduire en philosophie par l'utilité de distinguer le sujet percevant de l’objet perçu, permettant une étude pure de la conscience.

- Encourager à une introspection profonde pour vivre en Dieu, correspond à se concentrer sur l’analyse descriptive de l’expérience vécue, pour tenter de comprendre les structures de la conscience.

- La spiritualité de séparation vise à l'Universel, au-delà des particularités du monde et chez Hegel, la séparation est un moyen d’accéder à l’universel à travers la critique des particuliers ( tension individuel/ collectif – contradiction) .

Enfin, - la séparation spirituelle conduit à une liberté intérieure et à une autonomie vis-à-vis du monde. En phénoménologie, la liberté est un thème central, explorant comment la conscience peut se libérer des préjugés pour atteindre une compréhension authentique.

 

A Juvisy, dans sa conférence, Edith Stein présenta plusieurs points importants liés à la phénoménologie ; et témoigna qu'il ne s'agissait pas, pour elle, seulement d'une méthode philosophique, mais aussi d'un moyen pour approfondir la compréhension de la foi chrétienne et de la spiritualité.

Sacré Cœur de Montmartre

 

Lancelot les avait suivi également au Sacré-Cœur de Montmartre, où ils ont passé un long moment en prière.

Stein et Koyré, avaient abordé la situations des juifs : tous les deux affirmaient avec force leur attachement à leur communauté, et citaient Saint-Paul, fièrement : « Ils sont Hébreux ? Moi aussi. Ils sont Israélites ? Moi aussi. Ils sont de la descendance d’Abraham ? Moi aussi. » (2 Co 11, 22).

Ils ont retrouvé les Maritain, chez eux à Meudon, au 10 rue du Parc ; et le jour suivant ils ont rencontré Étienne Gilson (1884-1978), philosophe et, comme Maritain, élève d’Henri Bergson. Il était alors professeur d’histoire de la philosophie à la Sorbonne à Paris, comme Koyré le sera plus tard. Il lui a offert son ouvrage ''L’Esprit de la philosophie médiévale.'' qui venait de paraître.

 

La suite, ce n'est pas Lancelot qui le raconte. J'ai découvert récemment au milieu des nombreuses archives et débarras que notre lignée accumule à Fléchigné, une boîte avec des écrits d'Elaine qui datent des années 60, alors qu'elle s'intéressait de près avec son père, à la phénoménologie...

Parmi les écrits d'Elaine, se trouve un manuscrit allemand, tapé à la machine, présenté en français, comme un une étude d'Edith Stein sur l'âme.

Elaine précise que ce document fut remis par Edith à Lancelot, pour le protéger de la censure allemande. Ce document lui semblait aborder des éléments essentiels de sa réflexion, et elle souhaitait le léguer en sécurité, au cas où il lui arriverait malheur. Lancelot, par sa fonction dans l'administration, lui semblait sûr.

Je vais essayer de reconstituer quelques événements passés, à partir des notes d'Elaine et selon les témoignages de Lancelot et de sa mère..

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La foi de Gaston Berger

Publié le par Régis Vétillard

Le chrétien Gaston Berger reconnaît : «  (…) j'aborde la phénoménologie d’Husserl, en chercheur, j’allais dire en usager » et ajoute qu'il avait bien aperçu dans la phénoménologie « la clé des demeures secrètes de l’âme »

La réduction phénoménologique, nous dit-il est « à comprendre comme ce convertisseur de l’expérience qui nous donne d’accéder à une autre dimension du réel où la mystique ne s’oppose plus à la philosophie comme l’irrationnel au rationnel »

Hommage à Gaston Berger - colloque 1962

 

Il s'était lié avec le R.P. Marie-Eugène des Carmes et s’intéressait aux grands maîtres du Carmel, sainte Thérèse d'Avila et saint Jean de la Croix.

Gaston Berger se veut lucide :

« La réflexion philosophique rationnelle, en affirmant la réalité de Dieu hors du monde, ne nous met pas en sa présence. Dieu est certain, mais demeure caché. Nous ne savons ni où il est, ni comment l'atteindre, et nous-mêmes, qui sommes assurés d'exister, ne savons pas encore ce que nous sommes. Venus au monde sans raison, ou pour une raison qui nous échappe, promis à une destinée sur laquelle rien ne nous éclaire, ne nous saisissant que par la réflexion, que pour nous projeter devant nos propres yeux en un reflet qui nous trahit, pris entre un monde auquel nous ne pouvons plus nous confier et un Absolu que nous n'atteignons pas, nous sommes plongés, à notre manière de philosophes, dans la nuit obscure dont parlent les mystiques ».

« Nous sommes embarqués pour un voyage qui doit nous conduire là où nous sommes déjà arrivés sans le savoir ». Immanence, puisque le Dieu caché est déjà là : transcendance pourtant, s'il le faut découvrir au-delà de ce que nous nommons la Nature.

 

En réponse, à certaines tendances pessimistes, quant à l'avenir de l'humain, comme cette citation de ce livre de Claude Lévi-Strauss, '' Tristes Tropiques '' paru en 1955 et qui obtint un grand succès :

« La civilisation, prise dans son ensemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe, où nous serions tentés de voir la chance qu'a notre univers de survivre, si sa fonction n'était de fabriquer ce que les physiciens appellent de l'entropie, c'est-à-dire de l'inertie. »

Gaston Berger répond, dans sa dernière conférence sur l'idée de l'avenir, en déclarant :

« Loin de vieillir, l'humanité devient progressivement de plus en plus jeune. Qu'est-ce en effet que vieillir ? C'est d'abord avoir chaque jour un peu moins de possibilités. Chacun de nos actes, parce qu'il est un engagement, est aussi une limitation. Tout choix détruit ce que nous aurions pu être en choisissant autrement. Mais notre monde est, au contraire, plus riche chaque jour de possibilités nouvelles. Il est aussi de plus en plus capable de restituer ce que l'on croyait perdu.

Etre vieux, c'est avoir choisi : l'humanité moderne est toujours à la veille de choisir.

Vieillir, c'est aussi se durcir, se scléroser. Or, le Monde moderne accroît sans cesse sa souplesse, sa disponibilité.

Vieillir, c'est se protéger, avoir construit peu à peu son abri, maison ou coquille. Or, il faut avoir le courage de le reconnaître : notre monde est de plus en plus précaire. Tout y est sans cesse remis en question.

Vieillir, c'est aussi s'isoler du monde, diminuer ses échanges, ralentir son activité. Ici, l'évidence du rajeunissement est encore plus manifeste. Nos informations ne cessent de croître, nos échanges de se précipiter, nos contacts de se multiplier... »

Idéaliste : Gaston Berger ? Il répondait :

« Puisque vous reconnaissez que j'ai les pieds sur terre, rien ne m'empêchera d'avoir la tête dans le ciel ! »

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Gaston Berger et la phénoménologie

Publié le par Régis Vétillard

Gaston Berger (1896-1960)

Gaston Berger eut à cœur d'ouvrir, en 1958, un centre de recherches sur Husserl à Paris.

Son maître en philosophie, fut Maurice Blondel. Il lui écrit ( en 1924) :  « Des deux grandes tendances qui existent au cœur de tout homme : comprendre et agir – c’est à la première que je m’attacherai (...). Je veux comprendre, tel est mon point de départ. Je veux que tout me soit clair, que le monde me soit expliqué. »

Son ouvrage “Le cogito dans la philosophie de Husserl”, a été publié en 1941. Il éclaire certains points de la question phénoménologique.

 

Berger explique à Blondel comment il est arrivé là :

« Je suis parti du problème de la personnalité. Qui suis-je ? et même d’abord suis-je ? Comment se fait-il que je me détache du reste de l’univers, que je dise “je” et “moi”, et que je ne puisse m’empêcher de me considérer “comme un empire dans un empire” ? Si la nécessité règne partout, qu’est-ce donc qui me spécifie ? »

Il remarque combien, nous français, nous partons du cogito comme évidence simple et immédiate... Aussi...

« Penser le monde comme un phénomène, c’est-à-dire dégager du monde le Sujet, comme entend le faire la phénoménologie, est loin d’être chose facile. Non seulement nos habitudes intellectuelles s’y opposent, mais aussi nos attachements sensibles : la réduction phénoménologique a des conditions morales. Elle implique un détachement peu commun. »

Il s'agit, nous dit-il, comme d'une conversion... C'est un peu comme si « nous écartions tout ce qui a un sens, pour rester en présence de ce par quoi tout prend sens : la conscience pure, le ''je''. ». A distinguer donc, du moi psychologique...

 

Lancelot recherche comment un intellectuel comme Gaston Berger, dont il se sent proche, pourrait lui permettre une compréhension plus profonde de la phénoménologie.

Ce qui intéressait Berger, au travers de la méthode, c'est que '' la réduction phénoménologique '' permet de dévoiler le cogito et sa structure. Et surtout, comment la conscience donne forme au monde qui l’entoure . Cette manière dont nous constituons notre expérience du monde à travers nos actes de perception, de pensée et d’intention, représente ce que le philosophe appelle : la constitution transcendantale ; et c'est ce que nous tentons de comprendre, c'est à dire, comment la conscience structure et organise les phénomènes qui se présentent à elle.

Il y a '' corrélation transcendantale '', selon l'idée que la conscience et le monde sont interdépendants. Ils ne peuvent pas être compris séparément, mais seulement dans leur relation mutuelle.

- Pourquoi ce mot : '' transcendantal '' ?

- Ce mot évoque un rapport purement intellectuel. Rappelons-nous chez les scolastiques du Moyen-âge, la réflexion sur les transcendantaux : l'Être et l'Un, mais aussi le Vrai, le Bien... Et puis il y a cette définition de Kant : « J'appelle transcendantale toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets mais sur notre manière de les connaître, en tant que cela est possible a priori' » ( Critique de la raison pure, introduction, § VII, III, 43 ) . 

 

Je reprend le processus... En me répétant, je reformule certaines notions....

1 - La conscience se dirige vers un objet, ou une idée, cet acte de conscience est dit ''intentionnel'' car il se rapporte à quelque chose. '' La réduction '' consiste à explorer l'essence de notre conscience, en mettant de côté les préjugés et les présuppositions, et accéder à une compréhension plus profonde.

 

2 - La constitution transcendantale concerne la manière dont la conscience humaine donne forme et sens au monde. La conscience perçoit le monde, et elle le constitue. Par notre sensibilité, notre imagination, notre pensée, nous constituons un sens. Par exemple, basiquement, quand nous percevons un objet, nous lui attribuons toutes sortes de propriétés, et de significations...

Et, en pratiquant '' l'époché '' nous tentons de découvrir l'essence de l'expérience : ce que Husserl appelle, l'eidos.

- L'éidos révèle la nature essentielle d'un phénomène, ce qui le rend unique et universel. Mettant entre parenthèse nos préjugés, nos croyances, nous accédons à une vision plus authentique. Pour construire une théorie, un modèle, nous devons découvrir l'eidos du phénomène...

 

Revenons à l'Ego... Qu'est-ce donc ce qui le constitue ? L'ego apparaît au moment où la pensée surgit, il est conscience de soi.

Le ''cogito'' cartésien (“Je pense, donc je suis”) ne se limite pas à une simple affirmation de l’existence du sujet pensant. L’ego structure notre expérience et donne sens au monde. Husserl dirait que le cogito est profondément enraciné dans la conscience transcendantale et la réflexion phénoménologique... C'est à dire – je tente de traduire – mon ego permet à ma conscience d'exister et de se manifester ( sensibilité...). Je dis ''transcendant'' en ce qu'il s'agit de sortir de soi.... Si je pratique '' l'époché '' ( vous savez : ... ce retrait, cette mise en parenthèse de l'existant autour de moi), il reste le ''je trancendantal ''

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Jouvenel et Gaston Berger

Publié le par Régis Vétillard

L'intérêt de Lancelot, et de ses contemporains, pour la prospective ; conjugué à celui pour la phénoménologie ( grâce à Elaine...) lui permet de découvrir un philosophe contemporain, Gaston Berger (1896-1960) : industriel qui devint professeur de philosophie, puis directeur de l'enseignement supérieur.

C'est à lui, que l'on doit l'invention du mot '' prospective '' ( en 1957, et inspiré par Blondel). En 1964, il publie posthumément '' Phénoménologie du temps et prospective'' : il qualifie l'attitude de cette recherche par « voir loin, voir large, analyser en profondeur, prendre des risques, penser à l’homme ».

Bertrand de Jouvenel

Au cours d'une conférence à Paris, organisée par le “Comité international Futuribles”, Lancelot eut la plaisir de retrouver Bertrand de Jouvenel ( rendu célèbre par son livre Du Pouvoir (1945) ).

Dans son intervention Jouvenel prend acte que le « changement s'accélère », et qu'il se présente donc plus de « problèmes nouveaux ». Les situations deviennent moins flexibles, il faut répliquer rapidement avant d'être encerclé par les problèmes... ( je résume son intervention...)

« Les dirigeants du moment obéissent à la nécessité, et se justifieront après coup en disant qu'ils n'avaient pas le choix de décider autrement. Ce qui est vrai, c'est qu'ils n'avaient plus le choix.. » On peut leur reprocher d'avoir attendu...

«  Sans activité prévisionnelle, il n'y a pas effectivement de liberté de décision. »

(…) « La prévision servant aux décisions publiques (au sens de gouvernementales) doit être publique (c'est-à-dire « exposée en public »). »

(…) « ce '' forum '' doit être en fonctionnement continuel : il ne s'agit pas d'envisager l'avenir une fois pour toutes mais de le discuter continuellement. Le forum prévisionnel doit être conçu comme une véritable institution, où des experts très différents apporteront des prévisions spéciales qui seront combinées en prévisions plus générales. »

(…) « Il est même d'une grande urgence que les sciences morales s'engagent dans la prévision, faute de quoi le besoin social à cet égard sera satisfait par une extension de la technologie, c'est-à-dire qu'une manière de voir développée à l'égard des « objets » sera étendue aux « sujets » que l'on apprendra à manipuler comme des « objets »... (Bertrand de Jouvenel )

 

Jouvenel prévoyait que les nouvelles crises seraient écologiques, il fut l'auteur du premier article sur l’écologie politique, publié en 1956.

Jouvenel parle à Lancelot de Gaston Berger qui créa en 1957, le célèbre Centre d’études prospectives.

Gaston Berger et Bertrand de Jouvenel voulaient se donner comme objectif de créer le '' Forum du Futur'' un lieu où différentes hypothèses sur le futur pourraient être discutés à la fois par les experts et le public.

Malheureusement, Berger mourut en 1960 ; et Jouvenel malgré la création de l’Association Futuribles ne put aller au bout de son projet.

Dans la continuité, un économiste américain, Kenneth Boulding, propose en 1964, dans son ouvrage intitulé « La Grande transition », l’image de la planète comme un engin spatial aux ressources limitées ...

 

Jouvenel insiste auprès de Lancelot pour découvrir, même de manière posthume, une personnalité qui ne peut que l'intéresser : Gaston Berger, chrétien, industriel, tardivement philosophe, disciple de Husserl qu'il fit découvrir à Paul Ricoeur. Nommé, nouveau Directeur général de l’enseignement supérieur en 1953, il fonde le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers ( « Je rêve d’un Centre de recherche et d’enseignement qui s’organiserait ici autour de l’art roman. ») et le dote en 1958 d’une prestigieuse revue : Les Cahiers de civilisation médiévale.

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La phénoménologie et l'Histoire

Publié le par Régis Vétillard

La fille de Lancelot, Elaine propose à la Sorbonne, un exposé sur l’événement historique. Elle va tenter d'y apporter une inflexion phénoménologique, qui va -on le lui prédit - heurter certains universitaires, du moins dans la discipline historique...

Effectivement, l'époque est - chez les historiens - à l'influence prépondérante de L’école des Annales, fondée en 1929 par Marc Bloch et Lucien Febvre ... Cette approche historique critique l'importance donnée jusqu'à présent aux événements politiques et militaires . Elle va se concentrer sur les sociétés, les mentalités et les structures. Elle privilégie la longue durée, plutôt que les événements ponctuels, et minimise l'expérience individuelle. Elle se méfie d'une conscience subjective perçue par des individus. Aussi Elaine et Lancelot, estiment que l'approche des annales aurait tendance à déshumaniser l'histoire, en méprisant les expériences humaines.

La Sorbonne

 

Paul Ricoeur avait publié, en 1955, '' Histoire et Vérité '' qui explore notre compréhension de l'Histoire, et par là même interroge le métier d'historien ce qui, évidemment, intéresse Elaine.

Peut-on s'imaginer comprendre l'histoire passée, alors que nous sommes acteurs, et témoins de l'histoire présente ? Nous pensons que les événements passés et présents peuvent peuvent avoir des liens communs, et même s'influencer.

Les ''philosophies de l'Histoire'' ne peuvent-elles pas ''corrompre '' l'historien ; entraîner des biais dans son analyse, je pense en particulier au marxisme ?

Peut-on tout comprendre des événements historiques : quelle par d'irrationnel dans la violence ?

L’historien doit - mais le peut-il – rester objectif ? On pourrait citer divers historiens et leur gestion des sources, des preuves et des interprétations.

L'objectivité repose sur une pensée méthodique, ordonnée et rationnelle. Mais elle ne peut pas être confondue avec celle des sciences physiques ou biologiques.

Paul Ricoeur

Ricoeur se méfie d'une histoire qui se prétendrait objective. Elle pourrait le prétendre si elle estimait que seules les structures, les forces et les institutions comptent, s'attachant aux mécanismes impersonnels.

Ricoeur est persuadée que l’objectivité de l’histoire repose sur une « subjectivité de réflexion ». En effet, l'historien interprète en méditant sur l’agir humain, et c'est ce qui rend l’histoire intéressante et pertinente pour notre présent.

Il est nécessaire de considérer les vies, les motivations des acteurs... Ricoeur compare l'historien au juge : les deux recherchent la vérité.

 

Elaine rejoint Ricoeur, quand il s'intéresse à l'Histoire, parce que les récits, les ''histoires'' façonnent notre compréhension du monde ; elles vont jusqu'à donner un sens à notre existence. L'Histoire participe à la construction de l’identité individuelle et collective et de notre façon dont nous agissons dans le monde...

Pour Ricœur: « L’objet de l’histoire, c’est le sujet humain lui-même. ». Elaine préfère l'idée de se concentrer davantage sur les individus, leurs actions, leurs motivations et leurs choix dans des contextes spécifiques, que sur l'exploration du social.

Ricoeur s'appuie sur la méthode phénoménologique, et pratique l'herméneutique, c'est à dire l'art de l'interprétation des textes, des symboles, des événements.

D'ailleurs, pour Edmund Husserl, lui-même, l’histoire n’est pas simplement un enchaînement d’événements objectifs, mais plutôt un « roman de l’histoire ». Cette expression suggère que l’histoire est tissée de récits, d’interprétations et de significations subjectives.  L’idée du « roman de l’histoire » souligne que l’histoire est un récit complexe, avec des personnages, des intrigues et des émotions.

Les historiens, tout comme les écrivains de romans, sélectionnent, organisent et donnent un sens aux événements historiques.

 

Ceci dit, Lancelot souhaiterait aller bien plus loin dans l'exploration des '' faits et événements passés '' ; précisément encore, bien avant la '' pré-histoire '', et dès la naissance de l'Univers...

Pourquoi cela ? Sans-doute pour exprimer cette idée, selon Teilhard de Chardin, que le '' phénomène humain '' est le fruit de cette histoire : celle de la convergence entre le cosmos, la vie et l’esprit.

L'histoire est le récit d'une réalité qui s'exprime dans la complexification croissante de la matière et la montée en conscience de l’humanité.

Bien-sûr, Teilhard de Chardin propose une vision optimiste de l’histoire, qui tend vers un point oméga où l’homme atteindra son accomplissement spirituel.

L’histoire est, pour lui, une affirmation du monde spirituel et une voie d’épanouissement pour l’homme

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La Phénoménologie - 4

Publié le par Régis Vétillard

Sur notre spirale, nous continuons d'avancer vers le centre...

Lancelot propose une expérience simple : il place sur la table, une pomme, prise dans la corbeille, avec cette question : Qu'est-ce qu'une pomme ?

L'idée de pomme - Yoko Ono

Elaine joue le jeu et répond : - « C'est un fruit rond, rouge, et jaune. Il se mange, il a un goût sucré et croque sous la dent. »

- Bien... Et, sans-doute qu'un étranger qui n'aurait jamais vu de pommes, aurait une autre représentation ; et sûrement que Socrate ( notre chat... - Pourquoi se nomme t-il Socrate ? - Parce-que l'un et l'autre n'ont rien écrit!) également, le chat ne voit pas les couleurs et ne goûte pas les pommes.

Elaine conclue :- la perception de l'objet est lié à notre corps, à notre relation avec lui. Ils nous semblent des réalités objectives, alors que c'est nous qui définissons ce qu'il sont.

Husserl ajoute que - continue Lancelot - si je ferme les yeux ; j'oublie cette pomme là, et je pense la notion ''pomme'', j'abandonne sa variété, sa couleur... J'en arrive à l’idée, l'essence : pomme.

 

La représentation mentale d'un objet n'est pas une image objective, elle porte la marque du sujet qui la produit. Cette représentation est dite intentionnelle, elle exprime le sens que j'attribue aux choses. 

Husserl prend le parti de s'occuper des ''phénomènes '', pour en extraire les essences. Et avec cet objectif, il propose une démarche de pensée, en quatre étapes :

1 – L'Epoché : je commence par suspendre mes croyances et mes jugements sur l’objet. Je met entre parenthèses tout ce que je sais déjà sur la pomme.

2 – L'Intentionnalité ( note 1): j'explore de quelle façon ma conscience se dirige vers la pomme : la part des sensations, de ma compréhension, de mes interprétations...

Note 1 - « Le mot intentionnalité ne signifie rien d’autre que cette particularité foncière et générale qu’a la conscience d’être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito, son cogitatum en elle-même. » E. Husserl, Méditations cartésiennes.

3 – La recherche des essences. En quoi cette pomme est une pomme, peut-être sa fonction d'être.

4 – Retour à l'expérience : comment se construit, la compréhension de cette pomme.

 

L'exemple de la pomme ne permet pas d'aller très loin dans le cours de cette '' réduction transcendantale '' . Il nous invite à comprendre comment nous connaissons le monde, au-delà des apparences immédiates.

Cette méthode devrait pouvoir s'appliquer à tous les phénomènes mentaux : souvenirs, rêves, valeurs, expérience esthétique, croyances religieuses, relation à autrui.

Husserl aurait dit : « Nous voulons retourner aux choses elles-mêmes (auf die “Sachen selbst” zurückgehen) », ce qui signifie plutôt un retour aux '' actes de conscience'' des phénomènes.

En effet, ''choses'' fait penser à des objets que nous percevons visuellement ; les choses, ici, sont les ''phénomènes'', et ils peuvent être matériels, psychologiques, sociaux, culturels, spirituels... etc Ce pourrait être des objets irréels de notre conscience.

Si le phénomène réclame, de notre part, une suspension ( époché ), c'est parce que nous considérons qu'il est le plus souvent ''voilé''.

Paul Ricoeur

Elaine fait allusion à une conférence de Ricoeur, sur la phénoménologie et qui explique bien comment cette méthode peut aussi bien servir un certain réalisme ( la réalité existe indépendamment de notre conscience ), ou un idéalisme comme pour Husserl, peut-être, qui considère que la conscience est au cœur de la réalité et que les objets du monde extérieur sont essentiellement des constructions mentales.

Plus précisément, ses notes prises au cours de cette conférence, reprennent ces mots de Ricoeur :

« A partir de 1907, la phénoménologie de Husserl est dominée par la réduction de l'existence: les objets perdant toute réalité absolue ne sont plus que des vis à vis de conscience, ce '' ne que '' devenait l'essentiel. Dès lors c'est la conscience qui devenait l'absolu et c'était les les objets qui devenaient relatifs, ainsi après avoir été tiré du côté d'un réalisme des essences, la phénoménologie était tirée du côté d'un idéalisme de la conscience ; et si Husserl appelle ''transcendantale'' cette réduction, ce n'était pas par hasard qu'il reprenait le mot Kantien, rappelant par là même qu'il était du côté de l'idéalisme c'est à dire du côté d'une philosophie pour laquelle la conscience est par elle-même, par sa constitution propre, l'origine et la condition de toutes les propriétés des choses. Et pourtant la phénoménologie ne pouvait pas plus virée à l'idéalisme que jadis au réalisme, son thème même de l'intentionnalité qui était son étoile directrice depuis le début, l'empêchait de basculer d'un côté ou de l'autre sous le poids de la méthode. C'est plutôt une voie nouvelle entre l'un et l'autre écueil, que la phénoménologie a finalement tenté de tracer. »

En conclusion, Ricoeur pointait le paradoxe suivant :

« ce paradoxe qui fait qu'il n'y a de monde que pour une conscience, et que pourtant la conscience n'est pas créatrice du monde mais qu'elle est au monde par son corps par toutes ses fibres perceptives affectives actives bref, ce paradoxe qu'il n'y a de monde que pour une conscience mais que pourtant je suis au monde ; voilà le paradoxe qui est finalement au centre de la phénoménologie et qui est sa découverte la plus précieuse. C'est de ce paradoxe que vit aujourd'hui le mouvement phénoménologique ... »

 

Ensuite, ajoute Lancelot, Heidegger se demande ce qu'est : '' être '' - sachant que '' je suis, donc j'existe '' ne suffit pas – et qu'être pour un homme, est différent de ce que peut l'être pour une pierre ou pour un animal. Heidegger différencie le vivant de l'existant, l'homme se différenciant de l'animal, en ce qu'il est un être qui existe, c'est-à-dire qu'il est présent au monde, à son passé dans le monde ( avoir été) et à son futur sous forme de projet ( être possible), qu'il s'interroge sur son être et qu'il lui incombe de choisir l'existence qui sera la sienne... Heidegger introduite la notion de '' Dasein '' ( être là ) c'est à dire l'ouverture ( Da) à l'être ( Sein). On peut lire également ce passage, ici : 1947 - Martin Heidegger - Les légendes du Graal (over-blog.net)

Sartre découvrant la phénoménologie, affirme '' L’Existentialisme est un humanisme. '' et que ce n'est qu'au terme de mon existence que l'on pourra dire ce que je fus : « l’existence précède l’essence ».

Il semble bien que la phénoménologie soit la philosophie de notre temps...

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1967 - Le Monde ne serait-il qu'un spectacle?

Publié le par Régis Vétillard

La question d'envisager le monde comme un spectacle, a permis à Lancelot, de confronter ses propres réflexions...

Précisément, Guy Debord (1931-1994), dans son ouvrage La Société du spectacle (1967) - considère que notre société où règnent la propagande ( l'information) et l'aliénation ( consommation ) impose une nouvelle réalité : celle du spectacle. Le capitalisme coloniserait notre environnement naturel et humain, par le spectacle. Debord en revient à la Révolution qui nous obligerait à n'être plus seulement spectateur, mais acteur et s'adresse en particulier à la classe prolétarienne, «  la classe de la conscience historique »...

Évidemment, cette manière de considérer le spectacle du monde, ne convient pas à Lancelot.

 

Il revient avec un intérêt non dissimulé, vers Jules de Gaultier (1858-1942). Il le fait avec plaisir, pour la raison qu'il s'agit d'un personnage rencontré par sa mère, Anne-Laure de Sallembier.

Leandre - Madame_Bovary

Nous étions dans les premières années du siècle ; au Mercure de France, Jules Gaultier tenait la chronique philosophique. Dans le salon de cette revue, Gaultier complétait les notions d'Anne-Laure sur Schopenhauer – auteur à la mode – et l'initiait à la lecture de Friedrich Nietzsche... Elle se souvenait aussi de plusieurs discussions autour de ''Madame Bovary '' de Flaubert ; et de ce qu'il appelait le '' bovarysme ''…. ( Jules de Gaultier – le Bovarysme. - Les légendes du Graal (over-blog.net) )

Le bovarysme, serait la tendance de notre esprit à s'échapper de la réalité, nous préférons nous faire une image faussée, une image du monde et de nous-même, embellie.

Ce qui semble étrange, à Lancelot, c'est que cet état pourrait engendrer une certaine méfiance vis-à-vis de cette illusion. Elle serait pour Gaultier, source de joie et même la substance esthétique de la réalité.

Le caractère bienfaisant du bovarysme serait de permettre à l'individu de réaliser son être propre, de le hausser vers un au-delà que seule la puissance de l'illusionnisme peut lui suggérer.

Gaultier soutient que «  le monde est un spectacle à regarder plutôt qu’un problème à résoudre. »

Cependant, clairement, pour Flaubert, le bovarysme est source de terribles souffrances, du fait du caractère inconsistant des êtres et des choses, qui ne conduit qu'à la bêtise. Et tant pis, si une majorité d'hommes préfère contempler cette farce...

Illusion d'optique : le praxinoscope-théâtre

En contraste, Arthur Schopenhauer considère que la réalité est illusoire et que l’homme ne peut percevoir qu’une vision déformée du monde. Nietzsche remet en question les notions traditionnelles de vérité et de réalité ; mais il encourage l’individu à affronter le Monde, et même à embrasser la souffrance...

 

Pour un phénoménologue comme Maurice Merleau-Ponty, le Monde est bien plus qu’un simple spectacle. Il est profondément lié à notre existence corporelle et à notre manière de percevoir et d’interagir avec lui.

Le monde est vécu à travers notre corps, notre interaction avec notre environnement façonne sa compréhension. Il n'y a pas de dichotomie entre sujet et objet, ils sont en constante interaction et notre expérience du monde est toujours en mouvement et en transformation.

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La Phénoménologie - 3

Publié le par Régis Vétillard

Procédons par un autre tour de spirale autour de la phénoménologie.

La phénoménologie est une méthode, une démarche, une attitude ; elle n'est pas une doctrine, une idéologie. La méthode phénoménologique veut démontrer qu'il existe une relation essentielle entre la conscience et le monde.

 

L'attitude pour observer le ''phénomène'' consiste à le mettre entre parenthèse, à suspendre notre jugement. C'est ce que l'on nomme ''la réduction'', ou ce que Husserl appelle aussi l'Épochè en grec (ἐποχή / epokhế)

« Revenir aux choses mêmes », nous dit Husserl, et pour ce faire, procéder à une « réduction phénoménologique »

Maurice Merleau-Ponty ( 1908-1961)

 

Nous avons sous les yeux, deux œuvres essentielles de Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible (rédigés entre 1959 et 1960) et  L’œil et l’Esprit, publiés à titre posthume. Remarquablement bien écrits, ce livres restent difficiles...

La discussion qui s'installe entre Lancelot et Elaine, permet d'avancer sur les tours de notre spirale.

- Avec Merleau-Ponty, la pensée est une aventure humaine, il ne s'engage pas à moitié, il veut penser avec tout son corps jusqu'à chercher à définir la vérité...

- Oui, il mêle deux tradition, celle de la raison et celle de la sensibilité.

Descartes pensait se trouver en évacuant le monde : dans la solitude, il reste mon existence... Résultat, le monde est à distance de lui... Merleau s'interroge, si - sans le monde – il peut être lui-même ?

- En effet, c'est une bonne question : Peut-on exister séparément du monde ? Le monde n'est-il qu'un spectacle ?

- Chacun, un jour, ne s'est-il pas demandé : n'ai-je pas l'illusion que le monde existe ?

- Mais que serait un monde que je ne verrais pas ? Un amour que je ne vivrais pas … ?

Et pourtant, même si c'était le cas, j'en ai quand même l'idée !

- Mais... Dans ''l’œil et l'Esprit'' : il écrit : « la science manipule les choses et renonce à les habiter ».

- Il dit aussi, je crois, que le sujet peut par la force de sa raison se servir de ces objets ; il peut faire de la science, prétendre à l'objectivité.

- Encore une question : Comment rencontrer le monde, alors que nous en faisons déjà partie ?

- Notre professeur, nous disait que Merleau est un penseur tragique, ( pas au sens de la catastrophe, mais au sens d'un problème qui ne trouve jamais sa solution ) ; au sens où il faut renoncer ( surtout en politique) à l'absolu.

- Il n'y aura jamais de coïncidence entre le sujet et l'objet. Effectivement il nous faut accepter cette situation de blessure...

Il nous faut reconnaître que le monde n'est pas un spectacle et le sujet n'est pas souverain.

Pour Merleau, le visible a toujours une profondeur, le visible repose sur un invisible. Ce que je vois à un moment du temps, est lié à un avant et à un après et n'a de sens que comme cela..

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