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1956 – L'Algérie

Publié le par Régis Vétillard

Alors que Lancelot, retrouvait un poste au Ministère des affaires Étrangères, en 1950 ; il suivait avec intérêt la fondation du Congrès international pour la liberté de la culture (CILC) à Berlin-Ouest le 26 juin 1950. Étaient notamment présents Denis de Rougemont, Jaspers, John Dewey, Bertrand Russell, Raymond Aron, Jacques Maritain, Arthur Koestler..etc

Il se souvient aussi du « Manifeste Russell-Einstein », publié en 1955, signé de neuf prix Nobel , qui tentait de mettre en garde l’humanité contre les dangers des armes atomiques et nucléaires.

Connaissant quelques éminents membres, Lancelot se désole que le CILC soit confronté à présent à une dispute en haut rang : alors que Russell avait condamné les crimes de la CIA, après l'exécution des Rosenberg. Rougemont s'en prenait à présent aux communistes ( Figaro du 10 nov.): « Serrer la main d’un communiste occidental, qui approuve “librement” son parti, c’est saluer un complice du crime de Budapest. » Russell alors déplore que ce texte ne soit pas « contre-balancé » par une dénonciation de l’intervention anglo-française en Égypte... Chacun pense démissionner !

Marguerite Duras ( Jacques Haillot)

A Paris, dans une petite salle de la rue de Grenelle, mais pleine ; sont présents André Breton, Maurice Nadeau... Ce meeting est organisé par Edgar Morin, Dionys et Marguerite Duras, et le Comité contre la Guerre d'Algérie. Ils tiennent à dénoncer à la fois, la guerre en Algérie, la répression soviétique en Hongrie et l'intervention anglo-française à Suez. Le Comité va se disloquer, et le meeting sans suite.

Marguerite Duras, est désespérée par l'actualité, et lui prend beaucoup de temps, qu'elle ne consacre pas à l'écriture.

Elle vient de publier un étrange roman, ''Le Square'' qui n'est constitué que d'un dialogue entre une jeune fille, gardienne d'un enfant, et un voyageur de commerce. Chacun veut tromper son ennui. Lancelot évite de lui dire que sa lecture l'a déconcerté, pourtant le charme a opéré. Il ne sait pas l'expliquer. Ce n'est pas réaliste, peut-être poétique.

L'importance du dialogue ? - C'est plus fort qu'elle, dit-elle. Le langage, c'est universel. Elle tente d'écrire un roman sur l'amour fou d'une mère pour son enfant ; et les personnages parlent, parlent...

Elle confirme que Barrage contre le Pacifique va donner un film, de René Clément. Elle appréhende le résultat, d'autant qu'on ne la consulte pas pour le scénario...

Fin 1956, Lancelot s'irrite du manque de vision politique de Guy Mollet ( SFIO), pendant que Robert Lacoste ; ministre résident en Algérie donne tous les pouvoirs à l'armée. La position de la France à l'Internationale devient très embarrassante pour justifier de cette ''guerre'' ( qualifiée pudiquement d’événements).

A partir de mars 1956, suite aux ''pouvoirs spéciaux'' votés, 400 000 appelés vont rejoindre l’Algérie ; c'est la société française qui à présent se sent concernée.

Des personnalités tentent de convaincre l'opinion publique de l'importance de garder l'Algérie française : pour Debré ce serait la fin de notre régime, pour le Maréchal Juin, l'Algérie représente la vitalité française. Jacques Soustelle, ethnologue et prédécesseur de R Lacoste affirme :« L'Algérie perdue, la France cesserait d'être une puissance » et Jean Berthoin, ministre, sénateur : « C'est toute une civilisation qui est aujourd'hui menacée »

L'indépendance du Maroc, puis de la Tunisie, sont reconnues depuis le mois de mars 56. Beaucoup de français espèrent que l'intervention franco-anglaise à Suez, calme l'influence néfaste de l’Égypte sur la rébellion en Algérie.

A partir de 1957, l'opinion envisage l'abandon des départements algériens.

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Dès 1956, des intellectuels catholiques s'engagent et dénoncent le recours à la torture par l'armée.

Dans le Monde en avril 56, Henri-Irénée Marrou, écrit en titre « France ma patrie » et rappelle les méthodes de la Gestapo : « partout en Algérie, la chose n'est niée par personne, ont été installés de véritables laboratoires de torture, avec baignoire électrique et tout ce qu'il faut, et cela est une honte pour le pays de la Révolution française et de l'affaire Dreyfus ». il dénonce également les ''ratissages'' : «  l’opération consiste toujours à frapper indistinctement innocents et coupables, combattants et désarmés. ». Lancelot remarque qu'il évite de prendre position dans le conflit, par contre, Marrou souligne qu’« on ne défend pas une noble cause par des moyens infects » ; cependant cette tribune sera suivie d'une perquisition de la DST, le 10 avril, dans son bureau de Châtenay-Malabry.

Pierre-Henri Simon publie Contre la torture en 1957, qu'il dédie « aux Françaises et aux Français qui ont résisté à Hitler, à celles et ceux qui ont affronté les périls, défié la mort et subi la torture afin que cette ombre recule au ciel de l’histoire »

 

Le CCIF ( cf 1953 – le Maroc) , préfère ne pas trop évoquer les événements d'Algérie. Cependant, le 2 décembre 1957, Raymond Aron lors d'une présentation de son ouvrage '' La Tragédie algérienne '' est reçue par les sifflets des partisans de l'Algérie française, il est accusé de défaitisme.

Seuls Mauriac et Marrou le soutiennent. En effet, Aron affirme que l’indépendance de l’Algérie est inéluctable.

Il soutient qu'il n'y a pas de relations entre 'perte des colonies' et 'déclin économique' ; il s'appuie sur la prospérité économique des Pays-Bas, après la perte de l'Indonésie. Aron tente de convaincre que la fin de l'empire colonial n'est pas un signe de décadence.

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1956 – La Crise du canal de Suez – Intervention soviétique en Hongrie

Publié le par Régis Vétillard

Le président égyptien Gamal Abdel Nasser annonce le 26 juillet 1956 la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez. Il refuse la négociation et une administration internationale du canal de Suez.

Une opération militaire anglo-française est mise sur pied.

La France en outre reproche à l’Égypte de soutenir le mouvement de libération nationale algérien.

La surprise vient d'Israël, qui, le 29 octobre, envahit la bande de Gaza et le Sinaï égyptien. Cet accord secret avec Israël, tenait à renforcer la sécurité d'Israël, contre des attaques incessantes égyptiennes.

La France et le Royaume-Uni bombardent Port-Saïd le 31 octobre. Le 5 novembre anglais et français sont parachutés, et le soir l'URSS envoie l'ultimatum de leur intervention. Washington avec l'accord de Tel-Aviv, appellent à '' mettre fin à l’agression '' pour empêcher la guerre.

Sous la pression des Nations unies, des États-Unis et de la Russie, le cessez-le-feu est fixé pour le soir du 6 novembre à minuit.

Pour la France - leurrés par ses alliés - l'opération est considérée comme une défaite diplomatique imputable à Guy Mollet.

Nasser gagne en prestige auprès des Etats arabes.

Le 23 novembre 1956 une proclamation du ministère des Affaires religieuses égyptien lue dans toutes les mosquées affirme que : “ Tous les Juifs sont des sionistes et des ennemis de l’Etat” et promet leur expulsion prochaine d’Egypte. Ils sont 60 000 environ et sont alors forcés de quitter le pays et se réfugieront en grande partie en Israël, en France ainsi qu’au Brésil, en Argentine et aux Etats-Unis.

Nasser ordonne l'expulsion de tous les européens présents dans le pays.

Seuls – grâce à l'activité diplomatique du Vatican – les ecclésiastiques européens échappent à l'expulsion.

La présence française et son rayonnement dans l'élite égyptienne, est balayée. De nombreux français d’Égypte ( dont 300 instituteurs), mais aussi des Grecs, des Libanais et des coptes, arrivent en France.

1500 chars soviétiques s'emparent de Budapest

Octobre 56, dans les rues de Budapest, des manifestations contre la tutelle soviétique demandent l'abolition du parti unique. Un nouveau gouvernement, sous la direction d'Imre Nagy, prend fait et cause pour les insurgés. Il proclame le retrait du pacte de Varsovie et promet d'organiser des élections libres.

Le 2 novembre, Etienne Fajon (directeur de l'Humanité) écrit qu'en Hongrie se déploie « un mouvement contre-révolutionnaire illégal aidé de l'extérieur, puissamment armé, préparé par des cadres expérimentés de l'ancienne armée fasciste. ».

Nikita Khrouchtchev charge l’Armée rouge de liquider l'insurrection hongroise par la force.

Le 4 novembre, une importante armée soviétique envahit Budapest et les autres régions du pays. La résistance hongroise continue jusqu'au 10 novembre. 2500 hongrois sont tués, et 200 000 fuient et se réfugient a l'Ouest. Un nouveau gouvernement a la solde de Moscou est retabli, et referme toutes les frontières.

6 Nov 1956 - Hongrie - Egypte

Le 4 novembre l'Humanité célèbre « l'échec final de la contre-révolution. »

 

A Rome, Pie XII relève la différence entre le traitement que l'O.N.U. a réservé à la France et à la Grande-Bretagne pour l'affaire de Suez, et à l'Union Soviétique pour l'affaire de Hongrie ; en effet la lettre d'Imre Nagy, demandant le 2 novembre 1956 que l'O.N.U. garantisse la neutralité hongroise, est restée sans effet.

 

Lancelot indique que nos ''renseignements'' sont clairs : pendant que la France et la Grande Bretagne sont occupés par Suez, et que les américains – en retrait- craignent un embrasement mondial ; Khrouchtchev nous montre son vrai visage. N'oublions pas que le début de l'année 1956, avait été marqué par le rapport Khrouchtchev qui dénonçait le culte de la personnalité de Staline.

A propos duquel, Sartre considérait que cette dénonciation de « tous les crimes d’un personnage sacré, qui a représenté si longtemps le régime, est une folie... » !

 

 

La revue Esprit accueille de nombreux intellectuels hongrois, Domenach écrit : « Grâce à eux, il devint évident que l’oppression n’était plus le fait d’un seul camp, et qu’il n’existait pas seulement l’impérialisme américain, mais aussi – ô scandale ! – un impérialisme soviétique. »

Sartre récemment converti au communisme réplique : « Les gens qui n’ont pas protesté contre les tortures en Algérie et contre Suez sont aussi totalement dénués du droit de protester contre les événements de Hongrie . »

Lancelot remarque que nombreux sont les intellectuels qui craignaient de passer pour des anti-communistes ; mais actuellement, l'intervention soviétique en Hongrie rend leur position difficile...

Rougemont lance un appel à mettre le communisme soviétique « au ban de l’humanité », et interroge Sartre sur ce qu'il a cru dire sur Suez...

 

En réaction à l'actualité Lancelot rencontre Edgar Morin, qui souhaite créer une nouvelle revue ''Arguments'' pour aider à « passer d'une critique de la pensée établie d’origine marxiste à une révision critique de toutes les idées.. ! »

Ce qui désarçonne Lancelot, c'est son idée de ''pensée planétaire'' qui lui fait dire que l'Europe lui semble une cause beaucoup trop « étriquée ». Rougemont considère là une contradiction d'affirmer en même temps que « c'est l’humanisme européen qui m’entraîne au-delà de ma province européenne au nom de l’universel. ».

Rougemont critique ce choix des intellectuels à dénoncer « des scandales lointains, d’appeler au soutien de causes lointaines (...). Ils abandonnent les problèmes prochains (et du prochain) aux soins – tournés en dérision – des technocrates ». Il pense aux technocrates européens qui font l'impasse d'une grande Idée européenne, pour créer le ''Marché Commun''

Depuis la mort de sa grand-mère, Elaine de Sallembier ( 12 ans) , a retrouvé la vie parisienne et sa mère, Geneviève beaucoup plus présente au domicile, avenue Victor-Hugo.

Elaine fréquente le lycée Jean de la Fontaine, grand bâtiment des années 30, avec ses grandes portes en fer forgé.

 

Lancelot constate avec intérêt, l'évolution qui s'est opérée chez sa femme. L'entrée des chars russes dans Budapest, semble avoir été un point de non-retour. Son mentor, Dominique Desanti rend sa carte du PC. Geneviève veut même reconnaître son trouble, lors des exclusions de Marty et Tillon.

Les camarades, dit-elle, semblent ignorer le contenu du rapport Khrouchtchev, que nous avions découvert dès le mois de mars. Même l'historienne Annie Kriegel exprime publiquement sa déception. Étrangement, la scientifique Eugénie Cotton dit pleurer « sur la mort de milliers d’êtres humains en Algérie, en Égypte et en Hongrie », mais ne condamne pas la répression soviétique ; elle ajoute : « il ne faut pas que, ce que nous considérons actuellement comme des erreurs, puisse ébranler notre confiance dans les forces du progrès ».

Emmanuel Leroy-Ladurie (1929- ), quitte le parti, le jour même de l'intervention soviétique. Son père avait été ministre vichyste, puis résistant. Jeune catholique provincial ; en 1950-51, à Normale Sup, comme un bon quart des élèves, il prend la carte du PCF. Il écrit : « Nous représentions la violence symbolique mise au service de la raison historique. » ; elle s'accompagne d'une soumission tout aussi étonnante à "l'autorité du Parti". Sa rupture en 1956, va se poursuivre par un retour progressif au catholicisme de sa jeunesse.

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1956 – Egypte - Maurice Zundel

Publié le par Régis Vétillard

Port Saïd

Visite à Port-Saïd, la pensée de Lancelot s'évade de l'actualité et, fort de certains souvenirs, imaginent ici la princesse Bibesco émue de visiter la chambre où vécut Ferdinand de Lesseps, qui relit les lettres du Caire de Napoléon. Elle décrivait l'Egypte comme une quête, et pensait la rencontre franco-égyptienne comme nécessaire et éternelle.

De cette ville où personne ne s'arrête jamais, elle écrivait : « L'eau lourde, l'eau noire, l'eau artificielle que soulève le bateau à moteur. Les grands lampadaires tristes, parce qu'ils sont fixes, et très hauts, et très espacés... La rue qui s'anime quand passe la malle des Indes, la malle de Chine, la malle d'Australie... »

 

la Chapelle de la sainte-Famille de Matarieh

Au Caire, la délégation vaticane est reçue au palais Zaafarane par des dignitaires, puis au Ministère des affaires étrangères. Les discussions des plus sérieuses continuent alors qu'ils visitent rapidement les pyramides et le Sphinx.

Finalement c'est son séjour à Matarieh qui semble avoir le plus marqué Lancelot.

Je note que Matarieh est le lieu supposé du séjour de la Sainte Famille, lors de la fuite en Égypte. On y voit une fontaine du jardin où la Vierge aurait lavé les langes de l’enfant Jésus ; et surtout le sycomore à l'ombre duquel la Sainte Famille aurait pris du repos.

 

Devant les multiples questions que lui posent l'actualité internationale, Zundel – qui réside à Matarieh - relève celle qui lui paraît essentielle, la question de la Liberté. Le vrai problème de notre vie - dit-il - c'est la liberté. C'est de cela que chacun de nous rêve de réaliser.

Lancelot évoque les pays totalitaires : Zundel répond : « vous entendez la question que le peuple hongrois nous pose : “Et vous, que faites-vous de vos libertés ?”... Notre choix n'est-il pas entre la vie de parasite et celle de créateur, entre la vie de l’homme qui sauve sa peau et de devenir un héros et d’atteindre la sainteté. »

Maurice Zundel

Un pays veut être libre d'exister, et donc de se défendre ?

- « Nous sentons bien que la liberté est un bien immense, mais toute la difficulté est de la situer !... Une liberté anarchique, la liberté de la brute qui obéit à toutes les impulsions et qui est esclave de tous ses instincts n’est pas la liberté !... C’est la bombe atomique ! ... La bombe atomique, c’est une liberté anarchique, c’est la liberté de la brute qui ne connaît plus aucune limite, qui détruit toutes les valeurs et qui saccage toute la dignité humaine. »

 

Nous n'avons pas choisi d'être là, d'être né dans cette époque, dans ce pays..

«  ...nous sommes dans le même cas que tous les animaux, végétaux, minéraux, tous les éléments de l’univers. Mais ces éléments subissent leur vie. Ils sont prisonniers de leur biologie.

L’homme prend un jour conscience de son existence et peut s’interroger sur sa vie, la mettre en question, la poser, la refuser, la juger… Ce qui fait le mystère de l’homme, sa condition unique, c’est qu’il ne peut pas se contenter de sa vie préfabriquée qui lui est donnée. Sa biologie est ouverte : il ne peut rester irresponsable. Préfabriqué, l’homme a pourtant un choix à faire, une responsabilité à assumer. Il doit ajouter à ce qu’il est de par sa naissance quelque chose qu’il n’est pas encore et que sa naissance ne peut pas lui donner. Il doit devenir un autre homme que celui qu’il est.

L’homme se définit à partir de ce qu’il ne tient pas par sa naissance. Il doit créer tout ce qui fait de lui un homme. La spiritualité se définit, se constate, s’expérimente à partir du point où nous découvrons que nous ne pouvons pas en rester à l’état que nous tenons de notre naissance, mais que nous avons à passer la nouvelle naissance dont parlait Jésus à Nicodème. »

« L'homme naît, au moment où il prend conscience de devoir assumer des choix libres. Il est dès lors possible de parler de sa nouvelle naissance en ce qu’il est un créateur : devenir un homme libre, selon l’appel de Dieu (qu’il faut donc entendre). »

 

Bien sûr, être libre n'est pas affirmer qu’on est lié par rien » et laisser cours à «  toutes les fantaisies et toutes les perversions charnelles, toutes les fumées de l’inconscient et toutes les extravagances, d’une imagination débridée... »

Les hommes naissent-ils libres, ou doivent-ils conquérir leur liberté ? Sont-ils égaux, reçoivent-ils des dons différents ?

« La seule égalité, c’est que tous se trouvent devant la même exigence, à savoir qu’ils ont à devenir homme et à refuser de se subir pour faire de leur vie un espace illimité de lumière et d’amour où la valeur infinie qui leur est confiée pourra s’exprimer, se révéler et se communiquer.

Tous les débats sur la justice sont empoisonnés par cette équivoque et toutes les Déclarations des droits de l’homme flottent en l’air et sont chimériques parce qu’elles supposent réalisé ce qui ne l’est pas. Elles supposent que l’homme existe alors qu’il n’existe pas encore. »

 

« Ce qui rend tragique la situation humaine, c’est que l’homme sent très bien ce qu’il n’est pas, mais se rend compte très difficilement de ce qu’il doit être. Chacun demande à faire croire à l’importance de sa vie, mais la majorité des hommes ne sait pas en quoi consiste cette dignité qu’ils veulent défendre. »

 

Comment peut-on avoir idée de la dignité de l'homme ?

« Le croyant n’est pas celui qui cherche à se mettre dans la tête ce qu’il faut croire; mais croire, c’est donner son coeur à une certaine lumière, parce qu’on a découvert que c’est elle qui donne une solution au problème humain. »

La dignité de l'homme ne se fonde point sur lui. Elle a quelque chose d’infini qui le dépasse et dont sa nature ne peut rendre raison.

Ce nom d’humanité, qui est si beau, doit le respect qu’il suscite en nous aux résonances spirituelles dont il est chargé. Aussi bien ne désigne-t-il pas d’abord l’ensemble des hommes qui peuplent la terre, mais la qualité qui révèle en chacun la personne : l’être-source. »

Lancelot revient à Rome, quelques jours avant Maurice Zundel qui rentre en France, fin août 1956.

 

Sources : Maurice Zundel, retraite à La Rochette

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1956 – L'Unité arabe – Suez

Publié le par Régis Vétillard

A sa grande surprise, fin juillet 56, Lancelot apprend qu'il fait partie du voyage en Egypte, avec Mgr Silvio Oddi diplomate du Saint-Siège. Sous le couvert de l'archevêque italien, il doit s'inquiéter des ressortissants français, et particulièrement des religieux français.

Maurice Zundel

A cœur de cette brûlante actualité, Lancelot va être marqué par la rencontre avec le père Maurice Zundel. Il vient de Beyrouth où il a prêché une retraite, et il est très attaché à la communauté, ici, du carmel de Matarieh, où les sœurs vénèrent ce petit homme humble et à la foi saisissante. Zundel avait déjà fait un long séjour, de décembre 1939 jusqu'à l'été 1946, au Caire. Il y avait déployé une activité intense : conférences, catéchisme, aumônerie, contacts avec les Coptes et les Melkites, étude de l'arabe et du Coran, accompagnement spirituel, aide aux plus démunis.

Zundel souffre véritablement de la situation politique que ses amis lui décrivent d'Algérie, et de tout le Moyen-Orient.

Il va rester à Matarieh jusqu'à la fin août et Lancelot va profiter au maximum de son enseignement ; obligé également de suivre Mgr dans ses efforts pour éviter l'expulsion des ecclésiastiques européens.

 

Le père Silvio Oddi connaît bien le contexte politique du Moyen-Orient.

- Après la Grande Guerre, en 1920, la Société Des Nations attribue à la France le mandat de conduire vers l'indépendance la Syrie et le Liban ; et à la Grande Bretagne, la Palestine et l’Irak.

Déjà les violences d’août 1929 autour du Mur des lamentations, à Jérusalem, se mêlent religion et "affrontement entre sionistes et arabes", en plus d'un soulèvement anticolonial du monde musulman.

Au Congrès islamique de 1931, à Jérusalem, naît un projet unificateur du mouvement national arabe, du Golfe persique au Maroc.

En 1936, les Arabes palestiniens lance une grève générale pour la fin du transfert de terres des Arabes aux Juifs, et le non-paiement d'impôts à l'administration britannique. Suivent une dure répression des Britanniques et un engrenage de représailles et contre-représailles entre Arabes et juifs.

La Grande révolte arabe 1930s, en Palestine - Hélène Aldeguer

On notait alors : « L’impossibilité de faire émerger une identité commune entre Juifs et Arabes. En fonction des différents scénarios d’immigration, les Juifs deviendraient majoritaires entre 1947 et 1960. » ( selon l'historien Henry Laurens )

Les nationalistes arabes votent lors d'un congrès en Syrie ( sept 1937) des résolutions qui insistent sur l’identité arabe de la Palestine, le refus du partage et de l’État juif, l’abolition du mandat et l’arrêt de l’immigration juive.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne est engagée dans la ''bataille du désert'', et l'Allemagne joue la carte de de la libération des Arabes du ''joug britannique''.

Après le coup d'état en Irak, avant l'intervention britannique a lieu un pogrom contre les juifs de Bagdad ( juin 1941), ils sont 90.000, et fait 180 victimes.

En 1941, la ''Charte de l'Atlantique'' ( Royaume-Uni et Etats-Unis) - elle regroupe une série de principes devant servir au maintien de la paix et de la sécurité internationale - est nettement anti-colonialiste.

Immigration juive dès 1872, 1914, 1930...

En résultent, des tensions entre Français et Britanniques au Proche-Orient. Le 8 novembre 1942 débarquent les Alliés en Afrique du Nord.

Les questions de l’unité arabe et du partage de la Palestine, agitent le Moyen-Orient. Les Etats Unis soutiennent l'indépendance de la Syrie et du Liban par rapport au mandat français, et en 1945, font de l'Arabie Saoudite, un atout stratégique américain ( L’Arab American Oil Company, ARAMCO )

La rancœur française va durer au moins jusqu'à la crise de Suez

Les américains craignent pendant la guerre froide, l'influence soviétique en Iran, et en Turquie. Ils procurent de l'aide à la Grèce et à la Turquie, pour ensuite les intégrer à l'OTAN.

Les américains et les britanniques s'affrontent en Palestine, alors que ces derniers vivent dans la hantise d'un soulèvement arabe ; les premiers en reviennent alors à la déclaration Balfour de 1917, quand la SDN confiait aux britanniques le mandat de créer un « foyer national juif » en Palestine.

Le dossier palestinien est confié à l'ONU, en 1947. Vous connaissez la suite...

Le Canal de Suez 1869

Et, pour en arriver au Canal de Suez, qui était géré par une Compagnie franco-britannique ?

- L'affaire commence en 1854, quand le gouverneur d’Égypte accorde le 1er acte de concession du terrain pour les travaux au français Ferdinand de Lesseps.

Le 17 novembre 1869, le canal entre la mer Rouge et la Méditerranée, est ouvert financé par des petits porteurs français et à moitié par l'Egypte, endettée, elle vendra ses parts aux britanniques. Suite à un coup d'état raté, des émeutes, l'Angleterre occupe l'Egypte. Après la Grande Guerre, l'Egypte indépendante doit laisser aux britanniques la protection du Canal, qui continuent d'affronter des troubles; jusqu'au 26 juillet 1956, quand le gouvernement égyptien saisit le canal de Suez et le nationalise.

 

Le canal est une voie commerciale essentielle et un lien vital avec le Commonwealth, il était détenu en majorité par des capitaux franco-britanniques. Comment ces deux pays vont-ils réagir ? De plus, la tension monte entre l'Egypte et Israël...

La monarchie en Egypte avait été renversée par des militaires ( 1952). A présent, le colonel Gamal Abdel Nasser, au pouvoir, exprime son intention d’anéantir Israël ; il ferme le canal aux navires israéliens, conduit de nombreux raids égyptiens en Israël. La France lui reproche de soutenir la rébellion algérienne.

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1956 – Événements d'Algérie

Publié le par Régis Vétillard

Albert Camus

Marcel Camus, qui a rejoint le mouvement des ''Libéraux d'Algérie'' lance à Alger, le 22 janvier 1956, un ''Appel pour une trêve civile''. Le mouvement dénonce le comportement méprisant de l'ensemble de la population européenne à l'égard des musulmans. Le courant chrétien progressiste, ( avec l'archevêque d'Alger Monseigneur Duval ) le rejoint. Malheureusement s’enchaînent des réactions de haine, jusque dans la presse locale, de la part des opposants.

Une semaine après l'appel de Camus, à Paris, salle Wagram, un « Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre », le 27 janvier 56, représenté par Jean-Paul Sartre, André Mandouze notamment, reconnaît l’existence de la « Nation algérienne » et organise en France le soutien militant à une « résistance » identifiée au seul Front de libération nationale (FLN).

Lancelot, en curieux, se rend au meeting du 27, salle Wagram, il y croise Edgar Morin qui lui explique que le Comité est déchiré par l'opposition entre pro-FLN et défenseurs de Messali Hadj, fondateur du Mouvement national algérien (MNA) ; et lui fait part de ses réticences à l'égard du Front.

Les événements d'Algérie vont occuper toute l'attention des présidents du Conseil ; ce qui ne va pas empêcher la dérive militariste qui finira même par s'affranchir du pouvoir civil – le 22 octobre 1956, l'armée arraisonne sans ordre du gouvernement l'avion transportant Ben Bella et quatre autres dirigeants du FLN.

 

Guy Mollet fait en Algérie la politique inverse de celle que Mendès avait préconisée. Mal reçu en Algérie sous une pluie de tomates, Guy Mollet nomme ministre résident Robert Lacoste pour en finir avec une « guerre imbécile ». Fin 1956, Lacoste va ordonner au général Massu, commandant de la 10e division aéroportée, de ''pacifier'' Alger ; tandis que la France s'engage dans une nouvelle crise, celle du '' Canal de Suez ''.

 

En lecteur de l'Express, Lancelot semble avoir des difficultés à prendre position. Peut-être est-il aussi sensible à cette dénonciation d'un « nouvel impérialisme arabe, dont l’Egypte, présumant de ses forces, prétend prendre la tête et que, pour le moment la Russie utilise à des fins de stratégie antioccidentale. » ( Camus, dans l'Express ). Les arabes d'Algérie seraient manipulés, les ''pieds noirs'' seraient des victimes collatérales d'une mauvaise administration, que d'autres appellent un système colonialiste.

Lancelot pense aussi à René Guénon, arrivé au Caire en 1930, et mort en 1951 en Égypte ; à Massignon qui y a étudié l'islam, et se bat toujours pour l'amitié christiano-musulmane. En témoignage de cette fraternité, il a créé - le 25 juillet 1954 - avec Lounis Mahfoud, le pèlerinage des Sept Dormants en Bretagne, qui se renouvelle depuis chaque année.

 

Rappel: 1956

Le 6 février : Mollet est accueilli à Alger par de vives manifestations d’hostilité.

Du 23 octobre au 10 novembre 1956 : insurrection à Budapest ( Hongrie) - Le 4 novembre, une importante armée soviétique envahit Budapest et les autres régions du pays.

Du 29 octobre au 7 nov. : intervention franco-britannique en Égypte (crise et guerre de Suez)

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1956 – Elections

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot se dit déçu, le 5 février 1955, de cette continuelle instabilité ministérielle. Le gouvernement de Pierre Mendès France aura tenu deux cent trente jours. Il faut attendre le 23 février pour qu'Edgar Faure soit investit. Nous sentons à présent qu'une crise est latente ; elle se nourrit de la ''question algérienne'' et de l'instabilité politique.

Déjà lors de cette Toussaint sanglante de 1954, une série d'attentats sont perpétrés sur le territoire de la République, en Algérie, par des fellagas et dit-on par des éléments étrangers tunisiens ou égyptiens … Mauriac dira dans son ''Bloc-Notes'' « la guerre d'Algérie commence. ». Le peuple algérien en appelle à des réformes de structure.

Et pour la politique : « Nous avons vu de nos yeux les horreurs du fascisme et nous redoutons le carcan concentrationnaire; mais la démocratie telle que nous la pratiquons, à quoi bon se boucher les yeux? C'est la décomposition ininterrompue, c'est la mort lente » ( Mauriac, Bloc-Notes)

Pierre Mendès France a fait la paix en Indochine et en Tunisie en 1954, Edgar Faure a réussi à ramener le calme au Maroc en 1955. En 1956, réussirons-nous à ramener la paix républicaine française en Algérie ?

 

En décembre 1955, la crise politique qui couvait, produit la dissolution de l'Assemblée Nationale, deux jours après que le gouvernement Edgar Faure ait été renversé par un vote de l'assemblée .

Le conseil des ministres dissout l'assemblée nationale, contre l'avis du Président René Coty.

 

Lancelot assiste à de nombreuses fractures aussi bien dans le parti radical que dans le paysage politique français.

Quinze gouvernements vont se succéder de 1950 à 1958 ( dont six entre juin 1957 et juin 1958 !)

De plus, le ''régime des partis'' pousse le travail de l'administration à ses limites. Le manque de solidarité ministérielle, les fuites, sont exacerbés par l'emprise de la presse toujours à l’affût de nouvelles péripéties. Chacun se plaint du sens perdu de l'Etat, et de la difficile continuité du service.

Il reste également, en sourdine, le ressentiment d'une très légère épuration, à la fin de la guerre, parmi la haute administration ; de nombreux directeurs ont servi, jusqu'au bout, Vichy.

Par contre, depuis le statut de 1946, le fonctionnaire titulaire de son grade, ne dépend plus du pouvoir politique.

De nombreux jeunes administrateurs investissent les ministères et vont modifier les méthodes, et améliorer les conditions de travail. Les bureaux étaient surpeuplés, un seul appareil téléphonique pour trois ou quatre personnes, juché sur un bras mobile métallique qui tourne ; pas de ligne directe, cela oblige à passer d'un standard à un autre standard... Un pool dactylographique ne délivre une sténodactylo que pour une vingtaine de minutes, pour n'obtenir la note qu'une demi-journée plus tard...

Tintin souhaite une Bonne année 1956

 

La dissolution de l'Assemblée nationale a été très critiquée par les ''mendésistes'', qui représentent l'aile gauche du parti radical. Pour ces élections législatives du 2 janvier 56, ils vont s'allier avec la SFIO, des gaullistes (républicains sociaux) et l'UDSR ( Mitterrand) , et se regrouper pour former un Front Républicain, constitué à l’initiative de Pierre Mendès France. Ce ''Front'' s'oppose au centre droit d'Edgar Faure et d'Antoine Pinay, au PCF et au tout nouveau mouvement poujadiste.

 

Pierre Poujade, est libraire-papetier à Saint-Céré dans le Lot, il a créé en 53, un mouvement de défense des commerçants, qui rapidement après s'en être pris aux '' contrôles fiscaux'' reprend des thèmes comme l'antiparlementarisme, le nationalisme et l'Algérie aux français, et même l'antisémitisme, pour se présenter aux élections.

 

Edgar Faure est exclu du Parti radical le 1er décembre 1955 : « J’ai été en l’espace de 24 heures renversé, dissout et exclu ». Il se présente sous une nouvelle étiquette (RGR).

Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans son éditorial de l'Express du 30 décembre 1955 ( créé en 1953, il a accueilli François Mauriac et son 'Bloc-Notes', puis en 1955-56, Albert Camus ) appelle au retour de Mendès.

Pierre Poujade, au centre

À Alger, les ultras de l'Algérie française se mobilisent violemment aux cris de « À bas Mendès ! »

 

Aux élections du 2 janvier 1956, les listes sous l'étiquette "Front républicain" obtiennent près de 28% des voix et 172 sur 594 sièges à l'Assemblée. La droite parlementaire regroupée obtient plus de 30% et 214 députés. Le Parti communiste, 26% et 150 élus. La surprise vient avec le mouvement de Poujade, et ses 13%, il conquiert 52 sièges. Parmi les députés poujadistes, Jean-Marie Le Pen, le plus jeune député de France.

On s'attend à ce que Mendès forme un nouveau gouvernement et prenne des initiatives sur la question algérienne. Le président René Coty, par excès de prudence et afin de continuer la construction européenne, choisit de confier la présidence du Conseil au dirigeant socialiste Guy Mollet.

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1950 - Henri-Irénée Marrou (1904-1977)

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot passe beaucoup plus de temps dans les couloirs et les bureaux des ministères à Paris, qu'au Vatican. L'année 1956 est assez particulière, en ce que la fébrilité qui s'empare des politiques amène Lancelot à répondre à de multiples sollicitations.

Henri-I Marrou avec Danielou

La présence intellectuelle d'Henri Marrou va beaucoup l'aider. J'ai déjà fait état de la rencontre de Lancelot avec Henri-Irénée Marrou (1904-1977), à Lyon en 1942, proche de Mounier et de ''Témoignage Chrétien''. J'ai cité l'une d'entre nombreuses discussions sur l'histoire et le christianisme dans l'antiquité tardive... En 1955, Lancelot et Henri Marrou se croisent dans le cadre de la revue ''Esprit'', et Lancelot sollicite souvent son avis sur l'actualité.

 

Henri Marrou occupe la chaire d'histoire du christianisme à la Sorbonne depuis 1945. Emmanuel Mounier lui a proposé de le rejoindre aux ''Murs blancs'' dans la banlieue sud de Paris. Il s'agit de deux maisons bourgeoises divisées en appartements à Chatenay-Malabry, dans un grand parc, où vont se côtoyer les familles Mounier, Marrou, Baboulène ; les Domenach, les Fraisse et les Ricoeur ( le derniers en 1957). Chacun est indépendant, mais participe à une vie communautaire.

Simone Fraisse est agrégée de lettres et spécialiste des œuvres de Simone Weil ; Jean-­Marie Domenach, est un intellectuel et journaliste engagé, et sa femme, Nicole, professeure à l’école d’arts appliqués Estienne ; Jean Baboulène est à ''Esprit'' comme tous, et secrétaire général de la Jec, directeur de Témoignage chrétien jusqu’en 1949.

 

Lancelot apprécie beaucoup de passer aux 'Murs Blancs ', en particulier pour y rencontrer Henri Marrou, sa femme Jeanne, et parce qu'il est très intéressé par sa réflexion sur l'Histoire; elle est une constante question, il la nomme « l'histoire-questions » ; et l'Histoire est une rencontre, elle est dit-il « une rencontre d'autrui » et, même « un mixte indissoluble du sujet et de l'objet ».

Lumière du Graal - Cahiers du Sud -1950

 

Pour Marrou, le sujet du Graal est « l'un des plus beaux que présente le moyen âge occidental. ». Il le rapproche volontiers d'une réflexion sur l'histoire des religions, en commençant par l'exploration des vieilles croyances celtiques, jusqu'à l'eucharistie chrétienne. Nous sommes confronté également, dit-il, à la transmission de la légende : par quels moyens est-elle parvenue à la connaissance des auteurs médiévaux ? Comment a travaillé Chrétien de Troyes, sur quels documents ? Cette '' Matière de Bretagne'' est bien originale, dans sa '' Merveille '' qui n'est ni grecque, ni romaine, ni slave...

- Ne trouve t-elle pas ses origines « dans le sol même de la Bretagne, de la vieille Bretagne celtique. » ?

- Oui, sans-doute ; mais il faudrait faire le ménage de beaucoup d'hypothèses fantaisistes... et je pense à celle du catharisme.

Un livre récent de Jean Marx, sur ce thème, est assez éclairant. Bien sûr, il privilégie l'arrière-plan celtique pour expliquer l'ossature de la légende.

Si Lancelot ne nie pas l'origine celtique de la Légende, il estime fondamental de ne pas occulter la transcription catholique de la légende et sa perpétuation à partir d'un environnement médiéval. Car enfin, pour nous, le Graal prend corps à cette période de notre histoire !

S'amusant un peu ; de l'identification de Lancelot à la quête de son personnage emblématique ; Henri Marrou pointe dans la recherche historique une fonction libératrice, aussi bien pour la société que pour l'individu.

- Vous ne croyez-donc pas à la l'objectivité et l’exhaustivité des historiens ?

- Non... L'historien n’appréhende pas le passé directement, mais à travers lui-même et son propre présent.

- On ne peut pas parler de ''vérité historique'' ?

- Cette vérité se cherche et se construit, avec à mon sens, d'autant plus de justesse que nous connaissons ce qui fait la spécificité d'une époque et « ce principe de la différence des temps », pour éviter l'anachronisme.

Pour se faire comprendre du plus grand nombre, l'historien ne craint pas d'utiliser ce que Augustin Thierry nommait au XIXe s. « la puissance de l'analogie », avec ses limites... Attention à l'anachronisme !

Carte Lancelot - 1950

 

Lancelot ne manque pas d'évoquer son arrière grand-père Charles-Louis de Chateauneuf qui connaissait bien Augustin Thierry (1795-1856), et il notait combien cet historien s'était nourri des romans de Walter Scott. Dans son travail, il faisait la place aux légendes, à l'imaginaire...

Bien sûr, Thierry revenait aux sources, aux textes originaux et aussi aux poésies populaires ; il aimait retrouvait le vieux langage français. Il disait s'intéresser plus aux vaincus qu'aux vainqueurs, à la différence du XVIIIe s. pendant lequel l'historien était au service du ''Prince''. Il pensait qu'il revenait à l'historien de faire revivre par son style les individus et les peuples disparus : « II faut pénétrer jusqu'aux hommes, à travers la distance des siècles, il faut se les représenter vivants et agissants sur le pays où la poussière de leurs os ne se retrouverait pas même aujourd'hui... (…) Que l'imagination du lecteur s'y attache ; qu'elle repeuple la vieille Angleterre de ses envahisseurs et de ses vaincus du XIe siècle ; qu'elle se figure leurs situations, leurs intérêts, leur langage divers, la joie et l'insolence des uns, la misère et la terreur des autres, tout le mouvement qui accompagne la guerre à mort de deux grandes masses d'hommes. »

 

Henri-Marrou ( ancien ''tala'' de l'Ecole Normale) se définit comme catholique, spécialiste de Saint-Augustin, lecteur de Cassien ( IVe s.) et du frère carme Laurent de la Résurrection ( XVIIe s.) ; et passionné par l’œuvre de Teilhard de Chardin, qu'il avait rencontré étudiant, lors de réunions du groupe « tala » de la rue de Grenelle.

Marrou dit qu'il prie, depuis, avec une vision christocentrique du monde : « Aidez-moi Seigneur à me dégager par ascèse de la gangue inerte de mon cœur et que je puisse travailler avec vous, Christ, à réconcilier toutes choses avec le Père » (...). « sentir avec l’Église, mais aussi sentir avec le monde. »

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1955 - Les Manuscrits de Qumran

Publié le par Régis Vétillard

Edmund Wilson passe abruptement à son sujet d'intérêt, sans en avoir averti le cardinal Tisserant..

- Depuis 1947, époque où on découvrit un fabuleux trésor de manuscrits de l'époque du Christ, n'est-ce pas le silence du Vatican qui fait le plus de bruit...?

- Ah! J'avais oublié que vous étiez aussi journaliste au New Yorker! !

- Rien n'est caché. Le travail autour de ces confettis de parchemin nécessite de la minutie et du temps...

Qumran et les grottes sont sur le territoire jordanien, et les chercheurs juifs ne sont pas autorisés. C'est le père Roland de Vaux, dominicain, qui a constitué l'équipe et a toute autorité sur les recherches, et l'édition...

Entre 1947 et 1955, parmi la centaine de grottes visitées, onze révèlent leurs secrets, mettant au jour quelque 900 manuscrits…

Eleazar Sukenik, en 1951

Cependant, Eleazar Sukenik de l’Université hébraïque de Jérusalem, est parvenu à acquérir des fragments importants de rouleaux dont celui d'Isaïe.

 

Tisserant dit que, à sa connaissance, aucun texte du Nouveau Testament n'est présent dans les jarres de Qumran et que rien n'y parle de Jésus de Nazareth.

 

Wilson répond que l’épigraphiste français André Dupont-Sommer, dès 1950, compare Jésus avec ce fameux “Maître de justice” dont parlent les textes sans jamais le nommer.

Jésus de Nazareth ne pourrait-il pas être passé par Qumran ?

 

Tisserant s'en tient à ce qu'en disent plusieurs spécialiste, à savoir que Qumran devait être le lieu de vie d'une secte juive monastique, les esséniens qui y rédigèrent les manuscrits. Cette idée a été avancée très tôt par le père de Vaux.

 

- Oui, mais faut-il faire alors de Jésus un essénien et du christianisme "un essénisme qui a largement réussi" selon la formule de Renan ?

C'est ce que le professeur John Marco Allegro (1923-1988), philologue, docteur d’Oxford, vient de soutenir lors d'entretiens radiophoniques qu’il a donnés à la BBC.

Le père Józef Tadeusz Milik remet des fragments à John Allegro

 

Tisserant, note que le Times, en effet, a relevé cette polémique... Et que Dupont-Sommer, lui-même, qui avait jusque-là considéré Allegro comme un excellent collègue, n’avait eu, consterné, qu’un jugement bref : « Allegro est devenu fou ! »

Allegro est le seul agnostique de l’équipe internationale, il est renommé pour son anticonformisme.

 

- Vous soulignez, qu'Allegro est non-croyant, cela a donc son importance ?

 

- Oui, répond le cardinal. C'est important, parce que cela concerne les Ecritures. L'encyclique donnée à Rome le 30 septembre 1943, par le Saint-Père, Divino afflante Spiritu, réaffirme  l'inspiration divine des Écritures, il cite saint Augustin pour faire valoir que la méthode historico-critique peut être acceptable lorsqu'elle est nourrie par une grande foi en l'Esprit Saint. Le Saint-Père, souligne aussi que les Ecriture sont une Parole vivante, et rappelle la méthode des quatre sens de l'Écriture ( des Pères de l'Eglise) est recommandée pour mieux saisir le sens littéral et le sens spirituel de l'Écriture.

Le Père de Vaux assume cette responsabilité, quand il s'agit de questions aux implications importantes pour l'Église; certaines hypothèses formulées à partir des données de Qumran sont précisément jugées susceptibles de le faire.

Le travail de tout bibliste doit être guidé et déterminé par la doctrine de l'Église...

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1955 La Terre Sainte, l'Etat d'Israël et la Palestine.

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot réussit à obtenir, pour Edmund Wilson qu'il va accompagner, un entretien avec le cardinal Tisserant. Officiellement, il s'agit d'entretenir le Préfet de la Congrégation pour les Eglises d’Orient, sur la situation des catholiques en Israël.

Le cardinal tient - sitôt les présentations, avec les questions du cardinal sur la carrière de Wilson – à présenter la situation de ce qu'il appelle la ''Terre Sainte'', et non Israël.

Cardinal Tisserant

Il rappelle la fondation du royaume de Jérusalem, le jour de Noël 1100, suite aux croisades. Saladin qui prend Jérusalem en 1187. En 1229, l’empereur du Saint Empire romain germanique, Frederick II, réussit à négocier le retour de Jérusalem, Nazareth et Bethléem dans le royaume latin. Finalement, en 1244, les Ayyoubides rétablissent définitivement la souveraineté musulmane sur Jérusalem.

Cependant depuis 1535, lorsque François 1er signe les premières capitulations ( possessions en Terre Sainte) avec le Sultan Soliman le Magnifique ; la France possède un patrimoine religieux et la religion catholique est protégée.

Après la première guerre mondiale, l'empire britannique évince l'empire ottoman qui a duré plus de six siècles. La Terre sainte n'est pas restituée à la Turquie, et la SDN attribue au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine.

Wilson se demande si ce n'est pas là que vont commencer les ennuis.

Vous connaissez sans-doute l'histoire tragique de Thomas Edward Lawrence (1888-1935), plus connu sous le nom de « Lawrence d'Arabie » qui disait vouloir donner l'indépendance aux arabes et créer un Empire allant de l’Egypte à la Mésopotamie. Dans cet objectif, il s’assure de la participation à la guerre de Hussein Ibn Ali, le chérif de la Mecque et roi du Hedjaz, et de son fils Fayçal afin de les inciter à la révolte contre les Ottomans...

Lors de la Conférence de la paix ( à Paris en 1919) la délégation arabe n’obtient rien, la France et la Grande-Bretagne deviennent puissances mandataires, la première en Syrie et au Liban, la seconde en Palestine, Transjordanie et Irak.

Fayçal, craint s'être fait manipuler par l'agent secret britannique Lawrence... - Je pense, dit Wilson, que les Britanniques n'ont pas honorer leurs promesses.

- Peut-être, répond Tisserant, d’autant que les puissances victorieuses ont décidé le démembrement de l’Empire ottoman ; et lors de la déclaration Balfour ( Nov 1917) ont promis aux Sionistes de soutenir la création d’un foyer national juif en Palestine.

Ensuite, le cardinal Tisserant rappelle la position du Saint-Siège, en 1921-22 (cf la lettre du cardinal Gasparri du 15 mai 1922) : les juifs en Palestine doivent avoir des droits civils égaux à ceux dont jouissent les autres nationalités et confessions, ils ne peuvent disposer d’une position privilégiée et dominante . En ce qui concerne les Lieux saints, le Vatican propose leur internationalisation.

- Voulez-vous dire que le Saint-Siège est alors opposé à un foyer national juif ?

- Exactement ; d'ailleurs n'oubliez pas que les chrétiens palestiniens étaient bien représentés dans le mouvement national arabe, et soutenus par le Saint-Siège...

En 1947, le Vatican est plus prudent, il reste hostile au projet d’Etat juif mais aussi à un vaste Etat unitaire arabe au Proche-Orient ; et surtout rappelle les droits de l’Église Catholique en Terre Sainte.

Pie XII, a dénoncé l'épuration ethnique consistant à chasser de nombreux arabes de leur terre et leur maison et repris le terme de ''Nakba'' ( terme arabe signifiant « catastrophe »).

Lancelot reconnaît que la légitimité politique et théologique du nouvel état d'Israël pose en France beaucoup de questions. Emmanuel Mounier, et Mauriac ont exprimé leur sympathie sioniste ; mais Louis Massignon parle d'imposture de l'Histoire. La France a attendu un an, et a reconnu Israël après avoir eu l'assurance de la protection des Lieux saints et des établissements français.

 

Le cardinal rappelle aussi que si l’État israélien a rejoint l’ONU en mai 1949. En revanche, la Palestine n'a toujours pas pu le faire... Jusqu'à quand ?

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Les découvertes des manuscrits de Qumran

Publié le par Régis Vétillard

La Cité du Vatican est un espace propice aux rencontres les plus diverses dans le cadre religieux. En 1955, Lancelot est harponné par un américain, et intimidé au premier abord par le physique et les propos du personnage. L'homme, de tradition presbytérienne mais qui se dit agnostique, recherche un allié pour rencontrer quelques dignitaires de l’Église catholique et les interroger sur les découvertes récentes de Manuscrits dans la région de la Mer Morte.

Edmund Wilson en 1952

 

Lancelot va expérimenter les longues discussions autour des nombreux verres d'alcool consommées par cette personnalité que Lancelot découvre, mais qui est célèbre et reconnue aux Etats-Unis. Son nom : Edmund Wilson (1895-1972), romancier, critique littéraire et curieux de tout, et donc, dit-il pour résumer: journaliste. Son modèle : un français, Sainte-Beuve. Sa culture émerveille Lancelot.

Il parle le français, l’italien, l’allemand, le russe cyrillique, il lit le latin et le grec. Il commence l'étude de l'hébreu.

Lancelot apprendra aussi, que Wilson est celui qui a découvert Hemingway, mais aussi Joyce, Eliot et Gertrude Stein; qu'il a présenté Valéry et Proust à l'Amérique; puis soutenu la réputation de Scott Fitzgerald dans les années 1940 et lancé la carrière de Vladimir Nabokov en Amérique.

 

Le 23 mars 1954, Wilson atterrit à Haïfa. Il est - à l'aéroport - impressionné par l'accueil enthousiaste réservé aux nouveaux immigrants.

Son objectif est de rencontrer des érudits et des archéologues, des religieux et des sceptiques au sujet des révélations induites par la lecture des ''manuscrits de la Mer Morte''. Entre conversations et interviews, il se rend à Jérusalem, il est rebuté par le triste état de l'Église du Saint-Sépulcre.

La rue Ben-Yehuda à Jérusalem en 1950

Il raconte sa traversée du quartier haredi de Méa Shearim, l'un des premiers quartier juif de Jérusalem construit autour de 1870. Repris par Israël, en 1948, aujourd'hui n'y vivent majoritairement que des juifs orthodoxes, des haredim. La vieille ville est aux mains des arabes ( sous contrôle jordanien), les juifs chassés et les synagogues détruites.

Il voyage en Transjordanie, à Tibériade et visite les Samaritains presque disparus.

Proche-Orient après 1949

Notes : 1949- Le Royaume de Jordanie, est le nouveau nom de la Transjordanie, Jérusalem est le centre religieux du royaume, et Amman la capitale. L'annexion ne provoque pas de réaction de la part des arabes déplacés et réfugiés, suite à la création de l'état d'Israël en 1948. (La «Nakba» ou la «catastrophe» fait référence à l'exode forcé de ces Palestiniens en 1948 - mais en ces années 50, on n'utilisait pas le mot de palestiniens, mais ceux d'arabes ''réfugiés'' ou de ''déplacés''). Pas de réaction non plus des pays arabes ou de l'ONU. Gaza est occupé par les Égyptiens. 

L'émoi qu'a suscité la publication de ses articles dans The New Yorker, l'amène à la rédaction d'un livre, pour lequel il ne lui manque plus que les réactions de la hiérarchie catholique, étrangement silencieuse jusqu'à présent...

 

C'est en 1947, que les premiers manuscrits de Qumran ( aujourd'hui en Cisjordanie) apparurent sur le marché. Ils s'étaient conservés pendant des siècles, en cuir, en papyrus, un seul sur feuille de cuivre, enveloppés de lin et scellés dans de hautes jarres, dans des grottes du désert de Judée à l’ouest de la mer Morte. Dans les années 50, Qumran est en territoire jordanien.

Du négociant au supérieur du couvent Saint-Marc à Jérusalem, les premiers fragments de parchemins vont être achetés par le professeur Éléazar Sukenik de l’Université hébraïque de Jérusalem ; après avoir été examinés par des chercheurs américains ( Brownlee et Trever) qui décelèrent l'importance de la découverte.

Les revues spécialisées répandent la nouvelle : '' dans la région de la mer Morte, des manuscrits bibliques d'avant, ou près de la naissance du Christ ont été découverts.'' !

 

A la fin du mandat britannique, la création de l’État d'Israël ( 14 mai 1948) entraînait la guerre en Palestine. Début 1949, elle prit fin officiellement. La Cisjordanie et Jérusalem-Est ont été annexées par le royaume de Jordanie.

Roland de Vaux - Qumrân en 1956

Roland de Vaux (1903-1971), dominicain, alors directeur de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem, est chargé des fouilles du site ainsi que des grottes voisines, et de la publication des rouleaux et des fragments découverts.

Entre 1947 et 1955, parmi la centaine de grottes visitées, onze révèlent leurs secrets : 800 manuscrits, qu'il sera nécessaire de reconstituer à la façon de mosaïques, un travail de patience infinie.

 

Janvier 1951, le professeur Libby de l'institut d'études nucléaires de Chicago, détermine, au moyen du test du carbone 14, l'âge des manuscrits qui dateraient de la période située de 167 avant à 233 après J.C..

La thèse la plus courante est de dire que ces manuscrits ont été rédigés par les esséniens, une secte juive qui vivait à Qumran.

Des spécialistes pensent qu'ils ont été écrits dans une localité voisine dont les ruines sont nommées Qumrân. D'autres avancent qu'ils pourraient venir de Jérusalem, puis cachés à Qumrân pour la protéger des Romains quand ils attaquèrent la ville, et finirent par la détruire en l'an 70 de l'ère chrétienne.

Les questions que nous nous posons actuellement (1955) est la signification de ces textes, et leur implication dans nos connaissances historiques dans une période fondamentale aussi bien pour le judaïsme, que pour le christianisme naissant.

En hébreu, nous n'avons pas de manuscrits de cette époque.

Les journaux, les magazines, titrent sur ces questions : « Jésus était-il un essénien ? », « le christianisme est-il réfuté ? ». Les sources nouvelles confirment-elles la Tradition de l'Eglise, en particulier ses dogmes ?

 

Le silence officiel concernant ces découvertes, renforce le sentiment d'un complot organisé par le Vatican, qui tiendrait à occulter certains textes...!

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