Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

1952 – Ascona – Eranos – 2

Publié le par Régis Vétillard

Ascona, Lago Maggiore, ca. 1950

Le séjour est intense ; et très vite le groupe de résidents à Ascona, s'organisent pour les transports jusqu'à la Casa ; et les repas et visites diverses.

Carl Gustav Jung est très sollicité ; grand, assez imposant malgré son âge ; il fait manifestement beaucoup d'efforts, pour être agréable envers chacun. Il est vénéré par tous ici, des femmes en particulier. Lancelot parvient tout de même à s'approcher du maître, et l'interroger sur le Graal.

Il répond : «  Les histoires du Graal ont été de la plus haute importance pour moi depuis que je les ai lues, à l’âge de 15 ans, pour la première fois. J’avais l’impression qu’un grand secret se cachait encore derrière ces histoires. »

C. G. Jung

Mais il s'agit d'un terrain réservé à sa femme; l'appelant aussitôt, il pousse Lancelot vers elle.

Emma Jung a 70 ans; mariée en 1903, elle a eu cinq enfants. Analyste, elle donne encore des conférences, et des cours à Zurich. Elle s'est toujours intéressé à l'histoire du Graal, et elle est souvent sollicitée pour donner des cours à ce sujet. Elle dit que les chemins tortueux de la quête du Graal, ont été une des voies d'accès à sa propre réalité inconsciente. Cette étude lui a ouvert les portes de la compréhension des grandes images archétypiques.

Lancelot lui retrace le contexte de sa propre recherche, et en particulier comment elle se rattache à sa lignée. Emma Jung se dit très intéressée par cette recherche au cours des siècles ; et plus généralement par cet attachement à toute une culture qui peut nourrir ainsi une quête.

Emma Jung

Après avoir écouté longuement Lancelot, elle s'émerveille de sa connaissance du mythe arthurien. Elle note également, son questionnement sur Dieu.

Sur ce point, elle répond que les réponses philosophiques de Dieu, sont purement intellectuelles. Ce Dieu éventuel compris philosophiquement vit-il quelque part, c'est à dire en soi ? - Je dois, avant tout, trouver l'image de Dieu valable pour moi ( celle du Dieu des catholiques, par exemple). Dieu est toujours spécifique à une tradition. Le divin est une force vivante qui me saisit. Jung dit qu'il peut être « barbare, infantile et profondément dépourvu de scientificité. »

Et, sans être contradictoire - pour avancer – Emma Jung insiste sur le concept d'individuation, et estime que nous sommes invités, chacun, à nous différencier de nos racines collectives. Ce chemin, utilise les rêves ou les mythes. L'idéal est de trouver - dans sa tradition - son ''mythe personnel''.

Selon Jung, l’individuation, c’est le fait de devenir qui nous sommes vraiment ; nous sommes unique.

 

Lancelot, pendant cette semaine, a la chance de côtoyer Henry Corbin dont il se met à l'écoute, avec chaque jour toujours plus de curiosité. Ils sont partis de la pensée allemande, avec K. Barth, puis Heidegger. Ensuite Corbin explique sa découverte de l'Iran, puis de la pensée de Jung.

Lancelot comprend que Corbin souhaite utiliser la méthode de l'interprétation - seul chemin vers une Connaissance vraie, telle que Heidegger l’utilise pour le Dasein , l'être dans le monde, inscrit dans ce Temps...

En simplifiant : la Phénoménologie prend en compte tout acte de la conscience, tous : ainsi l'imagination, ou l'amour , bref : tout sentiment participe à la connaissance de l'objet. La connaissance du réel n'est pas seulement affaire de logique, mais l'affaire de l'acte de conscience.

Jung et Corbin

Donc, Lancelot comprend que Corbin envisage de parler de l'être hors de ce Temps ; il s'appuie sur ce que permet la spiritualité orientale, et particulièrement la sagesse iranienne ( qui serait sans-doute, son ''mythe personnel ''). Corbin décrit ainsi, un monde qu'il appelle '' l'imaginal '', à ne surtout pas confondre avec ce que nous entendons par ''imaginaire'' ( c.à d. , pas vraiment réel...). L'imaginaire, en Occident, n'existe pas vraiment et échappe donc à la rigueur et à la méthode. En Iran, la spiritualité ne discrédite pas l'imagination, et la considère comme une faculté de connaissance. Peut-être un peu à la manière de la psychanalyse jungienne avec les rêves.

Ce monde de l'imaginal, Corbin le situerait entre le monde des idées et le monde sensible ; et dans le cas, par exemple des ''idées sur Dieu'', l'imaginal fait le lien entre les deux mondes. De la même façon sur l'idée de la mort : Corbin renvoie au ''Sein zum Tode '' ( ''Etre vers la mort '') de Heidegger ; non pas que cela renvoie à l'après-mort ; mais plutôt à la prise de conscience de sa mort. Précisément Corbin, va plus loin, puisqu'il pense que '' l'âme connaît ce qu'il adviendra d'elle.''

 

Pour répondre à son attente, Lancelot remarque la gentillesse de Corbin, qui n'insiste pas sur la mystique shî'ite qu'il ne connaît pas du tout ; et revient au christianisme, avec cette particularité d'un Christ, comme image de Dieu, et comme image de l'Homme jusque dans son désespoir, et sa mort.

Corbin s'interroge sur le Christ chrétien qui est rapproché de l’Être, mais qui n'est qu'idée de l’Être, spéculation... Quel est ce Christ qui s'adresse à moi et dont je fais l'expérience ?

Finalement, Corbin fait le procès d'une théologie affirmative et rationnelle, pour préférer une théologie négative ( chez M° Eckhart par exemple).

Corbin renvoie à cette parole de Maître Eckhart dans le Sermon N°12 : « L'oeil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans lequel Dieu me voit. Mon oeil et l'oeil de Dieu sont un seul et même œil, une seule et même vision, une seule et même connaissance, un seul et même amour. »

Il ne s'agit pas bien-sûr de se prendre pou Dieu, mais de se dépouiller de soi et de laisser la place à Dieu.

 

Quand Corbin parle de chevalerie ( spirituelle ) ; il pense aux sages, aux prophètes.

Selon Corbin, avant d'atteindre cette chevalerie, soyons un pèlerin. Il faut d'abord avoir parcouru un certain itinéraire ; et atteindre le monde imaginal. Ensuite, pour vivre ''chevalier'', il nous faudra revenir vers le monde sensible.

Voir les commentaires

1952 – Ascona – Eranos – 1

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot passe la semaine du 20 août 1952, en Suisse, à Ascona et plus exactement à l'hôtel Casa Tamaro situé sur les rives du lac Majeur. L'hôtel est une ancienne résidence patricienne du XVIIIe siècle. Il y retrouve plusieurs voyageurs, intéressés par l'Eranos qui se tient tout près d'ici, chaque année.

Eranos, signifie en grec ancien, ''banquet''. Il s'agit en effet d'un banquet intellectuel et spirituel, qui s'organise autour des contributions faites par les convives. Quelques uns comme Lancelot, sont triés et admis comme auditeurs ; mais ne bénéficient pas de l'hébergement, ni du privilège de siéger autour de la ''Table Ronde ''. ( Même quand on s'appelle Lancelot... )

Après la guerre, les travaux s'articulèrent autour d'un programme d’anthropologie culturelle axé sur la base de « l’homme intérieur » (« innere Mensch »).

 

Cette aventure commença réellement en 1900, sur la colline de Monescia, nommée ''Monte Verità'', montagne de la vérité, avec l'arrivée à Ascona de nombreux artistes, intellectuels, anarchistes, hommes et femmes. On développe une vie sociale selon la nature, un végétarisme et un culte de la Terre-Mère qui promet une égalité entre hommes et femmes.

 

L'écrivain Hermann Hesse est venu, ici chercher l'inspiration. Le psychanalyste Otto Gross, entre 1906 et 1913, passe plusieurs séjours à Ascona où il sensibilise les résidents de la Monte Vérita à la psychanalyse mais également à ses théories qui promeuvent une sexualité totalement libre, et un modèle matriarcal opposé au patriarcat responsable à ses yeux du désenchantement du monde.

 

la stèle d'Eranos

Dans la propriété d'Olga-Fröbe Kapteyn, une stèle a été dressée portant l'inscription GENIO LOCI IGNOTO, au génie inconnu de ce lieu, entourant un Graal.

Le thème des conférences de 1952, est : « L'homme et l'énergie », est c'est la conférence de Gershom Scholem (1897-1982) qui introduit le cycle. Lancelot en garde un souvenir très fort. Son titre : « L'histoire du développement de la Shekhina en tant que concept kabbalistique ».

La Kabbale ou mysticisme juif, doit encore s'imposer face à une pensée des siècles des Lumières, qui la condamne au rang de rêverie ou superstition. Pourtant très peu sont ceux qui ont lu les ouvrages originaux qui s'y réfèrent. Scholem définit le mysticisme comme ''un mode de pensée qui cherche à combler au moyen d'une expérience interne l'abîme que les formes classiques de la religion ont creusé entre le monde et Dieu''.

Il est difficile pour Lancelot de retranscrire une pensée dont il connaît si peu les concepts. Sans-doute que les mots qui suivent sont ceux d'un chrétien qui entend raisonner des notions et les rapproche de son expérience.

Ainsi ce qu'il entend des dix Sephiroth, qui forment un ''arbre de vie'' : - dans le monde sensible, chaque Sephira est l'émanation d'une énergie divine, présente et agissante. Lancelot y reconnaît un Dieu vivant, agissant, et pourvu d'attributs.

Eranos 1952  - Gershom Scholem, Henry Corbin, Stella Corbin, Mircea Eliade, N, Gilles Quispel

La difficulté est que ''Dieu'' est inconnaissable. Au mieux le langage ( autre limitation) n'exprime que la manifestation de Dieu ( déclinées en dix manifestations).

Toute l'activité des Sephiroth constituent la Shekhina, la présence de Dieu dans notre monde matériel. La langue hébraïque - pour le kabbaliste - dans sa forme la plus pure et par sa nature spirituelle, représente une valeur mystique.

La Shekhina présence de Dieu parmi son peuple, s'expérimente pour le sioniste Scholem dans le Temple de Jérusalem ( ce qu'il en reste : le Mur). Pour le monde, Israël pourrait être l'image de la Shekhina...

Une discussion a lieu entre Scholem et Gilles Quispel ( néerlandais, historien du gnosticisme et théologien) sur le lien entre la Shekhina et le ''Saint-Esprit'' ( comme manifestation du divin...) et figures féminines ; ce qui est le cas pour les premiers chrétiens – en particuliers les chrétiens-juifs. Il cite Origène, Jérôme..

Dans le public d'une trentaine de personnes, se trouvent le dirigeant sioniste Nahum Goldmann et sa femme, avec qui Scholem va parler ensuite des réparations allemandes et des demandes israéliennes.

Le séjour commence fort ; et Lancelot bénéficie de l'aimable aide de Henry Corbin. Parmi les amis de Corbin, Lancelot rencontre : Erich von Kahler, Knoll, Löwith, Károly Kerényi et leurs épouses.

la Table Ronde d'Eranos.

 

Voir les commentaires

1952 – Schuman -Rougemont -Corbin

Publié le par Régis Vétillard

On s'accorde à dire que c'est à partir du Congrès de La Haye de mai 1948, que le chantier de l'Europe a commencé. Huit cent "européistes" aux Pays-Bas, dont Camus, Malraux, des politiques, des hommes d'affaires se sont retrouvés aux Pays-Bas. Lors de la séance finale, les congressistes adoptent à l'unanimité le Message aux Européens préparé par le militant fédéraliste suisse Denis de Rougemont.

Depuis que Lancelot ( avec Elaine), avait rencontré Denis de Rougemont, lors d'une soirée au Cercle des étudiants vers 1930, ils n'avaient jamais rompu le contact.

Beaucoup avec Mounier, étaient passé au travers de ces années trente, en espérant, une troisième voie, voire même selon les mots de Rougemont, une'' révolution spirituelle''. Puis la guerre, avait renvoyé chacun à une réalité, bien plus triviale et tragique... Lancelot revit Rougemont, lors des "Rencontres Internationales de Genève", en 1946.

A présent, Schuman, lui-même, souhaitait rencontrer, sur un plan personnel, Rougemont. Il faut dire que Robert Schuman, s’intéressait de près à la question spirituelle.

C'est lors d'une discussion en aparté, que Schuman avait confié à Lancelot, qu'il était assez satisfait de sa disgrâce auprès de son ministère d'origine; et jusqu'à se porter garant auprès de la CIA, et lui permettre de le récupérer aux affaires étrangères sous le couvert du Saint-Siège. Le ministre évoqua Denis de Rougemont, chez qui il appréciait son ''personnalisme'', sa réflexion sur les totalitarismes, et sa spiritualité ouverte ( protestante).

Et finalement, c'est une grande chance, que l'occasion se soit présentée en juin 1952, lors d'une après-midi et du dîner : Lancelot put réunir Schuman, Nanik et Denis de Rougemont, et ( cerise sur la gâteau) Stella et Henry Corbin.

Les discussions tournent alors, bien-sûr autour de l'Europe, mais surtout concernent la spiritualité.

 

L'objectif d'une civilisation, dit Rougemont, c'est de donner un sens à la vie. « Elle pose un ordre, distingue le bien du mal, définit les raisons de vivre et de mourir, et dresse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et conformer. ».

- L'hindou a le karma, la caste... Dans un pays totalitaire, il y a le parti. L'européen, lui, semble un peu perdu. Il cherche, souvent il entre en conflit avec son milieu, les traditions, les préjugés...

- Cela ne daterait-il pas de cette religion « qui fit dépendre le salut de l’homme non point de l’observance des rites collectifs, mais de la conversion personnelle. » ? répond Rougemont.

« On peut donc définir l’Europe comme cette partie de la planète où l’homme, sans relâche, se remet en question, et veut changer le monde de telle manière que sa vie personnelle y prenne un sens. »

«Le fondement de cette révolution, son ressort et sa cause finale, c’est la notion, chrétienne à l’origine, de la valeur absolue de la personne humaine — de chaque personne humaine. »

Stella et Henry Corbin

 

Henry Corbin (1903-1978 ) répond qu'il y eut dans toutes les religions, des hérétiques. Lui-même s'intéresse aux hérétiques de l'Islam que sont les soufis, et les shi'ites... Loin de tout dogmatisme, il s'efforce de lier philosophie et théologie. C'est son professeur E. Gilson, qui l'a incité à apprendre l'arabe, il y a ajouté le persan et le turc... ! Deux rencontres l'ont de plus fortement marqués, Louis Massignon, et Denis de Rougemont... Corbin a traduit Heidegger, qu'il a rencontré avant guerre. Il a vécu à Istanbul, et actuellement son ''pays d'élection '' est l'Iran.

L'occident a perdu son ''sens'', au profit peut-être d'un esprit positif et d'une sécularisation de la société. D'ailleurs, si Corbin, parle de réconcilier l'Orient et l'Occident, c'est aussi de réconcilier la spiritualité et la rationalité, la théologie et la spiritualité... Et, c'est ce qu'il tente de présenter au '' cercle Eranos '' la première fois en 1949, devant des chercheurs, des intellectuels ; au cours de conférences où « chaque auteur traite de ce qui lui paraît essentiel pour l'homme à la quête de la connaissance de soi-même. ».

Les propos de Corbin interpellent fortement Lancelot, d'autant qu'il compare sa quête philosophique à la Quête du Graal, à laquelle seuls accéderont les chevaliers qui ont su s'en rendre dignes. Il fait référence à la querelle des universaux, au Moyen-âge, pour évoquer un monde de l' « imago », intermédiaire entre notre monde sensible, et le monde du pur Esprit.

Nos trois religions sont confrontés à un Texte. Nos théologies sont d'abord des herméneutiques ( un travail sur l'interprétation) ; et c'est sur l'esprit des textes qu'elles peuvent se rencontrer.

Article de Rougemont - l'Europe de la Culture

 

Rougemont plaide pour l'Europe de la culture ; d'autres pour l'Europe des marchandises. Si vous avez un bien A, et l'échangez contre un bien B ; à l'issue de l'échange vous possédez le bien B, et non plus le A ; c'est juste. Si vous avez un savoir A, et l'échanger contre un savoir B ; après l'échange, vous êtes riches des savoirs A et B... Et vous vous êtes fait un nouvel ami.

 

Robert Schuman, exprime lui, la responsabilité qu'il sent lui incomber, du bien commun. Devant les difficultés qui se présentent, s'il ne se décourage pas, c'est qu'il s'en remet – dit-il – à la Providence. Comment aurait-il pu affronter des élections, et les gagner, autrement ? La réconciliation entre L'Allemagne et la France est un autre défi, et préfigurera le projet européen.

Il comprend l'attachement de Corbin aux Textes, comme lui il dit apprendre du Nouveau Testament, « pour penser au plus près du Christ, et non pas selon les slogans du monde. ». Reconnaître dans un signe, comme l'Eucharistie, une Présence renouvelée lui donne l'énergie d'affronter les difficultés de la journée. « Je ne suis, dit-il, qu'un instrument imparfait, de la Providence. »

Schuman, qui hésitait jeune entre la prêtrise et l'engagement politique, a choisi le métier d'avocat, et la politique pour appliquer la doctrine sociale de l'Eglise et promouvoir la démocratie : « La démocratie doit son existence au christianisme. Elle est née le jour où l’homme a été appelé à réaliser dans sa tâche quotidienne la dignité de la personne humaine dans sa liberté individuelle, dans le respect des droits de chacun et dans la pratique de l’amour fraternel à l’égard de tous. Jamais, avant le Christ, de semblables concepts n’avaient été formulés».

Pour répondre à Rougemont, Schuman, pense que l'Europe, ne peut en rester à n'être qu'une entreprise économique et technique ; elle a besoin d'une âme, et il la reconnaît dans l'Europe chrétienne. L'Histoire a un sens, dit-il, elle tend vers plus d'égalité, et vers l'unité.

 

Lancelot interroge Henry Corbin sur ce ''cercle Eranos''. Et, ce qu'il va apprendre l'intéresse au plus au point.

Le projet de Olga Fröbe-Kapteyn (1881-1962), en 1933, était de construire un lieu avec une salle de conférence ("Casa Eranos") à côté de sa maison, sur les rives du Lac Majeur, à Ascona en Suisse . Elle se proposait d'accueillir des penseurs de tous ordres pour faire se rencontrer et dialoguer les philosophies orientales et occidentales.

Henry Corbin et Jung - Eranos

La présence de Carl Gustav Jung (1875-1961) a été décisive, et autour de lui des chercheurs dévoués à trouver la « racine commune de toutes les religions ».

Plusieurs sont devenus des habitués, comme Denis de Rougemont, Massignon, Rudolf Otto, Gershom Scholem, Gilbert Durant, Joseph Campbell, Marie Louise Von Franz, Mircea Eliade, et bien-sûr Carl Gustav Jung et son épouse Emma, et bien d'autres...

Trois types d'études y sont pratiquées : Mythologie comparée; Anthropologie culturelle; et Herméneutique symbolique.

Henry Corbin a donné sa première conférence, en 1949. Eranos est devenu, pour lui, important, Eranos donne un sens, une manière d'être...

Cette année 1952, Eranos se tient du 20 au 28 août. Le thème est l'Homme et l’Énergie ( Mensch und Energie )

Lancelot est enthousiasmé, et évoque la possibilité de s'y rendre ; Rougemont lui explique que les cessions ne sont pas vraiment publiques... Olga, est responsable de la programmation et de l’hébergement. Elle sélectionne et convoque les invités par lettre officielle ; mais peut-être pourrait-il trouver à se loger à Ascona, et assister à quelques conférences ; Rougemont promet de faire ce qu'il faut ; même si cette année, il n'y sera pas ; mais, Lancelot devrait y retrouver Corbin.

En effet, Henry Corbin, prépare une conférence sur '' le Temps cyclique dans le mysticisme et dans l’ismaélisme.''. A noter, que Jung devrait parler à propos de la synchronicité ( Über die Synchronicität).

Voir les commentaires

1951 - Le Journal d'un curé de campagne – Film de R. Bresson – Louis Lavelle.

Publié le par Régis Vétillard

La foi est encore au cœur d'une œuvre - qui de plus nous renvoie à ces années d'avant guerre - transposition au cinéma d'un roman de Bernanos, le '' Journal d'un curé de campagne '', publié en 1936, et sorti en salle en février 1951. Un film de Robert Bresson.

Un très grand film, fidèle – je crois – à l'esprit de Bernanos ( mort en 48). un film sobre porté par la voix intérieure du jeune prêtre, et une suite de séquences en noir et blanc avec quelques dialogues et ce visage du prêtre, portrait des tourments de l'âme...

Bresson reste fidèle au livre, avec des dialogues courts, sans effet mélodramatique. Le film reprend sans effet, les paysages froids de l'Artois, la plaine picarde, des arbres immenses, le ciel chargé de nuages...

Au contraire du livre, Lancelot s'est senti porté beaucoup plus par les images, que par les textes ; au point même, où nous pourrions nous passer de certaines paroles redondantes.

Dans la narration, Bresson a choisi de suivre l'écriture du journal sur un cahier d'écolier, et l'oblige à une fin qui ne pouvait inclure la mort de celui qui écrit. C'est Louis Dufrety, qui sur fond d'une croix noire, raconte dans une lettre la mort de son jeune ami.

 

La foi nous est-elle donnée ?

Un film spirituel, peut-être éloigné des préoccupations de notre époque ?

 

Libération_22 fevrier 1951 le Journal d'un curé de campagne

Dans Le Figaro, Bresson parlait de ses projets, en particulier un film sur ''Lancelot du Lac'', centré sur son amour pour la reine Guenièvre et sa fidélité à son roi. Lancelot est persuadé que cette liaison est la cause de son échec dans sa Quête du Graal.

A propos du '' Journal …'' ; Bresson dit : « Les larmes du saint curé d’Ambricourt sont dues autant à un excès de pitié envers l’espèce humaine qu’à la nostalgie d’un monde révélé qui, continuellement, lui échappe. ». A propos du cinéma : «  l’action dans un film doit être et sera de plus en plus intérieure. ». Il regrette que la plus souvent le mouvement au cinéma, ne soit que de l'agitation... Il dit aussi : « Le silence est la grande découverte du cinéma sonore.»

Bresson confie qu'il a écrit un scénario sur Ignace de Loyola, en relation avec Julien Green, et tous deux souhaitaient mettre l'accent sur la complexité d'une telle figure « qui ne voyait pas seulement le mal dans les ennemis de l’Église, mais aussi tapi dans les plis de l’Église elle-même. »

 

Le philosophe Louis Lavelle est mort ce 1er septembre 1951 ( il avait 68ans). Il avait beaucoup nourri la spiritualité d'Elaine.

Il pensait que le problème majeur de l’humain, était le Mal, « le scandale du monde ». Nous cherchons « à l'expliquer et à l'abolir ». Au Mal répond le Bien : « Le bien ne donne un sens au monde que par le scandale même du mal qui me fait désirer le bien, m’oblige à me le représenter et impose à ma volonté le devoir d’agir pour le réaliser ». « 

De même : « la vie et la mort forment un couple : elles n'ont de sens qu'en s'opposant ; et le contraire de la vie n'est pas le néant, mais la mort. C'est l'idée de la mort, c'est-à-dire d'une vie qui se termine, qui donne au sentiment de la vie son extraordinaire acuité, son infinie puissance d'émotion. Dès que l'idée de la mort s'éloigne, la vie n'est plus pour nous qu'une habitude ou un divertissement : seule la présence de la mort nous oblige à la regarder face à face. Celui qui se détourne de la mort afin de mieux jouir de la vie se détourne aussi de la vie et, pour mieux oublier la mort, il oublie la mort et la vie. »

« (…) La méditation sur la mort, en nous obligeant à percevoir nos limites, nous oblige à les dépasser. Elle nous découvre l'universalité de l'Être et sa transcendance par rapport à notre être individuel. Ainsi, elle nous ouvre l'accès non pas d'une vie future, qui garderait un caractère toujours provisoire, mais d'une vie surnaturelle, qui pénètre et qui baigne notre vie manifestée : il ne s'agit pour nous ni de l'ajourner, ni même de la préparer, mais, dès aujourd'hui d'y entrer. »

Louis Lavelle, La conscience de soi, 1933,

 

Lavelle était bien plus un ''sage'' qu'un ''philosophe'' puisqu'il s'intéressait au sens de l'existence. Cette sagesse gravite autour de la notion d'esprit, qu'il puise dans des sources autant spirituelles que philosophiques.

Au cœur de nos questions sur l'univers, sur la vie, est celle de l'être : « Tout savoir vise à nous donner une représentation de l’être : mais dans la philosophie, c’est l’être même que nous cherchons à atteindre » ( De l’intimité spirituelle,)

Pour Lavelle, la recherche, sur « le chemin de l'être » n’ignore pas la nécessité de l’intellect, de l’analyse réflexive. Et, pour atteindre l'être dans sa présence spirituelle, la pensée rencontre la spiritualité par l'intermédiaire d'une religion.

Le temps ne se dissocie pas de l'éternité, dit-il. Il fait référence à diverses expériences, dont celles de l'art, mais aussi religieuses.

La mort n'est pas un drame. L’essentiel de l’existence appartient au domaine spirituel.

La figure du philosophe, s'apparenterait-elle à celle du moine ?

- « Je ne m’étonne pas, mais j’éprouve du contentement à vous entendre dire que ma pensée a de la parenté avec l’idéal de la vie monastique (...). Un philosophe est comme un moine dans le monde » 

La recherche de la sagesse passe par le recueillement et la solitude.

Louis Lavelle s'est nourri des ''Écritures'' et des Pères ( Augustin en particulier), des médiévaux, de Pascal. Pour les philosophes, il cite souvent : Platon, Leibniz, Descartes, Spinoza, Malebranche, Kant, Bergson ...

Pour Lavelle, l'Esprit ne se réduit pas au ''Dieu des philosophes'', s'il est la cause et la raison de tout, il est le Dieu intime, « Aussi ne faut-il pas s’étonner que nous considérions Dieu comme une personne. » ( Traité des valeurs, II )

Voir les commentaires

1951-52 – Les Deux Etendards – Rebatet

Publié le par Régis Vétillard

Le docteur Destouches a été amnistié par le tribunal militaire ce 20 avril 1951 ! Destouches, c'est l’écrivain Céline - on dit que le juge n'avait pas fait la relation... - c'est celui aussi, qui s'en prenait à Pétain pour être trop tiède en matière d'antisémitisme ; qui a soutenu Doriot, et écrit dans les journaux les plus collaborationnistes.

Pétain, lui est mort en prison, lundi matin 23 juillet 1951. Il avait été condamné à mort, six ans plus tôt, pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison. Mais ce vieux et glorieux maréchal - il avait 84 ans en 1940 - n'était peut-être que le faire-valoir de Darlan, Laval, et Bousquet...

En 1951, nous souhaitons nous détacher et renvoyer cette absurde période, dans les dossiers de l'Histoire, pour - quand même - qu'elle serve de leçon, à nos héritiers.

Lucien Rebatet

Pourtant, cette même année, Lucien Rebatet, celui-là même qui avait publié en 42, Les décombres, un violent pamphlet antisémite, et fasciste, qui fut un ''best-seller'' pendant l'Occupation ; donc, ce Rebatet publie ''Les Deux Étendards'' en 2 volumes, dans la collection Blanche de Gallimard. Il est vrai que l'écrivain fut gracié le 12 avril 1947 de sa condamnation à mort, grâce à une pétition d'écrivains comme Camus, Mauriac, Paulhan, Martin du Gard, Bernanos, Aymé ou encore Anouilh.

Rebatet avait achevé en prison ce roman commencé à Sigmaringen. Et la rumeur veut que ce soit Camus qui l'ait recommandé à Gallimard.

Lancelot hésitait à se lancer dans la lecture de ce livre de 1300 pages, écrit par un antisémite, anticlérical, collaborateur ; mais Paulhan estime que son boycott n'est pas justifié : il ne traite ni de politique, ni de la guerre ; mais d’amour, de religion et d’art ; il ajoute « un catholique en tout cas ne peut ignorer ce roman de premier ordre. ». La curiosité est donc plus forte...

De plus - le roman de Lucien Rebatet est directement inspiré par cette expérience amoureuse de jeunesse : autour des années vingt, Rebatet est ami avec François Varillon dont l'appel au sacerdoce se heurte à une passion amoureuse pour une jeune voisine ; puis, Rebatet va s'éprendre d'elle.

A l'inverse de son ami, Varillon va choisir la foi, et la résistance. Il va participer à l’aventure de ''Témoignage Chrétien''. Après la guerre, il anime des cycles de conférences mensuelles ; Lancelot en suivra plusieurs ; séduit par son enseignement qui repose sur la raison ; et le discernement.

Les ''Deux étendards'' sont une référence à un passage des ''Exercices de Loyola'' ; ils exaltent un combat et les deux bannières « autour desquelles les armées s’assemblaient en vue de la grande bataille : celle de l’Enfer et celle de l’Église,.. », en reprenant les mots du jésuite Naphta, dans ''La Montagne Magique '' de T. Mann.

 

Guillaume et Michel sont deux amis, à l'esprit potache et grossier, anti-bourgeois, anti-chrétiens et misanthropes... Michel, Nietzschéen,( alter ego de Rebatet), se destine à devenir un grand écrivain. Partagé entre Paris et Lyon, pauvre, il s'enivre de la vie parisienne des années vingt.

Régis camarade d'enfance qu'il connaît de Lyon, est à l'opposé, un peu mièvre, et surtout catholique : tout ce que méprise Michel. Régis, pourtant, a l'ambition de restaurer une religion qu'il reconnaît comme déclinante. Régis est un pianiste accompli ; la musique tient une grande place dans ce livre.

Régis est très amoureux d'Anne-Marie ; amour réciproque, mais sublimé, pour l’éterniser plutôt que de le consommer bourgeoisement sur terre.

La raison en est que Régis se destine au sacerdoce dans la Compagnie de Jésus, et Anne-Marie par fidélité à cet amour, après son baccalauréat, envisage d'entrer au couvent. Régis se confie à celui qu'il pense être son ami, Michel est bouleversé par l'incroyable récit de cet amour et souhaite découvrir cette mystérieuse Anne-Marie.

Si Lancelot s'est laissé prendre par cette lecture, parfois rude du fait de jugements à l'emporte pièce , il ressent de la part de l'auteur une certaine ''mauvaise foi'' dans le développement des sentiments que Michel dit éprouver pour Anne-Marie. Quand on comprend dès le début du roman, l'état d'esprit de Michel et Guillaume envers les femmes - qui ne cessent de les obséder – on se laisse difficilement emporté par sa soudaine passion pour l'amoureuse de son ami. A cela, il faut ajouter son désir d'une conversion religieuse dont dépendrait la conquête de la pure jeune fille !. Lancelot estime que la situation est trop tordue pour être honnête ; elle semble construite pour démolir ce qui est pour Régis et Anne-Marie est essentiel, leur spiritualité ( foi, amour, don de soi...)

Michel, passionnément amoureux, envisage de se convertir, seul voie – pense t-il - , pour rejoindre Anne-Marie.

Il n’ose pourtant avouer la vérité et son amour à Anne-Marie que le jour où Anne-Marie et Régis se sépareront.

Finalement, Anne-Marie, n'accepte pas cette séparation qui lui semble absurde; comment pourrait-elle venir de Dieu ? Régis semble s’enfermer orgueilleusement dans un ordre catholique. Cette soumission lui semble être une trahison.

Influencée par Michel, elle perd sa foi.

Anne-Marie se laisse embarquer, dans un voyage en Italie et en Turquie, et dans les plaisirs charnels. Michel tente de détruire en elle son attachement à sa religion, pour la jouissance de la vie.

De belles pages érotiques, laisseraient penser que la jeune fille partage pleinement cette passion. Un mariage entre les deux amants se prépare, les familles y consentent.

 

Mais Anne-Marie refuse et rompt avec Michel.

Anne-Marie, n'est-elle que la victime de ses deux amants ? Elle dit elle-même : « Deux garçons se succèdent dans ma vie : le premier me chante le ciel, l'amour en Dieu, pour me lâcher à la porte d'une religion encore plus imbécile que la justice. Le second me prêche pendant un an la révolte, la massacre, et quand il a tout démoli, tout retourné, mon magnifique petit furibond me propose les douceurs bourgeoises, une descente de lit pour la vie. »

L'esprit est-il plus fort que la chair ? Si Anne-Marie ne retrouve pas la foi, elle en garde cependant la nostalgie, et la marque profonde. Elle dit elle-même que le christianisme est une « drogue », mais qu’elle en a pris « une trop forte dose » et « qu’elle ne s’en remettra jamais ».

 

Rebatet, par l'intermédiaire de Michel, trouve le sens d'une vie, dans l'art, la création d'une œuvre ; cela passe par la connaissance et le développement de soi. Vision élitiste, sans aucun doute, ouverte à une révolution nietzschéenne des valeurs, en opposition nette - selon lui - à un christianisme pervers et empli d'orgueil, à l'image du comportement du ''jésuite''.

Ce roman rempli de cette fièvre nietzschéenne, correspond bien, sans-doute, à l'état d'esprit d'un condamné dans sa cellule, qui écrit jour et nuit. Même si le langage y est cru, c'est plutôt bien écrit. Les sentiments sont disséqués, comme le christianisme, d'ailleurs ; le culte, les dogmes raillés. Il parle bien de Gide, de Proust.

Un roman long, parfois ennuyeux, sauf les dernières cent pages.. On en ressort bousculé, satisfait d'en finir...

S'il n'y avait pas eu la guerre. On aurait crié vive l'artiste ! C'est violent, démesuré, mais c'est artistique... Seulement, cet artiste, s'il prend les rennes de votre vie, devient un fasciste. Le fasciste et l'artiste, sont le même homme.

Lancelot, retrouve à la fin de l'ouvrage, sa première impression concernant la vraie-fausse amitié entre Michel et Régis. Au final, alors que Régis tente son « numéro évangélique. », et propose de se quitter en faisant la paix; Michel fait éclater sa haine, son mépris.

Et comme, il est écrit, en quatrième de couverture : « Régis et son Dieu triomphent, mais sur les ruines de tout bonheur humain ». Rebatet affirme que la doctrine catholique est encore plus nihiliste, que sa philosophie, dans le sens où elle nierait la nature humaine.

Voir les commentaires

Soir du lundi 19 février 1951 – Mort d'André Gide

Publié le par Régis Vétillard

Julien Green a raconté à Lancelot, comment il vit la dépouille de Gide sur son petit lit de fer. Il avait l'air de réfléchir. Il y avait Roger Martin du Gard. Dans la rue, Green a pleuré. A Cuverville, où Gide fut enterré près de son épouse ; Martin du Gard fit un esclandre alors qu'un pasteur venu du Havre ( voir La Porte étroite, avec le pasteur Vautier, du Havre..!) commençait religieusement la cérémonie.

Le 13 décembre 1950, avait eu lieu à la Comédie-Française (salle Richelieu), la pièce adaptée par Gide, des Caves du Vatican - mise en scène par Jean Meyer – en même temps que la célébration nationale d'une grande figure de la littérature que représente André Gide ; avec la présence du président Vincent Auriol ; et beaucoup de fleurs, d’applaudissements et de rappels...

Certains pouvaient déjà parler d'enterrement.

 

André Gide

Gide avait régné sur la littérature française ; et la publication de son Journal nous livrait ses états-d'âme au cours d'un demi-siècle.

Un trait de caractère que retient Lancelot est sa totale sincérité. Sincérité littéraire, mais aussi humaine ; s'il donnait des conseils de force , de courage ; il refusait de donner des directions à suivre.

- « Eh bien, je voudrais dire aux jeunes gens que l’absence de foi désoriente : pour que ce monde rime à quelque chose, il ne tient qu’à vous. Il ne tient qu’à l’homme, et c’est de l’homme qu’il faut partir. Le monde, ce monde absurde, cessera d’être absurde, il ne tient qu’à vous. Le monde sera ce que vous le ferez » ( Souvenirs littéraires et problèmes actuels, Les Lettres Françaises, 1946.)

- « ...ne vous laissez point dessaisir de ce qui fait votre valeur d’homme, votre personnelle valeur : l’esprit de doute et de libre examen »  (« A Naples » )

Paul Claudel et André Gide

Lancelot repense à cette correspondance, juste publiée entre Claudel et Gide. Devant la violence du premier, le charme du second lui paraît bien plus séduisant. Gide était sensible à la force de la poésie de Claudel. Il n'en appréciait pas forcément la signification, mais elle éveillait en lui, le ''mystère''.

Claudel, le converti, sommait Gide d'en faire autant. Des amis ( Francis Jammes) faisaient le pas, Gide se sentait assiégé. Il écrit '' le Retour de l'enfant prodigue'', et détourne la parabole. 1910, avec ''La Porte étroite'' ( 1909 - premier succès public) un parfum de religiosité a fait croire d'un retour vers la religion. Gide résiste.

1910, Claudel écrit : « Vous pensez bien que l'Eglise représentée par ses théologiens sérieux ne préconise en aucun cas l'assassinat ou la violence. Mais étant ce qu'elle est, c'est à dire se croyant seule et exclusivement en possession de la vérité absolue, et d'autre part pensant que les écarts de doctrine entraînent le terrible risque de perte éternelle de l'âme, elle ne peut admettre ce qu'on appelle la liberté de penser ou plutôt de publier sa pensée (...). Elle cherche non pas à exterminer les hérétiques, (...) mais à les empêcher de nuire. Vous admettrez que son point de vue est assez logique. A un point de vue catholique, comme je vous le disais l'autre jour, un livre qui peut faire perdre la foi constitue un véritable homicide. »

Claudel insiste : Fin 1911, Claudel écrit à Gide : « Il faudra que nous causions un de ces jours comme ces personnages de Dostoïevski qui se disent des choses tellement confidentielles que le lendemain ils n'osent plus se regarder et sont pris d'une haine mortelle l'un contre l'autre. »

En janvier 1912, Gide écrit dans son Journal : «  Je ne voudrais n'avoir jamais connu Claudel. (…) ma pensée s'affirme en offense à la sienne. »

1914 paraît le roman voltairien de Gide : ''Les caves du Vatican''


 

Albert Béguin, dit qu'il y a chez Gide du Nietzsche et du Montaigne ; que ses œuvres avaient été, pour lui, des libérations ( Les Nourritures, l'Immoraliste...) ; mais qu'il s'en était heureusement détaché. Gide n'aurait-il pas exagérément cultivé son non-conformisme, sa singularité ? Mauriac, lui, parle d'un luciférien pari de Pascal, à l'envers !


 

Gide avait mesuré les dangers de l'engagement politique ; et face au jeune Sartre et son Existentialisme, il exprimait sa méfiance :  « Je crains que ce ne soit encore elle, la barbarie, sous une apparence nouvelle, qui s’introduise dans vos rangs, à votre insu, protégée, approuvée par vous, camouflée en liberté... » ( Essais critiques )


 

A quoi, donc, croyait Gide?

« Je crois au monde spirituel, et tout le reste ne m’est rien. Mais ce monde spirituel, je crois qu’il n’a d’existence que par nous, qu’en nous; qu’il dépend de nous, de ce support que lui procure notre corps.
(...) Je crois qu’il n’y a pas là deux mondes séparés, le spirituel et le matériel, et qu’il est vain de les opposer. Ce sont deux aspects d’un même et unique univers
 » (André Gide, Journal, t. II,)


 

À la mort de Gide, dans ''Les Temps modernes'', Sartre déclare : « On le croyait sacré et embaumé : il meurt et l’on découvre combien il restait vivant » 


 

Green a raconté, qu'il avait beaucoup ri, d'un télégramme que Mauriac a reçu peu de jours après la mort de Gide et ainsi rédigé : « II n'y a pas d'enfer. Tu peux te dissiper. Préviens Claudel. André GIDE. »

Voir les commentaires

1950 – Moïra de Julien Green

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot se souvient très bien des lectures de Mont-Cinère (1926), Adrienne Mesurat (1927), Léviathan (1929) . Julien Green y dépeignait une humanité privée de transcendance, ce que refuse ce monde contemporain. Le monde n'en devient pas moins irrationnel, et incohérent. « Le vrai monde est ailleurs » répète Green.

Depuis son retour d'Amérique, l'écrivain cherchait l'appartement qui lui permettrait, enrichi de ses meubles, de retrouver le décor de sa jeunesse. Il le découvre au 52b rue de Varenne. Il restreint le cercle de ses fréquentations, et semble tourmenté par la question religieuse. Il dit apprécier le dialogue avec des dominicains qui ne craignent pas '' de vivre dangereusement, à moitié dans le monde.'', et se montre très exigeant quant à leur exemplarité spirituelle.

Lancelot évoque Teilhard de Chardin, qu'il connaît mal, et regrette que ces intellectuels fassent l'impasse, d'après lui, sur les questions non résolues du péché et de Satan.


 

Lancelot voulait avoir lu Moïra, avant de revoir Julien Green.

- La lecture de ce roman fut pénible, par son ambiance moite, et intolérante. note t-il. L'action se déroule dans un espace étranger, c'est à dire étrange dans sa topographie composée d'une université de Virginie, et de pensions pour étudiants, dans sa culture classique et vieillotte, et par sa religion décrite comme un carcan mortifère. A tout cela se rajoute l'angoissante culpabilité d'une sensualité exacerbée par le carcan religieux; de surcroît homosexuelle. Cela faisait beaucoup, pour Lancelot qui espérait que Green eut approfondi sa réflexion religieuse, comme le laissait transparaître les dernières discussions qu'ils avaient eues. Lancelot était déçu.

Il eut avec Green, une discussion sincère, qui l'a réconcilié, un peu, avec le thème choisi.

Moïra représente l'instinct sexuel et s'interpose entre Joseph et Dieu. Moira est l'obstacle, Joseph fera le choix ( choisit-il vraiment ?) de s'y fracasser.

- Pourquoi, décrivez-vous la vie dans ce monde, comme un drame ?

- Je suis face à un dilemme : vivre selon ma nature ou vivre selon les commandements de Dieu ? Il faut choisir entre les joies du plaisir ou les joies de l'ange ?

- L'ange ?

- L'ange que j'aspire à devenir : je voudrais devenir un saint ! Pourquoi nous faut-il choisir entre le monde et le ciel ?

- Comment évoquer l'amour, quand Joseph associe le mal, avec tout désir ?

- Parce qu'un désir de nature homosexuel, ne peut se réaliser. Sentiment et plaisir sont dissociés ; assure Julien Green.

 

-Autre chose, annonce Green, ne ressentez-vous pas parfois, que ce monde est irréel ?

- Du moins, répond Lancelot, je m'interroge si le monde que je perçois est bien la réalité du monde...

- Oui... Ce monde n'est peut-être que « la projection de ce que nous portons en nous. », c'est la grande idée de ''Minuit'' (1936).

- Certains répondraient, que ce sentiment d'irréalité, est l'expression d'un refus d'accepter cette réalité... ? L'angoisse de vivre le Mal du monde … ?

 

- Je sais combien vous appréciez Bernanos, et donc nous savons que le Mal travaille aussi dans l'invisible. Mais, une parole du Père Couturier m'avait frappé : « le démon ne peut faire des miracles. » ; le démon se donne des apparences de surnaturel.

Lancelot est ébranlé par ces dernières réflexions... Qu'en est-il donc, du Mal, de l'enfer... ? A l'opposé du divin, où se situe l'espace du Mal, exclusivement dans ce monde ?

- Si les tentations charnelles sont de ce monde ; y céder, finit par ….ne plus vouloir Dieu.

Voir les commentaires

1950-51 - La Cybernétique 2

Publié le par Régis Vétillard

Un article, titré '' Le cerveau et la machine '' des ''Nouvelles littéraires ...'' du 1er juin 1950, est signé Léon Brillouin.

Lancelot se souvient bien de Léon Brillouin (1889-1969), physicien et professeur au Collège de France, au début de Vichy, il était sous-secrétaire d'Etat à la Radiodiffusion nationale depuis sa nomination par Daladier en juillet 1939. Il avait démissionné fin 40 et émigré aux Etats-Unis. Il y est toujours, et travaille chez IBM depuis 1948.

IBM est cette entreprise qui utilisait ses brevets de mécanographie, par le biais d'appareils à cartes perforées ( tabulatrices), ces cartes servaient essentiellement de support des données en entrée et en sortie. En ces années 1950, des calculateurs électroniques connectés aux tabulatrices, vont permettre, grâce à leur vitesse, des applications beaucoup plus sophistiquées.

 

L'intérêt de l'article de Brillouin, est que sa réflexion sur la cybernétique, s'appuie sur une comparaison avec la physique.

Sa première remarque concerne la chimie : « la chimie de la matière vivante ne se distingue pas essentiellement de la chimie générale. Elle obéit aux mêmes lois et les corps organiques sont des produits chimiques comme les autres. Dès que l’un d’eux est découvert dam la vie, il est bientôt fabriqué au laboratoire. Les réactions chimiques vitales sont très analogues à celles de l’industriel ou du pharmacien. »

Sur la physique : « Schannon, travaillant aux Bell Telephone Laboratories, s’est attaché à dégager les principes généraux de transmission, les lois essentielles des télécommunications. Il a découvert une curieuse analogie entre la notion d'information et la conception d’entropie familière aux physiciens. Le fameux principe de Carnot spécifie que, dans tout phénomène physique ou chimique, une certaine quantité, l’entropie, ne peut jamais diminuer. L’entropie a tendance à augmenter sans cesse ou peut à la rigueur rester constante. Sa variation est à sens unique. » pendant la guerre, Claude Shannon a travaillé au décodage de communications de l’ennemi.

Je passe sur les exemples qui illustrent sa réflexion :

L’information peut se perdre, se dissiper ; elle n’augmente pas. Le lecteur de cet article peut en comprendre une partie ou la totalité. Il ne peut tirer de ces lignes davantage ou plus que l’auteur n’y a mis. ( ...)

L’information présente donc des caractères semblables à ceux d’une entropie négative ; toutes deux doivent constamment décroître ou tout au plus rester constantes.

** Tout d’abord, une différence saute aux yeux : lorsqu’en physique, deux corps échangent de la chaleur, l’un perd de l’entropie, le second en gagne. La balance est positive, l’entropie totale augmente.

Pour l’information, la situation est différente : si j’envoie un télégramme, mon correspondant ne reçoit qu’une partie des informations que je désirais lui transmettre, mais moi, l’expéditeur, je n’ai rien perdu. ( …) La différence entre information et entropie, sur ce point, est fondamentale. Nous pouvons disséminer une information sans la perdre, répandre l’instruction au moyen de cours et conférences, sans diminuer la science du professeur.

Second point : la pensée, l’effort de réflexion du savant ou du philosophe représentent une création de nouvelles informations. (...) D’où la conclusion : la pensée crée de l’entropie négative. La réflexion et le travail du cerveau humain vont à l’inverse des lois physiques usuelles ; réflexion surprenante et dont l’examen peut nous conduire à d’étranges découvertes ! »

 

Pour Brillouin, la comparaison entre cerveau et machine à calculer, n'est pas fondée.

« Chaque machine, si complexe soit-elle, exige un homme (et plus exactement le cerveau d’un homme) pour la diriger et la conduire. (…) Elle ne pense pas, mais exécute. Une machine parfaite suit rigoureusement le programme de la bande perforée (…).

La machine applique le code et déchiffre le message illisible. Elle ne réfléchit pas, ne pense pas, n’invente rien et elle est tout à fait incapable d’imagination. (...)

La machine mathématique est incapable de pensée créatrice. Elle peut suppléer le travail du cerveau humain dans un rôle purement passif et son rendement entropique est dans le sens naturel de l’augmentation. (…)

Le cerveau humain crée de l’entropie négative, dont la machine est parfaitement incapable. »

Voir les commentaires

1950-51 - La Cybernétique 1

Publié le par Régis Vétillard

Et, aujourd'hui, le danger se serait précisé et aggravé ; puisqu'on envisage l'autonomie de la technique. En effet, nous entrons dans l'ère de la cybernétique.

La cybernétique est un mot forgé par Norbert Wiener (1894-1964), mathématicien au MIT, vers 1848. Derrière ce mot, se trouve une effervescence de projets extra-ordinaires et qui concernent : la robotique, la théorie des systèmes, la théorie de l'information, les sciences cognitives, l'intelligence artificielle... Cela a commencé par la mise au point d’un appareil de pointage automatique pour canon antiaérien avec un dispositif qui ajuste la trajectoire de tir grâce à un procédé de régulation appelé feed-back (action en retour). Wiener pense avoir découvert un mécanisme transposable à d’autres domaines.

Norbert Wiener

La cybernétique devient la science des communications et de la décision et prépare la deuxième révolution industrielle, quand la machine pourra se substituer au cerveau de l'homme. En effet, la machine n'est plus seulement efficace, elle peut être intelligente, puisqu'elle traite de la connaissance.

Déjà quelqu'un comme Günther Anders (1902- ) - élève de Heidegger, il fut le premier mari de la philosophe Hannah Arendt ( ils se sont mariés en 1929, et ont divorcé en 1937), l’ami de Bertolt Brecht, de Walter Benjamin, de Theodor Adorno – répète que nous ne maîtrisons plus rien : le monde autosuffisant de la technique décide dorénavant de toutes les facettes de ce qui nous reste d’existence ; c'est ce qu'il nomme : '' L'Obsolescence de l'Homme ''. Il écrit que Hiroshima et la Shoah ne sont pas des accidents de la modernité ; ils expriment une perversion de la raison dans la rationalisation des moyens, en l’occurrence ici des moyens de destruction. L'humanisme devient hors-sujet ; puisque l'homme perd ses caractéristiques : la liberté, la responsabilité, la capacité d’agir, la capacité à se faire être.

 

Lancelot retrouve avec plaisir et intérêt, le dominicain Dominique Dubarle, déjà rencontré en mai 45 , il enseigne actuellement la philosophie à l'Institut catholique de Paris. Il raconte qu'après avoir suivi ses études et assimilé Aristote et St Thomas, ses supérieurs lui ont demandé de se consacrer aux scientifiques. Après avoir travaillé et rencontré des scientifiques ; il dut complètement tout repenser ! Il a passé deux ans à temps partiel au labo de Leprince-Ringuet pour faire des expériences; en math, il est très fort.

Dominique Dubarle (1907 – 1987)

Lancelot a noté des extraits de sa discussion sur ce nouveau visage de la technique : la cybernétique.

- L'humanisme risque t-il, vraiment, d'être hors-sujet ?

- L'humanisme, n'est-ce pas aussi de vivre dans ''le monde'', et de bien le connaître pour l'adapter à soi, au lieu d'en être esclave...

Avec Pascal - continue Dubarle - je ressens en moi la grâce divine qui m'appelle vers l'infini ; et « de ce petit cachot où je me trouve logé, j’entends l’univers »... A la suite du père Teilhard, je vois l'origine de l'humanisme dans la transition qui fait de l'homme, animal parlant, un être raisonnable. Cette noogénése marque le moment où l'homme s'est élevé au-dessus de son milieu, de lui-même et se rapproche de Dieu. L'humanisme n'est-il pas de dépasser constamment sa condition ?

La création est inachevée. L'humain est inachevé.

- Vous pensez donc, qu'il ne peut y avoir d'humanisme, sans progrès ?

- L'humanisme doit poursuivre dans le sens de l'évolution ; mais il ne doit pas se laisser entraîner et se noyer... Le progrès doit s'effectuer pour le bénéfice de l'Homme. La technique ne doit pas asservir l'homme, ni le remplacer. Il est fondamental de ne pas démissionner !

- Comment faire ?

- Ce n'est pas nouveau : « Connais-toi toi-même », étendre le champ de notre conscience. Et puis, il est important de reprendre ce que dit le P. Teilhard de Chardin qui appelle à la convergence de l'en-avant et de l'en-haut, ; alors qu'un humanisme matérialiste ne conduit qu'en avant. Teilhard affirme la nécessité, pour le salut de l'humanité, d'élever l'homme au dessus de lui-même, dans la confiance et la foi, vers Dieu...

 

En octobre 1950, Alan Turing, publie dans la revue ''Mind'' un article sous le titre "Computing machinery and intelligence ». Il s'interroge : « Les machines peuvent-elles penser ? Turing propose de reconnaître qu'une machine est ''intelligente'' quand on ne saura discerner leur conversation de celle des humains ; et élabore un test.

Voir les commentaires

1951 - Teilhard de Chardin - Une vision du Monde – 3

Publié le par Régis Vétillard

Les notes de Lancelot, montrent que les paroles de Teilhard, ne cessent de résonner dans sa tête. Réflexion sur Teilhard et l'Entropie

Teilhard remarque que l'apparition de la vie, puis de la pensée, s'accompagne d'un progrès du degré d'organisation, de la complexité.

Ajoutons le fait que, par exemple : une cellule est plus qu'un simple agrégat de molécules. Dans le Tout (somme de ses constituants) émergent des propriétés nouvelles, absentes chez ses constituants.

Cependant, la vie contient un processus d'ordre et d'organisation, et un processus de désordre, la mort. Le vivant se réorganise de façon permanente. Ainsi, l'évolution du vivant s'accompagne d'une croissance d'entropie, et ( est-ce contradictoire ?) selon Teilhard, d'une convergence vers la victoire de l'esprit ( point Oméga).

XVIIe siècle. Robert Fludd, Utriusque cosmi maioris scilicet et minoris  , tomus II (1619)

 

Nous sommes nés d'une cellule ( fusion de deux cellules...) et nous nous transformons en un corps de 30.000 milliards cellules ! Qu'en est-il de la vie et de la mort de toutes ces cellules ? Certaines se renouvellent en permanence, d'autres atteignent quelques jours, ou plusieurs dizaines d'années.

La mort continue de nos cellules, nous métamorphose.

Nous sommes comme le fleuve dont parlait Héraclite : le même et sans cesse renouvelé. Être vivant, c'est en partie mourir et renaître.

Qu'est-ce qui en nous nous remémore le passé, nous crée des émotions ? Si ce ne sont pas les cellules, qui ''meurent avant nous'' ; ce sont, l'organisation, l'information ? L'âme, dirait peut-être Teilhard.

Je répète donc : d'un côté la thermodynamique nous explique que l'univers va vers sa fin comme un Tout, un et indifférencié, du fait de l'Entropie. De l'autre, l'Evolution semble générer des systèmes toujours plus complexes, à l'entropie négative....

 

En ce début des années cinquante, Lancelot remarque avec intérêt que la science - plus particulièrement par le biais de la technique - alimente la réflexion morale et même métaphysique. C'est bien-sûr causé par l'arrivée de la bombe atomique ; mais aussi par ce qui semble caractériser notre société, et que Jacques Ellul nomme la '' société technicienne '' caractérisée par « la soumission de l'homme aux nécessités rigides du milieu technique dans lequel il est désormais contraint d’évoluer. » ( La technique ou l'enjeu du siècle, écrit en 1950 et publié en 1954 )

Déjà, pour Bernanos,  '' la technique '' ne désigne pas la machine, mais le système qui s'y appuie, et ne voit plus qu'au travers de cette efficacité et son développement ; la Technique comme fin, prive l'homme de sens...

« Que fuyez-vous donc ainsi, imbéciles? Hélas, c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes – chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau… On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » ( Georges Bernanos, La France contre les robots, 1947 )

 

Mais, Lancelot, se souvient aussi d'une discussion aux Rencontres de Genève, avec le journaliste René Sudre qui expliquait qu'à son avis, « la technique ne peut pas être arrêtée, (...) En ce qui concerne les moyens de résoudre le problème de l’exagération de la technique, je trouve que nous sommes tout à fait désarmés. Nous ne pouvons pas empêcher le progrès de la technique qui ira jusqu’au bout de ses possibilités (…) Je ne sais pas si ce sera un bien pour l’humanité. En tout cas, je sais que nous y arriverons. On créera des hommes, qui seront peut-être des surhommes, mais qui courront le risque d’être des monstres. ».

Le philosophe Gabriel Marcel (1889-1973), publie '' Les Hommes contre l’humain '' (1951). L'expérience des fascismes, l'amène à craindre aujourd'hui la tyrannie technocratique et bureaucratique. La technique, à présent, il nous faut apprendre à en être maître, en devenant d'abord maître de soi.

Jacques Ellul, se demande si, précisément, l'enjeu du siècle n'est plus s'il faut défaire le capitalisme ; en effet, la question du « capitalisme est une réalité déjà historiquement dépassée. (…) Ce qui est nouveau, significatif et déterminant, c’est la technique ». La technique serait d’abord un imaginaire global, une nouvelle manière de percevoir le monde...

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 > >>