1928 Davos - 3 - Albert Einstein et Paul Tillich
Paul Tillich (1886-1965), pasteur allemand, enseigne à Dresde, la science de la religion. Pour lui, la foi est le fait d'être saisi par une préoccupation ultime ; et celle-ci lui paraît présente dans la culture, science y compris...
A Davos, Tillich est très sollicité, entouré d'étudiants et de collègues. Son ancien professeur, Fritz Medicus, présent, assure qu'il est le philosophe de l'avenir...
Einstein et Tillich partagent la même conception du religieux : pour le premier, un homme qui a trouvé une réponse à la question du sens de la vie, est un homme religieux, et Paul Tillich écrit : « Être religieux signifie s’interroger passionnément sur le sens de notre vie et être ouvert aux réponses, même si elles nous ébranlent en profondeur . »
Lancelot découvre Paul Tillich, et considère comme un signe que celui-ci évoque ces ''questeurs de vérité '' que sont le jeune Werther, ou les héros des romans du Saint-Graal... Le Quester est à la recherche du Graal - c'est-à-dire ce qu'il y a de plus élevé: connaissance, sagesse, foi … Il est habité de ''Préoccupations ultimes''.
Tillich constate que la principale source de désaccord entre la religion et la science se trouve dans ce concept de Dieu personnel. Einstein décrit la loi de causalité comme s'appliquant à tous les événements physiques, il est inconcevable pour lui qu'une « Volonté Divine existe en tant que cause indépendante d'événements".
Cependant Einstein exprime son émerveillement devant la « grandeur de la raison incarnée dans l'existence », il ne remarque pas alors, que la théologie moderne appelle cela une « expérience du numineux » c'est à dire la sensation que l’on est en présence de quelque chose au-delà de la compréhension ou du contrôle . En attaquant la conception du Dieu personnel, Einstein se rebelle contre un mélange ancien et dépassé d'éléments mythologiques et rationnels ; aussi Tillich considère qu' « aucune critique de cette idée déformée de Dieu ne peut être opérante.»
Einstein n'a pas remarqué, ajoute Tillich, que '' Dieu'' est un symbole, que le prédicat ''Personnel'' ne peut être dit du Divin « que symboliquement ou par analogie, et qu'il s'affirme et s'annule en même temps. »
Ce symbole de Dieu est nécessaire à l’existence de l’homme: « Car, comme le dit le philosophe Schelling:" Seule une personne peut guérir une personne. « raison pour laquelle le symbole du Dieu personnel est indispensable à la religion vivante. C'est un symbole, pas un objet ».
Pour Tillich - Le symbole religieux rend compte de la tendance au concret dans la conception religieuse et l’expérience de Dieu... Dans l’expérience de la préoccupation ultime, il y a toujours un contenu plus ou moins concret et en fait les symboles religieux s’identifient à ce nouveau concret.
Il y a plus. La suspicion de Tillich se porte également sur le concept de relativité. qui semble éliminer « tout point de référence absolu ». Ce qui est certain, dit-il, c'est que la théorie de la relativité a révélé plus clairement qu'il ne l'était auparavant l'existence de l'infini... Pour Tillich, la théorie, revêt la nature d'un mystère plus profond encore...
Einstein relève le malentendu : il parle de ''relativité'' d'une procédure qui définit une quantité physique ( longueur, temps d'une horloge...), et d'invariance pour la vitesse de la lumière ...etc
Si la Relativité ne considère plus l'espace et le temps, comme des données absolues, mais comme dépendant de la mesure faite par l'homme, comme si le temps et l'espace ''naissent'' de la mesure... alors les thèses de Bergson, par exemple, sont caduques.
Plus généralement, dans un mouvement d'idées tel que le ''relativisme'', on observe que toute connaissance y est considérée comme relative au sujet connaissant... On y dénonce les illusions de l'absolu ; ou du moins on ne prétend pas s'exprimer sur le ''Pourquoi'' des choses...
Beaucoup de jeunes gens et jeunes filles fréquentent ces cours ; l'ambiance est à l'étude, à la controverse ( les ''Diskussionsabend'') et à l'amusement plus ou moins officiel.
Diverses soirées musicales sont organisées pour soutenir l’événement, comme le concert de Maria Philipi déjà évoqué, ou le récital de la soprano autrichienne Emmy Heim lors de la quatrième semaine...
Le moment musical le plus couru est sans nul doute le concert donné par le professeur – et violoniste ! – Albert Einstein, au profit des '' Cours universitaires''.
Les journées se terminent tard ; Lancelot et Elaine ne se quittent pas de la journée ; et c'est une véritable complicité qui s'établit entre les deux. Sagement, le soir, l'un et l'autre regagnent leur chambre respective. Devant l'une ou l'autre porte la discussion souvent continue, puis Elaine avoue sa fatigue et chacun se retire seulCarl Schmitt lors d’un discours, en 1930.
Une conférence, celle du philosophe et juriste allemand Carl Schmitt de Bonn, a été l'occasion de discussions passionnées et très actuelles... sachant, que - il n'y a aucun doute - le philosophe est un ardent admirateur du fascisme italien : Benito Mussolini, à la tête du parti national fasciste et après sa marche sur Rome, est devenu premier ministre en 1922...
En Allemagne, Hitler chef du parti NSDAP, lors du congrès de Nuremberg de 1927, exalte la communauté du peuple uni sous la direction du chef.
Carl Schmitt va parler de politique, et même de théologie politique.
Sa première grande idée: - Tous les concepts de la théorie moderne de l’État sont « des concepts théologiques sécularisés ». L'Etat moderne tend « d’imiter les décrets immuables de la divinité ». L'Etat est une création récente, c'est « l'instrument qui a permis aux monarchies européennes, à partir du XVIe siècle, de mettre fin aux guerres privées et d'établir la tranquillité, la sécurité et l'ordre dans les limites de leurs territoires. »
La pensée de Carl Schmitt se construit sur une critique du libéralisme et de la démocratie libérale... Il évoque une démocratie d'acclamation ce qui suppose une homogénéité raciale du peuple, et un lien fort entre le leader et son peuple. L'affaire du politique, c'est l'unité politique du peuple. Et un peuple – en opposition à une foule hétérogène – se définit par son identité.
Les débats provoqués par la conférence vont préciser certains points qui émanent de la pensée de Carl Schmitt.
Le fascisme rénove le nationalisme parce que c’est un mouvement qui se présente comme révolutionnaire et moderniste. Le fascisme comporte une dimension sociale et veut imposer un État fort, fondé sur des méthodes nouvelles de gouvernement... Schmitt prétend que le fascisme ouvre sur une démocratie fondée sur l'alliance ''mystique'' entre un chef et un peuple. Il s'agit d'une ''démocratie de masse''. Il dénonce une décadence économique, sociale et morale de la bourgeoisie capitaliste. La politique, comme la religion, implique des mythes, qui sont moteur de l'action.
- La démocratie ne repose t-elle pas sur un socle de valeurs comme les droits fondamentaux de la personne, et sur le droit avec la séparation des pouvoirs ...?
- Précisément, non! Ces conceptions libérales sapent le principe de souveraineté et neutralise la puissance de l'Etat. L'unité nationale doit s'imposer contre le pluralisme des intérêts économiques.
« Seul un État faible est le serviteur capitaliste de la propriété privée. Tout État fort […] montre sa puissance véritable non contre les faibles, mais vis-à-vis des puissants au plan social et économique. […] C’est pourquoi les employeurs et plus particulièrement les industriels ne peuvent jamais complètement faire confiance à un État fasciste et doivent présumer qu’un jour il se transformera finalement en un État des travailleurs avec une économie planifiée. »
- Qu'en est-il de la sphère privée de la personne?
- En tant que religion politique, le fascisme s’ingère dans l’économie, dans l’art, la morale, etc. Il subordonne entièrement le privé au public. " Tout est politique''!
Carl Schmitt prévoit que l'Etat de droit bourgeois ( une fausse démocratie ) disparaisse ... Par la monarchie? Le monarchisme des royalistes lui semble naïf . Et, le parlementarisme est dépassé... La véritable représentation du peuple ne peut se faire qu'avec un leader, acclamé ( démocratie directe).
Quelques intellectuels, présents, n'hésitent pas à exprimer leur préoccupation devant ces thèses, même si elles semblent assez populaires. Ainsi, Victor Basch (1863-1944) exprime les fondements humanistes pour une défense de Droits de l'Homme. Il relève également l'antisémitisme et le racisme en oeuvre dans les théories fascistes...