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esprit

1952 - Les Communistes et la Paix

Publié le par Régis Vétillard

Dans un premier temps, parrainé par Robert Schuman très lié à l'Eglise, Lancelot travaille au Ministère des Affaires étrangères, en relation avec le Vatican, et au plus près du cabinet du ministre pour l'informer.

Robert Schuman ( 1886-1963) ministre pendant la Quatrième République, notamment aux Affaires étrangères, puis président du Conseil des ministres à deux reprises

Il est considéré comme l'un des pères fondateurs de la construction européenne.

Schuman est ministre des Affaires étrangères de 1948 à 1952; et doit son départ à la question coloniale alors qu'il est soupçonné de céder sur le démembrement de l'Empire ( nos colonies), au profit de la construction européenne.

 

Maurice Maillard est un prêtre jésuite qui a été autorisé par le provincial d'accompagner Lancelot dans sa mission ''politique''. De plus, le prêtre donne régulièrement des cours sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat en France, aux étudiants de l' Académie pontificale ecclésiastique, institution fondée par Clément XI en 1701 ayant pour but de former le corps diplomatique du Saint-Siège.

Le père Maillard permit à Lancelot de s'initier au fonctionnement du Vatican, et très vite une véritable amitié va naître entre les deux hommes, fruit sans doute des longs voyages qu'ils firent ensemble sur le ''Rome-express'', qui leur permettait de partir de Paris en soirée et d'arriver avant la fin de matinée à Rome.

Lancelot, en particulier, va pour la première fois peut-être, interroger son questionnement sur une tradition religieuse qui l'habite, et à laquelle il tient ; mais finalement envers laquelle il n'est pas engagé; c'est ce que lui fait remarquer Maurice, plus âgé de quelques années.

La pratique religieuse de Lancelot, est étroitement liée aux événements qui l'obligent d'être présent dans une église. La raison de sa présence à ces cérémonies, relève plus de l'aspect social traditionnel, que de la spiritualité. Elle émerge cependant lors d'une plage silencieuse ou musicale, et au cours de ces instants où les yeux parcourent la beauté des lieux, environnée d'encens et d'une vague psalmodie latine, et rappelle un mystère qui dépasse de beaucoup la raison de sa présence.

Finalement, quelle différence entre une tenue en Loge, et une messe ; sinon que la première, en plus petit comité, satisfait mieux la raison et la fraternité; et que l'autre, marque culturelle et religieuse d'un territoire, satisfait l'entre-soi ?

Maurice, comme ancien ordonné accompagne de jeunes jésuites dans leur vocation. Il partage régulièrement avec Lancelot, les nouvelles problématiques que ces jeunes prêtres doivent parcourir.

En particulier, l'un d'entre eux, je l’appellerai Edmond, se rebelle et se déclare solidaire d'un ami prêtre-ouvrier à qui la hiérarchie demande de quitter son travail. Maurice note de plus en plus de conflits entre la conscience et l'institution ; les jeunes prêtres interrogent la réception dans l’Église de tout '' tout ce qui se fait d’important, le développement des sciences, de la critique historique, de la philosophie, de l'économie...''

 

Lancelot retrouve Geneviève, de plus en plus affiliée au Communisme. Cette situation - d'abord une originalité de leur couple - devient de plus en plus difficile.

 

Il ne s'agit plus seulement d'un engagement intellectuel ; Geneviève consent à la discipline rigoureuse du parti. En plus de participer aux réunions de cellule, distribuer la presse du parti, elle accepte des taches administratives quotidiennes au sein de l'Union des femmes françaises ( UFF), tout en y faisant des dons financiers réguliers.

Lancelot devient moins tolérant à ce qui lui semble n'être qu'une intolérable pression idéologique ; comme, soutenir sans condition l’Union soviétique et ses alliés, dénoncer les ennemis du communisme...etc. Il lui rappelle comment Edgar Morin , il y a moins d'une année, a été exclu du parti.

 

De plus, mais Lancelot ne le saura que plus tard ; ses amis communistes incitent Geneviève à se séparer de lui, qui la maintiendrait dans une culture bourgeoise et toxique.

Pour Lancelot, son épouse s'efforce de refouler sa culpabilité de son attitude pendant la guerre, jusqu'à désirer oublier l'existence de sa fille ; même si avec mauvaise foi, elle reproche à Lancelot et sa mère de la lui retirer, et alors qu'elle répète à chacun, qu'il est bien mieux pour Elaine de vivre à Fléchigné.

Depuis peu de temps, un homme Jean F. qui se présente comme cheminot, et aujourd'hui l'un des 3000 permanents du PC, futur député, accompagne et va jusqu'à venir chercher Geneviève dans leur appartement. Jean, manifestement, s'emploie à provoquer Lancelot, sur ses liens professionnels avec le Vatican, ses idées, et même ses goûts, comme si son seul intérêt était la dispute...

- Staline construit aujourd'hui une société qui donne du sens. C'est du concret, pas de la théologie ; dit-il. Et si le bonheur, pour tous et pas seulement pour les bourgeois, n'était pas au ciel, mais dans ce bas monde ?

Le procès-de-Prague 1952

 

Seulement, nous sommes en décembre 1952. Un ''procès'' vient d'écarter du bureau politique du PC, des personnalités comme André Marty, et Charles Tillon que Lancelot a côtoyé un peu au ministère des armées, sont accusés de déviationnisme, de fractionnisme et de manque de discipline. Cela renvoie aux nombreux procès en Union Soviétique, et actuellement au procès Slánský à Prague.

- Jean le reconnaît : cette décision envers Marty et Tillon, est aussi ''la manifestation de l’unité et de la fidélité au marxisme-léninisme et à l’Union soviétique.''

La presse française du Figaro, à La Croix et Combat, dénoncent le caractère arbitraire et antidémocratique de cette exclusion et la soumission du parti communiste à Moscou.

Pour ce qui est du procès Slánský, la presse française souligne l’antisémitisme du procès, qui frappe surtout des militants juifs ; et pour la plupart d’anciens résistants et antifascistes. Ils seraient accusés de crimes imaginaires et de complots invraisemblables.

- Pourtant, réplique Jean, un article de Sartre, intitulé « Les communistes et la paix », publié dans Les Temps modernes ( décembre 1952), défend la position du PCF sur la question de la guerre et de la paix, en s’opposant à la politique américaine et à la menace nucléaire. Il y critique aussi les intellectuels qui se réclament du socialisme mais qui refusent de soutenir le PCF. Sartre considère qu'il est le seul parti capable de représenter les intérêts des travailleurs et des opprimés. Il y affirme que le communisme est la seule voie pour réaliser une société sans classes et sans exploitation.

 

Geneviève est très impliquée par l'entremise de Dominique Desanti, à l'UFF. Autour de la revue ''Femmes françaises'', l'association féministe revendique 500.000 adhérentes. Il s'agit d'organiser des manifestations, des pétitions, des conférences, des cours du soir, des colonies de vacances et des activités culturelles et sportives pour les femmes.

La revue Esprit, tient à se mobiliser en faveur de la Paix, mais exprime des réserves de s'associer avec les communistes. Domenach l'avait déjà exprimé lors du congrès de la Paix, salle Pleyel en avril 1949, refusant de s'y associer. Si le socialisme démocratique pourrait constituer une garantie de paix, ils rejettent que ce puisse l'être avec un ''socialisme d’État'' tel qu’il est pratiqué en URSS.

Jean-Marie Domenach fait l'éloge de la Yougoslavie et s'élève contre l'idée que le régime de l’Union soviétique aime la paix.

Lancelot participe aux réunions des groupes ''Esprit '', et suit leur actualité grâce au ''Journal Intérieur'' qui est l'organe de communication du mouvement relancé en 1947, et animé par Paul Fraisse. Pour ce qui est de la revue Esprit , elle se veut une revue-carrefour, une revue de rencontres, une revue qui intègre d’autres courants de pensées que le seul courant de pensées de ses fondateurs. Chaque année un congrès se réunit en banlieue parisienne. Les groupes de Lyon ( Jean Lacroix), Grenoble ( Henri Bartoli), Strasbourg, Rennes...etc sont très actifs. On peut ainsi échanger avec Paul Ricoeur, Jean Lacroix, Jean-Marie Aubert, Georges Izard, André Déléage ou encore Louis-Émile Galey.

D'actualité, toujours de nombreux débats sur la Laïcité ; en effet la société catholique considère encore la laïcité comme un pis-aller. Pis-aller, ce qui signifierait que l'idéal de l'Etat terrestre serait l'Etat chrétien. L'état laïc, est une situation de fait, il garantit la liberté religieuse, mais reste en dessous de l'idéal chrétien....

Esprit prend part également à la réflexion sur les questions sociales comme l'humanisme au travail à laquelle prennent part des théologiens comme le dominicain Chenu, et le jésuite Calvez.

Carte satirique de l'Europe en 1952 - David Low

Ce qui intéresse Lancelot de Sallembier, ce sont les différentes visions de l'Europe qui s'affrontent, au sein même des participants aux débats conduits par ''Esprit''. La plupart s'opposent au fédéralisme, alors qu'un Marc Alexandre va le défendre.

Depuis la fin de la guerre, l'Europe suscite la méfiance du totalitarisme. N'est-ce pas tout simplement un mythe réactionnaire ? Les États-Unis, qui tiennent à l'idée, ne veulent-ils pas constituer un bastion stratégique dirigé contre l’URSS ?

Lancelot soutient le plan Schuman, d'une Europe construite autour d'une France neutre, avec pour objectif de constituer une troisième force mondiale. Elle pourrait commencer rapidement avec l'Allemagne et l'Italie ; et concurrencer les États-Unis et l’URSS.

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Les Années 1930 – à Paris, la vie intellectuelle 3

Publié le par Régis Vétillard

La crise économique rend instable la vie politique. Le parti radical, toujours dominant gouverne avec la droite, mais il est en crise, d'autant que son électorat, les classes moyennes, perd en pouvoir d'achat. En 1932, le résultat des élections, avec le progrès de la SFIO, portent les radicaux vers la gauche.

Les ''non-conformistes'' lancent le ''ni droite, ni gauche'' dans un front commun de la jeunesse intellectuelle. Denis de Rougemont pense pouvoir réunir des jeunes de l'Action Française, des personnalistes d’Esprit et de l'Ordre Nouveau, et même des communistes ( comme Paul Nizan, par exemple) . Ils ont tous lu et partagé : Décadence de la nation française et Le Cancer américain de Robert Aron et Arnaud Dandieu dès 1931, La Crise est dans l'homme de Thierry Maulnier ou Le Monde sans âme d'Henri Daniel-Rops en 1932

 

Lancelot reste proche de Painlevé, fatigué il réussit à concilier la politique, et ses travaux personnels. Il soutient la vitalité de de l'aérien dans la défense de la nation ; et se passionne pour les travaux d'Einstein. En novembre 1931, il a participé au congrès du désarmement organisé par L’Europe nouvelle.

Dans Notre Temps du 12 Octobre 1930, un article de Brossolette titrait : « Faites la guerre ou désarmez » Brossolette appelait au désarmement...

Lancelot a longuement échangé avec Painlevé sur le nationalisme allemand ; de nombreux renseignements, ciblent ''le projet de Zollverein '' austro-allemand, qui prévoit un '' Anschluss '' avec l’Autriche ; puis avec la Hongrie... Painlevé y voit le même scénario qu'en 1914 ; à ceci se combinent l'insatisfaction de l'Allemagne suite au traité de Versailles, la crise économique... Aussi, en réaction contre le succès nazi, Painlevé met en garde Lancelot contre un pacifisme intégral... Malade, il prend connaissance des résultats électoraux de la présidentielle de 1932, en Allemagne : 36,7% pour le NSDAP ; Hindenburg est réélu président du Reich.

Le 30 janvier 1933, Painlevé, alité, apprend qu'Adolf Hitler est nommé chancelier ; il prédit à Lancelot la mort de la civilisation européenne... Après avoir obtenu, les pleins pouvoirs, Hitler proclame le NSDAP, parti unique.

Painlevé tient absolument à soutenir les victimes de l'antisémitisme allemand. Anne-Laure le visite souvent, ils lisent ensemble, en allemand, Faust de Goethe. Il meurt le 29 octobre 1933. Le Parlement organise des funérailles nationales et une inhumation au Panthéon.

 

Le front de la jeunesse - instrument d'une rénovation politique, de la LAURS, aux mouvements fondés par Jean Luchaire et Otto Abetz - se divise sur l'idée de pacifisme. Le rêve européen semble s'évanouir ; mais reste l'ambition d'opposer au vieux monde, le front d'une jeunesse révolutionnaire.

Lancelot se souvient d'une soirée de l'Union pour la Vérité, en février 1933 avec des membres de la Jeune Droite comme Daniel-Rops, Maxence, Maulnier, avec Mounier et Izard d'Esprit, avec Rougemont, Dandieu de L'Ordre Nouveau, André Chamson

Photo: Denis de Rougemont Avec Emmanuel Mounier (à droite) lors d’un congrès d’Esprit, 1934

 

Tout ceci reçoit le choc brutal du 6 février 1934 ; l'occasion de passer des cartels pacifistes de la fin des années vingt, au choix entre fascisme et anti-fascisme. Esprit refuse de se politiser, et Bergery, radical et ''jeune-turc'', fonde ''le front commun'' anti-fasciste. Rougemont ( L'Ordre Nouveau) maintient son appel à la '' Révolution spirituelle'' :

« Quand nous disons « spirituel d’abord », nous ne voulons pas qu’on entende intellectuel, idéaliste, clérical, ni surtout « spiritualiste ». ( …) Nous ne disons pas : « Esprit ! Esprit ! » Nous disons « spirituel ». Cet adjectif qualifie l’acte personnel, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, le sommet de ses hiérarchies, le fondement réel de sa liberté. On nous a reproché de ne pas définir la personne qui est à l’origine de toute notre construction. Répétons donc que pour nous : la personne c’est l’individu engagé dans le conflit créateur. Conflit qui se résout par l’acte, 

(…) Une révolution n’est pas seulement une redistribution des biens matériels suivant une autre méthode que la capitaliste. Nous ne sommes pas disposés à défendre la répartition actuelle des richesses, mais nous exigeons que, sous le prétexte, trop souvent fallacieux, de doter l’homme de ces biens matériels, on ne le prive pas à jamais de toute possibilité spirituelle, non seulement d’en posséder, mais d’en concevoir d’autres. » « Spirituel d’abord », L’Ordre nouveau, Paris, n° 3, juillet 1933, p. 13-17. Texte rédigé avec Daniel-Rops.

Jean Luchaire (à droite)

 

A ''Notre Temps'' chacun se disait ''réaliste'', et Luchaire ajoutait ''technique''. Il s'agirait alors de créer un ''Etat technique'' basé sur l'économie, loin des querelles religieuses... On s'interrogeait sur l'Etat moderne au titre du réalisme, doit-il employer des ''méthodes d'autorité''?

Luchaire projetait également une réorganisation politique ; envisageant que la ''nouvelle génération'' s'unisse par l'action sur le terrain pour une gauche unitaire, « sans se diviser, sans se combattre au nom de vieux dogmes, de vieilles idéologies et d'étiquettes vides de sens présent. » Luchaire, « La vraie "gauche unitaire" », Notre Temps, n°6, 15/02/1930.

Une réflexion qui s'adressait avant tout au parti Radical ; mais qui a eut peu d’effets...

De plus Pierre Brossolette, se demandait si Notre Temps n'excluait pas le socialisme ? ( lettre du 4 mai 1930). Il rejoignait l'idée de la nouvelle génération, mais contestait une unanimité de vues sur le plan politique.

 

En 1933, la question à propos du pouvoir national-socialiste en Allemagne, se pose. Luchaire maintient sa position du rapprochement entre les deux pays ; Brossolette le trouve gravement compromis.

La SFIO fait face en son sein à la contestation des ''néo-socialiste'' qui veulent une révolution constructive, technicienne, planifiée, et non-marxiste.... Luchaire se dit intéressé.

Au lendemain du 6 février 1934, Luchaire dénonce « une bande de factieux en révolte contre la légalité » et se fait le défenseur de la légalité républicaine. ( Notre Temps, n°36, 07/02/1934.)

 

Mais Luchaire persévère dans sa volonté d’un rapprochement toujours plus politique et Notre Temps devient une revue inconditionnellement favorable à Hitler et à sa politique révisionniste. À son tour le réarmement allemand est justifié ! Sans doute la revue est-elle financée, de façon occulte, par Otto Abetz. Telle est au moins la conviction de Brossolette !

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