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La guerre froide - 1952 - Un espion au Vatican

Publié le par Régis Vétillard

Lancelot découvre le fonctionnement de la Secrétairerie d'État, à la tête de laquelle Pie XII, s’abstient de nommer un responsable autre que lui-même ; avec l'assistance de Mgr Domenico Tardini, qui est à la tête de la première section de la Secrétairerie d'Etat, et avec Mgr Giovanni Battista Montini ( le futur Paul VI) placé à la tête de la seconde section, avec le titre de substitut de la Secrétairerie d'État.

Pour ce qui est de la stratégie internationale, s'expriment et se concurrencent alors au sein de la Curie, une ligne résolument anticommuniste avec des cardinaux très proches du pape et une ligne plus neutraliste (autour de Mgr Montini ).

 

La guerre froide et la politique italienne, se répercutent sur le Vatican. En effet, tandis que la Démocratie Chrétienne ( DC) et le Parti Communiste ( PCI) s'affrontent lors de la campagne pour les élections municipales romaines, le 25 avril 1952, un jésuite de l’Université pontificale grégorienne, Alighiero Tondi, quitte ouvertement la Compagnie de Jésus pour rejoindre le Parti communiste italien, et annonce la révélation de prétendus secrets du Vatican.

Mgr Eugène Tisserant

 

A Rome, le personnage incontournable est le cardinal Tisserant (1884-1972), avec qui Lancelot eut déjà des contacts rapides à propos de l'Allemagne. En effet, il a participé à la réconciliation entre Paris et Bonn après la guerre, et pendant laquelle il aida à cacher au monastère de Maria Laach, Konrad Adenauer, qu'il présente au Général de Gaulle, et soutient pour en faire l'interlocuteur de la reconstruction. En septembre 1949, Adenauer occupe le poste de chancelier de la République fédérale d’Allemagne, nouvellement créée.

Le cardinal Tisserant est un contact privilégié par le gouvernement français, il va tenir un rôle important dans les relations entre l’Église et l’État. Sa priorité est le combat anticommuniste et il compte sur le courant catholique en France pour efficacement le soutenir.

 

Lancelot est mal à l'aise avec cette très forte et rude personnalité, et cela d'autant plus quand il découvre la variété du réseau d'influence mis en jeu.

Parmi les protégés de Tisserant : Claude Arnould - un ancien du 2è bureau, fondateur avec le jésuite Antoine Dieuzayde, du réseau de résistance Jade-Amicol dès 1940, et en liaison avec le MI6 britannique - s'est mis à disposition du Vatican. Ils organisent ensemble un combat contre le communisme. Ils rencontrent des personnalités comme Emile Roche ( pendant les années trente un ancien ''jeune radical '' avec Bertrand de Jouvenel et a créé avec Jean Luchaire le journal ''Notre Temps '' ) ; le secrétaire d'état Raymond Marcellin, qui, sous Vichy fut chargé de « diffuser les idées sociales de la Révolution nationale », puis participera à la résistance dans le réseau ''Alliance''.

Effectivement, nombreux sont ceux qui ont cru pouvoir faire confiance à Pétain, au début...

Mais le réseau s’élargit aussi, à des personnes comme Georges Albertini, collaborationniste, adjoint de Déat, devenu expert dans l'anti-communisme et conseiller de nombreux politiques....

Alighiero Tondi

 

Arnould et Mgr Tisserant sont convaincus qu'un informateur pour le compte des soviétiques est à l’œuvre au Vatican. En effet des prêtres envoyés clandestinement, sont arrêtés dès leur passage derrière le ''rideau de fer'' ( expression de Churchill en 1946). Un agent du contre-espionnage français, Jacques de Pressac, devient le collaborateur du cardinal et enquête sur cette affaire.

Depuis les années 30, le collège ''Russicum'' forme des missionnaires pour l'Union Soviétique. Et, précisément, après un passage par le Russicum , le jésuite Alighiero Tondi avait intégré pendant le second conflit mondial la Secrétairerie d'Etat et était devenu l'adjoint du substitut, Mgr Giovanni Batista Montini ( futur Paul VI) .

Un soir d’avril 1952, de Pressac surprend Tondi en train d’ouvrir la chambre forte de Mgr Montini.

Alighiero Tondi, en 1936, après son diplôme d'architecte était entré, à vingt-huit ans, dans la Compagnie de Jésus, et espionnait pour Moscou, via Palmiro Togliatti le Secrétaire Général du P.C italien. Le père Tondi considère que les riches possédants se servent de l'Eglise pour convaincre les démunis que leur souffrance est la volonté de Dieu. Le communisme permet de leur rendre leur dignité. Tondi reconnaît avoir dérobé des renseignements sur les prêtres préparés à être envoyés dans les pays de l'Est.

Le 25 avril, le jésuite annonce par la presse sa ''conversion'' au communisme, et son départ de l'Eglise. Il épousera la militante communiste Carmen Zanti et se fixera à Berlin-Est pour enseigner à l'université Humboldt.

Arnould après la défection de Tondi, ira jusqu'à mettre en cause Mgr Montini et obtient son départ du Vatican. Il partage à Lancelot son inquiétude du progressisme dans la presse catholique française, et aussi des mouvements d'émancipation en Afrique.

Lancelot, malgré les recommandations de beaucoup, se sent bien plus proche de Mgr Montini, plus discret, pétri de culture française et ami de Jacques Maritain, et qui échange avec beaucoup de tact et de sensibilité. Malheureusement, sa nomination à Milan ( en 1954), semble signifier la victoire des ''zelanti'' ( ''intransigeants'' en français).

 

Après la guerre, le PCF est fort de ses combats dans la résistance, fort d'un espoir pour une sociétaire plus égalitaire.

Avec Maurice Maillard, Lancelot va reconnaître à travers divers points de vue, ce qui est en train de se jouer... par exemple, le jésuite Emile Rideau ( et disciple de Teilhard de Chardin) reconnaît la ''séduction communiste '' (1946) qui s'exerce sur le chrétien, en ce qu'elle contient une promesse de salut et s'inscrit dans le sens de l'Histoire.

Joseph Robert disant la messe sur la table de la salle à manger d’une famille ouvrière avant 1955

Cependant certains, comme le père Gaston Fessard, jésuite, résistant, philosophe politique, craignent que l'avènement d'une société communiste, soit une menace pour le christianisme, et plus généralement une menace totalitaire, comme l'est le fascisme. Le père Fessard, rejette l'adage selon lequel « l’intérêt général prime l’intérêt particulier », cet intérêt général doit aussi demeurer particulier. Il tente une définition du ''bien commun '' : définition économique avec les biens publics mis en commun ; définition sociale : avec l'accès de chacun aux biens communs ; définition éthique avec la nature de la relation entre les individus de la communauté.

« Pour que puisse être comblé ce désir vivant au plus intime de chaque individu et le constituant personne, il faut que la communauté dont il est membre ne soit pas close sur elle-même et que le Bien commun qu’elle vise assure son ouverture sur l’infini vers lequel se tend la personne . » ( G Fessard : Autorité et bien commun - 1944)

A l'opposé, Jean Boulier prêtre jésuite aussi, se fait le compagnon de route des communistes. En 1948, il participe au congrès mondial des intellectuels à Wroclaw ( Pologne), et siège ensuite au conseil national du ''Mouvement de la Paix'' (1951). « Loin d’y voir une trahison, une atténuation, une dilution de ma foi, comme on m’en accuse, c’est de tout l’élan de ma foi, de ma foi catholique intégrale que je m’engage dans cette bataille, dans la lutte des classes, pour l’appeler par son nom, et que j’en souhaite la victoire ». Sanctionné par la hiérarchie, frappé d’interdit personnel en 1950, il est finalement réduit à l’état laïc en 1952.

De jeunes prêtres renouvellent le sens du mot ''mission'' et se tournent vers le monde ouvrier. Le syndicalisme est dominé par le marxisme. Le père Henri Perrin devient ouvrier à Paris. Il quitte la Compagnie de Jésus quand le Saint Office condamne en 1949, toute forme de collaboration entre chrétien et communiste.

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Le Vatican et la guerre froide 1

Publié le par Régis Vétillard

Après un long conflit historique, la France, souhaite trouver un nouvel équilibre politique avec le Vatican.

Après le départ de Schuman du ministère des affaires étrangères ( 1953), Lancelot travaille, pour le compte d'un service de renseignements qui dépend depuis 1945, directement de la présidence du Conseil, rattaché au pouvoir politique, et non militaire.

Le cabinet, lui explique le contexte de son travail, qui doit se concentrer sur le Vatican : ses contacts avec l’Église de France ; et son influence sur les conflits dans lesquels notre pays est engagé.

Pie XII

 

Quelques faits, pour montrer les répercussions de la guerre froide.

La Pravda, le 31 décembre 1944, accuse le pape de faire l' « Apologie des crimes nazis » dans son message de Noël. Un mois plus tard, c'est le nouveau patriarche orthodoxe de Moscou, Alexis, qui accuse, sur la radio publique soviétique, Pie XII de fascisme, essayant d'excuser l'Allemagne pour ses crimes. Et, en 1949, dans une conférence, le métropolite Nikolai, au nom de l'église orthodoxe russe, dénonce le pape comme « antichrétien » et « agent de l'impérialisme américain ».

En juillet 1949, Pie XII excommunie tous les membres de l'Église catholique « qui font profession de la doctrine matérialiste et antichrétienne des communistes ».

Une campagne anti-catholique cherche sans-doute à discréditer le pape, en questionnant son attitude devant le massacre des juifs. Cependant cette question est présente chez les chrétiens qui tentent de comprendre ; François Mauriac dans sa Préface au « Bréviaire de la haine » de Léon Poliakov, livre publié en 1951, écrit : « Nous surtout, catholiques français… n’avons pas eu la consolation d’entendre le successeur du Galiléen Simon Pierre condamner clairement, nettement, et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables « frères du Seigneur ».

Mais Mauriac dit ensuite: « Nul doute que l’occupant n’ait eu des moyens de pression irrésistibles et que le silence du pape et de la hiérarchie n’ait été un affreux devoir; il s’agissait d’éviter de pires malheurs. Il reste qu'un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n'ont pas crié et quelles qu'aient été les raisons de leur silence. » 

 

Depuis 1949, la CIA développe un programme d’infiltration d’agents en URSS, et collabore avec le Vatican, au travers du '' Pontificium Collegium Russicum'' qui forme des prêtres envoyés clandestinement en URSS.

La France souhaite s'y associer et ne pas laisser cette initiative aux seules mains de la CIA et du MI6.

Symétriquement, le Vatican est alerté que les Soviétiques mettent sur pied une Section spécialement chargée de la pénétration des Églises, en particulier dans les pays satellites, comme la Pologne où sévit déjà un ancien prêtre Vassili Gorelov ; mais aussi dans les pays européens.

 

Lancelot se familiarise avec les arcanes du Vatican.

Le Vatican, à propos duquel, il est nécessaire d'apporter quelques précisions.

L'institution catholique, possède un gouvernement, le Saint-Siège, qui a à sa tête le secrétaire d'état ( nommé par le pape) et constitué de la Curie ; et aussi d'un Etat indépendant, créé en 1929 ( accords du Latran, avec ) nommé la Cité du Vatican ( 44 hectares) .

A noter que les ambassadeurs sont nommés auprès du Saint-Siège et non pas auprès du Vatican ; ce qui exprime un'' respect particulier à l’égard de l’Église catholique''.

Beaucoup de congrégations, interviennent également sur le plan diplomatique, en plus du nonce apostolique.

L’ambassadeur Wladimir d'Ormesson entend également représenter l’Église de France auprès du Pape....

Cet enchevêtrement ne facilite pas la lisibilité de l'action pontificale, et ses conséquences sur la société française ; c'est une des missions de Lancelot, que de classer les informations pour établir des rapports contradictoires et argumentés auprès des ministres.

 

Lancelot observe Pie XII, Eugenio Pacelli (1876 - 1958), pape et souverain, un homme au visage émacié, au port altier et à la voix théâtrale ; il lui semble être l'objet d'un cérémonial dépassé.

1950 est '' l'Année Sainte '', promulguée tous les vingt-cinq ans. L'année jubilaire est proclamée par Pie XII à l’occasion de la définition du dogme de l’Assomption de la sainte-Vierge. Le pape s'était très senti concerné par les trois messages de Fatima, dont le dernier restait encore secret ; un proche, le Cardinal Tedeschini, témoignera en 1951 à Fatima, que Pie XII lui avait confié avoir était témoin lui-même du phénomène analogue à celui des trois jeunes enfants voyants : la vision du soleil qui dansait, à quatre reprises.

 

En ces années 50, au Vatican, on peut se demander si l'Eglise perçoit que notre civilisation s'affirme de moins en moins chrétienne, et que notre tradition politique ne peut pas comprendre ce que Pie XI, lui-même reconnaissait, le 18 septembre 1938: « S'il existe un régime totalitaire – totalitaire de fait et de droit – c'est le régime de l’Église, (…) parce que , l’homme tout entier appartient à l’Eglise  ».

Bien-sûr, on peut tenter de corriger la formule, en expliquant que le pape Pie XI (de 1922 à 1939) exprimait ainsi son opposition à l'idée politique de totalitarisme, en évoquant la seule acception du terme s'il se rapportait à la conduite des âmes par l'Eglise catholique. Et d'ailleurs, à la racine de cette affirmation, l'Eglise affirme que les ''droits fondamentaux'' sont inhérents à la ''loi naturelle'' ?

Thomas d'Aquin (1225-1274) est un religieux italien de l'ordre dominicain, célèbre pour son œuvre théologique et philosophique.

 

Qu'est-ce que la ''loi naturelle'' ? Dans la ''Somme théologique'' Thomas d'Aquin s'interroge sur ce que contient la loi naturelle, après l'avoir définie comme : « la participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable » ou rationnelle qu'est l'homme ( soumis et participant à la providence divine.. (cf .. Ia IIae, q. 91, art. 2)

Cette loi naturelle contient le précepte premier de faire le bien, et d'éviter le mal ; avec les lois de conservation de son être, de reproduction, et de vivre en raison.

 

Ainsi pour l’Église, absolutiser la race, ou la classe est un danger à l'autonomie de la personne qu'assure la loi naturelle. Et, l’Église apparaît comme la gardienne de la ''loi naturelle'' et présente une doctrine qui peut combattre la violence des idéologies totalitaires, comme les fascismes ou le communisme. Cependant, on peut regretter la prudence diplomatique du Vatican, au point que le pape Pie XI a signé pas moins d'une quinzaine d'accords ( concordats) durant son pontificat avec des régimes qu'il désapprouvait; il reconnaissait être prêt à signer avec le diable en personne, s'il s'agissait de « sauver des âmes, de prévenir de grands maux capables de les perdre... »

Après la deuxième guerre , Pie XII se dit qu'il reste un ultime combat pour sauver la civilisation chrétienne, c'est la lutte contre l'idéologie soviétique. Il appelle à un « nouvel ordre mondial, qui pour maintenir la paix, devra s'imprégner de la richesse de la civilisation chrétienne ».

Et, tournant majeur, le pape décrit « la démocratie comme la forme de gouvernement la plus compatible avec la dignité et la liberté des citoyens. ».

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