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L’Espèce humaine de Robert Antelme

Publié le par Régis Vétillard

À sa sortie, l’ouvrage d’Antelme connaît une très mauvaise réception

Le public français peut également lire les témoignage de Jean Laffitte, ou de Paul Tillard communistes, résistants, déportés. David Rousset publie L'Univers concentrationnaire, un livre qui fait découvrir la particularité des camps nazis, par la description du phénomène concentrationnaire répressif ; il obtient le prix Renaudot en 1946.

Le témoignage de Robert Antelme, L’Espèce humaine, paraît en 1947, dans une édition plutôt confidentielle. Lancelot y prête une attention particulière parce que l'auteur tente de comprendre ce qui s'est passé ; ose t-on dire, même, de formuler un sens ?

Les années 1945-46 ont vu la publication de nombreux témoignages de la guerre, dont on a du mal à discerner le réel de la part romancée : on peut relever parmi les plus lus : Mon village à l’heure allemande (1945) de Jean-Louis Bory,  Le Bouquet ( 1945) de l’écrivain Henri Calet, Pierre Laval de Michel Letan. Des ouvrages comme Passage de la ligne de Paul Rassinier, ou L’Âge de Caïn, signé Jean-Pierre Abel, vont susciter l'indignation et sont dénoncés comme de faux témoignages.

Retour des déportés

Parmi cette littérature de témoins, bien peu de récits concernent les ''persécutés ou déportés raciaux'' , bien moins que les ''internés ou déportés politiques'' ( souvent communistes) ; au point de susciter dans le public un sentiment de ''trop plein mémoriel ''.

En 1949, Les Temps Modernes ( la revue de JP Sartre) écrit, à propos de la lecture de L’Espèce humaine de Robert Antelme : « Encore un livre sur les camps de concentration ! (…) Assez de résistance, de tortures, d’atrocités, place au sourire ! ».

Personne n'a encore accepté que l'antisémitisme a donné lieu à une extermination massive des juifs. Officiellement, n'est pas mise en avant la singularité de la tragédie juive ; l'état français ne tient pas à différencier les français déportés pour raison politique ou raciale.

 

« Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont suivi notre retour, nous avons été, tous je pense, en proie à un véritable délire. Nous voulions parler, être entendus enfin. On nous dit que notre apparence physique était assez éloquente à elle seule. Mais nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle [quelle]. Et dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de poursuivre dans notre corps. Comment nous résigner à ne pas tenter d’expliquer comment nous en étions venus là ? Nous y étions encore. Et cependant c’était impossible. À peine commencions-nous à raconter, que nous suffoquions. À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable... » Robert Antelme.

 

Robert Antelme, nous raconte Dionys Mascolo, depuis son retour, «  parle continûment. Sans heurt, sans éclat, comme sous la pression d’une source constante, possédé du besoin véritablement inépuisable d’en avoir dit le plus possible avant de peut-être mourir, et la mort même n’avait manifestement plus d’importance pour lui qu’en raison de cette urgence de tout dire qu’elle imposait. Je crois que nous ne dormirons en tout pas plus de quatre ou cinq heures pendant les deux jours du retour. ». Sa difficulté ne vient pas de ce qu'il ne peut pas dire ; mais de ce qu'il ne peut pas être entendu. Antelme, craint de ne pas être cru, ou du moins compris.

« Les gens normaux ne savent pas que tout est possible » ( David Rousset, L’univers concentrationnaire )

Antelme montre ce qu'est vraiment un homme, à propos de son « copain » Jacques «  qui sait que s’il ne se démerde pas pour manger un peu plus, il va mourir avant la fin ; et qui marche déjà comme un fantôme d’os et qui effraie même les copains (parce qu’ils voient l’image de ce qu’on sera bientôt) et qui n’a jamais voulu et ne voudra jamais faire le moindre trafic avec un kapo pour bouffer  »

« Il était un saint, pour la seule et unique raison qu’il ne se battait plus pour ce petit supplément de nourriture, ce qui le condamnait à brève échéance. Le but est toujours d’obtenir plus que ce à quoi on a droit, la vie du prisonnier en dépend. » .

Dans un système totalitaire, l'individu est un élément interchangeable d'une communauté qui impose ses règles. Chacun est identique, et se confond au point de ne pas exister en lui-même.

Bien-sûr, l'humain en soi résiste. « Les SS qui nous confondent ne peuvent pas nous amener à nous confondre. (...) L'homme des camps n'est pas l'abolition des différences. Il est au contraire leur réalisation effective. »

Pour Antelme, le ''rêve SS'' était de distinguer dans l'espèce humaine des sous-espèces. Et réduire «  à l'état de rebut, tout ce qui pour le système nazi constituait une sous-humanité. ».

Les gardes du camp distribuent des coups, juste pour qu'ils n'oublient pas, qu'ils n'ont aucun droit.

Les bourreaux de Jacques, veulent en faire un ''non-humain'' ; et lui, leur dit « il y a des déchéances formelles qui n’entament aucune intégrité » ; lui leur prouve que ce qui fait l'homme c'est sa «  conscience irréductible »

Mais l'appartenance des bourreaux à la même espèce n'est pas davantage niable. Les pages les plus belles et les plus terribles du livre d'Antelme sont sans doute celles qui racontent ses derniers jours de captivité, les jours d'apocalypse où les gardiens, fuyant le camp dans une Allemagne en déroute, continuent à pousser devant eux, avec une férocité décuplée par la rage, leur troupeau d'esclaves, mais partagent avec eux la même misère, le même effroi, la même peur... Il sont des hommes eux aussi, malgré tout.

En 2004, Martin Crowley, va publier un essai sur Robert Antelme. La préface sera d'Edgar Morin, il écrira :

« ... Nos ennemis sont aussi humains. Nous pourrons traiter valablement les problèmes humains, ceux de l'oppression, de l'injustice, de l'inégalité, non pas en utilisant la violence destructrice et répressive, mais par des réformes en profondeur des relations entre les humains. Ces réformes comportent évidemment le développement de notre capacité de compréhension d'autrui, qui seule peut nous faire échapper à la barbarie du rejet, du mépris de la haine. Ici la référence à l'humanité est la référence à la complexité humaine. Hegel disait que si l'on désigne comme criminel une personne qui a commis un crime dans sa vie, on élimine injustement tous les autres traits de sa personnalité et de sa vie. Nous devons comprendre les bourreaux, les Staline, les Hitler, les Saddam, les terroristes des sectes ou d'Etat, les fanatiques hallucinés sont aussi humains, et que parmi leurs traits ignobles, ils ont aussi des caractères d'humanité. Sinon nous obéissons à la logique qui est la leur.. Il y a là une leçon capitale de complexité humaine, qui est celle de Robert Antelme.  (...) c'est une oeuvre dont la pure simplicité procède d'un sentiment profond de la complexité humaine. .. c'est un chef d'oeuvre de littérature débarrassé de toute littérature.  Effectivement, comme l'aurait dit Pascal, la vraie littérature se moque de la littérature. »  Edgar Morin.

En face de ce "rêve SS", affirme Martin Crowley, en appeler à l'humanisme classique ne suffit plus. Il faut un nouvel humanisme, qui fasse de ce ''rebut'', l'homme lui même.

Lancelot ses demande, si ce n'est pas là, une des propositions du Jésus des Evangiles ?

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1947 - Edgar Morin – Duras-Antelme-Mascolo

Publié le par Régis Vétillard

Travailler pour une ''nouvelle Allemagne'' attire de la part des connaissances de Lancelot, un même type de questions, ou de réflexions. Comment se passe la convalescence d'un pays infecté par le virus nazi et dont l'abcès vient de crever ? Aura t-elle la volonté de se débarrasser de ses vieux démons ?

Certains ont du mal à voir la trace d'une volonté de pénitence quelconque. L'humiliation actuelle peut-elle lui permettre d'apprendre les règles de la démocratie ?

On craint également que l'Espagne franquiste puisse représenter une menace, en gardant en son sein les survivances d'un nazisme.

Le jeune Edgar Morin, soutenu par le parti communiste, dans son dernier livre '' L'Allemagne, notre souci.'', et après '' L'an zéro'', ne tient pas responsable le peuple allemand ; il ne s'en prend qu'à leurs dirigeants ; et même à l'administration actuelle.

Dionys Mascolo, Duras et R Antelme

Edgar Morin, explique à Lancelot comment il a rencontré Dionys Mascolo fin 1943, avenue Trudaine, le vélo à la main. Leurs deux mouvements de résistance fusionnaient. Il avait 22 ans, Dionys 27 ans. Edgar Morin, était persuadé que l'Union soviétique sauvait le monde du nazisme ; le communisme d'après-guerre serait celui du dégel et notre libération.

« Mascolo me parlait souvent d’une certaine Mme Leroy, le pseudonyme de Marguerite Duras, qui s’occupait alors des familles arrêtées et déportées et se consacrait à la recherche éperdue de Robert Antelme, son mari »

Dionys Mascolo, connaissait M. Duras, depuis 1942. Il travaillait chez Gallimard, elle était secrétaire de la commission qui attribuait du papier aux éditeurs. En 1943, elle publie son roman Les impudents. Mariée, depuis 1939, à Robert Antelme ; ils emménagent, au 5 rue Saint-Benoît, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés de Paris.

Le mouvement de résistance, peu gaulliste, est dirigé par François Mitterrand et se réunit dans l’appartement de Duras, rue Saint-Benoît.

Le groupe tombe dans un guet-apens, Marguerite Duras réussit à s’échapper avec l’aide de Mitterrand. Le 1er juin 1944, Robert Antelme (27 ans) et sa sœur Marie-Louise sont arrêtés et emprisonnés à la prison de Fresnes. En août 1944, alors que Robert Antelme est déporté dans un camp de travaux forcés à Buchenwald, Marie-Louise est envoyée à Auschwitz où elle périt.

Lors de la retraite nazie, le 4 avril 45, 450 détenus survivants commencent leur « marche de la mort » vers le camp de Dachau, atteint 3 semaines plus tard.

Le camp est libéré par les américains, Robert Antelme est mourant, malade du typhus.

Le 30 avril, François Mitterrand en mission officielle à Dachau, est interpellé par un homme qu’il ne reconnaît pas tout de suite. Il s’agit de Robert Antelme qui ne pèse alors guère plus de 30 kg et n’a pas l’autorisation administrative de sortir du camp (placé en quarantaine). Alertés, ses amis Dionys Mascolo et Georges Beauchamp, en voiture officielle et faux papiers réussissent à le faire sortir clandestinement, caché sous une capote militaire, et à le maintenir en vie jusqu’à son retour en France et sa prise en charge médicale.

Une année est nécessaire afin qu’il puisse se rétablir complètement.

Edgar Morin, continue son récit : « Lors de l'insurrection de Paris Violette et moi avons rejoint Dionys et Marguerite Duras au siège du Petit Journal, occupé par notre mouvement. »

M Duras et R Antelme

En 1945, M. Duras fonde avec Robert Antelme, les Éditions de La Cité universelle, qui publient, en 1946, « L’An zéro de l’Allemagne » d’Edgar Morin, les œuvres de Saint-Just présentées par Dyonis Mascolo et, en 1947, « L’Espèce humaine » de Robert Antelme qui raconte son expérience quotidienne des camps, en mettant en lumière ce que la déportation a révélé en lui : « ce sentiment ultime d’appartenance à l’espèce humaine ».

Le '' groupe de la rue Saint-Benoît '' - la rue St-Benoît est une petite rue qui coupe le boulevard Saint-Germain, une rue tranquille qui part du coin du café de Flore que Marguerite fréquente beaucoup - s’élargit au contact d’intellectuels tels que Maurice Blanchot, Jean Schuster, Maurice Merleau-Ponty, Claude Roy, et surtout Edgar Morin qui convainc Mascolo, Antelme et Duras d’adhérer au parti communiste. En effet, à la Libération, beaucoup adhèrent au PCF, « amoureux de l'idée communiste » plus que de l'appareil de plus en plus stalinien.

Le trio Marguerite Duras, Robert Antelme et Dionys Mascolo est le coeur de ce groupe, qui s'élargit au gré des amitiés, tous à la recherche de la juste philosophie. On y croise donc, Sartre, Camus, Georges Friedmann, Emmanuel Mounier, Lacan, Barthes, Alain Touraine, Claude Lefort...

Marguerite divorce de Robert en 1946, alors qu'elle est déjà en couple avec Dionys. Sans rivalité entre eux, une fraternité profonde unit les deux hommes. Mascolo épouse Duras, avec qui elle a un fils, Jean.

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