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quinet

Le juif errant - Ahasvérus et Rachel -

Publié le par Perceval

Minna à Grünstadt

Edgar Quinet - 1833 -

A Heidelberg, en ce printemps 1827, Edgar Quinet rencontre Minna, il découvre la femme idéale, avec ses qualités particulières : « la sérénité, la douce et profonde paix d'une âme allemande, la fraîcheur, la sympathie, la résignation et les courage, la foi »... Il croit respirer en sa présence « le souffle même de l'Allemagne.... »... La réalité est plus tourmentée, et -en 1831 - les fiancés se séparent... Pour elle l'amour conjugal ne consiste point en un feu dévorant (Eros), mais dans le rayonnement d'une chaleur bienfaisante ( Agapé..) ; Minna cherche à préserver sa féminité, sa pudeur... Croyant le libérer, elle congédie Edgar ; mais elle se sent indissolublement liée à lui, elle l'aime dit-elle, plus qu'elle ne croit qu'il l'aime ...

Minna Quinet en 1841

Ils se réconcilient, en décembre 1833... Pourtant, Quinet s'est laissé accrocher par Miss Mary Clarke, son aînée de dix ans, sorte de pythie de salon de laquelle peut dépendre le succès social...

 

En 1834, il épouse Minna... Elle décédera en mars 1851... En 1852 à Bruxelles il se mariera avec Hermione Ghikère Asaky (1821-1900)

« C'est avec la présence de Minna que Quinet pourra atteindre sa vocation spirituelle ; Minna est la sibylle qui l'a délivré du grotesque et élevé au sublime. Elle lui a montré la vertu de la simplicité.. » C'est ce qu'en dit Willy Aeschimann, dans son ouvrage majeur sur Quinet : La pensée d'Edgar Quinet...

 

M. Chagall - Le juif errant

Dans Ahasvérus le personnage principal tombe amoureux de Rachel, jeune femme qu'il rencontre en Allemagne au cours de son éternel périple. Il ignore que Rachel, humble servante de Mob, est en vérité l'ange qui pleura au ciel lorsque le Christ lança sa malédiction contre lui.

 

Au fond d'une maison noire, à l'angle d'un carrefour, une vieille femme se chauffe dans les cendres. Près d'elle est assise une jeune fille, Rachel... La femme qui passe pour être sa mère n'est autre que Mob...

Si la politique ne vous convient plus, jetez-vous dans la religion, conseille Mob à Ahasvérus: « où la vie se passe à vivoter. »...Mais, l'Amour a éveillé en lui le désir de l'infini …

 

Chagall, - Les Amoureux -

 « (…) Mob, la vieille, c’est la matière qui a vécu autant que le Juif errant, et qui vieillira comme lui ; tous les mauvais instincts, tous les appétits déréglés, les inclinations matérielles, Mob les résume et les représente. La jeune Rachel représente le contraire : c’est la spiritualité, l’âme, le dévouement confiant, l’amour inépuisable, l’espérance céleste. Rachel est la servante de Mob, comme l’esprit est soumis à la matière, comme l’âme obéit au corps. Sans ces deux femmes, Ahasvérus n’est rien, avec elles il est tout : un mélange de foi et de doute, de résignation et de colère, d’amour et de haine ; c’est le véritable homme moderne, tel qu’une civilisation en marche a dû le constituer. » P. A. E. Girault de Saint-Fargeau (1839)

 

Ahasvérus éprouve pour Rachel de la passion : « Oui, tout est attaché pour moi à la possession de cet être délicieux ;le reste du monde est vide. Je le sais, je le connais ; les mers, les lacs, les forêts, je les ai visités ; mais il me manquait une place dans ce cœur, et c'est là qu'est l'univers ».

 

Rachel incarne le pardon qui est seul capable de racheter le Juif errant. C'est elle qui en partageant la douleur de son amant lui apporte compassion et consolation. « Le paradis, c'est toi », déclare Ahasvérus ; Rachel lui répond qu'elle l'aime autant que Dieu. Dans la femme l'homme découvre la possibilité de recréer l'unité perdue. « Tu es toute chose », dit Ahasvérus à Rachel, « et tout ce qui n'est pas toi n'est rien ».

Lors de la ''troisième journée '' Les scènes à Heidelberg – entre Rachel et Ahasvérus sont la transposition de ce qui s'est passé entre Minna ( la fiancée ) et Edgar : la mort de cet amour ; et avec Mob, la mort d'un certain esprit catholique. Ensuite, lors des scènes à Strasbourg, la cathédrale représente la mort du christianisme médiéval...

Dans la quatrième « journée », Quinet met en scène un monde qui est en train de mourir, l'amour qui tarit, représente la condition spirituelle de l'homme moderne...

Ahasvérus se rend compte que l'amour d'une femme ne lui suffît plus .. !

Finalement, il n'y aurait que Dieu qui pourrait remplir le vide infini de l'âme : « Pour me rendre le repos, c'est une religion nouvelle qu'il me faudrait, où personne n'aurait encore puisé. C'est elle que je cherche. C'est là seulement que je pourrai abreuver la soif infinie qui me dévore »

A son amant Rachel répond que c'est dans le Christ qu'ils pourront se perdre tous deux.

 

Puis, la Femme affirme que son amour est plus fort que la mort : « Avec toi », dit-elle à son amant, « sans Dieu, sans Christ, sans soleil, je te jure que je n'ai besoin de rien ».

 

Au jour du Jugement Dernier Ahasvérus refuse le repos que le Christ veut lui accorder ; il préfère, au contraire, repartir à la recherche d'un dieu inconnu...

 

A la fin de cette quatrième journée du poème, Ahasvérus et Rachel, terre et ciel, ne forment plus qu'un seul être, « archange infini », sorte d'androgyne collectif parti à la conquête de l'avenir...

Ahasvérus, homme éternel est transfiguré sous la conduite de la femme, symbole de l'esprit, de la foi, de l'espoir, selon la mystique du couple...

 

Sources : Willy Aeschimann: La pensée d'Edgar Quinet...

 

A suivre : l'histoire de Viviane, Merlin de Edgar Quinet.

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Le juif errant: Ahasvérus d'Edgar Quinet

Publié le par Perceval

Les positivistes tiennent Quinet pour un idéaliste embrumé et mystique ; et, la critique catholique fait de ce pourfendeur des jésuites, un athée … ! En fait, Quinet a une pensée religieuse libre, ennemie du cléricalisme... Il se veut le prophète d'une religion affranchie de l'intolérance et du parti-pris, qui associerait les « cultes frères...dans la Cité promise »

La Compagnie de Jésus

 

Avec Michelet, il dénonce publiquement en 1843 « l’esprit de mort » de la compagnie de Jésus et prêche pour une Révolution, faisant naître des mobilisations de leurs étudiants au Collège de France. Ils sont dès lors tous deux suspendus du Collège de France. La Révolution de 1848 leur rouvre les portes du Collège de France. Mais Edgar Quinet préfère se faire élire député de l’Ain à la Constituante, puis à la Législative. Il s’oppose aux décisions visant à protéger le pape face aux troupes patriotes de Garibaldi, et en tant que républicain, il s’exile après le coup d’Etat de Napoléon III et la proclamation du Troisième Empire le 2 décembre 1852.

Edgar Quinet (1803-1875)

Commence alors la période de l’exil en Belgique, puis en Suisse, pendant laquelle il produit alors de nombreux ouvrages politiques, critiquant l’héritage de la Révolution responsable des échecs des Ière et IIème Républiques. A la proclamation de la Troisième République, en 1870, il se fait élire représentant de Paris en février 1871. Il rédige en 1872 La République et en 1874 L’Esprit nouveau. Jusqu’à sa mort le 27 mars 1875, il s'oppose au projet de Thiers d’une « République sans républicains ».

 

Auparavant, c'est la figure du '' juif errant '' qui a retenu son attention, avec une épopée en prose '' Ahasvérus'' (1833)

« chaque lieu de la nature, chaque moment de la durée ayant son génie propre, représente la Divinité sous une face particulière ; […] il n’est pas un point égaré dans l’espace ou le temps, qui ne figure pour quelque chose dans la révélation toujours croissante de l’Éternel. […] La terre enfante véritablement son dieu dans le travail des âges. » ( E. Quinet - Du Génie des religions, 1842 )

 

Ahasvérus

Wilhelm August Lebrecht Amberg

Cette œuvre, se présente comme un « mystère » (médiéval), avec une succession de tableaux, une succession chronologique d'épisodes majeurs qui ponctuent les rapports de Dieu et des hommes. Le prologue et l'épilogue se situent hors des temps historiques, et encadrent quatre journées qui correspondent chacune à une période ou un événement clef.

 

Dans le prologue, 3500 ans après le Jugement dernier ( la fin du monde) – la création (mauvaise) a été détruite et avant d'en créer une autre..., les archanges jouent, devant Dieu et ses saints, une pièce qui représente l’histoire du monde passé.

Le héros sera le Juif Errant et, après un rappel de l’aventure humaine depuis les origines, sur l’Himalaya, on suit les pérégrinations d’Ahasvérus, condamné à ne jamais mourir...

 

La première journée «  La Création » s’étend de la Genèse à la Nativité et s’attarde longuement au début sur la relation qui unit à Dieu les êtres primitifs, monstres : dialogue de quatre monstres de l’Orient : le Serpent, Léviathan, le Poisson Macar et l’Oiseau Vinateyna ; puis, on entend le chœur des Géants et des Titans , et l’Océan qui renâcle à l’idée d’être chargé d’anéantir la terre par le déluge.

La deuxième journée, « La Passion », introduit la légende du Juif errant : Jésus gravit l'âpre sentier qui mène au Golgotha, et, chancelant sous sa croix, il implore l'assistance d'Ahascerus, qui le repousse. Le Christ le maudit, et le condamne à marcher toujours plus avant. Il commence alors son errance jusqu’à assister à l’invasion des Barbares du Nord.

<-- Chacun meurt à son tour. Et moi je vis toujours. Le Juif errant G. Doré -1862

La troisième journée, « La Mort », se déroule au Moyen-Age et confronte Ahasvérus à deux personnages féminins antithétiques : Mob, figure cynique de la mort qui raille tout amour et toute croyance, et Rachel, ange banni du Ciel pour avoir éprouvé de la compassion pour Ahasvérus : changé en femme, il est condamné à devenir sa compagne à jamais... C’est elle qui aide le Juif errant à comprendre le sens de sa mission et le prépare à affronter « le Jugement dernier ». Rachel fait monter jusqu'au ciel un cri de miséricorde... Nous sommes arrivés à la dernière limite du temps présent.

La quatrième journée, « le jugement dernier », s’ouvre sur le jugement de l’Océan et se clôt sur celui d’Ahasvérus, consacrant par cet encadrement la superposition de ces deux figures dans l’affirmation d’un perpétuel dépassement de soi.

L'amour entre Rachel et Ahasvérus, vaut au maudit son pardon, et le couple s’élance alors à la conquête d’« étoiles inconnues », symbole de l’humanité qui progresse sans fin

L’épilogue enfin annonce la mort de Dieu, et du Christ : pour donner naissance à « un nouvel Adam ».

Le juif errant traverse les mers, les rivières, les ruisseaux - G. Doré

Dans la perspective de la conversion finale de Satan, image de la fin de l’histoire, Merlin l’Enchanteur récapitulera semblablement les temps et les dieux ; à l’occasion, on rencontre même : Ossian ; Psyché converse avec le roi Artus, Merlin et la fée Viviane consolent « le bon Encelade » enseveli sous l’Etna… Avec Ahasvérus et Merlin, Quinet nous donne une sorte de mythologie de l’histoire universelle. 

A suivre : avec l'histoire d' Ahasvérus et Rachel

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Edgar Quinet - Le juif errant.

Publié le par Perceval

Edgar Quinet (1803-1875)

Les leçons d'Edgar Quinet (1803-1875) sur les jésuites, créent la polémique... Quinet pense qu'il est nécessaire de bousculer les idées reçues, ou pour le moins user de sa liberté philosophique...

Ses cours sont émaillés d'applaudissements ou d'incidents ; et Ch.-Louis de Chateauneuf est passionné par les débats suscités...

A la fin d'un cours, guettant l'instant où Monsieur Quinet serait enfin libre, Ch. Louis réussit à s'approcher et le questionner sur le texte médiéval Parzival de von Eschenbach : cela suffit à attirer son attention, et croiser le regard scrutateur du professeur. Ch-L de Chateauneuf explique sa quête, et son questionnement religieux à la lumière de la philosophie allemande. Quinet l'encourage, et lui donne des pistes d'investigations, comme Lessing ou Schelling.. ; enfin, ils se découvrent tous deux une passion pour Mme de Staël...

Monsieur le professeur Quinet, lui promet un entretien plus long et personnel ; mais il est attendu chez la duchesse d'Orléans … !

Puis, subitement ; il revient vers lui ; et lui confie : « il vous faut rencontrer Ahasvérus; lui, il devrait pouvoir vous dire bien des choses sur le Graal … Je suis très sérieux » … !

* Rencontrer Ahasvérus ! Le juif errant, rien de moins !

En 1602, un livret de colportage allemand : '' Histoire d'un juif nommé Ahasvérus'', décrit la vie d'un simple cordonnier juif qui prétend avoir assisté à la crucifixion du Christ.

Auparavant, déjà au XIIIe siècle, un moine bénédictin anglais Roger de Wendover raconte qu'un homme appelé Cartaphile, a frappé le Christ dans le dos pendant sa Passion, et Jésus lui aurait répondu: «Moi, je vais, et toi tu attendras jusqu'à ce que je revienne.». Puis, Cartaphile se fait baptiser et a prend le nom de Joseph.

Ensuite, ce personnage se rencontre dans des complaintes françaises, il est identifié comme juif, juif errant et se nomme Isaac Laquedem. Depuis l'homme marche, témoigne de la passion du Christ et appelle au repentir. Il est alors une figure édifiante, qui parle toutes les langues et prédit l'avenir, suscitant plus de sympathie que de méfiance.

 

« Un jour, passe devant sa porte un lugubre cortège : un centurion à cheval, des soldats casqués, une foule insolente, tous ont l’injure à la bouche... Ils conduisent à son dernier supplice un galiléen, un juif – qui chemine sur les routes d'Israël – et qui - dit-on - veut devenir le roi d'Israël, un opposant aux romains et aux prêtres du Temple : Jésus portant sa croix d'infamie...

Sous le poids de la poutre qui meurtrit son épaule, sanglant, épuisé, Jésus tombe, face contre terre. Isaac, comme les autres, ricane. Relevant son front couronné d’épines, le Sauveur, un instant, le regarde. Ce regard semble attendre de la compassion, un sursaut de pitié, un secours...

Mais, lui, Isaac, dur et brutal, crie – en direction de ceux qui sont les plus forts - « Ôte-toi, criminel, de devant ma maison ! Avance et marche !...

Il croit alors entendre, une voix, très douce, qui dit : « Tu marcheras toi-même - après moi - pendant plus de mille ans. Le dernier jugement, finira ton tourment. » ( adapt d'un conte d'Adjutor Rivard )

C’est, dans une même sentence, le châtiment infligé pour la faute et le pardon promis à l’expiation.

Une force irrésistible pousse soudain le misérable : il lui faut marcher, marcher sans relâche, jusqu’à la fin des temps ! Et, tandis que le cruel cortège reprend la montée du Calvaire, Isaac Laquedem, de son côté, part, en quête du pardon. »

 

Eugène Sue (1804-1857) , sous l'influence du romantisme allemand, écrit un roman intitulé Le Juif errant.

Il fait de celui-ci un champion du combat pour la justice sociale.dénonce la persécution des juifs... Il inverse le motif antisémite du complot : ceux qui incarnent le mal sont ici ceux qui accusent les juifs de la mort du Christ... A l'organisation malveillante et secrète des jésuites, s'oppose l'action du juif errant, qui comme le peuple a connu l'oppression et travaille à sa propre rédemption ..  

Ce roman feuilleton d'Eugène Sue connaît un véritable succès populaire.... Nous sommes alors en 1845...

 

* Ahasvérus que connais-tu du Graal... ?

« Plus que tu ne penses... Comme lui, je suis le témoin de la mort de Jésus... Et comme lui, je suis toujours là ; puisque je l'ai remplacé... ! »

A présent le juif errant est le chrétien par excellence ; il est une preuve ''vivante'' de sa divinité...

Comme lui, il porte les anathèmes lancés contre ; il continue de subir les persécutions... Comme lui, il va, contre l'hypocrisie religieuse, mélange de piété et d'abus de pouvoir spirituel … Le juif errant, - au cours des siècles –- dénonce : la vente d'indulgences, les supplices de l'inquisition, le culte des saints, les processions de flagellants...

 

Le juif errant, comme le Graal, « mène une existence factice avec une personnalité d'emprunt » ( Willy Aeschimann – la Pensée d'E. Quinet) … Y sont attachés, dans un parcours semé d'obstacles et de mésaventures, les thèmes littéraires du chevalier et de l'alchimiste errant : « ce sentiment de l'errance est plus que la souffrance physique et morale d'une incessante marche en avant. Il est l'indice d'une obscure frustation : la route du monde reste étrangère à la ''maison de sin âme''. » ( W. Ae.)

 

Edgar Quinet (1803-1875) : historien français, professeur au Collège de France aux côtés de Michelet, d’où ils furent tous deux exclus par Guizot en 1846 pour anticléricalisme.

Un Républicain engagé, élu député de l’Ain en 1848, réélu en 1849, proscrit après le coup d’Etat, comme Victor Hugo, et comme lui ne rentrant en France qu’une fois la République retrouvée.

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