La Quête du Graal, par A. Béguin
La maison d'édition ''Le Seuil'', menée par Paul Flamand et Jean Bardet, était le lieu où se retrouvait certains anciens de l'association ''Jeune France'' ( Lancelot y participa en 1941) et, surtout, il y régnait un esprit d'équipe intelligent et bienveillant... Maison catholique, de gauche, mais davantage éclectique.
Le Seuil, édite la revue Esprit de Mounier, qui y conduit également plusieurs collections. Louis Pauwels, vient d'y publier son roman, '' Saint Quelqu'un ''.
Lancelot profite de l’intérêt de Paul Flamand pour le rapprochement de la France avec une ''nouvelle Allemagne'' pour visiter régulièrement l'équipe du Seuil, au 27 rue Jacob, avec le prétexte de partager ses découvertes d'auteurs allemands à traduire.
Lancelot, remplit le rôle de ''médiateur'', ainsi nommé au Seuil. Il présente Joseph Rovan ( d'origine allemande), résistant, envoyé à Dachau. Il collabore déjà à Esprit, et en 1947, il traduit « La lettre sur l'humanisme » d'Heidegger.
En 1946, Albert Béguin s'installe à Paris, pour devenir le directeur littéraire des éditions du Seuil.
Depuis quelques temps, Lancelot espérait pouvoir rencontrer Albert Béguin (1901-1957), dont il connaissait son intérêt pour '' la Quête du Graal '' . De plus, il connaît bien l’Allemagne, et vient de publier un ouvrage '' Faiblesse de l'Allemagne '' déjà écrit en grande partie en 1940. Il veut rassurer quand il écrit que nous n'avons eu affaire qu'aux allemands hitlériens ; mais cependant affirme un besoin de « réhumaniser ces êtres entrés si profondément dans l’abjection... » ; croire en la ''nouvelle Allemagne'' c'est ne pas « désespérer du destin de l'Europe ». La résolution du problème allemand, écrit-il, tient aussi à la possibilité qu'a l’humanité moderne de répudier son culte de la matière, de la technique et de l’État....
Béguin offre à Lancelot, son édition de 1945 de La quête du Graal, qu'il a traduite en langue moderne, dans une collection de l’Université de Fribourg : Le Cri de la France.
Béguin explique à Lancelot comment, il a reconnu dans '' La Queste del Saint-Graal'', les éléments de sa propre biographie.
Comment cela s'est-il fait ? - Cela se fait à ce fameux point dont parle Breton « d'où la vie et la mort ne sont plus perçues contradictoirement. »
- ? Quel est ce point ? - Celui que l'on entend, quand on parle de réincarnation d'un personnage ancien, ou d'une mémoire mystérieuse... Dans cet objectif, les surréalistes testaient le pouvoir de mots lors de jeux littéraires....
Pour Albert béguin, le mythe de la Quête contribue, dit-il, à unifier sa vie. Dès seize ans, il aspire à s'engager en politique, alors que ses rencontres littéraires vont marquer sa vie : Péguy, Claudel, Gide, puis Proust. En 1934, il doit quitter l'Allemagne pour s'être opposé au nazisme. C'est dit-il le poids de la réalité, qui s'inscrit dans une quête intérieure. A vingt ans, il découvre Péguy, il est ébloui, mais n'est pas prêt à recevoir le message de la foi ; tout comme Perceval après avoir été reçu dans le château du Graal. Ce n'est qu'au terme d'un long cheminement dans une nuit magique, qu'il revient vers cette source de lumière. Pour n'avoir pu poser la question, il dut errer longtemps dans le gaste pays, avant de retrouver le haut lieu de Montsalvage.
Au retour d'un séjour en Bretagne, Béguin est reçu par Aragon, qui lui fait découvrir la forêt magique des surréalistes. Par la bouche d'André Breton, le roi Arthur annonce les grandes merveilles du Graal. Breton cherchait alors à constituer une nouvelle et intransigeante chevalerie de l'imaginaire. Si le Surréalisme lui ouvre les portes de la merveille, du rêve et du signe, la Quête de Béguin est l'aventure de l'âme plus que de l'esprit.
La seconde aventure l’entraîne sur la voie de l'âme romantique. Béguin découvre l’oeuvre de Jean-Paul, en 1930 il traduit Hespérus, puis en 1937 il publie l'âme romantique et le rêve. Pendant sept ans, il traverse la romantisme allemand comme les chevaliers de la quête traverse l'aventure s'engageant corps et âme. Tel Gauvain au château des merveilles ou Galaad au château des pucelles ; il se confronte à la Reine, car c'est au-delà et non en-deçà que le Graal dispense lumière et nourriture.
Béguin parle d'une « aventure nocturne qui n'a été qu'une sorte d'accident, et finalement une déception inavouée. » ; en effet, après la poésie allemande du XVIIIe et les surréalistes ; il trouve finalement dans le catholicisme ce qui lui a manqué : une ouverture sur le monde. En effet, il ajoute : « c'est pour avoir connu le vertige stérile d'une poésie de désincarnation que j'ai accédé à la foi chrétienne. » C'est aussi pour avoir connu la Reine de la nuit au château des Pucelles que Galaad a pu parvenir jusqu'au château de Corbénic.
Albert Béguin est baptisé le 15 novembre 1940. Pour lui, ce passage évoque celui qui permet à Perceval, sa sœur, Bohort et Galaad, de rejoindre Sarraz, avec le Graal. Traversée avec la nef, en particulier, la nef de Salomon.
- ? L'ouverture au monde ? - Je pense à Mounier avec ce mot dont il a fait la fortune : '' l'engagement ''. Il ne s'agit pas d'embrigadement, mais de présence dans l'histoire avec un choix personnel de la conscience. C'est une des questions que nous pose Mounier : la question de la présence chrétienne dans le monde, dans l'histoire...
- Advient donc ce moment, où je suis prêt à pénétrer - de nouveau et en conscience - dans le château du Roi Pécheur. Pour Béguin, ce roi, c'est Bernanos ; celui dont il sent sa capacité à l'accompagner jusque dans la mort ; au mieux à la manière de Galaad, qui se plonge dans la lumière du Graal, quitte à en mourir.
- Pourquoi avoir choisi cette version tardive de la légende du Graal ? - Parce que, peu de temps après ma conversion, c'est celle qui me concernait personnellement. Elle se situe dans la perspective mystique de Bernard de Clairvaux ; mais reste reliée à ses obscures origines celtiques.
La version de Chrétien de Troyes, me semblait n'être qu'une version de cour, destinée à divertir. Avec Robert de Boron, ce patrimoine mythique est christianisé. La version cistercienne date de 1220, et comme nous le montre Etienne Gilson, le Graal apparaît comme le symbole de la Grâce. Le récit s'enrichit de références évangéliques et prend parti dans le débat en cours, celui de la transsubstantiation. Malheureusement, il efface des épisodes plus ''magiques'', comme celui des '' trois gouttes de sang sur la neige '', ou même celui de la fantastique procession du Graal.
Pour Albert Béguin, le Graal serait plus la raison de la quête que son terme. Pour garder sa véritable dimension mythique, l'image du Graal, ne peut se réduire à une interprétation ; et la quête à un simple itinéraire. Le château du Roi Pécheur est un point de départ, tout autant que le terme.
Béghin, cite C.G. Jung : « Les grands problèmes de la vie ne sont jamais résolus définitivement. S'ils le paraissent parfois, , c’est toujours à notre détriment. Leur sens et leur but ne semblent pas résider dans leur solution, mais dans l’activité que nous dépensons inlassablement à les résoudre. Cela seul nous préserve de l’abrutissement et de la fossilisation.»
Avec le Graal, Galaad trouve en même temps l'accomplissement et la mort. Le Graal disparaît avec lui. Ce signe du Graal, que nous emportons dans la mort, est notre mystère ; il peut être ce manque primordial, ce signe dont parle l'Apocalypse (2:17) : « un caillou blanc portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit. »