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myrrha borodine lot

La Grande Guerre, Myrrha Borodine et le Graal. -2-

Publié le par Régis Vétillard

Le Conte du Graal ( Chrétien de Troyes) - La procession du Graal.

La question de la porteuse du Graal. Le vase eucharistique est entre les mains d'une « demoiselle bêle et gente et bien asesmee » ; ce qui signifierait pour les ''folkloristes'' qu'il n'est pas signe chrétien, mais celte, puisque les femmes au Moyen-âge ne pouvaient porter le ciboire...

La réponse de Myrrha, est que tout, ici, est symbole ; et la porteuse du Graal est ici la « figure » de l'Église. Figure fréquente « d'une femme belle et d'allure noble, parfois couronnée, parfois nimbée seulement, personnifiant la Nouvelle Loi, en opposition à l'ancienne, à la Synagogue aux yeux bandés »...

Nous avons plusieurs exemples de cette représentation dans nos églises...

 

Pour ce qui est du Graal, le chrétien y voit ce qu'il contient : l'Hostie ou le Christ de la Présence réelle, et la Lumière qui en émane, manifeste la divinité...

- Et, le Graal chez Chrétien est-il saint en lui-même ou seulement à cause de son contenu?

Pour le chrétien, il s'agit d'un objet rituel, ''sacralisé'' lorsqu'il est en service ; mais ce n'est pas un objet ''magique'' en soi... Robert de Boron, en fait une ''relique'', puisque le Christ y mangea, et Joseph d'Arimathie y recueillit le sang des plaies du Christ...

Le Graal étant le ciboire, le tailloir doit-être la patène, sur laquelle s'effectue la fraction de l'hostie, au moment de la préparation des espèces. Le Graal ne contient que l'Hostie seule... La Lance, qui représente le principe de permanence, saigne perpétuellement et elle ouvre la marche au Château du mystère eucharistique.

Nous sommes à l'époque de l'apparition d'un nouveau culte : l'élévation-adoration de l'Hostie ; dévotion spécifiquement occidentale née au milieu du XIIè siècle, devenant plus tard l'Ostension, ce qui fut l'origine de la future Fête-Dieu.

Le cortège du Graal, offre un signe '' la Lance qui saigne'' ; et qui nous renvoie à la relique de la célèbre Lance d'Antioche rapportée en France dès la première Croisade.

La Lance, saigne, pleure le sacrifice et représente la Source du fleuve de rédemption qui va laver le monde : elle désigne le Baptême et l'Eucharistie.

Pour Myrrha, se noue une longue chaîne de symboles de l'arbre de vie du jardin d'Eden à l'arbre de la Croix ; et c'est toujours le double registre de l'intelligible et du sensible où s'épanouit le symbolisme originel singulièrement apte à saisir les rapports secrets des valeurs.

« Le fruit qu'Adam n'a pas goûté (celui de l'Arbre de Vie) a préfiguré le Corps du Seigneur qui aujourd'hui est posé sur votre langue et dans votre coeur» hymne de communion d'une liturgie jacobite syrienne...

C'est la même Lance qui tue et qui rend la vie, blesse, guérit et sauve...

 

N'oublions pas Perceval, malheureux spectateur d'une scène qu'il ne comprend pas...

 

Dans le Conte du Graal, Perceval, jeune homme impatient quitte brutalement sa mère, la Veuve-dame... A un jet de pierre, il se retourne et voit derrière lui sa mère qui vient de choir « pâmée » à l'entrée du pont-levis : elle gît là comme morte. « D'un coup de baguette, Perceval cingle son cheval sur la croupe : la bête bondit et l'emporte à grande allure parmi la forêt ténébreuse»... Le souvenir de ce corps inanimé va l’accompagner, et le culpabiliser...

Je ne reviens pas ici, sur tous les épisodes du conte, mais me questionne avec la lecture qu'en fait Myrrha, sur son aventure au Château du Graal.

Perceval se tait, alors qu'il ne manque pas de curiosité, il brûle du désir de connaître et d'interroger sur l'énigme du Cortège... Il se tait, parce que le prud'homme, Gornement de Gorre lui a enjoint de se méfier de parler : « Ne parlez pas trop volontiers. Qui parle trop prononce des mots qui lui sont tournés à folie. Qui trop parle fait un péché, dit le sage. »

D'ailleurs, comment pourrait-il savoir qu'il existe un lien entre ce défilé auquel l'assistance ne prête pas la moindre attention, et l'infirmité, si discrètement avouée, de l'hôte royal qui préside le magnifique festin

 

Ce qui hante Perceval, c'est sa mère, sa chute et ce qu'elle est devenue...

« Sans cesse il fait prière à Dieu, le Père Souverain, Lui demandant, s'Il le veut bien, de trouver sa mère en bonne vie et en santé. ». Il priait toujours quand, descendant d'une colline, il parvient à une rivière. L'eau en est rapide et profonde. Il n'ose s'y aventurer. "Seigneur, s'écrie-t-il, si je pouvais passer cette eau, je crois que je retrouverais ma mère si elle est encore en ce monde! »

 

Après sa visite ''manquée'' au château sa cousine inconnue, lui annonce à l'improviste la cruelle nouvelle : sa mère est morte de douleur « au chief du pont » où il l'avait vue tomber, où il l'avait abandonnée. Mort, qui de fait est la cause profonde de sa mésaventure au Château... Et c'est à présent, que le mystère lui est révélé, tout au moins en partie...

II lui fallait poser la double question libératrice, - pour le Graal, «.cui an an sert», et – pour la Lance, pourquoi saigne-t-elle ?

Son échec est lié à son « péché » … Péché ne signifiant pas une faute liée à la morale, mais à la culpabilité d'un acte ''existentiel'' qui n'était pas juste...

 

A présent... Le passé est bien mort pour lui. A nouveau il s'engage, plus seul que jamais, sans but devant lui, dans la Gaste forêt aventureuse. La rémission, la rédemption est par là...

 

Puis, un épisode que j'aime bien …. Celui des '' trois gouttes de sang sur la neige fraîchement tombée ''… Il voit le visage de la bien-aimée. Rêverie profonde, véritable extase à rapprocher de l'état de transe quasi mystique de Lancelot, dans La Charrette, à la vue subite de la reine Guenièvre, prisonnière de Méléagant, à la fenêtre de sa tour. Le même Lancelot - cette fois dans la Queste - se retrouve dans un état semblable, plus profond encore, lors de son unique vision du Graal.

 

Pour Perceval, c'est le retour prochain à Dieu et à l'Église, avec la rencontre d'un groupe de nobles pénitents, hommes et femmes, tous pieds nus. « Un des chevaliers, surpris péniblement par l'attitude de défi du chevalier, aborde l'impie qui n'a même pas désarmé « au grand jour où Jésus-Christ est mort pour nous»; et il lui parle gravement, rappelant en termes émus ce que fut, ce qu'est la Passion rédemptrice. Perceval l'écoute avec une attention passionnée, intense. A coup sûr, c'est la catéchèse la plus complète qu'il ait entendue de sa vie. L'effet en est instantané, foudroyant : « Et cil qui avoit nul espans/de jor ne d'ore ne de tans/tant avoit an son euer ennui » revient à lui subitement. C'est son chemin de Damas, c'est l'éblouissement de la Grâce. Et les larmes du repentir jaillissent, tombent en rosée sur ce cœur endurci et aride.

 

Perceval rejoint au plus vite un ermite ; et après deux jours de jeûne, ordonné comme pénitence, et de recueillement auprès de cet oncle-ermite, qui révèle à Perceval une partie du mystère eucharistique dont il fut l'aveugle témoin, le chrétien réconcilié communie - très probablement la première fois de sa vie - au matin de la Résurrection pascale.

L'exhortation du saint vieillard tient en trois mots : « Dieu croi, Dieu aime, Dieu adore » Puis, c'est l'oraison que l'ermite souffle à l'oreille à Perceval, si elle est de l'ordre du mystère, elle n'a rien à voir avec de « segretes paroles » du ''Joseph'' que doivent se transmettre les gardiens du Graal.

Ici, l'oraison a un caractère personnel intime : prière secrète d'intervention ou de secours immédiat d'une âme en péril : L'initiation propre, la voilà; c'est la Grâce renversant le dernier obstacle à sa libre expansion, ouvrant la vie et rendant la pleine liberté au vouloir humain.

 

De toute évidence, le premier en date des héros du Graal, Perceval, présente - face à Gauvain, incarnation du chevalier « terrien » - le type même de l'homme providentiel qui, à travers le sombre passage («Perceval»), poursuit seul la route de la souffrance purificatrice. Pour cette raison, il atteindra le but lointain, achèvera un jour ici-bas sa mission.

Sources : ( Le Conte del Graal de Chrétien de Troyes et sa présentation symbolique, par Myrrha Lot-Borodine)

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La Grande Guerre, Myrrha Borodine et le Graal. -1-

Publié le par Régis Vétillard

Le père Degoué, simple abbé de Mayenne, représente ces amateurs anonymes qui après 1900, collectent par voie orale, littéraire ou souvent par les archives paroissiales, des témoignages sur les légendes locales... On les nomme ''folkloristes''; ils font partie de sociétés savantes et sont amenés à élargir leur recherche en empiétant sur l'Histoire...

Parallèlement et sans contact avec les précédents, l’université a développé avec prestige une discipline comme l'Histoire : discipline chargée d'un discours unificateur et moral sur le passé national ; lourde responsabilité en ces temps de conflit...

 

1914 : les historiens s'engagent à faire connaître les actuels ''crimes allemands'' en Belgique et dans le nord de la France... Ils se chargent d'expliquer comment les allemands se sont exclus de la civilisation et sont retournés à l'état de barbarie morale... Nous sommes dans la lignée d’Ernest Lavisse et d’Émile Durkheim...

Les historiens ''médiévistes'' ont dans le sein de la faculté une place d'excellence ; « ils apparaissent comme les détenteurs d’un savoir sur les origines de la nation qu’il faut désormais exhumer, approfondir et transmettre » ( Agnès Graceffa - Université de Lille  )..

 

La mobilisation, bien sûr, touche de façon importante les jeunes étudiants et chercheurs médiévistes.. En 1915, aucune thèse n’est soutenue à l’École des Chartes. Alors que le nombre moyen, avant-guerre, atteint presque la vingtaine, deux seules le sont en 1916. Les femmes sont devenues majoritaires, parmi les diplômés... Ferdinand Lot continue ses cours, même s'il est contraint parfois de les annuler faute d'auditeurs...

Ferdinand Lot (1866–1952) est un médiéviste de renommée internationale, chartiste, professeur à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) et en Sorbonne (1909), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1924).

F. Lot est qualifié de non-conformiste... Il partage avec les étudiants les résultats de son travail, et réalise avec eux un authentique enseignement de recherches. Ouvert d'esprit, le maître ne craint pas de s'engager... A côté de ses recherches historiques, il publie dans les annales de Bretagne et consacre des études approfondies à la littérature arthurienne et à la question du Graal.

Pendant ces années, il travaille en collaboration avec son épouse à un ouvrage important sur le Lancelot-Graal, qui paraîtra en 1918...

En 1909, Ferdinand Lot a épousé une jeune fille née à Saint-Pétersbourg 27 ans plus tôt : Myrrha Borodine. Venue en France pour préparer une thèse sous la direction de Joseph Bédier, elle devient une spécialiste de la littérature courtoise du Moyen Age.

Le couple va beaucoup recevoir en leur domicile - 53 rue Boucicaut, à Fontenay-aux-Roses - en particulier bien-sûr des membres de la communauté russe ; mais aussi des étudiants, des amis... Et en cette fin d'année 1914, Ferdinand Lot et sa femme vont participer à la création d'une institution créée en janvier 1915 pour accueillir les réfugiés du nord de la France et de Belgique. Situé à quelques mètres de son domicile, le Refuge Franco-Belge fonctionnera jusqu'en 1919.

Des réfugiés belges à Paris en 1914

 

En effet, fuyant l'avance allemande, 1/5 de la population belge (entre 1.300.000 et 1.500.000 personnes) va trouver refuge à l’étranger.

Anne-Laure est au courant de l'engagement de son amie Edith Wharton, l'écrivaine met à profit sa fortune pour aider les réfugiés à Paris...

Est-ce par le biais du refuge franco-belge directement, ou par l'intermédiaire d'une prise de contact du père Degoué, avec F. Lot sur le ''Lancelot''... ? Anne-Laure de Sallembier va recevoir à Fléchigné plusieurs familles belges, qui permettront d'ailleurs de continuer les travaux de la ferme, malgré l'absence des mobilisés...

Également, la région ouvre plusieurs hôpitaux de réserve, et beaucoup de femmes viendront y donner un coup de main, jour et nuit...

 

Savoir qu'un professeur d'université, un érudit, comme M. Ferdinand Lot s'intéresse à la Légende arthurienne, permet d'expliquer que la question n'est pas seulement d'ordre folklorique... D'ailleurs c'est naturellement que l'importance du Graal va être comprise et étudiée sur le niveau spirituel par la femme du professeur F. Lot, Myrrha, de confession orthodoxe.

En 1909, année de son mariage, elle suit les cours de Joseph Bédier et travaille une thèse sur La femme dans l’œuvre de Chrétien de Troyes. Pendant la guerre, elle collabore aux Etudes sur le Lancelot en prose, qui sera publié par F. Lot en 1918...

La rencontre de l'abbé Degoué avec Myrrha Lot-Borodine (1882-1954), va être décisive pour la suite de notre Quête...

 

Myrrha Borodine, née à Saint-Pétersbourg est issue d'une famille russe intellectuelle. Elle s'intéresse à la littérature courtoise du Moyen-âge. Avec son mari, elle entre dans le ''Cycle Arthurien'', puis dans la « haute aventure » du Graal, et se voue à ce type d'études.

Avec Etienne Gilson, elle approfondit la mystique cistercienne et l'apport de Saint Bernard.

Gilson reprend la spiritualité de Bernard, et parle de l'Amour du Bien qui subsiste en nous malgré le ''péché'' ; bien sûr l'amour est d'abord imparfait, en particulier avant de connaître Dieu – Bernard de Clairvaux (1090–1153) identifie, « aimer » Dieu, à « penser » Dieu ... Cet apprentissage à connaître Dieu, conduit Myrrha à décrire un processus de restauration, qui prend en compte que l'homme est fait à « l'image et ressemblance » de Dieu ; l'humain est appelé à une « divinisation »...

Myrrha retrouve symboliquement cette quête du Divin, dans le ''service d'amour '' courtois de la Dame... La Quête revient à chercher le secret de l'Amour ; et au Moyen-âge – et c'est très important - le signe ou symbole est réalité substantielle...

La table d'argent sur laquelle est posée le Saint Graal, est le symbole de la liturgie eucharistique

 

- Myrrha, comment en êtes-vous arrivée à La Quête... ?

- Il y eut pour moi le Moyen-âge énorme et magnifique: le roman courtois qui passionna ma jeunesse. Ensuite à l'âge de la maturité, l 'épopée mystique du Graal, quête des suprêmes valeurs par l'âme médiévales. Puis les études sur la spiritualité gréco-orientale s’imposèrent à moi durant de longues années. 

- Vous êtiez croyante... ?

- J'avais abandonné longtemps avant mon mariage toute pratique religieuse dans mon Eglise-mère

Mais, la Quête, m'amène à chercher et préciser les éléments fondateurs de la foi chrétienne.

- Quel élément, par exemple, vous permet de joindre le Graal à la foi chrétienne ?

- et bien … La Theosis chez les Pères grecs... C'est à dire cet appel de l'homme à rechercher le divin : on peut le nommer divinisation ou déification...

Recherche signifie aussi erreurs... Les leçons d'Etienne Gilson ou de Paul Alphandéry (1875-1932, historien et spécialiste du christianisme médiéval ) m'ont questionnée sur les dérives, les erreurs qui peuvent facilement se propager dans une religion

( sources : Ma mère, Myrrha Lot-Borodine. De Marianne Mahn-Lot )

 

Myrrha Borodine, sans rejeter l'apport celtique, fait du Graal un élément chrétien. Pour elle, les valeurs propres des deux civilisation sont foncièrement dissemblables ; et c'est le fond de l'argumentation de ses critiques folkloristes...

Il s'agit donc pour Myrrha de découvrir le sens d'une œuvre portant l'empreinte du génie médiéval fécondé par l'Église...

Pour cela, il faut tenter de comprendre la nature particulière du symbolisme au moyen âge, qu'elle rapproche à quelque chose que l'on connaît aujourd’hui : la spiritualité liée à patristique de l'Orient chrétien...

Le ''signe qui s'offre aux sens '' est une réalité substantielle exprimant l'essence même de la chose représentée. Le signe opère ce qu'il est, ou, le signe réalise ce qu'il symbolise... La réalité spirituelle se substitue au signe ; c'est ce qui s'exprime dans la transsubstantiation...

 

Un tel symbolisme, ne peut pas s'imposer, il nécessite de la part de celui ou celle qui veut en faire l’expérience, une libre création et nécessite « l'approfondissement des plans successifs sur lesquels il se projette tour à tour déclenchant le mouvement des « similitudes et senefiances », si chères aux auteurs des diverses versions de la Légende du Graal... » Aussi, faut-il admettre un symbolisme à plusieurs dimensions, qui monte de l'image au conceptuel et finit par embrasser la totalité des phénomènes s'offrant à un œil intérieur.

Toutes ces ''figures'' qui nuancent les vérités, tissent la Légende du Graal...

Légende, qui fait revivre le Mythe chrétien « par une méthode d'introspection intuitive (Einfühlung) adhérant au sujet en pleine et compréhensive sympathie. » Par exemple, nous pouvons dire que ce paysage est triste, au lieu de dire qu'il nous rend triste... ''Einfühlung'', introduit en philosophie en 1873, vient des romantiques allemands ( Robert Vischer (1847-1933), Theodor Lipps ); on le retrouve également dans l'empathie....

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