La guerre froide - 1952 - Un espion au Vatican
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Lancelot découvre le fonctionnement de la Secrétairerie d'État, à la tête de laquelle Pie XII, s’abstient de nommer un responsable autre que lui-même ; avec l'assistance de Mgr Domenico Tardini, qui est à la tête de la première section de la Secrétairerie d'Etat, et avec Mgr Giovanni Battista Montini ( le futur Paul VI) placé à la tête de la seconde section, avec le titre de substitut de la Secrétairerie d'État.
Pour ce qui est de la stratégie internationale, s'expriment et se concurrencent alors au sein de la Curie, une ligne résolument anticommuniste avec des cardinaux très proches du pape et une ligne plus neutraliste (autour de Mgr Montini ).
La guerre froide et la politique italienne, se répercutent sur le Vatican. En effet, tandis que la Démocratie Chrétienne ( DC) et le Parti Communiste ( PCI) s'affrontent lors de la campagne pour les élections municipales romaines, le 25 avril 1952, un jésuite de l’Université pontificale grégorienne, Alighiero Tondi, quitte ouvertement la Compagnie de Jésus pour rejoindre le Parti communiste italien, et annonce la révélation de prétendus secrets du Vatican.
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A Rome, le personnage incontournable est le cardinal Tisserant (1884-1972), avec qui Lancelot eut déjà des contacts rapides à propos de l'Allemagne. En effet, il a participé à la réconciliation entre Paris et Bonn après la guerre, et pendant laquelle il aida à cacher au monastère de Maria Laach, Konrad Adenauer, qu'il présente au Général de Gaulle, et soutient pour en faire l'interlocuteur de la reconstruction. En septembre 1949, Adenauer occupe le poste de chancelier de la République fédérale d’Allemagne, nouvellement créée.
Le cardinal Tisserant est un contact privilégié par le gouvernement français, il va tenir un rôle important dans les relations entre l’Église et l’État. Sa priorité est le combat anticommuniste et il compte sur le courant catholique en France pour efficacement le soutenir.
Lancelot est mal à l'aise avec cette très forte et rude personnalité, et cela d'autant plus quand il découvre la variété du réseau d'influence mis en jeu.
Parmi les protégés de Tisserant : Claude Arnould - un ancien du 2è bureau, fondateur avec le jésuite Antoine Dieuzayde, du réseau de résistance Jade-Amicol dès 1940, et en liaison avec le MI6 britannique - s'est mis à disposition du Vatican. Ils organisent ensemble un combat contre le communisme. Ils rencontrent des personnalités comme Emile Roche ( pendant les années trente un ancien ''jeune radical '' avec Bertrand de Jouvenel et a créé avec Jean Luchaire le journal ''Notre Temps '' ) ; le secrétaire d'état Raymond Marcellin, qui, sous Vichy fut chargé de « diffuser les idées sociales de la Révolution nationale », puis participera à la résistance dans le réseau ''Alliance''.
Effectivement, nombreux sont ceux qui ont cru pouvoir faire confiance à Pétain, au début...
Mais le réseau s’élargit aussi, à des personnes comme Georges Albertini, collaborationniste, adjoint de Déat, devenu expert dans l'anti-communisme et conseiller de nombreux politiques....
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Arnould et Mgr Tisserant sont convaincus qu'un informateur pour le compte des soviétiques est à l’œuvre au Vatican. En effet des prêtres envoyés clandestinement, sont arrêtés dès leur passage derrière le ''rideau de fer'' ( expression de Churchill en 1946). Un agent du contre-espionnage français, Jacques de Pressac, devient le collaborateur du cardinal et enquête sur cette affaire.
Depuis les années 30, le collège ''Russicum'' forme des missionnaires pour l'Union Soviétique. Et, précisément, après un passage par le Russicum , le jésuite Alighiero Tondi avait intégré pendant le second conflit mondial la Secrétairerie d'Etat et était devenu l'adjoint du substitut, Mgr Giovanni Batista Montini ( futur Paul VI) .
Un soir d’avril 1952, de Pressac surprend Tondi en train d’ouvrir la chambre forte de Mgr Montini.
Alighiero Tondi, en 1936, après son diplôme d'architecte était entré, à vingt-huit ans, dans la Compagnie de Jésus, et espionnait pour Moscou, via Palmiro Togliatti le Secrétaire Général du P.C italien. Le père Tondi considère que les riches possédants se servent de l'Eglise pour convaincre les démunis que leur souffrance est la volonté de Dieu. Le communisme permet de leur rendre leur dignité. Tondi reconnaît avoir dérobé des renseignements sur les prêtres préparés à être envoyés dans les pays de l'Est.
Le 25 avril, le jésuite annonce par la presse sa ''conversion'' au communisme, et son départ de l'Eglise. Il épousera la militante communiste Carmen Zanti et se fixera à Berlin-Est pour enseigner à l'université Humboldt.
Arnould après la défection de Tondi, ira jusqu'à mettre en cause Mgr Montini et obtient son départ du Vatican. Il partage à Lancelot son inquiétude du progressisme dans la presse catholique française, et aussi des mouvements d'émancipation en Afrique.
Lancelot, malgré les recommandations de beaucoup, se sent bien plus proche de Mgr Montini, plus discret, pétri de culture française et ami de Jacques Maritain, et qui échange avec beaucoup de tact et de sensibilité. Malheureusement, sa nomination à Milan ( en 1954), semble signifier la victoire des ''zelanti'' ( ''intransigeants'' en français).
Après la guerre, le PCF est fort de ses combats dans la résistance, fort d'un espoir pour une sociétaire plus égalitaire.
Avec Maurice Maillard, Lancelot va reconnaître à travers divers points de vue, ce qui est en train de se jouer... par exemple, le jésuite Emile Rideau ( et disciple de Teilhard de Chardin) reconnaît la ''séduction communiste '' (1946) qui s'exerce sur le chrétien, en ce qu'elle contient une promesse de salut et s'inscrit dans le sens de l'Histoire.
![]() Joseph Robert disant la messe sur la table de la salle à manger d’une famille ouvrière avant 1955 |
Cependant certains, comme le père Gaston Fessard, jésuite, résistant, philosophe politique, craignent que l'avènement d'une société communiste, soit une menace pour le christianisme, et plus généralement une menace totalitaire, comme l'est le fascisme. Le père Fessard, rejette l'adage selon lequel « l’intérêt général prime l’intérêt particulier », cet intérêt général doit aussi demeurer particulier. Il tente une définition du ''bien commun '' : définition économique avec les biens publics mis en commun ; définition sociale : avec l'accès de chacun aux biens communs ; définition éthique avec la nature de la relation entre les individus de la communauté.
« Pour que puisse être comblé ce désir vivant au plus intime de chaque individu et le constituant personne, il faut que la communauté dont il est membre ne soit pas close sur elle-même et que le Bien commun qu’elle vise assure son ouverture sur l’infini vers lequel se tend la personne . » ( G Fessard : Autorité et bien commun - 1944)
A l'opposé, Jean Boulier prêtre jésuite aussi, se fait le compagnon de route des communistes. En 1948, il participe au congrès mondial des intellectuels à Wroclaw ( Pologne), et siège ensuite au conseil national du ''Mouvement de la Paix'' (1951). « Loin d’y voir une trahison, une atténuation, une dilution de ma foi, comme on m’en accuse, c’est de tout l’élan de ma foi, de ma foi catholique intégrale que je m’engage dans cette bataille, dans la lutte des classes, pour l’appeler par son nom, et que j’en souhaite la victoire ». Sanctionné par la hiérarchie, frappé d’interdit personnel en 1950, il est finalement réduit à l’état laïc en 1952.
De jeunes prêtres renouvellent le sens du mot ''mission'' et se tournent vers le monde ouvrier. Le syndicalisme est dominé par le marxisme. Le père Henri Perrin devient ouvrier à Paris. Il quitte la Compagnie de Jésus quand le Saint Office condamne en 1949, toute forme de collaboration entre chrétien et communiste.
1951... - L'Ecole privée ( '' libre '')
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Rappel sur la IVe République (1946-1958): Une coalition : SFIO (socialistes), MRP (chrétiens-démocrates) et Radicaux, doit faire face à l'opposition du PC (communistes) et du RPF ( le Rassemblement du peuple français, créé par le général de Gaulle, en avril 1947). « Tous les cabinets comprennent grossièrement un tiers de MRP, un tiers de socialistes et un tiers de radicaux et de modérés. Le président du conseil est interchangeable qu’il soit Socialiste (Ramadier), MRP (Schuman, Bidault), Radical (Queuille, André Marie) ou UDSR (Pleven) » ( UDSR = Union démocratique et socialiste de la Résistance (avec Mitterand) )
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Pour Lancelot, l'actualité est chargée depuis quelque temps d'un débat sur ''l'aide à l'enseignement libre'' . En effet, en août 1951, la question pouvait mettre en danger le cabinet Pleven ; on s'inquiète et Lancelot est chargé de mesurer le poids de l'opinion catholique.
L'augmentation de la population scolaire exige des mesures urgentes. Et, on ne peut pas répondre à l'obligation scolaire sans l'enseignement privé.
Avant guerre on comptait à peu près 600.000 naissances dans l'année ; ces dernières années nous en sommes autour de 850.000 par an. En 1952, 858.000 enfants recevaient leur instruction primaire à l'école privée( plus de 4 millions dans l'école laïque) et 350.000 faisaient leurs études dans les collèges catholiques ( 450.000 dans le public). Les éducateurs catholiques font donc œuvre de service public.
Les catholiques se plaignent de payer deux fois pour l'éducation de leurs enfants, une fois comme contribuable et la seconde en subventionnant directement leur école. Ils souhaiteraient que l’État finance écoles publiques et écoles libres en proportion de leurs effectifs. Ce financement par l’État a été refusé pendant toute la Troisième République. Il n'a trouvé un accueil favorable que sous le régime de Vichy.
Que ce soit les organisations laïques, les évêques de France, le MRP ( dominante catholique...), tous veulent sauvegarder la '' paix scolaire'' ; mais y a t-il une paix sans justice ? La paix existe t-elle sans la liberté ?
Politiquement, si le camp de l'école libre s'oppose au camp laïque, Radicaux et MRP peuvent se diviser, le RPF peut s'abstenir et une grève des instituteurs n'est pas exclue. A l'ouest du pays en particulier, on ne craint pas de répondre par la grève de l’impôt, et tout ceci à la veille de la campagne pour les législatives de juin 1951.
Lancelot note que l'Assemblée des cardinaux et des évêques de France, est divisée, sur la question de l'action pratique et politique et souhaitent la dissocier des ''principes doctrinaux''...
Que craignent les partisans de la laïcité ? - Beaucoup d'entre eux pensent que l'Eglise a partie liée avec les forces conservatrices de la société, avec des connaissances du domaine de la croyance, alors que l'Ecole doit rester dans le domaine de la raison. Ils relèvent, également, que ce serait encourager toutes les autres confessions à réclamer leurs écoles ; et en Algérie par exemple, empêcher le rapprochement des divers éléments de la population.
Les évêques de France parlent de violation de la justice scolaire, puisqu'elle concerne la liberté de l'enseignement religieux. D'autre part, l'Etat peut très bien être laïque et permettre un enseignement chrétien : il suffit que son enseignement à lui demeure laïc, c'est à dire au-dessus des divergences confessionnelles.
Le contexte des élections législatives de Juin 1951, est lié aux soucis de pouvoir d'achat et d’inflation, à la question scolaire, et bien sûr à la guerre d’Indochine fortement contestée par le PCF. La ''Troisième force'' ( alliance de: la SFIO, les modérés, le MRP, le Parti radical et l'UDSR.) reste majoritaire 50,9%, le RPF a 21,7% et le PCF, 25,9%.
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Le gouvernement ( Pleven) ne propose pour le moment que d'octroyer aux élèves des écoles privées le bénéfice des bourses d’enseignement... Les opposants répondent que ce serait tout de même une façon de subventionner ces écoles...
Une majorité au sein de l'Assemblée nationale semble exister en faveur du soutien des écoles libres.
Finalement, les lois scolaires dites « loi Marie » et « loi Barangé », sont votées le 21 et le 28 septembre 1951. Elles accordent une modeste aide à l’enseignement privé.
La loi Marie admet les élèves des établissements privés au bénéfice des bourses de l'Etat et la loi Barangé octroie une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l'école primaire publique ou privée. Pour les élèves de l'enseignement public, l'allocation est versée à la Caisse départementale scolaire, gérée par le Conseil général, lequel assure la répartition des fonds.
Le Vatican et la guerre froide 1
Après un long conflit historique, la France, souhaite trouver un nouvel équilibre politique avec le Vatican.
Après le départ de Schuman du ministère des affaires étrangères ( 1953), Lancelot travaille, pour le compte d'un service de renseignements qui dépend depuis 1945, directement de la présidence du Conseil, rattaché au pouvoir politique, et non militaire.
Le cabinet, lui explique le contexte de son travail, qui doit se concentrer sur le Vatican : ses contacts avec l’Église de France ; et son influence sur les conflits dans lesquels notre pays est engagé.
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Quelques faits, pour montrer les répercussions de la guerre froide.
La Pravda, le 31 décembre 1944, accuse le pape de faire l' « Apologie des crimes nazis » dans son message de Noël. Un mois plus tard, c'est le nouveau patriarche orthodoxe de Moscou, Alexis, qui accuse, sur la radio publique soviétique, Pie XII de fascisme, essayant d'excuser l'Allemagne pour ses crimes. Et, en 1949, dans une conférence, le métropolite Nikolai, au nom de l'église orthodoxe russe, dénonce le pape comme « antichrétien » et « agent de l'impérialisme américain ».
En juillet 1949, Pie XII excommunie tous les membres de l'Église catholique « qui font profession de la doctrine matérialiste et antichrétienne des communistes ».
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Une campagne anti-catholique cherche sans-doute à discréditer le pape, en questionnant son attitude devant le massacre des juifs. Cependant cette question est présente chez les chrétiens qui tentent de comprendre ; François Mauriac dans sa Préface au « Bréviaire de la haine » de Léon Poliakov, livre publié en 1951, écrit : « Nous surtout, catholiques français… n’avons pas eu la consolation d’entendre le successeur du Galiléen Simon Pierre condamner clairement, nettement, et non par des allusions diplomatiques, la mise en croix de ces innombrables « frères du Seigneur ».
Mais Mauriac dit ensuite: « Nul doute que l’occupant n’ait eu des moyens de pression irrésistibles et que le silence du pape et de la hiérarchie n’ait été un affreux devoir; il s’agissait d’éviter de pires malheurs. Il reste qu'un crime de cette envergure retombe pour une part non médiocre sur tous les témoins qui n'ont pas crié et quelles qu'aient été les raisons de leur silence. »
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Depuis 1949, la CIA développe un programme d’infiltration d’agents en URSS, et collabore avec le Vatican, au travers du '' Pontificium Collegium Russicum'' qui forme des prêtres envoyés clandestinement en URSS.
La France souhaite s'y associer et ne pas laisser cette initiative aux seules mains de la CIA et du MI6.
Symétriquement, le Vatican est alerté que les Soviétiques mettent sur pied une Section spécialement chargée de la pénétration des Églises, en particulier dans les pays satellites, comme la Pologne où sévit déjà un ancien prêtre Vassili Gorelov ; mais aussi dans les pays européens.
Lancelot se familiarise avec les arcanes du Vatican.
Le Vatican, à propos duquel, il est nécessaire d'apporter quelques précisions.
L'institution catholique, possède un gouvernement, le Saint-Siège, qui a à sa tête le secrétaire d'état ( nommé par le pape) et constitué de la Curie ; et aussi d'un Etat indépendant, créé en 1929 ( accords du Latran, avec ) nommé la Cité du Vatican ( 44 hectares) .
A noter que les ambassadeurs sont nommés auprès du Saint-Siège et non pas auprès du Vatican ; ce qui exprime un'' respect particulier à l’égard de l’Église catholique''.
Beaucoup de congrégations, interviennent également sur le plan diplomatique, en plus du nonce apostolique.
L’ambassadeur Wladimir d'Ormesson entend également représenter l’Église de France auprès du Pape....
Cet enchevêtrement ne facilite pas la lisibilité de l'action pontificale, et ses conséquences sur la société française ; c'est une des missions de Lancelot, que de classer les informations pour établir des rapports contradictoires et argumentés auprès des ministres.
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Lancelot observe Pie XII, Eugenio Pacelli (1876 - 1958), pape et souverain, un homme au visage émacié, au port altier et à la voix théâtrale ; il lui semble être l'objet d'un cérémonial dépassé.
1950 est '' l'Année Sainte '', promulguée tous les vingt-cinq ans. L'année jubilaire est proclamée par Pie XII à l’occasion de la définition du dogme de l’Assomption de la sainte-Vierge. Le pape s'était très senti concerné par les trois messages de Fatima, dont le dernier restait encore secret ; un proche, le Cardinal Tedeschini, témoignera en 1951 à Fatima, que Pie XII lui avait confié avoir était témoin lui-même du phénomène analogue à celui des trois jeunes enfants voyants : la vision du soleil qui dansait, à quatre reprises.
En ces années 50, au Vatican, on peut se demander si l'Eglise perçoit que notre civilisation s'affirme de moins en moins chrétienne, et que notre tradition politique ne peut pas comprendre ce que Pie XI, lui-même reconnaissait, le 18 septembre 1938: « S'il existe un régime totalitaire – totalitaire de fait et de droit – c'est le régime de l’Église, (…) parce que , l’homme tout entier appartient à l’Eglise ».
Bien-sûr, on peut tenter de corriger la formule, en expliquant que le pape Pie XI (de 1922 à 1939) exprimait ainsi son opposition à l'idée politique de totalitarisme, en évoquant la seule acception du terme s'il se rapportait à la conduite des âmes par l'Eglise catholique. Et d'ailleurs, à la racine de cette affirmation, l'Eglise affirme que les ''droits fondamentaux'' sont inhérents à la ''loi naturelle'' ?
Thomas d'Aquin (1225-1274) est un religieux italien de l'ordre dominicain, célèbre pour son œuvre théologique et philosophique. |
Qu'est-ce que la ''loi naturelle'' ? Dans la ''Somme théologique'' Thomas d'Aquin s'interroge sur ce que contient la loi naturelle, après l'avoir définie comme : « la participation de la loi éternelle dans la créature raisonnable » ou rationnelle qu'est l'homme ( soumis et participant à la providence divine.. (cf .. Ia IIae, q. 91, art. 2)
Cette loi naturelle contient le précepte premier de faire le bien, et d'éviter le mal ; avec les lois de conservation de son être, de reproduction, et de vivre en raison.
Ainsi pour l’Église, absolutiser la race, ou la classe est un danger à l'autonomie de la personne qu'assure la loi naturelle. Et, l’Église apparaît comme la gardienne de la ''loi naturelle'' et présente une doctrine qui peut combattre la violence des idéologies totalitaires, comme les fascismes ou le communisme. Cependant, on peut regretter la prudence diplomatique du Vatican, au point que le pape Pie XI a signé pas moins d'une quinzaine d'accords ( concordats) durant son pontificat avec des régimes qu'il désapprouvait; il reconnaissait être prêt à signer avec le diable en personne, s'il s'agissait de « sauver des âmes, de prévenir de grands maux capables de les perdre... »
Après la deuxième guerre , Pie XII se dit qu'il reste un ultime combat pour sauver la civilisation chrétienne, c'est la lutte contre l'idéologie soviétique. Il appelle à un « nouvel ordre mondial, qui pour maintenir la paix, devra s'imprégner de la richesse de la civilisation chrétienne ».
Et, tournant majeur, le pape décrit « la démocratie comme la forme de gouvernement la plus compatible avec la dignité et la liberté des citoyens. ».
Années 50 – Un parti chrétien a t-il du sens ?
Lancelot a accepté l'opportunité de loger au Séminaire français de Rome, comme Maurice Maillard. Cela lui donne l'occasion de rencontres intéressantes.
L'ambassade au Vatican, est occupée par le comte Wladimir d’Ormesson ( oncle de l'écrivain et journaliste Jean d’Ormesson.) de 1948 à 1956, après l'avoir été par le philosophe Jacques Maritain.
De la fin de la guerre à 1968, Joseph Delos dominicain, à Rome, est le conseiller ecclésiastique de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège.
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Lancelot sera en contact régulier avec le père Delos très soucieux des liens entre l’Eglise de Rome et les catholiques de France. Le dominicain est un spécialiste de droit international, professeur la Faculté libre de droit de Lille de 1924 à 1940.
Il développe une thèse intéressante sur la distinction entre l'Etat et la Nation. L'un est une organisation politique, la seconde est une communauté culturelle.
Il est intéressant, de lire dans les contacts de Lancelot avec le père Delos, des développements sur un programme politique. Ainsi, cette proposition d'un état fédéral afin d'associer les diverses minorités nationales, basée sur le '' Bien Commun'' notion avancée par Thomas d'Aquin ( reprise d'Aristote), qui se formaliserait dans les institutions.
Si la politique internationale se fonde sur les nations, elle peut être « définitivement, complètement perturbée et menacée par le nationalisme » ; la nation n'étant qu'un prétexte au totalitarisme. Les nations – selon le principe thomiste de la « sociabilité naturelle » entre les hommes – doivent être protégées et régulées, afin d'établir entre elles des relations de « libre commerce ». Le ''commerce '' comprend les échanges économiques, culturels et de solidarité. Ceci, serait la base « d’une communauté internationale, protectrice de la civilisation, et du développement humain »
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Lancelot et le père Maillard discutent de la question, en politique : un parti chrétien a t-il du sens ?
- Effectivement, Maritain, parle de ''nouvelle chrétienté''
- Un concept critiqué par Mounier, rappelle Lancelot, il relevait l'illusion d'une '' domination parfaite de la société par l’organisme chrétien '' ( conférence de 1949 : '' Foi chrétienne et civilisation ''). Il ne s'agit pas aux chrétiens de reconquérir mais de témoigner... Mounier ( mort en mars 1950) récusait l'idée que l'on puisse se dire « monarchiste parce que chrétien » ou « de gauche parce que chrétien ».
- Il y a chez le chrétien, cette image du ''Royaume'' : il n'est pas la fin de l'histoire, il a déjà commencé en nous, puis par nous...
- Lancelot reprend aussi cet optimisme teilhardien du sens de l'histoire. Et dans ce sens, Mounier, pense que l’histoire et les civilisations sont « dans notre condition, des médiations nécessaires ».
- L’Église, travaille à l’avènement du Royaume. Mounier ajoute aussi, que la société ne doit pas rejeter, exclure ce qu'il nomme le ''surnaturel'' : L’ouverture au surnaturel « est la condition radicale de la sauvegarde des personnes et, par elles, de la civilisation tout entière »
En France, même, on s'interroge sur l'opportunité d'un parti '' Démocratie Chrétienne'' ( D.C.). Seulement, les français peuvent-ils accepter qu'un parti politique puisse s'affirmer lié à une Église ?
- Le MRP, le Mouvement républicain populaire créé en 1944, se situe dans cette tradition du catholicisme social, et renvoie dos à dos le libéralisme et le socialisme. Toujours cette recherche d'une ''troisième voie'', qui semble se pervertir devant la réalité de l'économie.
Hors de France, la D.C. ne veut pas être le ''bras politique'' des Eglises ; elle peut soutenir d'ailleurs, la séparation de l’Etat et de l’Eglise ; tout en reconnaissant partager les même valeurs.
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- Qu'elles sont-elles ?
- La liberté, la justice et la solidarité ; basées sur une conception chrétienne de l'homme, ''personnaliste'', c'est à dire reconnaissant dans chaque humain la dignité inaliénable de l'être, unique, perfectible ( pour exprimer l'avènement d'un homme nouveau). Ces valeurs, aujourd'hui, ne peuvent développer que dans une démocratie, qui promeut une économie sociale de marché ( selon la doctrine sociale des Églises chrétiennes) et un état protecteur.
Dans l’éthique sociale chrétienne une notion est primordiale : la subsidiarité. Du latin 'subsidium' qui signifie, recours, appui ; ainsi l'Etat ne rentre en jeu que lorsque les plus petites unités n’arrivent plus à mener une vie autonome et responsable. Ce qui se traduit par la préférence d'une décentralisation administrative assez poussée.
Ensuite, certains thèmes sont privilégiés : - la primauté de la famille comme cellule de base de la société et premier lieu d'éducation, de responsabilité et de solidarité. - Un souci de l'environnement, très bien représenté par le mouvement scout, prisé dans ces années 50.
Pourtant, l’Église elle-même, a du mal à se réformer. Elle semble figée par la peur du modernisme et par la crainte d’une recherche intellectuelle qui ne conduirait qu'à l'éloignement de la foi. Un enseignement classique, fondé sur le thomisme traditionnel, s'oppose à l’approfondissent des grandes philosophies contemporaines.
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Pour les conservateurs, un parti catholique devrait être le parti - en conformité avec les enseignements pontificaux - qui réagit au libéralisme accusé de désorganiser la société, et au socialisme qui la trompe.
Un parti catholique se confondrait donc avec le conservatisme ; il serait le garant de la survivance du passé dans un monde qui change et de plus, assurerait la sécurité de la patrie.
Ce parti serait celui de tous les chrétiens qui souhaitent mieux défendre l’Eglise dans une société libérale, contre le communisme.
Lancelot et Maurice, s'accordent à constater que la société se modernise et se déchristianise. Le Vatican, dans sa tour d'ivoire, ne voit pas la crise arriver, avec la baisse des vocations et des laïcs en mal de pouvoir se situer.
Des prêtres dénoncent l'écart entre la vie catholique et le monde ouvrier. La Mission de France, voulue par le cardinal Suhard ( archevêque de Paris) a donné naissance entre 1943 et 1947, aux ''prêtres-ouvriers''. Ils vont apporter la contradiction dans l'Eglise ; contradiction entre un ordre social chrétien et conservateur, opposé à la modernité et un catholicisme social progressiste fondé sur la JOC, et - il est vrai - proche du PC parfois.
1953 - Le parti communiste et les Rosenberg.
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Le 19 juin 1953, un homme et son épouse se sont succédé sur la chaise électrique, dans l'état de New-York, le couple Rosenberg.
Ils avaient été arrêtés au cours de l'été 1950, et jugés coupable le 5 avril 1951. Ils auraient divulgué à l'URSS, les secrets de la bombe atomique.
On n'a pas manqué de s'interroger, quand quatre années seulement après les Etats-Unis, le 29 août 1949, l'Union soviétique procédait à son tour à l'essai d'une bombe de 22 kilotonnes sur le territoire du Kazakhstan, à la puissance à peu près comparable à celle utilisée par les Américains à Nagasaki en août 1945.
Le PC est le fer de lance du combat contre la condamnation du couple Rosenberg.
Pour Geneviève, Julius et Ethel Rosenberg « ont été les victimes innocentes, d'une machination policière montée par le FBI et le gouvernement américain en vue d'intimider le mouvement progressiste. » ( Le Monde, Déc 1952)
Un ancien du service des écoutes et du décryptage des SR devenu le SDECE en 45; ne craint pas de dévoiler à Lancelot, que dès 1943, nous savions qu'un programme américain de contre-espionnage visant à décrypter les communications avec les soviétiques, avait pris de l’ampleur avec la guerre froide. Il contribuait à découvrir les espions soviétiques parmi des scientifiques américains.
![]() « Attention, l’Amérique a la rage (…) » Jean-Paul Sartre (« Les animaux malades de la rage », Libération, 22 juin 1953
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Cependant, Lancelot doute du bien fondé de cette exécution ; cette décision judiciaire n'a t-elle pas été dicté par des considérations politiques ?
On mentionne que les accusés étaient communistes. Pour certains, puisqu'ils sont juifs, le tribunal est soupçonné d'antisémitisme...
Lancelot, comme beaucoup qui pensaient les Rosenberg, coupables ; comptaient sur la grâce du président Eisenhower. Le Monde écrivait le 11 décembre 1952 : « Aucune condamnation à mort n’a jusqu’à présent été prononcée aux États-Unis pour crime d’espionnage, même en temps de guerre. ».
L'ambassadeur américain en France, est incité à soumettre un rapport qui insiste sur le piège d'une manipulation communiste, et la sévérité de la peine serait en défaveur de l'image de l'Amérique.
Par deux fois - fin décembre et le 13 février - Pie XII intervient en faveur des époux Rosenberg.
Albert Béguin, Jean-Marie Domenach, François Mauriac, Jean-Paul Sartre, Raymond Queneau, Gaston Gallimard, Jean Cocteau, Albert Camus, Jacques Prévert, Marguerite Duras, Michel Leiris, Gérard Philippe... s'associent aux communistes, pour demander la grâce.
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Que fait-on à l'Est ? - Lancelot, rappelle que lors du procès Slansky (Nov 1952), à Prague, onze dirigeants de Tchécoslovaquie ont été exécutés, dont huit étaient juifs.
L’exécution des Rosenberg, permet en outre, d'occulter les événements du 17 juin 1953 à Berlin Est. Au cours desquels, les communistes écrasent une révolte ouvrière, présentée comme l’œuvre de provocateurs fascistes...
Lancelot interroge à la revue Esprit, Jean-Marie Domenach, sur ce que lui inspire cette affaire : - Les américains, lui répond-il, comparent les Rosenberg – qui ne pèse pas lourd – à tous ceux qui meurent en Corée. Pour nous européens, avec le risque de guerre, ce couple devient les premiers qui pourraient mourir de la bombe atomique. « Nous nous imaginions que si leur vie était sauvée, celle de millions pourrait être sauvée du même coup. ». Nous voyons, nous, dans l'exécution du couple, « l'image d'une terreur mondiale et y avons opposé une incroyable mobilisation de la pitié. » ( Esprit, juil 53).
Aujourd'hui, nous savons que Julius Rosenberg était réellement coupable de trahison. Les plus hautes instances américaines le savaient sans vouloir le révéler ; les preuves de culpabilité, ayant été apporté par la cryptographie entrepris lors du projet Verona ( archives ouvertes en 1995).
Paul Ricoeur
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Paul Ricoeur (1913-2005) a commencé sa collaboration avec la revue Esprit en 1946. Après-guerre il va accompagner tous les engagements de la revue, notamment celui de l'anti-colonialisme.
Lancelot, sans le connaître personnellement, apprécie toutes ses interventions. Pour cela de nombreuses occasions sont produites par les groupes ''Esprit'', lors de congrès, de cessions, ou pour des textes de travail...
Ricoeur, philosophe et enseignant à l'Université de Strasbourg, apporte la rigueur de l'universitaire. C'est un éducateur. Lancelot se souvient de son intervention ''La parole est mon royaume'' reprise dans la revue en 1955. Ricoeur confiait que chaque année, il se donnait l'objectif de lire l’œuvre complète d'un grand philosophe.
Lancelot utilise, les propositions de Ricoeur, pour enrichir ses réflexions et ses discussions avec le père Maillard, en particulier:
Paul Ricoeur va s'élever contre cette ''facilité'' que nous avons de décider qu'il existe, d’un côté, le « monde libre » et, d’un autre côté, le « monde totalitaire » ; et que nous n'avons d'autre choix, que de décider de quel côté nous sommes...
Il s'inscrit dans cette recherche ''personnaliste'' d'une troisième voie, et nous interroge : ne pourrait-on pas conserver, « du libéralisme politique, le respect de l’autonomie de la personne humaine, et du communisme, l’idéal d’une communauté égale et fraternelle. » ?
- Sauf que la société soviétique, n'est pas une communauté égale et fraternelle !
- Je suis d'accord ; et de même : « Comment nos plus justes plaidoyers pour les plus légitimes libertés seraient-ils entendus quand nous appelons “homme libre” le pauvre planteur du Guatemala ou le chômeur des bidonvilles nord-africains ? ».
Acceptons, avec le marxisme, de nous situer au niveau idéologique ; avant de revenir à la pratique quotidienne, et donc aux faits..
- Ne peut-on pas échapper au pouvoir de l'idéologie... ?
- Pour un communiste, tout développement intellectuel est idéologique... A contrario, penses-tu que l'idéologie pourrait n'être que systématiquement mauvaise... ?
Pourrait-on se passer de théories pour penser le monde et agir sur lui ? L'idéologie – à la différence de la religion, peut-être – propose un destin collectif, et non un salut individuel.
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Chacun a son analyse du bon fonctionnement d'une société.
Nous ne partons pas de rien, nous participons déjà à une certaine vie sociale. Si on étudie les faits socioculturels, Claude Levi-Strauss, affirme mettre en évidence une ''structure symbolique '', qui permet de comprendre “l’esprit humain”, car elle est le produit d’une “fonction symbolique”, commune à tous les hommes.
Cette '' fonction symbolique '' est tout simplement la capacité d’avoir des représentations mentales. Elle permet à tout individu d’habiter pleinement son humanité en transcendant la matérialité de son existence et en s’affranchissant du déterminisme de l’instinct. L'intérêt de mettre en valeur cette fonction permet de comprendre comment nous mettons du sens sur le monde, comment nous le vivons et comment nous communiquons à son sujet...
Paul Ricoeur reprend le concept de fonction symbolique comme une fonction de l’imagination qui permet de donner un sens à l’expérience humaine.
L'idéologie, nous dit-il, est cet ensemble cohérent « de médiations symboliques (mythes, légendes, récits historiques, valeurs structurantes…) par lesquelles se structure la réalité sociale et politique. »
« Si l’on n’accorde pas que la vie sociale a une structure symbolique, il n’y a aucun moyen de comprendre comment nous vivons, faisons des choses et projetons ces activités dans des idées, pas le moyen de comprendre comment la réalité peut devenir une idée ou comment la vie réelle peut produire des illusions ; elles ne seront toutes que des événements mystiques et incompréhensibles. » ( P. Ricœur, L’idéologie et l’utopie )
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Le marxisme se méfie d'une idéologie qui serait une forme de ''fausse conscience'' qui cacherait la réalité, comme par exemple la domination de classe, l'exploitation sous l'apparence des institutions.
Le marxisme prétend accéder à une réalité cachée derrière les apparences. Cette réalité est considérée comme la véritable nature des choses et est souvent appelée la '' réalité à nu ''.
Un exemple de la «réalité à nu» pourrait être la relation entre les travailleurs et les propriétaires des moyens de production. Selon le marxisme, cette relation est cachée par les phénomènes qui sont visibles à la surface de la société, tels que les relations salariales et les contrats de travail. La «réalité à nu» est que les travailleurs sont exploités par les propriétaires des moyens de production qui tirent profit du travail des travailleurs.
Pourtant, Ricoeur, critique cette prétention à « accéder à une '' réalité à nu '', à une pure praxis désymbolisée.. » et le concept de ''fausse conscience'' du marxisme. Il affirme que la conscience n’est jamais complètement fausse ou vraie. Selon Ricoeur, la conscience est toujours en mouvement et est influencée par des facteurs tels que l’expérience personnelle et les relations sociales.
Toutefois, il est vrai que l'idéologie est souvent présentée de manière négative, parce qu'opposée au réel. L'idéologie peut amener à distordre le réel.
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Marxiste ou libéral, nous devrions parler d'un système, qui aurait fait la preuve de la démocratie, et de la justice... Mais, entre communisme et capitalisme, existe-t-il ?
Ricoeur imagine un régime basé sur « les principes du libéralisme politique au cœur même de l’État planificateur »
Le piège du marxisme, et de sa notion de classes sociales, et de classe dominante, c'est de rester fasciné par le problème de la ''domination''.
Et en premier lieu, se demande Lancelot, peut-être celle de la domination de l'homme sur la nature...
Un deuxième piège est celui de s'ériger en science... Nous avons vu précédemment le problème que pose la ''science prolétarienne''. !
1952 - Credo quia absurdum
Dans son groupe ''Esprit'' Lancelot porte le débat sur le pouvoir de l'idéologie, au point d'amener le condamné d'un procès stalinien à consentir à faire des ''aveux''. Certes ces aveux, sont à priori obtenus - comme le dénonce Koestler - '' par des semaines de tortures physiques et morales."... Mais certain n'excluent pas l'idée que le condamné n'abandonnant pas sa foi communiste, se sacrifierait, au profit de la vérité du parti omniscient, outil essentiel à la victoire contre le capitalisme...
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Bien-sûr, Geneviève et Dominique Desanti ne veulent pas croire, les accusations de torture ; pour elles, le traître avoue devant un réquisitoire objectif, et pour soulager sa conscience.
Un peu plus tard, c'est Edgar Morin, qui revient sur le paradoxe de l'autocritique, outil disciplinaire chez les communistes.
Un bon communiste, d'autant plus s'il est cadre, « s’incline lorsque le Parti exige son autocritique. ».
Edgar Morin, explique, ce qu'il appelle son credo '' quia absurdum ''communiste, par cette formule : « on a raison, d’avoir tort avec le parti ; et on a tort, d’avoir raison contre le parti. ».
Tertullien (IIe s.), à qui on doit cette formule : « Credo quia absurdum » ( “Je crois parce que c’est absurde” ) voulait signifier que la foi n'était pas de l'ordre de la preuve et qu'il fallait bien le ''croire'' puisque ce n'était pas raisonnable ( ou absurde).
Pour ce qui est de la Foi religieuse, Lancelot répond que cette formule lui paraît paradoxale et inopérante, car elle dissocie foi et raison ; alors qu'elles sont intimement liées dans la théologie chrétienne.
Albert Camus aurait repris le ''credo quia absurdum'' ; en y reconnaissant le désir humain de donner un sens à ce qui est absurde... Alors « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » (…) « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. De même, l’homme absurde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles. » ( Camus, '' Le mythe de Sisyphe '' 1942)
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Peut-être, des intellectuels communistes, ont pu ainsi adopter une attitude de foi aveugle envers le Parti et l’URSS, même face aux absurdités et aux horreurs du régime.
Plus généralement, Pour Camus, qui est athée, l’absurde, c’est la confrontation entre le désir humain d’ordre et de cohérence et le caractère irrationnel du monde. Pour Sartre, l’absurde, c’est avant tout la « contingence » de l’être-en-soi, l’injustifiabilité des objets du monde. La condition humaine apparaît également comme absurde dans la mesure où l’homme ne peut devenir le fondement objectif de sa propre existence, ne peut être à la fois « en-soi » et « pour-soi ».
Comment expliquer cette erreur de ''sens'' ?
Geneviève répond : « Toi, tu es chrétien, tu ne ressens pas l'absurdité du monde ; ta foi consiste aussi à te persuader d'un sens à l’aventure humaine ; alors que devant tes yeux, le capitalisme écrase la majorité de l'humanité, au profit d'une minorité capitaliste. »
C'est vrai, l'anti-communisme n'est pas une position évidente ; il ne s'agit pas de nier l'exploitation de l'homme par l'homme ; mais de s'opposer à un totalitarisme. Il est difficile de s'opposer au parti des ''100.000 fusillés'' et à une grande partie des intellectuels qui vénère le marxisme, comme étant la « philosophie indépassable » ( Sartre).
En 1950, Emmanuel Mounier - lui-même - avait craint que l'anti-communisme soit une « force de guerre, une reprise du fascisme.. » ( Esprit, février 1950). Jean-Paul Sartre le condamne fermement : « Un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais. (J.-P. Sartre, Situations IV )
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Et, d’autres intellectuels, comme Raymond Aron, Jean-François Revel ou Claude Lefort, vont reprocher à Sartre son aveuglement face aux crimes du stalinisme et son mépris pour les libertés individuelles.
Egalement, Camus dénonce, chez Sartre, la justification de la violence révolutionnaire, et l'accuse de sacrifier les valeurs humanistes au nom d’un idéal abstrait.
Mauriac, dans Le Figaro le 26 novembre 1952, exprime sa stupeur et son horreur face au procès Slánský, qu’il a qualifié de « sinistre farce » et de « spectacle abominable ».
A l'opposé de l'engagement de Geneviève, Lancelot rejette l'idée qu'un ''socialisme d'état '' - comme celui de l'URSS - puisse être une garantie de paix.
Même si la guerre de Corée alimentée par ce contexte de guerre froide fait craindre une troisième guerre mondiale ; ce Mouvement de la Paix, Lancelot en est convaincu, n'est qu'un élément de la stratégie de politique extérieure soviétique.
Une science prolétarienne
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Geneviève par l'intermédiaire de son intérêt pour les sciences, se rapproche d'Eugénie Cotton, la présidente d’honneur de l'UFF qui vient de recevoir le prix Staline pour la Paix. Eugénie Cotton (1881-1967) est une scientifique française, physicienne et directrice de l’École normale supérieure de jeunes filles
Elle a publié plusieurs articles et contribué à la compréhension du paramagnétisme et à son application à la chimie analytique.
Geneviève est très fière de fréquenter quelques férus de science matérialiste ; certains lui auraient ''ouvert les yeux'', notamment, sur la Relativité et Einstein que personne n'ose critiquer.
Ainsi, Geneviève soutient à Lancelot que la Relativité avait été abordé avant Einstein, que c’est Lorentz qui l’a créée, et Poincaré qui l’a complétée et généralisée. Lancelot veut bien l'envisager ainsi, pour un début de réflexion ; mais - répond Lancelot - c'est quand même Einstein qui a éliminé l'hypothèse de l'éther, et affirmé que la vitesse de la lumière était constante, indépendamment de la vitesse de la source ou de l'observateur ! Et, surtout : c'est Einstein qui a généralisé sa théorie pour inclure une nouvelle proposition d'explication de la gravitation...
Geneviève répond que les deux hypothèses de la constance de la vitesse de la lumière, et aussi de l’équivalence entre la masse et l’énergie, sont arbitraires et sans fondement. Elles conduisent à des résultats absurdes et incompatibles avec les faits observés.
Lancelot s'étonne de ce genre de propos ; mais Geneviève insiste et prétend qu'Einstein n'a fait qu'obscurcir et déformer, ce que l'on avait découvert avant lui.
- L'Amérique veut nous faire croire qu'il s'agit là d'une révolution scientifique, « alors qu’il ne s’agit que d’une régression idéologique. Einstein a servi les intérêts de la bourgeoisie capitaliste, qui cherchait à discréditer la science classique et à imposer sa vision du monde. »
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C'est ainsi, que la notion de ''science prolétarienne'' vient s'affronter à ce qu'elle nomme la ''science bourgeoise''
Étonnamment, Frédéric Joliot-Curie, lui-même, défend le concept dans la revue “Les Lettres françaises” en 1948.
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« La science prolétarienne est une science qui se développe dans les pays socialistes, sous la direction du Parti communiste. Elle est fondée sur le matérialisme dialectique et historique, qui est la philosophie du marxisme-léninisme. Elle vise à découvrir les lois de la nature et à les utiliser pour transformer le monde en fonction des besoins du peuple et du progrès social. »
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« La science prolétarienne est une science qui se distingue de la science bourgeoise par son contenu, sa méthode et son but. La science bourgeoise est une science qui reflète les intérêts de la classe dominante, qui s’appuie sur des dogmes et des préjugés, qui s’isole de la réalité concrète et qui sert à justifier l’exploitation et la guerre. La science prolétarienne est une science qui reflète les intérêts de la classe ouvrière, qui s’appuie sur l’expérience et la pratique, qui s’intègre à la réalité concrète et qui sert à libérer l’humanité de l’oppression et de la misère. »
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« La science prolétarienne est une science qui se manifeste par des résultats concrets et révolutionnaires dans tous les domaines. Elle a permis à l’URSS de réaliser des exploits sans précédent dans l’industrie, l’agriculture, la médecine, la culture, la défense nationale et la conquête spatiale. Elle a permis aux pays socialistes de se développer rapidement et harmonieusement, en assurant le bien-être matériel et moral du peuple. Elle a permis aux pays coloniaux et semi-coloniaux de se libérer du joug impérialiste et de s’engager sur la voie du socialisme. »
Lancelot s’interroge : comment une vision politique peut-elle influer sur la science et ses découvertes, ou inversement ?
-La science communiste, qui s'affirme progressiste et matérialiste, s'enracine dans les enseignements de Mitchourine, qui soutenait lui-même : « C'est uniquement sur la base de la doctrine de Marx, d'Engels, de Lénine et de Staline qu'on peut réorganiser entièrement la science. »
La science bourgeoise, idéaliste et mystique, fondée par des biologistes réactionnaires , défendrait donc la « théorie de la mutation », et serait l’ennemie de toute la pensée rationnelle.
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Geneviève prend un exemple : la génétique. La science soviétique a bâti ses succès sur la théorie de Ivan Mitchourine, selon laquelle l’environnement peut modifier l’hérédité des organismes vivants. Aujourd'hui Trofim Lyssenko (1898-1976) enseigne, sur cette base l'idée selon laquelle les caractéristiques acquises par les plantes et les animaux peuvent être transmises à leur descendance.
La science bourgeoise, ne reconnaît toujours pas - appuyée sur Mendel, un religieux autrichien, et Morgan, un scientifique américain, opposée en cela aux '' lois de la dialectique '' - l'influence fondamentale du milieu extérieur... !
* Je note que Gregor Mendel (1822-1884), moine tchèque, découvre les prémices de la génétique et propose le concept de gène. Ces notions vont être reprises au début du XXe siècle, et Thomas Morgan (1866-1945), généticien américain, montre que les gènes sont localisés sur les chromosomes, structures présentes dans le noyau des cellules, mais dont on ne connaît pas encore nature chimique.
Lancelot ne connaît pas assez le sujet ; cependant, il s'est renseigné et fait part du scepticisme de la plupart des scientifiques et dénoncent même l'erreur de propositions comme, celle de dire qu'une espèce pouvait être transformée en une autre (par exemple, l’orge en seigle) ; et que l’obtention de caractères voulus pour un organisme provenait non pas de la sélection naturelle (une imposture bourgeoise), mais de la coopération entre individus. A croire que les plantes, pouvaient subir une '' rééducation socialiste '' et devaient être plantées en groupes pour que les éléments faibles puissent se sacrifier pour les forts... !
Bien-sûr, il n'est pas absurde de penser que l'environnement influence les informations héréditaires des organismes... Que la génétique n'est pas aussi déterministe qu'elle semble l'être...
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En 1950, le manifeste du PCF affirme donc qu’il y a maintenant une science bourgeoise et une science prolétarienne, et que la science « est aussi affaire de lutte de classes, affaire du parti ».
Geneviève insiste encore et valorise la cohérence d'un intellectuel, un scientifique qui adhère au communisme et le fait, par la même rationalité qui le conduit dans ses recherches.
1952 - Les Communistes et la Paix
Dans un premier temps, parrainé par Robert Schuman très lié à l'Eglise, Lancelot travaille au Ministère des Affaires étrangères, en relation avec le Vatican, et au plus près du cabinet du ministre pour l'informer.
Robert Schuman ( 1886-1963) ministre pendant la Quatrième République, notamment aux Affaires étrangères, puis président du Conseil des ministres à deux reprises Il est considéré comme l'un des pères fondateurs de la construction européenne. |
Schuman est ministre des Affaires étrangères de 1948 à 1952; et doit son départ à la question coloniale alors qu'il est soupçonné de céder sur le démembrement de l'Empire ( nos colonies), au profit de la construction européenne.
Maurice Maillard est un prêtre jésuite qui a été autorisé par le provincial d'accompagner Lancelot dans sa mission ''politique''. De plus, le prêtre donne régulièrement des cours sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat en France, aux étudiants de l' Académie pontificale ecclésiastique, institution fondée par Clément XI en 1701 ayant pour but de former le corps diplomatique du Saint-Siège.
Le père Maillard permit à Lancelot de s'initier au fonctionnement du Vatican, et très vite une véritable amitié va naître entre les deux hommes, fruit sans doute des longs voyages qu'ils firent ensemble sur le ''Rome-express'', qui leur permettait de partir de Paris en soirée et d'arriver avant la fin de matinée à Rome.
Lancelot, en particulier, va pour la première fois peut-être, interroger son questionnement sur une tradition religieuse qui l'habite, et à laquelle il tient ; mais finalement envers laquelle il n'est pas engagé; c'est ce que lui fait remarquer Maurice, plus âgé de quelques années.
La pratique religieuse de Lancelot, est étroitement liée aux événements qui l'obligent d'être présent dans une église. La raison de sa présence à ces cérémonies, relève plus de l'aspect social traditionnel, que de la spiritualité. Elle émerge cependant lors d'une plage silencieuse ou musicale, et au cours de ces instants où les yeux parcourent la beauté des lieux, environnée d'encens et d'une vague psalmodie latine, et rappelle un mystère qui dépasse de beaucoup la raison de sa présence.
Finalement, quelle différence entre une tenue en Loge, et une messe ; sinon que la première, en plus petit comité, satisfait mieux la raison et la fraternité; et que l'autre, marque culturelle et religieuse d'un territoire, satisfait l'entre-soi ?
Maurice, comme ancien ordonné accompagne de jeunes jésuites dans leur vocation. Il partage régulièrement avec Lancelot, les nouvelles problématiques que ces jeunes prêtres doivent parcourir.
En particulier, l'un d'entre eux, je l’appellerai Edmond, se rebelle et se déclare solidaire d'un ami prêtre-ouvrier à qui la hiérarchie demande de quitter son travail. Maurice note de plus en plus de conflits entre la conscience et l'institution ; les jeunes prêtres interrogent la réception dans l’Église de tout '' tout ce qui se fait d’important, le développement des sciences, de la critique historique, de la philosophie, de l'économie...''
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Lancelot retrouve Geneviève, de plus en plus affiliée au Communisme. Cette situation - d'abord une originalité de leur couple - devient de plus en plus difficile.
Il ne s'agit plus seulement d'un engagement intellectuel ; Geneviève consent à la discipline rigoureuse du parti. En plus de participer aux réunions de cellule, distribuer la presse du parti, elle accepte des taches administratives quotidiennes au sein de l'Union des femmes françaises ( UFF), tout en y faisant des dons financiers réguliers.
Lancelot devient moins tolérant à ce qui lui semble n'être qu'une intolérable pression idéologique ; comme, soutenir sans condition l’Union soviétique et ses alliés, dénoncer les ennemis du communisme...etc. Il lui rappelle comment Edgar Morin , il y a moins d'une année, a été exclu du parti.
De plus, mais Lancelot ne le saura que plus tard ; ses amis communistes incitent Geneviève à se séparer de lui, qui la maintiendrait dans une culture bourgeoise et toxique.
Pour Lancelot, son épouse s'efforce de refouler sa culpabilité de son attitude pendant la guerre, jusqu'à désirer oublier l'existence de sa fille ; même si avec mauvaise foi, elle reproche à Lancelot et sa mère de la lui retirer, et alors qu'elle répète à chacun, qu'il est bien mieux pour Elaine de vivre à Fléchigné.
Depuis peu de temps, un homme Jean F. qui se présente comme cheminot, et aujourd'hui l'un des 3000 permanents du PC, futur député, accompagne et va jusqu'à venir chercher Geneviève dans leur appartement. Jean, manifestement, s'emploie à provoquer Lancelot, sur ses liens professionnels avec le Vatican, ses idées, et même ses goûts, comme si son seul intérêt était la dispute...
- Staline construit aujourd'hui une société qui donne du sens. C'est du concret, pas de la théologie ; dit-il. Et si le bonheur, pour tous et pas seulement pour les bourgeois, n'était pas au ciel, mais dans ce bas monde ?
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Seulement, nous sommes en décembre 1952. Un ''procès'' vient d'écarter du bureau politique du PC, des personnalités comme André Marty, et Charles Tillon que Lancelot a côtoyé un peu au ministère des armées, sont accusés de déviationnisme, de fractionnisme et de manque de discipline. Cela renvoie aux nombreux procès en Union Soviétique, et actuellement au procès Slánský à Prague.
- Jean le reconnaît : cette décision envers Marty et Tillon, est aussi ''la manifestation de l’unité et de la fidélité au marxisme-léninisme et à l’Union soviétique.''
La presse française du Figaro, à La Croix et Combat, dénoncent le caractère arbitraire et antidémocratique de cette exclusion et la soumission du parti communiste à Moscou.
Pour ce qui est du procès Slánský, la presse française souligne l’antisémitisme du procès, qui frappe surtout des militants juifs ; et pour la plupart d’anciens résistants et antifascistes. Ils seraient accusés de crimes imaginaires et de complots invraisemblables.
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- Pourtant, réplique Jean, un article de Sartre, intitulé « Les communistes et la paix », publié dans Les Temps modernes ( décembre 1952), défend la position du PCF sur la question de la guerre et de la paix, en s’opposant à la politique américaine et à la menace nucléaire. Il y critique aussi les intellectuels qui se réclament du socialisme mais qui refusent de soutenir le PCF. Sartre considère qu'il est le seul parti capable de représenter les intérêts des travailleurs et des opprimés. Il y affirme que le communisme est la seule voie pour réaliser une société sans classes et sans exploitation.
Geneviève est très impliquée par l'entremise de Dominique Desanti, à l'UFF. Autour de la revue ''Femmes françaises'', l'association féministe revendique 500.000 adhérentes. Il s'agit d'organiser des manifestations, des pétitions, des conférences, des cours du soir, des colonies de vacances et des activités culturelles et sportives pour les femmes.
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La revue Esprit, tient à se mobiliser en faveur de la Paix, mais exprime des réserves de s'associer avec les communistes. Domenach l'avait déjà exprimé lors du congrès de la Paix, salle Pleyel en avril 1949, refusant de s'y associer. Si le socialisme démocratique pourrait constituer une garantie de paix, ils rejettent que ce puisse l'être avec un ''socialisme d’État'' tel qu’il est pratiqué en URSS.
Jean-Marie Domenach fait l'éloge de la Yougoslavie et s'élève contre l'idée que le régime de l’Union soviétique aime la paix.
Lancelot participe aux réunions des groupes ''Esprit '', et suit leur actualité grâce au ''Journal Intérieur'' qui est l'organe de communication du mouvement relancé en 1947, et animé par Paul Fraisse. Pour ce qui est de la revue Esprit , elle se veut une revue-carrefour, une revue de rencontres, une revue qui intègre d’autres courants de pensées que le seul courant de pensées de ses fondateurs. Chaque année un congrès se réunit en banlieue parisienne. Les groupes de Lyon ( Jean Lacroix), Grenoble ( Henri Bartoli), Strasbourg, Rennes...etc sont très actifs. On peut ainsi échanger avec Paul Ricoeur, Jean Lacroix, Jean-Marie Aubert, Georges Izard, André Déléage ou encore Louis-Émile Galey.
D'actualité, toujours de nombreux débats sur la Laïcité ; en effet la société catholique considère encore la laïcité comme un pis-aller. Pis-aller, ce qui signifierait que l'idéal de l'Etat terrestre serait l'Etat chrétien. L'état laïc, est une situation de fait, il garantit la liberté religieuse, mais reste en dessous de l'idéal chrétien....
Esprit prend part également à la réflexion sur les questions sociales comme l'humanisme au travail à laquelle prennent part des théologiens comme le dominicain Chenu, et le jésuite Calvez.
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Ce qui intéresse Lancelot de Sallembier, ce sont les différentes visions de l'Europe qui s'affrontent, au sein même des participants aux débats conduits par ''Esprit''. La plupart s'opposent au fédéralisme, alors qu'un Marc Alexandre va le défendre.
Depuis la fin de la guerre, l'Europe suscite la méfiance du totalitarisme. N'est-ce pas tout simplement un mythe réactionnaire ? Les États-Unis, qui tiennent à l'idée, ne veulent-ils pas constituer un bastion stratégique dirigé contre l’URSS ?
Lancelot soutient le plan Schuman, d'une Europe construite autour d'une France neutre, avec pour objectif de constituer une troisième force mondiale. Elle pourrait commencer rapidement avec l'Allemagne et l'Italie ; et concurrencer les États-Unis et l’URSS.
1952 – Eranos – 3 Le Graal et Jung
Emma Jung consacre plusieurs heures à Lancelot, sur le travail d'individuation et sur le Graal.
A la lecture des notes de Lancelot, je peux retranscrire quelques notions originales, importantes ou supplémentaires sur le Graal ( beaucoup ont déjà été dites...).
Emma Jung propose une image ''atomique'' de la personne, avec en surface, le moi et la persona ( masque social), la part consciente ; et en profondeur, le noyau : le Soi, la part inconsciente.
Emma Jung nous invite à une lecture subjective de la légende, sorte de rencontre avec le soi... Ainsi, quand elle parle du jeune Perceval, dans sa forêt qui renvoie à la mère ; Lancelot pense à son rapport à Fléchigné.
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La quête de Perceval commence avec la rencontre d'un Roi blessé, et d'un affront au féminin : la coupe renversée sur la Reine Guenièvre. Précisément, Perceval est engagé, mais il ne sait pas encore ce qu'il cherche. Comme lui, sans préjugé, avec naïveté, il s'agit d'affronter les ténèbres; et commencer par se rendre compte de ce qui ne va pas en soi.
Emma Jung, parle de la prise de conscience de l'ombre. ''L'orgueilleux de la lande'' est une figure d'ombre qui incarne l'orgueil de la chevalerie.
Chez l'homme, l'inconscient peut se personnifier par une figure féminine ( l'anima). Son monde est celui de l'âme. L'anima devient une médiatrice des contenus de l'inconscient : par exemple, la porteuse du Graal ; à différencier de Blanchefleur qui représente plutôt la femme réelle ( entremêlée avec l'anima, sans doute).
Le château du Graal, est dans l'autre-monde, l'un des signes est la rivière à franchir. Cet épisode agit, pour Perceval, comme un rêve d'initiation. Les personnages sont de la lignée de Perceval ( nous le saurons plus tard), avec plusieurs figures de père.
La porteuse du Graal transmet l'épée ; comme l'anima révèle certaines fonctions du moi, à partir du fond maternel de l'inconscient. A noter, le fil tranchant de l'épée qui renvoie aux facultés intellectuelles de l'esprit.
L'épée, la Lance, le Graal et la Pierre, édifient une structure quaternaire, expression de la réalisation de la conscience et renvoie au processus d'individuation. Comme, les quatre figures du tarot.
Si l'épée tranche, la lance atteint sa cible ( avec sa fonction guérissante). Cette même lance qui fit couler le sang du Christ sur la croix, et fut recueilli dans le Calice. ( Eucharistie). Le sang contient le principe de vie. La lance de Longin, reprend le motif de la ''Flèche d'amour'' – comme on disait au Moyen-âge – qui vise le cœur du Christ, et nous ouvre à son amour.
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La figure de Perceval se transforme en symbole du fait de la lignée d'ancêtres, qu'il récapitule. Il est confronté au problème du Mal, à la question de la relation de l'homme avec la femme, entre autres questions...
Pour Perceval, sa faute est liée à sa mère ( il lui ai reproché de ne pas s'être soucié de sa mère...) ; elle est à rapprocher peut-être de l'offense de la coupe renversée, faite à la reine Guenièvre. Cette faute s'exprime par son silence lors de la procession du Graal ; et auparavant sur le principe féminin, avec la jeune femme à qui il dérobe un anneau, et lors du souvenir ( taches de sang dans la neige) de Blanchefleur qu'il a abandonnée.
« La mission de Perceval consiste à chercher la signification du vase qui contient le sang du crucifié et à découvrir la forme sous laquelle la vie intérieure essentielle de la figure du Christ continue à vivre, ainsi que le message qu'elle contient. » (cf La Légende du Graal (p86) – Emma Jung).
Ce message , ce trésor caché, comme un Graal, concerne aussi des contenus inconscients à découvrir ; ils ont à voir avec le soi. Il ne suffit pas que le soi se manifeste, en apparaissant sous forme symbolique ; il ne suffit pas de ''savoir'' ; il s'agit de s'interroger, quelle utilisation en faisons-nous ?
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Lancelot, rencontre également, une collaboratrice de Jung, qui travaille sur l'Alchimie et la légende du Graal. Il s'agit de Marie-Louise von Franz qui lui propose de poursuivre ces discussions par un travail psychanalytique.
Le 25 août, après que Karl Löwith ( 1897-1973) ait donné une conférence sur "La dynamique de l'histoire et de l'historicisme", que Scholem a trouvé "très bien", il raconte autour de lui que Jung était furieux et qu'il partit après la première heure.
S'en suit, une conversation avec Jane Untermeyer et Erich von Kahler, et avec Corbin et sa femme.
Peut-on « imposer à l’histoire un ordre raisonné ou d’y saisir l’œuvre de Dieu. », se demande Löwith ? Du moins, cet ordre peut-il être le début d'une philosophie de l'Histoire ?
Lowith pense que l'histoire ne possède aucune logique immanente, il ajoute que la philosophie de Hegel et de Marx conduisent au nihilisme. Sa recherche le conduit plutôt - selon Lancelot – à inscrire l'homme dans une nature immuable, englobant tous les étants. Il reconnaît un « univers dépourvu de fin et sans Dieu », à partir duquel « l'homme aussi » n'est « qu'une modification sans fin ».
Lowith choisirait entre ces deux symboles, le Cercle à la Croix ; l'Antiquité au Christianisme. L'Occident tente désespérément de concilier deux visions : '' - l’antique théorie de l’éternité du monde avec la foi chrétienne en la création ; le cycle avec l’eschaton '' ; - '' l’acceptation païenne du destin avec le devoir chrétien de l’espérance.''
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Ce fameux ''sens de l'Histoire'' serait une illusion qui fait croire à l'Homme qu'il est le maître du Monde, alors qu'il est de ce monde, à dimension naturelle, hors ''progrès humain''...
Lancelot, défend la proposition chrétienne de Teilhard de Chardin, pour qui l'Histoire permet de lire la convergence entre Cosmos, Vie et Esprit, qu'il appelle '' Phénomène Humain ''. L'Histoire exprime donc ''la complexification croissante de la matière et la montée en conscience de l’humanité''. Cette conception est une affirmation du monde spirituel et une voie d’épanouissement pour l’homme.
Karl Löwith reproche à Jung de ''psychologiser'' l'histoire, en cherchant un sens caché aux événements historiques et culturels. Cette démarche lui semble irrationnelle et ambiguë... On pense, que Lowith qui a quitté l'Allemagne en 1933, reproche à Jung sa position pendant le nazisme : Jung semblait se contenter de psychologiser le peuple allemand, sans condamner explicitement l’idéologie nazie ? Jung reconnaît avoir tenté de comprendre le phénomène nazi comme une manifestation de l’inconscient collectif allemand, mais sans pour autant l’approuver !