philosophie
Le Miroir – La réalité – Yvain
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Il arrive à Elaine, profitant d'une matinée calme parisienne, de se rendre dans un café près de chez elle, avenue Victor-Hugo. Ce lieu est assez vaste et très fréquenté. Un jour, en rejoignant une banquette libre, elle passe près d'un miroir accroché au mur du café. Ce miroir est ancien, le verre dépoli, sa surface légèrement granuleuse avec un cadre usé en bois sculpté.
En regardant dans le miroir, Elaine voit non seulement son propre reflet, mais aussi les reflets des autres clients, et le mobilier. La scène est animée, et les silhouettes se mélangent et se distordent.
Elle reste un moment pour se rendre compte de la différence entre les ''formes'' reflétées et ce qu'elle voit. Quelle étrangeté que cette abstraction rendue par ce miroir !
Ce n'est que le lendemain, avec le désir de revoir le miroir qu'elle fait le lien avec ses réflexions du moment, sur les '' universaux '' dans l'antiquité.
Elle s'attarde un peu plus devant le cadre, et lui viennent toutes sortes de questions.
Après cette rêverie métaphysique, Elaine se tourne vers un jeune homme qui se tient près d'elle et observe le miroir.
- « Fascinant, n'est-ce pas ? » l'interroge t-il
- Oui... répond-elle, et : - que voyez-vous ?
- La même chose que vous, peut-être ?
- Pas sûr ! - J'y vois une métaphore des ''universaux ''. Et vous ?
- Effectivement... ! Non... je pensais à autre chose : un miroir magique....Voulez-vous parler de cette querelle médiévale entre celui qui voyait le cheval, mais ne voyait pas la ''chevalité'' dont lui parlait le philosophe ? J'ai souvenir de ce cours de philo ; mais je n'irai pas plus loin... Cela me semblait... sans intérêt... Pardon !
- Alors, que voyez-vous, reprend Elaine un peu fâchée.
- Si je m'en tiens à une métaphore : J'y verrai volontiers un miroir magique, qui me permettrait de représenter les solutions de quelques équations qui me harcèlent depuis un long moment.
- Des équations ? !
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- Oh, je suis assistant à la fac., en mathématiques. Je m’appelle Yvain
Vous avez compris que ces deux là étaient faits pour se rencontrer. Yvain ne tarda pas à connaître - avec beaucoup plus de détails – l'histoire du héros à qui il devait son prénom.... ( A lire ici : LA LÉGENDE DES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE – RÉSUMÉ – 4/9 – YVAIN - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Pour l'heure, Elaine et Yvain, sont inspirés par le même objet, qui ne se contente pas d'être un témoin silencieux ; actif, il reflète une réalité mouvante et vivante.
Il nous questionne sur notre propre capacité à appréhender ce monde...
« Pensez-vous que vous avez accès au Monde, dans sa réalité ? » questionne Elaine. « Platon pensait que ce n'était pas le cas, et opposait au ''matériel'', un monde réel que l'on peut représenter par l'intelligible ( les idées) ou les ''Formes''.
- Je me souviens de l'histoire de la caverne, et du monde idéal, que seul a vu le philosophe, puis est revenu vers ceux qui sont restés enchaînés...
- Précisément, poursuit Elaine, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un monde idéal, ou d'un ''autre monde '' ; il s'agit de la compréhension de notre monde au-delà de son apparence.
Platon nous enseigne que notre intelligence ( les idées) ne s'oriente pas d'elle-même vers ce qu'il importe de regarder. Il s'agit de nous libérer d'un point de vue partiel que nous avons spontanément sur les choses. Il n'y a donc pas deux mondes distincts.
- J'imaginais, que ce miroir, pouvait nous montrer le vrai monde, conclue Elaine.
Yvain ne cache pas son intérêt : - Génial ! Je n'étais pas loin de tes pensées quand je disais que j'y voyais l'allégorie de quelques équations. Je t'explique : je peux te tutoyer ?
- Si tu t'appelles vraiment Yvain, oui... ''Yvain'', c'est incroyable... ! Pardon ! Alors, oui tes équations... ?
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- Depuis l'enfance, je crois, je cherche à comprendre « la vraie nature profonde de la Réalité ». Pour cela j'ai voulu faire des études de Physique ; puis il s'est avéré que j'étais plus attiré par les mathématiques.
Je me suis vite rendu compte que La Réalité n’est pas simplement ce que nous observons directement, mais qu'elle inclut des phénomènes dont on ne peut rendre compte qu'avec des théories ( à vérifier, bien-sûr..) et des équations.
On peut avec des équations mathématiques, modéliser des phénomènes physiques et prédire des comportements dans la nature.
- Je te suis en cela, répond Elaine : les théories mathématiques peuvent être de bons modèles de la réalité. En cela elles n'inventent pas la Réalité, elles n'en sont qu'un reflet, au même titre que nos sensations, l'art... La Réalité elle-même, pourrait s'apparenter au monde des idées de Platon.
- Voici ce que disait le bourbakiste Alexandre Grothendieck ( dans Récoltes et Semailles ), mathématicien qui fascine tous les matheux :
« La structure d’une chose n’est nullement une chose que nous puissions « inventer ». Nous pouvons seulement la mettre à jour patiemment, humblement en faire connaissance, la « découvrir ». (….) Ces structures ne nous ont nullement attendues pour être, et pour être exactement ce qu’elles sont ! Mais c’est pour exprimer, le plus fidèlement que nous le pouvons, ces choses que nous sommes en train de découvrir et de sonder, et cette structure réticente à se livrer, que nous essayons à tâtons, et par un langage encore balbutiant peut-être, à cerner. ».
Le Graal, ça n'existe pas ! 4
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Revenons à Kant et à sa critique de la métaphysique. Je fais l'hypothèse en effet, que le Graal est un objet métaphysique.
La métaphysique explore la nature de la réalité, sachant que la réalité ne se limite pas à ce qui est directement accessible par nos sens.
La réalité est plus vaste que ce que nos sens peuvent appréhender. Elle englobe à la fois ce qui est tangible et ce qui est plus profondément caché, comme les idées, les lois naturelles, et même les réalités mathématiques. Aussi, la métaphysique s’intéresse aux questions telles que l’existence de Dieu, la nature de l’âme, du temps et de l’espace...
Kant nous interroge sur ce que nous pensons de la connaissance des choses.
Avant Copernic, nous dit-il, il nous semblait observer que le soleil tournait autour de la terre. Or, c'est l'inverse. De manière similaire, il nous semble que l'objet est au cœur de sa connaissance ; mais Kant replace la conscience au centre puisque c’est elle qui crée l’univers par l’acte de perception. ''Ce n'est donc plus l'objet qui oblige le sujet à se conformer à ses règles, c'est le sujet qui donne les siennes à l'objet pour le connaître'', nous dit-il, dans la préface de la Critique de la raison pure. Au risque de me répéter, avec Kant, nous réalisons que '' nous ne pouvons pas connaître la réalité en soi, mais seulement la réalité telle qu'elle nous apparaît sous la forme d'un phénomène.''
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Il me semble d'ailleurs que la science confirme cet état de fait, ainsi pour ce qui est de l'espace : l'espace est une catégorie de notre sensibilité que nous projetons sur les choses . L'espace est dans notre tête ; c'est ce qui fait que nous nous faisons avoir par des dessins-perspective en trompe-l’œil : nous projetons de l'espace là où, nous interprétons la profondeur, alors que nous ne voyons en réalité que des ombres et des nuances de couleurs. Einstein, nous le redit pour ce qui est de l'espace et du temps, par raisonnement et observation scientifique...
Pour Kant il en va de même pour toutes nos catégories ( quantité, causalité, …) qui nous servent à connaître.
Cependant, dit Kant, la métaphysique cherche à étudier la '' réalité en soi '' qui est inconnaissable !
Pourtant, il faut bien qu'il ait une réalité avec des ''choses en soi '', pour qu'il existe des apparences, des phénomènes... ? Une réalité inconnaissable, est encore une réalité. Et, une chose en soi est un objet métaphysique. Une chose en soi, cause des phénomènes.
Kant est obligé de renier l'inconnaissabilité de la réalité en soi et de lui appliquer les catégories interdites telles que par exemple l'existence ou la causalité. Kant doit donc faire de la métaphysique pour interdire la métaphysique. Cette contradiction a été soulevée presque dès la publication de La critique de la raison pure avec Jacobi en 1815.
Je retiendrais que :
- Nous projetons des catégories a priori c'est à dire non dérivées de l'expérience dans notre propre expérience : c'est à prendre en compte.
- Si le réel est lui-même rationnel, et non un chaos informe... Il doit exister une certaine cohérence entre la réalité et la façon dont les choses nous apparaissent...
Le Graal, ça n'existe pas ! 2
Comment une chose existe ; une table, une musique, un concept, le Graal ?
Ainsi une musique n'est-elle pas plus qu'une succession de notes ? Mon patron, mon voisin bruyant, un cadavre ne sont-ils que des corps.... ?
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Une ''chose'' existe, d'abord en ce qu'elle se donne à nous, avant de la décrire.
Il y a ce que les sens m'en disent, et ce que mes connaissances ( croyances – savoirs ) m'en disent... De certaines choses, il y a ce que d'autres personnes m'en disent ( témoins, Tradition, Histoire, légendes...)
Et la réalité des concepts métaphysiques, des ''lois naturelles '', des formules mathématiques ?
Et l'être humain est-il un ''étant'' comme les autres ? Et, la pensée ?
La question de l'existence du Graal, condense toutes ces interrogations autour de l'être d'une chose...
Commençons par poser, qu'une chose ''est'' si je la perçois occuper un espace : je dis, cette table qui est devant moi existe. Le terme ''être '' est pris ici, dans le sens de la subsistance ( selon le mot de Heidegger).
Il me revient l'exemple du morceau de cire de Descartes : observons cette chose, puis approchons la d'une flamme ; nous voyons combien ses caractéristiques sensibles peuvent changer. N'en est-il pas ainsi de tout ce qui se matérialise ?
Pour Heidegger, existence n'est pas subsistance …
Prenons l'être humain. - S'il vient de mourir., son corps est toujours là. Pourtant mourir, ce n'est plus être… Être, ce n'est pas seulement occuper un espace...
Etre, exister pour un objet inanimé, n'est pas la même chose, qu'être pour un vivant...
- Le Graal, n'est peut être pas, pour moi, un '' objet inanimé '' ?
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La phénoménologie, m'invite à envisager les choses au travers de la relation que j'ai avec elle. La façon dont les choses m'apparaissent fait aussi partie de leur être. Prenons l'exemple de l'Adagietto de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler, reliée pour moi à ''Mort à Venise'' : je n'écoute pas une succession de notes, une description scientifique ne dit rien de cette chose. Cette chose ''est'' , dans la mesure de la relation que j'ai avec elle, au travers de mes émotions, des images produites, de la compréhension que j'ai de cette œuvre d'art.
Heidegger nous invite à ne pas considérer une chose comme séparée de nous; il y a toujours une relation entre nous et la chose qu'on examine. Et d'autant plus, si la chose n'est pas un objet inanimé... Ainsi, cette personne, si elle est mon patron, mon voisin bruyant, ou mon libraire...
Je retiens que je ne peux pas parler des choses comme uniquement ''subsistantes''. La philosophie m'invite à me questionner de la manière dont le monde '' se donne '' à moi ; et donc à réfléchir sur la nature de la connaissance que j'ai de cette chose, et même plus généralement, de la nature de la réalité.
Elaine, qui travaille sur la philosophie au Moyen-âge ( Et oui... le humains au Moyen-âge ne sont pas des brutes, des barbares, ils peuvent être de profonds philosophes...) ; rappelle à ce propos, la réflexion qui s'appuyait sur les ''catégories '' d'Aristote, pour caractériser une chose.
La première était la '' substance '' - pas pour signifier seulement la matière dont la chose est faite – mais qui est le substrat, l'essentiel de cette chose : l'essence de cette chose, une substance immatérielle, une pure pensée.
La seconde serait la '' forme '', qui confère à l'objet sa structure et son identité. On dira aussi que l'âme est la forme du corps...
Cette manière de penser la chose, a tendance à la limiter à l'idée matérielle de cette chose. Je pense alors à la matérialité de la relique du Graal, qui serait vue ici, ou là …
Bon, mais nous reviendrons sur tout ceci au Moyen-âge. En effet, les philosophes médiévaux ont développé ces notions en science et en théologie.
La question de l'existence du Graal occupe l'esprit de Lancelot, au point d'être abordée lors d'une séance de jeu de cartes. Ces séances s'organisent régulièrement à Fléchigné depuis la retraite de Lancelot. Ce soir là, sont présents le père Maillard et Elaine. Il suffit d'être quatre, la soirée libre pour que Lancelot propose le couvert, le gîte ( éventuellement) et une partie de Tarot ( le jeu d'Anne-Laure de Sallembier). Je signale cette soirée, parce qu'à la suite de sa visite chez le libraire, Lancelot fit part à Maurice Maillard de sa difficulté à ''disputer'' cette affirmation de la non-existence du Graal.
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- C'est d'autant plus difficile, j'imagine, que tu ne peux présenter à l'appui de son existence, qu'une liste de personnages légendaires, et d'histoires merveilleuses.... Pour ma part, concernant l'existence de Dieu, j'ai l'appui de la Révélation, de l'expérience mystique, et l'appui de toute une Tradition...
C'est ce soir là, peut-être, que vint à l'esprit de Lancelot, le projet de façonner l'équivalent pour ce qui concerne le Graal. Un quête au travers d'une lignée, à l'aide de la connaissance acquise le long de ces siècles en philosophie, en sciences, en art et en théologie.
Idée que j'ai reprise et menée en partie, dans ces livres.
Edith Stein, la Légende du Miroir de l'âme-3-
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Elyan se réveille , alors qu'il est allongé au pied d'un arbre. Son cheval est tenu par sa longe à un anneau près de la porte d'une chapelle. Il le rejoint, et entre dans la bâtisse où un prêtre célèbre la sainte Cène. Elyan, après avoir communié, dévoile au clerc sa quête représenté par le Miroir magique. Il reconnaît que pour l'atteindre , il doit d’abord comprendre la nature profonde de son être.
Élyan s'apprête à errer par des contrées méconnues, à frayer avec des érudits et des mystiques, et à jouter contre ses propres spectres intérieurs.
Quatre cartes, avancées par Séraphine, indiquent quatre philosophes qui méritent d'être nommés :
Le Bateleur, ( carte I ) représente la maîtrise, la compétence et la connaissance. Il a accès à la connaissance occulte et aux mystères de l’univers, il a la capacité de manifester sa volonté dans le monde matériel et possède les outils pour réaliser ses objectifs... Tout comme Husserl qui a exploré les profondeurs de la conscience et de la phénoménologie, et a cherché à comprendre et à décrire les structures de l’expérience et de la conscience. Parmi ses outils, la réduction phénoménologique qui l'aide à mettre de côté les préjugés et atteindre l’essence des phénomènes.
Ainsi, ce mage peut être un guide pour Elyan, l’aidant à naviguer dans les complexités de la perception et de l’intentionnalité, et à découvrir la nature véritable de l’âme.
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L'Ermite ( IX) symbolise la réflexion profonde, la recherche de la connaissance intérieure et la compréhension des mystères cachés. Le voyage vers la sagesse est solitaire, ce qui reflète la démarche de Heidegger qui invite à se tourner vers l’expérience personnelle de l’être pour saisir la réalité de l’existence. De sa lanterne, Heidegger éclaire le chemin d'Elyan avec la lumière de la phénoménologie, et l’intentionnalité, intrinsèquement liée à l’existence.
Le Monde ( XXI), symbolise l’achèvement, l’intégration et l’harmonie. Elle représente la réalisation et l’unité de toutes choses. La connexion entre le soi et l’univers, un thème central dans la pensée de Merleau-Ponty, qui explore la manière dont notre corps est à la fois sujet et objet de la perception, ancré dans le monde et en interaction constante avec lui. Elyan expérimente l’entrelacement du corps et du monde, et la perception sensorielle comme fondement de notre expérience. Il comprend que l’âme est profondément enracinée dans le corps et que la perception sensorielle est une voie vers la connaissance de soi et la connexion avec les autres âmes.
Le Jugement (XX) représente un appel à une prise de conscience plus élevée et à une compréhension plus profonde, il invite à l’évaluation de nos actions passées... Ce qui reflète la philosophie de Levinas sur la responsabilité éthique et la reconnaissance de l’autre. Elyan découvre comment l’âme se révèle et s’enrichit dans la relation authentique avec autrui.
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Après de nombreuses années, Élyan arrive dans une vallée sacrée où le miroir est gardé par les Gardiens de la Conscience.
Les gardiens, échangent et conviennent qu'Elyan est prêt à se confronter aux trois énigmes.
Ces gardiens posent à Élien trois énigmes, portées par trois cartes du Tarot.
La première est figurée par la carte de la Papesse ( II ) . Ici, ne figure qu'un miroir. C'est une des images du Maître, qui nous questionne sur soi, et la réalité. Le miroir révèle tous les aspects de notre âme. Il s'agit donc de l'épreuve de la Perception qui consiste à chercher la signification des choses au-delà de leur apparence immédiate.
La seconde est représentée par la carte de l'Etoile ( XVII ), elle annonce un but, un idéal ; mais il s'agit d'apprendre à distinguer ses propres intentions et se concentrer sur le fond de son désir. Elyan propose l'espoir ou la Foi pour soutenir sa volonté. Il s'agit de l'épreuve d'intentionnalité.
La dernière épreuve doit lui faire rencontrer l'expérience d'autrui. La carte est celle des Amoureux ( VI). L'intersubjectivité appelle à expérimenter comment nos consciences se croisent et interagissent, afin de créer un lien d'empathie et de compréhension mutuelle avec les autres.
Avec courage et introspection, Elyan résout les énigmes, il est autorisé à se regarder dans le Miroir de l’Âme. Ce qu’il voit n'est pas son reflet, mais un monde de pure conscience, où chaque pensée, sensation et émotion prend forme et couleur.
Whitehead
Lancelot revient à Londres, pour finaliser son départ ( debriefing avec les Services de Renseignements) et préparer son retour en France.
Alors que Lancelot s'était plaint de n'avoir pu rencontrer Russell ou Whitehead, tous deux retenus aux Etats-Unis ; Vanessa Bell et Quentin ont l’excellente idée de lui faire rencontrer un de leurs amis, le mathématicien Godfrey Harold Hardy, récompensé de nombreux prix, également inséré parmi la société des ''apôtres '' de Cambridge. C'est lui qui découvrit le génie de l'indien Ramanujan, et le fit venir à Cambridge.
Il avait subi des problèmes de santé, et se sentait diminué dans son raisonnement logique. Assez asocial, timide ; Lancelot sut le séduire pour qu'il accepte de ferrailler sur de nombreux points philosophiques. Hardy se disait athée ; mais il rêvait de trouver un raisonnement qui puisse mettre Dieu lui-même en difficulté !
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Malheureusement, aucune réflexion ne peut, d'après lui, se mesurer à l'élégance, la beauté d'un raisonnement mathématique. Lancelot tente alors de le convaincre que son âge, s'il ne lui permet plus de retrouver cette capacité, peut l'amener à un autre type de réflexion ; et Bertram Sinsernin , un jeune philosophe, en profite pour présenter le travail du philosophe Whitehead, que Hardy a connu ; et qui ne manque pas de paradoxe....
Personne, ici, n'oublie le travail remarquable du Principia Mathematica (1913) que Whitehead écrivit avec Bertrand Russell.
G. H. Hardy, rejoint Whitehead, quand il écrit que la mathématique devrait concerner au-delà de la grandeur, de la quantité, de la forme, bien plus encore jusqu'à l'esthétique, peut-être même la morale !
Mathématique et Philosophie pourraient construire une cosmologie …
Whitehead insisterait sans-doute sur la nécessité de décrire précisément ce que représente « la nature dans sa créativité agissante. »
- Quelle est la place du sujet dans la nature ?
- « L'individu n'est pas une île, il est relié au reste de l'univers... Étudions comment à partir de composants dissemblables se créent des personnes, des événements, des situations, des sociétés. »
- Selon un programme ?
- Non, cela se joue au cours du processus.
Et Dieu ?
Whitehead a des jugements très durs pour la figure de Jéhovah.
- Si Dieu est exclusivement transcendant ; c'est l'exclure de la raison... C'est gênant ?
- Dieu agit dans l'univers, il est immanent au monde.
- Dans ce cas, la théologie n'est pas dissociable de la science.
« le Royaume des cieux est en vous » exprime l'unité de l'Univers : « une expérience affective intime nous initie à l'unité immanente du monde. » le travail du cœur se complète par un travail de la raison.
Chacun ici, est d'accord : le lien entre religion et raison est inéluctable. Quand la religion perd le désir de vérité et de clarté, elle se dégrade.
« Si la science, par méthode, distingue des classes homogènes d'objets, et les isole du reste de la réalité ; la religion, en revanche, est habitée par la diversité et l'unité des choses. »
Matière et Esprit se contaminent... Lancelot rapproche ce qu'il entend avec la pensée de Teilhard de Chardin, qu'ici, personne ne connaît.
- Si Dieu est à l’œuvre, professez-vous une sorte de déterminisme absolu ?
- Pas du tout. « Le Mal ( qui existe) serait alors en conformité avec la nature de Dieu. Dieu rencontre le Mal, et en pâtit. » Il n'y a pas de Mal absolu ( pas de Malin, non plus...). « Le Mal est lié aux processus de dégradation et de disparition qui ne sont pas radicalement mauvais, puisque, dans un univers en devenir, naissance et destruction sont corrélatives. » (*)
« Dieu est à la fois fondement, et vision. Dans un monde en devenir (…) Dieu est la voie, le chemin qui conduit à des réalités plus profondes. (…) L'Univers nous montre deux faces : d'un côté, il se dégrade physiquement ; de l'autre il s'élève spirituellement. » (*)
(*) Sources : Whitehead – Un univers en essai – Bertrand Saint-Sernin
Les rapports entre Vichy et Londres n'étant pas bons ; l'idée du parachutage de Lancelot n'est pas acceptée par la '' France libre''.
Le retour s'avère cependant bien moins aventureux, et beaucoup plus long, que l'aller. D'abord un bateau à partir de Liverpool, pour joindre Gibraltar en 14 jours ; puis traversée de l'Espagne, facilitée par des bons papiers, et beaucoup de patience... Train par Bilbao et San Sebastian.
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Hitler a échoué à entraîner Franco, dans une guerre contre la Grande-Bretagne. Le caudillo exige d'énormes aides économiques et par l'intermédiaire d'Alan Hillgarth, Churchill distribue des millions de dollars pour soudoyer des officiers supérieurs de l'armée espagnole.
Quelle tournure aurait pris la guerre si au lieu d'attaquer la Russie, les allemands se seraient concentrés sur Gibraltar, et l'Afrique du nord ?
Le régime de Vichy tâche de resserrer ses liens avec l’Espagne franquiste et le Saint-Siège ; sorte d’alliance fondée sur les convictions religieuses et sociales. Le 13 février 1941, Pétain a reçu à Montpellier Franco de retour de sa rencontre avec Mussolini.
Bertrand Russell et l'Entropie
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En 1936 - juste après son mariage avec Patricia et avant qu'il parte vers les États-Unis - Bertrand Russell a fait un court séjour à Paris. L'occasion pour lui de rencontrer des scientifiques, et des philosophes engagés dans l'éducation populaire. En effet, Russell s'intéresse à la transmission des savoirs, contre l’obscurantisme. Athée, il dénonce les religions qui se nourrissent de l’ignorance scientifique ; et sur le même plan il s'en prend au nationalisme alimenté par l'école actuelle...
Anne-Laure de Sallembier, même si elle n'est pas souvent de son avis, aime bien Russell : avec sa distinction de lord britannique et beaucoup d'humour, il n'hésite pas à scandaliser l'opinion commune. Elle organise à Paris, une soirée intime et savante, à sa demande avec notamment Paul Langevin et Frédéric et Irène Joliot Curie ; tous curieux de rencontrer cet intellectuel excentrique et respecté. Russell, alors qu'il vient de publier ''Science et religion'' est très intéressé par les récentes découvertes scientifiques.
Paul Langevin (1872-1946) est également préoccupé d'éducation, et défend « la science comme facteur d’évolution morale et sociale », selon le titre de l'un de ses ouvrages.
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Le couple Joliot-Curie a obtenu le prix Nobel en 1935, pour leur découverte de la radioactivité artificielle, créée en laboratoire ; découverte précédée de celle du neutron, particule présente dans le noyau de l'atome.
Tous sont préoccupés de la situation politique en France, et autour de la France. Les récents événement sociaux laissent présager une réaction du peuple français, à l'opposé des allemands, du moins, dit Langevin, si la mobilisation anti-fasciste permet d’entraîner un gouvernement de front populaire qui seul peut combattre une droite tentée par l'expérience fasciste. Anne-Laure de Sallembier, soutenue mollement par Lancelot, semble bien être la seule présente à défendre des valeurs nationales et chrétiennes ; par contre, Russell rejoint la comtesse sur son opinion opposée au communisme. Il n'admet pas que l'on puisse considérer cette idéologie comme libératrice...
Russell, qui a visité l'Union soviétique dès mai 1920, avec une délégation du British Labour, est bien avant Victor Serge ou Souvarine, conscient de la démarche totalitaire du communisme russe.
« Le communisme est enseigné avec le même dogmatisme que la religion en Occident ». Il donne une vision du monde extrêmement simpliste : « le monde est plus riche et plus varié que la formule marxiste » De plus, « le dogmatisme risque à terme de devenir un grand obstacle pour le développement intellectuel » et en particulier pour le progrès scientifique, comme l’avait été le christianisme, en son temps ; le rejet de la théorie quantique en fournit déjà un exemple...
En effet, la critique marxiste dénonce les penchants idéalistes et bourgeois des scientifiques qui travaillent sur les théories de la relativité et quantiques... La première privilégiant l'énergie sur la matière – au détriment donc du matérialisme – et la mécanique quantique permettant l'abandon de la causalité.
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Langevin tente d'expliquer qu'en France, le parti communiste accompagne un grand espoir à l'intérieur des couches populaires ; les intellectuels ont décidé d'accompagner cette révolution pour rejoindre le peuple dans une réelle volonté de justice sociale; et ils s'engagent aussi à défendre la liberté qui ne peut qu'accompagner cet élan... Condamner le communisme sous prétexte de dérapages propres à la société russe, serait décevoir nos ouvriers, et les pousser dans les bras des fascistes...
Langevin a le souci d'ouvrir la science aux classes populaires, il a créé l’Université ouvrière créée avec Romain Rolland et Henri Barbusse (1932). Il compte beaucoup sur ce nouveau moyen de communication qui est la radio, il est d'ailleurs membre du conseil supérieur des émissions de la radiodiffusion.
Frédéric Joliot, réagit à cette argumentation matérialiste, en relativisant la portée de l'incertitude quantique ; en effet, si certaines choses sont incertaines, cela ne veut pas dire qu'elles sont indéterminées... La science a toujours cherché à établir des liens de causalité entre les phénomènes, et cette pratique est extrêmement féconde...
Lancelot demande si l'enseignement n'amène pas le maître à paraître dogmatique, et faire penser qu'il n'y a jamais de doute dans nos connaissances ?
Russell approuve et confirme son intérêt pour l'éducation au doute...
Russell revient sur cette prétention des idéologies à prétendre détenir une vérité, qui permettrait de contrôler la véracité des résultats scientifiques !
- Mais enfin, sir Russell – intervient Anne-Laure, permettez-moi de reprendre les valeurs, et même la conception du monde que m'ont légué mes ancêtres - férus des ''Lumières'' d'ailleurs - ; elles me permettent de donner un sens au progrès dont nous sommes témoin, et auquel vous participez aussi...
-Ma très chère amie, loin de moi l'idée de nous empêcher de bâtir un idéal qui conduirait nos vies. Je distingue la vérité de la véracité, le fait de fonder ses opinions sur des preuves.
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A la lecture des notes de Lancelot sur cette soirée mémorable, je retiens aussi les propos de Russell sur un argument scientifique qui semblait essentiel dans sa réflexion.
Une future « mort universelle » est inévitable et prouvée par le second principe de la thermodynamique. Tout dans l'Univers est dominé par une tendance à s'épuiser ou se dégrader... Ce que l'on appelle l'Entropie, est toujours plus élevée dans le sens du temps. « Tous les grands travaux de l'histoire, tout l'éclat aveuglant du génie humain, tout est destiné à s'éteindre dans l'immense anéantissement du système solaire, et le temple des exploits de l'Homme à être enfouis sous les débris d'un univers en ruine » B. Russell ( Pourquoi je ne suis pas chrétien)
- Continueriez-vous vos recherches, l'écriture de vos livres, si vous saviez que votre mort serait suivie aussitôt de la disparition de notre planète ?
1914 Comment justifier la Guerre ? 2
Et nos intellectuels ?
La Grande guerre va renverser le modèle ( jusqu'ici) ''dreyfusard '' et universel de l'intellectuel...
Aurions-nous perdu confiance en la civilisation européenne ?
Nos rencontres, nos débats, en Allemagne, n'exprimaient-ils qu'une partie de notre pensée, cachée derrière des apparences de civilité... ?
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Nos discours aujourd'hui sont en rupture des réseaux
Henri Bergson, en séance de l’Académie des sciences morales et politiques : « La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage... »... Même Emile Boutroux, connaisseur de la philosophie allemande, présente la guerre sous le jour d'une croisade...
Les scientifiques se mettent au service de la nation en danger, en orientant leurs travaux sur de nouvelles armes
Sources : Les intellectuels français et la Grande Guerre, Christophe Prochasson
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Le quotidien catholique La Croix, accuse la philosophie allemande, dont l'origine remonterait à Luther, pour donner Kant... Il dénonce le panthéisme officiel allemand, avec Fichte, Schelling, Hegel; et c'est Maritain qui affirme que Fichte nous montre « la liaison essentielle du pangermanisme avec la révolution luthérienne et kantienne ». Le philosophe conclut que « le poison panthéiste et hégélien a passé tout entier dans l’organisme intellectuel de l’Allemagne. […] A ce point de vue, on peut dire que c’est Hegel, avec derrière lui Kant et Luther, qui nous fait la guerre aujourd’hui. »
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Dominique Parodi (1870-1955), professeur de philosophie, ( à Limoges de 1897 à 1899), - devenu inspecteur général de l’Instruction publique après la Première Guerre mondial - anticlérical, rationaliste et républicain ; s'interroge sur le ''problème moral'' de la Guerre, et tente de la justifier par la raison.
Agé de 44 ans, il n’est pas immédiatement mobilisable, mais il peut être appelé à servir dans la '' réserve de l’armée territoriale ''. Il est refusé à deux reprises par le conseil de révision... Il ressent une « angoisse de l’inaction» mêlée d’un sentiment de culpabilité...
Il s'oppose à toute mystique patriotique ( comme Bergson) ou guerrière...
Dominique Parodi face à ce qu'il nomme " la dimension spiritualiste et mystique de la morale allemande de la guerre '' défend la rationalité des principes de 1789 ; il tente d'identifier la « cause idéale (…) pour laquelle il vaut la peine de mourir et dont la défaite ferait qu’il ne vaudrait plus la peine de vivre. ». Il tente même de conjuguer : soumission à la censure, consentement intellectuel à la guerre et revendication d’une liberté critique à l’égard de certains discours bellicistes. Il reconnaît la faiblesse intrinsèque des démocraties en situation de guerre, lorsqu'elles restreignent la liberté d’expression ; mais la démocratie ne peut être incompatible avec une guerre patriotique et juste..
Dans cette guerre, il s'agit de montrer une '' altérité allemande irréductible '' et affirmer la légitimité d’une guerre du droit contre la force.
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L'Allemagne justifierait sa guerre, par la suspension du droit au profit de la force ( brutale et divinisée...). La force crée le droit, une certaine nécessité fait loi. Ensuite le peuple allemand se considérerait comme un ''peuple élu'' ; à l'appui cette citation de Rudolph Eucken, l’un des philosophes allemands signataires du Manifeste des 93 : « Au peuple allemand, plus qu’à aucun autre peuple dans l’histoire, est confié le soin de l’âme intérieure et de la valeur propre de l’existence humaine. »
Il semble vrai que le vocabulaire employé par la propagande allemande soit celui d'un « combat pour l’existence » (Kampf um’s Dasein).
Finalement, Dominique Parodi refuse de voir la guerre comme moralement régénératrice, comme une réponse à la « crise morale » de l’avant-guerre.
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Il semble que « la vie humaine a, du jour au lendemain, perdu toute importance», par nécessité la responsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle. La guerre demeure toujours « immorale », et doit être admise comme un « moindre mal ».
Le philosophe ALAIN ( pseudonyme d'Émile-Auguste CHARTIER) (1868-1951)
Brigadier artilleur, pendant la grande guerre, témoin d'atrocités, il publie un pamphlet ''Mars ou la guerre jugée''. Il témoigne que la guerre est le pire des maux : pire que l’injustice sociale et la misère… Pour ce qui est du soldat: « l’ordre de guerre a fait apparaître le pouvoir tout nu, qui n’admet ni discussion, ni refus, ni colère, qui place l’homme entre l’obéissance immédiate et la mort immédiate ».
Alain, impute aux humains la responsabilité de ces horreurs ; il ressent « le terrible remords d’avoir approuvé trop légèrement des discours emphatiques.. »
« La guerre prouve que ce sont les passions qui mènent le monde, et non pas la simple recherche de l’intérêt. L’homme est souvent prêt à tout sacrifier. D’ailleurs « si on explique la guerre par l’universel égoïsme, comment expliquera-t-on cet esprit de sacrifice sans lequel la guerre ne commencerait point ? » (Chap. XIX)
Voyage en Angleterre -6- Russell - Bergson

Tout le monde est resté sonné par le réquisitoire de Russell, et il est bien difficile d'apporter dans cet environnement si fraternel la contradiction...
Cependant Jean-Baptiste tente avec beaucoup de finesse - c'est Anne-Laure qui le remarque - de présenter une philosophie moins analytique...
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N'y aurait-il pas en l'humain, un point d'insertion entre l'esprit et la matière... ?
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Qu'entendez-vous par esprit... ? Pourquoi, l'esprit ne serait-il pas un phénomène physique... ?
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Restons dans le doute... La perception ne pourrait-elle pas être une sorte de matérialisation causée par l'esprit... ?
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Vous pensez donc que la réalité n'est pas ''une''... ?

On pourrait aussi débattre de la liberté de l'esprit et du déterminisme de la matière.... Russell considère que cette opposition est artificielle … De même entre intelligence et intuition ; entre instinct et subconscient....

Russell reconnaît la valeur de l'argumentation, mais elle est ''littéraire'', esthétique... Quant à Bergson, il a effectivement lu '' L’Évolution créatrice '' publié en 1907, et ses autres ouvrages.... Il « n’est pas meilleur que les précédents » car il n’y a pas « depuis le commencement jusqu’à la fin, un seul raisonnement (…) il ne contient qu’une peinture poétique qui fait appel à l’imagination » !
Pour Bergson on atteint la vérité par l’intuition et non par l’intelligence: elle n’est donc pas matière à raisonnement...
Russell s'en prend ensuite à la notion de ''durée'' telle qu'elle est proposée par Bergson... « de la littérature...!'' - (les deux s'y connaissent... Il seront tous deux prix Nobel de littérature..!!)
Jean-Baptiste de Vassy, qu'Anne-Laure nomme J.B., est un érudit fortuné - je le rappelle – passionné de mathématiques, il a souvent accompagné Henri Poincaré, qu'il vénère, dans des congrès, et même dans son travail... JB, va donc tenté ici, d'expliquer ce que ''durée'' pourrait signifier aussi bien en philosophie qu'en sciences...
Naturellement, nous étendons la durée, qui n'est qu'une donnée immédiate de la conscience, au monde matériel... L'Univers nous parait former un tout... La ''durée pure'' est qualité, changement, mobilité... Elle n'est pas une quantité, même si quand on essaie de la mesurer, on le signifie par de l'espace, comme une longueur sur la ligne du temps...

Henri Poincaré, a noté que le temps est relatif, qu'il dépend du point de vue sous lequel on le mesure.
Dans son ouvrage, publié en 1902 '' La science et l'hypothèse '' Poincaré affirme qu'il n'y a pas d'espace absolu, ni de temps absolu... Non seulement nous n'avons pas l'intuition directe de l'égalité de deux durées, mais nous n'avons même pas celle de la simultanéité de deux événements se produisant sur des théâtres différents.
En 1907, Minkowski reprend les travaux de Hendrik Lorentz et Einstein, réunit l'espace et le temps, que nous avons l'habitude de dissocier, pour finalement les réunir en un « continuum espace-temps » à 4 dimensions... Cela rejoint d'ailleurs l'intuition qu'en a Poincaré...
Vraiment, la ''raison physicienne'' - et peut-être, bien plus que la ''raison mathématicienne'' - est pleine de paradoxes...! Ne trouvez-vous pas...?
Ottoline et Anne-Laure s'interrogent sur la raison et l'amour...
Russell admet qu'il y a des cas où non seulement la raison n’est pas utile mais où elle peut même devenir nuisible.. Ces cas adviennent lors de la relation avec les autres...

L'amour a des formes multiples... Dans le sens courant, il est la relation que deux êtres qui se sont librement choisis vont nouer dans des liens à la fois ''spirituels'' et charnels. « La peur de l’amour (…) n’est que la peur de la vie. Et ceux qui craignent la vie sont déjà aux trois quarts morts »
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Philosopher ne permet-il pas ''d'appendre à mourir''..?
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Tout au plus, à vivre mieux...
Russell énumère trois causes au malheur des hommes: - le mal byronien, sorte de mélancolie où l'amour d'une femme et la misanthropie se rejoignent ; - le sentiment de culpabilité ; et – l'esprit de compétition imposé par la société... Aussi, en résultent de l'ennui et de l'envie, la peur de l'opinion d'autrui, de l'agitation et de la fatigue... qui sont autant d’entraves au bonheur.
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Et donc, pour être heureux...?
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Et bien, selon notre personnalité, nous serons plus disposé à chercher une forme raffinée à notre bonheur, comme l'art, la création ; ou plus intellectuelle comme la recherche scientifique, ou plus simple comme le jardinage … ou plus émotionnelle ou plus instinctive...
Et de grands éclats de rire closent la question...
Voyage en Angleterre -5- B. Russell

Bertrand Russell est né dans une famille riche de l'aristocratie britannique... Ses parents sont morts quand Russell était très jeune et il a été en grande partie élevé par sa grand-mère résolument victorienne (bien que très progressiste). Son adolescence a été très solitaire et il a souffert de crises de dépression... « Adolescent, j’ai haï la vie et j’étais continuellement sur le point de me suicider, ce dont j’étais empêché par mon désir de me perfectionner en mathématiques »
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Les mathématiques sont la seule chose que nous connaissons qui soit capable de perfection .
« J'aime les mathématiques en grande partie parce qu'elles ne sont pas humaines et n'ont rien à voir avec cette planète ou avec tout l'univers... L'Univers, comme le Dieu de Spinoza, ne nous aime pas en retour de quelque action.»
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Oui, peut-être, mais vous... Vous ne désirez pas être aimé en retour...?

Russell est tenté de décrire son enthousiasme quasi-mystique pour les mathématiques et la logique comme s'ils pouvaient être la base d'une nouvelle religion laïque.
De plus, Russell se propose de reconstruire toutes les mathématiques sur des bases purement logiques...
Plus généralement, Russell explique que l'un des buts de sa vie pourrait être de découvrir si l’homme est capable d’affirmer quelque chose de vraiment irréfutable: « Existe-t-il au monde, une connaissance dont la certitude soit telle qu’aucun homme raisonnable ne puisse la mettre en doute ? »
En 1900, il avait vingt huit ans, il souhaitait reprendre à son compte le projet que le philosophe et mathématicien allemand Leibniz avait entrepris dès le XVII° siècle : créer une langue logique universelle qui permettrait de réduire tous les raisonnements à des calculs afin que l’erreur disparaisse. Ne plus se tromper en rationalisant tout...!
Aujourd'hui, Russell tempère déjà cet absolu.... En effet – et cela fit bien rire Anne-Laure - « Leibniz, dans sa vieillesse, écrivit à un de ses correspondants qu’une seule fois dans sa vie il a demandé à une femme de l’épouser, et alors il était âgé de cinquante ans. “Heureusement, ajouta-t-il, la dame demanda du temps pour réfléchir. Cela me donna également du temps pour réfléchir moi-même, et je retirai ma demande”. Il n’y a pas de doute que sa conduite n’ait été rationnelle, mais je ne dirai pas que je l’admire »

Bertrand Russell expliqua en quoi, et pourquoi, il est athée: ce qui le révolte au plus haut point, ce furent les crimes commis, surtout contre les femmes, au nom de la religion et des textes bibliques. Par exemple ce texte : « Tu ne laisseras point vivre la magicienne » (Exode XXII, 18)... Conséquence: le pape Innocent VIII publie, en 1494, une bulle contre la sorcellerie et nomme deux inquisiteurs chargés de la réprimer. Ces derniers font paraître, la même année, un livre intitulé : « Malheus Maleficarum » ou, en français : « Le Marteau des Malfaitrices », dans lequel ils soutiennent que la sorcellerie est plus naturelle aux femmes, en raison de la méchanceté foncière de leur coeur. Entre 1450 et 1550, on estime à plus de cent mille le nombre de femmes qui sont brûlées vives sur le bûcher, en Allemagne seulement !
« La religion chrétienne a été et est encore le plus grand ennemi du progrès moral dans le monde »
Russell assure appuyer son athéisme, sur les bases de la raison et non sur la passion...

Sur le plan intellectuel, il remarque: la foi en quelque chose est codifiée et impérative... Elle s’accompagne donc toujours de dogmes doctrinaux qui ne résistent pas à un examen rationnel, même si la philosophie, d’inspiration théologique, a tenté de les rationaliser. La théologie tente de transformer la foi en savoir... Et, comme il y a plusieurs religions, et tentent chacune d'imposer son ministère; elles se font la guerre...!
Russell dénonce et démonte quelques unes des pseudo-preuves de l’existence de Dieu – comme celle qui veut que le principe de causalité nous contraigne à poser une cause suprême (et sans cause !) ou encore celle qui affirme qu’il y aurait un plan de la providence assignant à l’univers une fin bonne et qui expliquerait sa perfection.
La religion qui entend, selon une étymologie, relier les hommes entre eux et donc prôner l’amour du prochain, ne relie qu’en interne : elles s’opposent entre elles en externe, elles se combattent et se sont combattues sous les pires formes et elles constituent donc un ferment de haine entre les hommes – point qui est régulièrement et scandaleusement occulté par l’histoire officielle des religions que l’Ecole nous enseigne, alors que le spectacle du monde contemporain nous en offre encore de terribles exemples.
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Mais, tout cela n'advient-il pas, du fait d'une mauvaise interprétation des textes fondateurs... ?

Russell va plus loin... Et en vient aux textes... Ainsi de la dualité de l’âme et du corps. Il pointe le mépris du corps, au profit du spirituel et la conséquence sur la vie sociale de moindre importance par rapport à la vie future, jusqu'à accepter de souffrir pour gagner le ''salut''... Paradoxalement, la croyance en la survie de l'âme aboutit à un individualisme, centré sur son propre salut... !
Bien sûr, Russell évoque la morale religieuse, avec en particulier tous les interdits visant le corps et la sexualité. On oublie trop facilement tout le mal causé aux femmes, aux enfants et cette culpabilité aidée par cette croyance absurde dans le pêché originel... Cela ne sert qu'à rendre les hommes plus violents, malades...

Bref, la religion est pour Bertrand Russell le règne de l’obscurantisme : par ses dogmes et ses pratiques constitutives, mais aussi par son refus constant des découvertes scientifiques, de Galilée à Darwin...etc
Tout le monde reste sonné par ce réquisitoire, et il est bien difficile d'apporter dans cet environnement si fraternel la contradiction...
Le Congrès de philosophie d'Heidelberg - 1908 - 2
Retrouvons le congrès, à Heidelberg...
Avec une organisation matérielle irréprochable, le congrès de philosophie a su - malgré tous les charmes de cette vie étudiante - retrouver le sérieux des thèmes proposés...
Le thème qui s'est imposé – et dès le premier jour avec la conférence de M. Josiah Royce en l'assemblée générale – est '' le pragmatisme '' ; avec nécessairement une présentation des idées nouvelles sur la notion de '' vérité ''…

La vérité apparaît comme une chose changeante, purement pratique. Nous en arrivons à nous tourner plutôt vers l'avenir - vers les conséquences pratiques à obtenir - que vers le passé. La vérité n'est pas à trouver toute faite, il nous faut la faire; l'homme n'est pas fait pour elle, mais elle est faite pour l'homme. Ainsi conçoit-on la vérité moins en fonction d'un milieu objectif que plutôt en rapport aux besoins subjectifs d'un individu.
D'autre part, des théories récentes sont largement influencées par la recherche et les méthodes scientifiques... D'après M. Royce de nouvelles recherches - sur les bases des mathématiques, la nouvelle logique, l'étude des relations, tout cela - mettent en lumière des vérités qui sont tout à fait solides et absolues.
Peut-il y avoir une conciliation possible entre ces divers courants?
Pour M. Royce, on doit considérer la vérité absolue comme une nécessité qui s'impose à l'action plutôt que comme une évidence immédiate qui se dévoile à l'intelligence. On pourrait admettre, au-dessous de la vérité absolue, des formes inférieures de vérité empirique, relative à nos besoins pratiques... Cela ne permettrait-il pas d'accorder l'instrumentalisme et l'individualisme ?
Malgré ces vues modérées de M. Royce, le débat a donné lieu à de fortes protestations au nom des idées conservatrices, et la partie allemande de l'assemblée semblait tout de suite incliner fortement de ce côté.

Deux jours plus tard, M. Schiller prend la parole et fait de la notion rationaliste de vérité une critique bien dans sa manière, subtile et spirituelle. Comment concevoir un accord entre une pensée et un objet,comment distinguer l'évidence logique d'une simple nécessité psychologique, comment en général distinguer une proposition qui prétend être vraie d'une autre qui l'est réellement ? La ''vérité'' purement formelle prétend être vraie, mais elle n'est vérifiée que par les résultats qu'elle donne. C'est d'ailleurs, en fait, toujours par cette méthode que l'on juge. La vérité alors n'est pas indépendante de nous, sans doute, mais que nous fait un monde indépendant de nous ? il ne nous regarde en rien.

M. Schiller définit le pragmatisme comme une méthode... Il n'est ni un individualisme, ni un subjectivisme. Il n'est pas d'un bloc... L'opinion allemande ( avec le Dr Itelson de Berlin) y est décidément hostile : une « philosophie de cuisine... » !...
Pour M. Itelson, un Kepler, un Copernic ne paraissent pas avoir eu conscience de faire la vérité, mais plutôt de péniblement chercher à la voir derrière le voile qui la cache. Pour M. Mally de Graz, le pragmatisme tourne en rond : la vérité c'est ce qui est utile pour la connaissance; or la connaissance nécessaire... c'est celle qui saisit la vérité ! Et, pour M. Nelson (Gottingen) le pragmatisme aboutit à un procès à l'infini : vrai est ce qui est utile, mais comment savoir que c'est vraiment utile sinon en montrant l'utilité qu'il y a à l'admettre ?
M. Jerusalem soutient son frère d'armes anglais : Il ne s'agit pas, dit-il, pour nous, de formuler
d'oiseuses vérités de cabinet, niais d'avoir des jugements qui déterminent notre action ; exemple : « ich muss nieinen Regenschirm nehmen ».

M. Schiller a tenté de clore la discussion. Peut-on dire que : vrai et utile sont synonymes. Le vrai est utile, c'est-à-dire le vrai est vrai. Mais y a-t-il une vérité pour les pragmatistes ?
Le rationaliste prend la vérité comme une chose absolue et achevée qu'il n'a qu'à pénétrer de plus en plus. Le pragmatiste part d'une probabilité qui va se vérifiant de plus en plus, elle tend vers une limite qui serait la vérité absolue. M. Nelson demande s'il faut concevoir que la vérité est l'utilité, ou bien seulement que l'utilité est le critère de la vérité. M. Schiller termine en signalant la valeur sociale du pragmatisme ; il y a autant de vérités que de fins, chacun se fait la sienne, c'est la paix des intelligences.
M. Boutroux, dans sa conférence, a tracé un tableau général de l'activité philosophique en France depuis 1867, la date du célèbre Rapport de M. Ravaisson.

La philosophie éclectique est morte... Les influences régnantes sont caractérisées par l'enseignement consciencieux de Lachelier, par l'ouvrage de Ravaisson tout brûlant d'une foi métaphysique nouvelle, par les travaux philosophico-scientifiques des Anglais, de Darwin surtout qui ont appris à apprécier l'importance philosophique des savants, par les travaux de Taine et de Théodule Ribot. Il en sort un renouveau et quelques années de travail ardent vont mener à une dissolution du mouvement philosophique en groupes distincts, à une sorte de divorce de la philosophie comme unité et des sciences philosophiques spéciales, psychologie, sociologie, histoire, logique des sciences.
La Philosophie finira t-elle par disparaître ?
Personne, ici n'y croit... Les sciences laissent des questions qu'elles ne peuvent traiter : sur quelle certitudes la science elle-même s'appuie t-elle, quelles sont ses sources, que vaut-elle, atteint-elle le réel et qu'est-ce que le réel ? Et puis, il y a toutes ces questions morales que les savants les plus positifs ne parviennent pas à écarter. La préoccupation philosophique subsiste...
M. Boutroux s'interroge sur le caractère de la philosophie française. Il pense y voir le goût des idées claires, joint à un souci profond de réalité et de spécificité, à un amour très vif des choses morales. De là, les directions divergentes qu'il signale.

Une conférence de l’italien Benedetto Croce, L'intuizione pura e il carattere lirico dell' arte. Traite de l'Esthétique : esthétique empirique, pratique ( le plaisir), intellectuelle ( théorique et logique), agnostique ( indéterminée et indéterminable), esthétique mystique pour laquelle « l'art est une fonction cognitive supérieure à la philosophie », sa dernière et grandiose manifestation fut l'esthétique romantique.
L'esthétique de l'intuition pure : En voici le point de départ : elle accepte de l'esthétique romantique l'affirmation du caractère théorique de l'art et la négation de son caractère logique, mais au lieu de faire de l'art la fonction la plus haute et la plus complexe de l'Esprit connaissant, elle en fait la plus simple et la plus primitive. L'intuition esthétique est libre de toute abstraction, de tout concept, de toute détermination conceptuelle. Elle est Intuition pure. La force de l'art vient de cette « élémentarité » de son mode de connaissance. La théorie de l'intuition pure ne méconnaît pas le caractère sentimental de l'impression artistique, bien au contraire l'intuition quand elle est pure se ramène à un état d'âme, « elle est synonyme de représentation d'un état d'âme ». L'art n'est pas la représentation des choses physiques, mais de l'esprit qui est la seule réalité. C'est la thèse idéaliste absolue.

Malheureusement, on annonce l'absence de M. Bergson... ! Cependant, on peut entendre la vénérable Me Clarisse Coignet faire l'éloge du philosophe auquel elle voue un culte touchant.
M. Winter nous fait part de deux études claires et bien fouillées sur les rapports de l'intuition et de la pensée mathématique , et sur le rôle de la philosophie dans la découverte scientifique. Il défend l'idée que les formes supérieures de la philosophie, métaphysique ou théorie de la connaissance, ne peuvent pas, et ne doivent pas influencer la Science. Et, seule la pensée philosophique qui naît au contact des réalités scientifiques a une action efficace.
Ce IIIe Congrès international de Philosophie s'est occupé de beaucoup d'autres questions. On peut dire que les recherches de logique et de méthode des sciences ont fait l'objet d'une préférence assez marquée. Parmi les tendances, elles se sont manifestées nombreuses, mais l'une – le matérialisme – ne s'est guère présentée.
Le prochain Congrès devrait se tenir en 1912 à Bologne.