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Les légendes du Graal

1947 - Edgar Morin – Duras-Antelme-Mascolo

28 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1947, #Duras, #Antelme, #Morin

Travailler pour une ''nouvelle Allemagne'' attire de la part des connaissances de Lancelot, un même type de questions, ou de réflexions. Comment se passe la convalescence d'un pays infecté par le virus nazi et dont l'abcès vient de crever ? Aura t-elle la volonté de se débarrasser de ses vieux démons ?

Certains ont du mal à voir la trace d'une volonté de pénitence quelconque. L'humiliation actuelle peut-elle lui permettre d'apprendre les règles de la démocratie ?

On craint également que l'Espagne franquiste puisse représenter une menace, en gardant en son sein les survivances d'un nazisme.

Le jeune Edgar Morin, soutenu par le parti communiste, dans son dernier livre '' L'Allemagne, notre souci.'', et après '' L'an zéro'', ne tient pas responsable le peuple allemand ; il ne s'en prend qu'à leurs dirigeants ; et même à l'administration actuelle.

Dionys Mascolo, Duras et R Antelme

Edgar Morin, explique à Lancelot comment il a rencontré Dionys Mascolo fin 1943, avenue Trudaine, le vélo à la main. Leurs deux mouvements de résistance fusionnaient. Il avait 22 ans, Dionys 27 ans. Edgar Morin, était persuadé que l'Union soviétique sauvait le monde du nazisme ; le communisme d'après-guerre serait celui du dégel et notre libération.

« Mascolo me parlait souvent d’une certaine Mme Leroy, le pseudonyme de Marguerite Duras, qui s’occupait alors des familles arrêtées et déportées et se consacrait à la recherche éperdue de Robert Antelme, son mari »

Dionys Mascolo, connaissait M. Duras, depuis 1942. Il travaillait chez Gallimard, elle était secrétaire de la commission qui attribuait du papier aux éditeurs. En 1943, elle publie son roman Les impudents. Mariée, depuis 1939, à Robert Antelme ; ils emménagent, au 5 rue Saint-Benoît, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés de Paris.

Le mouvement de résistance, peu gaulliste, est dirigé par François Mitterrand et se réunit dans l’appartement de Duras, rue Saint-Benoît.

Le groupe tombe dans un guet-apens, Marguerite Duras réussit à s’échapper avec l’aide de Mitterrand. Le 1er juin 1944, Robert Antelme (27 ans) et sa sœur Marie-Louise sont arrêtés et emprisonnés à la prison de Fresnes. En août 1944, alors que Robert Antelme est déporté dans un camp de travaux forcés à Buchenwald, Marie-Louise est envoyée à Auschwitz où elle périt.

Lors de la retraite nazie, le 4 avril 45, 450 détenus survivants commencent leur « marche de la mort » vers le camp de Dachau, atteint 3 semaines plus tard.

Le camp est libéré par les américains, Robert Antelme est mourant, malade du typhus.

Le 30 avril, François Mitterrand en mission officielle à Dachau, est interpellé par un homme qu’il ne reconnaît pas tout de suite. Il s’agit de Robert Antelme qui ne pèse alors guère plus de 30 kg et n’a pas l’autorisation administrative de sortir du camp (placé en quarantaine). Alertés, ses amis Dionys Mascolo et Georges Beauchamp, en voiture officielle et faux papiers réussissent à le faire sortir clandestinement, caché sous une capote militaire, et à le maintenir en vie jusqu’à son retour en France et sa prise en charge médicale.

Une année est nécessaire afin qu’il puisse se rétablir complètement.

Edgar Morin, continue son récit : « Lors de l'insurrection de Paris Violette et moi avons rejoint Dionys et Marguerite Duras au siège du Petit Journal, occupé par notre mouvement. »

M Duras et R Antelme

En 1945, M. Duras fonde avec Robert Antelme, les Éditions de La Cité universelle, qui publient, en 1946, « L’An zéro de l’Allemagne » d’Edgar Morin, les œuvres de Saint-Just présentées par Dyonis Mascolo et, en 1947, « L’Espèce humaine » de Robert Antelme qui raconte son expérience quotidienne des camps, en mettant en lumière ce que la déportation a révélé en lui : « ce sentiment ultime d’appartenance à l’espèce humaine ».

Le '' groupe de la rue Saint-Benoît '' - la rue St-Benoît est une petite rue qui coupe le boulevard Saint-Germain, une rue tranquille qui part du coin du café de Flore que Marguerite fréquente beaucoup - s’élargit au contact d’intellectuels tels que Maurice Blanchot, Jean Schuster, Maurice Merleau-Ponty, Claude Roy, et surtout Edgar Morin qui convainc Mascolo, Antelme et Duras d’adhérer au parti communiste. En effet, à la Libération, beaucoup adhèrent au PCF, « amoureux de l'idée communiste » plus que de l'appareil de plus en plus stalinien.

Le trio Marguerite Duras, Robert Antelme et Dionys Mascolo est le coeur de ce groupe, qui s'élargit au gré des amitiés, tous à la recherche de la juste philosophie. On y croise donc, Sartre, Camus, Georges Friedmann, Emmanuel Mounier, Lacan, Barthes, Alain Touraine, Claude Lefort...

Marguerite divorce de Robert en 1946, alors qu'elle est déjà en couple avec Dionys. Sans rivalité entre eux, une fraternité profonde unit les deux hommes. Mascolo épouse Duras, avec qui elle a un fils, Jean.

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La Quête du Graal, par A. Béguin

23 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Béguin, #La Quête du Graal, #1945

La maison d'édition ''Le Seuil'', menée par Paul Flamand et Jean Bardet, était le lieu où se retrouvait certains anciens de l'association ''Jeune France'' ( Lancelot y participa en 1941) et, surtout, il y régnait un esprit d'équipe intelligent et bienveillant... Maison catholique, de gauche, mais davantage éclectique.

Le Seuil, édite la revue Esprit de Mounier, qui y conduit également plusieurs collections. Louis Pauwels, vient d'y publier son roman, '' Saint Quelqu'un ''.

Lancelot profite de l’intérêt de Paul Flamand pour le rapprochement de la France avec une ''nouvelle Allemagne'' pour visiter régulièrement l'équipe du Seuil, au 27 rue Jacob, avec le prétexte de partager ses découvertes d'auteurs allemands à traduire.

Lancelot, remplit le rôle de ''médiateur'', ainsi nommé au Seuil. Il présente Joseph Rovan ( d'origine allemande), résistant, envoyé à Dachau. Il collabore déjà à Esprit, et en 1947, il traduit « La lettre sur l'humanisme » d'Heidegger.

Albert Béguin

En 1946, Albert Béguin s'installe à Paris, pour devenir le directeur littéraire des éditions du Seuil.

Depuis quelques temps, Lancelot espérait pouvoir rencontrer Albert Béguin (1901-1957), dont il connaissait son intérêt pour '' la Quête du Graal '' . De plus, il connaît bien l’Allemagne, et vient de publier un ouvrage '' Faiblesse de l'Allemagne '' déjà écrit en grande partie en 1940. Il veut rassurer quand il écrit que nous n'avons eu affaire qu'aux allemands hitlériens ; mais cependant affirme un besoin de «  réhumaniser ces êtres entrés si profondément dans l’abjection... » ; croire en la ''nouvelle Allemagne'' c'est ne pas « désespérer du destin de l'Europe ». La résolution du problème allemand, écrit-il, tient aussi à la possibilité qu'a l’humanité moderne de répudier son culte de la matière, de la technique et de l’État....

 

Béguin offre à Lancelot, son édition de 1945 de La quête du Graal, qu'il a traduite en langue moderne, dans une collection de l’Université de Fribourg : Le Cri de la France.

Béguin explique à Lancelot comment, il a reconnu dans '' La Queste del Saint-Graal'', les éléments de sa propre biographie.

Comment cela s'est-il fait ? - Cela se fait à ce fameux point dont parle Breton « d'où la vie et la mort ne sont plus perçues contradictoirement. »

- ? Quel est ce point ? - Celui que l'on entend, quand on parle de réincarnation d'un personnage ancien, ou d'une mémoire mystérieuse... Dans cet objectif, les surréalistes testaient le pouvoir de mots lors de jeux littéraires....

Pour Albert béguin, le mythe de la Quête contribue, dit-il, à unifier sa vie. Dès seize ans, il aspire à s'engager en politique, alors que ses rencontres littéraires vont marquer sa vie : Péguy, Claudel, Gide, puis Proust. En 1934, il doit quitter l'Allemagne pour s'être opposé au nazisme. C'est dit-il le poids de la réalité, qui s'inscrit dans une quête intérieure. A vingt ans, il découvre Péguy, il est ébloui, mais n'est pas prêt à recevoir le message de la foi ; tout comme Perceval après avoir été reçu dans le château du Graal. Ce n'est qu'au terme d'un long cheminement dans une nuit magique, qu'il revient vers cette source de lumière. Pour n'avoir pu poser la question, il dut errer longtemps dans le gaste pays, avant de retrouver le haut lieu de Montsalvage.

Au retour d'un séjour en Bretagne, Béguin est reçu par Aragon, qui lui fait découvrir la forêt magique des surréalistes. Par la bouche d'André Breton, le roi Arthur annonce les grandes merveilles du Graal. Breton cherchait alors à constituer une nouvelle et intransigeante chevalerie de l'imaginaire. Si le Surréalisme lui ouvre les portes de la merveille, du rêve et du signe, la Quête de Béguin est l'aventure de l'âme plus que de l'esprit.

La seconde aventure l’entraîne sur la voie de l'âme romantique. Béguin découvre l’oeuvre de Jean-Paul, en 1930 il traduit Hespérus, puis en 1937 il publie l'âme romantique et le rêve. Pendant sept ans, il traverse la romantisme allemand comme les chevaliers de la quête traverse l'aventure s'engageant corps et âme. Tel Gauvain au château des merveilles ou Galaad au château des pucelles ; il se confronte à la Reine, car c'est au-delà et non en-deçà que le Graal dispense lumière et nourriture.

Béguin parle d'une « aventure nocturne qui n'a été qu'une sorte d'accident, et finalement une déception inavouée. » ; en effet, après la poésie allemande du XVIIIe et les surréalistes ; il trouve finalement dans le catholicisme ce qui lui a manqué : une ouverture sur le monde. En effet, il ajoute : « c'est pour avoir connu le vertige stérile d'une poésie de désincarnation que j'ai accédé à la foi chrétienne. » C'est aussi pour avoir connu la Reine de la nuit au château des Pucelles que Galaad a pu parvenir jusqu'au château de Corbénic.

Albert Béguin est baptisé le 15 novembre 1940. Pour lui, ce passage évoque celui qui permet à Perceval, sa sœur, Bohort et Galaad, de rejoindre Sarraz, avec le Graal. Traversée avec la nef, en particulier, la nef de Salomon.

- ? L'ouverture au monde ? - Je pense à Mounier avec ce mot dont il a fait la fortune : '' l'engagement ''. Il ne s'agit pas d'embrigadement, mais de présence dans l'histoire avec un choix personnel de la conscience. C'est une des questions que nous pose Mounier : la question de la présence chrétienne dans le monde, dans l'histoire...

- Advient donc ce moment, où je suis prêt à pénétrer - de nouveau et en conscience - dans le château du Roi Pécheur. Pour Béguin, ce roi, c'est Bernanos ; celui dont il sent sa capacité à l'accompagner jusque dans la mort ; au mieux à la manière de Galaad, qui se plonge dans la lumière du Graal, quitte à en mourir.

 

- Pourquoi avoir choisi cette version tardive de la légende du Graal ? - Parce que, peu de temps après ma conversion, c'est celle qui me concernait personnellement. Elle se situe dans la perspective mystique de Bernard de Clairvaux ; mais reste reliée à ses obscures origines celtiques.

La version de Chrétien de Troyes, me semblait n'être qu'une version de cour, destinée à divertir. Avec Robert de Boron, ce patrimoine mythique est christianisé. La version cistercienne date de 1220, et comme nous le montre Etienne Gilson, le Graal apparaît comme le symbole de la Grâce. Le récit s'enrichit de références évangéliques et prend parti dans le débat en cours, celui de la transsubstantiation. Malheureusement, il efface des épisodes plus ''magiques'', comme celui des '' trois gouttes de sang sur la neige '', ou même celui de la fantastique procession du Graal.

 

Pour Albert Béguin, le Graal serait plus la raison de la quête que son terme. Pour garder sa véritable dimension mythique, l'image du Graal, ne peut se réduire à une interprétation ; et la quête à un simple itinéraire. Le château du Roi Pécheur est un point de départ, tout autant que le terme.

Béghin, cite C.G. Jung : « Les grands problèmes de la vie ne sont jamais résolus définitivement. S'ils le paraissent parfois, , c’est toujours à notre détriment. Leur sens et leur but ne semblent pas résider dans leur solution, mais dans l’activité que nous dépensons inlassablement à les résoudre. Cela seul nous préserve de l’abrutissement et de la fossilisation.»

 

Avec le Graal, Galaad trouve en même temps l'accomplissement et la mort. Le Graal disparaît avec lui. Ce signe du Graal, que nous emportons dans la mort, est notre mystère ; il peut être ce manque primordial, ce signe dont parle l'Apocalypse (2:17) : « un caillou blanc portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit. »

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1947 - Martin Heidegger

18 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1947, #Pauwels, #Heidegger

Louis Pauwels 1955

Louis Pauwels (1920-1997), journaliste à Combat, voudrait rencontrer Heidegger. Lecteur au Seuil, il vient de publier un roman, '' Saint Quelqu'un '' qui retient l'attention des critiques. Lancelot a été séduit. Il s'agit , d'un homme ''ordinaire'' qui est amené suite aux circonstances, à '' s'évader '' de sa vie. C'est en effet, l'objet de la recherche de Pauwels. Un soir, il entretenait ses collègues à s'intéresser à Sri Aurobindo, du côté de l'Inde ; il voyait chez ce maître un dépassement de certaines limites dans lesquelles nous serions, nous chrétiens, enfermés. Son héros, a du mal lui-même à se situer « Je ne suis plus, pense t-il, je suis tout ce qui existe, je suis la lumière de ce qui existe. ». Ce détachement de soi, recherché dans le yoga, rejoint ici une extrême insensibilité qu'il va éprouver devant le cadavre de son petit garçon... C'est aller trop loin, pense Lancelot.

Pauwels s'enquiert auprès de Lancelot, de la difficulté à joindre Heidegger. D'autant que le conseil de l’Université de Fribourg a édicté à son encontre une interdiction définitive d’enseigner, en janvier 1946, en raison de son engagement nazi. Pourtant, depuis, que Sartre a fait, dans L'Etre et le Néant, référence au ''maître de Fribourg'', sa notoriété ne fait que grandir en France.

Précisément, en 1947, Martin Heidegger (1889-1976) s'adresse à ses disciples français, dans une '' Lettre sur l'humanisme'', et revient sur sa pensée depuis '' Etre et Temps'' (1927 - Sein und Zeit ). Lancelot et Pauwels se remémorent le concept qu'Heidegger a avancé avec le mot '' Dasein '', il peut se traduire par '' être-là'' '' être-présent'' et renvoie au mode d’existence de l’homme en tant que son être propre lui importe et en tant aussi que la possibilité de sa mort lui est constamment présente.

Heidegger

- En effet, cela va plus loin que le ''cogito'' de Descartes : ce n'est pas seulement le ''je'' qui pense, et qui en déduit qu'il ''est''.

- Comment Heidegger en arrive t-il à critiquer l'humanisme ?

- Aujourd'hui, l'humanisme affirme une volonté, vecteur d'une liberté capable de se façonner elle-même, sans essence qui précéderait son existence, propriétaire de la nature.

Heidegger montre que cette conception humaniste de l’homme tend à l’enfermer dans une seule vision de la réalité.

- Ah ? Pourtant, on peut être humaniste avec des visions différentes de la liberté, et de la ''nature '' de l'homme. Marxisme, existentialisme, christianisme, se réclament de l'humanisme ; ils sont différents … ! ?

- Oui, et - c'est essentiel - ils « tombent pourtant d’accord sur ce point que l’humanitas de l’homo humanus est déterminée à partir d’une interprétation déjà fixe de la nature, de l’histoire, du monde, du fondement du monde, c’est-à-dire de l’étant [ce qui est] dans sa totalité. ».

- Le problème, ce serait cette interprétation fixe ?

- Et son caractère universel.

- Heidegger s'écarte de l'existentialisme selon Sartre, non ?

- Pour Sartre, l'humanisme consiste à affirmer l'individu et à le poser comme fondement de la valeur. Pour Heidegger, l'humanisme est « souci de l’Être ».

- Nous ramenons souvent l'humain à sa pensée, une pensée technique ( penser avant de faire) pour maîtriser le monde. L'homme est ''humanitas'' avant d'être un animal rationnel.

- D'ailleurs Heidegger nous invite à « réapprendre à habiter le monde en poète »

- Je reprends là un petit extrait de son texte : « Ce n’est qu’à partir de la vérité de l’Être que se laisse penser l’essence du sacré. Ce n’est qu’à partir de l’essence du sacré qu’est à penser l’essence de la divinité. Ce n’est que dans la lumière de l’essence de la divinité que peut être pensé et dit ce que doit nommer le mot ''Dieu'' » ( Lettre sur l'humanisme ...)

Cela pourrait signifier que : - Ce n’est plus l’Être qui vient de Dieu, c’est Dieu qui vient de la vérité de l’Être…

- Si je reformule : L'être est ce qui fait advenir autant la divinité que l'humain. Dieu ne peut être sans l'être. Nous ne pouvons savoir ce qu'est Dieu, nous avons seulement accès à l'expérience que nous faisons de ce dieu.

Nous n'irons pas plus loin dans cet échange ; d'autant que chacun reconnaît la complexité de la pensée de Heidegger, et de plus, à partir d'une traduction.

Martin Heidegger

Lancelot, prévient Pauwels que '' l'ermite de la forêt noire '', redoute en effet la visite de français qui ne cessent de le solliciter. S'il n'est pas en son domicile de Fribourg, il sera dans sa retraite de Todtnau Bord ( la montagne de la mort...?). Son refuge est un petit chalet, avec une pièce dortoir et un bureau. L'occasion sera un article pour la revue Fontaine.

C'est finalement, Alexandre Astruc, qui remplit cette mission.

Heidegger, dans son refuge, est en pleine méditation sur la bombe atomique, qui a « une importance capitale dans le domaine de la métaphysique. Elle marque la fin de l'âge technique. C'est son aboutissement, vous comprenez... Il y a eu Descartes, Leibniz, le machinisme. Mais, ici, la technique se détruit elle-même. » (…) «  Ce qui est capital, ce n'est plus la découverte technique elle-même, mais la conscience que l'homme a de pouvoir détruire la création. J'insiste sur ce terme de ''conscience ''. »

Astruc l'interroge sur la liberté et la morale : « Il ne faut pas oublier que la réalité humaine (l'existence) est aussi vérité, c'est-à-dire valeur. Dans la vie banale, nous n'avons pas conscience de cette valeur. C'est le rôle de la métaphysique comme de l'art de la révéler à l'homme. Cette vérité existe indépendamment de l'homme, elle est avant lui. »

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1947 - Teilhard de Chardin.

13 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Teilhard de Chardin, #1947, #Lavelle, #Science

Lancelot a réussi à retrouver Dominique Dubarle (1907-1987), dominicain, théologien, philosophe et scientifique. Le père Dubarle, lui annonce aussitôt le retour en France de Teilhard de Chardin

Dubarle est convaincu que le progrès des sciences et des techniques provoque une rupture dans le cours de notre civilisation, c'est à dire a un impact sur l'humain et son devenir, sur notre culture. Il est donc nécessaire d'actualiser notre discours sur la foi. N'est-il pas important de reconnaître dans la philosophie de la science, un matérialisme et une œuvre spirituelle ?

Nous avons abandonné notre vision ancienne du cosmos, sous la pression d'une vision scientifique matérialiste du monde. La réalité du spirituel ne contredit pas l'explication matérialiste.

Teilhard de Chardin

C'est d'ailleurs un point important de la discussion qui s'est déroulée le 21 janvier 1947, organisée par l'équipe '' Science et conscience '' du CCIF, entre le P. Teilhard de Chardin et Gabriel Marcel.

Un débat fort intéressant qui a fait défendre par Teilhard l'idée que « l'effort collectif pour pénétrer les secrets de la matière est un acte spirituel », et « plus l'acte est spirituel, plus il peut être hautement christianisé si l'Esprit le complète »...

G. Marcel, est sceptique : il envisage par exemple, la conscience des médecins des camps de concentration, des savants nazis: « qu'il y a t-il là d'hominisant ? » N'est-ce pas plutôt une conception anti-chrétienne, qui nous ramène à l'homme prométhéen ?

Teilhard répond : «  ce qui fait l'homme prométhéen, c'est le refus de transcender son geste.. »

Tous les deux sont d'accord pour reconnaître la fêlure profonde que le mal a introduite dans la condition humaine... L'homme oscille de l'invocation au refus. G. Marcel voit dans le collectivisme et la technique , une nouvelle manifestation de l'esprit prométhéen.

Gabriel Marcel

Note : Prométhée « Le héros enchaîné [qui] maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les Dieux, c’est cette longue obstination qui a du sens pour nous. » Camus. - Camus dirait, qu'un '' esprit prométhéen '', prône sa foi en l’homme, en l’action et la transformation de la nature.

Teilhard ne nie pas le mal, mais pour lui la technique est un effort pour spiritualiser la matière, pour assimiler le cosmos à l'homme, et donc pour enrichir le plérôme ; le «plérôme» : « la mystérieuse synthèse de l'Incréé et du Créé, la grande complétion de l'Univers en Dieu».

L'idée de collectivisation, ne le gêne pas, elle crée une complexité nouvelle , et permet la maturation de l'humain, dit-il : ce serait l'ultra-humain....

Dans le même cadre, Lancelot, au mois de mai, entendit Louis Lavelle ( ce philosophe donnait des cours privés à Elaine, c'était en 1938.) répondre devant un abondant public à la question : '' A quoi sert le monde ? '' - L'homme, tout en étant dépendant du monde, peut – par sa vie spirituelle – se dégager des réalités extérieures ; Il s'agit donc – au-delà de la société des corps – d'assurer des rapports plus étroits entre les esprits. Le monde et nos limites, sont une épreuve, mais une épreuve féconde.

Teilhard ne partage pas cette conception. Il regrette l'opposition Dieu-Monde. « Être c'est s'unifier », dit-il. Le Monde ( le cosmos...) n'est pas un obstacle, au contraire.

Le père reconnaît la crise actuelle de la conscience ; mais il a une confiance philosophique ( et chrétienne) sans faille dans l'avenir humain.

Le mal c'est le prix de l'être. La création ( le multiple ) permet l'apparition du mal. Le multiple évolue vers l'unification ( bien).

Le Père reconnaît que le mal devient de plus en plus grave ( la bombe atomique) : - « cela laisse en suspens le succès de l'univers. Mais par l'infaillibilité statistique des libertés, rien n'empêche une vérité de monter. »

Certains philosophes « se meuvent encore dans un Univers pré-galiléen » : «  une des dimensions les plus essentielles du '' Phénomène '' , qui n'est pas d'être perçu par une conscience individuelle, mais de signifier à cette conscience individuelle, qu'elle se trouve incluse dans un processus universel de '' noogénèse '' ( qui aboutit à une noosphère) ».

Lancelot est émerveillé par cette représentation du Monde. Hélas Teilhard ne publie pas, le père refuse les grands conférences, et préfère des rencontres dites ''privées'' ( et parfois peuplées).

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1947 – La science prolétarienne.

8 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1947, #science prolétarienne, #Morin, #Desanti, #Lyssenko

Dominique Desanti 1949

Geneviève, impressionnée par l'engagement de Dominique Desanti au parti communiste, s'engage avec elle dans le ''Mouvement de la paix''. Il s'agit de préparer un congrès mondial des partisans de la Paix.

Au Parti Communiste français, Victor Leduc, directeur d'Action, professeur de philosophie, est chargé de passer les consignes aux différents cercles d'intellectuels; sous la responsabilité de Laurent Casanova et de Louis Aragon, Il s'agit de faire l'apologie du réalisme socialiste, et d’insister sur l'apport soviétique : « en ce qui concerne les philosophes ( au sens large), je les engage à exalter l'apport de Staline au marxisme-léninisme, la science prolétarienne. » ( Leduc)

Victor Leduc ne manque jamais de demander aux physiciens de dénoncer l'interprétation idéaliste du deuxième principe de la thermodynamique. Il tempête contre l'indéterminisme de la théorie des quanta. Il appartiendra aux chimistes de faire traduire et de diffuser la ''théorie soviétique de la structure chimique'' et de lutter contre celles de la ''résonance'' et de la ''mésomérie''.

Lyssenko

Louis Aragon et Pierre Daix, parlent de ''science prolétarienne'' et se réfèrent aux théories du biologiste et agronome Trofim Lyssenko (1898-1976) qui remettent en cause chromosomes et gènes.

« Grâce à Lyssenko, l'homme n'est pas un loup pour l'homme » (Pierre Daix)

Et, c'est en février 1949, que Laurent Casanova, évoque une « science prolétarienne » qui serait en opposition à une « science pure » et à une « science bourgeoise », et provoque la gène des scientifiques communistes...

Jean-Toussaint Desanti est chargé de donner une épaisseur épistémologique à la thèse des « deux sciences. » ( science bourgeoise et science prolétarienne ). Il soutient que la science, est une « idéologie historiquement relative ». La science serait-elle donc un discours sur le monde comme un autre, ni plus ni moins vrai... ?

Lancelot et Geneviève se disputent sur ce que Lancelot qualifie d'intransigeance de l'idéologie communiste. Comme Marguerite Duras, il estime que les Desanti se laissent entraîner par le vent inquisiteur de la stalinisation. Après une littérature au service du parti, ils défendent l'idée d'une science qui serait ''prolétarienne'' ! ? La science serait donc sous influence de la classe sociale ?

« Il y a, bien sûr, science bourgeoise et science prolétarienne, tant pis pour ceux qui rient; en biologie, le conservateur a tendance à être fixiste, le « front populaire » évolutionniste, les radicaux demeurant dans la pure tradition darwinienne, les socialistes réformistes séduits par le lamarkisme et le dialecticien communiste fatalement attiré par les Weismann, de Vries, Giard... » Vailland, Drôle de jeu, 1945

Dominique Desanti, avoue choisir le ''courant du parti'', au ''courant de l'amitié''. Elle accepte de brûler ses idoles, « comme les missionnaires l’exigeaient des païens convertis. Rester animiste, c’est-à-dire adepte des esthétiques considérées comme décadentes, et se déclarer marxiste ne convenait plus. Avant la création de La Nouvelle Critique, on louvoyait. Là, nous nous trouvions au pied du mur. Je jetais au bûcher les dieux de ma première jeunesse en persiflant Gide ».

Entre communistes, on hésite pas à dénoncer '' les coucheries de Marguerite et son obscénité''. Duras ne reprendra pas sa carte en 1949 ; et Antelme sera exclu.

Edgar Morin

 

Jusqu’en 1947, Edgar Morin partage un appartement rue Saint-Benoît avec Marguerite Duras, Robert Antelme, Dionys Mascolo, sortant le soir pour écouter Boris Vian trompetter au Tabou ou Juliette Gréco au Vieux-Colombier. « Marguerite cuisinait des déjeuners franco-vietnamiens et des dîners de fête réunissant les Queneau, les Merleau-Ponty, les René Clément, Georges Bataille ».

Edgar Morin, et Mascolo contestent l'accusation ''d’agents américains'', et d'autres plus grotesques, accolées à Sartre et Merleau-Ponty. Suite à un article (1951) qu'il écrit pour pour l'Observateur, il sera convoqué par Annie Kriegel ( Annie Besse) et exclu. « Ce fut comme un chagrin d'enfant, énorme et très court. » dira-t-il.

Morin ( 28 ans) travaille sur une réflexion de la manière dont les civilisations ont construit et vécu la question de la mort ( L'Homme et la Mort, paraîtra en 1951). C'est assez original ; puisqu'il ose une étude transdisciplinaire. Pour lui l'humain est à la fois rationnel et relié à l'imaginaire. Sa motivation est d'ordre matériel pour organiser sa survie, et sans se couper du mythe, de l'imagination.

Homo sapiens a conscience de la mort et peut en même temps admettre la disparition de sa chair, et croire en une vie au-delà de la mort. Homo sapiens, malgré sa peur, est capable de risquer sa vie pour une cause supérieure : la famille ou la patrie.

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1947 - Un monde bipolaire.

3 Avril 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1947, #De Gaulle, #Marshall, #Communisme

1947 : Une année en France, dont on se souviendra : c'est l'année de la mise en place de la IVe République, qui doit immédiatement faire face à la menace du Parti communiste ( « ils ne sont pas à gauche, ils sont à l'Est. » comme dira V. Auriol ) et à celle du Général de Gaulle, tous deux s'estimant incarner le recours à la politique du passé.

L'hiver toujours froid oblige à gérer avec soin son attribution de charbon. Les repas chez soi, ou au restaurant, sont qualifiés de jours ''avec'' ou jour ''sans'' (viande) ; d'ailleurs les boucheries ou les boulangeries n'ouvrent que deux ou trois jours par semaine.

Le ministère de la Défense où travaille Lancelot, vit difficilement l'entrisme des communistes au sein de sa direction. En septembre 45, Charles Tillon, nommé ministre de l’Air, met ses services civils sous la tutelle du PC, son départ en fin novembre soulage le commandement militaire.

Le 16 janvier 1947, c'est l'élection de Vincent Auriol à Versailles, comme président. Il rejoint l'Elysée, ''vide'' depuis 7 années. Le gouvernement est socialiste, gouverné par Paul Ramadier.

Le communiste Pierre Billoux devient ministre de la défense, et va proposer un projet d'une « nation en armes ».

De Gaulle à Strasbourg 1947

Ainsi, s'installe un tripartisme : PCF, Socialistes, MRP. Le général de Gaulle propose le 7 avril 1947, devant une foule immense : un Rassemblement du peuple français (RPF) qui se veut '' au dessus des partis '' ou du moins au dessus des clivages politiques. Beaucoup s'interrogent : un militaire, qui se pose au-dessus des partis, ne deviendra t-il pas, un autocrate ?

Les ministres socialistes et démocrates-chrétiens se désolidarisent des ministres communistes, alors que les mouvements sociaux se multiplient, que la guerre continue en Indochine et à Madagascar ; et qu'enfin Ramadier, les congédie du gouvernement ( 5 mai 1947 ).

La situation internationale se tend, entre le plan américain Marshall de reconstruction économique et le rapport soviétique Jdanov qui fixe à tous les partis communistes une nouvelle ligne anti-impérialiste.

La pénurie en Europe inquiète les américains. Un risque de faillite peut amener des révolutions. Il s'agit de freiner l’expansion soviétique et d'ouvrir de nouveaux marchés à l'économie américaine.

Les USA proposent leur aide à tous : il s'agit d'aider ''les amis'' de l'Amérique, sans être accusé de couper le monde en deux. Staline refuse, et exerce des pressions contre les pays qu'elle occupe et qui montrent leur intérêt.

Le Plan Marshall a, de fait, l'objectif d'aider les pays à se réformer, s'enrichir, et à résister au communisme; ses adversaires y voient une colonisation américaine ; et ses partisans un des bastion du monde libre. C'est le début de la guerre froide, et peut-être de la reconstruction européenne...

 

Déjà, le 5 mars 1946 au Westminster College, de Fulton (Missouri), en présence du président Truman, Winston Churchill prévenait dans un discours :« De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. » . C'était la première fois que l'on employait l'expression de ''rideau de fer ''.

 

De début avril à la fin octobre 47, chaleur et sécheresse obligent la population à subir des restrictions d’eau ; et en même temps, la ration quotidienne de pain est ramenée, au 1er mai, de 300 à 250 grammes, en cause une récolte peu satisfaisante due aux gelées.

Au ministère, ce 1er juillet 1947, la parole se lâche avec l'annonce dans les journaux de la découverte dans la cheminée du château de Lamballe, d'un « plan bleu », un projet d'attaque armée contre les institutions actuelles. Nous avions connaissance, depuis l'année dernière, sans l'évoquer librement, de l'existence d'un ''maquis noir'' qui groupait des ''vichyssois'', des collaborateurs, des résistants d'extrême droite. M. de Vulpian ( château de Lamballe), le général Guillaudot, le commandant Loustaneau-Lacau et Max Jacquot, ont été arrêtés. On parle aussi de maquis rouge , avec des communistes, et de maquis blanc, avec des gaullistes, des catholiques.

Le ministre de l'Intérieur Edouard Depreux a tenu à dévoiler à la presse cette opération, et rallier autour du gouvernement toutes les forces démocratiques, au moment du départ des députés communistes.

 

A l'automne, aux élections municipales, le RPF obtient déjà 36% des voix, et s'empare des grandes villes de France.

En France, à présent le RPF mène l'opposition, et les communistes animent les grèves, aux côtés de la CGT. Une partie non-communiste du syndicat, va faire scission et former la CGT-FO.

Le gouvernement Ramadier quitte le pouvoir en novembre 47, pour être remplacé par un gouvernement MRP ( démocrate chrétien ), mené par Robert Schuman.

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