1945-1949 - La Nouvelle Allemagne – 1
Au début mai 1948, son ministère accepte que Lancelot soit mandaté par Robert Schuman, pour effectué une mission à Berlin. Il s'agirait d'un rapport afin d'étudier les conditions d'une partition de l'Allemagne en deux états.
La position française du gouvernement français ( avec Bidault, par exemple) vis à vis de l'URSS, était la même que les britanniques, à savoir que le danger russe était « certainement redevenu aussi important sinon supérieur au danger que représentait une Allemagne renforcée. ». Il s'agissait donc de reconstruire les zones occidentales aussi rapidement que possible et sans tenir compte des agissements soviétiques.
Les américains ont annoncé le 1er janvier 1947, l’unification économique des zones américaine et britannique en une zone unique ( bizone ) et plaide en faveur de la « formation prochaine d’un gouvernement provisoire allemand »
La politique française n'est pas encore clarifiée à l'égard de l'Allemagne: L'Allemagne doit-elle se suffire à elle-même, être privée de la majeur partie de son potentiel industriel en démontant ses usines et en la privant de la Ruhr et de la Sarre, et en plus doit-elle payer des réparations aux vainqueurs en même temps ?
En juin 1947, le général George C. Marshall, proposait un programme de reconstruction européenne, le Plan-Marshall. Début 48, nous considérons que les soviétiques n'ont pas abandonné l’idée de contrôler l’ensemble de l’Allemagne.
Lancelot rejoint Baden-Baden et son gouvernement militaire qui conserve l'essentiel des pouvoirs économiques et administratifs. La politique de '' démocratisation '' ou de dénazification pose quelques problèmes ; du fait d'une conception missionnaire qui impose des cadres inspirés du modèle français. L'administration est de plus tiraillée entre les militaires ( le général Koenig) et le cabinet civil administrateur. Koenig, ne souhaite pas encourager la fondation d'un nouvel état allemand.
Lancelot retrouve le ''colonel'' Alfred Döblin, berlinois d'origine, qui occupe un poste à la Direction de I'Education publique. Alfred Dôblin, est l’auteur universellement connu du roman '' Berlin Alexanderplatz''. Döblin porte en permanence, même à des soirées littéraires, l’uniforme français. Il s'engage dans la renaissance de l'association des écrivains en zone française et participe à des émissions du Sudwestfunk où il anime tous les quinze jours une "critique du temps. Il propose à Lancelot de l'accompagner à Berlin.
De Baden, Döblin et Lancelot se rendent à Wiesbaden, puis à Francfort sur le Main, d'où ils prennent un train pour Berlin. A la sortie d'Helmstedt ( zone britannique), les russes contrôlent et visitent les wagons. Si des récalcitrants refusent de se soumettre à leur demande, le train peut être renvoyé ; cela est déjà arrivé. De même, le 12 avril 1948 l'autoroute Berlin-Helmstedt a été fermée sous prétexte de travaux de réparation.
Nous sommes bien, pour Lancelot, à la rencontre de deux mondes qui s'affrontent ; vision que se refuse à formuler Alfred Döblin, qui lui en reste à l’anéantissement de l'Allemagne, après ces douze années passées et un pays qu'il ne reconnaît plus.
Revoyons la situation actuelle depuis la fin de la guerre.
Lors de la victoire sur l'Allemagne nazie, les alliés avec l'URSS s'affichent avec le programme d'un nouveau monde sans guerre.
1945 : année zéro. Les occupants renonçaient à l’annexion, mais s’attribuaient la « supreme authority with respect to Germany » ( 5 juin). Il s'agissait de démocratiser l'Allemagne, mais l’Est et l’Ouest ne partagent pas la même conception de la notion même de « démocratie ».
- Pour nous, argumente Lancelot, la démocratie signifie : le pluralisme politique, le système représentatif et les droits individuels. Ce sont celles-ci que les communistes qualifient de '' libertés formelles '' ou bourgeoises, celles que les classes laborieuses ne peuvent s'offrir, disent-ils, faute de moyens. C'est seulement par la disparition des classes, que s'épanouiraient les libertés ''réelles'' .
Dölbin répond : - Vous pouvez donner le droit de propriété, mais qui vous garantit qu'il ne permettra pas l'exploitation des travailleurs... ?
- Pour moi, continue Döblin, l'Allemagne s'étant déshumanisée, la priorité est donc de restaurer l'individu dans son humanité. (Il faut savoir que Döblin s'est converti au catholicisme en 1941.)
Il est important que les allemands reconnaissent leur implication morale et acceptent d’être vaincus. Seules la conversion et la rédemption du peuple, permettront de garantir une avenir de Paix. J'irai même plus loin : le nazisme les a coupé de leur nature humaine ; culpabilité et expiation sont essentielles dans le processus de dénazification.
Il faut que justice soit rendue au nom des victimes innombrables de ce régime, que la responsabilité et la culpabilité soient reconnues et assumées, que le verdict de l’histoire soit accepté.
Döblin se voit non pas en procureur, mais en « révélateur » (« Aufklärer ») et accoucheur de la prise de conscience, première étape de ce processus.
1947-48 - Maritain – Gurdjieff
Anne-Laure de Sallembier continue de suivre, par correspondance au moins, l'enseignement des Maritain.
Jacques Maritain est, de 1945 à 1948, ambassadeur de France auprès du Vatican. Il participe à la fondation, en 1950, du Congrès pour la liberté de la culture. À cette époque des doutes s’élèvent contre la Salette, Jacques Maritain remet à Pie XII une note défendant la voyante Mélanie et l’apparition. Son mémoire est transmis par le pape au Saint-Office.
Avec, les pleurs de la Mère de Dieu, et le ''secret'' de la Salette (1846), Maritain voit le signe d'une interprétation de l'Histoire : il partage l'idée de Léon Bloy « Dieu va parler par les faits ». autrement dit : on peut trouver dans les événements historiques, un matériau à l’aide duquel comprendre ou interpréter la volonté de Dieu , à la lumière d’une exégèse appropriée des textes saints.
« La Salette n’est pas que du passé, comme le croit Claudel, c’est la clef du présent et de l’avenir, la clef de l’abîme. (…) le monde et tout ce qui a une place dans le monde va subir l’immense ébranlement dont se réjouit le magnificat, et entrer dans le secret de la Justice divine » ( J. Maritain, L. Massignon, Correspondance ) .
« pour moi, c’est de plus en plus autour de la Salette que se concentre la vie de mon âme. Il me semble qu’il y a dans les larmes de Marie sur notre terre de France un mystère qui répond au Consummatum est du Calvaire, et qui est aussi infiniment vaste et inscrutable » Correspondance Maritain - Massignon
Maritain parle de ''souffrance de Dieu'', ce qui pourrait paraître comme une imperfection divine ! « Il faut tenir au nombre des perfections du Dieu infiniment bienheureux, l’éternel exemplaire, en lui, de toute la douleur humaine. » Je traduis : Dieu trinité est pleinement humain en Jésus. Notre Dieu est un Dieu crucifié. Souffrir est l’apanage de la vie et de l’esprit, c’est la grandeur de l’homme, nous dit Bloy, selon Raïssa Maritain.
Manifestement, cette expérience de spiritualité ne convient pas à Pauwels ; il semble à la recherche d'un maître à la hauteur d'un Guénon, et confie à Lancelot son intérêt pour les spiritualités de l'Orient, avec lesquelles l'apprenti est guidé dans les profondeurs de l'être.
Quand Lancelot parle Christianisme, ou cite Bernanos, quand il écrit qu'il n'y a qu'une douleur, celle ne n'être pas un saint ; Pauwels est insatisfait de ne pas savoir ce qu'est un saint ; certainement pas une description de vertus morales, et surtout qu'en est-il du récit du voyage pour arriver jusque là ? Comment fait-il s'y prendre ?
N'est-ce pas la douleur de la foi ? - Non pas la foi en ceci ou cela... Mais, la foi en l'espèce humaine. Quel est donc ce commun entre tous les saints, qu'il soit saint Bernard ou un grand yogi, ou un poète ?
Pauwels raconte que c'est à la suite de la lecture de son livre '' Saint Quelqu'un'' ; qu'on le conduisit chez Gurdjieff . Une des premières phrases de cet enseignement était : « Sauf exception rarissime, les hommes ne sont pas des êtres accomplis. Nous sommes des ébauches d'hommes, non pas des hommes. »
Pauwels continue son questionnement, alors qu'il commence à peine l'Enseignement : « je veux changer, mais qui veut changer en moi ? J'ai mille ''je'', mais pas de ''Je'' ! Je n'ai pas de moi immuable et permanent, A chacune de mes pensées, de mes humeurs, de mes désirs, je crois engager tout Pauwels. Mais où est tout Pauwels ? »
En 1948, également, Arnaud Desjardins ( 23 ans) est introduit dans les groupes Gurdjieff, patronnés par Jeanne de Salzmann. Il témoigne : « Là, j'ai pour la première fois compris qu'il existait des méthodes ou des techniques susceptibles de m'aider à changer en profondeur, c'est-à-dire à transformer mon être, mon niveau de conscience ; cette découverte a véritablement été le point de départ de ma recherche. »
1950 - Marie, la mère de Dieu. L'Assomption
A part Luc, les évangélistes n'ont pas accordé à Marie, une place importante.
Depuis 418, le patriarche de Constantinople, Nestorius, refuse d'appeler la Vierge Marie "Mère de Dieu" ; ce qui reviendrait à nier l'union des deux natures, humaine et divine, dans le Christ. Aussi, le Concile d'Ephèse en 431, déclare Marie « Mère de Dieu ». Cette pleine foi en le mystère de l'incarnation, place l'avènement du culte marial. L’événement de l'Assomption n’apparaît que dans des écrits apocryphes. Saint Éphrem en 373, évoque le fait que le corps de Marie soit resté sain après son décès protégé de "l’impureté" de la mort. Des manuscrits de la fin du VIe siècle nous parle de commémorations liturgiques de la Mère de Dieu. Une fête est célébrée en Orient depuis le VIe siècle sous l'appellation de Dormition de Marie.
C'est surtout au XIIe siècle, avec l'appellation de '' Notre Dame '' que le culte marial prend de l’ampleur. Marie est représentée sur le Trône de la Sagesse.
Marie qui s’élève au Ciel le jour de l’Assomption est la "nouvelle Ève" auprès du Christ, le "nouvel Adam".
'' Ce Mal dont Eve et le serpent ensemble / Se sont faits par le fruit de l'Arbre les auteurs, / C'est elle seule, en enfantant le Christ, / La Vierge qui le chasse tout à fait.".
Le XIIIe siècle, est l'âge d'or des apparitions, et témoignent d'un modèle de sainteté : maternité divine et virginité. Cependant, Thomas d’Aquin reconnaissait « qu’il est impossible de faire de l’Assomption un dogme puisque les Écritures ne l’enseignent pas. ».
On peut voir des représentations artistiques de l’Assomption, dès le 15è siècle.
Le 1er novembre 1950, le Pape proclame ( ex-cathedra) la définition dogmatique de l’Assomption :« Nous proclamons, déclarons et définissons que c’est un dogme divinement révélé que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste. »
Le père Dominique Dubarle, que Lancelot interroge à propos de l'Assomption de Marie, répond qu'a travers l'humaine mère de Jésus, l'Eglise proclame '' le destin surnaturel et la dignité de tout corps humain, appelé par le Seigneur à devenir un instrument de sainteté et à participer à sa gloire.'' Et ceci, en réaction à ce que nous venons de vivre : la guerre ; les camps d'extermination, qui ont gravement humilié et désacralisé le corps humain.
En 1947, Thomas Philippe, est recteur du couvent d'études du Saulchoir à Étiolles.
Le 20 octobre 1938, à Rome, devant la '' Mater Admirabilis '' peinte par Pauline Perdrau, en 1844, le Père Thomas témoigne avoir découvertes les grâces de Marie ; la Vierge l'aurait investi d'une certaine doctrine, au cours d'une prétendue nuit de noces. Cette expérience fut une étape essentielle dans sa vie spirituelle. Cette fresque de représente la Vierge Marie comme une jeune fille, dans sa vie de tous les jours, avant que l’ange Gabriel vienne lui annoncer qu’elle était choisie par Dieu pour être Mère de son Fils. Le pape Pie IX la découvrit en 1846 et s’exclama “Mater admirabilis !”, nom qui lui resta. Il vint fréquemment prier devant elle. Il proclama le dogme de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1854.
En 1946, s'ouvre aux portes de Paris un « Centre international de spiritualité et de culture chrétienne », une « école de sagesse » destinée à former de futures élites chrétiennes grâce à un enseignement théologique et philosophique d'inspiration thomiste. La direction est confiée à Thomas Philippe qui a transmis sa charge de recteur du Saulchoir en octobre 1948.
Le philosophe Jacques Maritain, alors ambassadeur de France près le Saint-Siège soutient l'initiative, y donne aussi des cours et songe même en 1948 à s'y installer.
Jean Vanier – dont le père ambassadeur finance l'installation du chauffage – se dirige vers l'Eau vive et s'y installe en septembre 1950, il devient rapidement le « fils spirituel » de Thomas Philippe. Un psychiatre américain John W. Thompson (1906-1965), s'y installe à partir de 1951 et y accueille des adolescents et des jeunes adultes en souffrance mentale, comme « une oasis spirituelle infusée par l'amour de Dieu au milieu d'un désert sans âme marqué par le matérialisme et la destruction. ».
Jean Vanier, qui avait accompagné le père Thomas à Rome, écrit dans un article de 1950, sur l’Assomption de Marie : « Le 21 Octobre, c’est la fête de Mater Admirabilis. C’est une icône qui a été peinte à Trinita dei Monti chez les sœurs du Sacré Cœur [..] C’est un lieu très important pour le Père Thomas qui m’avait parlé des grandes grâces qu’il y avait reçues, je crois, en 1938. »
L'organisation approximative, des '' débordements de piété affective '' déplaisent, notamment à l'abbé Charles Journet, le père de Menasce et Jacques Maritain... Par l'entremise de sa sœur Cécile, le père Thomas Philippe entretient des rapports privilégiés avec plusieurs moniales du carmel de Nogent, dont il assure la direction spirituelle : « Tout ce microcosme dominicain d’Étiolles et de Soisy [...] vit dans l’exaltation mariale sous son ascendant : les pénitents et pénitentes se pressent dans le couloir d’accès à son bureau, quitte à y faire le pied de grue plusieurs heures. ».
Bref, le 3 avril 1952, Thomas Philippe sera définitivement démis de ses fonctions. Le centre est fermé en 1956 par décision du Saint-Office et son fondateur condamné.
Cette fameuse doctrine, partagée à l'intérieur d'un cénacle de quelques initiés, ne craint pas d'imaginer un lien mystico-érotique entre Jésus et Marie. Dans les années 1950, Jacques Maritain et Charles Journet reprochaient au Père Thomas de parler de la Vierge Marie comme « l’épouse du Christ ». « (…) cette manière de vouloir faire de la sainte Vierge l'épouse de son fils (…) m'exaspère et me scandalise. » Maritain
1947 - Louis Pauwels – Les apparitions de Marie.
Lancelot s'est attaché aux déambulations du jeune Pauwels. Brillant, il vient de remporter un beau succès avec son premier roman, pour lequel on le compare déjà à Bernanos ; grâce auquel il a rencontré Mauriac, et avec qui il s'est confié sur son prochain livre ( et obtenu – peut-être – une préface!) : il s'agit d'une ''aventure'' dit-il, ou une méditation sur la Guerre, l'amour et la mort. Expérience pénible, avoue-t-il : « cette aventure, aggravée par l'obligation de l'exprimer, les mots sitôt lancés revenant sur moi pour m'interdire toute dérobade, m'a mis, en son milieu, corps, raison et cœur en grand péril.»
Lancelot et Pauwels, partagent leur goût pour la lecture des romans de Julien Green. Certes, son style académique, et sa réserve fournit un surnaturel trouble, sans férocité... Pourtant, comme le dit Pauwels : « il y a chez Green cette volonté profonde d'échapper à l'apparente réalité de ce monde et d'en dénoncer l'emprise étouffante. de se refuser à la vraisemblance et de n'entreprendre le dialogue avec les êtres et les choses que dans la mesure où Il réussit à provoquer entre eux et lui cette secrète communication d'existence à existence qui, seule, justifie la création romanesque. Il s'agit pour Green, comme pour tout esprit vraiment méditatif, de résister à ce monde qui ne nous offre que des occasions de nous absenter de nous-mêmes, et de nous installer fermement dans notre dedans. Mais ainsi, pour le romancier, grâce à ce refus et à cette ascèse, s'établit peu à peu un chemin du dedans de lui-même vers le dedans des êtres et des choses. Alors, sans cesser d'être vivants et « possibles », ses personnages se meuvent dans un univers chargé de tous les mystères de la condition humaine. On voit que la démarche de Green est proprement mystique. »
Hélas, chacun regrette que sa veine romanesque se soit tarit, semble t-il, avec son dernier roman : ''Si j'étais vous...'' A moins que l'écrivain ait rejoint un certain catholicisme de la désespérance ? Plutôt que ''si j'étais vous'' , ne s'agit-il pas de dire :« si j'étais enfin moi-même ! »
Un jour, la discussion tourne autour des ''apparitions'' de la Vierge. Et au mois d'août 1947, Pauwels s'en va à Moissac, faire le reportage d'une nouvelle affaire :
Les apparitions ont commencé, il y a un an, pour une une enfant de 7 ans, Nadine Combalbert, qui gardait des oies à l'orée de ce bois. Elle revint chez elle, effrayée, et confia à sa mère qu'elle venait de voir la Vierge. '' Le bruit se répand rapidement et, bientôt, d'autres enfants déclarent avoir assisté à l'apparition d'une belle dame, vêtue d'une robe blanche, et ornée d'un diadème éclatant. Le mois suivant, quelques centaines de curieux font pèlerinage au bois d'Espis. Le bruit de ces merveilles ne fit que croître et, aujourd'hui, la célébrité de ce bosquet déborde les frontières.''
Le 12 août 1947, Pauwels est dans le bois d'Espis, à 4 kilomètres de Moissac.
Sa conclusion ? : - Vraiment, je ne sais à quoi m'en tenir. Rome a envoyé des enquêteurs en civil. Un ecclésiastique, qui touche de fort près l'archevêché de Tarbes, m'assure qu'il s'agit d'une psychose collective, bien entretenue par des Industriels du Centre, des royalistes angevins et un Belge très riche. Je sais encore que le prix des terrains voisins du bois a centuplé en six mois et j'apprends (mais ce renseignement est-il exact ?) que l'on a déjà collecté plus de quatre millions pour une future basilique.
En tout cas, on ne peut reprocher aux membres du clergé leur extrême prudence Ici, l'on dit que tant de mauvais vouloir s'explique par la crainte d'une concurrence faite à Lourdes par Espis. La voix des hôteliers de Moissac se joint, bien sûr, à celles des pèlerins.
Le père Douince, directeur de la grande revue jésuite de Paris Les Etudes, songeait, je crois, à faire faire une enquête sur les «Phénomènes d'Espis». Mais cette enquête s'avère maintenant impossible, car toutes les pistes ont été brouillées par les intrigues commerciales et les nombreux mystificateurs. « Au reste, nous sommes débordés », conclut le porte-parole de l'évêque.
Ce qui est intéressant à observer, c'est que nous sommes à un moment d'apogée du culte marial, avec en 1950, l’affirmation par Pape Pie XII de la foi de l'Église en l'Assomption de la Vierge Marie . Certains parlent du retour de la Vierge en France, ainsi en 1938 dans le diocèse de Quimper à Plouvenez-Lochrist, puis à Ortoncourt dans les Vosges en 1940 ou encore à L'Île-Bouchard en Touraine en 1947.
A l’Île Bouchard, en Indre et Loire, le 8 Décembre 1947, trois petites filles ( 12, 10, et 7 ans ) passent prier à l’église pour la fête de l’Immaculée Conception. Elles voient la Sainte Vierge et l’ange Gabriel qui la contemple, un genou à terre. A l’école, leur récit leur attire les moqueries des religieuses et du curé. Elles retournent à l’Eglise où avec une quatrième voyante, elles reçoivent ce message : « Dites aux petits enfants de prier pour la France qui en a grand besoin! »
En cette fin d'année 47, le climat social s'est alourdi, par les grandes grèves, les émeutes devant les boulangeries, la guerre froide. On est au bord de la guerre civile. Le gouvernement Schuman mobilise deux classes d’âges sous les drapeaux pour faire face aux troubles.
En mai 1945, Lancelot apprend que les curés des paroisses catholiques de Berlin ont l’idée de faire porter une statue de la Vierge de pays en pays pour consolider la paix toute récente. Ils pensent à une statue de Notre Dame de Fatima, qui avait dit : « Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix » (13 juillet 1917). Le projet du jeune père Demoutiez prend corps : le 13 mai 1947, une statue de Notre-Dame de Fatima part de la Cova da Iria ( Fatima) pour aller présider le congrès marial de Maastricht aux Pays-Bas, et commencer un voyage à travers les frontières d’Europe et du monde entier. Elle va voyager 10ans, parcourir le monde ; la France refusera la visite.
1947 – L'Exodus
Le 19 juillet 1947, paraît dans les journaux français, une information concernant un bateau transportant 4500 juifs attaqué par des navires anglais au large de Haïfa. Très peu de gens savent que ce navire nommé ''President Warfield'', affrété par l'organisation sioniste clandestine Haganah, a changé son nom, en cours de route, pour celui d'Yetzia Europa ou Exodus 47 ; et que ce bateau parti de Sète en France, a forcé le blocus et a réussi à atteindre la Palestine.
Lancelot est déjà informé de la difficulté de gérer pour les alliés, des milliers de réfugiés juifs ou non, refusant de retourner en Europe centrale et orientale, en raison principalement de l'antisémitisme toujours actif ( pogroms en Pologne ).
La France, pour ne parler que d'elle, a du mal à gérer et distinguer ( faux papiers ) les réfugiés juifs de l'Est. Elle n'offre pas une politique d'accueil, mais plutôt une politique de transit. Les sionistes organisent des convois clandestins et les français, les anglais et les américains se renvoient tous ces réfugiés ''illégaux'', avant de les envoyer ailleurs.
Pour ce qui est de l'Exodus, les anglais, sont en colère contre la France, qui a laissé partir ce navire. L'amirauté britannique a suivi l'embarquement, et mobilise une force inhabituelle pour intercepter le navire, une semaine après son départ de Sète. L’arraisonnement d’une extrême violence fait trois morts et des centaines de blessés chez les passagers.
Les anglais ont renoncé à dérouter le bateau sur Chypre, dont les camps d’internement sont maintenant surpeuplés. Les 4.500 Juifs qu’il transporte sont purement et simplement renvoyés, sur trois « bateaux-prisons» convoyés par un torpilleur britannique, à leur lieu d'embarquement, c’est-à-dire dans les eaux françaises.
L’unique passeport collectif de ces 4500 Juifs porte un visa colombien, mais ce visa est un faux. Le gouvernement colombien ne refuse pas de les accueillir pourvu qu’ils soient ou veuillent être agriculteurs. Mais eux ne veulent qu'aller en Terre Sainte et non ailleurs. La Grande-Bretagne s'obstine à leur refuser l’accès qui leur fut promis jadis par la déclaration Balfour, mais en contradiction avec les promesses faites aux nationaliste arabes.
Que va faire la France ?
La position de la France, déjà, lors de leur embarquement, est de faire passer les considérations d’humanité (il s’agit de Juifs échappés à l’antisémitisme toujours vivace en Hongrie, en Roumanie, en Pologne et en Allemagne) avant les obligations les plus formelles. La police française a fermé les yeux sur l'embarquement … prétextant que le Tour de France, qui passait alors dans la région, accaparait sa vigilance.
Ces 4.500 malheureux vont donc revenir, sur trois cargos anglais qui mouilleront en rade de Villefranche. Les autorités françaises sont disposées à accueillir et à traiter humainement ceux qui descendraient à terre. Les autres seront ravitaillés tant que le navire restera dans les eaux françaises.
Le 31 juillet, Les émigrants refusent toujours de débarquer en France, ils sont décidés à rester sur les navires jusqu'à leur envoi en Palestine. Ils continuent à se plaindre des traitements qu'on leur inflige.
Une lettre, écrite en anglais, a été adressée à tous les représentants de la presse internationale, elle raconte le drame vécu par les passagers de L'Exodus.
Le 13 août, on pense que les émigrants de l'Exodus 47 resteront encore quelques Jours à Port- de-Bouc. Le destroyer « Welfare », qui fait partie de l’escorte des navires, quittera Sausset-les-Pins ce matin pour se rendra à Tunis. Il sera remplacé par un autre bâtiment venant de Malte. Quant aux émigrants de l'Exodus 47, on pense qu'ils seront dirigés sur Mombasa, au Kenya.
Le 21 août, ultimatum : si les passagers ne débarquent pas, la marine anglaise appareillera pour la zone britannique d’Allemagne.
Le 7 septembre, le premier navire transportant les errants de l'Exodus accoste aujourd'hui à Hambourg, en secteur britannique. Ce n’est que mardi que l’Exodus sera rassemblé au complet dans le port. Lors du débarquement ces personnes seront dirigées vers deux trains composés de wagons de première et seconde classes, et séparés par des plates-formes sur lesquelles prendront place des soldats. Toutes les fenêtres des wagons seront grillagées. Les trains transporteront les réfugiés juifs aux deux camps aménagés à 64 kilomètres de Hambourg.
Cette affaire a ému l'opinion publique, et accéléré la résolution de cette question de l'immigration juive vers la Palestine, par la reconnaissance de l'état d'Israël.
Il faut rappeler que - Après la guerre de 1914-18, les territoires arabophones de l'empire ottoman, ne sont pas rendus à la Turquie, mais sont mandatés au Royaume-Uni ( SDN – juillet 1922). On y prévoit un '' foyer national pour le peuple juif '' et le futur royaume de Transjordanie ( créé en mai 1946). La Palestine devient un lieu de conflit entre nationalistes juifs et arabes. En 1939, les britanniques s'engagent , auprès des arabes à diminuer fortement l'immigration juive, et écarte la perspective d'un état juif.
Le 29 novembre 1947, l'Assemblée générale des Nations Unies vote un plan de partage de la Palestine avec le soutien des grandes puissances, mais pas celui des Britanniques. Ce plan prévoit la partition de la Palestine en trois entités, avec la création d’un État juif et d’un État arabe, Jérusalem et sa proche banlieue étant placées sous un régime international spécial et administrée par les Nations Unies.
L’Espèce humaine de Robert Antelme
À sa sortie, l’ouvrage d’Antelme connaît une très mauvaise réception
Le public français peut également lire les témoignage de Jean Laffitte, ou de Paul Tillard communistes, résistants, déportés. David Rousset publie L'Univers concentrationnaire, un livre qui fait découvrir la particularité des camps nazis, par la description du phénomène concentrationnaire répressif ; il obtient le prix Renaudot en 1946.
Le témoignage de Robert Antelme, L’Espèce humaine, paraît en 1947, dans une édition plutôt confidentielle. Lancelot y prête une attention particulière parce que l'auteur tente de comprendre ce qui s'est passé ; ose t-on dire, même, de formuler un sens ?
Les années 1945-46 ont vu la publication de nombreux témoignages de la guerre, dont on a du mal à discerner le réel de la part romancée : on peut relever parmi les plus lus : Mon village à l’heure allemande (1945) de Jean-Louis Bory, Le Bouquet ( 1945) de l’écrivain Henri Calet, Pierre Laval de Michel Letan. Des ouvrages comme Passage de la ligne de Paul Rassinier, ou L’Âge de Caïn, signé Jean-Pierre Abel, vont susciter l'indignation et sont dénoncés comme de faux témoignages.
Parmi cette littérature de témoins, bien peu de récits concernent les ''persécutés ou déportés raciaux'' , bien moins que les ''internés ou déportés politiques'' ( souvent communistes) ; au point de susciter dans le public un sentiment de ''trop plein mémoriel ''.
En 1949, Les Temps Modernes ( la revue de JP Sartre) écrit, à propos de la lecture de L’Espèce humaine de Robert Antelme : « Encore un livre sur les camps de concentration ! (…) Assez de résistance, de tortures, d’atrocités, place au sourire ! ».
Personne n'a encore accepté que l'antisémitisme a donné lieu à une extermination massive des juifs. Officiellement, n'est pas mise en avant la singularité de la tragédie juive ; l'état français ne tient pas à différencier les français déportés pour raison politique ou raciale.
« Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont suivi notre retour, nous avons été, tous je pense, en proie à un véritable délire. Nous voulions parler, être entendus enfin. On nous dit que notre apparence physique était assez éloquente à elle seule. Mais nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle [quelle]. Et dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de poursuivre dans notre corps. Comment nous résigner à ne pas tenter d’expliquer comment nous en étions venus là ? Nous y étions encore. Et cependant c’était impossible. À peine commencions-nous à raconter, que nous suffoquions. À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable... » Robert Antelme.
Robert Antelme, nous raconte Dionys Mascolo, depuis son retour, « parle continûment. Sans heurt, sans éclat, comme sous la pression d’une source constante, possédé du besoin véritablement inépuisable d’en avoir dit le plus possible avant de peut-être mourir, et la mort même n’avait manifestement plus d’importance pour lui qu’en raison de cette urgence de tout dire qu’elle imposait. Je crois que nous ne dormirons en tout pas plus de quatre ou cinq heures pendant les deux jours du retour. ». Sa difficulté ne vient pas de ce qu'il ne peut pas dire ; mais de ce qu'il ne peut pas être entendu. Antelme, craint de ne pas être cru, ou du moins compris.
« Les gens normaux ne savent pas que tout est possible » ( David Rousset, L’univers concentrationnaire )
Antelme montre ce qu'est vraiment un homme, à propos de son « copain » Jacques « qui sait que s’il ne se démerde pas pour manger un peu plus, il va mourir avant la fin ; et qui marche déjà comme un fantôme d’os et qui effraie même les copains (parce qu’ils voient l’image de ce qu’on sera bientôt) et qui n’a jamais voulu et ne voudra jamais faire le moindre trafic avec un kapo pour bouffer »
« Il était un saint, pour la seule et unique raison qu’il ne se battait plus pour ce petit supplément de nourriture, ce qui le condamnait à brève échéance. Le but est toujours d’obtenir plus que ce à quoi on a droit, la vie du prisonnier en dépend. » .
Dans un système totalitaire, l'individu est un élément interchangeable d'une communauté qui impose ses règles. Chacun est identique, et se confond au point de ne pas exister en lui-même.
Bien-sûr, l'humain en soi résiste. « Les SS qui nous confondent ne peuvent pas nous amener à nous confondre. (...) L'homme des camps n'est pas l'abolition des différences. Il est au contraire leur réalisation effective. »
Pour Antelme, le ''rêve SS'' était de distinguer dans l'espèce humaine des sous-espèces. Et réduire « à l'état de rebut, tout ce qui pour le système nazi constituait une sous-humanité. ».
Les gardes du camp distribuent des coups, juste pour qu'ils n'oublient pas, qu'ils n'ont aucun droit.
Les bourreaux de Jacques, veulent en faire un ''non-humain'' ; et lui, leur dit « il y a des déchéances formelles qui n’entament aucune intégrité » ; lui leur prouve que ce qui fait l'homme c'est sa « conscience irréductible »
Mais l'appartenance des bourreaux à la même espèce n'est pas davantage niable. Les pages les plus belles et les plus terribles du livre d'Antelme sont sans doute celles qui racontent ses derniers jours de captivité, les jours d'apocalypse où les gardiens, fuyant le camp dans une Allemagne en déroute, continuent à pousser devant eux, avec une férocité décuplée par la rage, leur troupeau d'esclaves, mais partagent avec eux la même misère, le même effroi, la même peur... Il sont des hommes eux aussi, malgré tout.
En 2004, Martin Crowley, va publier un essai sur Robert Antelme. La préface sera d'Edgar Morin, il écrira :
« ... Nos ennemis sont aussi humains. Nous pourrons traiter valablement les problèmes humains, ceux de l'oppression, de l'injustice, de l'inégalité, non pas en utilisant la violence destructrice et répressive, mais par des réformes en profondeur des relations entre les humains. Ces réformes comportent évidemment le développement de notre capacité de compréhension d'autrui, qui seule peut nous faire échapper à la barbarie du rejet, du mépris de la haine. Ici la référence à l'humanité est la référence à la complexité humaine. Hegel disait que si l'on désigne comme criminel une personne qui a commis un crime dans sa vie, on élimine injustement tous les autres traits de sa personnalité et de sa vie. Nous devons comprendre les bourreaux, les Staline, les Hitler, les Saddam, les terroristes des sectes ou d'Etat, les fanatiques hallucinés sont aussi humains, et que parmi leurs traits ignobles, ils ont aussi des caractères d'humanité. Sinon nous obéissons à la logique qui est la leur.. Il y a là une leçon capitale de complexité humaine, qui est celle de Robert Antelme. (...) c'est une oeuvre dont la pure simplicité procède d'un sentiment profond de la complexité humaine. .. c'est un chef d'oeuvre de littérature débarrassé de toute littérature. Effectivement, comme l'aurait dit Pascal, la vraie littérature se moque de la littérature. » Edgar Morin.
En face de ce "rêve SS", affirme Martin Crowley, en appeler à l'humanisme classique ne suffit plus. Il faut un nouvel humanisme, qui fasse de ce ''rebut'', l'homme lui même.
Lancelot ses demande, si ce n'est pas là, une des propositions du Jésus des Evangiles ?