Les Mathématiques, et la Réalité
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Yvain revient au miroir qui les intriguait tous les deux, avec Elaine: - cette image énigmatique rejoint mon idée que la réalité n’est plus simplement ce que j'observe directement, mais elle inclut des phénomènes invisibles à l’œil nu... Je pense, dit-il, aux interactions quantiques et aux forces gravitationnelles, qui modélisent, en partie seulement, notre perception du monde.
- En t'écoutant, ajoute Elaine, je rapprocherais bien ces aspects réels du monde, qui ne sont pas directement observables, aux ''Formes '' antiques...
Mais, sans y avoir trop réfléchi, je pensais que la manière dont nous en rendons compte, par des équations par exemple, dépendait de nous, de notre cerveau, de ce que nous apprenons...
Les nombres ou les formes géométriques, sont des entités idéales et abstraites. Ma question c'est: Ces objets mathématiques, existent-ils indépendamment de notre esprit , ou sont-ils des constructions humaines?
Et je rajoute, dit Elaine, si ces objets mathématiques, sont découverts et non inventés, les mathématiciens peuvent-ils témoigner d'un lien particulier entre ces '' Formes '' et leur intuition ?
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- Oui... répond Yvain. Je pense à présent, à ce curieux personnage qu'est Ramanujan, un génial mathématicien indien autodidacte, qui avait la conviction que ses découvertes mathématiques étaient révélées par une source divine! Il ne se fiait - disait-il - qu'à son intuition et à ses visions pour formuler des théorèmes et des formules, dont beaucoup se sont révélés corrects et profonds.
Elaine connaissait l'histoire de ce mathématicien indien, invité à Cambridge, du fait que son père – après la première guerre - l'avait rapidement rencontré, grâce à Russell... ( cf, le chapitre: Lancelot de Fléchigné - Cambridge – Russell )( Tome 4)
Yvain, qui reçoit les félicitations de Lancelot, pour prendre avec beaucoup d'application la Quête en chemin, nous explique comment les Universaux trouvent un écho important dans ses propres travaux de mathématiques.
Il commence, avec beaucoup d'à propos, par cette citation de W. V. O. Quine, il écrivait :
« Les trois principaux points de vue médiévaux concernant les universaux sont appelés par les historiens réalisme, conceptualisme, et nominalisme. Pour l’essentiel ces mêmes trois doctrines réapparaissent dans les vues d’ensemble du vingtième siècle sur la philosophie des mathématiques sous les nouveaux noms ( à côté de celui de réalisme ( Cantor) de logicisme, intuitionnisme et formalisme. »
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Après la querelle médiévale des universaux s’est ouverte à cause de Cantor, peut-être, une querelle similaire, la Querelle des Mathématiques. Dans l'optique de notre intérêt, il s'agit bien d'une querelle métaphysique.
Georg Cantor (1845-1918), mathématicien allemand, s'est heurté à l'attitude hostile de ses contemporains. Cependant, ses idées ont finalement été reconnues comme révolutionnaires et ont profondément influencé les mathématiques modernes. Il sépare ''infini potentiel '' ( indéterminé) de l'infini actuel comme par exemple '' l'ensemble de tous les nombres entiers finis '', cet ensemble, précise-t-il, est une chose en soi . ''L’infini actuel'', dit-il, est un infini parmi d’autres, avec une hiérarchie complexe de différents types d’infinis.
Cantor pense que les objets mathématiques, y compris les ensembles infinis, existent indépendamment de notre pensée. Cette position est en ligne avec le réalisme mathématique, qui soutient que les entités mathématiques ont une existence objective et indépendante
Paul Bernays ( 1888-1977 - mathématicien suisse) défend un logicisme : les concepts mathématiques peuvent être définis en termes logiques, pour lui les mathématiques sont une activité de l’esprit qui réagit à des situations, plutôt qu’un simple réservoir de connaissances. Il rejoint en un sens, Bertrand Russell.
L’intuitionnisme est défendu par L. E. J. Brouwer : Les objets mathématiques n’existent pas indépendamment de notre pensée, Ils sont une création libre de l’esprit humain. Le point intéressant concerne '' l'Infini '' :l’intuitionnisme rejette l’idée de ''l’infini actuel'' de Cantor. Par exemple, un nombre réel ne peut être représenté comme une suite infinie de décimales que si nous disposons d’un moyen effectif de calculer chacune de ces décimales.
Le formalisme ( David Hilbert ) est une position philosophique en mathématiques qui soutient que les mathématiques consistent essentiellement en la manipulation de symboles selon des règles formelles, sans se préoccuper de la signification ou de l’existence des objets mathématiques eux-mêmes, en particulier des infinis...
Ces trois courants s'opposent au réalisme de Cantor en ce qui concerne la nature et l’existence des objets mathématiques. Cantor voyait les ensembles infinis comme des entités réelles et indépendantes.
Et aujourd'hui – dans les années 60 – 70, quels sont les scientifiques qui seraient dans la ligne du réalisme mathématique ?
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Kurt Gödel, autrichien ( 1906-1978), il a collaboré à Princeton avec Albert Einstein. Gödel a travaillé sur les fondements des mathématiques et a prouvé des théorèmes d’incomplétude – c'est à dire que la cohérence et la complétude des systèmes mathématiques ne peuvent être ni prouvées ni réfutées à partir des axiomes de ce système.- et ont eu des implications profondes pour la théorie des ensembles. Gödel était un réaliste platonicien, il pense les objets mathématiques sont découverts plutôt que créés; ils sont découverts à travers la recherche et la logique. Les objets mathématiques, seraient indépendants, tout comme les objets physiques tels que les planètes ou les atomes.
Roger Penrose (1931- ) physicien et mathématicien britannique, croit que les mathématiques existent indépendamment de l’esprit humain et qu’elles révèlent des aspects fondamentaux de la réalité. Il utilise les théorèmes de Gödel pour argumenter que la conscience humaine ne peut pas être entièrement expliquée par des systèmes formels ou des algorithmes
Michael Atiyah (1929-2019) un mathématicien britannique qui a contribué de manière significative à la topologie et à la géométrie a souvent parlé de la beauté et de l’élégance des mathématiques.
Elaine réagit: - Prenons, la mathématique comme un langage : elle décrit la réalité en représentant des faits et des objets. Mais, si on va en profondeur, de notre relation au langage par son apprentissage, on peut soutenir que le langage ne se contente pas de décrire la réalité, il la construit. Nos concepts et catégories linguistiques façonnent notre perception du monde, diront certains.
Yvain répond: - je pourrais dire que les vérités mathématiques existent indépendamment de la manière dont nous les conceptualisons. Il me semble que la mathématique est un langage universel, les concepts mathématiques eux-mêmes transcendent les différences culturelles. Le fait est que, souvent, en mathématique, nos propositions, bien qu'étonnantes, sont validées par l'expérience...
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Une autre fois, Yvain souhaite nous parler d'une nouvelle théorie, qui rejoint les discussions précédentes. Il s'agit de la '' Théorie des Cordes '' : elle concerne les particules élémentaires, c'est à dire, les plus petits objets physiques dont sont constituées la matière et les forces de l'univers.
Nous pensions que les électrons, les neutrons et les protons, représentaient les particules fondamentales dont toute matière est faite. Mais, la découverte des quarks constituant les nucléons allait relancer la course à la recherche des particules élémentaires.
Une ''particule'' était considérée comme un point sans dimension, occupant une position précise dans l’espace. Ses caractéristiques étaient la masse, la charge électrique (positive pour les protons, négative pour les électrons, et neutre pour les neutrons), et le spin (une propriété quantique intrinsèque).
Avec l’avènement de la mécanique quantique, la représentation des particules évolue, elles ne sont plus vues comme des objets ponctuels avec des trajectoires définies, mais plutôt comme des “paquets d’ondes” avec des probabilités de présence dans différentes régions de l’espace. Cette matière aurait un aspect ondulatoire ; Cette dualité ''onde-particule '' affecte donc cette représentation. Nous ne pouvons plus nous représenter les particules par de petites billes..
De plus, les physiciens ont découvert que les protons et les neutrons n’étaient pas '' élémentaires '', mais étaient composés de quarks. A présent, nous comprenons qu'il faudrait unifier dans une même théorie, les forces fondamentales (électromagnétique, faible et forte) et la gravité.
Un développement mathématique propose le modèle de cordes unidimensionnelles ( qui n’ont qu’une longueur, et n'ont ni largeur ni hauteur.). Ces cordes vibrent à différentes fréquences, et chaque mode de vibration correspond à une particule différente. La Théorie des Cordes estime pouvoir unifier la gravité et la mécanique quantique.
Cela rejoint nos discussions, autour du miroir; sur les '' formes '' mathématiques utilisées pour décrire des phénomènes physiques. Les mathématiques jouent un rôle central dans la formulation de la théorie des cordes, qui n'est que théorique... Ce serait bien du platonisme, parce que ces cordes, en un sens, ne sont pas observables, et pourraient être considérées comme des entités idéales qui sous-tendent la réalité.
La Querelle des Universaux -2
Avec mon esprit colimaçon, je reviens sur ce débat :
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Le ''nominaliste'' affirme que sans un individu qui puisse comparer ce cheval avec un autre, aucune similitude n'existe entre eux. Le concept général de ''cheval'' n'existe pas réellement et relève uniquement d’un processus de l’esprit.
A contrario, répond le ''réaliste'' l'universel cheval existe, ce concept existe même indépendamment de ce qu’il représente. En effet, il est patent que tous les chevaux partagent des caractéristiques communes (comme avoir quatre pattes, une crinière, etc.).
Le '' réaliste'' soutient que les universaux sont nécessaires pour expliquer l’existence des catégories et des espèces. Sans les universaux, il serait impossible de parler de “cheval” en général, car il n’y aurait que des chevaux individuels sans lien conceptuel entre eux.
De plus, c'est parce que '' la chevalité '' existe en lui, que cet animal peut galoper.
Le ''nominaliste '' répond : - Préférons la simplicité, comme de considérer que les universaux sont des noms que nous utilisons pour décrire des groupes d’objets similaires, plutôt que des entités réelles indépendantes. '' Cheval'' reste une étiquette que nous facilite le langage. De plus, nous ne percevons que des chevaux individuels, et non pas l'universel ''cheval''. Les universaux nous permettent d'organiser notre expérience du monde, mais ils n’ont pas d’existence indépendante.
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Elaine, choisit la position intermédiaire d'Abélard ( défini comme ''conceptualiste'' ). Il admet que les universaux existent, mais uniquement dans l’esprit humain. Pourtant, ils jouent un rôle crucial dans notre cognition. Ils nous permettent de catégoriser et de comprendre le monde en regroupant des objets individuels sous des concepts généraux. Par exemple, le concept de “cheval” est formé en observant les caractéristiques communes à tous les chevaux.
Ainsi, le mot ''cheval '' a une signification réelle dans notre langage et notre pensée. Un concept n'est pas un simple nom sans substance, il émerge de notre interaction avec le monde et de notre besoin de structurer notre connaissance.
Yvain rejoint Elaine, et ajoute qu'un des questions qui lui vient à l'esprit – un peu annexe, certes - est celle-ci : comment pouvons-nous modéliser un concept universel, pour qu'il puisse être admis par une ''intelligence artificielle'', et qu'est-ce que cela en dit... ?
Une autre fois, Lancelot qui s’intéresse de près aux sciences, et Yvain, découvrent qu'ils ont suivis de près ou de loin, les mêmes conférences de Jules Vuillemin (1920-2001) philosophe et épistémologue, au Collège de France, où il traitait de la théorie de la connaissance appliquée aux mathématiques. Il avait écrit en 1962 '' La philosophie de l'algèbre ''. Lancelot avait pu le rencontrer lors de l’hommage à Jean Cavaillès qu'il avait connu. (voir : Le 8 mai 1945. - Les légendes du Graal (over-blog.net) et Jean Cavaillès - 1929 - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Dans son ouvrage “Nécessité ou contingence”, Vuillemin analyse comment différents systèmes philosophiques depuis l’Antiquité ont traité la question des universaux.
Et surtout, Vuillemin a été fortement influencé par les idées de Willard Van Orman Quine (1908-2000) , avec qui il a beaucoup échangé, notamment en ce qui concerne deux points importants :
- Nos croyances : elles forment un réseau interconnecté, où chaque croyance est soutenue par d’autres croyances. Si une nouvelle preuve contredit une croyance, nous devons ajuster l’ensemble du réseau pour maintenir la cohérence.
- La véracité d'un énoncé : certains sont-ils vrais par définition, et d'autres en vertu de l'expérience ? Doit-on faire cette distinction ? Quine et Vuillemin sont d'accord de la critiquer.
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Vuillemin a exploré les questions de déterminisme et d’indéterminisme, qui sont centrales à la mécanique quantique. Il a analysé comment les concepts de probabilité et de causalité sont traités dans la théorie des cordes, et comment cela affecte notre compréhension de la réalité.
J'ai moi-même lu en 1973, dans la collection de poche Idées, ''La nature dans la physique contemporaine'' de Werner Heisenberg ; avec des lignes fascinantes sur le comportement des particules subatomiques, et l'énoncé du fameux principe d’incertitude de Heisenberg. Le fait que nous ne pouvons pas connaître simultanément la position et la vitesse d’une particule avec précision, implique une description probabiliste de la réalité ; et cela introduit une forme d’indéterminisme où les événements ne sont pas strictement déterminés par des causes antérieures.
Le rôle de l'observateur dans la réduction de la fonction d’onde suggèrent que l’acte d’observation peut influencer le résultat d’un événement, remettant en question la causalité classique.
On pourrait ajouter que l’intrication quantique, suggère que des événements peuvent être corrélés de manière instantanée à distance, sans lien causal direct.
Le calcul des probabilités nous permet de modéliser des phénomènes complexes où les résultats ne sont pas déterministes. Et, il est nécessaire de repenser la causalité dans un cadre plus global et interconnecté.
Lancelot rappelle que déjà le philosophe David Hume (1711-1776) soutenait que notre idée de causalité ne repose pas sur une connexion nécessaire entre les événements, mais sur l’habitude et l’expérience répétée. ( Le XVIIIe s. : La nature humaine, la conversation et David Hume. -3/.- - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
La Querelle des Universaux -1
Dans ce contexte médiéval, Elaine propose d'entrer dans la Querelle des Universaux :
Lancelot, précisément, voudrait encore rajouter ceci :
La quête du chevalier - comme celle de Perceval pour le Graal ou de Lancelot - symbolise un chemin ardu nécessitant la purification de l’âme et l’élimination des illusions matérielles., pour tenter le Salut, et la découverte de la Vérité ultime, donc divine.
Les personnages de Chrétien de Troyes (1135 ? - 1185 ?), comme Lancelot, Yvain, et Perceval, incarnent des concepts universels, tels les vertus : la bravoure, la loyauté, et la quête de la vérité. Ils transcendent les individus spécifiques.
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L'amour courtois entre Lancelot et Guenièvre illustrent un concept universel – l'amour - tout en étant ancré dans des situations spécifiques et des personnages particuliers.
Les aventures de nos héros, reflètent le débat médiéval sur la relation entre les universaux (les concepts généraux) et les particuliers (les actions spécifiques d’un chevalier dans une quête particulière. ).
Alors Yvain, très attentif à cette incursion dans une période assez lointaine, demande que soit précisé la problématique de cette querelle, à l'époque :
Elaine tente de résumer :
- La question centrale est de savoir si les universaux, comme les concepts de “cheval”, ou d' “humanité”, existent réellement en dehors des objets particuliers qui les exemplifient.
Les universaux sont-ils des entités réelles qui existent dans un monde idéal ou dans l’esprit de Dieu, et, comment les objets particuliers participent-ils de ces universaux ? C'est à dire de quelle manière un objet individuel manifeste les caractéristiques de l'universel ?...
Les réponses à ces questions influencent notre conception de Dieu, de l'âme, et aussi de la nature de la réalité. Sur le plan religieux, ce débat touche également à des questions de salut, de la nature des sacrements, et de la Trinité.
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Je rajouterais, ajoute Yvain : - La vision que nous avons, nous terriens, du monde ( la terre, le ciel, l'horizon...) ne nous cache t-elle pas la réalité de l'Univers ?
Ecoute-moi, continue Elaine, je vais tenter de te raconter cette histoire :
Le protagoniste de celle-ci, est un moine philosophe du XIIè siècle, qui nous invite à le suivre dans la Forêt des Significations. Dans cette forêt, chaque arbre représente un concept universel. Parmi nous, les Réalistes voient ces arbres comme des entités réelles, tandis que les Nominalistes les voient comme de simples illusions.
Le moine nous montre l'un des arbres, qu’il appelle “Humanité”. Il explique que cet arbre n’est ni une illusion ni une entité particulière. Au lieu de cela, il nous propose de choisir entre, - la création de Dieu ou, - le résultat de l’esprit humain qui, en observant de nombreux individus, abstrait les caractéristiques communes pour former le concept d’humanité.
Continuons cette comparaison, par l'allégorie de la tisserande. Cette tisserande, en observant les fils individuels, crée des motifs sur son tissu. Les motifs n’existent pas indépendamment des fils, mais ils ne sont pas non plus de simples noms. Ils sont le produit de l’esprit créatif de la tisserande, tout comme les universaux sont le produit de l’esprit.... L'esprit de Dieu ou l'esprit humain ?
Lancelot reprend la parole : - Je vais essayer, moi aussi: je vous propose l'histoire d'un alchimiste; ce savant n’est pas seulement intéressé par la transformation des métaux en or, mais aussi par la transformation des idées et des concepts.
L'alchimiste explique que, tout comme l’or peut résulter de la transformation des métaux, les universaux résultent de la transformation, par l’esprit humain, des perceptions individuelles. Ceci dit, je relève, que l'or existe !
Yvain demande à y réfléchir davantage... Mais, ces histoires lui font bien comprendre les composantes de cette querelle.
Yvain, le Moyen-âge
Naturellement, deux ou trois semaines plus tard, en visite à Fléchigné, Elaine présente Yvain à Lancelot ; il était au courant de cette visite et était curieux de rencontrer ce nouvel allié dans la Quête, au prénom prometteur...
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Yvain connaît l'histoire du '' Chevalier au lion '', dont il conserve l'histoire , consignée dans un livre reçu pour son anniversaire de ses dix ans. Livre gardé précieusement, mais sans s'y être vraiment intéressé.
Lancelot ne manque pas de lui rappeler le contenu et l'intérêt de ce roman de Chrétien de Troyes.
Ce texte médiéval, au-delà de son aspect littéraire, offre une exploration fascinante des thèmes de la chevalerie, de l’honneur et de la quête personnelle. Yvain, le protagoniste, traverse une transformation personnelle profonde. Cette évolution peut être comparée à la démarche scientifique, où la persévérance et l’adaptation sont essentielles pour surmonter les défis. Ce roman offre un aperçu précieux de la société médiévale et de ses valeurs. Elaine pourrait vous convaincre que comprendre ces contextes peut enrichir votre perspective sur l’évolution des idées et des connaissances jusqu'à nos découvertes scientifiques très récentes... . Pour ma part, il me semble que les rebondissements et les quêtes imbriquées, dans cette histoire, peuvent être vues comme une métaphore des découvertes scientifiques, où chaque réponse mène à de nouvelles questions.
Elaine s'amuse de voir son père, piaffant d'impatience d'entrer dans le vif du sujet de la ''Quête du Graal '' ; et l'inquiétude d'Yvain au bord d'un chemin dont il sent bien que son parcours avenir va nécessiter une initiation, qu'il n'imaginait pas il y a quelque semaines....
Elaine préfère, en rester encore, à la philosophie médiévale qui l'occupe précisément dans ses études...
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En lien avec leur première discussion sur la réalité et la connaissance des choses ; elle exprime son besoin de revenir à nos fondamentaux... avec la Querelle des '' Universaux ''
Elaine parle avec passion du Moyen-âge, et en particulier du XIIè siècle. Ce siècle est celui du renouveau intellectuel. Des écoles, centres de savoir, vont devenir des Universités ; on y étudie et traduit en latin, des œuvres grecques et arabes. On ne craint pas le débat. Les ordres monastiques s'épanouissent, se répandent à travers l'Europe, et des réformes renforcent la discipline ecclésiastique.
Bernard de Clairvaux (1090-1153) met l'accent sur l'amour divin et la contemplation. Hugues de Saint-Victor (1096-1141) cherche à harmoniser la foi et la raison. Guillaume de Champeaux (1070-1121) défend ses thèses réalistes sur la nature des concepts universels. Averroès (1126-1198) et Maïmonide (1138-1204) harmonisent, sur la pensée d'Aristote, foi et raison.
Tous préparent, la synthèse qu’opérera au siècle suivant, Thomas d’Aquin (1225-1274) en une vision cohérente et systématique de la théologie chrétienne.
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Parmi ces penseurs du XIIe siècle, les préférés d'Elaine sont Pierre Abélard (1079-1142) qui développe des méthodes de raisonnement logique et dialectique et Héloïse (1101-1164) avec sa réflexion sur sur l’amour, la liberté, la vie monastique, et sa capacité à remettre en question les normes établies.
Lancelot, partage son intérêt pour cette liste ; et au XIIIè s, il propose d'ajouter Maître Eckhart (1260-1328), théologien et philosophe allemand, nourri de l'influence d'Abélard, Bernard de Clairvaux, Hugues de Saint-Victor, ainsi que celle des philosophes arabes et juifs.
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Lancelot, conquis par la méthode phénoménologique, tente de nous convaincre que pour aborder '' en Moyen-âge'' il est nécessaire de « voir autrement les mêmes choses », et en particulier le contexte religieux de la pensée. Comme le dit Saint-Augustin : « là où tu es, Il est Lui aussi” », philosophie et théologie se mêlent.
La pensée médiévale nous oblige à penser radicalement la finitude de l'être humain. Et comme l'écrit Emmanuel Falque : « redécouvrir le sens de l’incarnation en général fût-elle de l’homme et de Dieu »
Hildegarde de Bingen (1098-1179) abbesse et mystique allemande, voit l’homme comme un reflet de l’univers, avec des structures corporelles et des processus qui imitent ceux du cosmos. Bernard de Clairvaux, utilise l’analogie du macrocosme et du microcosme pour illustrer la relation entre Dieu, l’homme et la nature, soulignant l’harmonie et l’ordre divin dans la création. Pierre Abélard explore comment les principes universels se reflètent dans les structures de l’univers et de l’homme. Thomas d’Aquin décrit comment l’ordre et la rationalité de l’univers se reflètent dans l’homme et sa relation avec Dieu. Et, Roger Bacon (1214-1292) dans ses travaux sur la nature et la science, cherche à comprendre les lois universelles qui gouvernent à la fois l’homme et l’univers.
La Réalité pour Platon, et au regard de la Science
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Confortée par ce grand mathématicien qu'est Grothendieck, Elaine a cœur à montrer la profondeur de pensée de notre ancien ''Platon'' :
Pour Platon, nous n'avons accès qu'à une représentation imparfaite de la réalité, des ''ombres''.
Par exemple, notre première expérience du cercle est imparfaite ( épaisseur du trait...) ; il nous est impossible de représenter un cercle parfait. "Seule une définition du cercle sera parfaite ". Pour Platon, seule l'idée ( la ''forme'' ) du cercle est parfaite. Et c'est avec ces outils que les mathématiques travaillent. Ces idées participent à notre compréhension et à la modélisation du monde, elles représentent notre connaissance rationnelle.
Ce qui est intéressant, c'est que Platon précise que '' l’essence des choses ne peut être saisie que par l’intellect, et non par les sens.'' On ne peut accéder à l'essence des choses que par la pensée rationnelle.
Pour aller plus loin, ajoute Elaine, Platon croit que l’âme humaine a déjà connaissance des formes parfaites avant de naître dans le monde sensible. La connaissance rationnelle est donc un processus de réminiscence, où l’âme se souvient des formes parfaites qu’elle a connues dans le monde intelligible.
- Pourquoi – se demande Yvain – parler de ''Formes'' ?
- Le mot grec que Platon emploie est “εἶδος” (eidos), qui signifie “forme” ou “image”. Platon choisit ce terme pour souligner la distinction entre le monde sensible, où tout est en perpétuel changement et imparfait, et le monde des Formes, qui est stable, parfait et accessible uniquement par l’intellect.
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Et le terme “μορφή” (morphē), se réfère à la forme physique ou apparente des objets que nous percevons avec nos sens.
Notre professeur nous prenait l'exemple de '' la table '' ( idée générale et idéale) et cette table ( singulière)... Je ne sais pas si ''la table '' ou ''le vase '' sont de bons objets pour questionner les formes idéales. Ce sont des objets technologiques, c'est à dire des créations humaines. Même le cercle , n'est en fait qu'un outil technologique de la pensée.
Je préférerais en rester à des principes abstraits universels, le Bien, la Justice, la Beauté.
- Allons plus loin :
Si la ''Forme '' est l'idée idéale, le modèle parfait ; '' l'essence '' (οὐσία, ousia) est la nature fondamentale .
Aristote nous aide pour en faire la distinction : l'essence est intégré dans l'objet, et ne fait pas partie du monde des idées. Il introduite la notion de ''Substance''.
Heidegger introduit pour l'Humain,le concept de '' Dasein '' pour décrire l'essence de l'être humain ( son existence temporelle, historique : '' l'être-là '')
Yvain se sent conquis par ce discours; d'autant que ses yeux ne peuvent quitter le visage doux et passionné d'Elaine....
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Yvain voudrait à son tour communier à cette représentation du monde. Il s'efforce de retrouver en physique, les définitions des concepts : '' Forme '', ''Essence '' et ''Substance''...
Le Forme peut faire référence à la structure géométrique d’un objet. L'Essence pourrait être rapprochée des propriétés fondamentales ( la masse, la charge...) et la Substance me fait penser à la matière constituante, ou à son état ( solide, liquide, gazeux) .
Au début de cette réflexion, nous reconnaissons que les physiciens n'utilisant que leurs observations, se limitent à ne comprendre que certains aspects des objets matériels. Ce qui ne satisferait peut-être pas, Platon...
Les physiciens identifient les propriétés fondamentales et les structures qui sous-tendent les phénomènes observables.
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A mon avis, en mathématiques, nous sommes plus proche de l'intuition de Platon.
Les mathématiques opèrent dans un domaine abstrait qui permet de développer des concepts et des théories indépendamment des limitations du monde observable. Ce qui n'empêche pas que ces concepts abstraits peuvent souvent être appliqués pour comprendre et modéliser des phénomènes réels.
En mathématiques, les concepts de “forme”, “essence” et “substance” peuvent être interprétés de manière abstraite et théorique.
La Forme peut se référer à la structure géométrique ou topologique d’un objet. Par exemple, la forme d’une courbe, d’une surface ou d’un solide est étudiée en géométrie et en topologie. Les cercles, les ellipses, et les paraboles, sont des exemples de formes mathématiques.
L’Essence en mathématiques peut être vue comme les propriétés fondamentales ou les caractéristiques intrinsèques d’un objet mathématique. Par exemple, l’essence d’un nombre premier est qu’il n’a que deux diviseurs : 1 et lui-même. Axiomes ou théorèmes quant aux groupes, aux anneaux, et aux corps, capturent l’essence de ces objets.
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La Substance en mathématiques peut être interprétée comme les éléments constitutifs d’une structure mathématique. Par exemple, les points, les lignes et les plans sont les substances de la géométrie euclidienne. En algèbre, les éléments d’un ensemble, comme les nombres réels ou complexes, peuvent être considérés comme la substance des structures algébriques.
Je vois avec l'exemple des mathématiques, que nous définissons un monde des idées, par sa structure Forme-Essence-Substance.... et finalement nous n'en restons pas comme tu le souhaitais, semble t-il Elaine, aux principes abstraits universels, le Bien, la Justice, la Beauté....
Peut-être, penses-tu que nous perdons en profondeur philosophique...
Pas du tout... Au contraire, tes exemples mathématiques donnent '' Forme '' à ce que je pense. Ainsi, si je procède par analogie... Par exemple : - la forme d’une statue est donnée par l'artiste qui transforme un bloc de marbre en une œuvre avec son identité propre. Et pour Thomas d'Aquin, l'âme serait la forme du corps humain.
Les artistes, au Moyen-âge, utilisaient des ''formes'' géométriques et symboliques pour représenter des concepts théologiques complexes, comme la divinité et la sainteté.
Le Miroir – La réalité – Yvain
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Il arrive à Elaine, profitant d'une matinée calme parisienne, de se rendre dans un café près de chez elle, avenue Victor-Hugo. Ce lieu est assez vaste et très fréquenté. Un jour, en rejoignant une banquette libre, elle passe près d'un miroir accroché au mur du café. Ce miroir est ancien, le verre dépoli, sa surface légèrement granuleuse avec un cadre usé en bois sculpté.
En regardant dans le miroir, Elaine voit non seulement son propre reflet, mais aussi les reflets des autres clients, et le mobilier. La scène est animée, et les silhouettes se mélangent et se distordent.
Elle reste un moment pour se rendre compte de la différence entre les ''formes'' reflétées et ce qu'elle voit. Quelle étrangeté que cette abstraction rendue par ce miroir !
Ce n'est que le lendemain, avec le désir de revoir le miroir qu'elle fait le lien avec ses réflexions du moment, sur les '' universaux '' dans l'antiquité.
Elle s'attarde un peu plus devant le cadre, et lui viennent toutes sortes de questions.
Après cette rêverie métaphysique, Elaine se tourne vers un jeune homme qui se tient près d'elle et observe le miroir.
- « Fascinant, n'est-ce pas ? » l'interroge t-il
- Oui... répond-elle, et : - que voyez-vous ?
- La même chose que vous, peut-être ?
- Pas sûr ! - J'y vois une métaphore des ''universaux ''. Et vous ?
- Effectivement... ! Non... je pensais à autre chose : un miroir magique....Voulez-vous parler de cette querelle médiévale entre celui qui voyait le cheval, mais ne voyait pas la ''chevalité'' dont lui parlait le philosophe ? J'ai souvenir de ce cours de philo ; mais je n'irai pas plus loin... Cela me semblait... sans intérêt... Pardon !
- Alors, que voyez-vous, reprend Elaine un peu fâchée.
- Si je m'en tiens à une métaphore : J'y verrai volontiers un miroir magique, qui me permettrait de représenter les solutions de quelques équations qui me harcèlent depuis un long moment.
- Des équations ? !
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- Oh, je suis assistant à la fac., en mathématiques. Je m’appelle Yvain
Vous avez compris que ces deux là étaient faits pour se rencontrer. Yvain ne tarda pas à connaître - avec beaucoup plus de détails – l'histoire du héros à qui il devait son prénom.... ( A lire ici : LA LÉGENDE DES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE – RÉSUMÉ – 4/9 – YVAIN - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Pour l'heure, Elaine et Yvain, sont inspirés par le même objet, qui ne se contente pas d'être un témoin silencieux ; actif, il reflète une réalité mouvante et vivante.
Il nous questionne sur notre propre capacité à appréhender ce monde...
« Pensez-vous que vous avez accès au Monde, dans sa réalité ? » questionne Elaine. « Platon pensait que ce n'était pas le cas, et opposait au ''matériel'', un monde réel que l'on peut représenter par l'intelligible ( les idées) ou les ''Formes''.
- Je me souviens de l'histoire de la caverne, et du monde idéal, que seul a vu le philosophe, puis est revenu vers ceux qui sont restés enchaînés...
- Précisément, poursuit Elaine, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un monde idéal, ou d'un ''autre monde '' ; il s'agit de la compréhension de notre monde au-delà de son apparence.
Platon nous enseigne que notre intelligence ( les idées) ne s'oriente pas d'elle-même vers ce qu'il importe de regarder. Il s'agit de nous libérer d'un point de vue partiel que nous avons spontanément sur les choses. Il n'y a donc pas deux mondes distincts.
- J'imaginais, que ce miroir, pouvait nous montrer le vrai monde, conclue Elaine.
Yvain ne cache pas son intérêt : - Génial ! Je n'étais pas loin de tes pensées quand je disais que j'y voyais l'allégorie de quelques équations. Je t'explique : je peux te tutoyer ?
- Si tu t'appelles vraiment Yvain, oui... ''Yvain'', c'est incroyable... ! Pardon ! Alors, oui tes équations... ?
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- Depuis l'enfance, je crois, je cherche à comprendre « la vraie nature profonde de la Réalité ». Pour cela j'ai voulu faire des études de Physique ; puis il s'est avéré que j'étais plus attiré par les mathématiques.
Je me suis vite rendu compte que La Réalité n’est pas simplement ce que nous observons directement, mais qu'elle inclut des phénomènes dont on ne peut rendre compte qu'avec des théories ( à vérifier, bien-sûr..) et des équations.
On peut avec des équations mathématiques, modéliser des phénomènes physiques et prédire des comportements dans la nature.
- Je te suis en cela, répond Elaine : les théories mathématiques peuvent être de bons modèles de la réalité. En cela elles n'inventent pas la Réalité, elles n'en sont qu'un reflet, au même titre que nos sensations, l'art... La Réalité elle-même, pourrait s'apparenter au monde des idées de Platon.
- Voici ce que disait le bourbakiste Alexandre Grothendieck ( dans Récoltes et Semailles ), mathématicien qui fascine tous les matheux :
« La structure d’une chose n’est nullement une chose que nous puissions « inventer ». Nous pouvons seulement la mettre à jour patiemment, humblement en faire connaissance, la « découvrir ». (….) Ces structures ne nous ont nullement attendues pour être, et pour être exactement ce qu’elles sont ! Mais c’est pour exprimer, le plus fidèlement que nous le pouvons, ces choses que nous sommes en train de découvrir et de sonder, et cette structure réticente à se livrer, que nous essayons à tâtons, et par un langage encore balbutiant peut-être, à cerner. ».