Toujours dans cette boîte, et en rapport avec ce que je viens de rapporter, j'ai aussi trouvé ce récit, qu'Elaine, je pense, a imaginé, sans-doute mêlé de discussions qu'elle eut avec Lancelot : une légende, puis une histoire autour de la phénoménologie, et plus précisément en rapport avec Edith Stein.
C'est l'histoire d'Elyan, qui souhaite devenir chevalier de la Table Ronde, à la cour du Roi Arthur, afin de participer à la Quête du Graal.
Sa première difficulté est de trouver, de son pays, le passage pour entrer dans le royaume de Logres, et surtout de pouvoir être présenté à la cour du Roi. Généralement, le jeune écuyer est parrainé ; le plus merveilleux est de l'être par une fée, comme Lancelot par la fée Viviane.
Comment contacter une fée ? Souvent, c'est la nuit, par l'intermédiaire du rêve que la Dame peut se présenter elle-même, si notre attente est sincère et précise.
Elyan synthétise sa demande par le désir de comprendre les mystères de l’âme au travers des enseignements des grands philosophes. Rien de moins !
la fée Séraphine
Elyan a la chance d'avoir été entendu par la fée Séraphine.
Si vous ne connaissez pas la fée Séraphine, je peux vous dire que cette fée est un être de pureté et de lumière, son nom évoquant les séraphins, créatures célestes de la tradition chrétienne. Elle représente l’intuition et la connaissance qui transcendent la simple bravoure physique. Là où Elyan pourrait être le bras armé, Séraphine est l’esprit éclairé. Elle incarne l’harmonie entre la force et la douceur, la rigueur et la compassion.
Séraphine enseigne que la véritable quête n’est pas seulement celle du Saint Calice du dernier repas du Christ, mais aussi celle de la croissance intérieure et de la conversion spirituelle. Elle sera son guide dans les moments de doute, sa lumière dans l’obscurité, et son inspiration pour atteindre l'accomplissement non seulement en tant que chevalier, mais surtout en tant qu’être humain.
Comme toutes les fées, elle est la gardienne de secrets anciens et la porteuse de la vérité éternelle, un symbole de la quête incessante de la sagesse et de la vérité.
Vous avez noté que la fée Séraphine est accompagné d'un trèfle, c'est une fée en lien avec l'eau, comme la Dame du lac, Viviane. Remarquez, comme je l'ai déjà montré, que le trèfle concerne la lignée issue de Fléchigné, où il est inscrit dans la pierre....
A présent admis comme écuyer, Elyan reçoit une formation qui lui permet d'être adoubé chevalier parrainé par la dame au trèfle.
Le titre de “Chevalier au Cygne Noir”, lui a été donné pour les qualités qui lui ont été reconnues comme celle d'embrasser les événements inattendus et les transformer en opportunités de croissance.
Sachez que le ''cygne noir '' est rattaché à la croyance ancienne que tous les cygnes étaient blancs, le cygne noir était donc considéré comme impossible et symbolise un événement qui défie les attentes et les croyances établies, nous forçant à reconsidérer ce que nous tenions pour acquis, et à s’ouvrir à de nouvelles possibilités dans notre quête... ( A noter, que les cygnes noirs existent et ont été découverts au XVIIIe siècle en Australie.)
Elyan peut à présent se lancer, comme chacun des chevaliers de la table Ronde. Chaque chevalier part seul, sa quête est personnelle. Les épreuves qui attendent Elyan sont figurées par des cartes du Tarot. Elles sont en lien avec son désir d'accéder à la compréhension profonde de la réalité et de sa propre existence.
A l'issue de la fête de Pentecôte, Arthur et Guenièvre, donnent leur bénédiction à ceux des chevaliers qui rejoignent la Quête. Elyan, quitte le château et s'enfonce dans la forêt. Il chevauche attentif à tout appel d'une aventure. Mais, lentement, un brouillard inexplicable dans un tel lieu emplit l'espace au point de ne plus rien distinguer à un mètre de soi...
Craignant d'avancer plus avant, Séraphine se présente à lui et lui inspire que la vérité et l’essence des choses sont cachées par un voile d’illusions.
Son défi, son Graal, serait de trouver un miroir magique appelé ''le Miroir de l’Âme''. Ce miroir, dit-on, est capable de révéler la nature véritable de toute chose qui s'y refléterait .
Elyan se rend dans la cité la plus proche afin d'y trouver l'artisan capable de l'aider à trouver d'où pourrait provenir un tel miroir. Dans la dernière échoppe, entouré d'objets les plus précieux qu'il soit, un vieillard lui indique que ce miroir magique est gardé dans les profondeurs de la terre, par les '' Gardiens de la Conscience ''. - Et, où cela se trouve t-il ? demande Elyan.
- Là où la terre rencontre l'Esprit et où le silence révèle les secrets cachés de ton âme.
La Belle Dame Sans Merci est devenue un mythe depuis le Moyen Âge, en particulier depuis le poème d'Alain Chartier écrit en 1424, qui a été notamment repris par le poète John Keats. Les peintres, en particulier les Préraphaélites, se sont emparés de ce sujet avec délice, puisque les figures féminines fortes sont les sujets de presque toutes leurs oeuvres.
La Belle Dame Sans Merci ,Thomas Rhymer
« I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried—‘La Belle Dame sans Merci
Thee hath in thrall » de John Keats
(Les rois, les princes, les guerriers, tous pâles comme la mort lui crient : la belle dame sans merci te tient en esclavage.)
La Belle Dame Sans Merci, by John William Waterhouse
Ici la Belle Dame est située dans le contexte de l'amour courtois médiéval... Dans l'idéal, l'amour courtois fait l'apologie d'un amour chaste que le chevalier doit gagner auprès de la dame de son cœur. Pour cela, il est prêt à affronter maintes épreuves, jusqu'à ce que la belle... cède.
La Belle Dame Sans Merci by Walter Crane
On retrouve évidemment ce thème dans la légende arthurienne, et les romans de chevalerie qui mette l'accent sur la conquête de la Dame, d'autres s'orientant plutôt vers un certain mysticisme (la quête du Graal et de la pureté). D'autres textes sont plus emprunts de folklorisme (les fées, lutins etc), ou de magie (fée Morgane, Merlin); au fur et à mesure la Belle Dame, celle pour qui se meurent d'amour les chevaliers, se transforme en une sorte de fée, qui vient toujours à la rencontre du cavalier errant, comme le ferait une Viviane ou Morgane.
Ainsi, cet homme plein de bravoure, découvre cette étrange femme dans des endroits toujours inappropriés - dans les bois, près de ruines, dans un château - et toujours au début ou à la fin d'une aventure...
Arthur Hugues (1901)
Le chevalier rencontre toujours la fée dans les bois, passage d'ombre et des désirs refoulés par excellence.
Robert Anning Bell (1855)
Mais cette fée est "sans merci", repoussant sans cesse les avances du prétendant. On peut donc comprendre, au sens figuré, que lorsqu'il arrive dans les bois, atteignant alors presque son but, la Dame le repousse une dernière fois, l'assassinant par le même coup.
L'amour peut être meurtrier, et l'espoir, une fois vaincu, vient à bout de tous les héros. Il s'agit d'un retournement total de la matière courtoise. L'homme ne triomphe plus, il courbe l'échine devant le pouvoir féminin.
Il s'agit d'un grand fantasme masculin. Les Salomé, Judith, Lilith et autres femmes castratrices ont toujours été à la fois attirantes et monstrueuses pour nombres d'artistes.
En cette fin du XIXe siècle, Anna Laure a su rénover et moderniser le château de Fléchigné, propriété de sa mère, et où elle a passé son enfance…..
Le Blason de Fléchigné : d'argent, à la bande de gueules, et deux trèfles de sinople...
Ce château se situe dans le ' Passais ' ( le passage, la marche...) à la croisée de trois règions historiques, au sud du duché de Normandie, contre la Bretagne et le Maine. Non loin de la place forte de Domfront et de Lassay les Châteaux ... Nous trouvons, non loin également, Barenton, le site de la Fosse Arthour, Sept-Forges, Saint-Fraimbault...
Alors qu'Anne-Laure est jolie, et riche...; elle repousse tous les prétendants qui se pressent...
Enfin; à la grande surprise de ses proches, elle accepte l'hyménée avec un vieil homme: le comte de Sallembier.
Anne-Laure, unique héritière d'une riche famille de négociants qui a fait fortune dans le commerce des tissus au long du XIXe siècle, épouse donc le Comte de Sallembier, aristocrate – de trente ans de plus qu'elle - qui après une vie de célibataire longue et épicurienne, a su (?) monnayer son titre … Le 10 janvier 1900, elle met au monde un fils, qu'elle appelle Lancelot... Quelques années après son mariage, Georges de Sallembier, meurt subitement d’une fièvre typhoïde, à Paris...
Lorsque Anne-Laure et ses parents résidaient à Paris, elle eut la chance de vivre de nombreux moments privilégiés avec son grand-père Charles-Louis... C'était comme s'il vivait déjà dans un autre monde, et qu'il le lui faisait découvrir en le parcourant au moyen d'histoires... Ces histoires ne ressemblaient pas à celles que l'on raconte aux enfants pour les endormir... Non, celles-ci provenaient d'un temps parallèle au nôtre, qui avait eu son existence et la continuait... Il avait laissé des traces, des signes au-travers d'objets que l'on pouvait encore découvrir ci-ou-là dans des maisons, des églises, des châteaux, des musées ...etc ... Ces histoires réveillaient l'esprit, l'envie de connaître ; elles enchantaient l'âme en lui faisant découvrir son véritable lieu d'épanouissement …
Quand Charles-Louis parlait de l'Autre Monde, Anne-Laure entendait le Vrai-monde ; celui d'où elle venait, et où elle allait …
Son grand-père lui contait d'étranges histoires où se côtoyaient des fées, et des humains ; des gobelins et des paysans, des diables, des sorcières, des prêtres, des seigneurs .... L'histoire devenait bien plus qu'un conte ou une légende. Le ton, le réalisme déployé, en faisaient un enseignement de plus en plus sérieux, avec l'aide d'ouvrages, de gravures pour finalement – toujours - aborder le sujet essentiel de la Quête ; celle qu'animait secrètement les plus exemplaires de ses personnages... Cela commençait toujours au plus près de sa vie, en '' Passais'' ; ou souvent en Limousin – quand il était enfant – le relief était plus tourmenté, les routes carrossables inexistantes, des ''chemins creux'' entre forêts et tourbières, des villages isolés surmontés d'un château …
Une chapelle abandonnée gardait un secret. Seule une croix gravée rappelait qu'ici s'établissait une commanderie... Alors, le grand-père Charles, sortait l'anneau , ou une croix de fer... qui prouvaient que ceci n'était pas qu'une histoire ….
En grandissant, la petite Anne-Laure fut initiée à la légende arthurienne... Légende, signifiait qu'il ne servait à rien de consulter certaines personnes à son sujet ; il s'agissait d'une Histoire pour ''initiés''... cela se passait souvent en Bretagne ( la grande...) ou de l'autre côté du Rhin, en province allemande. Il n'était pas question alors de petite Bretagne, et encore moins de Brocéliande ( ou si peu …)
Ainsi, Anne-Laure se souvient d''un nom qui avait frappé son esprit, '' Lanzelet '' … Son grand-père Charles, feuilletait des livres aux lettres gothiques, avec des gravures médiévales... Ce personnage aurait pu lui sembler bien lointain, dans le temps, mais aussi géographiquement … Or Charles-Louis situait son histoire dans des lieux connus d'Anne-Laure....
Et si, je vous racontais, maintenant, l'histoire de '' Lanzelet '' …?
La Fée marine enlevant Lanzelet
Le roi Pant, le père de Lanzelet, règne en despote sur Genewis, le royaume de Gaunes... De plus, il traite les grands de son royaume sur le même pied que les petites gens, ce que ses vassaux n'acceptent pas; alors ils se soulèvent, dévastent le royaume... Le roi, est mortellement blessé, il expire auprès de sa femme Clarine... Elle a laissé de côté son enfant... Le roi meurt et les rebelles qui les poursuivaient arrivent et l'emmènent prisonnière. Un instant auparavant, la reine des fées marines, s'élevant comme une vapeur, a enlevé l'enfant et l'a emmené dans son merveilleux pays, invisible, situé au milieu de la mer. La fée n'a pas pris l'enfant sans motif : elle sait qu'il sera un chevalier sans pareil, et elle le destine à délivrer son fils Mabuz de son puissant ennemi et voisin, le géant Iweret de Dodone.
Lanzelet, élevè en pays de féérie, apprend aussi bien le maniement des armes que la musique ou le chant. Lui vient l'envie de connaître son nom mais la Fée ne le lui révélera que lorsqu'il aura vaincu son pire ennemi : Iweret. A l'âge de quinze ans, la fée lui apprend que le moment est venu pour lui de revenir dans le monde des mortels...
Nous avons découvert Ondine (Undine, en allemand), un conte de Friedrich de La Motte-Fouqué, paru en 1811, dans lequel ce génie féminin des eaux, cherche, en épousant le chevalier Huldebrand, à acquérir l'âme dont elle est dépourvue.
En 1803, La Motte-Fouqué épouse en secondes noces Caroline von Briest, avec laquelle il a une fille, Marie, dans l'année. Elle est une femme de lettres romantique allemande qui anime à Berlin, un salon littéraire. En 1812, elle publie un recueil de sagas et de légendes...
Nennhausen
Il donne alors sa démission de l'armée, et le couple s'installe à Nennhausen, propriété installé près de Rathenow et appartenant à son épouse. L'un et l'autre se consacrent alors à la littérature... Le 21 août 1831, Caroline meurt à Nennhausen, et ses restes sont inhumés dans le parc du château
''Curieusement'' – je rapproche ce qui suit du ''couple à trois '' ( Huldbrand , Ondine, Bertalda) du conte - le 25 avril 1833, il se remarie avec la fille d'un officier suédois, la jeune Albertine Tode (1806-1876), de trente ans plus jeune... En effet, Charles Theodor Fournel (1817- 1869) qui est étudiant de Fouqué, et loge chez eux ( courant à l'époque); a une liaison avec Albertine; il est le véritable père des deux enfants d'Albertine...
Princesse Marie anne de Prusse
Fournel fut précepteur des enfants royaux de Prusse à Berlin. Il a publié des ''Légendes dorées'' …
Friedrich de la Motte Fouqué meurt le 23 janvier 1843 ; six jours après, sa femme donne naissance à son second fils …
Fournel, à la fin de son séjour en juillet 1853, se marie avec Marie Pauline Eyrich, âgée de 23 ans, née à Schlawe en Poméranie. rentre en France, et devient professeur d'allemand à Orléans, puis à Tournon.
Je peux ajouter encore , dans la série des ''liens'' ..., que La Motte-Fouqué avait une amie, une muse ... La princesse Marianne de Prusse (1785-1846), qui est la grand-mère du roi Louis II de Bavière...
''Ondine'' de Friedrich de La Motte-Fouqué a eu un succès immédiat, louée par Goethe, Heine, Hoffmann...
Dans une série de contes comme La Légende de Henno ( avec une femme-dragon), la légende de Diego Lopez ( avec une femme d'origine inconnue qui ne supporte pas le signe de croix...) la légende de Peter von Stauffenberg ( belle femme inconnue qui ne peut se marier …), nous retrouvons comme dans Mélusine, le thème de la double apparence, et l'union rompue par un interdit, celui d'une certaine connaissance... On sent que l'on a voulu marquer du sceau infernal, des figures de séduction païenne liées à la nature, à l'éros, et au féminin …
On peut encore aller un peu plus loin ... Avec quelques commentaires que j'emprunte à Christine Planté - Professeure émérite de littérature française du XIXe siècle - Université Lumière - Lyon 2
Pour l'homme, la femme constitue l'Autre, au point qu'à leurs yeux il n'est pas de différenciation ... Ainsi Ondine, parmi les ondines ... «chaque Ondine est l'Ondine — chaque femme La Femme ? — ce qui suffit à la définir... « Une femme exclut l'autre par sa nature, car on exige de chacune d'elles ce qu'il incombe à son sexe tout entier de donner. Il n'en est pas ainsi des hommes » (Goethe, Les Affinités électives). La réécriture du mythe par Giraudoux va accentuer l'identification d'Ondine à l'éternel féminin...
Ondine, dans les eaux comme sur terre, est soumise aux vouloirs des hommes. Ondine attend tout de l'amour ...
Dans la recherche de l'union avec l'autre, l'individualité de la femme se trouve menacée, et non constituée — autre façon de se perdre. C'est le sens que Marina Tsvetaeva ( poétesse russe, 1892-1941) donne au destin d'Ondine lorsqu'elle parle, dans une lettre d'amour, de sa propre soif, « avant [elle] née, la soif la plus secrète de tout [son] être, scellée comme l'eau du puits par la pierre de Ringstetten pour qu'Ondine ne puisse pas retourner chez elle - se retrouver ».
Tsvetaeva refuse : « Devenir un être humain par le biais du mariage ou de l'amour -par le biais de l'autre - et nécessairement d'un homme - n'a aucune valeur pour moi... Autrement, si c'est ainsi que l'on devient un être humain, c'est que l'on est une espèce de demi-créature, une ombre léthéenne impatiente de prendre chair et sang. »
Arthur_Rackham_1909_Undine
Bertalda, - éprise de sa propre beauté, pleine de vanité sociale et séductrice sans scrupules- est dès le commencement soucieuse de paraître et victime des apparences, attirée par les surfaces et par les images brillantes, cède à la fascination de l'eau-miroir.
Huldbrand meurt – dans la culpabilité - d'avoir trahi et renié, avec sa femme Ondine, la fidélité à sa parole et une part de lui-même...
Ce qui fait la vérité de la fable ďOndine et son pouvoir de fascination ; c'est l'amour malheureux, la distance, voire la rupture.
Ondine et sa fable sont nées du cerveau et du désir de l'homme. C'est lui qui pose que, pour la femme, il n'est d'individuation que par l'amour, d'accès à la pleine humanité que par sa propre médiation. Wagner, qui aimait le conte de Fouqué, proposait une formulation exemplaire de cette thèse dans un chapitre de Opéra et Drame intitulé : « La musique est femme » :
« La nature de la femme est l'amour […] La femme n'atteint sa pleine individualité qu'au moment de l'abandon. C'est l'Ondine du fleuve qui passe en murmurant à travers les vagues de son élément, sans âme, jusqu'à ce que l'amour d'un homme lui donne une âme. »
Si l'union fusionnelle signifie la paix, mais, au moins pour un des deux amants, elle signifie la mort, abolition la plus simple des différences. Dans la littérature du XIXe siècle, où l'homme demeure le sujet de référence, cet effacement est presque toujours celui de la femme, se cherchant, dit Vigny, « au miroir d'une autre âme ».
Cela ne peut plus s'entendre... « Qu'on m'aime moi, et non l'être idéal et faux, issu de l'imagination de ce poète.. » disait Marina Tsvetaeva
Jean Giraudoux exprime dans sa version une certaine balourdise masculine, qui prend la forme d'un désarroi et d'un ressentiment moins subtils, malgré la dérision affichée par l'auteur : « Cela va s'appeler Ondine, ce conte où j'apparais çà et là comme un grand niais, bête comme un homme. Il s'agit bien de moi dans cette histoire !... »
Chez Fouqué, Huldbrand meurt dans les bras d'Ondine, « tremblant d'amour et de la proximité de la mort ».
Dans son enlacement et ses baisers, Ondine apporte à la fois la conciliation et la fin. Nous savons que la mort d'Huldbrand est acceptée, désirée peut-être. Il renoue, dans cet embrassement, avec une part de lui-même et d'humanité sans laquelle la vie lui serait devenue insupportable aux côtés de Bertalda.
Il y a réparation et rédemption d'Huldbrand : c'est Ondine, cette fois, qui le rend à la pleine humanité, et lui rappelle qu'il a une âme et une conscience. La reconnaissance et l'acceptation de sa propre faiblesse apportent le soulagement et la délivrance au dominateur. » Christine Planté
Ondine, Mélusine, et leurs soeurs apparaissent comme des victimes; alors qu'elles auraient pu apporter bonheur, prospérité... elles sont rejetées dans le monde figé de l'éternité: qu'il s'appelle paradis ou Avalon... Et finalement '' Château du Graal '' ( après que soit achevée la Quête ...)
Ce qui nous amène à une figure similaire et masculine: Lohengrin , en son château du Graal...
Pour Lohengrin, l'animal ( monstre pour Mélusine ...) est le cygne, compagnon symbolique de l'homme-fée.... Mélusine et Lohengrin, sont aussi des figures historiques, témoins des relations – au Moyen-âge – entre la religion et le paganisme...
Pendant cette période estivale, nous allons reprendre les personnages les plus emblématiques de la Légende Arthurienne, dans un résumé de la Légende...
Les deux grandes figures du mythe sont le preux roi Arthur et Merlin le magicien…
Le roi Arthur
Les premiers textes gallois qui citent son nom évoquent un personnage valeureux et parfois tyrannique. Geoffroy de Monmouth, dans son Histoire des rois de Bretagne (vers 1135 ), impose l’image d’un souverain fastueux, défenseur de la foi chrétienne, assez intelligent pour s’entourer des meilleurs chevaliers, dont les exploits augmentent sa gloire.
Même s’il reste au second plan dans la plupart des romans de la Table ronde, il figure dès les années 1310 parmi les Preux, ces neuf héros les plus valeureux du passé. Jusqu’au XVIe siècle, on retrouvera Arthur parmi les nombreuses représentations figurées des Neuf Preux et dans les textes qui leur sont consacrés.
Le Roi Arthur est dit ‘ Roi des deux Bretagnes ‘, il est le fils adultérin d’Uter Pendragon et d’Ygerne. C’est sous son règne que se déroulent les aventures de la Table Ronde.
Il est l’époux de la reine Guenièvre.
Merlin le prophète
Quand Geoffroy de Monmouth écrit son Histoire des rois de Bretagne, vers 1135 , il existe sans doute une tradition orale relative à un barde dénommé Myrddin, qui aurait vécu en Écosse à la fin du VIe siècle et serait l’auteur de poèmes prophétiques. Chez Geoffroy, qui écrit aussi une Vie de Merlin, c’est à la fois un magicien – parfois facétieux -, un prophète et un enchanteur fou, qui hante les bois du Northumberland.
Vers 1200, Robert de Boron reprend l’histoire de Merlin dans un poème dont il reste aujourd’hui moins de 600 vers, mais dont nous conservons l’adaptation en prose.
Merlin, fils d’un démon et d'une vierge, est conçu pour s’opposer à l’emprise du Christ sur les hommes. Mais Dieu choisit de l’utiliser comme instrument du bien, en le dotant du pouvoir de prédire l’avenir. Merlin devient alors le conseiller des rois de Bretagne : il programme la naissance et l’avènement d’Arthur. Mais son amour pour Viviane, la Dame du Lac, le conduit à sa perte.
Enchanteur et devin, il révèle au roi Arthur l’existence du Graal et le conseille dans sa quête
VIVIANE (La Dame du lac)
Merlin et Viviane ( Nimue)
est la fille d’un petit seigneur de la forêt de Brocéliande, nommé Dyonas. La fée Diane, la protège, et lui transmet ses dons d'esprit et de beauté... Elle devient la disciple, puis l'amante de Merlin ( transformé en beau jouvenceau). Merlin lui livre tous ses secrets ce qui lui permet de garder son amant prisonnier, sans chaîne, ni muraille... Elle élève Lancelot (du Lac) après l’avoir ravi à sa mère.
Le Conte la fait aussi apparaître, émergeant des brumes d'Avalon, terre des fées de l'Autre Monde, avec pour mission sacrée de remettre à Arthur, l'épée Excalibur qui lui est destinée; puis, de la reprendre à la fin des aventures des chevaliers de la Table Ronde...
UTER PENDRAGON
Uther and Ygraine. by Frank Godwin
est le Roi de Logres. Il devient – par ruse, et avec l'aide de Merlin – l’amant d’Ygerne (femme du duc de Tintagell) de laquelle il aura un fils adultérin Arthur (le roi Arthur), bébé qu'il doit remettre à Merlin... A la mort du duc de Tintagell, Uter Pendragon épouse Ygerne.
YGERNE
est la femme du duc de Tintagell, elle épouse, en secondes noces, Uter Pendragon ( père d’Arthur ). Ygerne, de son premier mariage est la mère de trois filles la reine d’Orcanie, la reine de Garlot et Morgane.
GUENIEVRE
est la fille du roi de Carmélîde: Léodagan. Elle devient femme du roi Arthur, et l’amante de Lancelot… Elle est convoitée par Méléagant, fils du roi de Gorre, qui l’enleve. Elle sera secourue par Gauvain et Lancelot du lac. Sa beauté, son éloquence ainsi que le prestige de sa cour font de la reine une figure à la fois prisée par les chevaliers, haïe par ses semblables. Elle est célèbre pour sa relation adultérine avec Lancelot, qui en devient asocial au nom de l’amour absolu qu’il voue à la reine. La romance entre Lancelot et la reine Guenièvre devient la cause principale de la chute du monde arthurien...
LANCELOT ( du lac)
Sir Lancelot and Guinevere, par James Archer
est le fils du roi Ban de Bénoïc et de la reine Élaine. Il est né en Petite Bretagne, sur les bords du lac de Diane, peu après la Pentecôte où il fut enlevé à ses parents par la fée Viviane (la Dame du Lac) et élevé par la fée jusqu’à ses dix-huit ans à l’abri du Lac.
Il est donc l’héritier d’un royaume de l’Armorique, mais il est aussi et surtout le descendant d’une lignée prestigieuse, remontant notamment à Joseph d’Arimathie, le personnage biblique ayant recueilli le sang du Christ dans le Saint Graal et ayant apporté celui-ci en terre bretonne. Son nom de baptême était Galaad, qui deviendra par suite le nom de son fils. Il est l’un des chevaliers de la Table Ronde, peut-être le plus grand...
MORDRED
Mordred et Morgause by marjorie carmona
est le fils illégitime d’Arthur et de sa demi-sœur, Morgane ( ou Morgause, sœur de Morgane).
Il fut envoyé, alors qu’il n’était qu’un bébé, avec tous les enfants nés le même jour que lui, dans un bateau. Mais le bateau coula et seul Mordred survécut. Il fut ensuite élevé par un brave homme nommé Nabur jusqu’à l’âge de 14 ans, puis fut amené à la cour du roi Arthur où ses véritables origines lui furent révélées.
Il devient un temps chevalier de la Table Ronde, mais sa réputation de chevalier traître se fait très vite, d’autant qu’il est détesté par les autres chevaliers pour son caractère fourbe et sournois. Il trahit le roi Arthur en profitant que ce dernier est parti à la poursuite de Lancelot pour le punir de son adultère avec Dame Guenièvre. Mordred s’empare du trône de Camelot, forçant Arthur à revenir précipitamment. La bataille de Camlann s’ensuit dans laquelle tous les chevaliers d’Arthur périssent. Le roi Arthur se bat en duel contre Mordred et bien qu’il réussisse à le tuer, Mordred l’a mortellement blessé...
MORGANE
Morgane par Will Worthington
est la sœur d’Arthur, fille d’Ygraine et épouse du roi Lot d’Orcanie. Un enfant de l’inceste entre Arthur et sa demi-sœur Morgane est conçu: Mordred, grâce à certain secrets de Merlin que Morgane aurait dérobés.
Elle est considérée tantôt comme une fée bienveillante et guérisseuse, tantôt comme une magicienne obscure et maléfique. Son seul but a été de détrôner Arthur afin qu’elle devienne la reine de la Bretagne. Pendant toutes ces années, elle essaie de tuer son demi-frère, qui finalement se fait tuer par son propre fils Mordred.
* Attention: Selon les continuateurs de la Légende, nous pourrons avoir Morgause, ou Morgane, cette dernière étant la plus connue. Les relations amoureuses d’Arthur et Morgane sont quasiment absentes des romans français. Elles se lisent surtout dans la compilation anglaise de Malory.
A suivre: Les Chevaliers de la Table Ronde: Personnages et Résumé...
L’Annwn ( prononcer Annonn ou Anaon) désigne l’Autre-Monde dans les les textes gallois du Moyen-âge.
Il est question de l’Annwn dans le premier des quatre contes des Mabinogion : Pwyll, prince de Dyved. Après une dispute de chasse, Arawn, roi de l’Autre Monde et Pwyll échangent leurs situations pour une durée de un an, c’est le mythe fondateur de la dynastie des princes de Dyved. Dans le Livre de Taliesin, un poème gallois du IXe s. ( Preideu Annwn) évoque qu’ Arthur et ses hommes partent pour l’Annwn afin d’en rapporter un chaudron magique. Seuls, sept hommes – dont le barde Taliesin qui raconte l’aventure – reviendront de cette quête qui préfigure celle d’autres objets talismaniques dans les récits arthuriens. Cet Autre Monde est aussi présent dans le conte Kulhwch et Olwen.
Shaun-William-Kerr
L' "Autre-Monde" est très présent dans les contes arthuriens ; et localisé au-delà d’une limite naturelle : rivière, forêt, arbre, mégalithe…etc. C’est un pays qui peut surgir partout mais ne se trouve nulle part … On peut le rapprocher du château du Graal… Et de l’île d’Avalon…
La littérature arthurienne – en se christianisant – va se construire en opposition à cette notion capitale d’Autre-Monde. L’Annwn est à distinguer clairement des représentations chrétiennes de l’au-delà.
By Charles Vess, né le 10 juin 1951 à Lynchburg (Virginie)
Aujourd’hui, on peut rapprocher l’Annwn, du pays des fées..
Le pays des fées est fondamentalement d’essence matriarcale. En témoignent ces nombreuses fées et Dames du Lac (qui donna l’Épée au roi Arthur), le plus souvent non mariées (supposées et dites « vierges » comme Diane-Artémis), qui séduisent et collectionnent les mortels valeureux. Malheur à qui osera rejeter les avances de ces dames.
Les plus chanceux se verront expédiés dans « l’autre monde », lors d’une chasse, poursuivant un gibier magique, un animal blanc surnaturel (biche, cerf, sanglier… un animal totémique, héraldique, sacré), qui les attirera au travers d’une porte invisible du Sidh, afin qu’ils y réapprennent les bonnes manières amoureuses envers les femmes.
En pénétrant dans l’Autre Monde de nos légendes, on entre au propre comme au figuré dans le pays des rêves : on pourra y trouver le repos ou le tourment, y voir réaliser ses souhaits les plus chers ou bien y rencontrer d’incompréhensibles mystères, et passer en quelques battements de cœur du plus merveilleux des songes au plus terrible des cauchemars… Il n’est alors guère surprenant de voir les terres d’abondance et de jouvence se confondre avec le monde des trépassés, le terme « Autre Monde » pouvant aussi bien désigner le pays des fées que le séjour des morts.
Cet Autre Monde est toujours séparé du nôtre par une frontière qu’il convient de franchir, une limite devant être outrepassée, symbolisée le plus souvent par une barrière naturelle (l’orée d’un bois, l’entrée d’une caverne, la surface d’un lac, les flots de l’océan, une nappe de brume ou tout simplement l’horizon…) mais dont l’emplacement peut aussi être marqué par un cercle de pierres levées ou, dans les récits médiévaux, par le portail d’un château…
The-Knight-And-The-Nymph by Edward-Okun (1872-1945)
De manière plus abstraite, cette limite peut aussi être celle qui sépare la veille et le sommeil, la conscience et l’état de transe, la sagesse et l’imprudence, ou encore le respect des interdits et leur transgression.
Dans tous les cas, le passage dans l’Autre Monde correspond à une incursion dans l’inconnu. Ainsi, le chasseur impétueux qui s’écarte de son chemin ou s’éloigne de ses compagnons pour poursuivre un gibier surnaturel (blanc cerf, sanglier géant etc) passera sans s’en apercevoir d’un monde à l’autre : l’animal fabuleux l’y a certes attiré, mais c’est le chasseur lui-même qui a transgressé un interdit symbolique en quittant le sentier ou en abandonnant le groupe.
La Beauté dans la légende Arthurienne: La beauté de la femme.
Au Moyen-âge, l'idée est que le corps féminin est semblable à celui des hommes, mais les organes sexuels inversés. On perçoit ainsi que la structure de la femme se tient de l’intérieur alors que celle de l’homme vers l’extérieur . En plus du corps des femmes qui est mal compris, leurs images le sont aussi. La beauté féminine au Moyen Âge est prise entre l'image d’Ève ( tentatrice, péché ) et la vision de Marie ( rédemption : beauté sacrée ).
Heures à l'usage de Rome de Marguerite de Coëtivy. Femme de François de Pons, comte de Montfort. Bethsabée au bain 1490-1500
Sont valorisés : - La chevelure qui doit être blonde. Un large front : les femmes se tireront abusivement les cheveux par en arrière pour répondre à cette norme de beauté. Le front dégarnit, ce sont les sourcils, préférablement bruns qui embellissent la région du haut du visage.Les auteurs qui décrivent les yeux mettent l’accent sur l’éclat et l’intensité qu’ils doivent projetés. Le nez ne doit être ni trop gros, ni trop petit, comme il est décrit par François Villon « beau nez droit grand ni petit». Les seins doivent être durs et placés haut, suivi de bras longs et d’une taille mince. Un autre critère est aussi très important et c’est la couleur de la peau. Effectivement, les femmes doivent avoir une peau blanche, on dit même que « tout ce qui n’est pas recouvert par les vêtements frappe par sa blancheur». La seule partie du corps qui peut se permettre de la couleur, c’est la bouche qui doit être douche, fraîche et rosée ( voire rouge). Les auteurs du Moyen Âge mettent aussi l’emphase sur la jeunesse du corps. Effectivement, après l’âge de 25 ans, les femmes entreraient dans une période de «désert de l’amour» et ensuite elles deviendraient vieilles.
Détail: Yseult par Edmund Blair Leighton (1902)
L’héroïne, de Chrétien de Troyes, pourrait répondre aux critères suivants : Le poète décrit d'abord les cheveux "de fin or [d'or fin], sor [brillant] et luisant" ; le front "clerc, haut, blanc et plain [lisse]" ; les sourcils "bien fais et large entrueil [bien dessinés et espacés comme il convient]" ; les yeux "vair [brillant, vif], riant, cler et fendu [bien dessiné]" ; le nez "droit et estendu [fin]"...
La figure d'Iseult la blonde peut représenter le personnage féminin à sublimer : « En vérité, je vous assure que la chevelure, si dorée et si fine d'Iseut la blonde ne fut rien en comparaison de la sienne (celle d'Enide). » Erec et Enide, (v.424-426)L'évocation du corps vient parachever ce tableau qui donne à voir la disposition harmonieuse des traits : Il l'admire de haut en bas jusqu'aux hanches : son menton, sa gorge blanche, ses flans et côtés, ses bras et ses mains. (Erec et Enide, v. 1483-1485)
L'évocation du corps est savamment dosée :Elle ne possédait aucune autre robe et sa tunique était si vieille qu'elle était percée aux coudes Si ses vêtements étaient bien pauvres par contre son corps en dessous était très beau Erec et Enide, (v. 406-410)Car le portrait de la gente dame doit s'attarder sur son visage, il doit en effet débuter par la "lumineuse" chevelure pour décrire minutieusement, trait par trait, le front, les yeux, le nez, la bouche et le menton.
Toutes les héroïnes obéissent à ce stéréotype : Nicolette (blonde elle aussi) ressemble à Enide, double magnifié d'Iseult. Or se chante. (C'est par cette formule que commencent tous les couplets en vers de la Chante-fable) Que la lune trait a soi. Nicolete est avuec toi, Ma petite amie aux cheveux blonds Je cuit Dieus la vout avoir Pour que la lumière du soir par elle soit plus belle Aucassin et Nicolete
A l'inverse, le portrait de la fée, personnage merveilleux par excellence, débute par le corps afin d'en révéler toute la sensualité : " La dame était vêtue d'une chemise blanche et d'une tunique à manches (portée selon la coutume par dessus la chemise) lacées des deux côtés pour laisser apparaître ses flancs son corps était harmonieux, ses hanches bien dessinées son cou plus blanc que la neige sur la branche ; ses yeux brillaient dans son visage clair où se détachaient sa belle bouche, son nez parfait, ses sourcils bruns, son beau front, ses cheveux bouclés et très blonds : un fil d'or a moins d'éclat que ses cheveux à la lumière du jour." Marie de France, Lai de Lanval, (565-576).
Blanchefleur, by Edwin Austin Abbey
Dans l'extrait qui suit, où il est question de Blanchefleur, si le poète s'écarte quelque peu de la rhétorique, il n'en demeure pas moins un exemple dans lequel on trouve toutes les composantes d'une beauté canonique : " ses cheveux étaient tels, chose incroyable Qu'on aurait dit qu'ils étaient faits d'or fin, Tant leur blondeur était éclatante. Elle avait le front haut, blanc et lisse comme s'il avait été poli à la main, exécuté par la main même d'un sculpteur dans la pierre, l'ivoire ou le bois. ses sourcils étaient bien fournis et espacés comme il convient, son visage était illuminé par des yeux brillants, pétillants, clairs et bien dessinés son nez formait une ligne bien droite, Et sur son visage contrastait bien mieux la couleur vermeille avec le blanc que le rouge sur l'argent." Chrétien de Troyes, Le Roman de Perceval ou Le Conte du Graal, (v.1811 à 1825).
“Bethsabée au bain” de Jean Bourdichon, feuillet détaché des feuillets des Heures de Louis XII. Première peinture représentant une femme nue, “Bethsabée” sous l’oeil du roi David à gauche
La jeune fille (Fénice) arrivaen hâte au palais tête et visage découverts l'éclat de sa beauté dispensait dans tout le palais une clarté plus vive que n'auraient pu produire quatre escarboucles.(Cligès, vers 2728-2733.)La "blanchor" du teint doit trancher avec la couleur "vermeille" des joues et des lèvres (charnues et rouges comme des cerises). Les adjectifs : sor, luisan, cler, blan, riant, vair, anluminee et clarté se regroupent dans un même champ sémantique, celui de la lumière. Ces jeux de lumières, qui complètent le portrait, soulignent que l'héroïne doit avoir un visage radieux, signe même de sa beauté et de son noble lignage.
En effet au Moyen Age, et jusqu'au début du XXè siècle, le visage hâlé est un signe de vilainie. Une femme de qualité se doit de ne pas exposer son visage aux rayons du soleil.Dans les romans arthuriens, la beauté physique - signe extérieur de perfection humaine - est la toute première des qualités de l'héroïsme courtois et merveilleux. C'est elle qui conditionne toutes les autres qualités - morales, cette fois-ci - : honneur, sagesse, prouesse, courtoisie ou encore noblesse. Ce n'est donc pas un hasard si Chrétien affirme dans la bouche d'Enide que : "Li meillor sont li plus sor [blonds]" (v.968).
Aux XIIe et XIIIe siècles, alors que s'écrit la légende arthurienne ; le merveilleux païen fait irruption dans la la culture savante sans grande opposition de l’Église, car elle ne représente plus un véritable danger.
Cependant, l'opposition entre l'interprétation des chevaliers et une interprétation des clercs, s'exprime clairement.
Les clercs veulent intégrer au surnaturel chrétien une mythologie assez irréductiblement étrangère, et les chevaliers et troubadours exploitent cette mythologie parce qu'elle est précisément étrangère à l’Église… L'Eglise va jouer la rationalisation, et assimiler les fées aux sorcières. Ce phénomène de rationalisation et de diabolisation va dénaturer – radicalement - la fonction des fées. La nature fantastique de la fée du lai de Lanval n'est jamais mise en doute par Marie de France. Mais dans les romans en prose à partir du du XIIIe s., les fées vont devenir des mortelles douées de pouvoirs surnaturels.
Vers 1220, le Lancelot en prose donne une définition des fées dans la littérature profane, à propos de la Dame du Lac qui enlève l'enfant Lancelot à sa mère pour l’élever dans son royaume aquatique :
« Le conte dit que la demoiselle qui emporta Lancelot dans le lac était une fée. En ce temps-là, on appelait fées toutes celles qui se connaissaient en enchantements et en sorts; et il y en avait beaucoup à cette époque, en Grande Bretagne plus qu'en tout autre pays. Elles savaient, dit le Conte des Histoires bretonne, la force des paroles, des pierres et des herbes, par quoi elles se maintenaient en jeunesse, en beauté et en richesse, autant qu'elles le désiraient. Et tout cela fut institué à l'époque de Merlin, le prophète des Anglais, qui savait toute la science qui des diables peut descendre. C'est pourquoi il était tant redouté des Bretons et tant honoré que tous l'appelaient leur saint prophète, et les petites gens leur Dieu. Cette demoiselle, dont le conte parle, tenait de Merlin tout ce qu'elle savait de science occulte; et elle l'apprit par une très subtile ruse. »
Si la dame du lac, est réduite à l'état de magicienne, elle n'habite plus qu'un fantôme de lac :
« La dame qui l'élevait ne résidait jamais ailleurs que dans des forêts grandes et profondes ; et le lac, dans lequel elle avait sauté avec lui, lorsqu'elle l'avait emporté, n'était que d'enchantement. Et cette habitation était si bien cachée que personne ne pouvait la trouver ; car l'apparence du lac la protégeait de telle manière qu'on ne pouvait pas la voir. »
Les fées ont acquis la science des clercs et se posent en rivales de ceux-ci, possédant une autre forme de maîtrise du surnaturel. Cette opposition en recouvre deux autres : clercs/laïcs et masculin/féminin.
« Ainsi les thèmes féeriques peuvent être compris comme une manière, pour la littérature aristocratique, de conférer dans l'imaginaire aux chevaliers des pouvoirs surnaturels indépendants de ceux qui, dans le fonctionnement réel de la société, en constituent le pôle central et dominant : le sacré défini par les théologiens et dont la mise en œuvre est contrôlée par l’Église. »
Deux textes, deux discours parallèles qui exaltent l'idéal chevaleresque, sont révélateurs à cet égard ; tous deux, étonnamment, sont placés dans la bouche d'une fée, prêtés à la dame du lac et à Mélusine.
La Dame du lac tient le premier jour au jeune Lancelot avant de la conduire à la cour d'Arthur où il recevra l'adoubement. Ce discours est très orthodoxe : il définit les devoirs du chevalier, qui doit défendre les faibles et les opprimés et servir fidèlement la sainte Église.
Le discours de Mélusine à ses deux fils Urien et Guy, est plus pragmatique, et concerne le bon gouvernement... Il faut être un bon seigneur, attentif aux besoins de son peuple ….
Le plus remarquable est que ces discours soient placés dans la bouche et d'une femme et d'une fée. C'est que le savoir des fées rivalise une fois de plus avec celui des clercs. Les forces féeriques sont mises au service de la chevalerie pour lui donner un caractère héroïque et sacré. ]Briton Riviere (British, 1840-1920), Una and the Lion, from Spenser's Faerie Queene (1880)[
Chrétien de Troyes, joue avec subtilité sur les incertitudes : Laudine est-elle une fée ou non ? Les pucelles ponctuant le parcours de Lancelot en sont elles ?
Espace de l’interrogation qui permet plusieurs lectures, mais qui montre aussi que la fée, en dépit de son originelle ambivalence, peut avoir une place véritable dans l’imaginaire médiéval et chrétien. Morgane a perduré sous le nom de fée Margot et l’on trouve un peu partout en France des « Caves à Margot », des « chambres de la fée Margot », des « fuseaux de Margot », des « Roche Margot ».
]St. Margaret of Antioch (France, 1490-1500)[
Si la christianisation a diabolisé Morgane, tout comme elle l’a fait de Gargantua et de Mélusine. Elle l’a christianisée en sainte Marguerite, représentée « issourt » du dragon, ou avec le dragon à ses pieds, le dragon-vouivre symbolisant alors les énergies telluriques.
Après les déesses, les fées, on observe le triomphe d'une autre femme : Marie (Notre-Dame, la Vierge Marie) au début du XII° siècle, qui change terriblement le regard porté sur les fées et les dames.
Notre-Dame donne son nom aux 3/4 des grands édifices gothiques qui s’érigent dans un monde nouveau qui explose. L’évangélisation souvent brutale des populations n’avait jamais aboli l’héritage des fées maîtresses de la pierre, des eaux et du vent.
On conserve des témoignages de la fin du XVII° siècle selon lesquels les druidesses de l’île de Sein seront alors et seulement, converties au christianisme.
Sources : Un livre important sur le sujet des fées, si on souhaite comprendre la place qu'elles avaient au Moyen-âge :- Laurence Harf-Lancner, Le Monde des fées dans l’Occident médiéval, Paris, Hachette (« Littératures »), 2003
Qui ne s'imagine pas, posséder la lumière qui fera reculer les ténèbres... ?
En ce Moyen-âge, la religion catholique voulait posséder la raison, et faire reculer les ténèbres païennes.
Vers 1023, Burchard, évêque de la ville de Worms, rédige un pénitentiel – à l'usage des prêtres – le Decretum dans lequel il énumère les principaux délits commis dans son diocèse et les pénitences adéquates.
Rappelons que, Grégoire VII ( pape en 1073, à 1085) continue l’œuvre de réforme et donne son nom au mouvement. Dans ce contexte, le statut des femmes change et se durcit. On théorise leur place selon un ordre précis : la virginité, le mariage, le veuvage. Seules ces catégories sont reconnues dans une hiérarchie définie : vierge, sainte, moniale, veuve, femme mariée puis, tout en bas, la femme célibataire qui équivaut au diable en chair et en os. Les réformateurs sont particulièrement misogyne : Hildebrand (clunisien), Pierre Damien, Burchard de Worms (dont le livre 19 de son Decretum n’est pas flatteur et développe les idées de sorcellerie inhérente à la femme).
Pour l'évêque de Worms, l’enfer c’est les femmes. Elles sont impies par nature et peuvent même aller jusqu’à remettre en cause la trinité, se tiennent mal à l’église (bavardent, marchent sur les sépultures…).. Il faut ranger les femmes dans les parties froides de l’église pour calmer leurs ardeurs…
Mais, revenons aux croyances en ces fées.... :
Quelques exemples de l'examen de conscience prôné par l'évêque de Worms:
« As-tu cru à ce que certains ont l’habitude de croire, que celles que le peuple appelle les Parques existeraient réellement et auraient le pouvoir, lorsqu’un homme naît, de le marquer comme elles veulent, de sorte qu’à tout moment cet homme pourrait se transformer en loup, qu’en langue teutonique on appelle loup-garou, ou en n’importe qu’elle autre figure? Si tu as cru que cela s’est fait un jour et que c’est possible que l’image divine puisse être transformée en une autre forme ou espèce par quelqu’un, excepté par Dieu tout-puissant, tu feras pénitence dix jours au pain et à l’eau.
As-tu cru à ce que certains ont l’habitude de croire, qu’il existe des femmes habitant les champs, appelées sylphes, ayant, disent-ils, un corps matériel, et lorsqu’elles veulent elles se montrent à leurs amants et prennent plaisir avec eux, et de même lorsqu’elles veulent elles se cachent et disparaissent? Si oui, tu feras pénitence dix jours au pain et à l’eau.
As-tu fait ce que certaines femmes ont l’habitude de faire à certaines époques de l’année: quand tu prépares la table dans ta maison, tu déposes la nourriture et la boisson ensemble avec trois couteaux sur la table, pour que si viennent les trois sœurs, que l’héritage et la stupidité antique appellent les Parques, elles puissent se restaurer là; ainsi tu as pris à la piété divine son pouvoir et son nom pour les transmettre au diable, croyant que celles que tu appelles sœurs peuvent t’être utiles maintenant ou dans le futur? Si oui, tu feras pénitence un an au pain et à l’eau. » Burchard évêque de Worms
Les Parques, déesses de la mythologie romaine, font bon ménage avec une autre mythologie plus locale …
Ce texte évoque parfois des scénarios que nous connaissons dans nos contes de fées … Les « femmes de la forêt » qui recherchent l'amour des mortels, nourrissent un type de conte universel, qui s'épanouira dans la littérature du Moyen-âge.
Les fées apparaissent en littérature, avec la naissance de la littérature. C'est au XIIe s. que naît le roman, qui désigne, au sens propre, tout texte écrit en langue romane ( par opposition au latin).
La « matière » de cette littérature est triple : bretonne, romaine et française... En 1170, Chrétien de Troyes écrit le premier de ces romans, Erec et Enide, à partir d'un conte d'aventures. Marie de France – dans le prologue de ses Lais – écrit son projet de sauver les contes des anciens bretons, pour les sauver de l'oubli.
Dans le discours d’autorité de l’Église, les fées sont intégrées au surnaturel chrétien par le biais de la satanisation... ou de la sanctification … !
Les textes profanes, défendent les valeurs de l'aristocratie chevaleresque et interprètent la culture populaire selon une autre idéologie, celle de la société féodale, et les fées y bénéficient d'un traitement beaucoup plus favorable. Il peut être glorieux pour un lignage aristocratique de se doter d'une ancêtre surnaturelle...
Les seigneurs poitevins de Lusignan se proclameront les descendants de la fée Mélusine.
Comment « croire » aux fées dans un monde dont le système de référence, rationaliste, ne leur permet pas d'exister ?
] Le chevalier Lanval[
« Croire », c'est s’écarter de critères qui relèvent de la raison, des sens : voir, toucher, raisonner, expérimenter... tout ce qui appartient à des activités humaines dans un système qui ne tient compte que de ce qui est matériel, humain et dans le cadre de ses connaissances actuelles ...etc.
Dans ce système, beaucoup de choses sont à écarter, en particulier la transcendance, la relation au sacré … et sans doute, la compréhension des mythes, et des contes traditionnels...
Au Moyen-âge, les enfants ne sont pas les seuls à « croire » aux fées. « Croire », c'est alors : prendre au sérieux, reconnaître l'influence, la prégnance, d'un ensemble de faits, d'êtres, sur lesquels il n'est pas aisé de mettre des mots pour en partager l'expérience.
La convention partagée, est d'en parler au travers d'histoires ( contes, légendes, mythes …).
Dans un univers mental, aujourd'hui entièrement étranger au nôtre, la question posée par ces figures « fantastiques et ambiguës », est moins celle de leur « existence » que celle de leur signification....
Si elles signifient quelque chose, n'est-il pas absurde de nier leur « existence »... ?
Il est d'ailleurs intéressant de constater la place qu'attribue la religion chrétienne, à ces figures païennes … !
Elle ne leur dénie pas une réalité surnaturelle, mais elle modifie leur interprétation. A côté d'un surnaturel orthodoxe ( les miracles, les pièges du démon, …), il existe un surnaturel problématique dont font partie les fées ….
Exemple :
A la fin du XIIe s., Marie de France dit recueillir dans ses lais des contes bretons qu'elle fait remonter à un passé mythique.
Dans le lai d'Yonec, une jeune femme a été mariée contre son gré à un vieillard jaloux qui la tient en prison. Un jour de printemps, elle évoque d'antiques croyances selon lesquelles, autrefois, « les chevaliers trouvaient les femmes de leurs rêves, nobles et belles, et les dames trouvaient des amants, preux et vaillants, sans encourir le moindre blâme, car elles étaient les seules à les voir ». Elle supplie Dieu de lui envoyer un de ces amants merveilleux, et Dieu, compatissant, exauce son vœu. Un grand oiseau vole jusqu'à sa fenêtre et, dans sa chambre, se transforme en un beau chevalier qui sollicite son amour. La dame, d'abord terrorisée, consent à l'aimer, s'il est bon chrétien. Aussitôt dit, aussitôt fait : le chevalier-oiseau se métamorphose pour revêtir l’apparence de la dame et recevoir la communion à sa place : celle-ci, rassurée se donne à lui. On reconnaît ici une version du conte de l'Oiseau bleu. Mais l'originalité du récit de Marie de France réside dans cette réaction de la dame, qui n'est nullement rebutée par la nature animale de son soupirant mais craint par-dessus tout de tomber dans un piège du démon : il suffit au chevalier-oiseau de prouver qu'il est bon chrétien pour vaincre sa réticence.
La fée Viviane et Merlin par G Doré
Au Moyen-âge, le surnaturel apparaît :
- Avec Dieu, et son intervention : le miracle...
- Avec la magie, le surnaturel satanique et la sorcellerie...
- Avec ce qui regroupe toutes les « merveilles » : le merveilleux ( de miror = s'étonner ) et ses êtres fantastiques ( fées, lutins, ogres, monstres…) . Cela suscite d'ailleurs une certaine incompréhension, et donc une inquiétude …
L'interrogation porte sur l'interprétation de la merveille …. L'interrogation ne porte pas sur la réalité de la merveille, que nul ne met en doute, mais sur son sens : à quel registre de la transcendance relier le phénomène ?
Où situer les fées qui n’appartiennent ni à Dieu ni au diable ?
ps: L'Oiseau bleu est un conte de fées français en prose de Marie-Catherine d'Aulnoy, publié en 1697 et racontant l'histoire d'amour de la princesse Florine et du roi Charmant, transformé en oiseau bleu. Ce conte est contemporain des contes de Perrault.
Sources : Laurence Harf-Lancner, Le Monde des fées dans l’Occident médiéval, Paris, Hachette (« Littératures »), 2003
Louis VII de France, (1120-1180), roi des Francs de 1137 à 1180.
Henri II d'Angleterre (5 Mars 1133 au 6 Juillet 1189)
Aliénor d'Aquitaine (1122 ou 1124 à 1 Avril 1204)
Marie , comtesse de Champagne (1145 - 1198) est la fille aînée de Louis VII de France et de sa première épouse, Aliénor d'Aquitaine .
Geoffrey de Monmouth, Historia regum Britannie 1136 (latine)
Wace (1100- 1174) Roman de Brut , c. 1155 (anglo-normande)
Chrétien de Troyes (1135-1185)
Wolfram d'Eschenbach ( 1170-1220)
- La cathédrale d'Otrante, c. 1163 Mosaique : Rex Artirus
- ''Découverte'' de la tombe d'Arthur : 1190 (latin ) rapportée par Gerald of Wales
Le cycle de la Vulgate : la Queste del Saint Graal , la Mort (le roi) Artu , le Lancelot , le Estoire del Saint Graal , et la Vulgate Merlin c. 1215-1235 (Français)