1941 – Paris –1– Drieu la Rochelle
Lancelot remonte vers Paris, en passant par Royat, à l’Hôtel Saint Mart où il rencontre le colonel Bonotaux du SMA, puis par Vichy. Il utilise le train spécial Paris-Vichy qui, deux fois par semaine, fait la liaison pour les ministres et les fonctionnaires qui s'arrête à la gare de Moulins-sur-Allier, point de passage de la ligne de démarcation en train.
Passer la frontière, à Moulins, ce n'est pas ordinaire, surtout pour Lancelot qui n'est pas encore retourné à Paris, depuis la défaite... Des soldats allemands, surgissent dans les wagons, vident les couloirs et réclament poliment dans chaque compartiment, les ''ausweis'' ( laisser-passer).
Selon la couleur, on reconnaît des ausweis, pour un voyage, ou plusieurs. Certaines catégories de personnes, bénéficient d'un ausweis permanent, comme Lancelot.
Les habitants de Moulins, peuvent présenter au poste de passage, un Ausweis für den kleinen Grenzverkehr (laissez-passer pour la petite circulation frontalière) provisoire... En règle générale, l'ausweis est très difficile à obtenir...
A la gare, la mère de Lancelot l'attend, seule, sans voiture ; et lui fait la surprise d'une promenade en vélo-taxi.
Qu'il semble étrange d'arriver à Paris, pour quelqu'un comme lui qui l'avait quittée avant l'armistice, et d'y reconnaître sa ville, vide, dans les mains d'allemands qui se sentent chez eux. Des drapeaux nazis ont remplacé les couleurs françaises. Les horloges, même, sont à l'heure allemande, plus matinales d'une heure.
Par crainte que l'automobile soit repérée et réquisitionnée, elle ne sert plus qu'aux alentours de Fléchigné.
Lancelot occupe avec sa mère un appartement rue Victor-Hugo ; avec eux également, une ''bonne'' - Louise M. - qui s'était déjà occupée de Lancelot quand il allait au petit-lycée Janson de Sailly.
La nuit, Paris est plongée dans l'obscurité et le silence, humiliée.
Abetz offre à Drieu le rôle culturel qu'il envisage pour lui, afin de servir les vainqueurs. C'est à la tête de la prestigieuse NRF, que Drieu revient ; après s'en être écarté reprochant à Paulhan de soutenir des écrivains communistes. Gallimard accepte, pour sauver la « maison » ; et un premier numéro est paru en décembre 1940.
Une ''liste Otto'' juge subversifs 850 auteurs et 2000 titres, et appelle à les faire disparaître des rayons de librairie.
Lancelot retrouve Drieu, non pas, comme il l'imaginait, en homme satisfait, à la tête de la Nouvelle Revue Française, mais en homme frustré de se retrouver, déjà, dans une voie sans issue... Faute de pouvoir faire l’œuvre littéraire qu'il imaginait, il aimerait, dit-il, être l'éminence grise d'un fascisme français ; qu'il ne voit pas dans ce Vichy pauvre et triste, et qui présente les mêmes tares que la France de gauche, qu'il a remplacé. « Peu de fascisme, peu de vie ! ».
Par l'intermédiaire de Drieu, Lancelot croise Otto Abetz, il l'avait rencontré en 1930, chez Jean Luchaire, quand se montait le projet de Sohlberg. Puis, ce professeur de dessin au lycée de Karlsruhe, a rejoint le NSDAP (1935) et animé le Comité France-Allemagne grâce auquel il a travaillé et sympathisé avec Drieu la Rochelle. Marié avec une française, Abetz s'est senti humilié quand il fut expulsé en début d'été 1939 par le gouvernement Daladier. A présent, il revient à Paris avec le titre d'ambassadeur du Reich à Paris.
Drieu a senti qu'Abetz n'avait pas vraiment confiance en Lancelot, qu'il rattache ( après Daladier...) à Vichy et à ses services de renseignements... Drieu, dit-il, tente de persuader les ''occupants'', de ne pas pratiquer ce qui fut une erreur de la France envers l’Allemagne. Il tente de convaincre Abetz, qui fait semblant de le comprendre, que le redressement de la France dans le cadre d'une nouvelle Europe pourrait être un modèle pour les autres nations. Drieu envisage un parti unique, avec Doriot à sa tête. Les allemands se méfient d'un parti unique, et préfèrent plutôt jouer des divisions internes du pays.
Drieu raconte à Lancelot son invitation à l’ambassade d'Allemagne le 15 août 1940, seul au milieu de dignitaires allemands ; sa gêne, son angoisse même, d'être en pareille compagnie...
Lors du retour des cendres de l'Aiglon, Drieu était aux premières loges, savourant la rencontre d'un Napoléon et d'un Hitler.
Mais Drieu semble déjà désabusé : il méprise '' le vieux '' conservateur de Vichy ( Pétain); et se rend compte que les allemands n'envisagent pas de ''relever'' la France...
L'Ecole d'Uriage -3- Lithargoël
Viennent souvent, au château, des conférenciers de Grenoble, ou de Lyon ; et la parole est si libre que Lancelot semble être ici, hors du temps de Vichy.
Philippe Pétain et, à sa gauche, les cardinaux français Emmanuel Suhard et Pierre Gerlier, ainsi que Pierre Laval, en novembre 1942 |
L'un des derniers thème de discussion concerne l''' Explication chrétienne de notre temps ''. On évoque la défaite en remontant dans l'histoire, jusqu'à la fin du Moyen-âge pour y trouver les racines d'une ''crise de civilisation'', lorsque l’homme s’est « coupé de la vie supérieure » pour sombrer dans le matérialisme. La Renaissance ensuite, s'est centrée sur l'émancipation de la tutelle de l’Église ; jusqu'à s'imaginer fonder une société sans dieu, pourtant issue du christianisme...
La défaite de 40, semble donc justifier une pensée réactionnaire catholique. La '' Révolution nationale '' pouvant être le moyen d’effacer '' la République Parlementaire'' issue de 1789.
Le programme de formation intellectuelle comprend l’étude des trois auteurs désignés comme « les Maîtres de la politique française » : Maurras pour la monarchie, Péguy pour la critique du parlementarisme et Proudhon pour le traditionalisme
Le directeur de l'école, ne craint pas – sur ces bases – de provoquer un débat , en organisant un colloque avec Emmanuel Mounier et Jean Lacroix, les fondateurs de la revue Esprit ; Jean-Jacques Chevallier, professeur de droit à la faculté de Grenoble ; Michel Dupouey du Secrétariat général à la Jeunesse ; Henri Massis, de La Revue universelle et surtout principal conseiller du Maréchal pour les problèmes de jeunesse...
Pour Mounier, la personne est une « liberté créatrice qui prend le monde comme problème et le construit comme destin » ; ce qui la constitue, c'est l’Être infini : « un Être personnel présent au plus intime de nous-mêmes ». La personne est '' vocation ''…
La pensée de Massis, même si – à la suite de Péguy - se rattache à une politique de l'incarnation ; elle semble à Mounier trop amère, angoissée. Au point d'en arrêter la recherche ; sa pensée est ''solution ''. Mounier en appelle plus à la ''proposition'', et même au mystère...
Le conflit idéologique éclate, et c'est finalement le contrôle même de l'Ecole qui est en jeu.
Lancelot voit passer des gens estimés de tous, même si, comme René Gosse, doyen de la faculté des sciences, un brillant scientifique, il est révoqué le 6 décembre 1940 de toutes ses fonctions. Au même moment, Mgr Caillot, évêque de Grenoble diffuse un message pour soutenir la politique du Maréchal Pétain, et s'en prend directement aux franc-maçons.
René de Naurois, qui ne cache pas dans ses prédications son aversion pour le national-socialisme, supporte de plus en plus mal, l'idée que la France puisse devenir un satellite de l'Allemagne nazie. Il se rend souvent à Grenoble, et Lancelot sait qu'il soutient un mouvement de résistance qui vient de se créer autour d'une professeure de Lettres du lycée Stendhal, Marie Reynoard.
Début 1941, Dunoyer de Segonzac, prononce à la faculté des Lettres de Grenoble, une conférence, il exalte l'esprit de revanche et, dans un même élan, avoue que son plus cher désir est la victoire de l'Angleterre. Des applaudissements éclatent dans la salle.
Le 17 février 1941, Segonzac reçoit des instructions précises de Vichy: il est sommé de se séparer de Mounier et de l’abbé de Naurois. De ce jour, l’abbé entre dans la résistance active.
Le 20 août, la revue Esprit sera interdite.
Lancelot, dans son rapport au Secrétariat d'Etat à l'Instruction publique et à la Jeunesse, sut mettre en avant les aspects qui étaient attendus par le régime de Vichy ; exposé juste, donc mais réduit...
Lancelot fait l'éloge de ces jeunes stagiaires volontaires, énergiques qui chantent en cadence des chansons folkloriques ou d’actualité comme ''Maréchal, nous voilà ''.
A Uriage, sont régulièrement évoquées des figures comme Jeanne d'Arc, Péguy, Lyautey, et le vainqueur de Verdun. On y exalte les vertus dures et nobles comme, la pureté, l’abnégation, le don de soi, le goût du sacrifice, ou bien encore l'humilité des petites gens. On y évoque le passé, prenant volontiers ses références dans la chevalerie médiévale, prônant le retour aux traditions ancestrales...Etc.
Quelques jours avant le printemps, et le départ de Lancelot. Un événement va le marquer profondément...
Les habitants du village d'Uriage, ont récupéré un homme blessé, et l'amènent inconscient au château … Mutique, il semble incapable de parler... il ne comprend pas le français, mais l'allemand... Lancelot et René de Naurois parlant allemand, tentent de l'interroger...
Il porte sur lui quelques cartes du Tarot de Marseille, - le Fou – l'Empereur - qu'il présente pour expliquer sa présence, ici.
Quand on lui demande comment il s'appelle, il répond, quelque chose comme ''Litarguel'' : Naurois, pense au nom d'un ange ( comme Gabriel, ou Raphaël...) ?
La dernière nuit, il semble aller mieux et retrouver ses esprits. Il s'adresse à Lancelot qui le veille : il souhaite connaître son nom, et le nom du lieu, où il est : puis, il répète ''Lancelot... Lancelot - Vielen Dank ( Merci beaucoup ); comme s'il était soulagé.
- Et vous, que faites-vous, ici... ? - Wir müssen den Stein wiederfinden...( Nous devons retrouver la pierre ) ceci dit, avec beaucoup de difficulté. Enfin, il réclame ses deux cartes de tarot, pose le fou sur son cœur ; puis le tend à Lancelot ; et lui fait signe qu'elle est à lui, à présent.
Lancelot n'a pas bien compris :
- Quelle pierre... ? Pourquoi... ? - Wir müssen den Stein vor ihnen finden ( Il nous faut trouver la pierre avant eux).
L'homme retire une enveloppe de la poche intérieure de son blouson: - Vous la remettrez à une personne travaillant sur Tube Alloys, qui se présentera à vous. Il s'agit des ''Romances du Rosaire'' de Clemens Brentano.
Il ferme les yeux. - Nur die Rose kann... ( Seule la rose peut...) et s'endort.
Le lendemain, son lit, sa chambre sont vides. L'homme a disparu, aucune trace de lui, sinon les deux cartes de tarot, que Lancelot a gardé ; et surtout ce livre.
Lancelot est profondément bouleversé, par le mystère de cette rencontre. Comment cet homme est-il arrivé ici, et pourquoi... ?
Où est-il ?... ? Le médecin pense qu'il était seulement très fatigué; et sans-doute était-il poursuivi par des nazis...
L'abbé Paul Tresson, que j'ai évoqué plus avant, reconnaît dans le nom de l'homme, entendu par Lancelot et Naurois : le nom de '' Lithargoël ''. - De qui s'agit-il ? - D'un ange effectivement, un ange thérapeute. Il est mentionné dans un livre, qui appartient à la série des Actes apocryphes des apôtres. Ce livre a disparu ; mais on connaît une parabole qui devait y figurer, parce qu'elle est rapportée dans la littérature syriaque.
L'étymologie du nom Lithargoël est à chercher en grec du côté de ''pierre brillante '', ce qui correspond au sens de l'histoire ; et la terminaison 'el ' renvoie au nom divin, commune aux noms d'ange.
Cette histoire raconte qu'un marchand, Lithargoël, offre aux pauvres, une pierre, une perle, mais ils ne répondent pas à son invitation; ils l'accueillent, mais ne partent pas dans la cité que leur indique l'ange... Pierre et les apôtres, vont accepter de s'y rendre, ils y seront alors accueillis par Lithargoël, qu'il ne reconnaissent pas, habillé en médecin, et qui va se révéler être le Christ.
''Les Romances du Rosaire'' (1852) sont un long poème inachevé. Il se présente comme une suite de tableaux, qui expriment les embarras du cœur humain par différentes figures. Brentano a probablement pensé au Roman de la Rose.
L'abbé Tresson apprend à Lancelot, que Brentano, converti au christianisme, catholique, fervent du Rosaire, vint s'asseoir pendant six ans au chevet d'une religieuse, Anne Catherine Emmerich, pour retranscrire ses visions, jusqu'à sa mort en 1824.
L'Ecole d'Uriage -2- Le poste à galène
Les ateliers autour de la TSF ont du succès. Tout ce qui concerne la radiodiffusion est sensible : une réglementation spéciale, en zone non-occupée, concerne les émetteurs qui sont sous contrôle du gouvernement de Pétain ; et en zone occupée, tout poste émetteur doit être remis aux allemands, sous peine d'être accusé d'espionnage ou de trahison...
Avec la radio nationale de Vichy ; il y a Radio-Paris qui diffuse à nouveau, mais sous contrôle allemand. Et bien sûr, chacun connaît à présent, Radio-Londres qui émet à partir des studios de la BBC ; mais son écoute se doit d'être clandestine...
Les contacts avec l'appui de René Cosse, permettent à Lancelot, de récupérer et d'acheter des petits matériels électroniques pour les ateliers de radio, comme le cuivre, les bobinages, les vieilles lampes, condensateurs...
Il s'agit d'une initiation à la TSF, avec comme objectif, d'être à l'écoute de l'information ce qui en cette période, s'avère d'un intérêt essentiel à tous.
« Tourner le commutateur, allumer les lampes, faire ce geste qui après quelques secondes va me mettre en communication avec l’univers (…) C’est chaque fois la même émotion, le même frémissement, la même inquiétude, et la même surprise quand, venue de je ne sais où dans l’univers portée par l’air musical et vibrant, éclate tout à coup dans la chambre où je suis seul une voix inconnue et fraternelle ». Jean Guéhenno, en 1938
Je recopie les notes de Lancelot :
Fabriquer un récepteur nous permettra d'extraire le message sonore d’une onde porteuse ( on dit : en modulation d'amplitude AM ) émise par l’émetteur et propagée dans l’air jusqu’à nous.
- Il faut de la pierre de galène, un sulfure de plomb , qui existe à l'état naturel ; c'est un corps gris métallique, un cristal qui a une capacité semi-conductrice.
On enchâsse la pierre dans une coupole de laiton reliée à un fil, et on relie un autre fil à une petit pointe métallique qui viendra « explorer » la surface de la galène par l’intermédiaire d’un petit ressort qui facilitera le réglage.
- Nous avons besoin d'une bobine, et d'un condensateur variable ( CV) monté en parallèle ; pour s'adapter à la longueur d'onde que l'on veut recevoir. La bobine sera réalisée autour d'un petit tube en carton avec du fil fin en cuivre ; et le condensateur pourrait être composé d'une feuille de carton, taillée en secteur d'un quart de cercle, sur lequel est collé, sur les deux faces, une feuille d'étain revêtue d'une feuille de cellophane, le tout relié à la borne "terre", sachant qu'il doit pivoter dans l'entaille, elle même revêtue de deux feuilles d'étain collées sur deux secteurs de carton, et reliées à la borne "écouteur".
- Et, de quel courant avant-nous besoin, dites-vous ? - Aucun, aucune autre source d'énergie que celle reçue avec la très faible tension haute fréquence reçue par l’antenne.
- Il nous faut encore : une excellente antenne, des écouteurs sensibles aux faibles courants de l'antenne, et une bonne prise de terre pour évacuer le courant généré.
L’antenne sera constituée d’un fil de cuivre de 10 à 20 mètres tendu à l’extérieur ( camouflée par le fil à linge …!) , le plus haut possible et isolé à la fois des masses environnantes (murs, arbres, etc.) et électriquement par des isolateurs aux extrémités.
- A quoi sert la pierre de galène ? - Comme semi-conducteur, elle va permettre de démoduler le signal, et d'extraire le signal audio de l'onde porteuse...
Il paraît que l'on peut remplacer la galène par une patate coupée en deux, chaque 1/2 patate séparée de l'autre moitié par un film en cellophane ou une feuille de mica.
Le circuit composé d'une bobine et d'un condensateur est appelé circuit LC :
Le circuit LC combine les propriétés des deux composants permettant le phénomène de résonance électrique.
Au moment où le courant entre dans le circuit, le condensateur est donc rempli d’énergie, alors que la bobine en est vide. On peut donc supposer un transfert d’énergie entre les deux réservoirs :
Lorsque la bobine est vide, elle “aspire” l’énergie électrique. Et lorsque le condensateur est vide, la bobine déstocke donc son énergie et recharge le condensateur. On appelle ce phénomène “résonance électrique”, qui se produit à une “fréquence de résonance donnée” :
Excité par l'intermédiaire des ondes radio, le circuit LC entre en résonance. La résonance se traduit par de fortes oscillations du courant et l'apparition d'une tension. Cette tension est utilisée par le poste à galène pour faire fonctionner les écouteurs.
- Le son est déjà une onde ; et pourquoi est-il nécessaire de la moduler ( au départ de l'émetteur) ? - Parce qu'il faut différencier chaque signal correspondant à une radio, et il faut la propulser sur une longue distance... Il faut donc passer en haute fréquence, ceci par modulation d'amplitude ( AM).
Notre récepteur, doit permettre au signal de revenir de “l’état modulé” à un “état audible” ; c'est le rôle d'une diode, ici la galène.
- Qu'est-ce qui permet de choisir la radio, que l'on veut écouter ? - C'est le condensateur ; en faisant varier la surface commune entre deux armatures ( on fait varier sa capacité), on sélectionne la tension maximale qui pourra passer, c'est à dire l'amplitude de l'onde et ainsi choisir la radio. Si le circuit LC ne sélectionne pas assez, on entendra deux émissions en même temps...
1940 - L'Ecole d'Uriage -1-
A Vichy, Bergery s'était entretenu avec Lancelot au sujet d'un projet d'une école des cadres... Il lui avait proposé même de participer à une rencontre de responsables de mouvements de jeunesse, dans la forêt de Randan près de Vichy du 1er au 4 août 1940. Il pourrait retrouver Henry Dhavernas, rencontrer Jean Jousselin, pasteur protestant et responsable des Éclaireurs Unionistes de France, et le capitaine de cavalerie Pierre Dunoyer de Segonzac (1906-1968) . Bergery l'avait assuré que cela devrait l'intéresser....
Pierre Dunoyer de Segonzac et ses adjoints à l'école des cadres d'Uriage à Uriage-les-Bains, France en 1942 |
En septembre 1940, Dunoyer de Segonzac ( il a 34 ans) crée le Centre Supérieur de formation des chefs de la Jeunesse. Comme Pétain, qui a confiance en lui, il estime que les ''élites'' ont failli ; aussi faut-il assurer leur formation pour reprendre le combat le jour où le redressement annoncé par le Maréchal, nous le permettra...
A Vichy, Dunoyer de Segonzac recrute une équipe de jeunes gens. Elle va se constituer notamment avec le capitaine Eric d'Alençon ; Roger Vuillemin, un professeur d’éducation physique particulièrement dynamique; et, pour aumônier de l'école, une personne qu'apprécie particulièrement Lancelot : l'abbé René de Naurois ( 1906-2006).
Début août 1940, il s'agit de trouver un lieu pour installer l'école : Dunoyer de Segonzac, réussit à faire réquisitionner un château, libre, près de Gannat - La Faulconnière - et commence son service le 12 août. Cependant au bout de deux mois, le directeur décide de déménager pour se soustraire aux visites régulières de fonctionnaires de Vichy, et pour avoir les coudées franches. Il informe le secrétariat d'Etat, du déménagement de l'école pour Uriage, près de Grenoble.
Le 20 octobre, l'Ecole d'Uriage reçoit la visite de Pétain, qui conforte le projet d'une équipe d'origine sociale, de profession et d'engagement politique différents ; bien sûr engagée derrière le Maréchal.
En accord avec le SR et avec mission d'en rapporter de l'information, Lancelot part pour Uriage, peu avant Noël 1940.
Lancelot va tout de suite être saisi et séduit par le lieu... L'école s'est installée dans un château d'aspect médiéval, impressionnant quand on y arrive en fin d'après-midi entre brume et crépuscule. Quelle émotion supplémentaire d'entendre que ces murs abritaient une branche de la famille maternelle du chevalier Bayard.
Dans le hall, un grand portrait de Pétain accueille le visiteur ; et sur un mur adjacent, le blason officiel de l'école fait une référence historique évidente aux moines-chevaliers de l’ordre du Temple. Tout ici, semble inviter Lancelot, à inscrire son projet, dans l'histoire du fil rouge qui relie ses ancêtres. Il trouve à Uriage, l'esprit de chevalerie qui l'accompagne depuis l'enfance et qui se présente sous la forme d'un ordre, d'une devise, d'un blason.
Il devait rester deux à trois semaines ; mais il restera plusieurs mois... Lancelot trouve sa place comme ''instructeur radio''.
Il occupe beaucoup de son temps à en connaître l'histoire, voire même, ses secrets... Le dernier propriétaire qui a vécu au château était un homme cultivé et fortuné. Ingénieur, il fit de nombreux voyages en particulier en Egypte, d'où il a ramené une pièce fameuse, qu'il découvrit le 8 mars 1842 : une Stèle royale de Ramsès II, dite « stèle de Kouban », troisième année du règne de Ramsès II (1287 avant J.C.). Cet homme s'appelle Louis de Saint-Ferriol (1814-1877) ; mécène de sa ville, il va y développer sa cure thermale.
A partir de 1920, le déclin s’amorce. Le fils de Louis : Gabriel de Saint-Ferriol, vieillissant, vend l’établissement thermal et décède en 1927, sans descendance. Le château est légué à sa nièce, Ghislaine Pellissier de Féligonde (1914-1994), qui vit à Paris, et se mariera , le 3 août 1949, à Hervé de Fleuriau (1909-1974).
Ghislaine Pellissier de Féligonde, est la fille de Charles Pellissier de Féligonde (1882 -1962) marié à Odette de Martel (1883-1969), le neveu de Gabriel de Saint-Ferriol... Il a classé, et répertorié, et gardé ou vendu , ce qu'il restait des collections du château ; après que Gabriel de Saint-Ferriol, en 1916, ait déjà fait don des collections égyptologiques au musée de Grenoble.
Lancelot rencontre l'abbé Paul Tresson ( 1876-1959), un très grand érudit, en particulier sur les apocryphes, qui a travaillé sur les collections du Château d'Uriage, Il a publié en 1927 dans la Revue biblique : Le voyage du comte Louis de Saint-Ferriol à travers le désert du Sinaï d’après son journal inédit.
Pierre Dunoyer de Segonzac, pense que Pétain permettra de ressouder la communauté nationale, dans l'honneur national ; à l'image de Jeanne d'Arc, qui a exalté le sentiment national, contre l'envahisseur... Uriage se doit de travailler à cela en formant les nouveaux chefs, les cadres de l'Etat.
Des stages de trois semaines à trois mois sont organisés, pour de jeunes fonctionnaires, ou de jeunes officiers (le lieutenant Le Ray, futur chef des FFI de l’Isère, sera stagiaire).
Une équipe d'instruction encadre les stagiaires, une équipe d'études est chargée de la formation intellectuelle, avec des exposés, des débats, de la recherche avec un travail de documentation ; et une équipe d'administration est chargée de la vie matérielle de l'Ecole et d'encadrer les travaux collectifs.
Lorsque l'abbé de Naurois invite Emmanuel Mounier et Jean Lacroix ; il hésitent, Mounier tranche : « C’est bien simple. En arrivant nous demanderons la liberté complète de parole. Si on nous la refuse, nous partirons ; si on nous l’accorde, nous dirons tout ce que nous avons à dire. »
La revue de Mounier, ' Esprit ' qui a repris fin 1940, décrit ainsi, l’École :
« Ni l’intrigue personnelle, ni la passion politique n’ont été tentées d’y faire la moindre incursion. Plus précisément, la nécessité de faire vite, de répondre à des besoins immédiats, de dépasser une mentalité de défaite que tant de sous-produits psychologiques menaçaient d’empoisonner, n’ont pas dévié, – et c’est presque un miracle, – le souci de faire des hommes complets, où l’esprit, le cœur et le corps aient chacun sa juste part. Si bien qu’école d’entraînement physique et de formation de cadres, l’Ecole d’Uriage est déjà une école de culture et de caractère. »
La discussion affleure souvent les ambiguïtés des valeurs annoncées de la '' révolution nationale'', au regard du Personnalisme de Maritain et de Mounier... Pour l'instant, répond Mounier : il s'agit pour nous de « faire de l'armement spirituel clandestin, c'est-à-dire profiter des similitudes de noms entre nos valeurs et les valeurs publiquement proclamées pour y introduire, à la faveur de cette coïncidence, le contenu désirable » ( Note du 4 août 1940, Entretiens X (Œuvres, t. IV, p. 668) ). Ce nouveau régime est peut-être l'occasion d'abattre '' l'ancien ordre individualiste et bourgeois''. La chute de Laval ( déc 1940) est un signe positif ; mais cela suffira t-il à étouffer ceux qui conduisent une politique xénophobe et antisémite ? Et s'il fallait finalement s'opposer à ce régime ; utilisons le mieux possible notre influence sur la formation des jeunes.
La pédagogie de l'Ecole d'Uriage, utilisent l'ambiance naturelle du lieu, un rythme et une alternance des activités diverses et complémentaires. Il s'agit de créer une atmosphère virile, empreinte de camaraderie, de solidarité, au cours d'une vie communautaire faite d'étude et d'exercices manuels. Le jeudi et le dimanche ( messe en plus) se partagent entre les travaux personnels en étude ou en bibliothèque et des sports de plein air. Le lundi est un jour de repos, et sortie libre entre 7h00 et 19h00. Le sport ponctue chaque journée, en particulier au réveil.
1940 – Vichy. 5
Weygand sort des réunions du Conseil de plus en plus énervé ; ses coups de gueule contre Laval, alimentent les discussions... Sa ligne de force est d’interdire aux allemands, l'utilisation de nos bases aériennes, navales, et matériels en Afrique du nord.
Il se méfie de l'Angleterre ; souhaite renforcer l'armée française d'Afrique et l'attaque de Mers-El-Kébir ( 3 au 6 juillet 1940 ), le conforte dans son idée que c'est l'Empire français qui sauvera la métropole... Il est persuadé que la revanche contre les ''boches'' se présentera ; il faut la rendre possible par un ''double jeu'' qu'il prête à Pétain. Lui-même soutient la dissimulation d'armements,
Weygand adore parler histoire et généalogie avec Lancelot ; mi-sérieux ne lui assure t-il pas qu'il est le fils de la princesse Charlotte de Belgique... Bref ! Lui qui était attentif aux ''signes'' ; qu'a t-il pu bien imaginé concernant ses deux accidents d'avion qui ont entouré son séjour à Vichy ? En effet, le 18 mai 1940, suite à un télégramme de Reynaud qui le nommait à la tête de l'armée française, à la place de Gamelin ; son bi-moteur un Glenn Martin, s'accidente à l’atterrissage à Etampes. Weygand s'extraie de la carlingue sans mal … Le 5 septembre 1940, alors qu'il vient d’être nommé délégué général du gouvernement en Afrique française, Weygand effectue à Limoges sa dernière inspection qu'il joint avec un Amiot 143. L'avion rate la piste et va buter contre le bois à proximité. Il est blessé mais le bilan est miraculeux...
Lancelot ne souhaite pas rester à Vichy, ni partir vers l'Afrique du nord... Son idée serait d'allier le travail dans les services de renseignements et la radio. Weygand lui propose une mission camouflée dans une branche clandestine des SR nommée Entreprise de Travaux Ruraux, bien que visible ( en faible partie, bien-sûr) en même temps par les allemands dans le Service des Menées Antinationales ( service MA). Cette double casquette lui permettrait de passer de la zone libre à la zone occupée ; et de promouvoir les liaisons radio pour une communication, clandestine, à visée anti-allemande... « La guerre continue... » répète à l'envie Weygand.
Alors que Weygand est écarté officiellement de son poste de ministre de la Défense nationale ; ce même jour dans l'après-midi, commence le ''Blitz'' ( bombardement allemand massif sur Londres).
Raphaël Alibert - ministre de la Justice - proche de l'Action Française, se déclare catholique. Il prend à coeur de mettre en forme les bases du droit antisémite du nouveau régime.
L'époque est aux préjugés anti-juifs ; et l'Eglise, dit-on, les craint depuis le Golgotha. L'Eglise, également, s'inscrit dans la lutte contre la franc-maçonnerie. Les adhérents de la ligue france-catholique, sont disciples de Mrg Ernest Jouin, créateur du terme '' judéo-maçonnique''. C'est l'époque où on évoque la ''question juive '' ; et un bon catholique fait plus référence aux mesures prises par la papauté contre les juifs tout au long de son histoire, qu'aux théories racistes d'outre-Rhin. On craignait, que les allemands s'en prennent aux fortunes juives, avant les français eux-mêmes ! Alibert souhaite, dit-il, imposer une législation autochtone, avant celles des allemands. Il s'agit pour lui, de différencier les bons et les mauvais juifs ; les bons relevant de vieilles familles, dont les aïeux ont servi la France... Cependant, Maurras, ne croyait que l'on pût être juif et français...
Lancelot est presque étonné, et réconforté d'entendre une parole différente, en particulier sur les juifs... Un prêtre René de Naurois (1909-2006) ne craint pas de la porter ; passionné de culture allemande, aumônier lors d'un séjour en Allemagne, de la paroisse française de Berlin, il révèle - à qui veut - la nature réelle et profonde du nazisme ; l'organisation policière, le système de délation; et l'enfermement des juifs dans des camps de concentration.... ; mais... pour en faire quoi ?
L'abbé de Naurois, connaît bien Emmanuel Mounier, et la revue ''Esprit''. Alors qu'il étudiait et passait deux licences, en mathématique et en Lettres, il imaginait avec le groupe de Mounier, une hypothétique « troisième voie » entre capitalisme et marxisme.
Le 22 juillet 1940, une loi porte sur la révision des naturalisations obtenues depuis 1927.
Le 25 août 1940, est abrogé, le décret d'avril 39, qui prévoyait des poursuites « lorsque la diffamation ou l'injure, commise envers un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée, aura eu pour but d'exciter à la haine entre les citoyens ou les habitants »
Le 3 octobre 1940, la loi porte sur ''le statut des juifs''. Elle exclut les Français identifiés comme Juifs de la plupart des fonctions publiques et de nombreuses autres professions. Le projet du texte ( daté du 2 octobre), de l’initiative de Vichy, est annoté personnellement par le Maréchal Pétain.
Le 4 octobre, la loi organise l'internement des juifs étrangers... qui fait suite d'ailleurs à des textes de 1938 et 39, de Daladier. Le IIIe Reich, réclamait le transfert des internés, dans la convention d’armistice.
Le 7 octobre 1940, le gouvernement de Vichy abroge le décret Crémieux : les Juifs d'Algérie redeviennent des indigènes ...
Lancelot note que les fonctionnaires qui commentent les nouveaux textes, n'adhèrent pas aux thèses nazies ; pourtant chacun s'empresse de servir, selon ces actes de l'exécutif, ou loi d'exception, puisque le parlement n'est plus en fonction... - Il ne nous incombe pas de nous prononcer sur le contenu de ces mesures, disent-ils...
Pierre G., ( colocataire de Lancelot), quant à lui, exprime nettement qu'il est de son devoir de s’opposer au bolchevisme et au judaïsme pour défendre son pays et sa civilisation. Il s'étonne, s'attriste même, que Lancelot ne semble pas aussi enthousiaste qu'il serait nécessaire.
Laval avait réussi à imposer à Pétain l'entrevue de Montoire avec Hitler le 24 octobre 1940. Le 15 décembre, un siècle jour pour jour après le transfert des cendres de Napoléon 1er aux Invalides ; Hitler a souhaité faire un présent amical aux français, et Laval imaginait une belle cérémonie, symbole de la fraternisation avec l'Allemagne nazie, pour recevoir les cendres de l'Aiglon. Le Maréchal a refusé, il aurait déclaré à du Moulin de Labarthète : « Si les Allemands croient que je vais m'afficher à Paris, en prisonnier, auprès d'Hitler, ils me connaissent bien mal ! ».. C'est de nuit et par un froid glacial, qu'eut lieu la cérémonie.
Seulement, quelques jours avant la cérémonie - à Vichy - les rumeurs, les mouvements entre le Parc et le Pavillon Sévigné signifiaient que quelque chose se préparait. En effet, le 13 décembre 1940, Pierre Laval est congédié par le Maréchal Pétain, et arrêté à la sortie du conseil des ministres.
Le lendemain, discours du Maréchal ; avant que ne réapparaisse, le 17 décembre, Laval libre et reconnaissant envers Abetz et Achenbach, qu'il amène dîner au Chantecler.
Lancelot quitte Vichy avec soulagement, et sans-doute le regret de quitter Me Forge et son fils Michel. Il leur dit sa reconnaissance d'avoir pu partager cet enthousiasme scout pour l'aventure, et le souci de garder des valeurs dans une époque où règne la confusion.
C'est dans cet état d'esprit que Lancelot se rend près de Grenoble, à l'école des cadres d'Uriage.
1940 – Vichy. 4
Le 18 juillet, Lancelot croise à l'hôtel du Parc, Jean Luchaire qui reçoit un ordre de mission de la part de Laval : sonder les intentions de l'occupant et renseigner le gouvernement français. Luchaire se voit faire le lien entre Laval et Abetz qu'il connaît bien et depuis longtemps. Son idée est de défendre l'intégrité du territoire français sur la base d'une collaboration franco-allemande ; et isoler la Grande-Bretagne.
- Franchement, vous encouragez le gouvernement de Vichy à suivre la voie du national-socialisme ?
- Les Allemands attendent de notre part, « un "Esprit nouveau" » Ils ne se contenteront pas de « l'application d'une politique de coopération », ils voudraient voir la France « dans un état psychologique de national-socialisme »..
Pratiquement, à Paris, Luchaire va se mettre au service des exigences allemandes en matière de presse, jusqu'à s'il le faut, appliquer la politique antisémite hitlérienne en France.
Jean Luchaire, est nommé rédacteur en chef du Matin au retour du journal en zone occupée, le 17 juin 1940 ; et en novembre 40, Luchaire fonde le journal collaborationniste Les Nouveaux Temps. Entre temps il prend la tête le 25 septembre 1940, du Groupement corporatif de la presse parisienne … I
13 août : Interdiction légale de la franc-maçonnerie.
Lancelot eut la chance d'être invité à un concert organisé par Léon Brilloin et sa femme Stepha ( juive polonaise). Léon Brillouin (1889-1969) est sous-secrétaire d'Etat à la Radiodiffusion nationale depuis sa nomination par Daladier en juillet 1939, et aussi un savant, physicien au Collège de France, spécialiste de la propagation des ondes et de mécanique quantique. Étaient présents de nombreux diplomates, pour écouter en particulier Henri Sczering au violon jouer une sonate de César Frank, puis des morceaux de Brahms et de Bartok. Lancelot revient en ville, dans la Vivaquatre officielle des Brilloin. Dans la conversation, on se félicite – au contraire de Paris - de ne voir à Vichy aucun drapeau nazi, et de ce que les allemands restent discrets.
Léon Brillouin invite à Lancelot, à venir le voir à l'hôtel du Parc pour parler radio...
Le lendemain Lancelot se rend devant le siège du nouveau régime. La personne à l'accueil après vérification de l'identité, lui indique l'ascenseur où l'attend un liftier, le N° de la chambre et de l'étage ( 4ème). Accueilli par Stepha, la femme de Léon, avec du ''vrai'' café, Brillouin rassure Lancelot, ils peuvent parler, ils sont en sécurité....
Brillouin a fait détruire plusieurs émetteurs lors de l'avancée des allemands. La Radiodiffusion nationale dut cesser provisoirement d'émettre sur le territoire le 25 juin 1940, suite à la convention d'armistice. Elle fonctionne à nouveau en zone libre depuis le 6 juillet.
On a aménagé des studios de fortune, notamment au Grand Casino, et on travaille avec des radios privées ( soumise au contrôle de l'Etat). Il s'agit de promouvoir l'idéologie du régime de Vichy, et l'image du Maréchal Pétain. Il faut rivaliser avec Radio-Paris ( contrôlé par l'occupant allemand) , et surtout avec la BBC à partir de septembre; et sa ritournelle : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».
On dit qu'il y aurait 5 millions de postes de TSF en France. On y a pu suivre la bataille de France, jusqu'à la déclaration de Pétain : « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat … ». Combien de français ont pleuré ?
A présent, il est difficile d'acheter un poste dans le commerce ; mais on peut le construire...
Brillouin prévoit l'importance que prendra l'écoute de Radio-Londres, pour faire connaître des informations censurées, soutenir les auditeurs dans la ''victoire finale'' ( on ne perd pas espoir...), et dénoncer la propagande allemande. Il serait nécessaire aussi d'équiper le plus possible les français d'appareils de réception clandestins ; peut-être même s'initier aux messages codés... Ces paroles exaltent chez Lancelot des idées de projets qu'il ne peut se permettre de partager.
A Vichy, le spectacle se trouve dans les hôtels, les cafés. Rien de plus réjouissant que de se retrouver à quelques uns autour d'une table. A l'hôtel des Ambassadeurs dans un décor de serre , on est plongé au coeur du monde, chacun s'interpellant dans différentes langues, d'un coin territoire à un autre ; les hispanisants sont les plus bruyants, les monarchies hongroise et roumaine se toisent par l’intermédiaire du comte de Khuen Hedervary, ministre de Hongrie et pour la Roumanie, Dinn Hiott, ambassadeur ; soutenus par leur femme, la belle comtesse Edervary pour le premier et sa maîtresse, pour l'autre. Les diplomates sont les personnages les plus enviés, ici, ils ont le privilège de la ''valise diplomatique'' qui permet aux messages et marchandises de passer outre les règles drastiques imposées par la guerre et les frontières.
Lancelot a certainement remarqué Wanda Vulliez, correspondante d’une agence de presse suisse, jolie femme très entourée dans le milieu diplomatique qu'elle fréquentait.... Ou, peut-être aussi, une petite femme "mince", au visage "ovale" et au nez "légèrement retroussé". Elle tente – avec son amant le colonel Czerniawski - de mettre en place un réseau de renseignements polonais, bientôt baptisé Interallié, en liaison avec l'IS. En contact avec des responsables français du 2e bureau, elle apprend ses rudiments du métier d'espionne.
Le soir, vêtue d'un manteau de fourrure sombre et d'un chapeau rouge, elle a pour habitude de se lover dans un fauteuil du bar de l'hôtel des Ambassadeurs, où des journalistes, raconte-t-elle, la surnomment "le chat noir", puis ''La Chatte''.
Il y a aussi, l'élégant hôtel Majestic - où loge la Maréchale, et quelques hauts fonctionnaires - il reçoit autant les allemands de passage, que les invités de la presse américaine qui, un verre de whisky à la main, tranchent par leurs mœurs plus franches.
Les vichyssois ont leur souverain : ils assistent chaque dimanche matin à la relève de la garde devant l’hôtel du Parc, dans l’espoir d’apercevoir le « sauveur de la France ». Quand le Maréchal apparaît, de la rumeur monte des vivats, Pétain salue et embrasse les enfants qui lui tendent des bouquets de fleurs.
En cette fin d'après-midi de Juillet 1940, Lancelot profite de ces instants au Cintra, assis pour observer les personnages habituels, comme le ministre de Roumanie, Dinn Hiott, toujours entouré de jolies femmes ; et non loin de là le hongrois Kuhn Edervary, l'homme au monocle. Et, quelle surprise de voir entrer, et chercher du regard une place : Drieu la Rochelle et Emmanuel Berl.
Les revoir tous les deux, après s'être fâchés et insultés par livres interposés, ramène Lancelot une dizaine d'années en arrière, quand avec Elaine, Drieu leur avait présenté Berl. C'était aussi l'époque où Elaine pilotait Victoria Ocampo dans certains cercles littéraires, et où Drieu avait rencontré cette femme argentine qui fut sans-doute la seule femme qu'il ait aimée et admirée...
Lancelot leur fait signe, et indique près de lui deux fauteuils qui feront leur affaire. Ils viennent tous deux de marcher et discuter deux heures sur les bords de l'Allier. Une discussion cordiale, même s'ils reconnaissent leur désaccord quant à la suite des événements. Berl, compte sur les États-Unis avec la Grande-Bretagne pour résister, les aider, et à terme renvoyer les allemands chez eux. Drieu voit bientôt les nazis à Londres, puis dans deux mois à Moscou, et pourquoi pas à New-York... !
Emmanuel Berl veut rejoindre, à présent sa femme Mireille à Cannes. Il pense abandonner son projet d'une ''Histoire de l'Europe'', faute de documentation. Que faire alors ? - Jouer à la belote, en attendant les jours meilleurs.
Drieu, motivé par sa revanche à prendre, contre un milieu littéraire qui l'a ostracisé, dit-il, veut rencontrer l'occupant pour lui exprimer son admiration et mettre à son service, la culture française...