1965 – 1966 - Le monde change...
Elaine a obtenu en 1965, à la Sorbonne, son diplôme d’études supérieures en Histoire, et en 1966, elle prépare une agrégation ( agrégation féminine d'histoire et géographie )
Dès la fin de sa propédeutique, elle affirme son désir de devenir médiéviste... Agrégée, elle a l'immense privilège d'être invitée par Jean Frappier (1900-1974) qui l'a entendue lors d'un exposé, à faire quelques cours, en attendant un poste qu'il souhaiterait proposer à une femme. N'oublions pas que le milieu est encore très misogyne, au point que l'excellent médiéviste qu'est Edouard Perroy (1901-1974), note que mademoiselle Elaine de Sallembier pouvait bien faire une excellente assistante.
Dans les années 60, les étudiants représentent de 4 à 6% des jeunes en formation. L'époque est à la contestation du système universitaire qui brimerait les aspirations des individus, et dont la vocation ne serait que la reproduction de l’ordre social. Dès janvier et mai 1966, en Italie ( Trente) et en Belgique (Louvain) les étudiants se mobilisent. Suivront en 1967, les étudiants de Berlin-Ouest.
A Paris, les militants d'Occident ( extrême droite) s'attaquent aux meetings de gauche. Les étudiantes et étudiants s'en prennent aux loges des résidences universitaires des filles d'où les concierges sont chargés du contrôle et interdisent les visites de garçons.
L'agitation politique concerne de nombreux pays européens.
Les années 1965 et 1966 sont marquées par des crises, à Saint-Domingue et au Vietnam où interviennent les Etats-Unis, le Marché commun est marqué par la Crise dite"de la chaise vide" de la France qui pendant sept mois refusera de siéger dans les instances communautaires : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! L'Europe ! » de Gaulle le14 dèc 1965…
Ben Bella ( premier président d'Algérie, proche de Nasser) le 19 juin 1965 est renversé et remplacé par le ministre de la Défense, Houari Boumediene...
1966, voit de nombreux coups d'état en Afrique et les Gardes Rouges brandissent le Petit Livre Rouge de Mao Zedong, ils s'en prennent aux symboles du passé et rejettent l'influence occidentale. La Chine plonge dans la Révolution Culturelle : Mao Zedong, prend le contrôle de l'État et du Parti communiste.
1966 : de Gaulle refusant que la France soit soumise à la politique nucléaire américaine, la retire de l'OTAN.
1965 Avec les disparitions de Churchill, de Weygand , et 1966 celles de l'écrivain Georges Duhamel, de Paul Raynaud, et d'André Breton, Lancelot se dit qu'un monde disparaît.
Dès le 13 juillet 1965, les femmes sont un peu plus libres. Elles peuvent désormais signer un carnet de chèque, ouvrir un compte en banque et travailler sans l’autorisation de leur époux.
En 1966, la France est jeune, la jupe des filles est mini, la chemises des garçons est à fleur ; et Mireille Mathieu, Antoine et Jacques Dutronc ( Et Moi Et Moi Et Moi ..) débutent. John Lennon, des Beatles, déclare dans une interview au journal Evening Standard : « Nous sommes plus populaires que Jésus ».
Un homme et une femme reçoit la Palme d'or à Cannes, et La Grande Vadrouille – avec le le duo Bourvil-De Funès- est un grand succès populaire ; mais La Religieuse de Rivette est interdite, alors que le Vatican retire l'index des livres interdits aux croyants.
Lancelot s'intéresse à la conquête spatiale. C'est l'URSS qui y tient la place essentielle : Premier satellite artificiel en 57 avec Spoutnik 1, le premier humain à contempler, du ciel, la rondeur de la terre avec Youri Gagarine, le 12 avril 1961, et le 18 mars 1965, Alekseï Leonov est le premier à flotter dans l'espace relié à la capsule spatiale Voskhod 2 par un cordon.
En février 1966, une sonde soviétique Luna 9 se pose sur la Lune et transmet les premières images du sol lunaire. Quatre mois plus tard, le 2 juin, la sonde américaine Surveyor I se pose sur la lune.
En France, la fusée Diamant lance le satellite Diapason (ou D1 A), après la réussite du lancement du satellite Astérix en novembre 1965.
En juillet 1966 , débutent les essais nucléaires français sur les atolls de Mururoa et Fangataufa.
Le 26 novembre 1966, le général De Gaulle, inaugure la première usine marémotrice française. Située entre Dinard et Saint-Malo, l'usine de Rance est la seule au monde à pouvoir produire de l'énergie électrique grâce à la force des marées
En décembre, le premier tir de la fusée française Cora, est un échec.
''Croire'', au Moyen-âge
Elaine s'interroge sur la rencontre entre la philosophie grecque, et la religion chrétienne.
Lancelot propose de voir ce qui s'est passé avec Augustin (354-430), né en Algérie actuelle, il a reçu une formation de lettré romain à Carthage et se passionne pour la philosophie, avant de se convertir en 386. Le néoplatonisme l'a fortement influencé dans sa conception de Dieu.
Augustin, partage avec Platon ce que celui-ci écrit au sujet du bonheur du philosophe qui a découvert « l'amour de la science et à la vraie sagesse et que, parmi ses facultés, il a surtout exercé celles de penser à des choses immortelles et divines... ».
Pour le chrétien Augustin, il n'y a plus qu'une seule vraie philosophie : la philosophie chrétienne. Enrichie par cette première étape qui va des présocratiques jusqu'à Platon ( Aristote, a alors été ''oublié'..), le christianisme est le « "système le plus remarquable. » : idéal de sagesse qui se réalise dans le Christ.
Nous nous interrogions sur ce à quoi on croyait dans l'Antiquité ; et nous pouvons avoir la même question pour le Moyen-âge.
Une formule est traditionnelle : « Credere Deo, credere Deum, credere in Deum. » soit '' Croire à ce que dit Dieu, Croire qu'il est Dieu, croire en Dieu '' ; sachant que: selon la théologie scolastique : « fides quaerens intellectum » c'est à dire que la foi ( première) est en quête d'intelligence.
Dans la liturgie, le Symbole de la Foi, est le ''Credo'' ; en compagnie du ''Pater'' et représentent la connaissance minimale du fidèle. Nous avons un Père ( Dieu), une Mère ( l'Eglise) et une Foi ( par le baptême).
Pour les laïcs, la liturgie ( dogmatique, rituelle, sensible ) reste le vecteur principal de la transmission de la foi.
Hors les monastères, et à partir du XIe siècle, naissent les Universités d'où émerge ce que l'on va nommer la scolastique ( de schola = Ecole ), une réflexion sur la relation entre la foi et la raison.
La pensée d'Aristote va profondément influencer la scolastique, mise au point par Saint Anselme (1033-1109), Abélard (1079-1142), et inspirer Albert le Grand et Thomas d'Aquin.
A l'Université, l'enseignement s'ouvre aux textes de philosophie, c'est à dire grecs et arabes. Thomas d'Aquin conciliant, adapte la théologie au modèle aristotélicien, un modèle que l'on estimerait aujourd'hui scientifique.
M.-D. Chenu (1895-1990), avec son livre sur la théologie au XIIe siècle, où écrit que l'on passe d'une « théologie monastique » ( celle de St Bernard...) à une « théologie scolastique » et que ce passage coïncide avec l’essor de l’Ordre dominicain et de l’Ordre franciscain. Il ne s'agit plus de seulement commenter les textes sacrés, mais de développer une '' intelligence de la foi '' ( recherche des ''causes'' et des ''raisons''..)
Je note également, d'Henri de Lubac, les quatre volumes parus de 1959 à 1964, sur '' l'Exégèse médiévale, Les quatre sens de l’Écriture '' : la théologie et la spiritualité chrétiennes ont été façonnées par la conviction selon laquelle l’Écriture n’a pas seulement un sens littéral mais aussi un sens spirituel ; cette conviction, héritée du Nouveau Testament lui-même et des Pères de l’Église (en particulier d’Origène), a sans cesse commandé la pratique de l’exégèse médiévale.
Avec son ouvrage '' Corpus mysticum '' H. de Lubac nous fait remonter au XIe siècle, alors que l'on s'interroge sur l'articulation entre « sacrement » et « réalité ». Si ''sacrement '' s'affaiblit, ''mystique '' s'affaiblit tout autant ; et le ''symbole '' se dévalorise. Pour de Lubac, le « spirituel » est plus réel que le « matériel ».
Cela fait penser à cette phrase du père Teilhard de Chardin : qui voit « le Christ plus réel que toute autre réalité du Monde. »
« Le symbolisme (...) donne maints signes de décadence. Ses racines sont lentement rongées par l’analyse (...) Il devient de plus en plus, au sens moderne du mot, un allégorisme.. » ( H de Lubac)
Ou, comme le théologien Walter Kasper le formule bien, je trouve : En premier ''Symbole'' signifie une chose qui en un certain sens '' est '' ce qu'elle signifie, ou encore : '' une réalité qui participe à ce qu’il signifie. ''.
Aujourd'hui, on comprend désormais dans un symbole ( et donc dans un sacrement) une chose qui n'est pas réellement ce qu'elle signifie...
Le symbole se présente comme le moyen par lequel une vérité spirituelle est rendue accessible et compréhensible pur un être humain. Pour un catholique, l'exemple concret d'un symbole religieux est l'Eucharistie : il est une véritable participation au mystère du Christ...
De Platon, et Aristote pour aborder le Moyen-âge
Lancelot avait profité, pendant l'année de propédeutique d'Elaine, de revoir avec elle, les bases de la réflexion en philosophie sous les hospices de Platon et d'Aristote. L'essentiel pour aborder le ''Moyen-âge'' !
De la Grèce nous connaissons la mythologie ; Platon, philosophe, oui... Mais que pensait-il des dieux, 4 siècles avant J.C, se demandait Elaine ?
- Lancelot répond, qu'il lui semble que Platon considérait les dieux comme des allégories écrites par les poètes … Il écrit aussi dans Phèdre, 246 c-d : « nous forgeons, sans voir et sans connaître la divinité, une idée de celle-ci; c’est un être vivant immortel, pourvu d’une âme et d’un corps, naturellement unis pour toujours »
Admettons que si aujourd'hui la question du Divin reste importante ; elle l'a toujours été et le restera sans-doute toujours ! A l'origine, il y a la question sur ce qui est ''Bien'' et ce qui est ''Mal'' et la confrontation avec la Mort.
- Cherchons les emplois du mot ''théios'', chez Platon ?
- Le contexte de son emploi est religieux, mais il signifie aussi l'excellence, la perfection, ainsi que ce qui inspire le poète... On dirait aujourd'hui c'est le spirituel ( ainsi dans le Phédon), et même l'immortel ( dans le Banquet). On retient en général que le concept de '' Theios '' est appliqué aux Idées.
- Finalement, pour Platon, la question du Divin est d'ordre intellectuel, avant d'être religieux.
- Je lis dans La République, livre VI, 500 : « C’est ainsi que le philosophe qui vit en présence de ce qui est divin et harmonieux devient lui-même divin et harmonieux, autant qu’il est possible à un être humain de l’être. » ( )
- Pour en revenir à ta question sur la croyance aux dieux... Sa quête n'est pas : ce qui est réel, mais ce qui est Vrai ; plus exactement est réel ce qui est vrai.
Rappelle toi l'allégorie de la Caverne ( La République, livre VII, 514..): le monde sensible n'est pas le réel.
- Et chez Aristote ?
- C'est sensiblement la même chose... Pour Aristote ( disciple de Platon), le divin ( theios) est beaucoup plus large que le substantif theos : Dieu. Qualifier les astres de divins, ne signifie pas qu'Aristote considéraient les astres comme des dieux... Dans Métaphysiques, L, 7, 1072 b 29, il écrit : « Nous disons, d’ailleurs, que le dieu est un vivant éternel parfait »
- Un autre mot existe chez les grecs, c'est mûthos, Aristote l'emploie pour désigner un récit sacré, c'est-à-dire, qui met en scène des dieux, des héros... Mais un récit '' invérifiable '' ! Aristote s'en sert pour attirer l'attention, et en dégager des vérités. Un amateur de mythes est un amateur de sagesse, dit-il ; et il ne craint pas de se moquer de récits qui font consommer aux dieux du nectar et de l'ambroisie : je lis dans ( Métaph, II, 4, 1000a 8-18, ) : « Si c'est en vue de plaisir, en effet, que les immortels touchent à ces breuvages, le nectar et l'ambroisie ne sont en rien causes de leur existence; et si c'est en vue de maintenir leur être, comment seraient-ils éternels, tout en ayant besoin de nourriture ? »
Aristote le philosophe de la ''nature'' se représente le cosmos comme une intelligence ( = nature) à l’œuvre en toute chose. Tout tient admirablement à tout. Le Dieu d'Aristote ( noêsis noêseôs = la pensée de la pensée) est totalement transcendant, hors du monde. Cependant, la perfection divine s'exprime dans l'ordre du monde...
Platon, lui, voit le monde ( la totalité du monde) , comme « l'image de quelque chose » ( eikona tinos ).
En effet, pour lui, nos sens ne nous donnent pas accès au réel, mais à une ''image'' de celui-ci : le monde sensible. Nous voyons ce qui est beau, mais ce n'est pas le Beau.
Le lieu des idées ( des Formes) est au-delà de notre monde.
Dans '' Le Timée '' ( à lire !) Platon tente de trouver un discours adapté au ''Kosmos'' . Notre discours ne pourra n'être que semblable, et non pas identique, au Monde. Pour dire le Monde , il faut être philosophe ! Parce que le philosophe – s'il est en harmonie totale avec l'ordre du lieu des Formes – le saisit par la pensée. « pour l’âme, apprendre, c’est se remémorer les choses dont elle avait auparavant la connaissance » ! En effet, l'âme est immortelle... ( on en reparlera..)
Au Moyen-âge, ce que l'on connaît, c'est le néoplatonisme, c'est à dire une philosophie qui s'est construite après Platon confrontée aux trois religions, judaïsme, christianisme et islam. Certaines orientations furent tracées par Plotin, Origène ( IIIe s.), St Augustin, Boèce, Denis l’Aréopagite...
Pour ce qui est d'Aristote, retenons que c'est d'abord l'homme de l'empirisme, de la philosophie de la nature... et quelque fois aussi de la politique.
Oublié, Aristote est redécouvert en Occident en se frottant à la doctrine de St-Augustin, et du néoplatonisme.
En effet, Thomas d'Aquin ( 1225-1274) rompt avec la tradition, et réfléchit au -travers de ce que les ''païens'' ( les arabes) nous apportent, la philosophie d'Aristote. Il en fait même, ''la servante d'une théologie chrétienne'' !
1966 - Fléchigné – La lignée de Lancelot
Lancelot a suivi, avec beaucoup d'intérêt, Elaine dans ses études d'Histoire. C'est le prétexte d'approfondir quelques personnages de notre lignée, tant de fois racontés par Anne-Laure de Sallembier ; ils les ont amenés sur les traces de Roger de Laron, près de Limoges ; à Versailles, ils ont visité les lieux de la petite Ecurie du Roi, où se tenait l'école des Pages qui a permis à Jean-Léonard de la Bermondie d'être officier dans les Gardes Françaises. Emigré, ils l'ont suivi jusqu'à Coppet où résidait Germaine de Staël.
En 1830, Charles-Louis de Chateauneuf, nous a ramené à Limoges, au Collège Royal ( Gay-Lussac) et monter ensuite à Paris, avec ses salons et ses cercles littéraires.
Tout le long, la quête de nos aïeux est restée liée aux images que l'on se faisait du Moyen-Age. Au milieu du XVIe siècle, la littérature médiévale perd de son influence. Seule la littérature de colportage a contribué à la survie de motifs épiques et médiévaux. En Angleterre, Malory a maintenu comme survivance nationale les référence mythiques de la dynastie Plantagenêt . En France, Jean Chapelain a défendu le roman de chevalerie ; mais les Lumières renvoyaient le Moyen-âge dans ses obscurités ! En opposition, les romantiques vont glorifier le gothique et ressortir tout un bric à brac médiéval.
Il est bien difficile aujourd'hui de retrouver, au-delà d'un imaginaire médiéval qui n'est pas inintéressant, la profondeur et la singularité d'une période toujours mal connue et qui fascine encore des jeunes gens, comme Elaine, qui se lancent dans cette étude. Lancelot en est d'autant plus ravi ; qu'il ne pouvait espérer mieux pour continuer cette quête et transmettre à sa fille le goût de cette recherche.
Lancelot a la surprise en ce printemps 1965, de voir arriver dans la cour du domaine de Fléchigné un homme qui marche tenant son solex et qui se dirige immédiatement vers la fenêtre à droite de l'entrée principale, le visage tendu vers le linteau et les yeux fixés sur le blason.
Lancelot s'approche, l'homme - sans autre cérémonie - demande si la sculpture est récente ?
- Je l'ai toujours connue, elle apparaît déjà sur une photo de mon grand-père, devant cette même entrée avec ses enfants...
- Oh, veuillez m'excusez... Je suis René Bansard, j'habite à La Ferté, à une cinquantaine de kilomètres je pense...
- Et vous êtes venu en vélo-solex ?
- Ah oui, je me déplace toujours avec pour observer avec minutie les alentours de Lassay-les-Châteaux. Je suis historien amateur. Vous êtes le propriétaire du domaine ?
- Oui, je suis Lancelot de Sallembier, résident à Fléchigné.
- Vous avez dit '' Lancelot '' ? !
- Ah oui... C’était important pour ma mère... Vous observez le blason, vous connaissez ?
- Bien sûr, il est en lien avec Lancelot précisément, et Saint-Fraimbault : deux personnages qui sont l'objet de mon étude.
- Pendant la première guerre, nous avions recueilli un vieux prêtre, l'abbé Degoué, un érudit dont j'ai eu la chance de recevoir les enseignements lors de ce conflit. Il fit des recherches sur ce blason, et effectivement, il le conduisit jusqu'à Saint-Fraimbault, un ermite de la région...
C'est ainsi grâce aux fruits de la rencontre entre Lancelot et René Bansard, que je pus recueillir de précieuses informations sur les liens qui existent entre les romans arthuriens et la Basse-Normandie, informations dont j'ai rendu compte précédemment ( cf le Tome 4)...
Lancelot revoit René Bansard (1904-1971) un passionné d'archéologie, et de la ''Matière de Bretagne'' sous les hospices de l'historien Jean Frappier, professeur à la Sorbonne, avec cette particularité du besoin de trouver des traces de cette mythologie sur le terrain. Les travaux de Ferdinand Gaugain ou d'Alphonse-Victor Angot, prêtres et historiens mayennais l'ont conduit jusqu'à Saint-Fraimbault ; et ce fut alors le point de départ d'une recherche ponctuée d'incroyables intuitions qu'il tente encore de vérifier sur le terrain.
Ce qui était autrefois et ce qui sera à l’avenir (IAS) Société Internationale Arthurienne
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René Bansard invite Lancelot et Elaine à l'accompagner pendant le VIIIe Congrès arthurien international qui se tient cette année de 1966 à Caen, du12 au18 août. M. J. Frappier, en est le président depuis les débuts de la Société, et l'animateur infatigable avec son collègue J.-Ch. Payen.
Tous les trois resteront bien discrets, lors de ce congrès qui a choisi comme centre d'intérêt : la fée Morgue ou Morgane. Il n'y eut pas moins de trente communications, et surtout l'opportunité de rencontrer des savants de toute nationalité.
Il y avait là Eugène Vinaver, qui publia en 1947 une nouvelle édition de ''Le Morte d'Arthur'' de Malory, basée sur le manuscrit de Winchester (XVe siècle), accompagnée d'une étude critique.
Je rappelle que Thomas Malory, vers 1469 ( en prison...) a entrepris une reconstitution de l'histoire du Roi Arthur, dans son entièreté. Cette version est la plus populaire dans le monde anglo-saxon.
Lors du Congrès de Caen, Lancelot retrouve un écrivain breton, Xavier de Langlais, qu'il avait croisé à la fin de la guerre, dans une ferme de Mayenne. Il est accompagné de Jean Markale, tous deux enthousiasmés par l’engagement de l’abbé Gillard, recteur de Tréhorenteuc, à la restauration de son église, dédiée au Graal. Ils engagent chacun à s'y rendre et à promouvoir Brocéliande et particulièrement la forêt de Paimpont comme le support de la légende arthurienne.
Xavier de Langlais a commencé l’écriture et l’illustration d'un cycle arthurien, avec en 1965, la publication du Roman du Roi Arthur. Suivront Lancelot (1967), Perceval (1969), La Quête du Graal (1971), et La Fin des temps aventureux (1971), postface de Jean Frappier.
1965 - Les Nouveaux Prêtres
Le père Clavel, curé près de Fléchigné, et Lancelot se sont échangés un livre, au thème similaire : Lancelot apporte, Les Saints vont en enfer de Gilbert Cesbron, paru en 1952, contre Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre qui vient de paraître en janvier 1965.
Le livre de Cesbron, était paru la même année, où le livre de Béatrix Beck, Léon Morin, prêtre, avait obtenu le prix Goncourt. L'année précédente était sorti au cinéma : Le Journal d’un curé de campagne ( Bernanos) de Robert Bresson, prix Louis Delluc en 1951.
Aujourd'hui, Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre (1916-1987), paraît en plein Vatican 2. Père Clavel, considère ce livre, comme une œuvre clairvoyante. Il est nécessaire, dit-il, de rappeler que le prêtre a pour objectif de proposer le salut à tous les hommes, non d'en faire des militants.
Le roman s'attache à l'expérience d'un jeune prêtre, nommé troisième vicaire à Villedieu, grande paroisse de la banlieue ouvrière de Paris. Dès son arrivée, il ressent le malaise qui règne entre le curé Florian et ses deux vicaires Barré et Reismann.
Le père-curé s'est retiré dans la sécurité de sa piété personnelle et secrète, et a laissé à ses deux vicaires – entièrement dévoués - l'évangélisation de cette partie majoritaire ( 65%) de la population, ouvrière, et qui ne représente que 1,5% des ''pratiquants''. Ils sont exemplaires, simples et pauvres, et ont abandonnés la soutane.
Le père Barré est persuadé que l'Eglise doit "faire un bout de chemin'' avec les marxistes. Dans son zèle moderniste, il a vidé l'église de tout ornement. Son sermon iconoclaste lors de funérailles, révèle au grand jour, le mécontentement des paroissiens habituels. Les différents personnages vont s'affronter avec douleur et passion ; alors que l'abbé Paul Delance, par sa seule spiritualité répond, lui, aux attentes religieuses des gens.
A l'opposé, le roman de Cesbron, valorise l'expérience des prêtres-ouvriers. Pierre est un jeune prêtre, ouvrier, en pleine banlieue parisienne, il se met au service des habitants et se lie d'amitié avec un communiste, une prostituée, un opposant espagnol... De très nombreux dialogues entre les personnages, nous font comprendre combien la misère peut leur enlever de dignité, et parfois leur envie de vivre.
- « Oh que je les aime, pense Pierre, que je les aime ! … . »
Son zèle effraie ses supérieurs.
Le livre interroge l'engagement, la foi et la fraternité : il ne s'agit pas tant de religion, de spiritualité, que de compassion, de bienveillance et d'entraide...
Michel de Saint-Pierre donnent la parole à ceux qui constatent l’échec du témoignage par l’exemple et contestent en outre cette méthode parce qu’elle détourne le prêtre de sa vraie mission de messager.
- « ( …) Vous autres, les jeunes, les nouveaux prêtres, vous avez tendance à vous arrêter là. Vous dites : « Je témoigne par ma vie. Le reste ne le regarde pas ». Mais oui ! Vous dites : « L’important n’est pas que l’on se convertisse. Il faut redonner audience et crédit à l’Église, qui ne doit pas apparaître comme une assemblée de bourgeois ». Témoignons donc en silence. Nous n’avons plus de croisade à prêcher. Allons, Joseph, ne me dis pas le contraire […] Tu sais ce que disait le père Chevrier, fondateur du Prado ? Il disait : « La mission de prêcher est la plus importante de toutes ».
Gilbert Cesbron accusa Saint-Pierre d'être un des « enfants gâtés » de l'Église qui, pour lui, sont déjà sauvés car ils sont comme les ouvriers de la première heure, ou le frère aîné de la parabole de l'enfant prodigue; ils ne se soucient pas, selon Cesbron, des brebis perdues de la classe ouvrière, le vaste troupeau que l'Église se doit de sauver
Pierre-Henri Simon , dans le Monde, regrette que Michel de Saint-Pierre, s'oppose ainsi à « l'effort de l'Eglise conciliaire pour rentrer dans le monde moderne en mettant à jour la formulation de sa doctrine et le style de sa pastorale » (Le Monde, 7 octobre 1964, p. 12).
Le père Clavel répond :- Oui, en effet, les saints pourraient aller en enfer ! Le Vatican avait pris soin dès 1937, de qualifier le communisme d'athéisme « intrinsèquement pervers ».
Hormis les soins d'urgence nécessité, évidemment... Les bénéfices de l'action sociale et les bénéfices des sacrements ne sont pas à confondre. Les uns concernent l'amélioration matérielle des conditions de vie, elle trouve son idéal dans un futur matérialiste, ou du moins politique ; les autres, concernent les besoins de l'âme.
Lancelot avance un propos du père Chenu en 1965 : « il y a deux espérances, résume t-il, la temporelle et la chrétienne. Non seulement elles ne s'opposent pas, mais elles embrayent l'une sur l'autre ».
Pour ce qui est des écrivains catholiques, le Père Clavel assure à Lancelot, modestement, en être resté, pour ses goûts, aux Pensées de Pascal, à Péguy, surtout à Bernanos ou même Mauriac ...
Lancelot le rejoint facilement sur ces goûts, cependant, il ne peut s'empêcher d'ajouter :
- Savez-vous ce que Mauriac, a écrit de Cesbron ? C'est dans son '' Bloc-Notes '' : « Ce chrétien qui nous raconte une histoire n’escamote pas le mal : ni le mal physique, ni le mal moral, ni la chiennerie du sexe, mais tout ce qu’il regarde lui apparaît dans une lumière qui à moi m’a toujours manqué. Gilbert Cesbron est accordé au monde tel qu’il est. […] Ce « Tout est grâce ! » que j’aurai toute ma vie répété les yeux fermés, il le répète lui aussi, mais les yeux ouverts, sans jamais céder au dégoût, et débordant visiblement d’amour pour les créatures . »
Le Concile Vatican II – La Révélation et la Foi
Le concile est l'occasion d'interroger sa foi, à la lumière des textes qu'il propose.
Ainsi de Lumen Genium ( 3ème cession) qui rompt avec une vision institutionnelle et juridique : elle établit l'Eglise comme sacrement ( ! à réfléchir...), et le ''Peuple de Dieu'' : peuple sacerdotal. Le pape et le évêques forment un tout : le collège apostolique. Et ce point fortement débattu : le terme de ''médiatrice'' pour la Vierge Marie n'a pas été retenu.
''Dei Verbum '' est promulgué en novembre 1965, il traite de la Révélation. La problématique soulevée est intéressante, et à la suite de Lancelot, j'ai envie de développer....
La Révélation est au cœur de ce que je peux dire de ma foi.
Question existentielle que celle qui touche à l'existence : l'existence de Dieu ( pour dire vite). La Révélation est la manifestation de Son existence ; et cette existence est aussi la mienne, celle que je ressens devant la mort, par exemple. Cette Révélation manifeste une autre face de la vie, la vie sous une autre forme.
Parlant de Dieu, nous tentons d'en prouver l'existence ! Une existence ne se prouve pas, elle s'éprouve ! Elle ne s'explique pas ; on ne peut que tenter de la décrire.... Ce qui se manifeste, c'est la Révélation
Le concile préfère poser l'acte de révélation en premier ( l’initiative est à Dieu qui se fait connaître), et ainsi situer la foi dans la réponse de l'homme à l'initiative de Dieu, et non dans une hypothétique liste de preuves, ou même dans un ensemble de '' vérités à croire''.
La révélation culmine, bien-sûr, en Jésus-Christ ( le Verbe fait chair), et la foi fait entrer dans la communion divine ( trinitaire).
Révélation et Foi sont liées.
- Mais la foi ne serait-elle que la soumission à l'enseignement de l'Eglise, gardienne de la Révélation ?
- Non, bien-sûr....
Plus précisément, qu'entend-on par '' Révélation '' ?
Manifestement, Dieu s'est fait connaître aux humains, de tout temps, à tous.... Conséquence : toute religion a sa part de Vérité.
- Ma culture, mon langage, ajoute Lancelot, me donnent un accès privilégié aux mythes, à l'art et à la Tradition d'une civilisation. Je la connais un peu, et la considère inépuisable ; j'y tiens et n'ai que le désir de m'en nourrir davantage.
J'ai confiance en mon Eglise, et je reconnais que son magistère détient un '' savoir souverain'' ; et du fait de la dignité propre à chaque personne, je n'entends pas être démuni de l'intelligence de la foi.
Autre volet de cette Révélation : les ''Ecritures ''. Ce sont des textes de main d'homme, ''inspirés par Dieu'' ; qui doivent être lus, compris, interprétés, sous le contrôle de la Tradition de l'Eglise.
A la différence de Lancelot, Julien Green ne pense pas que l'intelligence humaine puisse progresser sur la connaissance du '' mystère divin''. Les raisonnements théologiques le déçoivent ; son esprit abdique et il préfère ''s'incliner devant l'autorité de Dieu et de l'Eglise''.
Pour Green, et Lancelot, le rejoint un peu, mais uniquement '' par paresse '' : l'Eglise offre « un refuge hors du temps». Il lui suffirait de penser que la pérennité de l'Eglise exclut le néant et garantit la véracité de la foi : foi évidente pour lui - à la différence de Lancelot - « mais l'évidence, vue d'un monde de ténèbres. ». Green se reconnaît '' janséniste ''…
En évoquant le Graal, avec Lancelot, Julien Green lui parle du retable de l’Agneau mystique, de Gand : « Sur l’autel saigne l’Agneau, le jet de sang tombe dans le Graal. C’est là toute la messe. »
Lancelot reprend la discussion sur la Révélation, avec Maurice Maillard.
- Admettons que Dieu puisse être connu par la raison humaine, cela serait-il suffisant ?
- Non.... D'ailleurs l’initiative de cette ''révélation'' est de Dieu, en particulier parce que cette connaissance '' dépasse absolument les possibilités de compréhension de l’esprit humain”.
Le Concile enseigne que s'il existe une connaissance « par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées »; c’est à la Révélation, qu’il faut attribuer le fait que « ce qui dans les choses divines n’est pas de soi inaccessible à la raison humaine, puisse aussi, dans la condition présente du genre humain, être connu de tous facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur ».
Pour cette raison, et son expérience, Lancelot ajoute - encore une fois - qu'il n'est pas juste de parler de ''preuves de l'existence de Dieu '', qu'il suffiraient que la raison s'emparent.
La Révélation divine, n'est pas de l'ordre d'une révélation des mécanismes de notre univers : une révélation de type scientifique, qui propose différents modèles qui s'adaptent le mieux possible à la réalité matérielle.
Le père Maillard, insiste lui de son côté qu'avec Dei Verbum, le concile souhaite personnaliser la révélation : la Foi est la réponse de l'Homme à cette invitation à la relation.
- Comment s'accomplit-elle ?
- Il est proposé d'utiliser l'analogie de la Parole : présente dans la Bible. Attention : la Parole ne s'identifie pas à ''la lettre''.
Nous abordons ici, la nécessaire question du statut de l'Ecriture.
L’Écriture est un témoignage, et elle est déjà une interprétation.
Pour l'Eglise, la Révélation ne s'arrête pas là, parce le mystère ne peut être éclairé que par la parole des apôtres.
Pour Lancelot, il y a ''histoires et Histoire...'' dans la Bible il y a des histoires : la Genèse, l'Exode...etc, et des signes de l'Histoire : notamment avec Jésus, par ses Evangiles.
La Révélation chrétienne se concentre autour d'un événement : la Personne de Jésus, la « Parole faite chair » ( dans St Jean, le prologue).
Nous voyons bien que la révélation n'est pas réduite à un corpus de doctrines...
Point important : le concile insiste sur le lien entre Tradition et Ecriture ( pas l'un sans l'autre) , comme fondement de la Révélation. Lancelot s'interroge ainsi sur le bien fondé de certains dogmes comme l'assomption de Marie et même l'Immaculée conception qui n'apparaissent pas dans les Evangiles. De fait la Révélation ne se réduit pas à une série de dogmes ; mais à une rencontre...
Pour continuer sur l'Histoire, un autre texte important, Gaudium et Spes s'efforce de discerner les « signes des temps », c'est-à-dire la présence de Dieu dans les événements significatifs de l'histoire présente...
Ainsi, l'Eglise tente de se réconcilier avec l'histoire de la pensée, de la science ( on pense à Galilée... ).
Lancelot se réjouit de lire que le concile aborde la question oecuménique par une auto-critique. La liberté religieuse est l'objet d'une déclaration ( Dignitatis Humanae, 1965). Et, Nostra Ætate, affirme que l'Église ne rejette rien de ce qui est « vrai et saint » dans les religions non chrétiennes
En conclusion, Lancelot est enthousiaste, à la lecture des textes retenus ; ses seules réserves concernent la liturgie.