Le Graal, ça n'existe pas ! 3
Précisément, sur la question qui nous occupe, nous pouvons rejoindre notre aïeul Jean-Léonard de la Bermondie, quand il fréquentait, avant la Révolution, les salons où l'on conversait. Nous sommes entre 1763 et 1766 ; trois choses y sont à la mode « le whist, Clarisse Harlowe ( un roman...) et David Hume ( le philosophe) »
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David Hume (1711-1776), est écossais et francophile. Il est alors le secrétaire de Lord Hertford, ambassadeur. Les salons sont « les Etats Généraux de l'esprit humain » c'est la définition que donne Hume du salon de madame Helvétius...
David Hume désire construire une " science de la nature humaine ", sur le modèle de la philosophie naturelle de Newton.
Que nous dit Hume ?
A l'origine de nos connaissances, sont nos perceptions. Hume appelle perception « tout ce qui peut être présent à l’esprit, que nous utilisions nos sens, que nous soyons mus par la passion ou que nous exercions notre pensée et notre réflexion ». Cette perception par les sens, donne des impressions et des idées ...
Que valent ces connaissances ?
Nous avons tendance à qualifier de ''lois'' ce que nous observons... David Hume - ''le sceptique'' - questionne cette '' relation de cause à effet '' qui fonde notre vision du monde...
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Il nous semble que la véritable cause est toujours contiguë à l'effet. Mais contiguïté n'est pas causalité.. ! Un fait peut précéder un autre sans que nous le tenions pour sa cause.
La poule, constate, chaque matin, quand elle voit le fermière venir vers elle, que c'est pour lui donner à manger … La poule pourrait ainsi en établir une loi, et même se faire un jugement de bienveillance envers la fermière... Et, un jour, le seul... La fermière vient, non pour la nourrir, mais pour lui tordre le cou ...
Pour Hume, la connaissance est équivalente à la croyance. Elle peut avoir une utilité pour l’action, mais ne dit rien du réel. La vérité nous échappe en tout.
En ce début du XXe siècle. Anne-Laure de Sallembier et Jean-Baptiste fréquentent de près le cercle très philosophique des amis et parents Poincaré.
En cette année 1908 se tient à Heidelberg le Congrès International de Philosophie, et Anne-Laure et Jean-Baptiste, vont accompagner le couple Boutroux, à ce qui sera un grand évènement mondain et intellectuel. Lancelot n'a que huit ans, mais il fait partie du voyage. ( cf: - Le Congrès de philosophie d'Heidelberg - 1908 – Tome 3)
Pour préparer ce voyage nous avons les notes d'Anne-Laure qui révisait quelques notions :
En ce temps, où un monde nouveau et scientifique semble avoir du mal à faire sa place, où le nouveau siècle tarde à s'établir, la philosophie ne craint plus de se remettre en cause, à tel point que c'est la notion même de Vérité qui est questionnée, et, sans tabou religieux...
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- Pour Kant (1724-1804), sensible au scepticisme de Hume, la vérité scientifique ne porte que sur les phénomènes; elle ne reflète donc pas la réalité telle qu'elle est en elle-même, mais telle qu'elle est pour nous. Les concepts métaphysiques ( Dieu, la liberté, l'âme...) sont exclus de la connaissance scientifique ; et la croyance se substitue au savoir... Nous n’avons accès qu’aux phénomènes, pas aux '' choses en soi ''.
- Anne-Laure avait rencontré William James, frère d'Henry le romancier qui fréquentait alors son amie Edith Wharton... ( voir le Tome 3). Le philosophe William James (1842-1910), répondait ainsi aux questions d'Anne-Laure :
- Pour savoir si une chose est vraie, il faut - dit-il - ''poser une croyance, la tester et l'intégrer dans un corpus plus large..''. James doute que l'on puisse observer le Réel ''en soi'' ( ce qui supposerait sortir de ses croyances, dit-il...). Il rajoute : il est des croyances ou vérités auxquelles la seule « volonté de croire » suffit... ! Par exemple, sur la question du libre arbitre: W. James dit « Mon premier acte de libre arbitre est de croire au libre arbitre ».
« Les idées ne sont pas vraies ou fausses. Elles sont ou non utiles. » Telle est la thèse centrale ( le pragmatisme) que défend William James.
Il serait donc inutile de discuter sur l'essence d'un objet, il serait suffisant d'en discuter les caractéristiques, et son utilité …
Le Graal, ça n'existe pas ! 2
Comment une chose existe ; une table, une musique, un concept, le Graal ?
Ainsi une musique n'est-elle pas plus qu'une succession de notes ? Mon patron, mon voisin bruyant, un cadavre ne sont-ils que des corps.... ?
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Une ''chose'' existe, d'abord en ce qu'elle se donne à nous, avant de la décrire.
Il y a ce que les sens m'en disent, et ce que mes connaissances ( croyances – savoirs ) m'en disent... De certaines choses, il y a ce que d'autres personnes m'en disent ( témoins, Tradition, Histoire, légendes...)
Et la réalité des concepts métaphysiques, des ''lois naturelles '', des formules mathématiques ?
Et l'être humain est-il un ''étant'' comme les autres ? Et, la pensée ?
La question de l'existence du Graal, condense toutes ces interrogations autour de l'être d'une chose...
Commençons par poser, qu'une chose ''est'' si je la perçois occuper un espace : je dis, cette table qui est devant moi existe. Le terme ''être '' est pris ici, dans le sens de la subsistance ( selon le mot de Heidegger).
Il me revient l'exemple du morceau de cire de Descartes : observons cette chose, puis approchons la d'une flamme ; nous voyons combien ses caractéristiques sensibles peuvent changer. N'en est-il pas ainsi de tout ce qui se matérialise ?
Pour Heidegger, existence n'est pas subsistance …
Prenons l'être humain. - S'il vient de mourir., son corps est toujours là. Pourtant mourir, ce n'est plus être… Être, ce n'est pas seulement occuper un espace...
Etre, exister pour un objet inanimé, n'est pas la même chose, qu'être pour un vivant...
- Le Graal, n'est peut être pas, pour moi, un '' objet inanimé '' ?
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La phénoménologie, m'invite à envisager les choses au travers de la relation que j'ai avec elle. La façon dont les choses m'apparaissent fait aussi partie de leur être. Prenons l'exemple de l'Adagietto de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler, reliée pour moi à ''Mort à Venise'' : je n'écoute pas une succession de notes, une description scientifique ne dit rien de cette chose. Cette chose ''est'' , dans la mesure de la relation que j'ai avec elle, au travers de mes émotions, des images produites, de la compréhension que j'ai de cette œuvre d'art.
Heidegger nous invite à ne pas considérer une chose comme séparée de nous; il y a toujours une relation entre nous et la chose qu'on examine. Et d'autant plus, si la chose n'est pas un objet inanimé... Ainsi, cette personne, si elle est mon patron, mon voisin bruyant, ou mon libraire...
Je retiens que je ne peux pas parler des choses comme uniquement ''subsistantes''. La philosophie m'invite à me questionner de la manière dont le monde '' se donne '' à moi ; et donc à réfléchir sur la nature de la connaissance que j'ai de cette chose, et même plus généralement, de la nature de la réalité.
Elaine, qui travaille sur la philosophie au Moyen-âge ( Et oui... le humains au Moyen-âge ne sont pas des brutes, des barbares, ils peuvent être de profonds philosophes...) ; rappelle à ce propos, la réflexion qui s'appuyait sur les ''catégories '' d'Aristote, pour caractériser une chose.
La première était la '' substance '' - pas pour signifier seulement la matière dont la chose est faite – mais qui est le substrat, l'essentiel de cette chose : l'essence de cette chose, une substance immatérielle, une pure pensée.
La seconde serait la '' forme '', qui confère à l'objet sa structure et son identité. On dira aussi que l'âme est la forme du corps...
Cette manière de penser la chose, a tendance à la limiter à l'idée matérielle de cette chose. Je pense alors à la matérialité de la relique du Graal, qui serait vue ici, ou là …
Bon, mais nous reviendrons sur tout ceci au Moyen-âge. En effet, les philosophes médiévaux ont développé ces notions en science et en théologie.
La question de l'existence du Graal occupe l'esprit de Lancelot, au point d'être abordée lors d'une séance de jeu de cartes. Ces séances s'organisent régulièrement à Fléchigné depuis la retraite de Lancelot. Ce soir là, sont présents le père Maillard et Elaine. Il suffit d'être quatre, la soirée libre pour que Lancelot propose le couvert, le gîte ( éventuellement) et une partie de Tarot ( le jeu d'Anne-Laure de Sallembier). Je signale cette soirée, parce qu'à la suite de sa visite chez le libraire, Lancelot fit part à Maurice Maillard de sa difficulté à ''disputer'' cette affirmation de la non-existence du Graal.
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- C'est d'autant plus difficile, j'imagine, que tu ne peux présenter à l'appui de son existence, qu'une liste de personnages légendaires, et d'histoires merveilleuses.... Pour ma part, concernant l'existence de Dieu, j'ai l'appui de la Révélation, de l'expérience mystique, et l'appui de toute une Tradition...
C'est ce soir là, peut-être, que vint à l'esprit de Lancelot, le projet de façonner l'équivalent pour ce qui concerne le Graal. Un quête au travers d'une lignée, à l'aide de la connaissance acquise le long de ces siècles en philosophie, en sciences, en art et en théologie.
Idée que j'ai reprise et menée en partie, dans ces livres.
Le Graal, ça n'existe pas ! 1
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Mon Fléchigné à moi ( Régis), je le situe dans ces dernières années 60. Après la mort de ma mère, il était devenu habituel que je passe une bonne partie des vacances d'été chez mon grand-père. La plupart du temps nous étions seuls et j'étais entièrement libre de mes journées. Les premiers temps Elaine était souvent là. Je profitais au maximum de sa présence, l'accompagnant au village assis à l'arrière du Solex, ou rejoignant ses amis . Je me souviens ainsi des chansons d'Anne Sylvestre, dont l'écoute de sa voix, avec son timbre si particulier, me replonge aujourd'hui, dans ce temps. Ce temps des copains, où trop jeune, je n'étais que spectateur d'un groupe de garçons et de filles qui s'amusaient au son de 45 tours posés sur un électrophone Teppaz.
Quand j'étais seul avec mon grand-père, nous mangions face à face. Je n'osais pas trop l'interroger sur ce qui l'occupait. Son bureau était hors de la maison, une guérite en forme de petite maison d'une pièce, à l'abri d'un corps de ferme où il rangeait la Citroën Traction Avant , beaucoup de matériel, et avec un coin atelier.
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Les quelques fois où je suis entré dans son bureau, je me souviens le plaisir qu'il avait à me montrer de vieux ouvrages. Je montrais de l'intérêt pour les livres, et il me conseillait des lectures qu'il estimait de mon âge. C'est ainsi que j'ai reçu pour Noël, des éditions modernes de ''Quentin Durward'', ''Ivanhoé'', romans historiques de l'auteur écossais Walter Scott ; et aussi des romans d'Alexandre Dumas, Jules Verne ; et surtout ce livre qui m'est encore le plus précieux de tous : '' La Quête du Graal '' ( Le Seuil, 1965) édition établie par Albert Béguin.
Mon regard était attiré également vers de nombreux dossiers, remplis de pages manuscrites ; mais il ne souhaitait pas encore m'en parler ; puis, je comprenais qu’il était temps de le laisser seul.
Je pouvais revenir seul vers la maison, et ouvrir la bibliothèque du salon et prendre chacun des ouvrages ici exposés. Il s'y trouvait de belles éditions, celle de la Comédie Humaine de Balzac était à l'honneur ; et j'ai le souvenir précis de ma lecture des dix tomes de Jean-Christophe de Romain Rolland. Je me permettais, sans permission, de visiter le grenier, fouiller dans des cantines remplies de vieux habits, et feuilleter de vieux magazines. Je pouvais également utiliser un vélo et sillonner les alentours. J'étais le plus souvent seul.
Il n'y avait pas de télévision. Le soir, nous lisions en silence ; parfois nous jouions aux dominos.
Le centre urbain le plus près de Fléchigné, grâce à notre député-maire MRP, devenu ministre, prend un nouvel essor. La présence d'une entreprise comme Moulinex témoigne de ce dynamisme.
Lancelot , toujours à l'aide de sa Citroën Traction Avant, se rend à la ville pour faire ses courses, et ne manque pas de faire un tour à la librairie-papeterie. Extérieurement, repeinte la façade n'a pas changé. La même porte vitrée, et la clochette qui tinte doucement, annonçant notre arrivée.
Le fils du libraire a modifié la configuration du lieu. Les clients, à présent, ont la permission de choisir eux-mêmes leurs ouvrages qui les attendent sur de nouvelles étagères qui s’étirent jusqu’au plafond et chargées de livres aux couvertures neuves. L’odeur du papier et de l’encre flotte dans l’air.
Le grincement du plancher se mêle au doux murmure des clients qui feuillettent les livres.
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Le comptoir, bien plus restreint qu'autrefois, se tient près de l'entrée, avec sa caisse enregistreuse. Derrière lui, des tiroirs en bois renferment des stylos à plume, des encriers et des carnets. Des almanachs, quelques manuels scolaires, des cahiers, les règles et les compas sont soigneusement empilés.
Ce qui est étonnant, c'est à côté des présentoirs pivotant de cartes postales, un tourniquet avec des livres de poche.
Le libraire est devenu un personnage incontournable de notre ville. Dans l'opposition municipale, il regroupe autour de lui la minoritaire ''gauche intellectuelle'' qui se mobilise pour tous les combats actuels, comme celui de la guerre au Vietnam. Il provoque volontiers Lancelot, en l'appelant « Monsieur le Comte... », même si ce dernier ne se présente plus que sous le patronyme de Sallembier.
- Plus sérieusement, M'sieur Sallembier.... : le Graal, ça n'existe pas !
- Vous pensez que je m'intéresse, à une chose qui n'existe pas ?
- De belles et anciennes légendes. Mais à un moment il faut être clair : les mythes, les histoires religieuses... Tout ça, ça nous parle de quelque chose qui n'existe pas ! Disons-le franchement ; ensuite : on peut s'y intéresser ; à l'égal de la culture, de la littérature, de la fiction...
- Vous pourriez classer les livres, d'un côté : ce qui existe, d'un autre : ce qui n'existe pas... Mais, avez-vous reçu ma commande ?
- Oui bien sûr. Moi, je vous dis ça ; c'est pour discuter. Vous commandez tout ce qui tourne autour de ce truc, alors …. Ça m'étonne, c'est tout...
En plus, votre fille semble vous accompagner là-dessus.... Faudra que je lui en parle. Elle sera plus bavarde que vous.... Et, plus attrayante... ; je plaisante, M'sieur Sallembier.... !
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Lancelot s'en veut de ne pas avoir répondu plus justement... Cette discussion sans importance, ne manque pas pourtant de titiller Lancelot : « le Graal, ça n'existe pas ! ».
Il serait nécessaire de plus de temps, pour s'en expliquer. Que dire pour se faire comprendre ?
Peut-être faudrait-il commencer par le début ; c'est à dire, définir comment une ''chose'' existe ou n'existe pas.
Autrement dit : comment peut-on prouver l'existence d'une chose ?
Et si on disait : elle ne se prouve pas, elle s'éprouve.... ?
- Qu'entendez-vous par ''chose'' ? ( Lancelot s'imagine le dialogue...)
- Ce qui est réel est une chose : son caractère propre ( 'propre', c'est à dire indépendamment de mon esprit ) est la réalité. La phénoménologie, avec Husserl, nous invite à « retourner aux choses-mêmes », à expérimenter comment la chose se donne à nous, avant de la désigner dans un modèle scientifique.
En revenant à sa table de travail, Lancelot tente de creuser ce sillon.
Mes souvenirs, 2
A Marseille, notre premier logement se trouvait tout près du vieux port. Je me souviens d'une glacière à la place d'un frigidaire, et il était donc nécessaire d'acheter un bloc de glace.
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Très vite nous avons habité un immeuble récent, avec le confort moderne et la télévision, avenue du Prado, près de la basilique du Sacré-Coeur ; j'y étais louveteau. J'ai de bons souvenirs de camps, et de temps passé dans notre local attenant à l'église. Je me souviens de l'ambiance d'un magasin spécialisé quand, avec maman, nous achetions l'uniforme scout, et le matériel ( gourde, quart, sac à dos, etc..).
J'allais à l'école catholique des maristes Saint-Joseph, près de la place Castellane. Je crois n'avoir pas été excellent en classe, j'avais du mal à apprendre les poésies malgré les efforts de maman qui me faisait travailler...
Je me souviens lui avoir offert, pour la fête des mères, une boule à neige de Notre Dame de la Garde.
Toujours accompagné de maman, j'ai appris à nager à la piscine des Catalans, aidé d'une ceinture avec des blocs de liège qui étaient retirés, un par un.. Souvenir également, sous sa surveillance, de pêcher à la palangrotte.
De papa, mes souvenirs concernent le côté scolaire et des notes insuffisantes à assumer. Parfois le dimanche, visite avec lui de chantiers... Il est arrivé, une fois, une lettre qui annonçait une retenue avec convocation des parents par le professeur ! Quand nous sommes arrivés à l'école : le professeur se rend compte qu'il y avait erreur sur l'élève...
A Saint-Joseph, je servais la messe. Un frère mariste passait dans les classes pour nous parler du sacerdoce... Je me souviens, en bande dessinée de ma lecture de la vie du fondateur de cette congrégation éducative ( similaire aux jésuites). J'avais rencontré ce religieux ; il revenait me voir... Je ne me souviens pas de discussion avec maman à ce sujet. Forcément nous avions du en parler.
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Pour ma communion solennelle ; maman était déjà malade – je ne me souviens pas de m'en être aperçu...- J'avais une aube blanche, beaucoup de monde était venu pour l'occasion, papi Vétillard, papi et mamie Haquet ; des cadeaux ( un appareil photo...), un grand repas dans un restaurant à Aix...
Maman est malade, maman est couchée. Elle me sourit dans son lit, mais elle tient des propos insensés, je ris... Sans-doute, elle devait délirer ; je ne me souviens pas m'être rendu compte de ce qui se passait...
Ensuite, je vais loger chez les Baris. Un jour, papa arrive chez eux, j'entends qu'il se passe quelque chose, je les rejoins et vois mon père qui me regarde, il pleure. Je fonce vers lui, et je crie « maman... » J'ai compris qu'elle était morte. Ensuite, je l'ai vue, étendue sur son lit. J'imaginais qu'elle allait se réveiller, je surveillais...
D'après papa, la nuit même de sa mort, ils ont échangé sur ce qu'ils allaient faire pendant les vacances.
Puis, il y a la messe, dans notre église. Il y a du monde, et les copains louveteaux en uniforme...
Je me souviens avoir dit à papa, que nous allions nous débrouiller, que je pourrais faire à manger ; que j'étais assez grand pour gérer … Je ne me rendais pas compte du malheur qui allait, sur ma soeur et moi, forcément advenir... Je n'imaginais pas le manque, et surtout le contraste …
Je me souviens de la gentillesse de gens autour de nous, des Baris, et même de la famille du médecin qui avait suivi maman, et qui habitait l'immeuble...
Pendant ce temps, Axelle était à Vence, dans une maison d'enfants où elle allait régulièrement en été.
J'écris tout cela, de manière abrupte, au fil des mots... Je ne m'aide pas de photos.... Sans-doute aurais-je d'autres souvenirs, si j'en consultais... ?
Je viens de tenter auprès de Josette, la sœur de maman, de me raconter quelques souvenirs quand elle était à Nice... Très âgée, je n'en tire pas grand chose ! Aujourd'hui Josette, se répète et revient très vite au temps du Havre, avant guerre... Elle évoque avec beaucoup de tendresse, son père ( mon grand-père maternel), pilote du Havre, qui a refusé de travailler avec les allemands et dû se cacher dans les alentours, et qui leur ont permis d’échapper ensuite aux bombardements américains, destructeurs de la ville. Maman et elle, ont sept ans d'écart ; Maman était sa grande sœur, et protectrice. C'était une intellectuelle, dit-elle. A Nice ; oui, maman était très maternelle, beaucoup plus qu'elle. Effectivement, Josette parle de la longue maladie de ma mère.
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La mémoire nous permet d'abroger une partie de la flèche du temps... Nous revenons sur les images du passé, en tentant de le préserver pour qu'il persiste dans l'avenir. Il m'oblige à lui rester fidèle. Ma mère existera dans le regard que je lui porte. La mémoire est le signe de la filiation.
Où peut-on puiser, sinon dans une filiation, les ressources pour mieux se connaître ?
Un proverbe dit : « Quand tu ne sais plus où aller, rappelle-toi d’où tu viens. »
La filiation, ou la reconnaissance d'une lignée, permet de se reconnaître, et de transmettre. C'est mon objectif, ici, avec ces écrits.
Je fais appel à la mémoire collective pour comprendre notre passé commun.
Les récits historiques, par exemple, influencent notre perception des valeurs, telles que la liberté, la solidarité sociale.
Si dans une recherche de sens, je me suis inscrit dans une lignée. Pierre Teilhard de Chardin développe l'idée que la filiation ne se limite pas à la lignée familiale, mais s’étend à une filiation cosmique. Il voit chaque individu comme faisant partie d’un tout plus grand, où la transmission des connaissances et des valeurs contribue à l’évolution de l’univers vers un point d’achèvement qu’il appelle le Point Oméga. Une sorte d'union de toute la création en Dieu.
Mes souvenirs, 1
Depuis l'enfance, j'ai l'intuition que ce que j'appelle la ''réalité observable '', n'est pas le Tout de la Réalité. Aujourd'hui, je pourrais la compléter et nommer l'autre par '' réalité transcendantale '' ; mais je cherche toujours à comprendre, et saisir ce qu'elle peut signifier au mortel que je suis. La mort pourrait-elle me permettre d'y accéder ?
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Ma mère, par sa foi chrétienne, m'a ouvert un champ d'investigation qui correspondait à ce que je percevais de la Réalité. Ce champ ne répondait pas aux même règles, que celles de ma vie quotidienne, mais il agissait dans cette vie. Jésus, un galiléen qui vivait il y a deux mille ans, bien que mort sur une croix était toujours vivant, c'est à dire toujours réel. Il appartenait à cette réalité totale et nous assurait que nous en faisions nous-même partie, avec Lui, avec tous les saints. L'Eglise, nous montrait des images, des signes de cette Réalité. Et, je me souviens très bien, avoir ressenti cette Présence réelle d'amour, représentée alors par une statue de Marie, dans la chapelle de l'école Sasserno à Nice, au cours de la cérémonie de notre ''première communion'' ( ou communion privée). Je devais avoir 9-10 ans... C'était avant que nous rejoignions Marseille.
Je devais comprendre alors que le rituel, nous permettait d'entrer en relation avec cette autre réalité. A l'aide de cubes, rangées dans un chariot, je fabriquais un autel, pour ''jouer'' à dire la messe...
Ma mère m'a transmis , malgré mon père qui en était agacé, un aspect - bien réel - de la vie quotidienne tourné vers la transcendance.
Ma mère étant, sans-doute la personne la plus importante dans ma vie, à cette époque ; je dois en parler ; d'autant qu'elle nous quitta en juillet 1963; et que je tente à présent de retrouver ces précieux souvenirs qui contrastent avec ce que je vivais, après sa disparition...
Papa travaillait, toujours, même le dimanche ; il nous arrivait d'aller visiter avec lui un chantier... II rentrait tard. Maman était toujours là. Elle était là quand j'allais en cure, quand j'ai été opéré à Paris, en vacances : je me souviens être parti avec elle dans les Alpes...
Il me revient l'odeur du rouge à lèvres, et ce mouvement du doigt, mouillé « d'eau du coeur » ( ce sont ses mots), pour effacer je ne sais quel tache sur mon visage.
Mère au foyer, elle s'occupe essentiellement de ses enfants. Ma petite sœur, Axelle, intrépide, demande beaucoup de surveillance. A Nice, nous pouvons être un sujet de dispute avec sa sœur Josette - dont le mari est officier à Madagascar, puis en Algérie – qui a une fille, Muriel, un peu plus jeune que moi. Elles s'entendent très bien mais chacune argumente sur ce qu'il convient de faire pour notre éducation. Par exemple, je lis ''Mickey'', alors que Muriel est abonnée à ''Tout l'Univers'' ; mais je me souviens avoir bien lu ''Tout l'Univers'' aussi, et sans-doute 'Mickey' pour Muriel.
Je me souviens d'un grave accident, où seul avec maman, alors qu'elle cuisinait avec l'aide d'un mixer ; elle s'était blessée fortement, il y avait beaucoup de sang, j'étais affolé...
Maman était très croyante, au contraire de sa sœur. Je l'accompagnais à la messe. Papa était agacé par cette pratique religieuse.
Elle nous surveillait toujours de très près. Je me souviens plus grand, je riais quand elle me grondait et, elle n'appréciait pas ! Je riais, parce que je ne croyais pas qu'elle pouvait être vraiment en colère contre moi ; sans-doute étais-je persuadé qu'elle m'aimait tellement qu'elle ne pouvait pas vraiment être fâchée...
Je la vois, petite femme, un peu mère poule, face ( plutôt qu'à côté...) au père dynamique, toujours un peu énervé. Mes bêtises, restent une affaire entre maman et moi.
Du Maroc, me restent des images de la villa, une belle maison moderne, et un jardin ; peut-être un peu l'école, en ''petite classe'', avec un ''tricotin à 4 clous'' et de la laine... Souvenir des conséquences d'un vaccin, je ne pouvais plus marcher... J'ai l'image de Noël, mais, comme sur les photos. Et, le souvenir de l'annonce d'un cadeau supplémentaire, qui nécessitait le déplacement dans une clinique : la naissance d'une petite sœur !
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Pas vraiment d'autres souvenirs, peut-être celle de la visite d'amis des parents.
Ensuite, nous sommes à Nice, dans la vieille ville, un appartement ; la ''bonne'' ( une femme marocaine) nous a accompagnés, elle m'apprend à compter jusqu'à dix en arabe ( je m'en souviens encore!). J'ai caché un jeu dans la cheminée fermée par un rideau métallique, acheté en cachette à la sortie de l'école, il s'agit d'une sorte de puzzle coulissant numérique, avec des jetons à bouger avec les doigts, pour obtenir le bon ordre ...
Ensuite, nous habitons dans un autre immeuble, moderne, avec balcon, boulevard Gambetta. La ''bonne'' est repartie au Maroc. Je vais à pied dans une école privée ( Sasserno ), après être resté très peu longtemps dans une école publique ''arriérée''..
Non loin de notre logement, il y a un jardin public. Maman s'y tient avec Axelle. Il existe des photos où je suis avec ma petite sœur à la plage.
Nous allons voir Guignol, avec Muriel. Nos mères sont souvent ensemble. Gaston est en Algérie.
Je joue bien avec Muriel. Axelle est trop petite pour nous. Nous sommes assez libres, alors qu'elle est sous la surveillance constante de maman.
Je me souviens bien de l’anniversaire de mes dix ans. J'ai découvert dans ma chambre, ce dont je rêvais : un ''grand bureau'' avec un plateau rouge et des tiroirs sur les côtés. Ce bureau m'a accompagné jusqu'à la Ribassière ( Marseille).
Il y eut ensuite Monaco. Nous habitions un immeuble qui donnait sur le stade de foot. Et l'équipe de Monaco était renommée.
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J'allais dans une école catholique des '' très chers frères '' : mauvais souvenir, en particulier celui d'un ''très cher frère'' cherchant à me donner des coups de règle, et moi courant dans les rangs de la classe... C'était une grande bâtisse assez triste ; un règlement strict, tableau d'honneur...etc
Un matin, avant de partir à l'école, maman me donne une enveloppe contenant le règlement du trimestre ou du mois, que je devais donner aussitôt à l'administration de l'école. J'ai oublié... Un long temps plus tard, je découvre dans mon cartable cette enveloppe... Je m'imagine que, le temps ayant passé, personne semble s'en être aperçu... Je peux l'ouvrir et voir qu'il y a plusieurs billets. Sans m'en soucier davantage, semble t-il, je m'engage avec un copain à choisir dans un magasin une petite voiture ( sans-doute une ''dinky-toys'', assez chère...). Bien-sûr, un jour, maman me demande ce que j'ai fait de l'enveloppe qu'elle m'avait remise. Je ne me souviens pas s'il a fallu beaucoup de temps, pour que j'avoue tout... Ce dont je me souviens très fort, c'est la réaction horrifiée de maman : son fils était un voleur... ! Elle pleurait, je pleurais... Je ne savais plus quoi faire pour arrêter ce malheur. Conséquence : elle ne dirait rien à papa ; et je viendrais sur la champ me confesser à l'église proche. Je l'ai fait, avec elle, immédiatement.
Toujours à Monaco, je me souviens accompagner régulièrement Axelle au petit zoo d'à côté de chez nous, les gardiens nous laissaient entrer pour voir les premières cages et revenir...
Nous allions dans une spacieuse bibliothèque, avec plein de livres... Là, nous avons vu des films du commandant Cousteau... Tout cela, forcément, sous la conduite de maman...
J'ai le souvenir de vacances dans les Alpes, seul avec maman. ( et Axelle ?) Je crois que c'était dans le Vercors , j'ai le souvenir d'avoir pêché, et fier de lui montrer un poisson, mais il était trop petit alors je l'avais remis à l'eau.. !
Souvenir aussi, d'une cure à Salies de Bearn, et toujours ce sentiment heureux de protection.
Je suis allé à Paris, pour une opération aux deux pieds. Je suis parti, je crois seul avec Maman. Après l'opération, les deux pieds dans le plâtre, nous étions logés chez les ''Ambrogis'' près de Paris, Michel était steward chez Air-France. La présence de maman m'a été essentielle, à la clinique, elle dormait avec moi dans la chambre. Ensuite, contraint à rester assis ou couché ; je me souviens d'enfants – dans la cité où habitaient Christiane, Doris et Stéphane.. - qui venaient me voir...
Aucune impression d'avoir été un tant soit peu malheureux avec maman.
Quelle différence avec ce qui se passera ensuite ; en 68, j'étais opéré à nouveau à Marseille ; et j'ai pu mesurer la différence, et le manque de la présence d'une mère...
Entropie et Néguentropie
Le constat scientifique de l'augmentation de l'Entropie, pourrait trouver des équivalences avec le vieillissement des vivants, ou des sociétés. Le déclin progressif des fonctions biologiques peut être vu comme une perte d’ordre et une augmentation de l’entropie chez l'humain vieillissant.
La perte d'identité culturelle, la montée de la violence, pourrait être une dégradation de l’ordre et de la structure sociétale. Les guerres, les catastrophes naturelles et écologiques contribueraient à l'augmentation de l'entropie.
Qu'en est-il ?
La vieillesse et la mort sont-ils signes d'entropie ?
Cependant une personne ne peut-elle pas, en vieillissant, se transformer en mal ou en bien, selon qu'il s'agit de sa ''substance'' ou de son'' âme''.. ?
Un argument s'oppose à considérer la mort comme le signe de l'entropie, parce qu'elle est aussi un avantage pour les espèces à reproduction sexuée. '' Le sexe mélange nos gènes pour créer une variation infinie avec très peu de mutations fatales. Mais cela ne fonctionne que si l’ancienne génération meurt pour ne pas concurrencer sa propre progéniture.''
La Tradition dans son sens le plus large ( les contes, les chants, les légendes, les rituels, les écrits de maîtres, les commentaires de Livres saints...) préserve la mémoire ( l'information), enseigne et se cumule. Nous nous transmettons, notre science, notre technique, et les peuples s'organisent en vue de plus de cohésion sociale. Notre écriture, notre histoire et nos traditions nous donnent la capacité de résister à l'entropie.
Aussi, est-il nécessaire d'envisager un phénomène opposé ou complémentaire, je ne sais pas....
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La néguentropie, en opposition à l'entropie, représente la création d'information, la complexité et l'ordre. La photosynthèse, l'évolution des espèces, les découvertes scientifiques en sont des exemples.
Les organismes vivants, et l'humain en particulier stockent de plus en plus d'information.
La néguentropie relie l’information à l’ordre et à la structure dans les systèmes physiques et biologiques.
L'évolution biologique, dans laquelle nous humains intervenons dans la complexité, n'en est-il pas un parfait exemple de néguentropie ?
C'est en 1944, que le physicien autrichien Erwin Schrödinger introduit le terme de néguentropie dans son ouvrage Qu’est-ce que la vie ?, pour nommer la présence d’ordre à l’intérieur des êtres vivants, en opposition à la tendance naturelle à la désorganisation observée dans les systèmes physiques.
Le physicien français Léon Brillouin met en perspective le concept de néguentropie à partir des travaux du mathématicien Claude Shannon. Dans son ouvrage La Science et la théorie de l’information (1956), Brillouin explore comment l’information et l’ordre émergent à partir de la néguentropie.
Michel Serres (1930-2019) défendra le concept en le liant à l’organisation de l’univers et à la croissance de la conscience ; et en considérant une méthode néguentropique qui mettrait l'accent sur l'information, l'écologie, afin de préserver l'ordre et la diversité des écosystèmes.
La vie est néguentropique. C’est une affirmation intéressante ! La néguentropie fait référence à l’idée que la vie et l’ordre peuvent émerger spontanément à partir du chaos et de l’entropie. Elle peut susciter des réflexions spirituelles.
Déjà, l’existentialisme, même si l'on reconnaît l’absurdité de la vie, propose à l'homme de créer créer son propre sens et ordre à travers ses actions et ses choix.
Déjà, Saint-Augustin soutenait que Dieu est la source ultime de l’ordre et de la structure dans l’univers. Selon lui, le mal et le désordre (entropie) sont des absences de bien, et la création divine tend vers l’ordre et la perfection.
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Plus précisément, Teilhard de Chardin relève que l’évolution de l’univers est marquée par une complexité croissante, allant des particules élémentaires à la vie consciente. Cette complexité croissante est une forme de néguentropie, où l’ordre et l’organisation augmentent.
Il introduit le concept de noosphère, une couche de pensée et de conscience humaine qui enveloppe la Terre. Selon lui, la noosphère représente un niveau supérieur d’organisation et de complexité, et un lieu de convergence spirituelle. La néguentropie serait manifeste à travers l’évolution de la conscience collective.
On parle de '' propriétés émergentes '' : ce sont des caractéristiques d’un système qui ne peuvent pas être prédites simplement en examinant ses composants individuels. L’émergence est un concept central dans la théorie des systèmes complexes. Par exemple, la conscience est souvent citée comme une propriété émergente du cerveau
La noosphère de Teilhard de Chardin, ne serait-elle pas une propriété émergente au même titre que la conscience?