La Phénoménologie - 3
Procédons par un autre tour de spirale autour de la phénoménologie.
La phénoménologie est une méthode, une démarche, une attitude ; elle n'est pas une doctrine, une idéologie. La méthode phénoménologique veut démontrer qu'il existe une relation essentielle entre la conscience et le monde.
L'attitude pour observer le ''phénomène'' consiste à le mettre entre parenthèse, à suspendre notre jugement. C'est ce que l'on nomme ''la réduction'', ou ce que Husserl appelle aussi l'Épochè en grec (ἐποχή / epokhế)
« Revenir aux choses mêmes », nous dit Husserl, et pour ce faire, procéder à une « réduction phénoménologique »
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Nous avons sous les yeux, deux œuvres essentielles de Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible (rédigés entre 1959 et 1960) et L’œil et l’Esprit, publiés à titre posthume. Remarquablement bien écrits, ce livres restent difficiles...
La discussion qui s'installe entre Lancelot et Elaine, permet d'avancer sur les tours de notre spirale.
- Avec Merleau-Ponty, la pensée est une aventure humaine, il ne s'engage pas à moitié, il veut penser avec tout son corps jusqu'à chercher à définir la vérité...
- Oui, il mêle deux tradition, celle de la raison et celle de la sensibilité.
Descartes pensait se trouver en évacuant le monde : dans la solitude, il reste mon existence... Résultat, le monde est à distance de lui... Merleau s'interroge, si - sans le monde – il peut être lui-même ?
- En effet, c'est une bonne question : Peut-on exister séparément du monde ? Le monde n'est-il qu'un spectacle ?
- Chacun, un jour, ne s'est-il pas demandé : n'ai-je pas l'illusion que le monde existe ?
- Mais que serait un monde que je ne verrais pas ? Un amour que je ne vivrais pas … ?
Et pourtant, même si c'était le cas, j'en ai quand même l'idée !
- Mais... Dans ''l’œil et l'Esprit'' : il écrit : « la science manipule les choses et renonce à les habiter ».
- Il dit aussi, je crois, que le sujet peut par la force de sa raison se servir de ces objets ; il peut faire de la science, prétendre à l'objectivité.
- Encore une question : Comment rencontrer le monde, alors que nous en faisons déjà partie ?
- Notre professeur, nous disait que Merleau est un penseur tragique, ( pas au sens de la catastrophe, mais au sens d'un problème qui ne trouve jamais sa solution ) ; au sens où il faut renoncer ( surtout en politique) à l'absolu.
- Il n'y aura jamais de coïncidence entre le sujet et l'objet. Effectivement il nous faut accepter cette situation de blessure...
Il nous faut reconnaître que le monde n'est pas un spectacle et le sujet n'est pas souverain.
Pour Merleau, le visible a toujours une profondeur, le visible repose sur un invisible. Ce que je vois à un moment du temps, est lié à un avant et à un après et n'a de sens que comme cela..
La Phénoménologie - 2
La phénoménologie, est une attitude philosophique qui peut prendre plusieurs visages. Elle reste vivante et laisse sur le côté, le structuralisme et même l'existentialisme, même si certains auteurs en viennent, comme Maurice Merleau-Ponty mort trop tôt ( en 1961) mais qui reste dans la mémoire des jeunes philosophes qu'il a inspirés.
On retient sa brouille avec Sartre, qui n'acceptait pas sa critique de l'URSS à propos de son impérialisme... Certains, comme Jean-Toussaint Desanti (1914-2002), ont tenté une convergence entre marxisme et phénoménologie.
Lancelot et Elaine citent encore, les derniers Merleau-Ponty ( 1908-1961) (Le Visible et l’invisible, 1964 ; L’œil et l’esprit, 1961), - Paul Ricoeur ( 1913-2005) avec Philosophie de la volonté II, t. 2, La Symbolique du mal, 1960 ; De l’interprétation. Essai sur Freud, 1965), - Michel Henry ( 1922-2002) (L’Essence de la manifestation, 1963) et Emmanuel Lévinas ( 1905-1995) (Totalité et infini, 1961).
Pour tenter de comprendre la méthode phénoménologique, je propose de procéder par la spirale, en effet il est nécessaire de tourner autour pour tenter l'approche..
Réalisons d'où nous partons :
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Descartes fonde son raisonnement par l'attitude du doute, ''je doute de tout !'' Le monde ne serait-il qu'un songe, ou la suggestion d'un génie ; dans ce cas, que resterait-il ? Il resterait 'moi'' qui doute. '' Je pense, je suis...
Cette expérience est reprise par Husserl, comme l'évidence de l'expérience vécue, à partir de là on doit tout pouvoir reconstruire... Une fois que nous avons porté notre attention à cette expérience présente, d'être là face au monde. On peut tenter de le décrire de façon très fine. Husserl propose de décrire non pas les choses qui sont censés nous entourer, mais ce que l'on vit des choses
Avec Descartes, si le monde est à distance,.il est naturel à l'homme de vouloir se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ».
Nous partons d'un dualisme, c'est à dire que la chose est telle qu'elle m’apparaît, elle est pensé comme objet.
Husserl nomme l'objet : ''phénomène''. La chose qui m'est donnée, comme objet, que mes sens situent hors de moi , possède un ''en-soi'' dont je ne sais rien. Je ne connais que son phénomène, sa représentation que m'en donne les sens.
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Avec Husserl et la phénoménologie, il s'agit de supprimer la distinction entre ''phénomène'' et ''chose en-soi''
A l'opposé de Descartes, le cogito du phénoménologue est un « être au monde ». Il appartient au monde et doit apprendre à voir le monde.
Un « phénomène » c’est, d’après le grec, « ce qui apparaît ».
On nous dit que ce qui compte, ce n’est pas le paraître, mais l’être. Pourtant le philosophe nous dit : c’est l’apparaître qui compte ; il n’est pas simple apparence, il est l’être vrai. En effet, il ne s’agit pas exactement de ce qui apparaît, il s’agit plus exactement de l’apparaître comme tel, de la manière dont le phénomène apparaît, de la manière dont il se montre, se révèle, se manifeste, de la manière dont il se donne à voir.
Comment cela peut-il se faire ? Comment l'objet pourra ne pas être déformé par les idées, les préjugés, les désirs... ? Comment pourra t-il apparaître dans la vérité ( de son être, si on peut le dire ainsi...) ?
Le phénomène serait l’être même de l’apparaître, et non l’objet.
La Phénoménologie – Edith Stein
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Si Lancelot goûte sa retraite solitaire à Fléchigné, il apprécie les visites régulière de sa fille Elaine, qui l'entretient, en particulier, de ses études et de ses recherches.
Cette fois-ci, Elaine tient à partager sa nouvelle découverte : la phénoménologie...
Elle a appris à se douter que ce sera pour son père, l'occasion de faire écho à d'anciennes rencontres. C'est particulièrement le cas ici ; et elle constate que Lancelot l’entraîne dans un périple en Allemagne au début des années trente.
( Cela se passait ici ( suivre le lien) → 1931 - L'Allemagne - 3 – Heidelberg – Edith Stein - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Je rappelle qu'alors, Lancelot partageait sa vie avec une femme au nom de : Elaine de L. ; elle avait été malheureuse par une union désastreuse, et s’accrochait à la religion comme à une bouée au point de penser à la vie religieuse. Après une rencontre ''coup de foudre '', lors d'une soirée mondaine ; elle va entraîner Lancelot, à Meudon, chez les Maritain. Ils ne se quitteront plus, dans les limites de son mariage au début ; et … ensuite, jusqu'à sa mort en ...
En 1929, Paul Desjardins, rencontré à Davos, avait invité Lancelot et Elaine, aux fameuses décades d’été de Pontigny, qu'il animait. C'est en ce lieu, centre de rencontres intellectuelles, qu'ils ont entendu parler du philosophe Husserl et de la phénoménologie présentés par Bernard Groethuysen, allemand ( nationalisé français en 1938), qui parlait également admirablement de Goethe et d'Hölderlin...
Bernard Groethuysen, avec un ouvrage paru en 1926, sur la philosophie allemande, a introduit en France la phénoménologie. Il a fait connaître Husserl (1859-1938) et se prêtait volontiers au questionnement des non-spécialistes...
Dans la phénoménologie, on reconnaît que la connaissance ne repose pas seulement sur de la logique, ou du sensible; mais dans l'activité de la conscience... Husserl, nous disait-il, propose l'expérience de voir, comme s'il s'agissait d'une oeuvre d'art: le phénoménologue pratique ainsi l’épochè. Réapprendre à voir, c'est marquer un arrêt, mettre entre parenthèse le superflu...
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La Phénoménologie, observe ce que la réalité laisse paraître... Nous y reviendrons.
Lors de leur voyage en Allemagne, Elaine et Lancelot avaient prévu un rendez-vous avec Édith Stein, comme ils l'avait promis à Jacques Maritain et à P. Desjardins, qui voulaient l'inviter... Ils étaient curieux de rencontrer cette femme de 40 ans, connue par sa carrière de conférencière, faute de n'avoir pu, comme femme, prétendre à un poste universitaire. Elle avait étudié la phénoménologie à Göttingen, et suivi Husserl. Elle avait soutenu son doctorat et devint son assistante, jusqu'en 1918. Sa demande d'habilitation à Göttingen fut refusée, bien que soutenue par '' le maître'', mais parce que ''femme''... A Breslau, elle donnait des cours chez elle, et enseignait au lycée...
Egalement, Lancelot raconte comment en 1952, à Ascona ( Italie) il côtoya pendant quelques jours C. G. Jung, sa femme Emma, et Henry Corbin dont il se mit à l'écoute avec chaque jour toujours plus de curiosité. ( à relire ici : 1952 – Ascona – Eranos – 2 - Les légendes du Graal (over-blog.net) )
Après être partis de la pensée allemande, avec K. Barth, puis Heidegger, Corbin expliqua sa découverte de l'Iran... Et en vint à la Phénoménologie, qui prend en compte tout acte de la conscience, tous : ainsi l'imagination, ou l'amour , bref : tout sentiment participe à la connaissance de l'objet. La connaissance du réel n'est pas seulement affaire de logique, mais l'affaire de l'acte de conscience.
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C'est ainsi, je pense – reprend Lancelot – pourquoi les philosophes chrétiens s'intéressent à la phénoménologie. Cette méthode s’applique à décrire la manière dont l'Objet de notre recherche se donne à nous, se manifeste à nous, avant même que nous nous mettions à le considérer comme un objet dans une optique de connaissance.
Lancelot se souvient combien, lui et Elaine, avaient eu du mal à comprendre les tentatives d'Edith Stein à leur expliquer comment elle confrontait Husserl à Thomas d'Aquin, et comment finalement son explication s'était clôt par de grands éclats de rire...
Ensuite, Lancelot apprit à travers sa biographie – proposée par Elisabeth de Miribel et parue en 1954 - qu'en 1933, Edith Stein rejoindra le couvent Carmel de Cologne. Elle et sa soeur – qui l'avait rejoint - quittèrent l’Allemagne en 1938 pour résider au carmel d’Echt, en Hollande.
Sous le nom de Thérèse Bénédicte de la Croix, Edith Stein était devenue ''invisible'' pour le monde... sauf pour les nazis, qui vinrent arrêter Edith et sa soeur le 2 août 1942.
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Edith Stein avait écrit au pape Pie XI au printemps 1933 pour l’informer de la situation des Juifs en Allemagne : « Comme fille du peuple juif, qui suis depuis onze ans, par la grâce de Dieu, fille de l’Église catholique » (...) « j’ose exprimer devant le Père de la chrétienté ce qui accable des millions d’Allemands. Des années durant, les chefs du national-socialisme ont prêché la haine des Juifs » et maintenant, « cette semence de haine a levé ».
« Cette idolâtrie de la race et du pouvoir étatique, martelée chaque jour aux masses par la radio, n’est-elle pas une hérésie ouverte ? », demandait-elle. « Ce combat en vue d’éliminer le sang juif n’est-il pas un blasphème contre la très sainte humanité de notre Rédempteur, de la bienheureuse Vierge et des Apôtres ? » Edith Stein précisait que « nous, les enfants fidèles de l’Église, […] craignons le pire pour l’image de l’Église, si jamais son silence durait encore ». Elle prévoyait de plus que le silence « ne sera pas en mesure d’acheter à long terme la paix face à l’actuel gouvernement ». Et si « la lutte contre le catholicisme est provisoirement encore menée avec discrétion », « elle n’est pas moins systématique ».
Edith Stein fut arrêtée avec sa sœur Rosa le 2 août 1942 au Carmel d’Echt et déportée avec six cent quarante Juifs néerlandais baptisés. Ils furent assassinés en 1942 au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau.
Lancelot fut particulièrement touché par la démarche de cette religieuse qui n'est pas entrée au Carmel pour philosopher mais pour vivre avec bonheur la vie quotidienne simple et exigeante d’une petite communauté de moniales vouées à la prière silencieuse, et qui se donne l'objectif, dans cette période de haine, de - selon ses mots - « se tenir devant Dieu pour tous. »
Cependant, Edith Stein reste fidèle à sa recherche qui l’habite au profond de son être. Elle est une chercheuse de vérité, une quêteuse de Graal, devenue, phénoménologue.
De Duras : "Le ravissement de Lol V.Stein"
Après l'installation dans la région d'un émetteur en haute définition 819 lignes, Lancelot achète une télévision (noir et blanc) et peu après bénéficie de la diffusion d'une deuxième chaîne ( RTF Télévision 2 ) diffusée en 625 lignes UHF . La télévision diffuse entre 12 et 14 heures par jour.
Le 9 juillet 1966, a lieu la première diffusion de l'émission Au théâtre ce soir sur TF1, avec à la fin : « Les décors sont de Roger Harth... »
Cette question agite beaucoup de discussions : faut-il s'inquiéter que la télévision puisse tuer la lecture ? Sans-doute pas... N'oublions pas qu'en 1960, en France, très peu de français sont disposés à lire, les statistiques relèvent que seulement 22% seraient des passionnés de lecture.
Finalement, la télévision, participera avec une l'émission du mercredi-soir ''Lectures pour tous '' à gagner l'estime des lettrés et constater l'augmentation de lecteurs... !
Lancelot est très curieux de retrouver quelques visages connus, dans la lucarne disposée sur un meuble du séjour.
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Ainsi celui de Marguerite Duras, interrogée par Pierre Dumayet . C'est à propos d'un livre dont la lecture l'a à la fois, agacé et fasciné. Le visage en gros plan, marqué, gonflé, peut-être, d'avoir souffert... Elle chuchote, elle parait si calme. La voix, la diction de Marguerite est singulière, et ses mots, ceux d'un livre qu'elle pourrait écrire.
Elle se confie à la France entière : c'est la première fois, dit-elle, qu'elle écrivait sans alcool, elle avait peur d'écrire n'importe quoi. Elle avait rencontré son personnage, Lol V. Stein, dans un asile psychiatrique, lors d'un bal de Noël, belle, intacte. Pourquoi ce nom : ''Lol'' ? A cause de Loleh Bellon, l'actrice...
Duras à présent s'est retirée à Neauphles ( Seine-et-Oise), avec son fils Jean Mascolo. Ses amis la rejoignent en fin de semaine, dont Edgar Morin, que Lancelot revoie assez régulièrement.
Mais surtout, et, Lancelot applaudit à ce coup de coeur : elle vient d'acheter un autre lieu mythique, l'appartement 105 dans l'ancien palace des "Roches Noires", où Proust - soixante-dix ans plus tôt - y avait sa chambre ( appart 110), face à la grande plage de Trouville.
L’hôtel des Roches noires, paquebot de pierres et de briques : trois cents chambres à l’extrémité est de la plage. Les couchers de soleil, les lectures et les promenades sur le sable ou dans la campagne avec une bande d’amis (dont de futurs écrivains) qui attirent davantage Proust, que les baignades en mer.
C'est là que Marguerite Duras achève au cours de l'été 1963, face à la mer "Le ravissement de Lol V.Stein".
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Elle nous raconte l'histoire : « Lol a rencontré Michael Richardson à dix-neuf ans pendant des vacances scolaires, un matin au tennis. Il avait vingt-cinq ans. Il était le fils unique de grands propriétaires terriens des environs de T. Beach. (…) c'est en Angleterre. ] « Il ne faisait rien. Les parents consentirent au mariage. Lol devait être fiancée depuis six mois, le mariage devait avoir lieu à l'automne (…) elle était en vacances à T. Beach lorsque le grand bal de la saison eut lieu au Casino municipal. ( …) Au cours de ce bal, le fiancé de Lol est tombé amoureux d'une femme. De la dernière venue du bal. ( …) c'était minuit, une heure du matin, le bal était à son plein. Et elles sont arrivées les dernières. Et ça a été immédiat entre Michaël Richardson et cette femme. (…) Anne-Marie Stretter. »
« Et Lol a assisté à cet amour... naissant. Elle a vu complètement la chose. Elle a assisté à la chose aussi complètement qu'il est possible. Jusqu'à se perdre de vue elle-même. Elle a oublié que c'était elle qu'on n'aimait plus. Elle était en faveur et avec... cet amour naissant. C'est ça le bal. »
Ceci est le début, et le point central du livre.
« C'est le roman de l'impersonnalité, c'est un état que beaucoup de gens frôlent. »
« C'est l'abolition du sentiment, c'est ce qui m’intéresse. (…) Ce livre... c'est l’obscurité limite, je ne peux pas aller plus loin... »
A notre tour, le lecteur est ''ravi'' par ce livre, par l'écriture, la poésie et par Lol, par son mystère, de ''non-sens''. Cependant, la lecture est souffrante, Lancelot ressent l'échec et peut-être aussi, l'échec de la lecture. Il est nécessaire de le relire.
1966-67 – L'individu, la société et la littérature
Nous nous souvenons de l'hiver 66, à Paris et la Normandie, avec d'abondantes chutes de neige
Nous avons appris que Mr M.I. Marrou s'insurge contre la disparition du latin, et du chant grégorien, dans nos liturgies. Il rejoint l'association '' Una Voce '' avec Ariès, Madaule, Fumet ...etc ; le Symbole de Nicée, dit-il, perdra beaucoup à la traduction... Par exemple : « incarnatus est de spiritu sancto ex Maria virgine. » ?
Né en 1900, Lancelot se dit qu'il a vécu, à la frontière de plusieurs mondes. Celui d'avant-hier appartenait encore à l'Ancien Régime, celui d'hier annonçait l'actuel par les révolutions du XIXème ; celui d’aujourd’hui, lui semble les prémisses du suivant déjà là....
La disparition de notre société traditionnelle, est sans-doute l'un des grands événements de notre histoire.
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L'historien Philippe Ariès (1914-1984) note que « c'est sous la poussée de la conscience individuelle que les structures traditionnelles ont sauté ! »
D'ailleurs, n'est-ce pas dans cette direction que la spiritualité de Teilhard de Chardin situe l'avenir de l'humanité ? ….
« Je crois que l’Esprit, [dans l’Homme], s’achève en du Personnel » ( Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois, )
« En vérité, à un tel pic d’Hominisation (ou, comme j’ai pris l’habitude de dire, à un tel Point Oméga), plus moyen de douter que le jeu normalement prolongé des forces planétaires de complexité-conscience ne nous appelle et nous destine » (Pierre Teilhard de Chardin, L’Apparition de l’Homme, 1956 ).
Autrefois... La famille, la seigneurie, la compagnie ou la communauté de métiers comptaient plus que chaque personne; l'Ancien Régime ne réunissait pas des individus, mais des communautés, nous dit Ariès.
Ensuite... L'individu pris de la valeur : - '' L'individu est bon, la société le corrompt '', est un héritage du XVIIIe siècle. D'autant que, l'exode rural, l'embourgeoisement, ont dégradé les relations sociales ; la vie mondaine s'est présentée sans chaleur et sans vie.
Philippe Ariès, cet homme de droite, finalement séduit Lancelot, en particulier quand il donne – par exemple - son opinion sur les prêtres ouvriers, il estime que cette « histoire dramatique » a « un caractère profond » (…) « on ne peut pas ne pas être frappé de la grandeur du conflit et de ses acteurs... » tout en déplorant « les contaminations marxistes... ».
Mais, lui-même se voit en anticlérical de droite, à l'image de ceux qu'il décrit ainsi : « La plupart restent soumis aux pratiques de la dévotion et du culte et entretiennent une grande piété personnelle, mais ils ne peuvent plus voir une soutane (…) ils nomadisent de paroisse en chapelle, de chapelle en couvent, tantôt chassés par un office trop agressif, tantôt attirés par un prédicateur bien pensant. » ( Ariès dans Nation Française, Oct 1962)
Elaine est de l'âge des héros de deux romans, parus tout récemment, dont elle parle avec plaisir :
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* Le Procès-Verbal de Le Clézio (1940-, ) : Adam Pollo vit à la périphérie de l'absurde, sauf quand il ne fait plus qu'un avec ses sensations, et la nature. À la fin, l’étudiant est interné...
- Lancelot compare le personnage avec Antoine de ''La Nausée'' de Sartre.
- Elaine conteste : elle y voit une recherche de l'Absolu, ce qui laissait indifférent Antoine...
- Mais quel type d'absolu ? Adam attend le « messie-géomètre arpenteur », il évoque les vertus de la « géométrie plane »... C'est un structuraliste !
- Ou, un existentialiste, répond Elaine : il se révolte et atteint une sorte de liberté jubilatoire...
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* et Les Choses de Georges Perec (1936-1982) où les personnages - un couple qui craint de perdre sa liberté - s'ils lisent beaucoup, préfèrent désirer ce qu'ils critiquent, le confort ménager plutôt que de chercher comment transformer le monde. Leur engagement se réduit à lire ''le Monde''...
On parle même de ''culture de poche,'' avec le livre qui se plie à la demande de consommation...
Lancelot, même s'il partage peu de choses avec l'écrivain communiste Aragon (1897-1982), goûte son dernier roman : Blanche ou l’oubli . C'est un roman ''jeune'' ( un ''nouveau roman '' ?) écrit par un vieux ( un roman ''surréaliste'' ?)... Le passé ( Elsa Triolet décédée depuis 12 ans) et le présent s'y entremêlent, également des œuvres de Flaubert, Stendhal...
Le narrateur est bien d'aujourd'hui : Gaffier, traducteur, linguiste, lecteur de Benveniste et de Foucault, et Marie-Noire, jeune fille qu’il imagine,et reconstitue comme étant Blanche, son ex-femme qui l’a quitté depuis dix-huit ans : un roman dans le roman.
Il serait intéressant de rapprocher ''l'oubli'' d'Aragon, qui s'oppose au ''souvenir'' de Proust...
Marcel Proust est à l'honneur depuis 1963, date du cinquantième anniversaire de la parution de « Du côté de chez Swann »
RTF Promotion est devenu France Culture en décembre1963, et propose plusieurs émissions sur Marcel Proust, avec Roland Barthes, Nathalie Sarraute, Duras, Sollers...
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Voici quelques notes à partit de l’émission du 09/12/1963, particulièrement intéressante, qui avait eut lieu avec Roland Barthes.
En réponse à la question "comment décider d'écrire", il y voit une aventure découpée en trois actes :
1er acte : un temps perdu par l'écrivain, fasciné par la littérature, mais qui n'y arrive pas...Ce que l'on retrouve dans le narrateur fasciné par la mondanité, qui s'épuise dans des poursuites amoureuses ( Gilberte, princesse de Guermantes ) sans résultats...
2è acte : 1ère révélation : le narrateur croyait posséder des dons littéraires, or à la lecture d'un pseudo passage du Journal des Goncourt qui relate des événements auquel il a participé : il constate que lui, ne sait pas observer... Il renonce à écrire et s'adonne à la frivolité : acceptation du temps perdu
3è acte , celui de la félicité : le narrateur est invité chez les Guermantes : il reçoit alors 3 signes, 3 chocs-souvenirs : les pavés, le bruit d'une cuiller sur un verre, le verre d’orangeade... Trois chocs-souvenirs : prise de conscience du bonheur total dans cette sorte de collusion du passé et du présent, félicité du temps retrouvé : victoire sur la mort ( sens de la vie qui rend la mort acceptable ) Décision : il va renoncer à la frivolité, il va se confier à une vie ascétique, s'enfermer et écrire et entretenir en lui cette félicité...
Dans l'acte d'écrire, le temps est retrouvé. Il sait que la soirée Guermantes sera la dernière soirée mondaine... (un peu comme, avant d'entrer dans les ordres ).
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Proust nous donne une leçon avec ces 3 épisodes autour de l'acte d'écrire. - Ecrire c'est poser une alternative radicale : abandonner toute frivolité pour écrire. - Ecrire c'est : être heureux... - Toute écriture est une anamnèse, c'est dégager un essentiel, c'est un retour vers le moi profond.
C'est une très belle lecture de Roland Barthes, que cette leçon que nous donne Proust ; et qui permet de faire un sort à cette mondanité reprochée comme un poncif à Proust.
Il s'agit simplement de l'existence dans le monde, dans un premier temps ; puis d'un retrait du monde, pour tenter d'atteindre un but ( un Graal) , à travers l'acte d'écrire, par exemple.
En septembre 1966, sur France Culture, la voix et les anecdotes livrées par la princesse Marthe Bibesco (1886-1973), amie de Proust, au micro de Claudine Chonez. ; rappelle à Lancelot, les épisodes d'une vie mondaine qu'a connue sa mère, Anne-Laure de Sallembier, à cette même époque :
Par exemple, ici : - En quoi la vie mondaine, contribue t-elle à la Quête … ? - La place qu'y tient l'Art : → Anne-Laure de Sallembier – La Quête et la vie mondaine - Les légendes du Graal (over-blog.net)
ou Proust et le Graal - Les légendes du Graal (over-blog.net)
N'est-ce pas le moment de se replonger dans cette Collection la Pléiade, où sont parus en 1954, 3 volumes d'À la recherche du temps perdu , préfacée par André Maurois, et les notes critiques de MM. Pierre Clarac et André Ferré... ?
Un volume de La Pléiade, n'est pas n'importe quel objet. J’ouvre ce livre, et ce n’est pas n’importe quel livre… Il tient - ouvert - dans la main, je feuillette délicatement les pages de papier bible. Elles sont délicates, elles glissent. Elles se caressent... A l'abri de regards, je plonge mon visage dans sa chair.
1966 – Le Structuralisme
Nous sommes en 1966, et vingt ans, déjà, se sont écoulés depuis la défaite allemande. Lancelot se souvient d'une époque où l'antifascisme couplé souvent à la Résistance, menait les intellectuels à valoriser l'engagement. Chacun affirmait sa manière d'être existentialiste.
Le communisme ne put que fléchir, après la désastreuse tentative de révolution à Budapest (1956). La France retrouvait la prospérité ; le général de Gaulle s'imposa (1958) et mit fin aux guerres coloniales (1962). Depuis, s'installe la société de consommation, qui semble bien nous démobiliser...
Quel engagement , peut-il être proposé aux jeunes générations, se demande Lancelot ?
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- Pour la plupart d'entre nous, nous ne pouvons qu'être amateur d’une science qui se fait dans des laboratoires, remarque Lancelot. Tout progresse très vite...
Elaine reconnaît que nous sommes incités à nous spécialiser, et peut-être à nous isoler
- Cependant je remarque, ajoute Elaine, que de nouvelles sciences - elles se revendiquent sciences humaines - s'interpellent les unes les autres, je pense à la linguistique, la sociologie, l'ethnologie, la psychanalyse...
- Qu'est-ce que cela change ?
- Par exemple : ce que tu voyais comme une '' vision historique '', celle qui te permettait de croire à la mythologie révolutionnaire; et bien, ce n'était peut-être que le résultat d'intérêts, de pulsions, de fonctions que nous pourrions aujourd'hui mettre à jour...
- Je crains qu'il ne s'agisse alors que de désacraliser l'action de l'Homme... Et dans quel but ?
Que vont devenir nos ''valeurs'' ? Faudra t-il les relativiser aussi … ?
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Lancelot apprend que cette vague qui risque d'emporter sa vision …. se nomme le ''Structuralisme ''
Ce nouveau savoir se veut cohérent, scientifique, indépendant du sujet...
Elaine lui rapporte qu'en cette année 1966-67, le livre phare serait ''Les mots et les choses '' de Michel Foucault.
Ce que Lancelot va retenir de la lecture de cet essai ''difficile'', est la notion d'épistémé, mise en avant par Foucault. Quand l'épistémologie étudie les sciences, elle établit une généalogie du savoir, donc le long de l'histoire. L'épistémé est cet ensemble de connaissances, à une époque donnée, défini en analysant la vision du monde, le système de pensée. Cela sous-tend une une contrainte structurelle du savoir.
Une amie de Lancelot ( Clémentine), philosophe, lui assure que c'est la publication de '' La Pensée Sauvage ''de Lévi-Strauss, en 1962, qui a donné « le coup de grâce » à l'existentialisme, à « l'humanisme mou » : « la raison passait du côté de la pensée sauvage », « il s'agit de remettre l'homme à sa place, non plus au centre de l'univers, mais comme maillon dans l'ensemble des conditions de la vie. Il s'agit de la déposséder de l'immense orgueil de la conscience. »
Lancelot note que, tout comme nous construisons de bien hauts HLM, peut-être nécessaires, nos penseurs, ethnologues, psychanalystes, historiens, imaginent des cathédrales de structures tout en rejetant la conscience, la liberté, l'idéalisme ...
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Ce qui étonne Lancelot, c'est la critique que fait Clémentine de l'humanisme. Je reprends ici, quelques-uns de ses arguments :
- La Raison, s'oppose à l'argument religieux de l'humanisme
- L'humanisme est centré sur l'Homme, contre les autres formes de vivant.
- La justice n'est pas affaire d'humanisme, mais de règles sociales. ( pas de charité, mais de la politique)
- La maladie, la souffrance, la mort, ne sont pas des chemins, mais des combats.
Au XXe siècle, l'humanisme est critiqué pour son anthropocentrisme, son optimisme ( surtout religieux).
A l'opposé, le Structuralisme rejette l'idée d'un individu autonome ; et se donne l'objectif de révéler les structures sous-jacentes qui organisent la pensée, le langage, la société...
Lancelot conclut en s'adressant à Elaine : - Si tu valorises l'Histoire, l'évolution personnelle... Le structuralisme, lui, rejette cette dimension historique : les relations entre les éléments priment sur leur évolution dans le temps...