1956 – Événements d'Algérie
Marcel Camus, qui a rejoint le mouvement des ''Libéraux d'Algérie'' lance à Alger, le 22 janvier 1956, un ''Appel pour une trêve civile''. Le mouvement dénonce le comportement méprisant de l'ensemble de la population européenne à l'égard des musulmans. Le courant chrétien progressiste, ( avec l'archevêque d'Alger Monseigneur Duval ) le rejoint. Malheureusement s’enchaînent des réactions de haine, jusque dans la presse locale, de la part des opposants.
Une semaine après l'appel de Camus, à Paris, salle Wagram, un « Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre », le 27 janvier 56, représenté par Jean-Paul Sartre, André Mandouze notamment, reconnaît l’existence de la « Nation algérienne » et organise en France le soutien militant à une « résistance » identifiée au seul Front de libération nationale (FLN).
Lancelot, en curieux, se rend au meeting du 27, salle Wagram, il y croise Edgar Morin qui lui explique que le Comité est déchiré par l'opposition entre pro-FLN et défenseurs de Messali Hadj, fondateur du Mouvement national algérien (MNA) ; et lui fait part de ses réticences à l'égard du Front.
Les événements d'Algérie vont occuper toute l'attention des présidents du Conseil ; ce qui ne va pas empêcher la dérive militariste qui finira même par s'affranchir du pouvoir civil – le 22 octobre 1956, l'armée arraisonne sans ordre du gouvernement l'avion transportant Ben Bella et quatre autres dirigeants du FLN.
Guy Mollet fait en Algérie la politique inverse de celle que Mendès avait préconisée. Mal reçu en Algérie sous une pluie de tomates, Guy Mollet nomme ministre résident Robert Lacoste pour en finir avec une « guerre imbécile ». Fin 1956, Lacoste va ordonner au général Massu, commandant de la 10e division aéroportée, de ''pacifier'' Alger ; tandis que la France s'engage dans une nouvelle crise, celle du '' Canal de Suez ''.
En lecteur de l'Express, Lancelot semble avoir des difficultés à prendre position. Peut-être est-il aussi sensible à cette dénonciation d'un « nouvel impérialisme arabe, dont l’Egypte, présumant de ses forces, prétend prendre la tête et que, pour le moment la Russie utilise à des fins de stratégie antioccidentale. » ( Camus, dans l'Express ). Les arabes d'Algérie seraient manipulés, les ''pieds noirs'' seraient des victimes collatérales d'une mauvaise administration, que d'autres appellent un système colonialiste.
Lancelot pense aussi à René Guénon, arrivé au Caire en 1930, et mort en 1951 en Égypte ; à Massignon qui y a étudié l'islam, et se bat toujours pour l'amitié christiano-musulmane. En témoignage de cette fraternité, il a créé - le 25 juillet 1954 - avec Lounis Mahfoud, le pèlerinage des Sept Dormants en Bretagne, qui se renouvelle depuis chaque année.
Rappel: 1956
Le 6 février : Mollet est accueilli à Alger par de vives manifestations d’hostilité.
Du 23 octobre au 10 novembre 1956 : insurrection à Budapest ( Hongrie) - Le 4 novembre, une importante armée soviétique envahit Budapest et les autres régions du pays.
Du 29 octobre au 7 nov. : intervention franco-britannique en Égypte (crise et guerre de Suez)
1956 – Elections
Lancelot se dit déçu, le 5 février 1955, de cette continuelle instabilité ministérielle. Le gouvernement de Pierre Mendès France aura tenu deux cent trente jours. Il faut attendre le 23 février pour qu'Edgar Faure soit investit. Nous sentons à présent qu'une crise est latente ; elle se nourrit de la ''question algérienne'' et de l'instabilité politique.
Déjà lors de cette Toussaint sanglante de 1954, une série d'attentats sont perpétrés sur le territoire de la République, en Algérie, par des fellagas et dit-on par des éléments étrangers tunisiens ou égyptiens … Mauriac dira dans son ''Bloc-Notes'' « la guerre d'Algérie commence. ». Le peuple algérien en appelle à des réformes de structure.
Et pour la politique : « Nous avons vu de nos yeux les horreurs du fascisme et nous redoutons le carcan concentrationnaire; mais la démocratie telle que nous la pratiquons, à quoi bon se boucher les yeux? C'est la décomposition ininterrompue, c'est la mort lente » ( Mauriac, Bloc-Notes)
Pierre Mendès France a fait la paix en Indochine et en Tunisie en 1954, Edgar Faure a réussi à ramener le calme au Maroc en 1955. En 1956, réussirons-nous à ramener la paix républicaine française en Algérie ?
En décembre 1955, la crise politique qui couvait, produit la dissolution de l'Assemblée Nationale, deux jours après que le gouvernement Edgar Faure ait été renversé par un vote de l'assemblée .
Le conseil des ministres dissout l'assemblée nationale, contre l'avis du Président René Coty.
Lancelot assiste à de nombreuses fractures aussi bien dans le parti radical que dans le paysage politique français.
Quinze gouvernements vont se succéder de 1950 à 1958 ( dont six entre juin 1957 et juin 1958 !)
De plus, le ''régime des partis'' pousse le travail de l'administration à ses limites. Le manque de solidarité ministérielle, les fuites, sont exacerbés par l'emprise de la presse toujours à l’affût de nouvelles péripéties. Chacun se plaint du sens perdu de l'Etat, et de la difficile continuité du service.
Il reste également, en sourdine, le ressentiment d'une très légère épuration, à la fin de la guerre, parmi la haute administration ; de nombreux directeurs ont servi, jusqu'au bout, Vichy.
Par contre, depuis le statut de 1946, le fonctionnaire titulaire de son grade, ne dépend plus du pouvoir politique.
De nombreux jeunes administrateurs investissent les ministères et vont modifier les méthodes, et améliorer les conditions de travail. Les bureaux étaient surpeuplés, un seul appareil téléphonique pour trois ou quatre personnes, juché sur un bras mobile métallique qui tourne ; pas de ligne directe, cela oblige à passer d'un standard à un autre standard... Un pool dactylographique ne délivre une sténodactylo que pour une vingtaine de minutes, pour n'obtenir la note qu'une demi-journée plus tard...
La dissolution de l'Assemblée nationale a été très critiquée par les ''mendésistes'', qui représentent l'aile gauche du parti radical. Pour ces élections législatives du 2 janvier 56, ils vont s'allier avec la SFIO, des gaullistes (républicains sociaux) et l'UDSR ( Mitterrand) , et se regrouper pour former un Front Républicain, constitué à l’initiative de Pierre Mendès France. Ce ''Front'' s'oppose au centre droit d'Edgar Faure et d'Antoine Pinay, au PCF et au tout nouveau mouvement poujadiste.
Pierre Poujade, est libraire-papetier à Saint-Céré dans le Lot, il a créé en 53, un mouvement de défense des commerçants, qui rapidement après s'en être pris aux '' contrôles fiscaux'' reprend des thèmes comme l'antiparlementarisme, le nationalisme et l'Algérie aux français, et même l'antisémitisme, pour se présenter aux élections.
Edgar Faure est exclu du Parti radical le 1er décembre 1955 : « J’ai été en l’espace de 24 heures renversé, dissout et exclu ». Il se présente sous une nouvelle étiquette (RGR).
Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans son éditorial de l'Express du 30 décembre 1955 ( créé en 1953, il a accueilli François Mauriac et son 'Bloc-Notes', puis en 1955-56, Albert Camus ) appelle au retour de Mendès.
À Alger, les ultras de l'Algérie française se mobilisent violemment aux cris de « À bas Mendès ! »
Aux élections du 2 janvier 1956, les listes sous l'étiquette "Front républicain" obtiennent près de 28% des voix et 172 sur 594 sièges à l'Assemblée. La droite parlementaire regroupée obtient plus de 30% et 214 députés. Le Parti communiste, 26% et 150 élus. La surprise vient avec le mouvement de Poujade, et ses 13%, il conquiert 52 sièges. Parmi les députés poujadistes, Jean-Marie Le Pen, le plus jeune député de France.
On s'attend à ce que Mendès forme un nouveau gouvernement et prenne des initiatives sur la question algérienne. Le président René Coty, par excès de prudence et afin de continuer la construction européenne, choisit de confier la présidence du Conseil au dirigeant socialiste Guy Mollet.
1950 - Henri-Irénée Marrou (1904-1977)
Lancelot passe beaucoup plus de temps dans les couloirs et les bureaux des ministères à Paris, qu'au Vatican. L'année 1956 est assez particulière, en ce que la fébrilité qui s'empare des politiques amène Lancelot à répondre à de multiples sollicitations.
La présence intellectuelle d'Henri Marrou va beaucoup l'aider. J'ai déjà fait état de la rencontre de Lancelot avec Henri-Irénée Marrou (1904-1977), à Lyon en 1942, proche de Mounier et de ''Témoignage Chrétien''. J'ai cité l'une d'entre nombreuses discussions sur l'histoire et le christianisme dans l'antiquité tardive... En 1955, Lancelot et Henri Marrou se croisent dans le cadre de la revue ''Esprit'', et Lancelot sollicite souvent son avis sur l'actualité.
Henri Marrou occupe la chaire d'histoire du christianisme à la Sorbonne depuis 1945. Emmanuel Mounier lui a proposé de le rejoindre aux ''Murs blancs'' dans la banlieue sud de Paris. Il s'agit de deux maisons bourgeoises divisées en appartements à Chatenay-Malabry, dans un grand parc, où vont se côtoyer les familles Mounier, Marrou, Baboulène ; les Domenach, les Fraisse et les Ricoeur ( le derniers en 1957). Chacun est indépendant, mais participe à une vie communautaire.
Simone Fraisse est agrégée de lettres et spécialiste des œuvres de Simone Weil ; Jean-Marie Domenach, est un intellectuel et journaliste engagé, et sa femme, Nicole, professeure à l’école d’arts appliqués Estienne ; Jean Baboulène est à ''Esprit'' comme tous, et secrétaire général de la Jec, directeur de Témoignage chrétien jusqu’en 1949.
Lancelot apprécie beaucoup de passer aux 'Murs Blancs ', en particulier pour y rencontrer Henri Marrou, sa femme Jeanne, et parce qu'il est très intéressé par sa réflexion sur l'Histoire; elle est une constante question, il la nomme « l'histoire-questions » ; et l'Histoire est une rencontre, elle est dit-il « une rencontre d'autrui » et, même « un mixte indissoluble du sujet et de l'objet ».
Pour Marrou, le sujet du Graal est « l'un des plus beaux que présente le moyen âge occidental. ». Il le rapproche volontiers d'une réflexion sur l'histoire des religions, en commençant par l'exploration des vieilles croyances celtiques, jusqu'à l'eucharistie chrétienne. Nous sommes confronté également, dit-il, à la transmission de la légende : par quels moyens est-elle parvenue à la connaissance des auteurs médiévaux ? Comment a travaillé Chrétien de Troyes, sur quels documents ? Cette '' Matière de Bretagne'' est bien originale, dans sa '' Merveille '' qui n'est ni grecque, ni romaine, ni slave...
- Ne trouve t-elle pas ses origines « dans le sol même de la Bretagne, de la vieille Bretagne celtique. » ?
- Oui, sans-doute ; mais il faudrait faire le ménage de beaucoup d'hypothèses fantaisistes... et je pense à celle du catharisme.
Un livre récent de Jean Marx, sur ce thème, est assez éclairant. Bien sûr, il privilégie l'arrière-plan celtique pour expliquer l'ossature de la légende.
Si Lancelot ne nie pas l'origine celtique de la Légende, il estime fondamental de ne pas occulter la transcription catholique de la légende et sa perpétuation à partir d'un environnement médiéval. Car enfin, pour nous, le Graal prend corps à cette période de notre histoire !
S'amusant un peu ; de l'identification de Lancelot à la quête de son personnage emblématique ; Henri Marrou pointe dans la recherche historique une fonction libératrice, aussi bien pour la société que pour l'individu.
- Vous ne croyez-donc pas à la l'objectivité et l’exhaustivité des historiens ?
- Non... L'historien n’appréhende pas le passé directement, mais à travers lui-même et son propre présent.
- On ne peut pas parler de ''vérité historique'' ?
- Cette vérité se cherche et se construit, avec à mon sens, d'autant plus de justesse que nous connaissons ce qui fait la spécificité d'une époque et « ce principe de la différence des temps », pour éviter l'anachronisme.
Pour se faire comprendre du plus grand nombre, l'historien ne craint pas d'utiliser ce que Augustin Thierry nommait au XIXe s. « la puissance de l'analogie », avec ses limites... Attention à l'anachronisme !
Lancelot ne manque pas d'évoquer son arrière grand-père Charles-Louis de Chateauneuf qui connaissait bien Augustin Thierry (1795-1856), et il notait combien cet historien s'était nourri des romans de Walter Scott. Dans son travail, il faisait la place aux légendes, à l'imaginaire...
Bien sûr, Thierry revenait aux sources, aux textes originaux et aussi aux poésies populaires ; il aimait retrouvait le vieux langage français. Il disait s'intéresser plus aux vaincus qu'aux vainqueurs, à la différence du XVIIIe s. pendant lequel l'historien était au service du ''Prince''. Il pensait qu'il revenait à l'historien de faire revivre par son style les individus et les peuples disparus : « II faut pénétrer jusqu'aux hommes, à travers la distance des siècles, il faut se les représenter vivants et agissants sur le pays où la poussière de leurs os ne se retrouverait pas même aujourd'hui... (…) Que l'imagination du lecteur s'y attache ; qu'elle repeuple la vieille Angleterre de ses envahisseurs et de ses vaincus du XIe siècle ; qu'elle se figure leurs situations, leurs intérêts, leur langage divers, la joie et l'insolence des uns, la misère et la terreur des autres, tout le mouvement qui accompagne la guerre à mort de deux grandes masses d'hommes. »
Henri-Marrou ( ancien ''tala'' de l'Ecole Normale) se définit comme catholique, spécialiste de Saint-Augustin, lecteur de Cassien ( IVe s.) et du frère carme Laurent de la Résurrection ( XVIIe s.) ; et passionné par l’œuvre de Teilhard de Chardin, qu'il avait rencontré étudiant, lors de réunions du groupe « tala » de la rue de Grenelle.
Marrou dit qu'il prie, depuis, avec une vision christocentrique du monde : « Aidez-moi Seigneur à me dégager par ascèse de la gangue inerte de mon cœur et que je puisse travailler avec vous, Christ, à réconcilier toutes choses avec le Père » (...). « sentir avec l’Église, mais aussi sentir avec le monde. »
1955 - Les Manuscrits de Qumran
Edmund Wilson passe abruptement à son sujet d'intérêt, sans en avoir averti le cardinal Tisserant..
- Depuis 1947, époque où on découvrit un fabuleux trésor de manuscrits de l'époque du Christ, n'est-ce pas le silence du Vatican qui fait le plus de bruit...?
- Ah! J'avais oublié que vous étiez aussi journaliste au New Yorker! !
- Rien n'est caché. Le travail autour de ces confettis de parchemin nécessite de la minutie et du temps...
Qumran et les grottes sont sur le territoire jordanien, et les chercheurs juifs ne sont pas autorisés. C'est le père Roland de Vaux, dominicain, qui a constitué l'équipe et a toute autorité sur les recherches, et l'édition...
Entre 1947 et 1955, parmi la centaine de grottes visitées, onze révèlent leurs secrets, mettant au jour quelque 900 manuscrits…
Cependant, Eleazar Sukenik de l’Université hébraïque de Jérusalem, est parvenu à acquérir des fragments importants de rouleaux dont celui d'Isaïe.
Tisserant dit que, à sa connaissance, aucun texte du Nouveau Testament n'est présent dans les jarres de Qumran et que rien n'y parle de Jésus de Nazareth.
Wilson répond que l’épigraphiste français André Dupont-Sommer, dès 1950, compare Jésus avec ce fameux “Maître de justice” dont parlent les textes sans jamais le nommer.
Jésus de Nazareth ne pourrait-il pas être passé par Qumran ?
Tisserant s'en tient à ce qu'en disent plusieurs spécialiste, à savoir que Qumran devait être le lieu de vie d'une secte juive monastique, les esséniens qui y rédigèrent les manuscrits. Cette idée a été avancée très tôt par le père de Vaux.
- Oui, mais faut-il faire alors de Jésus un essénien et du christianisme "un essénisme qui a largement réussi" selon la formule de Renan ?
C'est ce que le professeur John Marco Allegro (1923-1988), philologue, docteur d’Oxford, vient de soutenir lors d'entretiens radiophoniques qu’il a donnés à la BBC.
Tisserant, note que le Times, en effet, a relevé cette polémique... Et que Dupont-Sommer, lui-même, qui avait jusque-là considéré Allegro comme un excellent collègue, n’avait eu, consterné, qu’un jugement bref : « Allegro est devenu fou ! »
Allegro est le seul agnostique de l’équipe internationale, il est renommé pour son anticonformisme.
- Vous soulignez, qu'Allegro est non-croyant, cela a donc son importance ?
- Oui, répond le cardinal. C'est important, parce que cela concerne les Ecritures. L'encyclique donnée à Rome le 30 septembre 1943, par le Saint-Père, Divino afflante Spiritu, réaffirme l'inspiration divine des Écritures, il cite saint Augustin pour faire valoir que la méthode historico-critique peut être acceptable lorsqu'elle est nourrie par une grande foi en l'Esprit Saint. Le Saint-Père, souligne aussi que les Ecriture sont une Parole vivante, et rappelle la méthode des quatre sens de l'Écriture ( des Pères de l'Eglise) est recommandée pour mieux saisir le sens littéral et le sens spirituel de l'Écriture.
Le Père de Vaux assume cette responsabilité, quand il s'agit de questions aux implications importantes pour l'Église; certaines hypothèses formulées à partir des données de Qumran sont précisément jugées susceptibles de le faire.
Le travail de tout bibliste doit être guidé et déterminé par la doctrine de l'Église...
1955 La Terre Sainte, l'Etat d'Israël et la Palestine.
Lancelot réussit à obtenir, pour Edmund Wilson qu'il va accompagner, un entretien avec le cardinal Tisserant. Officiellement, il s'agit d'entretenir le Préfet de la Congrégation pour les Eglises d’Orient, sur la situation des catholiques en Israël.
Le cardinal tient - sitôt les présentations, avec les questions du cardinal sur la carrière de Wilson – à présenter la situation de ce qu'il appelle la ''Terre Sainte'', et non Israël.
Il rappelle la fondation du royaume de Jérusalem, le jour de Noël 1100, suite aux croisades. Saladin qui prend Jérusalem en 1187. En 1229, l’empereur du Saint Empire romain germanique, Frederick II, réussit à négocier le retour de Jérusalem, Nazareth et Bethléem dans le royaume latin. Finalement, en 1244, les Ayyoubides rétablissent définitivement la souveraineté musulmane sur Jérusalem.
Cependant depuis 1535, lorsque François 1er signe les premières capitulations ( possessions en Terre Sainte) avec le Sultan Soliman le Magnifique ; la France possède un patrimoine religieux et la religion catholique est protégée.
Après la première guerre mondiale, l'empire britannique évince l'empire ottoman qui a duré plus de six siècles. La Terre sainte n'est pas restituée à la Turquie, et la SDN attribue au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine.
Wilson se demande si ce n'est pas là que vont commencer les ennuis.
Vous connaissez sans-doute l'histoire tragique de Thomas Edward Lawrence (1888-1935), plus connu sous le nom de « Lawrence d'Arabie » qui disait vouloir donner l'indépendance aux arabes et créer un Empire allant de l’Egypte à la Mésopotamie. Dans cet objectif, il s’assure de la participation à la guerre de Hussein Ibn Ali, le chérif de la Mecque et roi du Hedjaz, et de son fils Fayçal afin de les inciter à la révolte contre les Ottomans...
Lors de la Conférence de la paix ( à Paris en 1919) la délégation arabe n’obtient rien, la France et la Grande-Bretagne deviennent puissances mandataires, la première en Syrie et au Liban, la seconde en Palestine, Transjordanie et Irak.
Fayçal, craint s'être fait manipuler par l'agent secret britannique Lawrence... - Je pense, dit Wilson, que les Britanniques n'ont pas honorer leurs promesses.
- Peut-être, répond Tisserant, d’autant que les puissances victorieuses ont décidé le démembrement de l’Empire ottoman ; et lors de la déclaration Balfour ( Nov 1917) ont promis aux Sionistes de soutenir la création d’un foyer national juif en Palestine.
Ensuite, le cardinal Tisserant rappelle la position du Saint-Siège, en 1921-22 (cf la lettre du cardinal Gasparri du 15 mai 1922) : les juifs en Palestine doivent avoir des droits civils égaux à ceux dont jouissent les autres nationalités et confessions, ils ne peuvent disposer d’une position privilégiée et dominante . En ce qui concerne les Lieux saints, le Vatican propose leur internationalisation.
- Voulez-vous dire que le Saint-Siège est alors opposé à un foyer national juif ?
- Exactement ; d'ailleurs n'oubliez pas que les chrétiens palestiniens étaient bien représentés dans le mouvement national arabe, et soutenus par le Saint-Siège...
En 1947, le Vatican est plus prudent, il reste hostile au projet d’Etat juif mais aussi à un vaste Etat unitaire arabe au Proche-Orient ; et surtout rappelle les droits de l’Église Catholique en Terre Sainte.
Pie XII, a dénoncé l'épuration ethnique consistant à chasser de nombreux arabes de leur terre et leur maison et repris le terme de ''Nakba'' ( terme arabe signifiant « catastrophe »).
Lancelot reconnaît que la légitimité politique et théologique du nouvel état d'Israël pose en France beaucoup de questions. Emmanuel Mounier, et Mauriac ont exprimé leur sympathie sioniste ; mais Louis Massignon parle d'imposture de l'Histoire. La France a attendu un an, et a reconnu Israël après avoir eu l'assurance de la protection des Lieux saints et des établissements français.
Le cardinal rappelle aussi que si l’État israélien a rejoint l’ONU en mai 1949. En revanche, la Palestine n'a toujours pas pu le faire... Jusqu'à quand ?
Les découvertes des manuscrits de Qumran
La Cité du Vatican est un espace propice aux rencontres les plus diverses dans le cadre religieux. En 1955, Lancelot est harponné par un américain, et intimidé au premier abord par le physique et les propos du personnage. L'homme, de tradition presbytérienne mais qui se dit agnostique, recherche un allié pour rencontrer quelques dignitaires de l’Église catholique et les interroger sur les découvertes récentes de Manuscrits dans la région de la Mer Morte.
Lancelot va expérimenter les longues discussions autour des nombreux verres d'alcool consommées par cette personnalité que Lancelot découvre, mais qui est célèbre et reconnue aux Etats-Unis. Son nom : Edmund Wilson (1895-1972), romancier, critique littéraire et curieux de tout, et donc, dit-il pour résumer: journaliste. Son modèle : un français, Sainte-Beuve. Sa culture émerveille Lancelot.
Il parle le français, l’italien, l’allemand, le russe cyrillique, il lit le latin et le grec. Il commence l'étude de l'hébreu.
Lancelot apprendra aussi, que Wilson est celui qui a découvert Hemingway, mais aussi Joyce, Eliot et Gertrude Stein; qu'il a présenté Valéry et Proust à l'Amérique; puis soutenu la réputation de Scott Fitzgerald dans les années 1940 et lancé la carrière de Vladimir Nabokov en Amérique.
Le 23 mars 1954, Wilson atterrit à Haïfa. Il est - à l'aéroport - impressionné par l'accueil enthousiaste réservé aux nouveaux immigrants.
Son objectif est de rencontrer des érudits et des archéologues, des religieux et des sceptiques au sujet des révélations induites par la lecture des ''manuscrits de la Mer Morte''. Entre conversations et interviews, il se rend à Jérusalem, il est rebuté par le triste état de l'Église du Saint-Sépulcre.
Il raconte sa traversée du quartier haredi de Méa Shearim, l'un des premiers quartier juif de Jérusalem construit autour de 1870. Repris par Israël, en 1948, aujourd'hui n'y vivent majoritairement que des juifs orthodoxes, des haredim. La vieille ville est aux mains des arabes ( sous contrôle jordanien), les juifs chassés et les synagogues détruites.
Il voyage en Transjordanie, à Tibériade et visite les Samaritains presque disparus.
Notes : 1949- Le Royaume de Jordanie, est le nouveau nom de la Transjordanie, Jérusalem est le centre religieux du royaume, et Amman la capitale. L'annexion ne provoque pas de réaction de la part des arabes déplacés et réfugiés, suite à la création de l'état d'Israël en 1948. (La «Nakba» ou la «catastrophe» fait référence à l'exode forcé de ces Palestiniens en 1948 - mais en ces années 50, on n'utilisait pas le mot de palestiniens, mais ceux d'arabes ''réfugiés'' ou de ''déplacés''). Pas de réaction non plus des pays arabes ou de l'ONU. Gaza est occupé par les Égyptiens.
L'émoi qu'a suscité la publication de ses articles dans The New Yorker, l'amène à la rédaction d'un livre, pour lequel il ne lui manque plus que les réactions de la hiérarchie catholique, étrangement silencieuse jusqu'à présent...
C'est en 1947, que les premiers manuscrits de Qumran ( aujourd'hui en Cisjordanie) apparurent sur le marché. Ils s'étaient conservés pendant des siècles, en cuir, en papyrus, un seul sur feuille de cuivre, enveloppés de lin et scellés dans de hautes jarres, dans des grottes du désert de Judée à l’ouest de la mer Morte. Dans les années 50, Qumran est en territoire jordanien.
Du négociant au supérieur du couvent Saint-Marc à Jérusalem, les premiers fragments de parchemins vont être achetés par le professeur Éléazar Sukenik de l’Université hébraïque de Jérusalem ; après avoir été examinés par des chercheurs américains ( Brownlee et Trever) qui décelèrent l'importance de la découverte.
Les revues spécialisées répandent la nouvelle : '' dans la région de la mer Morte, des manuscrits bibliques d'avant, ou près de la naissance du Christ ont été découverts.'' !
A la fin du mandat britannique, la création de l’État d'Israël ( 14 mai 1948) entraînait la guerre en Palestine. Début 1949, elle prit fin officiellement. La Cisjordanie et Jérusalem-Est ont été annexées par le royaume de Jordanie.
Roland de Vaux (1903-1971), dominicain, alors directeur de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem, est chargé des fouilles du site ainsi que des grottes voisines, et de la publication des rouleaux et des fragments découverts.
Entre 1947 et 1955, parmi la centaine de grottes visitées, onze révèlent leurs secrets : 800 manuscrits, qu'il sera nécessaire de reconstituer à la façon de mosaïques, un travail de patience infinie.
Janvier 1951, le professeur Libby de l'institut d'études nucléaires de Chicago, détermine, au moyen du test du carbone 14, l'âge des manuscrits qui dateraient de la période située de 167 avant à 233 après J.C..
La thèse la plus courante est de dire que ces manuscrits ont été rédigés par les esséniens, une secte juive qui vivait à Qumran.
Des spécialistes pensent qu'ils ont été écrits dans une localité voisine dont les ruines sont nommées Qumrân. D'autres avancent qu'ils pourraient venir de Jérusalem, puis cachés à Qumrân pour la protéger des Romains quand ils attaquèrent la ville, et finirent par la détruire en l'an 70 de l'ère chrétienne.
Les questions que nous nous posons actuellement (1955) est la signification de ces textes, et leur implication dans nos connaissances historiques dans une période fondamentale aussi bien pour le judaïsme, que pour le christianisme naissant.
En hébreu, nous n'avons pas de manuscrits de cette époque.
Les journaux, les magazines, titrent sur ces questions : « Jésus était-il un essénien ? », « le christianisme est-il réfuté ? ». Les sources nouvelles confirment-elles la Tradition de l'Eglise, en particulier ses dogmes ?
Le silence officiel concernant ces découvertes, renforce le sentiment d'un complot organisé par le Vatican, qui tiendrait à occulter certains textes...!