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Montsalvat - le Graal sur fond de Croisade
Je ne peux m'éloigner des années 60, sans évoquer le thème des ''Cathares '' qui fut l'occasion d'un voyage mémorable de Lancelot et d'Elaine sur les terres de l'hérésie albigeoise, en 1967, je crois, avec en main le livre de Michel Roquebert, ''Citadelles du vertige ''.
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Anne-Laure, la mère de Lancelot, vouait à Pierre Benoît (1886-1962), une admiration littéraire sans bornes. Bien qu'elle lusse tous ses ouvrages, bien qu'il eut affiché des convictions royalistes (mais pas orléanistes comme la comtesse de Sallembier), et bien qu'elle eut à le croiser souvent, elle s'en était tenue éloignée du fait d'une certaine mauvaise réputation.
Lancelot, grand lecteur de ses œuvres également - au point que ma sœur Axelle se nomma comme l'une de ses héroïnes ( toutes ''en A'' ) – observa pendant l'Occupation, sa présence régulière aux dîners de l'ambassade d'Allemagne pendant la guerre, et son appartenance au comité d'honneur du '' Groupe Collaboration'' alors qu'il refusait, il est vrai, bien d'autres compromissions avec le régime de Vichy...
Pierre Benoît fut un grand écrivain, au succès considérable, avec des titres comme, Kœnigsmark qui fut choisi, en 1953, pour être le N°1, à la création du Livre de poche.
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En 1957, à l'occasion de son 40ème roman, Montsalvat, Pierre Benoît fête son cinq millionième livre vendu.
Montsalvat, de par son thème fit partie de l'immense collection de livres que nous entretenons autour du Graal. Pour ma part, sa lecture suivait celle d'un autre roman, de Zoé Oldenbourg, La pierre angulaire, chronique de trois générations à l'époque médiévale dont une partie emprunte les routes du Languedoc dévasté par la Croisade des Albigeois... Nous étions alors, juste avant la vague qui allait promouvoir les cathares comme les héros d'une grande cause occitane.
Le roman de Pierre Benoît se déroule pendant l'Occupation allemande en France en 1943.
Dans un train pour Montpellier, à côté d'un compartiment '' réservé aux officiers de la Wehrmacht '', se rencontrent un homme et une femme qui lisent le même ouvrage: un ouvrage allemand d'Otto Rahn ( Kreuzag Gegen Gral), dans une traduction française au titre '' Croisade contre le Graal''.
Ils se sont sans-doute déjà rencontrés à la faculté de Lettres, car elle le reconnaît. François Sevestre achève une thèse sur les Albigeois, et la jeune femme se nomme Alcyone de Pérella, Alcyone, du nom d'une jeune fille transformée par Junon en colombe, et de Pérella, pour le seigneur cathare de Montségur, condamné et exécuté comme hérétique au XIIIe siècle, dont elle est une descendante.
* N'existe t-il pas, selon un vers wagnérien, « une colombe … vient tous les ans lui rendre sa splendeur. C'est le Saint-Graal... » ?
* Je rappelle que ''Perceval ou le conte du Graal '' de Chrétien de Troyes date de 1183, avec ses continuations à partir de 1210.
La relique si mystérieuse est évoquée à travers le récit de la croisade contre les albigeois, de l'histoire de châteaux ou refuges pouvant Le cacher. Et donc aussi, à la recherche de Montsalvat...
* Dans le ''Lohengrin'' (1850) : Lohengrin révèle à Elsa qu’il vient d’un château nommé Montsalvat où se trouve le Saint Graal dont son père, le roi Parsifal, est le gardien.
Montsalvat, ne serait-ce pas : Montserrat, Montségur, ou simplement Montsalvy ?
Le nœud de l'intrigue se situe ici, à Montsalvy, « chef lieu de canton de 800 habitants, qui domine la vallée de la Truyère, au-dessus d'Entraygues, à une quarantaine de kilomètres d'Aurillac. », où se rend chaque semaine Alcyone.
Fin décembre; ils se rendent tous deux à Montsalvy - de Montpellier, après « le terrible plateau de La Cavalerie », Millau, Estaing - au seuil de l'Auvergne. C'est là, dans ce château où Alcyone a grandi, que vit encore sa mère, et pour l'heure, une garnison de soldats allemands.
Deux officiers sont à la recherche du Graal : le major Cassius, un antiquaire dans le civil, et le lieutenant Karlenheim, un ancien moine visiblement amoureux d'Alcyone. Ils prennent chaque jour de mystérieuses mesures dans une des salles du château, en suivant l'évolution du soleil.
Je passe sur le contexte familial de François, qui lui permet avec Alcyone, de faire équipe, autour de l'histoire du Graal, et de la recherche de ses refuges successifs.
Le lieutenant Karlenheim est tué par des maquisards. Il laisse des papiers personnels pour Alcyone, fruits de ses recherches sur le Graal.
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Après leur retour à Montpellier, François et Alcyone se retrouvent pour un départ de Lavelanet, traversée de Villeneuve-d'Olmes, puis Montferrier; et dans la nuit, sous la neige, la montée vers une forteresse appelée le Temple de la Lumière, Montségur. Dans la salle d'honneur, ils attendent un mince rayon d'or du soleil levant, qui apparaît jusqu'à désigner, gravé sur la muraille, '' une roue dentée d'un pouce de diamètre''...
Après Tarascon sur Ariège, ils passent à Lombrives dans une grotte ''macabre'', toujours pour remémorer l'itinéraire qu'a emprunté la Sainte relique, après son arrivée en Gaule apportée de Césarée de Palestine par Joseph d'Arimathie. Avant Montserrat, ils font halte à Queribus... A Granollers, ils apprennent l'accident de voiture subi par l'officier allemand Cassius sur la route de Montserrat. A l'hôpital de Sabadell, le major confie à Alcyone qu'il sait où se trouve le Graal, et avant de mourir, lui révèle « l'endroit exact qui recèle la coupe d'émeraude de Joseph d'Arimathie. »
Je ne vais pas révéler la fin de cette Quête, qui ne s'achève pas en Espagne....
Je vais juste reprendre les lieux du Graal – selon Pierre Benoît - qu'évoque Alcyone en commençant par Montsalvy, fief des Pérella comme gardiens du Graal, de la fin du VIIIe s. à 1204. De 1204 à 1244, Il sera à Montségur, d'où « le Graal s'en va chercher refuge à la cathédrale souterraine de Lombrives. Lombrives, où il demeurera jusqu'en 1328, date de la défaite définitive de l'Hérésie et de la victoire de l'inquisition. »
« A partir de cette date, ce ne sont plus les Sectateurs de l'Emeraude palestinienne chez qui elle trouve son plus sûr asile, mais bel et bien l'Eglise Catholique.... » avec Montserrat, et '' peut-être '' le monastère de San Juan de la Pena, puis la cathédrale de Valence, possibilités que semble ne pas approuver Alcyone.
Pierre Benoît n'a pas craint d'ajouter ses propres inventions à la légende des lieux qui auraient abrité le Graal... Je regrette, dans ma lecture, que le romanesque ait pris le pas sur l'Histoire, en particulier celle des Cathares...
Le Graal, ça n'existe pas ! 7
Il n'est pas déraisonnable de penser que différents ''modes d'existence '' puissent s'interpénétrer, ce serait même une possibilité que nous offre l'anthropologie humaine telle que je la conçois. J'y viendrai après avoir repris les ouvertures proposées par Whitehead et Uexküll, dans le cadre d'un mode d'existence scientifique.
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Nous connaissons depuis le XXème siècle, un changement de paradigme ( = cadre conceptuel, grille de lecture qui structurent notre compréhension...) qui remet en cause une science ''mécaniste'', celle du XVIIe s. de Kepler, Descartes, Newton... Une vision de l'Univers qui reposait sur une machine gouvernée par des lois éternelles données par le Grand Architecte, Dieu. L'humain, seul possédait une ''âme''. Les deux modes d'existence, spirituel et matériel, étaient séparés; au point même de s'ignorer.
Elaine nous rappellerait qu'avant d'être ''moderne'', nous nous représentions l'Univers comme un organisme vivant. La Nature était vivante.
Ensuite, nous sommes passés de la métaphore de l'organisme à celles de la machine, écoutons Johannes Kepler en 1605: « Mon but est de montrer que la machinerie céleste doit être comparée non pas à un organisme divin, mais à une horloge. ( …) De plus, je montrerai comment cette conception purement physique peut être soutenue par le calcul et la géométrie. ».
A la fin d'un XIXe siècle scientiste, Lord Kelvin pensait que la science avait déjà découvert la plupart des lois fondamentales de la nature et que les découvertes futures consisteraient principalement à affiner les constantes et à perfectionner les applications. Le physicien Albert Michelson écrivait en 1903: « Les lois et les faits fondamentaux les plus importants de la science physique ont tous été découverts, et ceux-ci sont si fermement établis que la possibilité qu’ils aient jamais été supplantés à la suite de nouvelles découvertes est extrêmement éloignée. »
Erreur ! En 1915, Albert Einstein a introduit la relativité générale, une théorie révolutionnaire de la gravitation. Puis la mécanique quantique proposait des concepts contre-intuitifs comme la dualité onde-particule et l'incertitude de Heisenberg. La découverte de l'ADN, ouvrait la voie à la biologie moléculaire et à la génétique moderne.
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Une théorie qui unifierait relativité, quantique, c'est-à-dire les quatre forces fondamentales ( la gravité, l'électromagnétisme, l'interaction faible et l'interaction forte ) devrait intégrer différentes dimensions de la réalité.
Le vivant, à la différence d'une machine, est créatif. Il s'adapte à son environnement, il grandit et forme de nouvelles structures. L'approche mécaniste, tente d'expliquer le tout par les parties; ce qui finalement consiste à détruire ce qui faisait de l'organisme, un être vivant. La nature, par évolution créative, forme des entités plus grandes que la somme de leurs parties.
Selon Whitehead « la biologie est l'étude des grands organismes, et la physique celle des petits. », et de grands comme les planètes, les galaxies... L'Univers est un organisme !
Bien d'autres questions restent encore posées aux scientifiques, qui peuvent faire évoluer nos représentations..: Comment s'applique la loi de conservation à la matière noire, à l'énergie noire...? Que penser de la création continue d'énergie noire, proportionnelle à l'expansion de l'Univers? Quelle quantité d'énergie contient le vide quantique?
D'où viennent et comment sont mémorisées les lois et constantes de l'Univers? Sont-elles fixes, évolutives?
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L'anthropologie chrétienne des Pères de l'Eglise, - avec la représentation de l'humain, comme ''corps-âme et esprit'', est l'expression spirituelle de cette dynamique. L'humain est un être unique et intégré, et entre corps, âme et esprit, s'exprime une dynamique complexe et interconnectée. Nous sommes loin du dualisme dans lequel le corps et le tombeau de l'âme...
'' Avant la révolution mécaniste du XVIIe s. il existait trois niveaux d'explication: le corps, l'âme et l'esprit. Le corps et l'âme faisaient partie de la Nature. L'esprit était immatériel mais interagissait avec les être matériels à travers leur corps et leur âme. Après la révolution mécaniste, l'âme est devenue un fantôme immatériel enfermée dans la machinerie du corps, elle disparaissait de la Nature. Nous sommes passés dans la dualité ''Matière-Esprit'', puis il n'y en eut plus qu'une, ''la Matière''.''
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Avec la Quête, la légende du Graal nous ramène à l'anthropomorphisme ternaire, par la richesse et la complexité de son symbolisme. La quête représente une dimension physique du voyage. Les chevaliers entreprennent des quêtes ardues, traversent des épreuves physiques et démontrent leur bravoure et leur force. L'objectif ultime nécessite, par le corps, une purification et un dépassement. Et, bien-sûr, les chevaliers doivent démontrer des vertus telles que la loyauté, la foi, la chasteté et la charité. Le chemin vers le Graal est souvent ponctué de tentations et de défis moraux, symbolisant l'épreuve de l'âme et son élévation spirituelle. Mais, la Quête présente avant tout une dimension spirituelle et divine. Le Saint Graal - calice contenant le sang du Christ - est associé à l'expérience du divin.
Le Graal, ça n'existe pas ! 5
'' Le Graal existe t-il ? ''
Je reviens à la question de l'être : '' est '' = ce qui est réel.
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La phénoménologie, me semble t-il, nous invite à approfondir la réalité des choses ; et examiner toutes les dimensions de l'être d'une chose.
Heidegger dirait que '' l'être de l'étant '' c'est la nature de la relation que nous avons avec cet ''étant'' ( un peu comme si je réfléchissait sur '' la vie de ce vivant'' .
La plupart des étants que nous côtoyons sont des outils : ils ont une fonctions utilitaire ; et l'être d'un outil ce n'est pas la subsistance de cette chose. L'outil n'est pas qu'une chose posée devant nous, l'être de l'outil est dans l'usage que nous en faisons.
L'être d'une chose est dans sa subsistance, il est aussi, et – en premier - dans la manière dont il se donne.
A noter que l'outil, n'est pas condamné à être un outil ; le mode d'être de la chose dépend de ce que nous décidons d'en faire : on peut s'asseoir sur un coffre, ou un rocher, on peut s'asseoir et profiter de l'ombre d'une arbre... L'être, comme outil, ne réside pas dans la chose, il réside dans le rapport à la chose.
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La question essentielle, c'est l'être de l'humain. L'humain est-il un étant comme les autres ?
L'être humain, m’apparaît comme un étant qui s'interroge sur l'être ; et peut-être même, l'être de l'être humain est de se poser la question de l'être.
Il a la capacité de se questionner. Il ne peut donc se résumer à sa corporéité.
- Ok, je pense donc je suis... Descartes l'avait dit.
- Oui. Alors allons plus loin : Si l'être de l'homme est dans la conscience, peut-on ''substantialiser '' la conscience ?
- Descartes a dit : « l'homme est une substance pensante. »
- Il était dualiste : L’homme, comme être pensant, posséderait une nature constituée de deux substances distinctes : une substance pensante et une substance corporelle...
Husserl, rejette l'idée de Descartes, que la conscience serait une composante matérielle. Pour s'expliquer, Husserl propose ce qu'il appelle '' l'attitude transcendantale ''.
Je vais tenter de comprendre ce qu'il nous en dit : le monde apparaît à notre conscience, et nous constituons le sens du monde, à travers notre conscience. Il s'agit d’explorer comment nous donnons du sens aux choses et comment ce sens émerge de notre expérience.
Ce qui caractérise l'homme, en plus de sa conscience ; c'est qu'il n'est pas figé dans son être, comme on pourrait penser d'un animal ; sa conscience le rend capable de réinventer son ''essence ''.
Heidegger critiquait aussi la position de Descartes : il pensait que l'humain était d'abord un être engagé dans le monde, et que l'existence précédait la pensée. L'essence de l'humain résiderait dans son ''être au monde '', le '' Dasein ''…
- Mais .. ?! L'essence ne se distingue t-elle pas de l'existence, n'est-elle pas la nature véritable de l'être ? D’ailleurs, Husserl – dans sa méthode phénoménologique – suspend son jugement sur les contenus des phénomènes, afin de préserver leur essence ….
- En effet... Pourtant, pour Heidegger, l’essence de l’homme réside dans son existence.
Et Sartre rajoute : '' l’existence précède l’essence ''. L’homme n’a pas de nature prédéfinie ; il se définit par ses choix et ses actions.
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- Edith Stein a encore une position différente, celle que je préfère : - l’essence est inséparable de l’existence concrète d’un être. L'essence n'est pas une abstraction, elle est une structure qui se manifeste dans l'existence ; elle réside dans la singularité de la personne, l'âme en étant le noyau.
- L'âme … ? Comment les philosophes abordent cette notion ?
- Je dirais, pour Husserl que l'âme se déploie dans la conscience, elle représente notre subjectivité. Elle n'est pas une substance distincte du corps... De même pour Heidegger, pour qui l'âme est sans-doute liée au Dasein et à la quête de sens...
Edith Stein, rejoint Heidegger, mais rajoute que l'âme est le noyau dynamique de l'essence de chaque personne. Son intuition est que l''âme de l'humain ne serait pas que d'ordre naturel comme les autres vivants mais d’ordre proprement spirituel.
L’âme, par définition, impliquerait un espace intérieur dans l’organisme, humain ou animal.
Edith Stein souhaitait '' expliquer le mystère de l’existence humaine et surtout de son essence en devenir tout au long de sa vie libre et rationnelle.''
« Saisir le sens du réel » comme elle disait, consiste à articuler la rationalité philosophique à la vérité révélée.
Edith Stein adopte la méthode phénoménologique pour aborder le '' vécu de l'âme '' . Elle souhaite remplir cette notion d’un contenu d’expérience, et même '' redonner une pertinence philosophique à une notion devenue aujourd’hui très controversée.'' L'âme est « quelque chose qui peut nous apparaître et se faire sentir, tout en restant toujours pleine de mystère »
Edith Stein, en chrétienne, étend sa recherche dans le domaine de la personne pour passer « de la nature à la grâce ». C'est à dire passer à une anthroposophie ternaire ''corps-âme-esprit'' . L'âme aspire à une réalité au-delà de la nature. Nous le verrons plus tard...
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Le Graal, est l'aboutissement du passage de la nature à la grâce. Il est une voie aux questions que je me pose et ne me pose pas encore. Le Graal représente l'existence de Ce qui ne peut se suffire à n'être qu'un objet physique. Le Graal se raconte et se transmet. Le Graal n'est pas le but, il est le Chemin.
Voilà, ce que Lancelot aurait pu répondre au libraire de Fléchigné.
Il aurait pu aussi parler de la Coupe, image du Graal.
Le Graal se reconnaît dans la Coupe du dernier repas qui annonce la mort, et la Présence vivante ( résurrection) de l'Homme-Dieu dans toute sa création. Je l'ai déjà évoqué, nous en reparlerons.
Le Graal, ça n'existe pas ! 2
Comment une chose existe ; une table, une musique, un concept, le Graal ?
Ainsi une musique n'est-elle pas plus qu'une succession de notes ? Mon patron, mon voisin bruyant, un cadavre ne sont-ils que des corps.... ?
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Une ''chose'' existe, d'abord en ce qu'elle se donne à nous, avant de la décrire.
Il y a ce que les sens m'en disent, et ce que mes connaissances ( croyances – savoirs ) m'en disent... De certaines choses, il y a ce que d'autres personnes m'en disent ( témoins, Tradition, Histoire, légendes...)
Et la réalité des concepts métaphysiques, des ''lois naturelles '', des formules mathématiques ?
Et l'être humain est-il un ''étant'' comme les autres ? Et, la pensée ?
La question de l'existence du Graal, condense toutes ces interrogations autour de l'être d'une chose...
Commençons par poser, qu'une chose ''est'' si je la perçois occuper un espace : je dis, cette table qui est devant moi existe. Le terme ''être '' est pris ici, dans le sens de la subsistance ( selon le mot de Heidegger).
Il me revient l'exemple du morceau de cire de Descartes : observons cette chose, puis approchons la d'une flamme ; nous voyons combien ses caractéristiques sensibles peuvent changer. N'en est-il pas ainsi de tout ce qui se matérialise ?
Pour Heidegger, existence n'est pas subsistance …
Prenons l'être humain. - S'il vient de mourir., son corps est toujours là. Pourtant mourir, ce n'est plus être… Être, ce n'est pas seulement occuper un espace...
Etre, exister pour un objet inanimé, n'est pas la même chose, qu'être pour un vivant...
- Le Graal, n'est peut être pas, pour moi, un '' objet inanimé '' ?
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La phénoménologie, m'invite à envisager les choses au travers de la relation que j'ai avec elle. La façon dont les choses m'apparaissent fait aussi partie de leur être. Prenons l'exemple de l'Adagietto de la Symphonie n° 5 de Gustav Mahler, reliée pour moi à ''Mort à Venise'' : je n'écoute pas une succession de notes, une description scientifique ne dit rien de cette chose. Cette chose ''est'' , dans la mesure de la relation que j'ai avec elle, au travers de mes émotions, des images produites, de la compréhension que j'ai de cette œuvre d'art.
Heidegger nous invite à ne pas considérer une chose comme séparée de nous; il y a toujours une relation entre nous et la chose qu'on examine. Et d'autant plus, si la chose n'est pas un objet inanimé... Ainsi, cette personne, si elle est mon patron, mon voisin bruyant, ou mon libraire...
Je retiens que je ne peux pas parler des choses comme uniquement ''subsistantes''. La philosophie m'invite à me questionner de la manière dont le monde '' se donne '' à moi ; et donc à réfléchir sur la nature de la connaissance que j'ai de cette chose, et même plus généralement, de la nature de la réalité.
Elaine, qui travaille sur la philosophie au Moyen-âge ( Et oui... le humains au Moyen-âge ne sont pas des brutes, des barbares, ils peuvent être de profonds philosophes...) ; rappelle à ce propos, la réflexion qui s'appuyait sur les ''catégories '' d'Aristote, pour caractériser une chose.
La première était la '' substance '' - pas pour signifier seulement la matière dont la chose est faite – mais qui est le substrat, l'essentiel de cette chose : l'essence de cette chose, une substance immatérielle, une pure pensée.
La seconde serait la '' forme '', qui confère à l'objet sa structure et son identité. On dira aussi que l'âme est la forme du corps...
Cette manière de penser la chose, a tendance à la limiter à l'idée matérielle de cette chose. Je pense alors à la matérialité de la relique du Graal, qui serait vue ici, ou là …
Bon, mais nous reviendrons sur tout ceci au Moyen-âge. En effet, les philosophes médiévaux ont développé ces notions en science et en théologie.
La question de l'existence du Graal occupe l'esprit de Lancelot, au point d'être abordée lors d'une séance de jeu de cartes. Ces séances s'organisent régulièrement à Fléchigné depuis la retraite de Lancelot. Ce soir là, sont présents le père Maillard et Elaine. Il suffit d'être quatre, la soirée libre pour que Lancelot propose le couvert, le gîte ( éventuellement) et une partie de Tarot ( le jeu d'Anne-Laure de Sallembier). Je signale cette soirée, parce qu'à la suite de sa visite chez le libraire, Lancelot fit part à Maurice Maillard de sa difficulté à ''disputer'' cette affirmation de la non-existence du Graal.
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- C'est d'autant plus difficile, j'imagine, que tu ne peux présenter à l'appui de son existence, qu'une liste de personnages légendaires, et d'histoires merveilleuses.... Pour ma part, concernant l'existence de Dieu, j'ai l'appui de la Révélation, de l'expérience mystique, et l'appui de toute une Tradition...
C'est ce soir là, peut-être, que vint à l'esprit de Lancelot, le projet de façonner l'équivalent pour ce qui concerne le Graal. Un quête au travers d'une lignée, à l'aide de la connaissance acquise le long de ces siècles en philosophie, en sciences, en art et en théologie.
Idée que j'ai reprise et menée en partie, dans ces livres.
Le Graal, ça n'existe pas ! 1
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Mon Fléchigné à moi ( Régis), je le situe dans ces dernières années 60. Après la mort de ma mère, il était devenu habituel que je passe une bonne partie des vacances d'été chez mon grand-père. La plupart du temps nous étions seuls et j'étais entièrement libre de mes journées. Les premiers temps Elaine était souvent là. Je profitais au maximum de sa présence, l'accompagnant au village assis à l'arrière du Solex, ou rejoignant ses amis . Je me souviens ainsi des chansons d'Anne Sylvestre, dont l'écoute de sa voix, avec son timbre si particulier, me replonge aujourd'hui, dans ce temps. Ce temps des copains, où trop jeune, je n'étais que spectateur d'un groupe de garçons et de filles qui s'amusaient au son de 45 tours posés sur un électrophone Teppaz.
Quand j'étais seul avec mon grand-père, nous mangions face à face. Je n'osais pas trop l'interroger sur ce qui l'occupait. Son bureau était hors de la maison, une guérite en forme de petite maison d'une pièce, à l'abri d'un corps de ferme où il rangeait la Citroën Traction Avant , beaucoup de matériel, et avec un coin atelier.
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Les quelques fois où je suis entré dans son bureau, je me souviens le plaisir qu'il avait à me montrer de vieux ouvrages. Je montrais de l'intérêt pour les livres, et il me conseillait des lectures qu'il estimait de mon âge. C'est ainsi que j'ai reçu pour Noël, des éditions modernes de ''Quentin Durward'', ''Ivanhoé'', romans historiques de l'auteur écossais Walter Scott ; et aussi des romans d'Alexandre Dumas, Jules Verne ; et surtout ce livre qui m'est encore le plus précieux de tous : '' La Quête du Graal '' ( Le Seuil, 1965) édition établie par Albert Béguin.
Mon regard était attiré également vers de nombreux dossiers, remplis de pages manuscrites ; mais il ne souhaitait pas encore m'en parler ; puis, je comprenais qu’il était temps de le laisser seul.
Je pouvais revenir seul vers la maison, et ouvrir la bibliothèque du salon et prendre chacun des ouvrages ici exposés. Il s'y trouvait de belles éditions, celle de la Comédie Humaine de Balzac était à l'honneur ; et j'ai le souvenir précis de ma lecture des dix tomes de Jean-Christophe de Romain Rolland. Je me permettais, sans permission, de visiter le grenier, fouiller dans des cantines remplies de vieux habits, et feuilleter de vieux magazines. Je pouvais également utiliser un vélo et sillonner les alentours. J'étais le plus souvent seul.
Il n'y avait pas de télévision. Le soir, nous lisions en silence ; parfois nous jouions aux dominos.
Le centre urbain le plus près de Fléchigné, grâce à notre député-maire MRP, devenu ministre, prend un nouvel essor. La présence d'une entreprise comme Moulinex témoigne de ce dynamisme.
Lancelot , toujours à l'aide de sa Citroën Traction Avant, se rend à la ville pour faire ses courses, et ne manque pas de faire un tour à la librairie-papeterie. Extérieurement, repeinte la façade n'a pas changé. La même porte vitrée, et la clochette qui tinte doucement, annonçant notre arrivée.
Le fils du libraire a modifié la configuration du lieu. Les clients, à présent, ont la permission de choisir eux-mêmes leurs ouvrages qui les attendent sur de nouvelles étagères qui s’étirent jusqu’au plafond et chargées de livres aux couvertures neuves. L’odeur du papier et de l’encre flotte dans l’air.
Le grincement du plancher se mêle au doux murmure des clients qui feuillettent les livres.
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Le comptoir, bien plus restreint qu'autrefois, se tient près de l'entrée, avec sa caisse enregistreuse. Derrière lui, des tiroirs en bois renferment des stylos à plume, des encriers et des carnets. Des almanachs, quelques manuels scolaires, des cahiers, les règles et les compas sont soigneusement empilés.
Ce qui est étonnant, c'est à côté des présentoirs pivotant de cartes postales, un tourniquet avec des livres de poche.
Le libraire est devenu un personnage incontournable de notre ville. Dans l'opposition municipale, il regroupe autour de lui la minoritaire ''gauche intellectuelle'' qui se mobilise pour tous les combats actuels, comme celui de la guerre au Vietnam. Il provoque volontiers Lancelot, en l'appelant « Monsieur le Comte... », même si ce dernier ne se présente plus que sous le patronyme de Sallembier.
- Plus sérieusement, M'sieur Sallembier.... : le Graal, ça n'existe pas !
- Vous pensez que je m'intéresse, à une chose qui n'existe pas ?
- De belles et anciennes légendes. Mais à un moment il faut être clair : les mythes, les histoires religieuses... Tout ça, ça nous parle de quelque chose qui n'existe pas ! Disons-le franchement ; ensuite : on peut s'y intéresser ; à l'égal de la culture, de la littérature, de la fiction...
- Vous pourriez classer les livres, d'un côté : ce qui existe, d'un autre : ce qui n'existe pas... Mais, avez-vous reçu ma commande ?
- Oui bien sûr. Moi, je vous dis ça ; c'est pour discuter. Vous commandez tout ce qui tourne autour de ce truc, alors …. Ça m'étonne, c'est tout...
En plus, votre fille semble vous accompagner là-dessus.... Faudra que je lui en parle. Elle sera plus bavarde que vous.... Et, plus attrayante... ; je plaisante, M'sieur Sallembier.... !
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Lancelot s'en veut de ne pas avoir répondu plus justement... Cette discussion sans importance, ne manque pas pourtant de titiller Lancelot : « le Graal, ça n'existe pas ! ».
Il serait nécessaire de plus de temps, pour s'en expliquer. Que dire pour se faire comprendre ?
Peut-être faudrait-il commencer par le début ; c'est à dire, définir comment une ''chose'' existe ou n'existe pas.
Autrement dit : comment peut-on prouver l'existence d'une chose ?
Et si on disait : elle ne se prouve pas, elle s'éprouve.... ?
- Qu'entendez-vous par ''chose'' ? ( Lancelot s'imagine le dialogue...)
- Ce qui est réel est une chose : son caractère propre ( 'propre', c'est à dire indépendamment de mon esprit ) est la réalité. La phénoménologie, avec Husserl, nous invite à « retourner aux choses-mêmes », à expérimenter comment la chose se donne à nous, avant de la désigner dans un modèle scientifique.
En revenant à sa table de travail, Lancelot tente de creuser ce sillon.
L'Eucharistie et le Graal
Le concile de Latran de 1215, précise l’idée de la présence réelle par la doctrine de la transsubstantiation, et fixe la liturgie de l’eucharistie. « Le corps et le sang [du Christ] dans le sacrement de l'autel, sont vraiment contenus sous les espèces du pain et du vin, le pain étant transsubstantié au corps et le vin au sang, par la puissance divine [...]. » ( Latran Canon 1 (DS, 802). )
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Avec Le Roman de l'Estoire dou Graal ( 1190-1199) Robert de Boron est l'initiateur, dans ce conte, de la présentation du Graal comme la Coupe eucharistique et de la '' doctrine trinitaire, christologique et eucharistique '' qui va dominer à partir de lui. Il place la figure de Joseph d’Arimathie, à l'origine de la liturgie eucharistique du Graal ; appuyé par un évangile apocryphe ''l’évangile de Nicodème'' connu et distingué à l'époque médiévale.
L’Estoire narre comment le plat où Jésus mangea l’agneau pascal avec ses disciples parvient entre les mains de Joseph, comment celui-ci l’utilise pour recueillir le sang du Crucifié, comment enfin le Christ ressuscité le lui rapporte dans sa geôle, après qu’il a été emprisonné, en le chargeant de transmettre à ses descendants un enseignement secret. Ainsi se forme une lignée de gardiens du Graal. L’invention de la relique du Précieux Sang, étroitement liée à la figure de Joseph, permet ainsi à des laïcs - des chevaliers - de recueillir les fruits d’une définition spirituelle grâce à « la mise en scène de l’élément dont la valeur symbolique est la plus forte, donc la plus légitimante : le sang du Christ. » ( Anita Guerreau-Jalabert )
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Pendant la période médiévale, on vénère particulièrement l'Eucharistie, avec l’introduction de la fête du Corpus Christi (1264) et différentes formes de dévotion populaire ; alors que la communion à la Coupe disparaît, et que la population ( sauf les clercs … et les chevaliers) s'écartent de la communion, parce qu’on ne s’en croit plus digne.
Par contre les nobles réclament la célébration eucharistique, comme moyen d'obtenir le pardon.
C'est Latran (1215) qui juge nécessaire de légiférer pour que les fidèles reçoivent le sacrement au moins une fois par an pendant la saison de Pâques.
En l'abbaye de Cluny, la liturgie est célébrée avec faste ; au service de la beauté, la musique sacrée se développe. C'est au cours du XIIIe s. qu'est introduite l’élévation du calice consacré et que l'on installe le tabernaculum (« tabernacle » ou « tente ») qui reçoit l'hostie consacrée.
La liturgie du canon romain ne sera imposé à l'Eglise latine d'Occident, qu'au concile de Trente ( XVIe s.).
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Un chevalier se doit de participer fréquemment à l'eucharistie. Déjà avec Chrétien de Troyes, le Graal porte tous les soirs l’hostie au père impotent du Roi Pêcheur. Ensuite, les apparitions du Graal vont s’accompagner de miracles : table garnie de mets succulents, hostie descendue du ciel par des anges, apparition du Christ,...
Au cœur du mystère du Graal, il y a corrélation entre Eucharistie, manducation du Corpus Christi, effusion de l'Esprit, Présence de Dieu...
Lancelot se souvient des longues discussions mystiques avec Madame Lot-Borodine qui les invitait à la suite de Galaad, en communiant au Graal, à retrouver dans son cœur l’imago Dei « incrustée dans notre tissu vivant Ab initio en l’acte créateur du sixième jour. »
Elle évoquait Guillaume de Saint-Thierry ( 1085-1148), moine cistercien, et son influence sur les rédacteurs du cycle du Graal, pour qui l'eucharistie est un chemin vers une communion amoureuse, une porte ouverte sur l'unification spirituelle entre son esprit et l'esprit de son Seigneur. C'est ce qu'elle appelle '' déification par l'Esprit ''.
La liturgie doit permettre cette union intime que la communion eucharistique doit favoriser entre chacun et le Christ. Pour Myrrha Borodine, c'est la liturgie ''gréco-orientale '', qui le permet davantage. « Dans la symbolique du Moyen Âge le signe est réalité substantielle » disait-elle.
Le père J. Daniélou ( futur cardinal) écrivit sa réaction à une série d'articles sur la déification : « Ce qui fait la valeur exceptionnelle de l’œuvre de Madame Lot-Borodine, c’est qu’elle a retrouvé l’expression vivante de la mystique byzantine et qu’elle a su la faire percevoir […]. Ce qui nous est donné est plus qu’un travail d’érudition. (…) Toute son œuvre se meut dans la sphère du sacré. Il s’agit de la transfiguration de la nature humaine par l’action de l’Esprit saint. »
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Myrrha Borodine rapproche la ''Divine liturgie'' rapportée dans les romans en prose du Graal du modèle gréco-oriental, avec l'image de la participation des anges au ''service'' du Graal, par exemple.
Les théologiens du Moyen-âge valorisent la dimension sensorielle de l'homme ( ses cinq sens). L'incarnation divine s'exprime aussi dans '' voir l'hostie'' lors de la liturgie. Cette manifestation de l’invisible dans le visible, se fonde dans une expression de foi comme la présence réelle du Christ dans les espèces consacrées et l’importance que va acquérir la dévotion eucharistique au XIIe et au XIIIe siècles.
La réflexion théologique des livres du Graal appartient au pôle ''Platon-St-Augustin'' et la théologie mystique ; elle sera supplantée par le pôle ''Aristote-St-Thomas'' et sa théologie spéculative.
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« Dans la perspective augustinienne et néoplatonicienne qui triomphe dans les romans du Graal, la nature est le miroir idéal du divin : il y a une expérience du monde créé qui permet de lire le mystère de Dieu, '' en similitude '' . La réalité est un ensemble organique où toutes les choses, qui sont aussi des signes, renvoient les unes aux autres, jusqu’à Dieu. La dyade image-ressemblance est ainsi assimilable au couple nature-grâce. L’image est bien le point de départ à partir duquel se déploie la ressemblance. » ( L’œuvre de ressemblance, par Alain Santacreu ).
La liturgie, comme forme d'art, devrait provoquer en l'homme « la conversion de semblance ». La liturgie offre des scènes visuelles et auditives qui appellent à une interprétation. Celle-ci « emprunte les voies de la demostrance (dévoilement centré sur la chose et adressé à la vision) ou celles de la senefiance (dévoilement centré sur le signe proprement dit et adressé à l’intelligence), cette production du sens est toujours subordonnée à la notion de révélation et fait du Graal son medium privilégié. » ( cf Jean-René Valette. La pensée du Graal. Fiction littéraire et théologie (XIIe-XIIIe siècle)
1950 - Henri-Irénée Marrou (1904-1977)
Lancelot passe beaucoup plus de temps dans les couloirs et les bureaux des ministères à Paris, qu'au Vatican. L'année 1956 est assez particulière, en ce que la fébrilité qui s'empare des politiques amène Lancelot à répondre à de multiples sollicitations.
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La présence intellectuelle d'Henri Marrou va beaucoup l'aider. J'ai déjà fait état de la rencontre de Lancelot avec Henri-Irénée Marrou (1904-1977), à Lyon en 1942, proche de Mounier et de ''Témoignage Chrétien''. J'ai cité l'une d'entre nombreuses discussions sur l'histoire et le christianisme dans l'antiquité tardive... En 1955, Lancelot et Henri Marrou se croisent dans le cadre de la revue ''Esprit'', et Lancelot sollicite souvent son avis sur l'actualité.
Henri Marrou occupe la chaire d'histoire du christianisme à la Sorbonne depuis 1945. Emmanuel Mounier lui a proposé de le rejoindre aux ''Murs blancs'' dans la banlieue sud de Paris. Il s'agit de deux maisons bourgeoises divisées en appartements à Chatenay-Malabry, dans un grand parc, où vont se côtoyer les familles Mounier, Marrou, Baboulène ; les Domenach, les Fraisse et les Ricoeur ( le derniers en 1957). Chacun est indépendant, mais participe à une vie communautaire.
Simone Fraisse est agrégée de lettres et spécialiste des œuvres de Simone Weil ; Jean-Marie Domenach, est un intellectuel et journaliste engagé, et sa femme, Nicole, professeure à l’école d’arts appliqués Estienne ; Jean Baboulène est à ''Esprit'' comme tous, et secrétaire général de la Jec, directeur de Témoignage chrétien jusqu’en 1949.
Lancelot apprécie beaucoup de passer aux 'Murs Blancs ', en particulier pour y rencontrer Henri Marrou, sa femme Jeanne, et parce qu'il est très intéressé par sa réflexion sur l'Histoire; elle est une constante question, il la nomme « l'histoire-questions » ; et l'Histoire est une rencontre, elle est dit-il « une rencontre d'autrui » et, même « un mixte indissoluble du sujet et de l'objet ».
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Pour Marrou, le sujet du Graal est « l'un des plus beaux que présente le moyen âge occidental. ». Il le rapproche volontiers d'une réflexion sur l'histoire des religions, en commençant par l'exploration des vieilles croyances celtiques, jusqu'à l'eucharistie chrétienne. Nous sommes confronté également, dit-il, à la transmission de la légende : par quels moyens est-elle parvenue à la connaissance des auteurs médiévaux ? Comment a travaillé Chrétien de Troyes, sur quels documents ? Cette '' Matière de Bretagne'' est bien originale, dans sa '' Merveille '' qui n'est ni grecque, ni romaine, ni slave...
- Ne trouve t-elle pas ses origines « dans le sol même de la Bretagne, de la vieille Bretagne celtique. » ?
- Oui, sans-doute ; mais il faudrait faire le ménage de beaucoup d'hypothèses fantaisistes... et je pense à celle du catharisme.
Un livre récent de Jean Marx, sur ce thème, est assez éclairant. Bien sûr, il privilégie l'arrière-plan celtique pour expliquer l'ossature de la légende.
Si Lancelot ne nie pas l'origine celtique de la Légende, il estime fondamental de ne pas occulter la transcription catholique de la légende et sa perpétuation à partir d'un environnement médiéval. Car enfin, pour nous, le Graal prend corps à cette période de notre histoire !
S'amusant un peu ; de l'identification de Lancelot à la quête de son personnage emblématique ; Henri Marrou pointe dans la recherche historique une fonction libératrice, aussi bien pour la société que pour l'individu.
- Vous ne croyez-donc pas à la l'objectivité et l’exhaustivité des historiens ?
- Non... L'historien n’appréhende pas le passé directement, mais à travers lui-même et son propre présent.
- On ne peut pas parler de ''vérité historique'' ?
- Cette vérité se cherche et se construit, avec à mon sens, d'autant plus de justesse que nous connaissons ce qui fait la spécificité d'une époque et « ce principe de la différence des temps », pour éviter l'anachronisme.
Pour se faire comprendre du plus grand nombre, l'historien ne craint pas d'utiliser ce que Augustin Thierry nommait au XIXe s. « la puissance de l'analogie », avec ses limites... Attention à l'anachronisme !
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Lancelot ne manque pas d'évoquer son arrière grand-père Charles-Louis de Chateauneuf qui connaissait bien Augustin Thierry (1795-1856), et il notait combien cet historien s'était nourri des romans de Walter Scott. Dans son travail, il faisait la place aux légendes, à l'imaginaire...
Bien sûr, Thierry revenait aux sources, aux textes originaux et aussi aux poésies populaires ; il aimait retrouvait le vieux langage français. Il disait s'intéresser plus aux vaincus qu'aux vainqueurs, à la différence du XVIIIe s. pendant lequel l'historien était au service du ''Prince''. Il pensait qu'il revenait à l'historien de faire revivre par son style les individus et les peuples disparus : « II faut pénétrer jusqu'aux hommes, à travers la distance des siècles, il faut se les représenter vivants et agissants sur le pays où la poussière de leurs os ne se retrouverait pas même aujourd'hui... (…) Que l'imagination du lecteur s'y attache ; qu'elle repeuple la vieille Angleterre de ses envahisseurs et de ses vaincus du XIe siècle ; qu'elle se figure leurs situations, leurs intérêts, leur langage divers, la joie et l'insolence des uns, la misère et la terreur des autres, tout le mouvement qui accompagne la guerre à mort de deux grandes masses d'hommes. »
Henri-Marrou ( ancien ''tala'' de l'Ecole Normale) se définit comme catholique, spécialiste de Saint-Augustin, lecteur de Cassien ( IVe s.) et du frère carme Laurent de la Résurrection ( XVIIe s.) ; et passionné par l’œuvre de Teilhard de Chardin, qu'il avait rencontré étudiant, lors de réunions du groupe « tala » de la rue de Grenelle.
Marrou dit qu'il prie, depuis, avec une vision christocentrique du monde : « Aidez-moi Seigneur à me dégager par ascèse de la gangue inerte de mon cœur et que je puisse travailler avec vous, Christ, à réconcilier toutes choses avec le Père » (...). « sentir avec l’Église, mais aussi sentir avec le monde. »
1954 – Fin de la vie d'Anne-Laure de Sallembier
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De façon très inhabituelle, Anne-Laure de Sallembier s'est couchée avant le repas du soir ; elle avait simplement demandé à Madeleine de faire manger Elaine, et de la coucher. Elle se sentait fatiguée, et avait besoin de récupérer. Le lendemain, Madeleine appelait Lancelot à Paris, pour lui faire part de son inquiétude sur la santé de sa mère. La comtesse de Sallembier n'a plus quitté son lit ; et Lancelot vécut les semaines les plus intenses et douloureuses de sa vie.
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Après la visite du médecin, et quelques analyses effectuées dans une clinique aux alentours de Paris. La mère de Lancelot exprime son impérieux souhait de revenir à Fléchigné, et de mourir nulle part ailleurs !
Pourquoi Fléchigné ? Parce que une part de soi est ici, parce que cette maison a toujours été un refuge, ce dont elle a besoin à présent. « Ici, je continue à vivre, dit-elle, ailleurs je commencerai à mourir. »
« Si je meurs, dans mon logis, ma présence continuera à vous accompagner ».
Lancelot fit déménager la plupart des meubles de sa chambre dans un petit salon du rez-de-chaussée. Ainsi, pendant la journée, Anne-Laure restait proche de chacun ; et pour la nuit il a été aménagé un coin nuit dans le grand salon pour la personne qui la veillait.
Une infirmière a secondé Madeleine pour les soins, le médecin venait régulièrement, et n'hésitait pas à proposer de la morphine pour atténuer les douleurs.
Lancelot est resté présent, le plus possible proche, frappé par l'abandon progressif de sa mère pour les soucis matériels, et la confiance qu'elle faisait à Madeleine en lui abandonnant tout.
Anne-Laure ne fut jamais irritée envers quiconque, elle semblait plutôt désolée du souci qu'elle donnait à chacun.
C'est à Elaine ( dix ans), qu'elle semblait vouloir raconter encore beaucoup de souvenirs ; la dernière semaine, elle n'en avait plus la force et priait Lancelot de continuer sur l'idée qui lui venait.
Alors, elle fermait les yeux et écoutait Lancelot évoquer certains personnages qu'elle avait connus, sa main acquiesçait ou s’agitait pour réfuter...
Lancelot savait que sa mère était rassurée de partir, entourée de ses proches, en particulier de son fils et de sa petite fille.
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« Vous serez mes passeurs » leur avait-elle dit, alors qu'elle feuilletait, comme souvent, les cartes du Tarot. Elle avait devant les yeux l'arcane XIII.
« Il ne faut pas craindre cette image, disait-elle, elle peut apparaître comme la ''lavandière du gué'' annonciatrice d'un malheur, alors qu'elle n'est que l'annonce d'un passage, donc l'instructrice d'une connaissance. Dans notre tradition du Graal, la carte représente aussi la Jérusalem céleste. Elle est le but ultime du pèlerin, le terme de la croisade du templier.
Durant l'existence de nos ancêtres, le Graal avait quitté la Terre sainte pour l'Occident ; pour que la société arthurienne puisse donner à notre monde la dimension sacrée et spirituelle à laquelle nous aspirons. Aujourd'hui, ce Graal que nous cherchons, nous reconduit, par la Foi et la Raison, jusqu'à Jérusalem. »
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Elle rappelait souvent, à la petite Elaine, que son grand-père Charles-Louis lui racontait des histoires de l'Autre Monde, tous deux savaient que nous utilisons les images de ce monde, pour évoquer le Vrai Monde ; celui où elle se rendait...
« Si nous parlons en légendes, c'est qu'elles sont bien plus que ce que la plupart des gens se représentent. »
Elle confiait à sa petite fille comment Lancelot, fut le plus beau cadeau que la vie lui avait fait, et comment sa bonne fortune lui a permis de vivre intensément la fin d'une époque aristocratique mais réservée, il est vrai, à une petite partie de la population.
Anne-Laure avait raconté comment elle avait découvert ce monde avec Elisabeth de Gramont en particulier. Elaine se souvenait comment cette jolie demoiselle avait choisi un beau jeune homme, Philibert de Clermont-Tonnerre (1871-1940) comme époux. Elle s'installe alors en Bourgogne, a une petite fille Béatrix ; et elle s'ennuie, revient à Paris avenue Kléber... Anne-Laure et Elisabeth courent les salons, celui de madame Strauss, de Madeleine Lemaire où on pouvait voir Proust, de Robert de Montesquiou ; mais, Philibert est jaloux, violent, elle perd sous ses coups son deuxième bébé !
Anne-Laure a déjà raconté la comtesse Greffulhe, magnifiée par Proust, mais qu'elle ne reçut que vers 1904, quand sa fille épousa Armand de Gramont, ami de Proust. Sa fille, c'est Elaine Greffulhe.
Lancelot rappelle aussi qu'il y avait Anna de Noailles..
Anne-Laure a rencontré la théosophie, a fait tourner les tables. Elle s'est passionnée pour l'étude de la nature, elle fréquentait Camille Flammarion: elle se persuadait que l'idée de Nature, englobe le divin, l'humanité et l'univers... Tout le visible est le miroir de l'invisible ; et l'invisible devient simplement ''naturel''.
D'autres expériences vont enrichir sa représentation du réel, son passage au Figaro, puis au 'Mercure de France'.
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Jean-Baptiste de Vassy ( J.B) disciple du mathématicien Henri Poincaré, et admirateur d'Henri Bergson, était passionné d’aviation. Il fut le compagnon de sa mère et une figure paternelle pour Lancelot, il a accompagné Anne-Laure jusqu'à sa disparition au début de la grande guerre ; avec lui elle a rencontré Bertrand Russell, et indirectement Bernanos.
L'esprit, chez les officiers comme J.B, est à la communion dans des valeurs traditionnelles, ils se considèrent comme les lointains héritiers de la chevalerie ; ce que J.B. n'avait pas manqué de développer avec Lancelot ...
Anne-Laure a beaucoup voyagé, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en Ecosse; sur son chemin... le Graal. Sur le chemin, également, une rencontre essentielle, celle du couple Maritain et de tous ceux qu'ils fréquentaient.
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L'Italie, c'était avec Edith Wharton, en 1908.. Mais surtout, beaucoup l'Allemagne, et la passion des auteurs allemands.
On a parlé de Vanessa Bell, et du groupe de Bloomsbury, de son ami Paul Painlevé. Puis il y eut la Guerre et ses interventions auprès des allemands, jusqu'au retour à Fléchigné; l'accueil de réfugiés. La visite de Félix, était attendue, et ''ses fruits'', inattendus... !
A sa naissance Lancelot reçoit, par sa mère, une mission : le Graal. La légende arthurienne fournit dans sa version chrétienne, un ensemble d'images qui balisent une voie, en correspondance avec le message du Christ, qui traverse les siècles. L'origine de ces images s'inscrit dans la symbolique médiévale et se confronte, parfois avec difficulté, à la modernité. Pourtant, au XXIè siècle, le Graal reste toujours le chemin et l'objectif.
Avant toute chose, avant même le Graal ; Lancelot a reçu de sa mère et de ceux qui l'entouraient, une Tradition.
Et c'est cet héritage, d'abord reçu, puis fructifié, qu'Anne-Laure espère avoir laissé à son fils.
Effectivement, pour Lancelot, ce qui caractérise le chemin emprunté par sa mère, c'est son attachement à la Tradition.
La comtesse de Sallembier avait en horreur l’idée de Révolution ; elle impose la destruction d'une structure, d'un squelette élaboré au cours des siècles, à partir de la vie des gens.
La question du vrai et du bien, ne peut être résolu par un seul personnage qui ferait table rase du passé.
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Pour Anne-Laure :
La Tradition est une somme de ''références'' vécues.
Une Tradition se transmet, se reçoit. C'est une caractéristique de notre humanité.
Une Tradition se vit, au présent. Elle est communautaire, et ne se comprend qu'en ''disputatio''.
Une Tradition ne dépend pas forcément du même référentiel que la connaissance du moment. Il y a malentendu quand elle se confronte à elle, sans ce discernement, comme par exemple lors du procès de Galilée. La raison seule, ne suffit pas à vivre la Tradition.
La Tradition n'est pas une opinion ; elle les nourrit mais ne la fige pas.
On pourrait se demander, s'il y a des traditions erronées ? - Il y aurait plutôt des pratiques erronées.
La dernière semaine, Lancelot est revenu avec Geneviève. Il a fait une surprise à sa mère, en apportant à Fléchigné un combiné radio-tourne-disques ; une boite en bois plaqué acajou, et la façade en plastique et tissu. Le son est impeccable sur toutes les gammes, et a remplacé avantageusement le vieux poste. Quelques disques 33 tours-minutes de musique classique l'accompagnent.
Anne-Laure souhaite écouter des chants grégoriens de l’abbaye de Solesmes.
Un soir, ils écoutent le Miserere mei Deus (Psaume 50), ils pleurent ensemble ; ils se regardent et rient. Anne-Laure dit qu'elle n'a jamais été plus heureuse.
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Ces deux derniers jours, Anne-Laure n'était déjà plus là ; pourtant cette dernière nuit, elle et Lancelot ont partagé comme ils ne l'avaient plus fait depuis longtemps. Au matin, Lancelot qui la veillait, s'est réveillé, elle le regardait. Il s'est approché, elle a fermé les yeux et nous a quitté.
Elle lui avait dit : « Et si la mort, était un accomplissement.. ? » et « De quoi, de qui pourrais-je avoir peur ? »
Le Graal, une réponse à Prométhée
A la suite de cette discussion autour de Prométhée, Lancelot revient, comme bien souvent, à ce que pourrait en dire l'esprit du Conte du Graal.
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D'ailleurs, Maurice, curieux du mythe et de la figure que représente Lancelot, demande à son ami ce qui le relie finalement à ce héros médiéval ?
- Géographiquement le chevalier est né au Passais entre Mayenne et Normandie. Il est de la lignée de Joseph d'Arimathie qui porta le Graal en Grande-Bretagne. Après la fin du royaume d'Arthur, et alors que le Graal à jamais est à jamais dérobé aux hommes, Lancelot se retire dans un monastère où il mourra. On trouve non loin de Fléchigné, une autre figure qui reprend les mêmes éléments symboliques, à Saint-Fraimbault-de-Lassay - l’ermite Fraimbault, un modèle du personnage de Lancelot - où il a terminé sa vie, reconnu comme un saint célébré par les rois de France à partir de Clovis. ( Cf ici ''L'Histoire de Lancelot, du pays de Passais'')
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Lancelot représente le chrétien imparfait. Il a du mal à choisir entre Guenièvre et le Graal, entre l'amour et la foi. Lancelot, est nommé parfois, le ''chevalier pensif'', il a du mal à voir le monde tel qu'il est, et ne sait plus qui il est ( à lire dans le Chevalier de la Charette ). Pour faire court, on dit que c'est le ''péché'' qui l'empêche de conquérir le Graal.... Mais, et c'est important, le Graal n'est pas l'histoire d'une personne, il est l'histoire d'une lignée. Et, il y a Elaine ; elle le relie au Graal, par le fils qu'elle lui donne, Galaad.
Maurice s'étonne de la présence du ''péché'' ..- Tu peux m'en dire plus...
- Connais-tu la figure du ''Roi Pêcheur'' ( ou Amfortas dans la version de Wagner) ? Il souffre d'une blessure mystérieuse, certainement liée à cette ''faute'' autour de laquelle nous tournons...
Qui est ce roi ?
- Dans la Queste del Saint-Graal, le roi méhaigné ( mutilé) appelé Pellehan ( ou Pellam, ou Pellès...) a été frappé par le chevalier Balain ( Balin) avec la lance qui avait transpercé le côté de Jésus. Le roi est blessé entre les hanches, ce qui cause la désolation de tout le royaume.
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Cette blessure, est le signe d'une agression, tout à la fois, contre la souveraineté, contre la Nature, le principe féminin, et contre le Graal.
Parallèlement, alors que le roi Arthur, lui-même, est défaillant et devient un roi blessé, Lancelot, par amour, devient le protecteur de la reine Guenièvre agressée et captive de Méléagant ; mais alors, l'unité du royaume est brisée.
Lancelot rappelle que c'est la révélation de l'amour transgressif de Lancelot pour Guenièvre, qui va précipiter la fin du royaume d'Arthur et la fin de la chevalerie terrestre, alors que la chevalerie céleste aboutit au Graal par son fils Galaad.
L'écrivain de la Queste, pénétré de la théologie mystique de saint Bernard, voulait avertir ses contemporains du courroux de Dieu s'ils s'obstinent dans le péché.
- C'est plus difficile aujourd'hui de parler du péché. Pourtant, l'image du Royaume brisé, de la Terre Gaste, renvoie à une sorte de fatalité qui s'abat sur le monde médiéval. La ''Queste du Graal'', nous représente un monde violent fait de guerres et même en paix, de tournois. Le monde païen évoque des puissances maléfiques. « L’existence humaine y reste enténébrée par le Mal, en dépit de l’avènement de la morale courtoise et de l’influence toujours plus forte de l’Église. » ( Perdita Formentelli, universitaire)
Aujourd'hui beaucoup craignent que la guerre nucléaire soit le destin apocalyptique de l'humain.
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Ceux qui partaient à la quête des ''secrets du monde'', privilégiait dans leur jugement les causes des désastres, et réveillait une culpabilité primitive de la personne sur qui s'abattait la colère divine.
- Et que penser de la présence constante de Satan ?
- Pour en revenir à Prométhée ; en cause était un ''feu'', une connaissance qui lui était liée et qui a pu apparaître comme diabolique. La première connaissance coupable du Bien et du Mal n'a t-elle pas été imputée au Diable ?
Prométhée pourrait être rapproché de Lucifer ( l'ange de la lumière, mais ange déchu) qui en échange d'une damnation éternelle transmet des connaissances magiques...
- Attention... Ce qui est important c'est la Présence de la Grâce.. C'est le rôle du Graal.
Avec le roi blessé, la Terre Gaste n'est plus fécondée par l'eau du ciel. Du silence de Perceval, naît Galaad et la Parole rédemptrice. Daniel Poirion, nous dit que pour Saint Bernard : « le Verbe est le non-dit de la parole humaine comme s'il était fondé sur un oubli » ( « ce qui est invariable est incompréhensible et doit donc être ineffable » ( Sermons de St Bernard. Tome 2 p 88).
- Justement ; que dire du Graal ?
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- Le Graal est un objet complexe, et ambigu, il témoigne de rites anciens et donc de la nature vivante de ceux-ci. Le Graal chrétien est la coupe qui contient une hostie. Elle représente '' la transcendance divine eucharistique'' qui donne la Grâce.
- Comment conquérir le Graal ?
- Perceval n'a pas su poser la bonne question ; peut-être parce qu'il a causé la mort de sa mère, parce qu'il n'a pas su considérer autrui... ? Lancelot non plus ; parce qu'une autre passion que celle du Graal, le passionne... Pourtant, au cours de la Quête il exprime son repentir ; mais seule la virginité de Galaad semblait permettre d'être entièrement rempli de la Grâce divine.
Ici le destin individuel du héros, exprime un idéal collectif. Ce qui est en cause, c'est le destin de la Nature.
Si la régénération de la Nature, fait partie de la quête ; elle s'en tient à l'accession au Château de Graal, à l'espérance de pouvoir guérir le Roi; mais la contemplation du Graal reste l'objet d'une chevalerie céleste.
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Maurice, pour en revenir encore à Prométhée, se remémore quelques page des ''Cahiers'' de Simone Weil qui viennent d'être publiés. Elle écrit : « Le Christ a indiqué son affinité avec Prométhée, quand il dit « je suis venu jeter un feu sur terre ». elle relève les analogies, ou concordances entre la pensée grecque, et le christianisme. Elle relève les notions de salut, chez Platon, Pindare, Hérodote, et Sophocle est, à ses yeux, « le poète grec où la qualité chrétienne de l’inspiration est la plus visible et peut-être la plus pure. Il est beaucoup plus chrétien que n’importe quel poète tragique des vingt derniers siècles, à ma connaissance. »
Dans la même idée, Lancelot se souvient d'un ouvrage d'Edgar Quinet (historien) ( transmis par Charles-Louis de Chateauneuf ), dans sa préface, il explique ses raisons de réécrire la légende de Prométhée : cette figure est l'une parmi d'autres ( Orphée, Sisyphe, Némésis...) que le christianisme va récapituler en faisant du Christ, le rédempteur. Pour Quinet, chaque peuple, écrit une page de ''l'Ancien Testament ''. Il écrit : « Il n’y a plus ni Grecs ni Barbares, ni gentils ni chrétiens, ni anciens ni modernes, mais une même société d’hommes réunis autour d’un même abîme, et qui se font les uns aux autres la même question, presque dans les mêmes termes. »
On peut noter aussi :
André Gide, dans ''Le Prométhée mal enchaîné'',(1899) le voyait comme ''homme de lettres'', Sartre le voit plutôt comme un ingénieur, un technicien qui asservit l'humanité, dans sa pièce Épiméthée (1929). Camus ( Prométhée aux Enfers, dans L’Été ) écrit que ce révolté dressé contre les dieux est le modèle de l’homme contemporain qui choisit de se libérer de toute aliénation... Mais … « Mais au lieu de s’asservir le réel, il consent tous les jours un peu plus à en être l’esclave. C’est ici qu’il trahit Prométhée, ce fils « aux pensers hardis et au cœur léger ». C’est ici qu’il retourne à la misère des hommes que Prométhée voulut sauver. »
Cependant d'autres distinguent plutôt un '' Prométhée déchaîné '', dans ce que Camus a résumé dans une phrase : une « civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. », c'était dans Combat, le 8 août 1945, après Hiroshima.
1952 – Eranos – 3 Le Graal et Jung
Emma Jung consacre plusieurs heures à Lancelot, sur le travail d'individuation et sur le Graal.
A la lecture des notes de Lancelot, je peux retranscrire quelques notions originales, importantes ou supplémentaires sur le Graal ( beaucoup ont déjà été dites...).
Emma Jung propose une image ''atomique'' de la personne, avec en surface, le moi et la persona ( masque social), la part consciente ; et en profondeur, le noyau : le Soi, la part inconsciente.
Emma Jung nous invite à une lecture subjective de la légende, sorte de rencontre avec le soi... Ainsi, quand elle parle du jeune Perceval, dans sa forêt qui renvoie à la mère ; Lancelot pense à son rapport à Fléchigné.
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La quête de Perceval commence avec la rencontre d'un Roi blessé, et d'un affront au féminin : la coupe renversée sur la Reine Guenièvre. Précisément, Perceval est engagé, mais il ne sait pas encore ce qu'il cherche. Comme lui, sans préjugé, avec naïveté, il s'agit d'affronter les ténèbres; et commencer par se rendre compte de ce qui ne va pas en soi.
Emma Jung, parle de la prise de conscience de l'ombre. ''L'orgueilleux de la lande'' est une figure d'ombre qui incarne l'orgueil de la chevalerie.
Chez l'homme, l'inconscient peut se personnifier par une figure féminine ( l'anima). Son monde est celui de l'âme. L'anima devient une médiatrice des contenus de l'inconscient : par exemple, la porteuse du Graal ; à différencier de Blanchefleur qui représente plutôt la femme réelle ( entremêlée avec l'anima, sans doute).
Le château du Graal, est dans l'autre-monde, l'un des signes est la rivière à franchir. Cet épisode agit, pour Perceval, comme un rêve d'initiation. Les personnages sont de la lignée de Perceval ( nous le saurons plus tard), avec plusieurs figures de père.
La porteuse du Graal transmet l'épée ; comme l'anima révèle certaines fonctions du moi, à partir du fond maternel de l'inconscient. A noter, le fil tranchant de l'épée qui renvoie aux facultés intellectuelles de l'esprit.
L'épée, la Lance, le Graal et la Pierre, édifient une structure quaternaire, expression de la réalisation de la conscience et renvoie au processus d'individuation. Comme, les quatre figures du tarot.
Si l'épée tranche, la lance atteint sa cible ( avec sa fonction guérissante). Cette même lance qui fit couler le sang du Christ sur la croix, et fut recueilli dans le Calice. ( Eucharistie). Le sang contient le principe de vie. La lance de Longin, reprend le motif de la ''Flèche d'amour'' – comme on disait au Moyen-âge – qui vise le cœur du Christ, et nous ouvre à son amour.
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La figure de Perceval se transforme en symbole du fait de la lignée d'ancêtres, qu'il récapitule. Il est confronté au problème du Mal, à la question de la relation de l'homme avec la femme, entre autres questions...
Pour Perceval, sa faute est liée à sa mère ( il lui ai reproché de ne pas s'être soucié de sa mère...) ; elle est à rapprocher peut-être de l'offense de la coupe renversée, faite à la reine Guenièvre. Cette faute s'exprime par son silence lors de la procession du Graal ; et auparavant sur le principe féminin, avec la jeune femme à qui il dérobe un anneau, et lors du souvenir ( taches de sang dans la neige) de Blanchefleur qu'il a abandonnée.
« La mission de Perceval consiste à chercher la signification du vase qui contient le sang du crucifié et à découvrir la forme sous laquelle la vie intérieure essentielle de la figure du Christ continue à vivre, ainsi que le message qu'elle contient. » (cf La Légende du Graal (p86) – Emma Jung).
Ce message , ce trésor caché, comme un Graal, concerne aussi des contenus inconscients à découvrir ; ils ont à voir avec le soi. Il ne suffit pas que le soi se manifeste, en apparaissant sous forme symbolique ; il ne suffit pas de ''savoir'' ; il s'agit de s'interroger, quelle utilisation en faisons-nous ?
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Lancelot, rencontre également, une collaboratrice de Jung, qui travaille sur l'Alchimie et la légende du Graal. Il s'agit de Marie-Louise von Franz qui lui propose de poursuivre ces discussions par un travail psychanalytique.
Le 25 août, après que Karl Löwith ( 1897-1973) ait donné une conférence sur "La dynamique de l'histoire et de l'historicisme", que Scholem a trouvé "très bien", il raconte autour de lui que Jung était furieux et qu'il partit après la première heure.
S'en suit, une conversation avec Jane Untermeyer et Erich von Kahler, et avec Corbin et sa femme.
Peut-on « imposer à l’histoire un ordre raisonné ou d’y saisir l’œuvre de Dieu. », se demande Löwith ? Du moins, cet ordre peut-il être le début d'une philosophie de l'Histoire ?
Lowith pense que l'histoire ne possède aucune logique immanente, il ajoute que la philosophie de Hegel et de Marx conduisent au nihilisme. Sa recherche le conduit plutôt - selon Lancelot – à inscrire l'homme dans une nature immuable, englobant tous les étants. Il reconnaît un « univers dépourvu de fin et sans Dieu », à partir duquel « l'homme aussi » n'est « qu'une modification sans fin ».
Lowith choisirait entre ces deux symboles, le Cercle à la Croix ; l'Antiquité au Christianisme. L'Occident tente désespérément de concilier deux visions : '' - l’antique théorie de l’éternité du monde avec la foi chrétienne en la création ; le cycle avec l’eschaton '' ; - '' l’acceptation païenne du destin avec le devoir chrétien de l’espérance.''
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Ce fameux ''sens de l'Histoire'' serait une illusion qui fait croire à l'Homme qu'il est le maître du Monde, alors qu'il est de ce monde, à dimension naturelle, hors ''progrès humain''...
Lancelot, défend la proposition chrétienne de Teilhard de Chardin, pour qui l'Histoire permet de lire la convergence entre Cosmos, Vie et Esprit, qu'il appelle '' Phénomène Humain ''. L'Histoire exprime donc ''la complexification croissante de la matière et la montée en conscience de l’humanité''. Cette conception est une affirmation du monde spirituel et une voie d’épanouissement pour l’homme.
Karl Löwith reproche à Jung de ''psychologiser'' l'histoire, en cherchant un sens caché aux événements historiques et culturels. Cette démarche lui semble irrationnelle et ambiguë... On pense, que Lowith qui a quitté l'Allemagne en 1933, reproche à Jung sa position pendant le nazisme : Jung semblait se contenter de psychologiser le peuple allemand, sans condamner explicitement l’idéologie nazie ? Jung reconnaît avoir tenté de comprendre le phénomène nazi comme une manifestation de l’inconscient collectif allemand, mais sans pour autant l’approuver !