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Les légendes du Graal

1950

1950 - Henri-Irénée Marrou (1904-1977)

19 Janvier 2024 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1950, #Marrou, #Graal

Lancelot passe beaucoup plus de temps dans les couloirs et les bureaux des ministères à Paris, qu'au Vatican. L'année 1956 est assez particulière, en ce que la fébrilité qui s'empare des politiques amène Lancelot à répondre à de multiples sollicitations.

Henri-I Marrou avec Danielou

La présence intellectuelle d'Henri Marrou va beaucoup l'aider. J'ai déjà fait état de la rencontre de Lancelot avec Henri-Irénée Marrou (1904-1977), à Lyon en 1942, proche de Mounier et de ''Témoignage Chrétien''. J'ai cité l'une d'entre nombreuses discussions sur l'histoire et le christianisme dans l'antiquité tardive... En 1955, Lancelot et Henri Marrou se croisent dans le cadre de la revue ''Esprit'', et Lancelot sollicite souvent son avis sur l'actualité.

 

Henri Marrou occupe la chaire d'histoire du christianisme à la Sorbonne depuis 1945. Emmanuel Mounier lui a proposé de le rejoindre aux ''Murs blancs'' dans la banlieue sud de Paris. Il s'agit de deux maisons bourgeoises divisées en appartements à Chatenay-Malabry, dans un grand parc, où vont se côtoyer les familles Mounier, Marrou, Baboulène ; les Domenach, les Fraisse et les Ricoeur ( le derniers en 1957). Chacun est indépendant, mais participe à une vie communautaire.

Simone Fraisse est agrégée de lettres et spécialiste des œuvres de Simone Weil ; Jean-­Marie Domenach, est un intellectuel et journaliste engagé, et sa femme, Nicole, professeure à l’école d’arts appliqués Estienne ; Jean Baboulène est à ''Esprit'' comme tous, et secrétaire général de la Jec, directeur de Témoignage chrétien jusqu’en 1949.

 

Lancelot apprécie beaucoup de passer aux 'Murs Blancs ', en particulier pour y rencontrer Henri Marrou, sa femme Jeanne, et parce qu'il est très intéressé par sa réflexion sur l'Histoire; elle est une constante question, il la nomme « l'histoire-questions » ; et l'Histoire est une rencontre, elle est dit-il « une rencontre d'autrui » et, même « un mixte indissoluble du sujet et de l'objet ».

Lumière du Graal - Cahiers du Sud -1950

 

Pour Marrou, le sujet du Graal est « l'un des plus beaux que présente le moyen âge occidental. ». Il le rapproche volontiers d'une réflexion sur l'histoire des religions, en commençant par l'exploration des vieilles croyances celtiques, jusqu'à l'eucharistie chrétienne. Nous sommes confronté également, dit-il, à la transmission de la légende : par quels moyens est-elle parvenue à la connaissance des auteurs médiévaux ? Comment a travaillé Chrétien de Troyes, sur quels documents ? Cette '' Matière de Bretagne'' est bien originale, dans sa '' Merveille '' qui n'est ni grecque, ni romaine, ni slave...

- Ne trouve t-elle pas ses origines « dans le sol même de la Bretagne, de la vieille Bretagne celtique. » ?

- Oui, sans-doute ; mais il faudrait faire le ménage de beaucoup d'hypothèses fantaisistes... et je pense à celle du catharisme.

Un livre récent de Jean Marx, sur ce thème, est assez éclairant. Bien sûr, il privilégie l'arrière-plan celtique pour expliquer l'ossature de la légende.

Si Lancelot ne nie pas l'origine celtique de la Légende, il estime fondamental de ne pas occulter la transcription catholique de la légende et sa perpétuation à partir d'un environnement médiéval. Car enfin, pour nous, le Graal prend corps à cette période de notre histoire !

S'amusant un peu ; de l'identification de Lancelot à la quête de son personnage emblématique ; Henri Marrou pointe dans la recherche historique une fonction libératrice, aussi bien pour la société que pour l'individu.

- Vous ne croyez-donc pas à la l'objectivité et l’exhaustivité des historiens ?

- Non... L'historien n’appréhende pas le passé directement, mais à travers lui-même et son propre présent.

- On ne peut pas parler de ''vérité historique'' ?

- Cette vérité se cherche et se construit, avec à mon sens, d'autant plus de justesse que nous connaissons ce qui fait la spécificité d'une époque et « ce principe de la différence des temps », pour éviter l'anachronisme.

Pour se faire comprendre du plus grand nombre, l'historien ne craint pas d'utiliser ce que Augustin Thierry nommait au XIXe s. « la puissance de l'analogie », avec ses limites... Attention à l'anachronisme !

Carte Lancelot - 1950

 

Lancelot ne manque pas d'évoquer son arrière grand-père Charles-Louis de Chateauneuf qui connaissait bien Augustin Thierry (1795-1856), et il notait combien cet historien s'était nourri des romans de Walter Scott. Dans son travail, il faisait la place aux légendes, à l'imaginaire...

Bien sûr, Thierry revenait aux sources, aux textes originaux et aussi aux poésies populaires ; il aimait retrouvait le vieux langage français. Il disait s'intéresser plus aux vaincus qu'aux vainqueurs, à la différence du XVIIIe s. pendant lequel l'historien était au service du ''Prince''. Il pensait qu'il revenait à l'historien de faire revivre par son style les individus et les peuples disparus : « II faut pénétrer jusqu'aux hommes, à travers la distance des siècles, il faut se les représenter vivants et agissants sur le pays où la poussière de leurs os ne se retrouverait pas même aujourd'hui... (…) Que l'imagination du lecteur s'y attache ; qu'elle repeuple la vieille Angleterre de ses envahisseurs et de ses vaincus du XIe siècle ; qu'elle se figure leurs situations, leurs intérêts, leur langage divers, la joie et l'insolence des uns, la misère et la terreur des autres, tout le mouvement qui accompagne la guerre à mort de deux grandes masses d'hommes. »

 

Henri-Marrou ( ancien ''tala'' de l'Ecole Normale) se définit comme catholique, spécialiste de Saint-Augustin, lecteur de Cassien ( IVe s.) et du frère carme Laurent de la Résurrection ( XVIIe s.) ; et passionné par l’œuvre de Teilhard de Chardin, qu'il avait rencontré étudiant, lors de réunions du groupe « tala » de la rue de Grenelle.

Marrou dit qu'il prie, depuis, avec une vision christocentrique du monde : « Aidez-moi Seigneur à me dégager par ascèse de la gangue inerte de mon cœur et que je puisse travailler avec vous, Christ, à réconcilier toutes choses avec le Père » (...). « sentir avec l’Église, mais aussi sentir avec le monde. »

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1950 – Moïra de Julien Green

23 Août 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1950, #Green, #Moïra

Lancelot se souvient très bien des lectures de Mont-Cinère (1926), Adrienne Mesurat (1927), Léviathan (1929) . Julien Green y dépeignait une humanité privée de transcendance, ce que refuse ce monde contemporain. Le monde n'en devient pas moins irrationnel, et incohérent. « Le vrai monde est ailleurs » répète Green.

Depuis son retour d'Amérique, l'écrivain cherchait l'appartement qui lui permettrait, enrichi de ses meubles, de retrouver le décor de sa jeunesse. Il le découvre au 52b rue de Varenne. Il restreint le cercle de ses fréquentations, et semble tourmenté par la question religieuse. Il dit apprécier le dialogue avec des dominicains qui ne craignent pas '' de vivre dangereusement, à moitié dans le monde.'', et se montre très exigeant quant à leur exemplarité spirituelle.

Lancelot évoque Teilhard de Chardin, qu'il connaît mal, et regrette que ces intellectuels fassent l'impasse, d'après lui, sur les questions non résolues du péché et de Satan.


 

Lancelot voulait avoir lu Moïra, avant de revoir Julien Green.

- La lecture de ce roman fut pénible, par son ambiance moite, et intolérante. note t-il. L'action se déroule dans un espace étranger, c'est à dire étrange dans sa topographie composée d'une université de Virginie, et de pensions pour étudiants, dans sa culture classique et vieillotte, et par sa religion décrite comme un carcan mortifère. A tout cela se rajoute l'angoissante culpabilité d'une sensualité exacerbée par le carcan religieux; de surcroît homosexuelle. Cela faisait beaucoup, pour Lancelot qui espérait que Green eut approfondi sa réflexion religieuse, comme le laissait transparaître les dernières discussions qu'ils avaient eues. Lancelot était déçu.

Il eut avec Green, une discussion sincère, qui l'a réconcilié, un peu, avec le thème choisi.

Moïra représente l'instinct sexuel et s'interpose entre Joseph et Dieu. Moira est l'obstacle, Joseph fera le choix ( choisit-il vraiment ?) de s'y fracasser.

- Pourquoi, décrivez-vous la vie dans ce monde, comme un drame ?

- Je suis face à un dilemme : vivre selon ma nature ou vivre selon les commandements de Dieu ? Il faut choisir entre les joies du plaisir ou les joies de l'ange ?

- L'ange ?

- L'ange que j'aspire à devenir : je voudrais devenir un saint ! Pourquoi nous faut-il choisir entre le monde et le ciel ?

- Comment évoquer l'amour, quand Joseph associe le mal, avec tout désir ?

- Parce qu'un désir de nature homosexuel, ne peut se réaliser. Sentiment et plaisir sont dissociés ; assure Julien Green.

 

-Autre chose, annonce Green, ne ressentez-vous pas parfois, que ce monde est irréel ?

- Du moins, répond Lancelot, je m'interroge si le monde que je perçois est bien la réalité du monde...

- Oui... Ce monde n'est peut-être que « la projection de ce que nous portons en nous. », c'est la grande idée de ''Minuit'' (1936).

- Certains répondraient, que ce sentiment d'irréalité, est l'expression d'un refus d'accepter cette réalité... ? L'angoisse de vivre le Mal du monde … ?

 

- Je sais combien vous appréciez Bernanos, et donc nous savons que le Mal travaille aussi dans l'invisible. Mais, une parole du Père Couturier m'avait frappé : « le démon ne peut faire des miracles. » ; le démon se donne des apparences de surnaturel.

Lancelot est ébranlé par ces dernières réflexions... Qu'en est-il donc, du Mal, de l'enfer... ? A l'opposé du divin, où se situe l'espace du Mal, exclusivement dans ce monde ?

- Si les tentations charnelles sont de ce monde ; y céder, finit par ….ne plus vouloir Dieu.

** PS: Suite à la lecture d'articles concernant l’édition intégrale du Journal de Julien Green, j'apprends le comportement déviant et condamnable, et je lis même les citations de propos écœurants qu'il rapporte dans son journal... Bien-sûr, quand je parle de cet auteur, je ne me rapporte qu'aux textes que je connais et parus au cours du XXè siècle.

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1950-51 - La Cybernétique 2

18 Août 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1950, #cybernétique, #Brillouin, #Entropie

Un article, titré '' Le cerveau et la machine '' des ''Nouvelles littéraires ...'' du 1er juin 1950, est signé Léon Brillouin.

Lancelot se souvient bien de Léon Brillouin (1889-1969), physicien et professeur au Collège de France, au début de Vichy, il était sous-secrétaire d'Etat à la Radiodiffusion nationale depuis sa nomination par Daladier en juillet 1939. Il avait démissionné fin 40 et émigré aux Etats-Unis. Il y est toujours, et travaille chez IBM depuis 1948.

IBM est cette entreprise qui utilisait ses brevets de mécanographie, par le biais d'appareils à cartes perforées ( tabulatrices), ces cartes servaient essentiellement de support des données en entrée et en sortie. En ces années 1950, des calculateurs électroniques connectés aux tabulatrices, vont permettre, grâce à leur vitesse, des applications beaucoup plus sophistiquées.

 

L'intérêt de l'article de Brillouin, est que sa réflexion sur la cybernétique, s'appuie sur une comparaison avec la physique.

Sa première remarque concerne la chimie : « la chimie de la matière vivante ne se distingue pas essentiellement de la chimie générale. Elle obéit aux mêmes lois et les corps organiques sont des produits chimiques comme les autres. Dès que l’un d’eux est découvert dam la vie, il est bientôt fabriqué au laboratoire. Les réactions chimiques vitales sont très analogues à celles de l’industriel ou du pharmacien. »

Sur la physique : « Shannon, travaillant aux Bell Telephone Laboratories, s’est attaché à dégager les principes généraux de transmission, les lois essentielles des télécommunications. Il a découvert une curieuse analogie entre la notion d'information et la conception d’entropie familière aux physiciens. Le fameux principe de Carnot spécifie que, dans tout phénomène physique ou chimique, une certaine quantité, l’entropie, ne peut jamais diminuer. L’entropie a tendance à augmenter sans cesse ou peut à la rigueur rester constante. Sa variation est à sens unique. » pendant la guerre, Claude Shannon a travaillé au décodage de communications de l’ennemi.

Je passe sur les exemples qui illustrent sa réflexion :

L’information peut se perdre, se dissiper ; elle n’augmente pas. Le lecteur de cet article peut en comprendre une partie ou la totalité. Il ne peut tirer de ces lignes davantage ou plus que l’auteur n’y a mis. ( ...)

L’information présente donc des caractères semblables à ceux d’une entropie négative ; toutes deux doivent constamment décroître ou tout au plus rester constantes.

** Tout d’abord, une différence saute aux yeux : lorsqu’en physique, deux corps échangent de la chaleur, l’un perd de l’entropie, le second en gagne. La balance est positive, l’entropie totale augmente.

Pour l’information, la situation est différente : si j’envoie un télégramme, mon correspondant ne reçoit qu’une partie des informations que je désirais lui transmettre, mais moi, l’expéditeur, je n’ai rien perdu. ( …) La différence entre information et entropie, sur ce point, est fondamentale. Nous pouvons disséminer une information sans la perdre, répandre l’instruction au moyen de cours et conférences, sans diminuer la science du professeur.

Second point : la pensée, l’effort de réflexion du savant ou du philosophe représentent une création de nouvelles informations. (...) D’où la conclusion : la pensée crée de l’entropie négative. La réflexion et le travail du cerveau humain vont à l’inverse des lois physiques usuelles ; réflexion surprenante et dont l’examen peut nous conduire à d’étranges découvertes ! »

 

Pour Brillouin, la comparaison entre cerveau et machine à calculer, n'est pas fondée.

« Chaque machine, si complexe soit-elle, exige un homme (et plus exactement le cerveau d’un homme) pour la diriger et la conduire. (…) Elle ne pense pas, mais exécute. Une machine parfaite suit rigoureusement le programme de la bande perforée (…).

La machine applique le code et déchiffre le message illisible. Elle ne réfléchit pas, ne pense pas, n’invente rien et elle est tout à fait incapable d’imagination. (...)

La machine mathématique est incapable de pensée créatrice. Elle peut suppléer le travail du cerveau humain dans un rôle purement passif et son rendement entropique est dans le sens naturel de l’augmentation. (…)

Le cerveau humain crée de l’entropie négative, dont la machine est parfaitement incapable. »

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1950 – L'Indochine

24 Juillet 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1950, #Casablanca, #Indochine, #Duras

Lancelot suit toujours avec intérêt les nouveautés en ce qui concerne la TSF, et depuis peu, la télévision avec, même, des postes de poche. Dans les actualités du ''Pathé-Journal'', on imagine un futur, où :« Plus besoin d'acheter le journal, on se branchera sur l'émission d'information; et la rue présentera un singulier spectacle », chacun déambulant les yeux rivés sur son poste. Dans le métro, on lira le poste du voisin, derrière son épaule, absorbés on se percutera dans la rue. La télévision se présentera comme un besoin impérieux, et les voitures seront munis d'un poste récepteur ; causant de multiples accidents. » !

Les hommes politiques seront « choisis par la séduction de leur sourire, et le velouté de leurs yeux. » ; les femmes se faisant particulièrement influencées. Les images, après avoir été en relief,, traverseront les murs comme le son actuellement, et s'incrusteront chez les voisins.

Nous sommes prévenus !

Lancelot, au Cinéma, a vu et apprécié : Casablanca. L'action se déroule au Maroc. Casablanca est alors contrôlée par le gouvernement de Vichy, et relate l'histoire de réfugiés voulant fuir le régime nazi. Humphrey Bogart est Rick, un expatrié cynique Ingrid Bergman est Ilsa, une femme qu'il n'aurait jamais cru revoir, la seule qu'il ait jamais aimée...

Le tournage avait débuté le 25 mai 1942. On tourne au jour le jour, sans connaître la fin.

Il y a cette scène où un homme est abattu devant un mur peint à la gloire Pétain, et se termine par l’atterrissage d'un avion, devant des visages emplis de peur : la mort ou un billet pour la Liberté.

Dans ce décor de bar, sur fond d'espionnage avec musique américaine, des exilés errent en attente d'un billet d'avion. Rick doit-il plus s'engager dans la résistance, ou feindre la neutralité ?

Ce ne sera que le 8 novembre 42, que les forces alliées débarqueront en Afrique du Nord.

Le film sort en salle aux Etats-Unis, au moment de la Conférence de Casablanca (1943).

L’Indochine française, regroupe des régions conquises à partir de 1858 telles que les protectorats du Laos, du Cambodge, de l’Annam et du Tonkin (Centre et nord du Vietnam), la colonie de Cochinchine (sud du Vietnam), ainsi qu’une petite partie de territoire chinois. Au sein même de l’Indochine française, les différents territoires ont des statuts variés, et sont donc administrés différemment.

En 1949, pour ce qui est de l'Indochine, nous pensions être arrivés à une solution avec la « solution Bao Daï » l'ex-empereur, à qui la France offre le pouvoir et l'indépendance du Vietnam, en 1948. Cette solution transformait l’Union indochinoise en trois États associés de la France : le Vietnam, le Cambodge et le Laos. Ils restaient cependant dépendants de Paris pour la diplomatie et les questions militaires. 

A présent, Hô Chi Minh n'est plus seulement un nationaliste, mais un «pion dans le jeu de Moscou » ; et l'Indochine, un enjeu de la ''Guerre froide ''. Et, la France compte sur l'aide américaine, pour prendre le relais. Mao a pris le pouvoir en Chine, et le reste de l'Asie est sous la menace communiste.

Cependant, en France ( 1950 ), ce conflit apparaît pour certains, comme une guerre coloniale ; et pour la plupart, les laisse indifférents. D'autres, c'est vrai, souhaiteraient conserver notre Empire en le modernisant. ''Après tout'', Camus en 1945, demandait « un régime d’égalité devant la loi qui donnera au paysan annamite comme à l'ouvrier français la même part de dignité ». Il conclut : «si nous ne voulons pas perdre notre Empire », il faut «donner à nos colonies la démocratie que nous réclamons pour nous »

Marguerite Duras

Lancelot, a eu la surprise de découvrir en librairie , un roman signé Marguerite Duras '' Un barrage contre le Pacifique '', et de plus sélectionné pour le prix Goncourt 1950. ( Le jury, las de ne pouvoir se décider, aura choisi Paul Colin, qui restera inconnu.). Un roman anti-colonialiste, semble t-il ?

Après l'écriture de Balzac, nous trouvons le style de Duras beaucoup plus dépouillé ; un peu comme si le narrateur tentait avec difficulté de se souvenir de la forme des personnages, et privilégiait l'atmosphère pesante, le climat à la chaleur moite, les relations ambiguës. La tension est palpable entre le chinois et Suzanne, Suzanne et son frère Joseph, et la mère sans plus d'illusions.

Lancelot est touché finalement par la sincérité de cette écriture. Le fond et la forme se mêlent, comme la lenteur de la narration, des événements...

Il s'agit de l’Indochine, avant-guerre, et la description implacable d'une société coloniale en décadence. La mère se bat contre l´administration, contre la corruption, contre le Pacifique.

Le système colonial écrase autant les indigènes, que les ''petits blancs'' ; même en 1950, cette description ne correspond pas à ce que les français se représentent de l'Indochine. Il est vrai qu'à présent ce système est menacé, le Vietnam est coupé en deux.

Un autre point de vue, singulier et féminin, de ce livre est la relation entre une jeune fille blanche et un Indochinois (pas un vrai indigène, mais un Chinois) plus âgé, qui transgresse les codes de la société coloniale.

Les pauvres blancs, trop proches des indigènes, n'accèdent pas à la ''ville blanche''.

« Dans le haut quartier n'habitaient que les blancs qui avaient fait fortune. Pour marquer la mesure surhumaine de la démarche blanche, les rues et les trottoirs du haut quartier étaient immenses. [...] Arrosées plusieurs fois par jour, vertes, fleuries, ces rues étaient aussi bien entretenues que les allées d'un immense jardin zoologique où les espèces rares des blancs veillaient sur elles-mêmes. Le centre du haut quartier était leur vrai sanctuaire. C'était au centre seulement qu'à l'ombre des tamariniers s'étalaient les immenses terrasses de leurs cafés. Là, le soir, ils se retrouvaient entre eux. Seuls les garçons de café étaient encore indigènes, mais déguisés en blancs, ils avaient été mis dans des smokings, de même qu'auprès d'eux les palmiers des terrasses étaient en pots. ».

La mort est très présente dans Un barrage contre le Pacifique . Le livre s'ouvre et se termine sur des scènes de mort ; et la destinée de la société coloniale apparaît tragique.

 

Edgar Morin trouve dans la revue d'Emmanuel Mounier, Esprit, un espace de liberté et de dialogue. Dans le numéro de novembre 1951, Morin dénonce la répression en URSS, dans un article intitulé '' L'honneur de la vérité '' ; et accuse son parti de censurer ces informations... L'article provoque son exclusion du PCF. Dans sa cellule, Annie Kriegel demande «  l’exclusion du camarade Morin ; le Parti doit s’épurer. ». Morin raconte : « Et tous ont voté mon exclusion. Je dois dire que cette nuit-là, j’ai eu du chagrin parce qu’alors, être exclu du Parti était une excommunication, une malédiction comme celle qu’avait subie Spinoza. En rentrant de cette séance, j’entendais dans la nuit un pick-up qui jouait la marche ukrainienne que je chantais à l’époque des victoires et de l’espoir. J’avais perdu tout espoir. Mais le matin, j’étais heureux, j’étais libre, et je suis resté libre. »

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1950 - Félix Sinclair

7 Juillet 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Félix Sinclair, #1950

Alors que Frédéric Joliot est haut-commissaire du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), il devient début 49, président du « Mouvement mondial des partisans de la paix ». Le président des Etats-Unis Harry S. Truman en janvier 1950, fait part des recherches américaines sur la bombe thermonucléaire. Joliot lance en mars 1950 « l’appel de Stockholm » pour l’interdiction de l’arme atomique qui recueille des dizaines de millions de signatures.

"Appel :

Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations.

Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction.

Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.

Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel."

L'Humanité_29 avril 1950

Ses activités politiques valent à M. Joliot-Curie d'être démis de ses fonctions de haut-commissaire le 28 avril 1950.

Le Figaro du 29 avril 1950, rapporte que « C’est du reste ce que M. Georges Bidault avait déclaré la veille à M. Joliot-Curie, convoqué à l’Hôtel Matignon. Ce dernier ne trouva d’autre excuse à son obéissance à un gouvernement étranger que le slogan répandu par les communistes : « Staline travaille pour la paix, tandis que le gouvernement français prépare la guerre. » — C’est par amour et par vénération de la paix que j’ai choisi Staline, — Pour le servir en toute indépendance, lui répondit M. Georges Bidault, il est par conséquent nécessaire que vous renonciez à vos fonctions... Le Conseil des ministres s’est rangé à l’avis du président du Conseil. »

 

En Ecosse, Félix Sinclair, âgé de vingt et un ans, vient d'enterrer sa mère, et découvrir la réalité des événements qui ont provoqué sa naissance. Il pose pour la première fois, un pied sur le Continent, ce jour de mars 1950. ( voir par ex/ 1941 – Lyon – Sinclair - 1941 – L'Ecosse – Rosslyn Chapel - Sinclair - ).... 

Avec les éléments qu'il a à sa disposition ; il trouve assez facilement le chemin de Fléchigné.

Quelle surprise pour Anne-Laure, que cette visite ! Lancelot averti, décide de les rejoindre au plus vite.

Félix, curieux de tout, en se promenant dans la région, rencontre une jeune fille, elle-même en visite chez des cousins de Mayenne. Micheline habite avec sa sœur et ses parents au Havre, actuellement en reconstruction. En attente d'être relogés dans les nouveaux immeubles de l'avenue Foch, ils habitent chez de la famille dont la maison a réchappé aux bombardements.

Entre les deux jeunes gens, c'est un véritable coup de foudre. Ils reviennent ensemble au Havre.

 

Puis, Félix ''ferme la parenthèse'' et retourne en Ecosse. Quelques mois plus tard, n'ayant pas renoncé à correspondre avec elle, Félix apprend que la jeune femme est enceinte. Il est affolé, car ce projet contrevient à sa promesse faite à sa mère, quant à un mariage prévu de longue date...

Un mariage que son ''nom'' oblige, il n'a pas le choix....

Il écrit tout cela à la jeune femme ; et à Lancelot.

 

Pourtant, au cœur du mois d’août, il reprend le voyage pour le Havre, sûr de pouvoir laisser seul l'amour décider.

Au Havre, Félix apprend très vite que la mère de son enfant s'est mariée ; et s'est envolée avec son mari à Casablanca, au Maroc.

Anne-Laure de Sallembier connaît bien le mari de la jeune fille ; puisqu'il est originaire de cette même région de Mayenne, en lien familial. La jeune femme, d'ailleurs, le connaissait déjà ; et le jeune homme avait l'opportunité d'un poste intéressant dans une entreprise de travaux publics, à Casablanca, qui s'ouvrait à lui, s'il partait rapidement... Juste, le temps de se marier. !

C'est ainsi que je suis né, le 10 décembre 1951, à Casablanca. J'ai, certes, modifié quelques circonstances. Ma mère est bien Micheline Haquet, havraise. Mon père se rattache à Fléchigné, il se nomme Georges Vétillard.

 

Lancelot et Anne-Laure de Sallembier, ont bien intégré cette marque de fabrique de leur lignée : la transmission échappe aux règles ordinaires de la famille. Elle-même, ne portât jamais le nom de son père ( qui précisément était ''Vétillard'' ! ( Louis-Ferdinand Vétillard, était un notable commerçant de Paris).

Lancelot lui-même, s'il porte le nom de son père, connut tardivement son géniteur; mais avant lui, Charles-Louis de Chateauneuf, était par sa mère, relié aux seigneurs du Limousin, mais hors lignée officielle, bien que reconnu.

 

Un soir, alors que Lancelot et sa mère échangeaient sur des événements du passé de la lignée. Elaine semblait douter de ce qu'ils évoquaient : « ça n'existe pas ! »

Quelle bonne question... Le passé existe t-il encore ?

Lancelot répond rapidement à Elaine, que ce qui s'est passé dans le temps ; c'est aussi ce qui se passe dans l'espace... Je ne suis plus à Paris, avec ta maman, pourtant je suis certain qu'elle existe aussi, même si je ne suis plus à Paris.... Plus tard, à Paris, je serai sûr qu'Elaine existe bien, alors que je ne serai plus avec toi... 

Anne-Laure continue : «  C'est très important, ce que nous sommes en train de dire.... Crois-moi, quand tu seras vieille comme moi, et que tu reviendras à Fléchigné, tu repenseras à ces instants que nous vivons, tu regarderas les murs, tu les toucheras, tu sentiras même cette odeur, et tu sera sûre que ces instants existent encore ; dans une autre dimension que malheureusement nous n'appréhendons pas avec nos sens, c'est-à dire avec nos yeux... Je ressens bien cela, dans une Eglise, par exemple.... »

Anne-Laure et Lancelot pensent alors à la même chose ; à la ''quatrième dimension '' que Proust évoquait dans un article du Figaro ( depuis 1912, gardé précieusement) sur '' L'église de village '', « un édifice occupant, si l’on peut dire, un espace à quatre dimensions – la quatrième était celle du Temps, – déployant à travers les siècles son vaisseau qui, de travée en travée, de chapelle en chapelle, semblait vaincre et franchir, non pas seulement quelques mètres, mais des époques successives d’où il sortait victorieux... »

Elaine semble avoir compris certaines choses, puisqu'elle de mande : « mais, si la maison n'existe plus ? »

Lancelot répond : «  Ce serait plus difficile, nous n'aurions plus nos sens, la vue, l'odorat pour nous aider... mais nous savons que le passé existe quand même. Tu sais, beaucoup de choses existent que nous ne percevons pas.... » Elaine répond : « comme ma maman, que je ne vois pas. ».

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1949 – 1950 – Gide – Mort de E. Mounier

27 Juin 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Green, #1950, #Mounier, #Ellul

1949 - L'année de ses quatre-vingt ans, André Gide est célébré comme l'un de nos plus grands écrivains. La parution de son Journal, son Anthologie de la poésie ; l'annonce de la parution prochaine de sa correspondance avec Claudel, et régulièrement à la radio la diffusion d'entretiens avec Jean Amrouche ; ont sans doute poussé Lancelot, sans s'être annoncé, à oser sonner à la porte d'André Gide – qu'il avait déjà rencontré à diverses reprises, je le rappelle : - en 1921 la première fois, - en 1938 ils avaient mangé en tête à tête chez Lesur, - aux décades de Pontigny, etc.

Julien Green 1947

Et, magnifique coïncidence, au moment où Lancelot se présente devant la porte du cinquième étage, ''du Vaneau'', Yvonne Davet ( la secrétaire de Gide) sort avec Julien Green. Ils se saluent, et Yvonne signale que Gide est fatigué, mais qu'elle lui rapportera sa visite dès demain. Lancelot est déçu, et Yvonne les prie puisqu'ils sont ainsi mis à la porte, de l'accompagner dans une brasserie proche ; en effet, elle aurait besoin de se confier sur des faits qui concernent André Gide.

Sur le trajet, Lancelot s'empresse de rappeler à Julien Green, qu'ils se sont connus il y a bien longtemps au lycée Janson de Sailly. C'était en 1914, Lancelot quittait alors Paris, et laissait Julien qui venait de perdre sa mère... Julien Green, soudain, se souvient très bien, et exprime son émotion de se rappeler tout cela … Lancelot ne l'a pas oublié, il est vrai facilité par la lecture régulière de ses ouvrages.

Yvonne Davet est cette jeune femme, que Lancelot rencontra en 1933, chez Gibert. Elle avait tout quitté, Avignon, son mari, son fils ; pour rejoindre André Gide à Paris. Elle va passer sa vie à suivre Gide, jusqu'en Tunisie, en 1940; si c'est possible, mais il refuse. Alors, par dépit, elle part comme travailleuse volontaire en Allemagne. Elle déchante. Elle rentre en France fin mai 45. Elle va faire différentes traductions, dont celles d'Orwell. Gide l'engage comme secrétaire au printemps 46.

A présent, Yvonne se dit en butte à des manœuvres de Van Rysselberghe, et à la « perfidie d'Amrouche ».

Je vais laisser ici cette affaire, sur laquelle il est bien difficile de discerner...; pour ne retenir que cette occasion de rencontre avec Julien Green, qui invite Lancelot à le visiter rue de Varenne ; ce que Lancelot ne tardera pas à faire.

Le 23 mars 1950, nous apprenons cette terrible nouvelle, par la presse : « Emmanuel Mounier est mort subitement cette nuit, d'une défaillance cardiaque due au surmenage. »

Lancelot avait soutenu la ligne d'Esprit dans les années trente, et il se souvient que Vichy s'inquiétait de l'influence de Mounier sur ''Jeune France''. Nous étions en 1941, il ne pouvait plus faire de conférence à Uriage, et sa revue Esprit est interdite. Lancelot l'avait rencontré, dans son appartement de la Croix-Rousse à Lyon ; et avait préparé avec lui les ''Rencontres de Lourmarin ''. Précédemment, on pouvait le croiser lors des dimanches des Maritain à Meudon.

 

Lors d'une discussion sur la recherche du bonheur, et définir ainsi des valeurs à défendre pour le permettre, s'il insistait sur les valeurs économiques, il ajoutait que les rendre supérieures aux autres engendraient le désordre. Le plaisir, l'argent, la santé, le confort, la puissance, participent au bonheur ; et pourtant - aimait-il dire - : « le bonheur ne suffit pas pour être heureux ».

En démocratie, chacun doit savoir où est son bonheur ; et ne pas s'en décharger sur la société. Il faut replacer l'éthique des besoins humains dans la perspective de la '' Personne''. « L'économique ne peut se résoudre séparément du politique te du spirituel. »

Pour lui, L'Absurde, était une sorte de métaphysique de la solitude intégrale; c'est celle qui nous reste quand on a perdu la vérité et la communauté des hommes.

Sa pensée est vraiment celle qu'il faut à notre temps, hélas, elle reste inachevée...

 

Les obsèques ont eut lieu le 24 mars en l'église de Châtenay-Malabry, célébrées par Depierre, un ami de Mounier, prêtre ouvrier.

« Que nous reste-t-il ? Il nous reste ce que nos yeux ont vu, ce que nos oreilles ont entendu, vendredi matin, dans cette pauvre église de banlieue, nous tous, disciples, amis, adversaires fraternels, pressés autour de la dépouille d’un écrivain mort à la tâche, et de cette jeune femme voilée, et de la petite fille qu’elle tenait par la main. Il nous reste la promesse que nous apportait, au nom du Christ, l’abbé Depierre : il reste assez de sainteté dans le monde pour sauver le monde. » François MAURIAC

 

A la sortie de cette ''guerre totale'' ; la nouvelle société nous entraîne t-elle vers l'apocalypse ? La ''modernité '' est-elle en cause ? Pour les chrétiens de l'entre-deux guerres, en ce début des années cinquante, la question reste encore d'actualité.

Mounier s'oppose à la charge de Bernanos contre la civilisation technique. Si la ''machine'' n'apporte pas le bonheur, les méfaits techniques doivent être surmontés par un progrès de l'humanité. La machine « n’est que l’extension du corps de l’homme dans le corps du monde. » ( la Petite Peur du XXème siècle ). Contre les prêcheurs d'apocalypse, Mounier rejoint l'optimisme de Teilhard de Chardin.

Jacques Ellul (1912-1994) - 1950

Jacques Ellul, proche de Mounier, dans les années trente, constate que la technique dépossède l'homme de toute emprise sur le réel. L'homme pourrait ne plus penser que de façon technique. Si « l’environnement de l’homme n’est plus fait que d’objets techniques », si « la technique intervient directement sur la vie de l’homme » ; alors elle lui demandera « des adaptations comparables à celles qu’avait exigées primitivement le milieu naturel. »

Il ne s'agit sans-doute pas de la fin du monde ; mais de la fin d'un monde.

 

Bernanos prévoyait un homme moderne, docile, irresponsable, complaisant à toute volonté du collectif dans un « paradis des robots ». Mounier prêche pour une humanité enfin mature devant les dangers.

Ellul, craint que l'homme n'ait plus d'emprise sur un système technicien, qui recrute les techniciens... « Le sacré, le religieux non technique est éliminé. Ainsi l’homme ne peut se situer nulle part d’où il pourrait porter une appréciation sur ce processus. Il n’y a aucun « point de vue possible. (…) L’homme est entièrement « de ce côté-ci » du système et n’a plus aucun « au-delà » de ce système à partir de quoi le « voir » et le critiquer. » ( la Technique, ou l’enjeu du siècle ).

 

Pour le chrétien Mounier, l'incarnation du Christ réconcilie l'homme et la création ; et au travers d'un progrès collectif de l'humanité. L'Histoire est celle d'un salut collectif de la création ( unifiée) : « une marche collective d’âge en âge de l’humanité entière, qui entraîne le monde physique avec elle dans la Rédemption ». (Mounier, 1949)

Mounier précise que « l’homme a la mission glorieuse d’être l’auteur de sa propre libération » (Mounier 1949 )

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1950 - Marie, la mère de Dieu. L'Assomption

18 Mai 2023 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1950, #Marie, #Assomption

A part Luc, les évangélistes n'ont pas accordé à Marie, une place importante.

Depuis 418, le patriarche de Constantinople, Nestorius, refuse d'appeler la Vierge Marie "Mère de Dieu" ; ce qui reviendrait à nier l'union des deux natures, humaine et divine, dans le Christ. Aussi, le Concile d'Ephèse en 431, déclare Marie « Mère de Dieu ». Cette pleine foi en le mystère de l'incarnation, place l'avènement du culte marial. L’événement de l'Assomption n’apparaît que dans des écrits apocryphes. Saint Éphrem en 373, évoque le fait que le corps de Marie soit resté sain après son décès protégé de "l’impureté" de la mort. Des manuscrits de la fin du VIe siècle nous parle de commémorations liturgiques de la Mère de Dieu. Une fête est célébrée en Orient depuis le VIe siècle sous l'appellation de Dormition de Marie.

C'est surtout au XIIe siècle, avec l'appellation de '' Notre Dame '' que le culte marial prend de l’ampleur. Marie est représentée sur le Trône de la Sagesse.

Marie qui s’élève au Ciel le jour de l’Assomption est la "nouvelle Ève" auprès du Christ, le "nouvel Adam".

'' Ce Mal dont Eve et le serpent ensemble / Se sont faits par le fruit de l'Arbre les auteurs, / C'est elle seule, en enfantant le Christ, / La Vierge qui le chasse tout à fait.".

Le XIIIe siècle, est l'âge d'or des apparitions, et témoignent d'un modèle de sainteté : maternité divine et virginité. Cependant, Thomas d’Aquin reconnaissait « qu’il est impossible de faire de l’Assomption un dogme puisque les Écritures ne l’enseignent pas. ».

On peut voir des représentations artistiques de l’Assomption, dès le 15è siècle.

Le 1er novembre 1950, le Pape proclame ( ex-cathedra) la définition dogmatique de l’Assomption :« Nous proclamons, déclarons et définissons que c’est un dogme divinement révélé que Marie, l’Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste. »

Le père Dominique Dubarle, que Lancelot interroge à propos de l'Assomption de Marie, répond qu'a travers l'humaine mère de Jésus, l'Eglise proclame '' le destin surnaturel et la dignité de tout corps humain, appelé par le Seigneur à devenir un instrument de sainteté et à participer à sa gloire.'' Et ceci, en réaction à ce que nous venons de vivre : la guerre ; les camps d'extermination, qui ont gravement humilié et désacralisé le corps humain.

En 1947, Thomas Philippe, est recteur du couvent d'études du Saulchoir à Étiolles.

Le 20 octobre 1938, à Rome, devant la '' Mater Admirabilis '' peinte par Pauline Perdrau, en 1844, le Père Thomas témoigne avoir découvertes les grâces de Marie ; la Vierge l'aurait investi d'une certaine doctrine, au cours d'une prétendue nuit de noces. Cette expérience fut une étape essentielle dans sa vie spirituelle. Cette fresque de représente la Vierge Marie comme une jeune fille, dans sa vie de tous les jours, avant que l’ange Gabriel vienne lui annoncer qu’elle était choisie par Dieu pour être Mère de son Fils. Le pape Pie IX la découvrit en 1846 et s’exclama “Mater admirabilis !”, nom qui lui resta. Il vint fréquemment prier devant elle. Il proclama le dogme de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1854.

Mater Admirabilis

En 1946, s'ouvre aux portes de Paris un « Centre international de spiritualité et de culture chrétienne », une « école de sagesse » destinée à former de futures élites chrétiennes grâce à un enseignement théologique et philosophique d'inspiration thomiste. La direction est confiée à Thomas Philippe qui a transmis sa charge de recteur du Saulchoir en octobre 1948.

Le philosophe Jacques Maritain, alors ambassadeur de France près le Saint-Siège soutient l'initiative, y donne aussi des cours et songe même en 1948 à s'y installer.

Jean Vanier – dont le père ambassadeur finance l'installation du chauffage – se dirige vers l'Eau vive et s'y installe en septembre 1950, il devient rapidement le « fils spirituel » de Thomas Philippe. Un psychiatre américain John W. Thompson (1906-1965), s'y installe à partir de 1951 et y accueille des adolescents et des jeunes adultes en souffrance mentale, comme « une oasis spirituelle infusée par l'amour de Dieu au milieu d'un désert sans âme marqué par le matérialisme et la destruction. ».

Jean Vanier, qui avait accompagné le père Thomas à Rome, écrit dans un article de 1950, sur l’Assomption de Marie : « Le 21 Octobre, c’est la fête de Mater Admirabilis. C’est une icône qui a été peinte à Trinita dei Monti chez les sœurs du Sacré Cœur [..] C’est un lieu très important pour le Père Thomas qui m’avait parlé des grandes grâces qu’il y avait reçues, je crois, en 1938. »

L'organisation approximative, des '' débordements de piété affective '' déplaisent, notamment à l'abbé Charles Journet, le père de Menasce et Jacques Maritain... Par l'entremise de sa sœur Cécile, le père Thomas Philippe entretient des rapports privilégiés avec plusieurs moniales du carmel de Nogent, dont il assure la direction spirituelle : « Tout ce microcosme dominicain d’Étiolles et de Soisy [...] vit dans l’exaltation mariale sous son ascendant : les pénitents et pénitentes se pressent dans le couloir d’accès à son bureau, quitte à y faire le pied de grue plusieurs heures. ».

Bref, le 3 avril 1952, Thomas Philippe sera définitivement démis de ses fonctions. Le centre est fermé en 1956 par décision du Saint-Office et son fondateur condamné.

Cette fameuse doctrine, partagée à l'intérieur d'un cénacle de quelques initiés, ne craint pas d'imaginer un lien mystico-érotique entre Jésus et Marie. Dans les années 1950, Jacques Maritain et Charles Journet reprochaient au Père Thomas de parler de la Vierge Marie comme « l’épouse du Christ ». « (…) cette manière de vouloir faire de la sainte Vierge l'épouse de son fils (…) m'exaspère et me scandalise. » Maritain

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