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1959-1963 – Jean XXIII – Julien Green
Lancelot avait appris le matin du jeudi 9 octobre 1958, la mort du pape Pie XII dans le nuit.
Pendant 19 ans, il fut le chef spirituel de 405 millions de catholiques romains. Ce pape était très érudit, il s’intéressait aussi à la science. On disait qu'il traquait la moindre erreur dans '' l'Osservatore Romano '' L'homme apparaissait comme un monarque, solitaire, peut-être même autocrate. Comment a t-il affronter la Mort ? Avant de sombrer dans l'inconscience, Pie XII a désiré entendre la Première de Beethoven...
Dix jours après, s'était ouvert le conclave pour élire un nouveau pape ; il s'agissait de 55 cardinaux qui composaient le Sacré-Collège. Parmi les papables on parlait du français Tisserant ; mais on s'attendait à un italien ; sans-doute l'un de ces cardinaux : Lercaro de Bologne, le jeune Siri de Gênes ( 55ans et conservateur) ou Ruffini de Palermo.. ?
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L'élection de Roncalli - 77 ans - fut une surprise, et parut comme un pape de transition ( comme Jean XXII, le fut... ! ), il prit le nom de Jean XXIII. Modeste, on le disait bon diplomate.
Alors qu'il était nonce ( représentant du Saint-Siège) à Paris, Angelo Giuseppe Roncalli, n'avait pas conquis les esprits réformistes d'une grande partie du clergé français. Qu'attendre de Rome ; d'autant que la promulgation du dogme de l’infaillibilité pontificale au concile Vatican I (1870) permet de se passer d'un nouveau concile ?
Aussi, Jean XXIII, n'annonçait que la continuité de la ligne de Pie XII, ligne opposée au cardinal Suhard ( mort en 1949) qui avait patronné les prêtres ouvriers, et craint le péril de l'intégrisme...
Quand, le 25 janvier 1959, Jean XXIII, nommé pape depuis trois mois, annonce la convocation d'un concile œcuménique : la surprise est totale. Le pape lui assigne le but suivant : « Promouvoir le développement de la foi catholique, le renouveau moral de la vie chrétienne des fidèles, l’adaptation de la discipline ecclésiastique aux besoins et aux méthodes de notre temps, (...) » (29 juin 1959)
C'était pendant l'été 1962, Lancelot avait retrouvé Julien Green, son compagnon Robert de Saint-Jean ( son homosexualité nous laisse indifférents ) et Anne la sœur de Julien, dans leur ''campagne'' ( Clairefontaine, Seine et Oise), ils avaient discuté de l'exploit des cosmonautes russes ; et Green affirmait que « nous ne serons pas moins barbares ni plus chrétiens pour nous être promenés sur la lune... ». Le vrai progrès n'est-il pas avant tout spirituel, nous demandait-il ? .
Lancelot s'interroge sur le sens d'un '' progrès spirituel ''. Pour Green, ce progrès est manifeste si le spirituel gagne sur le matérialisme. Le spirituel s'attacherait à ce qui serait ''invisible et inexprimable''. L'écrivain tente de décrire le monde de l'invisible. L'invisible de Julien Green est autant habité du Divin que de la présence « de Satan et de ses pompes ».
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Lancelot interroge Julien Green sur le Mal lié au ''péché de chair'' qui semble l'avoir beaucoup préoccupé...
- Avez-vous peur de l'enfer ?
- Je n’ai pas la crainte de l’Enfer. Je ne l’ai jamais eue, bien que je me sois battu les flancs pour essayer de l’obtenir, mais je crois que ce qui serait plus affligeant que d’aller en Enfer, ce serait d’être anéanti après la mort et de ne pas voir Dieu.
Bien qu’il soit vrai que nous serons jugés sur l’amour, il est également hors de doute que nous serons jugés par l’Amour qui n’est autre que Dieu. Je crois que si l’on donnait le nom de Mal au manque de charité au lieu d’accabler le pauvre corps humain de cette malédiction, on ferait chavirer tout un faux christianisme et du même coup on ouvrirait le royaume de Dieu à des millions d’âmes. (avril 1950).
Julien Green sait que sa vie personnelle a enfreint la morale, et la morale de l'Eglise...
- Il y a un vrai désarroi devant ce que l’Église enseigne au sujet de l’Enfer. J’ai connu la crainte de la damnation, mais fugitivement. On ne va pas en Enfer si on aime Dieu. » (2 janvier 1963).
Le Pamphlet contre l'Eglise de France de Green est reparu chez Plon ( janvier 1963) avec une préface de Maritain. Paru en 1924, ce livre est celui d'un catholique récent, assez mystique pour rêver de la vie monastique et vivre dans une cellule : « J'y entrai aussitôt et ne ressortis jamais... Qui ferma la porte de la cellule, un ange ou un démon ? »
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PS: Suite à la lecture d'articles concernant l’édition intégrale du Journal de Julien Green, j'apprends le comportement déviant et condamnable, et je lis même les citations de propos écœurants qu'il rapporte dans son journal... Bien-sûr, quand je parle de cet auteur, je ne me rapporte qu'aux textes que je connais et parus au cours du XXè siècle.
1950 – Moïra de Julien Green
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Lancelot se souvient très bien des lectures de Mont-Cinère (1926), Adrienne Mesurat (1927), Léviathan (1929) . Julien Green y dépeignait une humanité privée de transcendance, ce que refuse ce monde contemporain. Le monde n'en devient pas moins irrationnel, et incohérent. « Le vrai monde est ailleurs » répète Green.
Depuis son retour d'Amérique, l'écrivain cherchait l'appartement qui lui permettrait, enrichi de ses meubles, de retrouver le décor de sa jeunesse. Il le découvre au 52b rue de Varenne. Il restreint le cercle de ses fréquentations, et semble tourmenté par la question religieuse. Il dit apprécier le dialogue avec des dominicains qui ne craignent pas '' de vivre dangereusement, à moitié dans le monde.'', et se montre très exigeant quant à leur exemplarité spirituelle.
Lancelot évoque Teilhard de Chardin, qu'il connaît mal, et regrette que ces intellectuels fassent l'impasse, d'après lui, sur les questions non résolues du péché et de Satan.
Lancelot voulait avoir lu Moïra, avant de revoir Julien Green.
- La lecture de ce roman fut pénible, par son ambiance moite, et intolérante. note t-il. L'action se déroule dans un espace étranger, c'est à dire étrange dans sa topographie composée d'une université de Virginie, et de pensions pour étudiants, dans sa culture classique et vieillotte, et par sa religion décrite comme un carcan mortifère. A tout cela se rajoute l'angoissante culpabilité d'une sensualité exacerbée par le carcan religieux; de surcroît homosexuelle. Cela faisait beaucoup, pour Lancelot qui espérait que Green eut approfondi sa réflexion religieuse, comme le laissait transparaître les dernières discussions qu'ils avaient eues. Lancelot était déçu.
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Il eut avec Green, une discussion sincère, qui l'a réconcilié, un peu, avec le thème choisi.
Moïra représente l'instinct sexuel et s'interpose entre Joseph et Dieu. Moira est l'obstacle, Joseph fera le choix ( choisit-il vraiment ?) de s'y fracasser.
- Pourquoi, décrivez-vous la vie dans ce monde, comme un drame ?
- Je suis face à un dilemme : vivre selon ma nature ou vivre selon les commandements de Dieu ? Il faut choisir entre les joies du plaisir ou les joies de l'ange ?
- L'ange ?
- L'ange que j'aspire à devenir : je voudrais devenir un saint ! Pourquoi nous faut-il choisir entre le monde et le ciel ?
- Comment évoquer l'amour, quand Joseph associe le mal, avec tout désir ?
- Parce qu'un désir de nature homosexuel, ne peut se réaliser. Sentiment et plaisir sont dissociés ; assure Julien Green.
-Autre chose, annonce Green, ne ressentez-vous pas parfois, que ce monde est irréel ?
- Du moins, répond Lancelot, je m'interroge si le monde que je perçois est bien la réalité du monde...
- Oui... Ce monde n'est peut-être que « la projection de ce que nous portons en nous. », c'est la grande idée de ''Minuit'' (1936).
- Certains répondraient, que ce sentiment d'irréalité, est l'expression d'un refus d'accepter cette réalité... ? L'angoisse de vivre le Mal du monde … ?
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- Je sais combien vous appréciez Bernanos, et donc nous savons que le Mal travaille aussi dans l'invisible. Mais, une parole du Père Couturier m'avait frappé : « le démon ne peut faire des miracles. » ; le démon se donne des apparences de surnaturel.
Lancelot est ébranlé par ces dernières réflexions... Qu'en est-il donc, du Mal, de l'enfer... ? A l'opposé du divin, où se situe l'espace du Mal, exclusivement dans ce monde ?
- Si les tentations charnelles sont de ce monde ; y céder, finit par ….ne plus vouloir Dieu.
** PS: Suite à la lecture d'articles concernant l’édition intégrale du Journal de Julien Green, j'apprends le comportement déviant et condamnable, et je lis même les citations de propos écœurants qu'il rapporte dans son journal... Bien-sûr, quand je parle de cet auteur, je ne me rapporte qu'aux textes que je connais et parus au cours du XXè siècle.
1949 – 1950 – Gide – Mort de E. Mounier
1949 - L'année de ses quatre-vingt ans, André Gide est célébré comme l'un de nos plus grands écrivains. La parution de son Journal, son Anthologie de la poésie ; l'annonce de la parution prochaine de sa correspondance avec Claudel, et régulièrement à la radio la diffusion d'entretiens avec Jean Amrouche ; ont sans doute poussé Lancelot, sans s'être annoncé, à oser sonner à la porte d'André Gide – qu'il avait déjà rencontré à diverses reprises, je le rappelle : - en 1921 la première fois, - en 1938 ils avaient mangé en tête à tête chez Lesur, - aux décades de Pontigny, etc.
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Et, magnifique coïncidence, au moment où Lancelot se présente devant la porte du cinquième étage, ''du Vaneau'', Yvonne Davet ( la secrétaire de Gide) sort avec Julien Green. Ils se saluent, et Yvonne signale que Gide est fatigué, mais qu'elle lui rapportera sa visite dès demain. Lancelot est déçu, et Yvonne les prie puisqu'ils sont ainsi mis à la porte, de l'accompagner dans une brasserie proche ; en effet, elle aurait besoin de se confier sur des faits qui concernent André Gide.
Sur le trajet, Lancelot s'empresse de rappeler à Julien Green, qu'ils se sont connus il y a bien longtemps au lycée Janson de Sailly. C'était en 1914, Lancelot quittait alors Paris, et laissait Julien qui venait de perdre sa mère... Julien Green, soudain, se souvient très bien, et exprime son émotion de se rappeler tout cela … Lancelot ne l'a pas oublié, il est vrai facilité par la lecture régulière de ses ouvrages.
Yvonne Davet est cette jeune femme, que Lancelot rencontra en 1933, chez Gibert. Elle avait tout quitté, Avignon, son mari, son fils ; pour rejoindre André Gide à Paris. Elle va passer sa vie à suivre Gide, jusqu'en Tunisie, en 1940; si c'est possible, mais il refuse. Alors, par dépit, elle part comme travailleuse volontaire en Allemagne. Elle déchante. Elle rentre en France fin mai 45. Elle va faire différentes traductions, dont celles d'Orwell. Gide l'engage comme secrétaire au printemps 46.
A présent, Yvonne se dit en butte à des manœuvres de Van Rysselberghe, et à la « perfidie d'Amrouche ».
Je vais laisser ici cette affaire, sur laquelle il est bien difficile de discerner...; pour ne retenir que cette occasion de rencontre avec Julien Green, qui invite Lancelot à le visiter rue de Varenne ; ce que Lancelot ne tardera pas à faire.
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Le 23 mars 1950, nous apprenons cette terrible nouvelle, par la presse : « Emmanuel Mounier est mort subitement cette nuit, d'une défaillance cardiaque due au surmenage. »
Lancelot avait soutenu la ligne d'Esprit dans les années trente, et il se souvient que Vichy s'inquiétait de l'influence de Mounier sur ''Jeune France''. Nous étions en 1941, il ne pouvait plus faire de conférence à Uriage, et sa revue Esprit est interdite. Lancelot l'avait rencontré, dans son appartement de la Croix-Rousse à Lyon ; et avait préparé avec lui les ''Rencontres de Lourmarin ''. Précédemment, on pouvait le croiser lors des dimanches des Maritain à Meudon.
Lors d'une discussion sur la recherche du bonheur, et définir ainsi des valeurs à défendre pour le permettre, s'il insistait sur les valeurs économiques, il ajoutait que les rendre supérieures aux autres engendraient le désordre. Le plaisir, l'argent, la santé, le confort, la puissance, participent au bonheur ; et pourtant - aimait-il dire - : « le bonheur ne suffit pas pour être heureux ».
En démocratie, chacun doit savoir où est son bonheur ; et ne pas s'en décharger sur la société. Il faut replacer l'éthique des besoins humains dans la perspective de la '' Personne''. « L'économique ne peut se résoudre séparément du politique te du spirituel. »
Pour lui, L'Absurde, était une sorte de métaphysique de la solitude intégrale; c'est celle qui nous reste quand on a perdu la vérité et la communauté des hommes.
Sa pensée est vraiment celle qu'il faut à notre temps, hélas, elle reste inachevée...
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Les obsèques ont eut lieu le 24 mars en l'église de Châtenay-Malabry, célébrées par Depierre, un ami de Mounier, prêtre ouvrier.
« Que nous reste-t-il ? Il nous reste ce que nos yeux ont vu, ce que nos oreilles ont entendu, vendredi matin, dans cette pauvre église de banlieue, nous tous, disciples, amis, adversaires fraternels, pressés autour de la dépouille d’un écrivain mort à la tâche, et de cette jeune femme voilée, et de la petite fille qu’elle tenait par la main. Il nous reste la promesse que nous apportait, au nom du Christ, l’abbé Depierre : il reste assez de sainteté dans le monde pour sauver le monde. » François MAURIAC
A la sortie de cette ''guerre totale'' ; la nouvelle société nous entraîne t-elle vers l'apocalypse ? La ''modernité '' est-elle en cause ? Pour les chrétiens de l'entre-deux guerres, en ce début des années cinquante, la question reste encore d'actualité.
Mounier s'oppose à la charge de Bernanos contre la civilisation technique. Si la ''machine'' n'apporte pas le bonheur, les méfaits techniques doivent être surmontés par un progrès de l'humanité. La machine « n’est que l’extension du corps de l’homme dans le corps du monde. » ( la Petite Peur du XXème siècle ). Contre les prêcheurs d'apocalypse, Mounier rejoint l'optimisme de Teilhard de Chardin.
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Jacques Ellul, proche de Mounier, dans les années trente, constate que la technique dépossède l'homme de toute emprise sur le réel. L'homme pourrait ne plus penser que de façon technique. Si « l’environnement de l’homme n’est plus fait que d’objets techniques », si « la technique intervient directement sur la vie de l’homme » ; alors elle lui demandera « des adaptations comparables à celles qu’avait exigées primitivement le milieu naturel. »
Il ne s'agit sans-doute pas de la fin du monde ; mais de la fin d'un monde.
Bernanos prévoyait un homme moderne, docile, irresponsable, complaisant à toute volonté du collectif dans un « paradis des robots ». Mounier prêche pour une humanité enfin mature devant les dangers.
Ellul, craint que l'homme n'ait plus d'emprise sur un système technicien, qui recrute les techniciens... « Le sacré, le religieux non technique est éliminé. Ainsi l’homme ne peut se situer nulle part d’où il pourrait porter une appréciation sur ce processus. Il n’y a aucun « point de vue possible. (…) L’homme est entièrement « de ce côté-ci » du système et n’a plus aucun « au-delà » de ce système à partir de quoi le « voir » et le critiquer. » ( la Technique, ou l’enjeu du siècle ).
Pour le chrétien Mounier, l'incarnation du Christ réconcilie l'homme et la création ; et au travers d'un progrès collectif de l'humanité. L'Histoire est celle d'un salut collectif de la création ( unifiée) : « une marche collective d’âge en âge de l’humanité entière, qui entraîne le monde physique avec elle dans la Rédemption ». (Mounier, 1949)
Mounier précise que « l’homme a la mission glorieuse d’être l’auteur de sa propre libération » (Mounier 1949 )