amour courtois
'' La Belle dame sans merci '', œuvre d'Alain Chartier (1424)

''Merci'', vient du latin ' merces 'avec le sens de '' salaire, récompense '', mais aussi avec la signification de '' grâce, pitié '', peut-être parce que la grâce peut parfois être considérée comme une forme de récompense (je te gracie parce que tu t'es bien battu). C'est d'ailleurs ce dernier sens qu'a ''merci'' lorsqu'il apparaît en français avec cette orthographe au XIe siècle.
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En 1427 Alain Chartier est envoyé en Écosse pour y négocier le mariage du jeune dauphin (plus tard Louis XI), alors âgé de cinq ans, avec Marguerite d'Écosse. Ici, ce tableau illustre : The story of the famous kiss bestowed by Margaret of Scotland on « la précieuse bouche de laquelle sont issus et sortis tant de bons mots et vertueuses paroles » |
' La Belle dame sans merci. ' (1424) est l'oeuvre la plus connue de Alain Chartier ; poète français et orateur en langue latine (Bayeux vers 1385-vers 1435). Secrétaire du Dauphin, le futur Charles VII, il est considéré comme un des créateurs de la prose oratoire française (le Quadrilogue invectif, 1422).

La Belle Dame sans mercy, rédigée par Alain Chartier dix ans après la défaite d’Azincourt (1415), fait scandale dans les milieux de la cour. Le sujet est généralement considéré comme un défi aux valeurs de l’amour courtois. Ce poème emprunte une forme courante au XVe siècle, le huitain à trois rimes enlacées, ababbcbc .
L’intrigue met en scène trois personnages : un amant plaintif qui déclare son amour, une dame impitoyable repoussant ses avances et un poète malheureux qui écoute leur conversation en cachette.
La combinaison de « l’amant-martyr » et de « la dame-sans-merci » n’est pas rare dans la littérature médiévale . On retrouve également une situation analogue du poète dans le Débat de deux amans de Christine de Pizan. Pourtant, une opposition aussi constante de la Dame à l’Amant est remarquable parmi les textes de poésie lyrique où est mise en scène la « dame-sans-merci ».
Dans l’œuvre d’Alain Chartier, « tous les arguments de l’amoureux sont immédiatement réfutés » par la Dame. Du début jusqu’à la fin, la Dame se défie des paroles de l’Amant, sans jamais changer d’attitude.
La notion de défiance en moyen français (defiance, deffiance et desfiance) désigne à la fois le « défi » et la « défiance ». Le premier sens, « défi », implique l’« action de défier, de provoquer quelqu’un au combat, de déclarer la guerre à quelqu’un ». Le second sens est : « sentiment de celui qui n’a pas de confiance, manque de confiance, défiance »
Dans La Belle Dame sans mercy, l’Amant, à travers le terme deffiance, insiste sur le fait que les yeux de la Dame le provoquent à la guerre en lui envoyant un héraut représenté par le 'doux regard'. Ici, la deffiance prend le sens de « défi » (au combat) en ancien français

Au début du débat, les « belles paroles » sont l’objet de la défiance de la Dame. Le choix de l’adjectif beau pour qualifier les paroles de l’Amant suggère la futilité des paroles des amoureux
Dans la suite du poème, l’Amant remplace le beau parleur auquel la Dame faisait allusion par le jangleur, celui qui se plaint par calcul...
L’Amant souligne le contraste qui existe entre un tel jangleur – qui ne sait guère dissimuler sa faintise (faux-semblant) – et un homme réellement triste. Aussi justifie-t-il l’authenticité de ses propres paroles. La Dame renchérit sur ce motif, employant l’expression « cruel losengeur »
La faintise atténue la divergence entre deux adjectifs, « villain » et « courtoise », à savoir qu’elle dissimule un cœur vil par des paroles courtoises.
La faintise de la parole est donc un fondement de la défiance de la Dame envers les paroles de l’Amant.
La Dame déprise la souffrance d’amour dont l’Amant se plaint, en l’attribuant à une « plaisant folie »...

Si la Dame adoucit son attitude, l’Amant la contredit en se comparant à des animaux de chasse apprivoisés.
En se défendant de la double accusation de faintise et de change, l’Amant synthétise ici l’objet de la défiance de la Dame.
Le refus de l’Amant de croire les propos de la Dame fait un parallélisme avec la défiance de la Dame. Une valeur de l’amour courtois, à savoir la « loyauté », fait l’objet de la foi de l’Amant. ( …)
La Dame reproche à l’Amant de ne pas s’en rapporter à elle...
De son côté, l’Amant n’accepte pas le conseil de la Dame de trouver ailleurs une dame « plus belle et jente », et n’ajoute pas non plus foi aux paroles de sa bien-aimée...

L’Amant prétend que la démonstration de sa loyauté peut dissiper le soupçon de la Dame. (…) En vain l’Amant essaie-t-il de convaincre la Dame...
La guerre verbale entre l’amoureux et son « amoureuse annemie » prend fin avec l’ultimatum de la Dame : « Une fois pour toutes croyez / Que vous demourrez escondit. » . Nous pouvons interpréter le terme croire comme signifiant « être persuadé » . Le verbe escondire signifie « refuser, repousser », en contexte amoureux.
Ici se déroule une guerre verbale, sous forme de débat entre deux combattants qui ne se font pas confiance et refusent jusqu’à la fin de reculer. Dans cette guerre verbale, bien différente de la bataille conforme au code chevaleresque, le fait de se rendre en demandant « merci » n’est pas accepté. Les requêtes formulées par l’Amant, aussi bien celles destinées à obtenir la « pitié » que la « grâce », sont repoussées par la dureté de la Dame... !
D’une part, la défiance de la dame sans merci porte entièrement sur la fausseté de la parole, faintise, énoncée par l’amoureux, ainsi que sur l’inconstance du cœur de ce dernier, le change.
Voir aussi: LE MYTHE DE LA '' LA BELLE DAME SANS MERCI ''
Au XIXe s. : Une vie intellectuelle et mondaine...

Pour se rendre compte que , dans le cours de ce XIXe siècle, le fil suivi – dans cette histoire - s'attache à un personnage ; je me permets de revenir sur quelques faits de l'histoire de Charles-Louis de Chateauneuf, né en 1816 à Limoges...
Au Collège Royal, son professeur de mathématiques, Monsieur Gouré, l'avait initié à ce qui pourrait être à la source d'immenses progrès, l'appréhension de l'infiniment petit, pour de grandioses calculs ...!!! M. Gouré nomme cela: les "Mathématiques transcendantes", c'est à dire le calcul différentiel et intégral...

Charles-Louis fait partie de cette génération, aux prises avec la mélancolie propre à la Restauration. En 1832, il soutient la rébellion légitimiste, de la duchesse de Berry... Et à Paris, tout en préparant le concours d'entrée au concours de l'École polytechnique, il rejoint les errements des ''enfants du siècle; puis derrière Victor Hugo et les habitués du ''Cénacle'' , il découvre la fièvre romantique...
La route de Ch.-L. De Chateauneuf, est bordée d'étonnants personnages qui vont le conduire dans sa Quête : des femmes d'abord qui lui ouvrent des espaces du possible : la sensibilité, avec ce que l'on nomme à l'époque par ''les sentiments'' et un chemin de connaissance avec toujours les mathématiques ( Wronski, Sarrazin de Montferrier) et l'ésotérisme ( en opposition parfois à la doctrine catholique de ce XIXe siècle) avec A. Constant ( le futur Eliphas Lévi) et la résurgence templière …

Entre 1836 ( Ch. L. a 20ans) et 1848 ( 32ans ); Chales-Louis de Chateauneuf; tout en fréquentant les salons, et continuant ses recherches, s'est engagé dans une carrière scientifique qui aurait pu être édifiante s'il ne s'était pas ''dispersé''...
Son intérêt pour l'astronomie initiée par les cours public d’« astronomie populaire », qui remporte un immense succès, de François Arago (1786-1853)...
Charles-Louis – en suivant les méthodes mathématiques développées par Legendre - va travailler au sein d'équipes de l'observatoire de Paris... Un travail fastidieux, pas très valorisant; sur lequel il va peu s'investir, et lui permettre de pouvoir continuer ses propres recherches ...
Lors de rencontres plus mondaines, et aussi par intérêt pour l'art, Charles-Louis rencontre le fils d'Arago, Alfred Arago (1815-1892) peintre et l'un des plus joyeux compagnons du cénacle de la rue Grange-Batelière...

Ses recherches, en Loge, lui permettent de croiser et même de se lier avec des personnalités comme Edgar Quinet (1803-1875), Augustin Thierry (1795-1856) ou le philosophe Victor Cousin (1792-1867), le peintre Horace Vernet (1789-1863); reconnus ...
Accompagné de Charles de L'Escalopier, conservateur de la Bibliothèque de l'Arsenal, et les ami(e)s de Madame d'A. qui tient un salon du faubourg Saint-Germain.. Ch.-L. De Chateauneuf ne délaisse rien de ce qui – de près ou de loin – s'attache à la connaissance du Graal...

Le vent nouveau, littéraire et scientifique, agite les proches et Madame d'A. ils ne craignent pas certaines excentricités ; ainsi elle attire autour d'elle quelques romantiques : Sainte-Beuve, Eugène Sue, Liszt, etc. et aussi des artistes de la Bohème...
Elle met à la mode la fiction de l’amour platonique ( l'amour courtois...) , qui accommode agréablement les plaisirs de la coquetterie avec les avantages de la vertu. Des étrangères viennent beaucoup chez elle, la comtesse Delphine Potocka, la baronne de Meyendorff, madame Apponyi …
La coquetterie et la galanterie y règnent dans les relations des deux sexes... En amour comme en amitié, les liens sont souples, légers et durables …
L'esprit de Charles-Louis était – depuis un certain temps déjà - occupé par une femme qu'il avait rencontré dans le salon de la duchesse d'A.... Mme J. est belle, fine ; et il la tient pour délicate, vertueuse ; et considère que son amour naissant est sans espoir, puisqu'elle est mariée.. ! Tout juste se convainc t-il de lui faire une cour digne d'un chevalier qui aime sa Dame d'un amour courtois...
Cette Dame, germanophile et dans la lignée de Madame de Staël, pratique la conversation en petit cercle d'intimes...
Et, également, dans un cadre beaucoup plus discret, voire secret, une sorte de société secrète comme l'on disait ; où hommes et femmes se réunissaient en ''cour d'amour'' sur des sujets littéraires, philosophiques et même théologiques...
On peut y croiser des femmes comme Cristina de Belgiojoso ( 1808-1871); ou, Olympe Audouard (1830-1890) qui fut interdite de présentation de conférences par le ministre de l'intérieur considérant que « ces conférences ne sont qu'un prétexte pour un rassemblement de femmes surémancipées. Les théories de Mme Olympe Audouard sont subversives, dangereuses et immorales. »

Ces ''sociétés'' ou ''académies'' fonctionnent pour la plupart encore jusqu’à la fin du XIXe siècle, sur le modèle maçonnique, avec ses rituels stricts, et des valeurs qui s'appuient sur un déisme de plus en plus en rejet explicite de la « religion révélée », en particulier du catholicisme.
Cette pratique en ''sociétés'' n'est pas nouvelle... Je rappelle, l'Ordre des Fidèles d'Amour, était une société secrète de gens de lettres à laquelle appartenait Dante, et qui aimait se référer à la longue lignée des troubadours et trouvères...
La ''Société Angélique'' était un groupe d’écrivains et d’érudits formée autour de l’imprimeur éditeur Sebastian Gryphius, puis de Nicolas de Langes, à Lyon au milieu du XVIe siècle...
Plus anecdotique, et relevant d'une tradition qui remonte au XVIIIe siècle, l'Ordre de la Félicité, regroupait hommes et femmes, dans un cadre libertin ...

Il semble, selon les documents laissés par Ch.-L. De Chateauneuf, que la ''société'' ou ''l'académie'' qu'il évoque, se considère avec moins de sérieux dans la forme ; mais avec le réel intérêt pour tout ce qui aliment les passions des humains : l'amour, et les questions existentielles, bien sûr ; et ceci en marge de la société bourgeoise et religieuse de l'époque …
Je rappelle que Balzac lui-même créa une ''société secrète'' appelée '' Le Cheval Rouge'' … Voici ce qu'en dit Théophile Gautier : « L’association, qui comptait parmi ses membres, G. de C, L. G., L. D., J. S., Merle, qu’on appelait le beau Merle, nous et quelques autres qu’il est inutile de désigner, s’appelait le Cheval rouge. Lorsqu’il fallait concerter quelque projet, convenir de certaines démarches, Balzac, élu par acclamation grand maître de l’ordre, envoyait par un affidé à chaque cheval (c’était le nom argotique que prenaient les membres entre eux) une lettre dans laquelle était dessiné un petit cheval rouge avec ces mots ; « Écurie, tel jour, tel endroit ; » le lieu changeait chaque fois, de peur d’éveiller la curiosité ou le soupçon. Dans le monde, quoique nous nous connussions tous et de longue main pour la plupart, nous devions éviter de nous parler ou ne nous aborder que froidement, pour écarter toute idée de connivence.
Après quatre ou cinq réunions, le Cheval rouge cessa d’exister, la plupart des chevaux n’avaient pas de quoi payer leur avoine à la mangeoire symbolique ; et l’association qui devait s’emparer de tout fut dissoute, parce que ses membres manquaient souvent de quinze francs, prix de l’écot.... »
A suivre ....
La Quête, et l'Amour courtois au XIXe siècle

Après une métaphore pour dire la Quête du Graal, et ''le secret'' à travers l'image de l'amour adultère... En voici une autre, avec la 'fin amor' ( la fine , la subtile …) et référence au Moyen-âge redécouvert en ce XIXe siècle … Au cœur toujours de la Quête : l'analogie à la relation ''homme-femme''...
Il n'est pas anodin, de relever le retour au Moyen Age ( du XIXe s.) , à travers les romans de chevalerie et la fin’amor et qui témoigne finalement du sens du mot ''Romantique '' défini par Madame de Staël dans De L’Allemagne :
« Le nom de romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l’origine, celle qui est née de la chevalerie et du Christianisme. »

Ensuite, il faut bien remarquer avec Balzac que :
« Le système de lois et de moeurs qui régit aujourd’hui les femmes et le mariage en France est le fruit d’anciennes croyances et de traditions qui ne sont plus en rapport avec les principes éternels de raison et de justice développés par l’immortelle révolution de 1789. » - Honoré de Balzac : Physiologie du mariage ou méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal...
La ''Fin'amor'' s'oppose au contrat de mariage, un mariage arrangé, de raison ( convenance) et sans amour … Et où la femme a pour rôle de faire des enfants, tout en restant fidèle, bien sûr...
« Les Lenoncourt avaient perdu leurs immenses biens. Par le nom, monsieur de Mortsauf était un parti sortable pour leur fille. Loin de s’opposer à son mariage avec un homme âgé de trente cinq ans, maladif et vieilli, mademoiselle de Lenconcourt en parut heureuse. » Honoré de Balzac : Le Lys dans la vallée.

« Nos femmes légitimes nous doivent des enfants et de la vertu, mais elles ne nous doivent pas l’amour. » Honoré de Balzac : Le Contrat de mariage dans La Comédie humaine,
Bref ! Les enjeux sociaux qui cadrent le mariage de raison au XIXe siècle n’ont pas beaucoup changé depuis le Moyen Age... ! Laissons là, le mari....
![]() Félix, Henriette et le comte de Mortsauf dans le salon de Clochegourde |
![]() Félix baisant la main d'Henriette de Mortsauf |
L’amant, lui, se transforme en effet en un chevalier dont l’amour et la passion sont les seules devises. Il est au service d’une dame qu’il courtise et vénère. Cette image est clairement et volontairement mise en avant par Balzac dans Le Lys dans la vallée à travers l’exemple du Chevalier de la triste figure auquel Félix se compare et se réfère pour décrire sa passion et son attachement à sa propre Dulcinée...
Ce qui fait en outre de l’amour de Félix et d’Henriette un amour courtois, c’est que les deux protagonistes se sont promis de s’aimer d’un amour platonique, sincère, pur et qui refuse de se rabaisser pour exiger une quelconque récompense. C’est l’amour qu’Henriette exige en tout cas de Félix.

Oui, l’amour conjugal est radicalement exclu de l’amour courtois... André Le Chapelain s’appuie sur l’autorité de la comtesse de Champagne (Lettre de la comtesse de Champagne, Traité de l’amour courtois) : « Nous affirmons comme pleinement établi que l’amour ne peut étendre ses droits entre deux époux ». Les amants, en effet, s’accordent mutuellement toute chose gratuitement, sans qu’aucune obligation les pousse. Les époux, au contraire, sont tenus par devoir d’obéir réciproquement à leurs volontés et ne peuvent en aucune façon se refuser l’un à l’autre ». Une autre raison avancée par la comtesse, est que l’amour conjugal ne connaît pas la véritable jalousie. » Introduction de Charles Buridant au Traité de l'amour courtois d'André le Chapelain.
Une autre attitude moins ''chevaleresque '' dans Le Rouge et le noir ; déçu par les sentiments confus de Mademoiselle de La Mole à son égard, peu de temps après leur entrevue nocturne, Julien, désespéré, tente de tuer Mathilde avec une vieille épée du Moyen Âge qui était conservée à la bibliothèque :
« - J’ai horreur de m’être livrée au premier venu, dit Mathilde en pleurant de rage contre elle-même.
- Au premier venu ! s’écria Julien, et il s’élança sur une vielle épée du moyen âge qui était conservée dans la bibliothèque comme une curiosité… »
Il hésite, il se ravise … (...)
« Mlle de La Mole le regardait étonnée. J'ai donc été sur le point d'être tuée par mon amant ! se disait-elle.
Cette idée la transportait dans les plus beaux temps du siècle de Charles IX et de Henri III. »
Stendhal, Le Rouge et le noir.

On a dit que ''L'Amour courtois'', a été découvert ''découvert'' par Gaston Paris (1839-1903) ... Il relève l'idée de l'exaltation : ce plaisir venu de l’attente et de la non satisfaction du désir qui excite et agite l’imagination. Il note aussi que la gente féminine alliée au pouvoir est - dans ce cadre - souvent de condition supérieure à celui qui la convoite... L'homme cherche à devenir, à tout prix, le favori de la dame, au risque de se perdre dans ce jeu littéraire d’un désir à jamais inassouvi, ou même de se faire chasser de la cour par le seigneur en cas de dépassement des bornes...
Dans la chevalerie initiatique, l'image du chevalier et de sa dame, est couramment utilisée pour signifier le rapport entre moi ( armuré de mes certitudes...) et de mon âme...
La fin a-mor, est aussi une confrontation à la mort... Dans le désir d'amour, tout à la volonté de la Dame, le moi s'abandonne.
L'Histoire de Parzival de Wolfram von Eschenbach – 3/,- L'Histoire de Gauvain
Les livres VII et VIII rapportent uniquement les aventures de Gauvain.

Gauvain au contraire de Parzival, est dès son apparition l'incarnation de la chevalerie idéale. Lui aussi doit affronter des tâches de plus en plus difficiles en raison des défauts de la société courtoise ; mais tous les conflits auxquels il est confronté tirent leur origine du fait qu'il comprend mal ce qu'est l'amour (c'est la problématique de l'amour courtois). Gauvain cependant se montre capable de résoudre les problèmes qui en découlent, même si au cours des ans il est incapable d'être fidèle à son épouse - ce en quoi il s'oppose encore à Perceval. ( wiki)
Le héros s'est mis en route pour se rendre au royaume d'Ascalon, où il doit affronter Kingrimoursel en combat singulier. Il rencontre une grande troupe guerrière ; c'est l'armée du roi Méliant ( Meljanz de Liz) , qui va assiéger Belleroche ( Bearosche) , château du prince Lyppaut. Méliant veut se venger des avanies que luia infligées la fille aînée de Lyppaut, Obie.

Gauvain suit l'armée et arrive à Belleroche ; il n'a d'abord nul dessein de prendre part au combat qui se prépare. Il va camper sous les murs du château ; d'en haut les dames de contemplent. Méprisante, la fille aînée de Lyppaut, Obie, déclare que cet étranger n'est qu'un marchand ; la jeune sœur, Obilôte, au contraire, vante l'air noble du nouveau venu et se déclare prête à lui accorder son amour.
Le maréchal du château, Schérule, invire Gauvain à pénétrer dans la ville et lui offre l’hospitalité. Le prince Lyppaut vient lui rendre visite et le prie de l'aider à repousser les ennemis. Gauvain ne croit d'abord pas pouvoir y consentir ( il ne veut pas être impliqué dans une bataille parce qu'il est obligé d'arriver à temps et sans blessures à Ascalon); mais il finit par céder, quand la jeune Obilote, qui n'est d'ailleurs qu'une enfant de sept à huit ans, lui adresse la même prière. Avec un grand sérieux, la fillette adopte le langage et les manières des grandes personnes. Gauvain la traite avec autant d'égards que si elle était déjà une dame. Il emporte au combat, comme un véritable chevalier servant, le présent qu'il a reçu d'elle. Il défait successivement les chefs de l'armée ennemie, blesse Méliant et le fait prisonnier. Sur la prière d'Obilôte, le roi Méliant se réconcilie avec Obie et l'épouse. Gauvain prend congé de tous et en particulier de la jeune Obilôte, désolée de le voir s'éloigner. Il repart seul vers Ascalon.
Parzifal est apparue un instant dans ce livre ; on l'a vu combattre glorieusement dans l'armée du roi Méliant, mais son rôle demeure très effacé.

( Livre VIII) En arrivant dans le royaume d'Ascalon, Gauvain rencontre le roi du pays, Vergulaht, qui est en train de chasser. Vergulaht s'excuse de pas l'accompagner jusqu'au château; il l'envoie à sa sœur, la belle et séduisante princesse Antikonie. Cette dernière accueille l'étranger avec empressement. Bientôt, Gauvain en vient à la requérir d'amour, et elle laisse voir qu'elle répond jusqu'à ce que cela les met tous les deux dans une situation compromettante, quand à ce moment un vieux chevalier entre dans la salle... Il ameute contre Gauvain les habitants du château qui pensent qu'il a l'intention de violer la jeune femme. Conduit par Antikonie, Gauvain se réfugie dans une tour; il se défend à l'aide d'un échiquier, tandis que la princesse lance sur les assaillants les figures du jeu d'échec. Le roi, survenant, veut en personne attaquer Gauvain. Mais le landgrave Kingrimoursel qui, devant toute la cour d’Arthur, avait provoqué Gauvain, prend la défense de ce dernier. Après de longues discussions, le roi consent à une trêve. Kingrimoursel remet à une année le combat singulier qui devait l'opposer à Gauvain.
Vergulaht tient conseil avec ses barons : au cours de l'entretien, il leur conte qu'il, a été récemment vaincu en combat singulier, par un chevalier inconnu, vêtu d'une armure vermeille ( Parzival), lequel lui a imposé ou bien de partir en quête et trouver le Graal, ou, bien d'aller se constituer prisonnier près de la reine de Beaurepaire. Un des conseillers du roi Vergulahl l'engage à libérer Gauvain, en lui imposant de rechercher le Graal. Gauvain accepte et prend congé de la cour et d'Antikonie.
Kingrimoursel accompagne Gauvain pendant quelque temps et se charge de ramener ses écuyers et ses pages en leur pays.
L'abbé Alphonse-Louis Constant, et le Féminin -1/2-

Je voudrais, parce que c'est important pour la suite de la Quête de Ch.-L. De Chateauneuf, lire ce que dit '' l'abbé'' Alphonse-Louis Constant (1810-1875), du '' Féminin '', situé dans son époque évidemment …
L'avènement de la République, aurait pu signifié – à l'image de la Liberté personnifiée par Marianne – la libération de la femme … La piété mariale ne cesse de s'intensifier. On pourrait se demander si la mariologie sert la cause féministe ? A.-L. Constant, lui, l'affirme … pour lui, le Féminin, peut incarner l'avenir du citoyen, et de l'Eglise catholique ...

Quand le jeune abbé Alphonse-Louis s'éprend d’Adèle Allenbach, il compare son amour, à celui qu'il a pour la Sainte Vierge... Mais, de plus...Il quitte le séminaire huit jours avant son ordination, bouleversé par ses sentiments...
Il écrit ''La Bible de la liberté'', et cause le scandale parce qu'il soutient que Dieu habite d’abord le coeur de chacun avant de régner sur le monde ; et « l’humanité n’a qu’une grande âme qui passe de génération en génération...». Le livre est saisi, et lui est arrêté, jugé (!) , puis incarcéré à la prison de Sainte-Pélagie. Là, il étudie les écrits d’Emmanuel Swedenborg (1688-1772), très en vogue, qui confirme son mysticisme féminin et la sainteté de l’amour.
Il publie ''La Mère de Dieu'' (1844) et poussé hors de l'Eglise, on retrouvera l’abbé Constant dans la société secrète de l’Ordre hermétique de la Rose-Croix universelle de Lausanne, où il obtient vite le grade de Grand-Maître.

Pour en revenir aux idées : Constant prévoit que l'ère de l'amour marial succède à celles de l’autorité patriarcale... « Le monde, jusqu’à présent, a connu en Dieu l’idée d’un Père et d’un Fils ; mais il n’est pas encore initié aux secrets d’amour de la mère, sur qui repose le Saint-Esprit. »
Une nouvelle ère marquée par la Liberté de la femme, l'Egalité entre les sexes, et la fraternité ( amour social...). L'humain a face à lui : la Mort ( séparation entre homme et femme) , et la Beauté ( union entre masculin et féminin). L'Amour est donc la voie de déification, car il vainc la mort... Symboliquement, l'homme est motivé par la beauté de la femme, et chacun peut en expérimenter la manifestation divine.
Dans le langage de l'époque : Constant écrit dans '' La Bible de la Liberté'' :

« L’homme est l’amour de l’intelligence, la femme est l’intelligence de l’amour.
La femme est le repos et la complaisance de Dieu, la fin de sa révélation et la couronne de ses œuvres.
La femme est avant l’homme, parce qu’elle est mère, et l’homme doit l’honorer, parce qu’elle enfante avec douleur.
Dans l’essence de Dieu, l’intelligence est avant l’amour ; mais dans la manifestation, l’amour précède l’intelligence.
C’est pourquoi la femme est plus que l’homme dans le monde.
Elle a aussi précédé l’homme dans le péché et dans la gloire ; elle a donné sa vie pour la liberté, et l’homme a donné sa vie pour elle.
Ainsi elle s’est fait Dieu en absorbant son être dans un rayon de la divinité, et l’homme l’a vue alors si belle, qu’il l’a adorée. »

Constant, ensuite choque ses contemporains, en considérant le ''péché originel'' comme nécessaire à la libération de l'humain, avec son pendant de ''souffrance''... ''L'intelligence créée a la liberté de nier Dieu... et paradoxalement continue ainsi à ''glorifier '' Dieu...
« L’amour ne connaît ni la loi ni la crainte ; il est fils de la liberté.
Il est créateur comme Dieu, et veut tout donner à ce qu’il aime... » Constant, La Bible de la liberté,
« La confiance de l’amour fait naître la foi. L’enfant croit à sa mère, parce qu’il se sent aimé d’elle, et ainsi la foi est raisonnable. Mais où il n’y a pas d’amour, la foi ne peut être que superstitieuse et servile, parce que sans amour il n’y a pas de liberté, comme sans liberté il n’y a pas d’amour. »

Abbé Constant, Le testament de la liberté
Le couple, par l’union amoureuse, reconstruit l’androgyne primordial du Banquet de Platon. Pour Constant, la femme est appelée à occuper a fortiori une place centrale dans la société et à y exercer son autorité empreinte de douceur et de tolérance, des qualités qui lui sont naturelles : « Car tout enfant obéit à sa mère, et la femme est mère de Dieu. Aussi je vous dis, en vérité, que la femme est reine du monde. » Constant, L’assomption de la femme.
Constant appelle de ses vœux un mariage libre, résultant de la liberté de l'amour … « La fille de famille riche est vendue et exploitée comme une terre... Les prostituées, ne sont que les fruits malheureux d’une société perverse et hypocrite... » etc …
Pour lui, la connaissance, à l’origine du péché (Genèse 3,6), est l’acte sacrilège nécessaire à la fondation de la civilisation qui n’a pas pu ne pas être prévu par Dieu. Et, la sexualité n’est pas la violation d’un interdit, mais un interdit désiré qui affranchit l’humanité...

Constant pense que la piété mariale, peut rassembler le peuple... Marie, porte une réflexion mystique sur '' l’Éternel féminin''. Et, en ce milieu du XIXe siècle, Constant envisage sur ces bases une religion universelle, qui serait le socialisme … !
Il appelle l’État français à se féminiser et soutenir son peuple, à l'image de Marie qui accompagne son fils... !
En cette période romantique, Constant pense que le ''sentiment religieux '' - produit d’images, de légendes » et de miracles merveilleux et glorieux - est une voie intuitive conduisant à la connaissance.
Sources : Larangé, D. (2010). Théologie mariale et discours féministe. La foi romantique en l’avenir du pouvoir féminin selon l’abbé Alphonse-Louis Constant. Tangence,
Michel Cazenave est mort ! - Tristan et Iseut -

Cet été, ce 20 août 2018, est mort Michel Cazenave : Poète, philosophe, fin connaisseur de la psychanalyse et spécialiste de l'oeuvre de C.G. Jung , écrivain et producteur à France Culture, notamment de la célèbre émission '' Les Vivants et les Dieux '' (1997-2009).
Toutes les facettes du féminin, en particulier, la féminité divine, le passionnaient depuis toujours et forment une des veines centrale de son œuvre ( une cinquantaine d’ouvrages).
Chantre de la passion, il a déjà proposé une relecture de l'histoire de Tristan et Iseut.
'' Tristan et Yseult '' fait partie de ces fabuleuses légendes qui sont le reflet d'une spiritualité proprement occidentale et qui ont traversé les siècles...
Pour Michel Cazenave, Tristan incarne le meilleur des chevaliers, le plus grand des héros. Mais du jour où il rencontre Iseut, du jour surtout où il cède à la passion et fait l’amour avec elle, il renonce à tout exploit héroïque. Socialement, il est devenu l’antihéros. Tristan et Iseut ont une conscience féminine de l’univers dans une société qui, héritière de Rome, de la Grèce et du Judéo-christianisme, a banni les valeurs féminines.
La quête des deux amants est douloureuse, comme celle de la passion divine dont ils nous tracent la voie. Les épreuves ne manquent pas. Mais la flamme de l'espérance ne cesse de briller, fondée sur la certitude qu'il existe quelque part, dans la bulle d'air de Tristan ou les Iles de Fortune dont Iseut est l'emblème, un lieu de lumière dont nous avons tous la nostalgie profonde...

En 1998 Michel Cazenave avait eu la grande douleur de perdre sa femme et inspiratrice Chantal.
La mort, disait-il, « Il faut pourtant essayer de la penser, tout en sachant que nous ne pouvons pas la penser réellement car si nous sommes en vie, nous ne sommes pas morts, donc la mort n’existe pas. Je me demande si l’idée qu’introduit l’Orient en voyant la mort comme le contraire de la naissance - pas du tout le contraire de la vie - n’est pas plus intéressante, beaucoup plus riche et beaucoup plus féconde (…) Ce qui m’a marqué le plus est ce moment où, quelques minutes avant sa mort, ma femme me dit d’un ton très tranquille : « Voilà, c’est la fin, c’est fini ». Ça m’a énormément marqué. Je me suis dis que l’on était capable véritablement d’entrer dans la mort en l’acceptant totalement. C’est autre chose qui souffre. Elle m’avait dit : « Ne t’en fait pas, je m’en vais mais je veillerais toujours sur toi ». Il y avait quand même quelque chose de l’amour. L’amour qui n’est pas appropriation, au-delà du simple plaisir, de la pulsion… dans l’ouverture mystère. Une espèce d’amour — bon j’hésite devant le mot tellement il est galvaudé — de l’ordre de l’Universel. »
Michel Cazenave : Tristan et Iseult, le défi à la loi
Extraits de la Revue ''Question de''. N° 37 :
Tristan, l’homme, se définit comme le fils de la déesse, alors qu’Iseut en est d’abord l’incarnation. N’oublions pas que l’histoire se passe dans un monde celte (Irlande, Cornouailles et Bretagne) où, dans la conscience collective, le substrat des anciennes « religions » matriarcales est resté très prégnant : pensez au rôle de Macha, de la reine Maeve, de Brigitte en Irlande, de Don ou de Rhiannon au Pays de Galles.
(…)

Iseut est blonde et ce n’est pas un hasard : c’est qu’elle est aussi le soleil, et le soleil, en gaélique, est du genre féminin, alors que la lune est du genre masculin. Qu’est-ce que cela veut dire, sinon qu’Iseut porte en elle aussi une part symbolique masculine, et Tristan, féminine. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs qu’il est orphelin de père et qu’il est né de Blanchefleur, l’incarnation de cette déesse blanche universelle que l’on retrouve aussi bien en Inde avec Gauri, qu’en Grèce avec Démeter-Alphito, et dans l’ensemble du monde celtique…
En face d’eux, il y a le roi Marc, qui symbolise l’ordre patriarcal. Ce n’est pas le père de Tristan mais il le choisit, car on doit avoir un père. Cet ordre patriarcal, il est dévalué dès le départ par les oreilles de cheval qui sont celles de Marc : tare congénitale et qui renvoie au cheval de la mort de toutes les mythologies.
Tout le balancement de l’histoire est donc entre ces deux pôles : choisir le royaume féminin d’Iseut, ou celui de Marc et du père. Choix qui est plus qu’à l’ordre du jour aujourd’hui ! Et ce choix implique toute une série d’épreuves, qui marquent les étapes d’un trajet initiatique.

La lutte hors d’Irlande d’abord, contre le Morholt, puis au cœur même de l’Irlande avec le Dragon, symbolise à la fois le combat contre la famille d’Iseut mais aussi et plus profondément contre les forces destructrices de la féminité qui n’est pas assumée. Le Morholt, au fond, c’est l’aspect masculin non intégré de la femme (et il renvoie par là à l’aspect menaçant des fameux « parents combinés » de Mélanie Klein), cependant que le Dragon serait plutôt la mère captatrice et dévorante, la « mère au vagin denté » dont parlait Freud. Une fois le Morholt tué, le Dragon vaincu, Tristan peut découvrir la femme en elle-même, dans son aspect d’initiatrice à la vie, et donc la femme en même temps qui vit au fond de lui. Il faudrait aussi parler du voyage de Tristan à travers la mort, du philtre, de la forêt de Marois...
Dans la mesure où l’homme, dans ce type de société, reconnaît la femme en lui, il est constamment menacé par les forces sociales. Il n’y a passion que parce que c’est antisocial ! Passion, vous savez ce que cela veut dire : c’est le fait d’endurer, de souffrir. Comme si l’amour était une maladie ! Voyez Racine à ce propos ; il fallait vraiment être un homme pour inventer un tel mot !
Mais, aujourd’hui, la reconnaissance de ces valeurs féminines est en train de s’opérer !
(…)

On a dit du philtre que c’était la cause de l’amour parce qu’au fond, c’était bien commode comme ça. Mais il n’en est pas la cause, il en est le symbole. C’est en fait l’eau magique de la déesse, l’eau spirituelle de la vie, celle que l’on trouve dans le chaudron de l’inspiration divine de la déesse galloise Kerridwen, ou dans le vase de l’irlandaise Brigitte : c’est le symbole de la deuxième naissance, la naissance dans la femme après la naissance dans la mère. Quand on parle des déesses, on parle toujours en effet de la Terre-Mère, comme si la déesse n’avait qu’une fonction génitrice. Mais elle est aussi l’eau, elle est aussi l’air que fendent ses oiseaux (Les Colombes d’Ishtar ou les oiseaux de Rhiannon), elle est aussi le soleil… Alors, le philtre c’est le symbole de tout cela à la fois. Ce n’est pas lui qui déclenche l’amour. Il symbolise simplement l’épanouissement de la femme divine qui est fondamentalement amour et circulation d’amour.

Marc représente la loi du père, l’étranger. Avoir bu le philtre, pour Tristan, signifie qu’il rentre dans le royaume de la déesse, de l’amour-même, de l’Eros. Marc est de l’autre côté, du côté de la puissance : il est le roi. Et il est la loi morale. Comme si on avait besoin de morale quand on vit son amour !
Mais, au cours du récit, intervient le doute… Ils ne sont plus si sûrs d’être « du bon côté »…
Ils s’enfuient de la société organisée et rentrent dans la forêt qui représente le retour à la vie sauvage, le contact avec les forces de la nature, le cours cosmique des choses. C’est une île dans le monde civilisé, l’abandon de l’état de culture pour revenir à la « vie primitive », dans Un ordre sans ordre qui est celui de la chair et de l’âme mêlées. C’est la réconciliation avec le règne animal, avec le rythme végétal, le cycle des saisons, et Tristan parle aux oiseaux, comme leur parlera François d’Assise…
Leur amour est alors fait d’évidence. Il n’y a pas besoin, comme vous dites, « d’entretenir » la passion. La passion « est ». Ils sont à eux-mêmes leur destin, dans l’ordre de l’île, de la forêt, de la nature, de l’amour, c’est-à-dire de la femme.

Le doute n’intervient que lorsque le roi Marc, les découvrant tous deux côte à côte dormant dans la forêt (mais ils étaient séparés par l’épée ! — « heureusement » ajoute le narrateur) se montre magnanime et épargne leur vie. Ils reconnaissent alors la valeur patriarcale… et se mettent à douter de leur choix (aujourd’hui, si on la reconnaît… on doute de son amour. Ce sont deux régimes exclusifs !). Alors vous pouvez me dire : mais tout au long du récit, Tristan essaie de se réhabiliter aux yeux de Marc. C’est l’interprétation traditionnelle.

Mais regardons-y de plus près : il ne cherche pas la réhabilitation, il clame son innocence. Ce qui n’est pas la même chose. Il clame même cette innocence dans des situations impossibles : par exemple au moment où il sort du lit d’Iseut, et qu’on vient de l’en convaincre par la trace de sang qu’il a laissée, c’est-à-dire au moment où, selon la Loi et la Morale, il est le plus coupable. Ce qu’il nous indique en fait, c’est la différence de régime entre deux mondes étrangers, ceux du Père et de la Mère, ceux de la Loi et de l’Amour, ou il faudrait peut-être mieux dire : ceux de la loi extérieure, qui est force et contrainte, et de la loi intérieure, qui est intuition, évidence, illumination. Nous voilà revenus au philtre ! La meilleure preuve en négatif, si vous voulez, c’est que le jour où Tristan et Iseut voudront se justifier (c’est-à-dire proclamer leur innocence selon la règle des hommes et non point celle de la femme), ils n’auront d’autre solution que de tricher abominablement. C’est le fameux serment du fer rouge, qui nous indique assez que le domaine de l’amour, et de l’amour véritable, ne trouve sa vérité qu’en dehors d’un monde régi par des valeurs masculines érigées en absolu.

Il ne s’agit pas d’une relation de pouvoir mais d’amour, où chacun existe en lui-même et s’assume totalement. Si la femme reste uniquement l’incarnation de la déesse, on ne va pas jusqu’au bout du mythe, on n’en a même pas passé le premier degré. En fait, on s’aperçoit assez vite que la femme se détache de la figure de la Mère, qu’elle doit être perçue comme une femme réelle, et que l’homme ne peut l’aimer que s’il l’aime telle qu’elle est, non pas telle qu’il la rêve.
Dans Tristan et Iseut, on a l’impression que chacun est homme et femme à la fois. Ils affrontent les obstacles ensemble, la faim, le combat, la mort, sans qu’il soit fait allusion, ou à la faiblesse d’Iseut, ou au côté « chevalier protecteur » de Tristan.
Iseut n’a en effet rien de commun avec l’héroïne courtoise de l’époque, blanche et évanescente, enfermée dans son château ! Elle partage tout, y compris la mise à mort d’un félon, puisque c’est elle-même qui dirige l’arc de Tristan et ajuste le tir. On pourrait citer d’autres scènes : Le châtiment de Frocin l’astrologue, le passage du mal-pas, la scène du roi Marc dans le pin. Ce qu’il faut comprendre avant tout, c’est que Tristan et Iseut forment un couple. Et un couple, c’est compliqué ! Ce n’est pas le fameux androgyne de Platon. ! Mais quelque chose d’encore plus profond et complexe.
(…) Etc …. Sources : la Revue ''Question de''. N° 37
Du Chevalier courtois au galant homme.
L'amour courtois des chevaliers, serait-il comparable à la galanterie de ce XVIIIe siècle : Jean Chapelain, dans son dialogue ''De la lecture des vieux romans'', tient à marquer la différence : « Je ne le dirai pourtant pas, parce que je veux que la galanterie soit galante, et j’avoue que celle de Lancelot ne l’est pas. » En quelques lignes Chapelain définit la galanterie comme un « art de plaire » et en bannit les chevaliers, véritables amoureux, mais dépourvus d’esprit et incapables « de se mettre bien auprès de [leurs] maîtresse[s] par des paroles étudiées ».

Les chevaliers sont des amoureux qui ne savent pas parler d’amour, et c’est le discours qui fait le galant. La confrontation du modèle galant et du comportement des anciens chevaliers permet ainsi à Chapelain de construire l’idéal d’une conception de l’amour parfait qui unifierait les actes et le langage, l’éthique et l’esthétique.
Il faut plaire : le plaisir est en relation étroite avec l'amour, en une éthique galante.
Le thème de la Galanterie – centrée sur la période de la favorite Mme de Pompadour (1745-1765), - donc la période que connut J.-L. De la Bermondie - est repris en art de la '' Fête Galante'' et popularisé par Antoine Watteau (1687-1721) ; et par Jean Honoré Fragonard (1732-1806) qui illustra les jeux de la séduction et de l'intrigue amoureuse. Ce thème clamait la joie de vivre, les délices de l'amour, l'alchimie des sentiments et le besoin de paraître.

Du 7 au 13 mai 1664, Louis XIV organisait une fête sur le thème de la magicienne Alcine tenant prisonniers en son palais Roger et ses preux chevaliers. La fête officiellement organisée en l’honneur d’Anne d’Autriche, sa mère, et de son épouse la reine Marie-Thérèse, était dédiée en réalité à Mademoiselle de La Vallière, sa maîtresse.

Un peu comme Morgane qui retient dans sa prison du Val sans Retour, de preux chevaliers ''infidèles'' tout en leur offrant maints plaisirs... La magicienne Alcine retient Roger et ses chevaliers prisonniers dans son île pour en faire ses amants et leur propose de nombreux divertissements. À la fin des fêtes, les chevaliers se révoltent et détruisent le palais d’Alcine.
Si les plaisirs d’Alcine sont condamnés au nom de la vertu. C'est qu’Alcine est dominée par l’amour-propre et l’égoïsme. Alors que le plaisir royal est inséré dans un échange fondé sur la réciprocité et la générosité : celle précisément de ces fêtes...

La figure du chevalier galant telle qu’elle se présente dans '' Les Plaisirs de l’île enchantée '' avec ce personnage de Guidon le Sauvage représenté par Saint-Aignan lie ensemble plusieurs composantes : la prouesse guerrière, la prouesse sexuelle ou le service galant des dames. Et c'est précisément en rupture avec l'idéologie médiévale ( et barbare …!).

Pourtant, comme l'amour courtois et chevaleresque développé par les troubadours, la galanterie constitue peu à peu un code non écrit qui commande les rapports entre les deux sexes.
Mais, l'idéal du galant homme est d'être à la fois homme d'honneur et compagnon agréable. les dévots le combattent tandis que certains galants le dévoient en libertinage irrespectueux.
Le libertin, lui est tenté d'aller plus loin, vers l'utopie d'une liberté absolue. Ce libertinage imaginaire ne s'épanouira qu'en littérature. Le libertin est généralement un homme : prédateur à la Valmont ou à la Lovelace, insatiable séducteur à la Casanova, homme " à bonnes fortunes " ou habitué des lieux de plaisir les plus crapuleux...

A notre époque – celle de Jean-Léonard de la Bermondie – si un jeune ''chevalier'' ( page en réalité) tente d'être un '' galant homme '' ; il risque plutôt de ressembler à un '' Petit-Maître '' comme l'on dit d'un jeune élégant, aux allures et aux manières affectées et prétentieuses.
La galanterie est un savoir-vivre de l'élite sociale : elle est associée à « la capacité d’adaptation, la douceur et la maîtrise de manières sociales raffinées »
« Il me semble (...) qu’un galant homme est plus de tout dans la vie ordinaire, et qu’on trouve en lui de certains agrémens, qu’un honnête homme n’a pas toûjours ; mais un honnête homme en a de bien profonds, quoi qu’il s’empresse moins dans le monde. » : Le chevalier de Méré

Très vite, l'usage de la cour consiste à ''courtiser les Dames'' et l'on dit aussi « qu’un homme a gagné quelque galanterie avec une femme, pour dire, quelque petite faveur de Vénus qui demande des remedes » A. Furetière ( homme d'Église, poète, fabuliste, romancier et lexicographe français )... Si la galanterie est un plaisir de bonne compagnie ; elle est aussi comme un ''devoir'' mondain...
Hommes et femmes de cette époque reconnaissent que l'amour est une forme de galanterie qui s'apprend et s'utilise pour son plaisir et son intérêt personnel : Marivaux écrit dans le Spectateur français :

« Les femmes de qualité élevées dans les usages de Cour, qui sçavent leurs droits & l’étenduë de leur liberté, ne rougissent pas d’avoir un amant avoüé ; ce seroit rougir à la Bourgeoisie. De quoi rougissent-elles donc ? c’est de n’avoir point d’amant, ou de le perdre. »
Dans l’Histoire de la vie et les mœurs de Mlle Cronel publiée en 1739 par le comte de Caylus mais rédigée par Pierre Alexandre Gaillard, une mère prépare sa fille adulte, mais encore innocente, à la vie de maîtresse officielle d’un riche protecteur et l’initie à l’art de la galanterie : « Te voilà, ma chère Fille, dans l’état où je te souhaite depuis longtemps […]. La foiblesse de l’homme, & son penchant à la volupté, sont des sources de richesse pour une fille capable de plaire […]. La galanterie est un art méthodique, où l’on n’excelle jamais quand on s’écarte des regles, & ces regles sont differentes selon les divers caractères des Amans […] »
Cependant, n'oublions pas que si l’expression de la sensualité chez les femmes est tolérée dans les cercles les plus élevés, la liberté sexuelle fait toujours l’objet de stricts interdits moraux chrétiens...
L'Extase amoureuse de Lancelot
Lancelot passant le pont de l'Épée, enluminure d'un manuscrit, vers 1475
Dans le texte de Chrétien de Troyes ( Le Chevalier de la Charrette, vers 710 à 771) ; Lancelot est victime d'un coup de foudre, d'une « cristallisation » au sens stendhalien de l’amour fou.
C'est Guenièvre, qui donne à Lancelot des ailes, allant jusqu’à lui faire subir des épreuves terrifiantes comme le passage du pont de l’épée.
Résumé : Lancelot et Guenièvre
Lancelot prenant la Douloureuse Garde
Le jour de l'Ascension, un chevalier, Méléagant, annonce à Arthur qu'il détient en ses terres (le royaume de Gorre) un grand nombre de ses sujets. Il les libérera si un chevalier d'Arthur le vainc en combat singulier. Le sénéchal Keu relève le défi, mais il est grièvement blessé par Méléagant, qui enlève alors la reine Guenièvre, l'épouse d'Arthur.
Gauvain part immédiatement sur leurs traces. Il rencontre en route un mystérieux chevalier qui, pour avoir des nouvelles de la reine, accepte de se déshonorer en montant sur une charrette d'infamie. L'amour fou que le chevalier sans nom voue à Guenièvre éclate peu après : il manque de se laisser tomber d'une haute fenêtre pour ne pas perdre la reine du regard, et tombe en extase devant un peigne lui ayant appartenu. Le chevalier parvient à soulever la dalle d'une tombe, aventure qui le désigne comme le libérateur des sujets d'Arthur, puis réussit peu après à passer en Gorre en traversant le pont de l'Epée, au prix d'un effort surhumain.
Ce n'est qu'alors qu'on apprend (de la bouche de Guenièvre) le nom du chevalier : il s'agit de Lancelot du Lac. La reine réserve d'abord un accueil glacial à Lancelot : on apprendra plus tard qu'elle veut ainsi le punir pour avoir hésité, l'espace d'un pas, à monter sur la charrette d'infamie. Après avoir chacun craint la mort de l'autre, Lancelot et Guenièvre finissent par se retrouver, et passent la nuit ensemble.
Tous — y compris Gauvain, qui a échoué à passer en Gorre — regagnent alors la cour d'Arthur, sauf Lancelot, retenu prisonnier par Méléagant. Le récit est alors pris en charge par Godefroy de Lagny, qui déclare poursuivre l'œuvre inachevée de Chrétien de Troyes. Aidé par la sœur de Méléagant, Lancelot parvient à temps à la cour d'Arthur pour vaincre Méléagant, auquel il tranche la tête.
John Maler Collier (27 janvier 1850 à Londres – 11 avril 1934) était un écrivain et artiste-peintre britannique préraphaélite
La défense de Guenièvre, William Morris, Emma Florence Harrison
Dans ce texte, nous retrouvons la fin'amor, amour parfait ou courtois, célébré dans les poésies des troubadours. Les thèmes de l'abdication totale de la volonté de l'amant devant le désir de la femme aimée, de l'extase amoureuse allant jusqu'à l'oubli de soi, du don réciproque — mais toujours révocable — des corps et des cœurs, sont au centre de l'œuvre.
Rigaut de Barbezieux compare l’extase religieuse à l’extase amoureuse :
« Tout comme Perceval en son temps si ahuri de les voir, qu’il en oublie de demander à quoi servent Lance et Graal, moi j’en suis là, Dame sublime devant votre corps précieux, car alors, j’oublie tout quand je vous regarde. je crois prier ; je suis en fait anéanti » (J.-C. Marol, op. cit., p.67-68).
Lancelot, en tant que parfait amant, ne se plaint pas. Il subit avec patience tout caprice de celle qui aime... Pour lui la reine est sublimée. Il prend la place du fidèle qui adore un être suprême. À la seule vue de la reine, il tombe en extase : « Il ne cesse un instant de la suivre des yeux, dans la contemplation et dans l'extase, aussi longtemps qu'il peut. Quand elle eut disparu, il voulut se laisser basculer dans le vide » (Le Chevalier de la charrette, p. 39).
Guenièvre hante tout son être. À sa pensée, tout le reste du monde s'efface. Le chevalier perd tout contact avec la réalité qui l'entoure. Voilà l'exemple le plus caractéristique d'extase amoureuse dans Le Chevalier de la charrette :
« Le chevalier de la charrette est abîmé dans sa méditation comme un sujet livré sans force et sans défense à la souveraineté d'Amour. Sous l'empire de son penser son moi s'anéantit. Il ne sait s'il existe ou s'il n'existe pas. De son nom il n'a plus souvenance. Est-il armé ? Ne l'est-il pas ? Il n'en sait rien. Il ne sait où il va, il ne sait d'où il vient. De son esprit chaque être est effacé, hormis un seul, pour lequel il oublie tout le reste du monde. À cet unique objet s'attachent ses pensées. C'est pourquoi il n'entend, ne voit, ne comprend rien » (Le Chevalier de la charrette, p. 43).
Puisque donc il tombe en extase lorsqu'il voit ou pense à sa dame, il n'est pas difficile à deviner sa réaction lorsqu'il prend entre ses mains un peigne qui lui appartient... En effet, Lancelot trouve près d’une fontaine, lieu traditionnel de la rencontre des fées, un peigne avec les blonds cheveux de Guenièvre, comparables à ceux d’Iseut déposés par une hirondelle sur l’appui de la fenêtre du Roi Marc et, ces cheveux pressés contre son cœur lui font plus d’effet que tous les électuaires, les catholicons et les prières conjuguées....
« Il prend soin d'en retirer les cheveux avec des doigts si doux qu'il n'en rompt pas un seul. On ne verra jamais à rien accorder tant d'honneur. L'adoration commence : à ses yeux, à sa bouche, à son front, à tout son visage, il les porte et cent et mille fois. Il n'est point de joie qu'il n'en fasse : en eux son bonheur, en eux sa richesse ! Il les enferme dans son sein, près du cœur, entre sa chemise et sa chair. [...] Tant il a foi en ces cheveux » (Le Chevalier de la charrette).
Les cheveux blonds de Guenièvre sont comparés à des reliques que le fidèle conserve avec une ferveur religieuse. C'est la même ferveur qu'il montre quand il entre dans sa chambre et « devant elle il s'incline et lui rend une adoration, car il ne croit autant aux reliques des saints » . En plus, le matin suivant, « se tournant vers la chambre avant de s'en aller, il fléchit les genoux, comme s'il se trouvait en face d'un autel » (Le Chevalier de la charrette).
On peut penser que Chrétien de Troyes, ne partage pas toutes les idées de Marie de Champagne sur la Fin'Amor... En effet, il ironise sur les débordements de l’amour courtois et le ridicule des situations qui abaisse l’aura du chevalier, tantôt vautré dans l’eau d’un gué (V. 762-763) la tête et le corps à moitié sortis et coincés dans une fenêtre du château de Baudemagu roi de Gorre (V. 568)... Cependant, ces situations ne font que reconnaître le côté humain de Lancelot … Et, l'humour n'empêche pas le réalisme des blessures du héros abîmé par le tranchant du Pont de l’Epée et plus tard les stigmates et blessures, doigts coupés sur les barreaux de fer etc.."]
Alienor d'Aquitaine
Et, peut-être finalement, nous entendons l'auteur... Chrétien de Troyes - chevalier-poète au service de sa Domina - aurait connu secrètement un amour fou pour Aliénor d’Aquitaine ou pour Marie de Champagne, qu’il aurait maquillé par un masque littéraire de pure rhétorique ..
Chrétien de Troyes ne serait autre que Lancelot: un amoureux transi, impétrant et sémillant qu’une femme accomplie a su transformer et subjuguer. Cet amour impossible ne serait-il pas en fait celui de l’auteur distancié par sa fonction de serviteur de la Domina, que traduit l’écart géographique entre Lancelot et Guenièvre après son enlèvement par Méléagant. C’est dans cette séparation provisoire que le creuset de l’amour fou prend sa place, Marie de Champagne, Aliénor sa mère ne se fondent-t-elles pas dans la même emblématique féminine ? Ce texte inachevé aurait-il été terminé par Godefroi de Leigni où Lancelot devenu un homme épousera la sœur du chevalier félon Méléagant. Ainsi se trouvent réunis les royaumes de Gorre et de Logres.
Ballade contée au Moyen-âge -6/.-
La Dame de Hauterive, lorsqu'elle se fait voir magnifiquement vêtue et parée, surpasse pour la grâce et le brillant, l'épervier qui s'élance dans les airs. Sa robe est de pourpre et son manteau, bien ajusté, constellé d'or, et sa fourrure d'hermine n'est point pelée ni le riche sebelin qui entourdit son cou.
Quand la Dame laissait s'épancher ses cheveux, ils semblent entièrement d'or fin, tant ils sont luisants et blonds. Elle a le front poli et plein, et, sous les sourcils bruns, les yeux clairs et riants, bien fendus et d'un bleu verdâtre. Elle a le nez droit et en proportion avec son visage où le vermeil et le blanc se marient, entre le menton et l'oreille, mieux que ne le font le sinople et l'argent.
Et c'est merveille de sa bouche qui est comme une passe-rose ; et quant à sa gorge, elle a l'éclat de la glace ou du cristal, et deux mamellettes y viennent poindre, semblables à deux petites pommes.
Enfin, que vous dirais-je de la beauté de cette Dame ? Nature qui l'a faite pour ravir aux hommes le coeur et le sens, y a mis toute son application.
Un jour le Châtelain, dans l'espoir de faire apprécier sa valeur, se résout de repartir et de fréquenter les champs de bataille. Il mène avec lui un grand nombre de chevaliers et de sergents, qui tous, en chemin, vont se montrer dignes de louange, car le plus couard devient hardi sous un tel chef. Guillaume n'a point suivi son maître. Il ne songe pas au gain ni à la gloire, mais seulement à la Dame qu'il convoite.
Par aventure, la Dame se trouve seule dans la salle ; toutes les suivantes se sont rendues autre part, dans une chambre, pour travailler. Elles mènent grande joie, en cousant un lionceau ou un léopard sur un drap de soie qui doit servir d'enseigne au seigneur, leur maître.
La Dame est assise sur un lit : un homme qui de mère soit né ne vit oncques plus belle Dame.
Après un moment d'hésitation, Guillaume s'avance vers la Dame et la salue fort courtoisement. Elle, sans se troubler d'aucune façon, la salue à son tour, tout en riant.
- Guillaume, dit-elle, approchez.
- Dame, très volontiers, répond Guillaume en soupirant.
- Asseyez-vous ici, bel ami cher, fait-elle.
Guillaume s'assied auprès de la Dame au clair visage et tous deux devisent joyeusement. Ils parlent de mainte chose, et, tout-à-coup, Guillaume pousse un grand soupir.
- Dame, fait-il, écoutez-moi. Je vous supplie de me conseiller sur ce que je vais vous dire.
- Dites, je vous le promets, fait la Dame.
Et Guillaume reprend :
- Dame, écoutez-moi : supposez un clerc ou un chevalier, un bourgeois, un écuyer ou qui que ce soit, épris d'une dame ou d'une damoiselle, d'une reine, d'une comtesse ou de n'importe quelle autre femme, qu'elle soit de haut lieu ou bas endroit ; il aime depuis sept ans entiers et il n'ose faire connaître sa passion. Il aurait pu cependant, plus d'une fois, parler à son aise et découvrir son coeur à celle qui cause son martyre. Or, dites-moi ce que vous en pensez : est-ce folie, est-ce raison que de tant celer son amour ?
- Guillaume, dit la Dame, je vous répondrai franchement. Je ne tiens pas, quant à moi, pour sage, l'homme qui se tait si longtemps ; puisqu'il avait le loisir de parler, il convenait de le faire : on aurait pitié de lui, apparemment. Et si l'on ne voulait pas l'aimer, il fallait chercher des consolations. Enfin dans tous les cas, Amour demande hardiesse.
Guillaume soupire profondément.
- Dame, fait-il, voyez-le devant vous celui qui a tant souffert pour votre amour. Oh ! Dame, je frémis de ma témérité... J'ose enfin vous découvrir la douleur et le martyre que j'ai si longtemps endurés. Ma douce Dame, je me rends à vous, je suis en votre pouvoir, guérissez la plaie que j'ai si grande dans le coeur ; vous le pouvez seule, et il n'y a point de remède pour me porter secours. Je suis tout vôtre, je le fus, je le serai. Personne ne vivra jamais d'une manière plus douloureuse que celle où j'ai vécu sans vous. Dame, je vous prie et je vous requiers de ma pardonner et de m'accorder votre amour par qui je suis dans ce trouble et dans ce tourment.
La Dame écoute la plainte de Guillaume, mais elle ne l'estime pas un denier vaillant.
Elle répond sans tarder :
- Guillaume, vous raillez !... Assez de pareils propos, ou, par ma foi, je vous ferai honte. Quoi ! vous aimer ?... Beau sire, fuyez d'ici, allez dehors ; et prenez garde de paraître là où je me trouve. Certes, mon seigneur sera fort satisfait d'apprendre vos façons. Certes, lorsqu'il reviendra, je lui dirai bien de quoi vous m'avez requise. Vous n'êtes qu'un étourdi, un vrai musard... Beau sire, allez par là !...
En entendant ce langage, Guillaume se sent tout ébahi, et il commence à se repentir d'avoir entrepris cette quête. Cependant, beau désir qui lui commande, l'exhorte à parler encore.
Dame, dit-il, cela me pèse de n'obtenir de vous que de mauvaises paroles. C'est un grand péché et vous ne pouvez pas souhaiter de faire plus mal. Vous m'avez pris et lié, tuez-moi, si vous voulez. Ah ! puisque vous me repoussez si durement, je jure de ne jamais manger jusqu'à l'heure où j'aurai obtenu le don de votre amour.
- Par Saint-Omer, dit la Dame, vous jeûnerez longtemps, si vous ne devez point manger avant d'avoir mon amour.
Guillaume sort de la chambre sans mot dire. Il se fait préparer un lit. Il se couche, mais il ne trouve point de repos.
Trois jours pleins, il gît dans son lit, sans manger, ni boire. De cette manière le quatrième jour arrive, et la Dame n'a point l'air de s'en inquiéter. Toutefois, Guillaume jeûne toujours et ne mange d'aucune chose. Sa fierté l'assaut sans trêve et le pauvre garçon a perdu totalement la couleur. Ce n'est pas merveille s'il maigrit ; il ne mange rien et veille continuellement. Parfois, dans son délire, Guillaume se figure que la Dame, cause de sa perte, est dans son lit ; qu'il la tient entre ses bras et en fait tout son contentement. Tant que cela dure, Guillaume est heureux, car il accole et baise ce qu'il aime ; et quand la vision disparaît, il recommence ses soupirs et ses plaintes. Il étend ses bras et il ne rencontre que le vide, hélas ! Il est transi de froid et de désir.
Elle demeure assez longtemps devant le lit, mais Guillaume ne la voit point. Elle l'appele par son nom, mais il ne répond pas, tellement il rêve. Alors la dame le pousse de son doigt et lui crie plus haut. Et quand Guillaume l'entend, il tressaille de tout son corps ; et, quand il la sent auprès de lui, il tremble des pieds à la tête ; et quand il l'aperçoit, il la salue :
- Dame, fait-il, venez-vous à mon aide ? Ah ! Dame, pour Dieu, je vous prie d'avoir pitié de moi.
Aussitôt la Dame lui répond :
- Par ma foi, Guillaume, je n'aurai jamais pitié de vous, de la façon que vous l'entendez... C'est mal payer les bienfaits de votre seigneur que d'adresser à sa femme telle requête ! Vous aimer d'amour ? N'espérez point ce don de moi. Mais vous êtes insensé de vous priver ainsi de nourriture. Ne vous tuez pas, malheureux ; il y va de votre salut éternel ! Levez-vous, et laissez vos folies ; mon seigneur et le vôtre revient de bataille. Je jure qu'il saura tout si vous vous obstinez à vous laisser mourir de faim.
- Dame, dit Guillaume, c'est inutile ! On peut me trancher tous les membres, mais je ne mangerai pas. Ah ! Dame, je le vois bien ; rien ne saura me défendre contre votre inimitié, ni le jeûne, ni la mort.
La Dame quitte Guillaume sans se laisser toucher par son désespoir. Elle revient dans la salle qui est déjà ornée fort richement. On y a dressé les tables et les blanches nappes y sont mises dessus ; et l'on commence à apporter les mets : pain et vin et toutes sortes de viandes rôties.
Bientôt arrive le Châtelain avec tous les chevaliers, et ils s'assoient à table où ils sont servis magnifiquement. Et la Dame mange aussi, à côté de son mari.
Le Châtelain regarde dans la salle pour voir si Guillaume et il s'étonne de son absence.
- Dame, dit-il, ne sauriez-vous dire, vraiment, pourquoi Guillaume ne se trouve point parmi nos amis ?
- Je vous le dirai, fait la Dame, sans mentir. Il est devenu trop délicat. Il souffre d'un mal dont il n'aura point remède, d'aucune façon, comme je crois. - Dame, par Saint-Denis, c'est bien dommage que cela soit, fait le Châtelain, qui aime bien Guillaume.
Il ne se doute point du véritable motif de la maladie du jeune chevalier, ni pourquoi il a perdu la tête.
Après avoir soupé, les Chevaliers se lèvent de table et quittent la salle. Alors, la Dame prend son mari par un pan de son manteau. - Mon mari, fait-elle, je m'étonne que vous n'alliez point voir Guillaume. Vous devriez savoir quel est son mal. Qui sait s'il ne feint point ?
Ils vont et trouvent Guillaume triste et pensif.
Le Châtelain s'assied au pied du lit, et commence à parler à Guillaume, doucement :
- Bel ami, dites-moi, comment vous sentez-vous ?
- Seigneur, fait Guillaume, fort mal.
- De quoi souffrez-vous ?
- D'une grande douleur au coeur et à la tête. Jamais je n'en relèverai...
La Dame ne se tient plus ; elle s'adresse à son mari:
- Seigneur, fait-elle, pour Dieu, laissons cela... Guillaume dit ce qu'il veut, mais je connais la vérité. Certes, il souffre d'un mal qui donne de la sueur et du tremblement.
- Si vous tardez encore à manger, dit-elle, le terme approche où vous ne mangerez plus jamais.
- Dame, fait celui-ci, que voulez-vous ! Dites ce qu'il vous plaira, vous êtes ma Dame et il est mon seigneur. Mais quant à manger, je ne le ferais point.
Et la Dame de s'écrier :
- Or, voyez sire, la fausseté de Guillaume. Lorsque vous fûtes au tournoi, lui qui, maintenant, gît ici malade, vint en ma chambre...
- Et pourquoi y vint-il, Madame ? Et qu'avait-il à vous demander ?
La Dame répond :
- Je vous le dirai, Monsieur. Mais, auparavant, ne mangerez-vous pas, Guillaume ? Sinon, je devrai tout raconter à notre seigneur.
- Non, je ne mangerai jamais plus, fait Guillaume.
- Vous me prenez pour fol ou pour homme de rien, dit le Châtelain à la Dame. Je ne sais ce qui me retient de vous donner du bâton sur les côtes.
- C'est inutile, fait-elle ; je parlerai. Mais Guillaume, avant que je parle, mangerez-vous !
Guillaume soupire et répond tristement :
- A aucun prix je ne mangerai, si le mal de mon coeur n'est pas soulagé.
La Dame en a alors pitié, et touchée de son amour d'elle, elle dit à son seigneur :
- Sire Guillaume que vous voyez là, m'a demandé mon oiseau, mon faucon... Et moi j'ai refusé de le lui donner. Il est mien, mais il est aussi à vous ...
La dame au faucon par jane.merelle |
- J'eusse mieux aimé, dit le Châtelain, que tous nos oiseaux, faucons, éperviers, autours, fussent morts plutôt que de voir souffrir Guillaume.
Cette réponse émeut agréablement la Dame.
- Puisque c'est votre vouloir, Monsieur, donnons-le lui, dit-elle.
Puis, se tournant vers Guillaume, elle ajoute :
- Messire le veut ; je ne lui ferai point cette injure que par ma faute, vous ne l'ayez point.
Guillaume en entendant ces mots se lève, plus joyeux qu'il ne peut exprimer. Il n'a plus ni maux, ni soucis. Sitôt vêtu, il s'en vient à la salle.
En le voyant la Dame soupire. Elle change de couleur, comme surprise par le trait rapide de l'Amour : elle est, tour à tour, pâle et rougissante.
-Je n'en sais pas de plus fous, dit le Châtelain à Guillaume, que ceux qui se laissent, ainsi que vous, prendre le coeur par la possession d'un ''fau-con''. Allez chercher cet oiseau, commande-t-il à un page.
C'est ainsi deux bonheurs qui échouent à Guillaume. Car il a le faucon et l'amour de la Dame.
Plus tard, c'est Guillaume, lui-même, qui viendra dans l'intimité, chercher l'oiseau de sa dame.
Histoire tiré d'un fabliau : '' Guillaume au faucon ''
Balade contée au Moyen-âge -3/.-
Guillaume décide lui de relever le défi lancé par son ami troubadour...
A suivre ....