Au tout début du Moyen-âge
Elaine a pu donner quelques cours à la Sorbonne grâce à Jean Frappier (1900-1974). Elle continuait à voir l'universitaire bien qu'il soit à la retraite de l'Université. Elle gardait grâce à lui, des contacts précieux pour sa recherche; et lui, sachant qu'elle restait attachée à l'Eglise catholique, souhaitait lui faire rencontrer un prêtre passionniste, Stanislas Breton, qui pourrait, lui dit-il, l'accompagner dans la part ''néoplatonicienne '' de sa recherche sur la Réalité. Malheureusement, en août 1974, après quelques jours de maladie, Frappier mourait subitement d'un arrêt du cœur.
* Pourquoi cet intérêt pour la pensée néo-platonicienne ?
Nous avons beaucoup parlé de la théorie des Formes de Platon (427-347 av. J.-C.) qui suggère que le monde sensible n'est qu'une ombre d'une réalité plus fondamentale.
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Ensuite Plotin (205-270 ap JC), que l'on qualifie de fondateur du néoplatonisme, développe l'idée que tout émane de "l'Un", une réalité absolue, au travers de l'Intellect et de l'Âme. Et, Proclus (412-485), développe une cosmologie où l’Univers est structuré par des principes transcendants. Les deux vont influencer la théologie chrétienne et la mystique.
Saint Augustin (354-430) est l'un des penseurs majeurs qui a introduit et adapté le néoplatonisme à la pensée chrétienne. Sa vision de Dieu comme étant l'Un transcendant rappelle le concept de l'Un de Plotin. Selon lui, Dieu est à l'origine de toute création, et le monde matériel n'est qu'une émanation de Dieu, une réalité dégradée qui doit être transcendée pour se rapprocher de la source divine.
Elaine, aime particulièrement sa réflexion sur l'âme comme '' image de Dieu'' ( sources: De Trinitate (Livre XIV, chapitres 6-7) ). Elle possède les moyens de refléter Dieu comme Trinité divine, au travers de ses trois puissances: La mémoire (memoria) : reflet du Père ; l'intelligence (intellectus) : reflet du Fils (Verbe) et la volonté (voluntas) : reflet du Saint-Esprit. Ces trois puissances forment une unité, à l’image de la Trinité.
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Pour Augustin ( De quantitate animae (chapitres 33-34) ), l'âme est également humaine dans ses trois composantes: La partie inférieure (sensitive) : liée aux désirs du corps, elle est sujette aux passions et au péché; la partie intermédiaire (rationnelle) : elle est capable de contrôler les désirs et d’orienter l’homme vers la vérité; et la partie supérieure (intellectuelle ou spirituelle) : la plus noble, tournée vers Dieu et la contemplation.
L’idée de purification de l’âme et de son retour vers Dieu s’inspire directement de Plotin (Ennéades, I, 6, "Sur le Beau"), où il explique que l’âme, en s’éloignant du monde matériel et en se tournant vers le '' Noûs '', retrouve sa source divine. Plotin, nomme - L’Un (principe suprême, au-delà de toute connaissance), - Le Noûs (l’Intelligence divine, contenant toutes les Idées), -L’Âme (qui se tourne vers le Noûs pour s’élever vers l’Un).
Ce néoplatonisme va rencontrer au cœur de la ''dispute '' médiévale, la tendance aristotélicienne ( Aristote (384-322 av. J.-C.)) qui va contredire un "monde des Idées" séparé. Pour elle, les formes sont dans les choses, pas dans un monde supérieur.
En simplifiant, on pourrait dire qu'Aristote ancre la réalité dans le monde physique et considère que la connaissance vient de l’expérience, alors que le néoplatonisme va valoriser l’élévation mystique vers une source transcendante.
Avec Aristote, on préférera dire que: L’âme est la forme du corps, c’est-à-dire son principe d’organisation et de vie. Elle n’existe pas indépendamment de la matière (De Anima, II, 1).
Thomas d'Aquin tentera une synthèse, comme nous le verrons ...
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* Le Moyen Âge hérite du néoplatonisme une vision ordonnée, symbolique et hiérarchique de la réalité.
- La réalité correspondrait à une hiérarchie ordonnée. D'un côté Dieu, les anges et les âmes, la Nature; de l'autre une hiérarchie sociale médiévale: le clergé, la noblesse, les paysans.
- L'âme est une réalité intermédiaire entre le monde intelligible (celui des Idées et de Dieu) et le monde sensible (le monde matériel). Son but but est de se détacher du monde sensible pour remonter vers sa source divine, en suivant un chemin spirituel.
- Le monde sensible est un signe qui renvoie au divin ( Saint-Augustin, De Doctrina Christiana). La nature et l’histoire sont chargées de sens cachés ( conception symbolique du Monde): il s'agit donc d’interpréter les textes bibliques, d'écrire et lire symboliquement dans l'Art et l'architecture. Sont mis en avant - Le temps linéaire, orienté vers Dieu, fin ultime. - La Lumière, et l’intellect humain illuminé par Dieu
Je rappelle, cette déclaration d' Alfred North Whitehead: « toute l’histoire de la philosophie n’est qu’une suite de notes de bas de page aux dialogues de Platon ».
1978 – La genèse de '' Process and Reality''
Faute de ne pouvoir organiser une réception de Charles Hartshorne par l'Université française, nous bénéficions de sa visite rapide à Fléchigné. Sinsernin avait précisé que la mère de Lancelot avait correspondu avec Evelyn Whitehead ; il put le convaincre de passer une soirée chez nous.
Nous l'avons beaucoup interrogé sur la genèse et la publication de Process and Reality en 1929.
L'universitaire américain a 80 ans, il est grand, légèrement voûté, le visage fin et osseux, creusé de rides profondes qui, loin de le vieillir, lui donnent cette transparence d’esprit propre aux savants devenus simples. Il porte un costume sobre, gris, et un chapeau feutre.
Ses yeux, d’un gris bleu attentif, pétillent d’une ironie douce ; derrière ses lunettes à monture fine, ils scrutent les oiseaux qui l'accueillent tout autour du logis isolé en pleine campagne.
Lancelot et Elaine, ont trié la correspondance d'Anne-Laure de Sallembier, décédée en 1954. Elaine montre à Hartshorne les fameuses lettres d'Evelyn.
Hartshorne est devenu assistant de recherche, puis assistant d’enseignement de Whitehead à partir de 1925, jusqu'à 1928 ; il quitte alors Harvard pour un poste à l’Université de Chicago. Il connaît donc personnellement le contexte intellectuel de l’écriture du livre, les discussions autour du cours de Whitehead intitulé “Process and Reality: An Essay in Cosmology” (donné à Harvard en 1927–1928). Il confirme que Whitehead, bien que déjà âgé (environ 68 ans), travaillait avec une énergie et une indépendance d’esprit remarquables. « Whitehead was the most original mind I ever met. Working with him was a privilege and a challenge. »
Hartshorne se considère comme un continuateur critique de Whitehead : il systématise et approfondit certains aspects de la philosophie du processus, surtout dans le domaine théologique.
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L’origine immédiate de Process and Reality se trouve dans une série de conférences données par Whitehead à Harvard en 1927–1928, appelées les Lowell Lectures.
Whitehead venait donc d’être accueilli à Harvard, après avoir quitté Cambridge et Londres où il risquait la retraite obligatoire.
Il arrivait auréolé du prestige de Science and the Modern World (1925), mais encore peu connu aux États-Unis.
Les Lowell Lectures, données à Boston et à Harvard, furent très mal comprises du public. Certains auditeurs racontent qu’ils ne saisissaient pas un mot : le style de Whitehead, déjà elliptique, était mêlé à un accent anglais prononcé, et ses phrases s’enchevêtraient dans des digressions cosmiques. Mais ceux qui persévéraient ressentaient une sorte de fascination : ils avaient l’impression d’assister à la naissance d’un système du monde.
Un étudiant aurait dit : « J’avais l’impression d’écouter Platon au téléphone — à travers une mauvaise ligne. »
Après ces conférences, Whitehead entreprend de réécrire l’ensemble pour en faire un livre. Mais son mode de travail était déroutant : il n’écrivait pas de manière linéaire. Il rédigeait des fragments, souvent à la main, sur des feuilles volantes, qu’il rassemblait ensuite par thèmes, sans toujours se soucier de la continuité.
Evelyn joua un rôle essentiel : c’est elle qui reclassait les notes, dactylographiait, recopiait, et corrigeait les incohérences. Elle disait souvent qu’elle devait « ramener Alfred sur Terre » quand il s’égarait dans les sphères métaphysiques.
Hartshorne nous assure que la première version complète du manuscrit était presque illisible : phrases inachevées, transitions manquantes, concepts nouveaux sans explication. Evelyn passa des semaines à le rendre publiable. C’est elle qui aurait proposé de conserver la division finale du livre en cinq parties.
L’éditeur américain, The Macmillan Company, accepta le texte… mais à contrecœur. Ils ne comprenaient pas grand-chose au contenu, mais savaient que Whitehead était désormais une figure prestigieuse à Harvard, donc prometteuse sur le plan académique.
La correction d’épreuves fut un cauchemar. Whitehead détestait relire : il se contentait d’ajouter des notes marginales, d’insérer des phrases nouvelles qui bouleversaient la structure. Hartshorne et Evelyn, ont passé des nuits à coller de nouveaux paragraphes sur les pages d’épreuves, « comme un chirurgien qui tente de ranimer un géant endormi ».
A propos du choix du titre, Process and Reality: An Essay in Cosmology, plusieurs amis lui suggéraient de retirer le mot “Cosmology”, trop ambitieux. Whitehead refusa, en disant : « La cosmologie n’est pas la carte du monde : c’est la manière dont le monde devient. »
Lors de la parution du livre en 1929, beaucoup crurent qu’il s’agissait d’un autre Whitehead : certains pensaient qu’Alfred North Whitehead, le mathématicien co-auteur des Principia Mathematica avec Russell, et '' Whitehead le métaphysicien '' étaient deux personnes distinctes.
Même Russell, dans une lettre, avoua : « Je ne comprends plus mon ancien ami. » . Il respectait l’œuvre, mais la jugeait « trop nébuleuse ». Whitehead, lui, répondit avec humour : « C’est que Bertrand s’obstine à regarder le monde depuis midi. Moi, je le regarde à l’aube. »
Process and Reality fut accueilli avec respect, mais peu lu. Même à Harvard, les étudiants préféraient les cours plus clairs de William Ernest Hocking ou de Perry. On le jugeait ''impénétrable''.
Whitehead écrivait comme s’il sculptait la pensée en mouvement : phrases longues, métaphores de la nature, tournures rythmiques. Evelyn disait qu’il « pensait en spirales ».
Hartshorne nous dit : « Process and Reality n’est pas un livre qu’on lit : c’est un livre qui transforme la manière dont on pense. »
Whitehead nous répétait : “Je ne cherche pas à décrire le monde, mais à comprendre comment le monde s’invente.”
Malgré sa renommée grandissante, il vivait modestement à Harvard. Evelyn racontait qu’il écrivait souvent dans la cuisine, sur une table encombrée de tasses et de journaux, parlant à mi-voix, comme s’il dictait à l’univers. Le couple était très uni : leurs soirées étaient calmes, ponctuées de promenades autour du Charles River. C’est dans cette atmosphère presque domestique qu’a été conçu l’un des systèmes métaphysiques les plus vastes du XXᵉ siècle, dont nous aurons de nombreuses occasions d'en discuter....
1978 – Visite de Charles Hartshorne
Elaine partage son temps entre son poste de professeure agrégée au Lycée de Caen et ses activités d’enseignement à la Sorbonne.
Les études médiévales constituent depuis toujours un champ intrinsèquement pluridisciplinaire. Les textes littéraires du Moyen Âge, tels que les romans arthuriens, sont traversés de références philosophiques et théologiques ; d’abord platoniciennes et néoplatoniciennes, puis aristotéliciennes. Ainsi, le spécialiste de Chrétien de Troyes ou du cycle du Graal se confronte nécessairement à des notions centrales pour la pensée médiévale : la quête initiatique, la nature de l’amour (fin’amor), la foi, la morale ou encore l’ontologie du Graal. L’étude de ces textes suppose la maîtrise des langues originales (latin, ancien français, etc.) aussi bien qu’une solide compréhension du contexte historique, philosophique et théologique dans lequel ils ont été conçus.
Dans cette perspective, Elaine s’attache à dégager les concepts philosophiques et théologiques sous-jacents aux symboles et aux dialogues romanesques ; qu’il s’agisse, par exemple, de la querelle des universaux ou de la pensée de Thomas d’Aquin et de Duns Scot.
Parallèlement, profondément interpellée par la philosophie du processus d’Alfred North Whitehead - tout comme son compagnon Yvain l’est sur le plan scientifique -, Elaine cherche à en comprendre les fondements et à en explorer les affinités possibles avec la pensée médiévale. Ce rapprochement, qui exige d’importantes distinctions conceptuelles, vise moins à établir des filiations directes qu’à identifier des précurseurs ou des résonances d’idées. Elaine espère ainsi isoler les notions essentielles à la construction d’une pensée dont les paradigmes contemporains, parfois déconcertants, ne sont pas sans rappeler les bouleversements intellectuels du Moyen Âge.
Nous évoquerons en détail cet exercice plus tard, car l'heure est à l'actualité de la philosophie du Processus. Nous sommes en 1978.
Après la mort de Whitehead (1947), le texte original de Process and Reality fut longuement étudié.
Les chercheurs découvrirent que le livre publié de 1929 contenait des erreurs de composition, des inversions de paragraphes, et même des sections manquantes. Une édition critique complète (Corrected Edition, par D.R. Griffin & D.W. Sherburne, 1978) publiée cette année, permet de rétablir le texte conforme au manuscrit original. Cela confirme ce que tous pressentent : Process and Reality était un livre à la fois grandiose et inachevé, une œuvre vivante, à l’image du monde qu’elle décrit.
Cette même année, le philosophe américain Charles Hartshorne ( 1897-2000) accepte l’invitation à donner des cours pendant un semestre à Louvain. Hartshorne est l’un des principaux continuateurs de la pensée de Whitehead, il fut proche du cercle de Harvard et a été, à l’occasion, assistant/éditeur associé aux travaux de Whitehead.
C'est aussi l'occasion de remettre un doctorat honoris causa à Charles Hartshorne, et de rassembler toutes les personnes du processus qu'il est possible de contacter en Europe pour un week-end consacré à l’héritage de Whitehead. Les actes de ce colloque sont publiés par le Centre de Louvain. Au cours de ce week-end, la Société européenne pour la pensée processuelle (ESPT) est créée, avec Charles Hartshorne comme président d’honneur. Dès lors, Louvain assume la responsabilité et la présidence de l’ESPT.
Hartshorne, est assisté de Bertram Sinsernin, que Lancelot et Elaine connaissent bien ; je rappelle que Lancelot avait rencontré Bertram Sinsernin par l'entremise de Quentin et Vanessa Bell. Lancelot avait invité Sinsernin à résider dans son appartement à Paris. Cette rencontre se situe dans le contexte des années 1963-1973. Sinsernin était invité par le CIEPFC (École Normale Supérieure) et le Collège International de Philosophie pour assurer des conférences sur A. N. Whitehead. Il était également prévu qu'il participe à un colloque à Louvain. C'est à cette occasion qu'Yvain, le compagnon d'Elaine, l'avait accompagnée à Louvain pour une visite chez le scientifique Ilya Prigogine. Pour Elaine, les travaux de Prigogine (sur le temps irréversible et l'ordre émergeant du chaos) complètent la vision de Whitehead sur la « création continue » et l'évolution.
Sinsernin aurait souhaité, pour profiter de la venue d'Hartshorne, organiser à Paris une réception à la Sorbonne. Lors de cette tentative, Elaine a pu expérimenter à quel point la philosophie du processus avait du mal à s'implanter en France.
Dans les années 1970 la scène philosophique française se trouvait à un moment charnière : la phénoménologie et l’existentialisme, encore vivants mais en déclin, cédaient progressivement la place au structuralisme triomphant — puis au post-structuralisme, avec Foucault, Derrida, Deleuze ou Lyotard. Ces courants, centrés sur le langage, les structures, les rapports de pouvoir et la déconstruction du sujet, occupaient alors tout l’espace académique et médiatique. Dans ce paysage intellectuel dominé par l’analyse des systèmes de signes plutôt que par la spéculation métaphysique, les grandes révisions ontologiques venues du monde anglo-saxon — comme la philosophie du processus de Whitehead — restaient en marge.
Cependant, même en France, la philosophie du processus alimente des discussions en philosophie de la religion, en métaphysique et, plus tard, en écologie philosophique et en philosophie des sciences.
Entre 1960 et 1990, la philosophie française traverse une période d’intense créativité — mais aussi de suspicion envers la métaphysique, surtout celle de type systématique. Elle refuse les grandes synthèses totalisantes, elle se méfie des discours de l’unité, de la nature, du divin, et se focalise sur le langage, la structure, la différence, la déconstruction. Autant dire : tout ce que Whitehead n’est pas. Lui parle de cosmos, d’organisme, de Dieu, de finalité, de cohérence. Pour beaucoup de français des années 1960–1980, c’est « suspect » : trop systématique, trop spéculatif, trop “anglo-théologique”.
En schématisant, disons que - Sartre veut une philosophie de la liberté et du projet, non du cosmos. Merleau-Ponty explore la perception incarnée, pas les structures ultimes de l’univers. Foucault analyse les discours, pas la nature. Derrida déconstruit la prétention à l’unité du sens. Et face à cela, Whitehead proposait… une cosmologie organique, avec une métaphysique de la totalité.
Whitehead n’a été traduit en français que très tardivement (et partiellement). Pendant que les Anglo-Saxons lisaient Whitehead, les Français lisaient Heidegger, Marx, Lacan, Nietzsche.
La Gnose de Princeton - 3
La suite de cette réflexion, avec Raymond Ruyer, nous conduit à une réalité qui dépasse l’espace physique ordinaire, une dimension qui n’est pas soumise aux contraintes de la localisation et de la métrique classique.
Ce niveau d'organisation, il l'appelle le domaine trans-spatial, et décrit une forme d’organisation globale et immédiate. C'est assez proche du principe holographique en physique contemporaine où chaque partie contient l’information du tout. Ce domaine est celui également de notre conscience, qui saisit immédiatement un ensemble cohérent. En effet, le cerveau ne « calcule » pas l’image du monde comme un ordinateur, mais il participe d’un ordre global trans-spatial, une forme d’unité non locale.
Les conceptions mécanistes du monde, voient la Nature comme une somme de causes aveugles ( hasard et nécessité). A contrario, on peut s'interroger, avec Ruyer, de quelle '' finalité '' il s'agit, à partir de cet ordre immanent et organisé, qu'il propose. Il précise donc:
Cette organisation ne vient pas d’une cause extérieure, mais d’un principe d’auto-structuration propre.
Les organismes vivants, et surtout la conscience, sont connectés à un niveau de réalité, qui dépend du domaine trans-spatial. Ils participent à cette finalité immanente. De plus, l'être humain, à la différence des autres formes de vie, possède une conscience réflexive qui lui permet de ne pas être totalement soumis à cette organisation. Il a la capacité d’agir selon une finalité qu’il peut lui-même redéfinir.
L'humain, à la différence des autres vivants qui s’auto-régulent et réagissent à leur environnement, n’ont pas conscience de leur propre finalité. L’humain, lui, peut se regarder lui-même, analyser ses choix, remettre en question son propre comportement. Il crée des valeurs, des significations, des idéaux qui ne sont pas dictés par la nécessité biologique. Il peut transformer le réel selon ses propres visions.
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Pour Ruyer, cette liberté est inscrite dans l'évolution du vivant.
Allons encore plus loin. L'humain pourrait-il jouer avec les principes d'organisation , l'ordre trans-spatial?
Selon Ruyer, il pourrait créer des outils dans différentes technologies, et (ou) réinterpréter le réel en inventant des significations qui ne sont pas données immédiatement par la nature (mythes, religions, philosophies alternatives); il peut construire des systèmes de valeurs qui parfois s’opposent aux tendances spontanées du vivant (par exemple, la volonté de transcender l’individualisme pour une organisation collective). Ce ne seraient que des tentatives pour s’opposer à l’ordre trans-spatial.
L’ordre trans-spatial n’est pas une contrainte extérieure. Le vivant ne peut pas nier totalement ce qui lui permet d’être. Même quand il se nie, il utilise cet ordre.
La liberté, est une expression de l’auto-organisation. Cette forme d’auto-finalisation consciente prolonge l’organisation sous-jacente du réel.
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Lancelot reconnaît qu'il se laisserait volontiers émerveillé par cette construction intellectuelle; et que finalement le titre de Gnose n'est pas mal choisie... Ne s'agit-il pas d'une connaissance ''secrète'' ( sans sources...) qui voit au-delà …des savoirs scientifiques actuels. Même s'il utilise des concepts issus de la cybernétique comme l'auto-organisation, il les reformule dans une perspective métaphysique plutôt que scientifique. Dire que l'espace est un hologramme... ? En 1974, il n’existe aucune théorie scientifique reconnue qui va dans ce sens.
Lancelot aurait préféré un dialogue avec des philosophes, des physiciens et des biologistes sur ces mêmes thèmes.
Pourtant, Yvain voit dans cette libre expression, des intuitions qui trouveront, il en est persuadé, de nombreux échos... Il pense aux modèles scientifiques d’émergence de Prigogine, et aux travaux prometteurs de Roger Penrose: - les singularité comme le big-bang, et les trous noirs (1965) - les structures mathématiques qui modèlent les cristaux (1974) et également à propos de ce qu'il dit sur la pensée humaine qu'il qualifie de non algorithmique, et sur la conscience qui ne peut pas être expliquée uniquement par la physique classique, mais peut-être, plutôt quantique...
Lancelot exprime – dans le cadre de cette discussion – son souhait d'interroger Edgar Morin, dont il pense qu'il pourrait avoir quelques bonnes idées; d'autant qu'il l'a entendu récemment s'exprimer sur cette idée '' d'auto-organisation '', alors qu'il publiait en 1973,'' Le Paradigme perdu : la nature humaine '' et publie en 1974: '' L'Unité de l'homme ''
** Annexe **
La parution, en 1974, de l'ouvrage La Gnose de Princeton de Raymond Ruyer a suscité un débat enflammé au sein de l'intelligentsia française. Ce livre, que Ruyer présentait en privé comme une "fantaisie intellectuelle" pour évoquer des sujets sérieux, était censé populariser un courant informel de savants américains se penchant sur les fondements métaphysiques de la physique et des sciences du vivant.
J'ai pu lire la correspondance entre Lancelot de Sallembier et Edgar Morin, initiée à la fin de l'année 1974 ; elle offre un éclairage précieux sur les enjeux épistémologiques soulevés par Ruyer, entre la nécessité de la complexité et le risque du dogmatisme ésotérique.
Je rappelle que leur première rencontre eut lieu en février 1946, à Baden Baden, en Allemagne. Lancelot, accompagné de Geneviève, effectuait alors un court séjour avec pour mission de rapporter au ministère un état de la dénazification de l'opinion publique allemande. À cette époque, Edgar Morin (né en 1921) était nommé Chef du bureau "Propagande" à la Direction de l'information au Gouvernement militaire français en Allemagne. C'est également en 1946 que Morin publia son premier livre, L'An zéro de l'Allemagne.
Leurs contacts se sont maintenus au-delà de cette période, souvent centrés sur des projets intellectuels ou l'actualité. Ainsi, lorsque Lancelot rencontra Morin lorsque celui-ci planifiait la création d'une nouvelle revue intitulée Arguments. L'objectif était d'aider à passer d'une critique de la pensée établie d’origine marxiste à une révision critique de toutes les idées. C'est à cette occasion que Morin avait évoqué son idée de « pensée planétaire ».
Lancelot et Morin ont eu des discussions sur le livre Le Hasard et la Nécessité de Jacques Monod. Intéressé par ces débats intégrant des concepts biologiques à la réflexion, Morin proposa le vocabulaire de la noosphère (la vie des idées) et de la noologie (l'organisation des idées).
Ils échangeaient fréquemment sur des sujets liés à la Seconde Guerre mondiale, notamment sur le rôle ambigu du BMA (Bureau des menées antinationales), Morin ayant été documenté par Lancelot sur ses propres activités et opérations. Enfin, Morin rejoignait Lancelot dans son attachement aux Pensées de Pascal.
La publication en 1974 de La Gnose de Princeton de Raymond Ruyer a relancé leur dialogue, Morin ayant lu ce livre "avec un mélange de fascination et de perplexité".
Morin, dans sa réponse à Lancelot, reconnaît l'audace et l'aspect stimulant de la pensée de Ruyer, qui ose "s’aventurer au-delà des frontières de la science pour interroger ses fondements métaphysiques".
Morin affirme partager l'intuition de la "nécessité de dépasser les cloisons disciplinaires, de penser l’unité du vivant, et de remettre en cause le réductionnisme qui gangrène encore trop souvent la pensée scientifique". Il établit un parallèle avec ses propres efforts, mentionnant Le Paradigme perdu : la nature humaine (1973), dans lequel il a tenté de "réhabiliter la complexité de la nature humaine, en refusant de la réduire à des mécanismes biologiques ou sociaux".
Cependant, Morin émet de sérieuses réserves sur la méthode de Ruyer. Alors que Morin s'efforce de construire une "épistémologie rigoureuse de la complexité", Ruyer adopte la "fiction philosophique, d’un récit à la lisière du mythe".
La Gnose de Princeton parle d’un "savoir caché, presque sacré" détenu par certains savants américains, un "jeu d’ombres et de lumières" qui, s'il est séduisant, laisse Morin "dubitatif". Le risque, selon lui, est qu'à "trop vouloir échapper aux dogmes du positivisme, on risque de sombrer dans une autre forme de dogmatisme, plus insidieuse encore : celle de l’ésotérisme".
Lancelot, quant à lui, est plus disposé à considérer l'ouvrage comme un moteur de pensée, une "provocation féconde".
En réponse à Morin, Lancelot exprime sa gratitude pour la pensée du philosophe, qu'il considère comme un pionnier de la complexité et qui l'aide "à ne pas rejeter trop vite ce que [il] ne comprend pas".
Lancelot suggère de voir dans La Gnose de Princeton non pas une vérité achevée, mais une invitation essentielle : "Une invitation à penser autrement, à penser plus loin". Cette position rejoint la perspective adoptée par le livre de Ruyer, qui, malgré ses faiblesses méthodologiques (manque de références explicites et de citations référencées), présente une nouvelle articulation de la matière et de l’esprit, stimulant fortement la réflexion.
De fait, le livre de Ruyer, sous son titre ambigu ("Gnose" étant dévalorisant et trop marqué religion), cherchait peut-être à contourner une certaine intelligentsia académique pour exposer des idées sur une société semi-secrète (qui aurait pu être nommée le Cercle de Pantemos).
Lancelot conclut cette partie de leur échange en proposant à Morin de poursuivre cette conversation "de vive voix" à Fléchigné, leur dialogue s'inscrivant ainsi dans une quête de sens partagée.
En somme, l'échange entre Lancelot et Edgar Morin sur La Gnose de Princeton illustre un moment crucial des années 1970, où les découvertes scientifiques de l'après-guerre (comme celles de Princeton) forçaient la philosophie à reconsidérer l'articulation entre la matière et l'esprit, la complexité du vivant et la conscience. Morin exigeait la rigueur épistémologique face à ce qu'il percevait comme une tentation mythologique, tandis que Lancelot y voyait une impulsion nécessaire pour "penser plus loin".
La Gnose de Princeton - 2
Voici encore, mais très rapidement un vocabulaire, avec des concepts décrits par Raymond Ruyer, auxquels nous ne sommes pas forcément habitués, mais qui peuvent être inspirants...
Comme * les « antiparadoxes »: ce sont des paradoxes apparents qui disparaissent lorsqu’on reformule correctement le problème. Exemple: La question "comment un cerveau matériel produit-il la conscience ?" est un faux paradoxe, à partir du fait, que la conscience pourrait ne pas être "produite" mais déjà présente sous une certaine forme dans la nature.
* Les « accolades domaniales » nomment des connexions invisibles entre différents niveaux de réalité (physique, biologique, psychique). Par exemple, le lien entre le cerveau et la conscience ne serait pas une simple causalité mécanique mais une connexion plus profonde entre deux "domaines".
* Les « participables » à la base d'une idée centrale chez Ruyer qui vise à reprendre cette idée de Platon, et dont nous avons souvent parlé: l'idée de forme préexistante qui structure la réalité. Aujourd'hui, elle s'enrichit avec le néoplatonisme, la théorie de l’information, les théories du processus ( Whitehead), la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, et certaines approches contemporaines en physique et en biologie.
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Partons de Ruyer, pour qui les « participables » ne sont pas de simples abstractions humaines, mais des réalités objectives auxquelles les êtres participent; et c'est le fait que toute entité participe à ces '' formes préexistantes '' que le monde nous apparaît organisé et intelligible. Ces participables ne sont ni dans l’espace, ni dans le temps,
Le néoplatonisme de Plotin, parlait d’une hiérarchie d’émanations où le monde matériel est une expression dégradée des formes intelligibles.
Alfred North Whitehead (1861-1947) décrit les ''formes '' comme des modèles préexistants qui donnent une structure aux événements du monde. Ces objets ne sont ni physiques ni matériels, mais ils sont des « potentiels purs » qui peuvent être actualisés dans le monde réel. Il sont à l'image de cette métaphore: Ces formes sont comme des partitions musicales, qui existent en tant que possibilités pures. Mais elles ne deviennent réelles que lorsqu’un musicien les interprète, c’est-à-dire lorsqu’une occasion actuelle choisit et actualise une certaine mélodie. Whitehead insiste davantage sur le dynamisme du processus, avec cette ''actualisation '' ….
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Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), dans sa phénoménologie, est plus ancré dans l’expérience humaine que dans une structure universelle de l’être. Pour lui, la signification et la forme des choses émergent dans l’expérience perceptive: c'est notre corps vivant qui co-crée le sens en étant immergé dans le monde. Il partage avec Ruyer sa critique du matérialisme, en ce que le sujet joue un rôle actif dans la structuration du réel.
Rappelez-vous ce que John Wheeler proposait: l’idée du « It from Bit », où toute réalité physique émerge de l’information. Cela rejoint l’idée que les formes préexistent aux choses qui en découlent.
L'anthropologue et cybernéticien britannique, Gregory Bateson (1904-1980), évoque la notion de formes comme un ordre informationnel universel. En 1942, dans '' Steps to an Ecology of Mind '' , il critique la vision cartésienne qui sépare l’esprit et la matière et propose une unité du vivant basée sur des motifs organisationnels. Pour lui, l’ordre du monde est avant tout un ordre d’informations et de relations, ce qui rappelle certaines intuitions de Whitehead ou de Ruyer sur des structures sous-jacentes à la réalité.
Comment Raymond Ruyer, nous introduit dans une réflexion sur la nature de l'Espace et du Temps?
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En relativité générale (Einstein), l’espace et le temps forment un continuum qui peut se courber sous l’effet de la gravité. Cette vision ne se comprend pas à l'échelle quantique.
Ruyer ne considère pas l’espace et le temps comme de simples contenants géométriques; il les voit plutôt comme des structures informationnelles et organisationnelles.
L’espace-temps pourrait émerger d’un niveau plus profond de réalité, à la manière d’un hologramme projetant une image à partir d’une information sous-jacente.
Notre cerveau ne crée pas l’espace et le temps, il y participe en s’ajustant à leurs structures immanentes.
Il semble que Ruyer avait compris avant l’heure que l’information pourrait être plus fondamentale que l’espace-temps lui-même. C'est à dire que le temps doit être compris comme organisation plutôt que simple écoulement...
Je note que la physique contemporaine, avance sérieusement la possibilité que l’univers soit une sorte d’hologramme informationnel, c'est à dire que l’espace-temps tridimensionnel pourrait être une projection d’une réalité plus fondamentale. ( à voir plus profondément)
La Gnose de Princeton – 1
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Quelques temps après le retour des Etats-Unis d'Elaine et Yvain, et après leur visite à Nancy, nous découvrons en vitrine de librairie, le livre de Raymond Ruyer, titré '' La Gnose de Princeton ''.
Nous nous y sommes précipités.
Nos première réactions concernait le titre, pourquoi ''Gnose'', à notre avis, dévalorisant et trop marqué religion , ce qui finalement s'avérait volontaire, puisque le sous-titre était '' Des savants à la recherche d'une religion ''. Nous nous attendions à que le contenu soit annoncé, comme nettement plus scientifique que métaphysique, et encore moins religieux!
Ce sous-titre laisse t-il entendre que ces savants ''gnostiques'', sans le vouloir ou sans l’admettre, redécouvriraient sous une autre forme des intuitions anciennes, celles des gnostiques, mais cette fois par le biais des mathématiques et de la physique ?
Nous savons que Ruyer n'est pas religieux.
Ces titres, à notre avis, jettent l’ambiguïté sur certaines approches scientifiques contemporaines.
Ce malaise ne va pas nous quitter tout le long de notre lecture: pas de références explicites à des travaux scientifiques, trop peu de noms et de citations référencées. Tout le long de l'ouvrage l'auteur se réfère à la science de ces ''gnostiques'', sans les nommer.
Finalement, nous retrouvons un certain ton ironique propre au personnage. Il présente son livre comme une ''fantaisie intellectuelle'', dont il ne faudrait pas tout prendre au sérieux. Ruyer a prêté le flan trop facilement à ceux qui le condamnaient à l'avance...
A moins... A moins que Ruyer ait souhaité prendre à revers une certaine intelligentsia en matière de philosophie des sciences, pour exposer un certain nombre d'idées à l'intérieur d'un scénario impliquant une société semi-secrète ( qui aurait pu s'appeler aussi le Cercle de Pantemos ).
Néanmoins, nous prenons ce livre au sérieux. Il présente une nouvelle perspective sur la science et une nouvelle articulation de la matière et de l’esprit.
L'ouvrage n'est pas facile à lire, cependant il va être un succès, et édité en poche en 1977. Entre les qualificatifs qui le présentent comme visionnaire par certains, excentrique par d'autres, nous considérons qu'il est stimulant pour la réflexion.
Ruyer tente de montrer que les découvertes scientifiques de l'époque, notamment dans le domaine de la physique, ne peuvent être complètement saisies sans une compréhension plus profonde de l'âme humaine, et des structures de l'esprit.
La science est matérialiste, c'est à dire que la réalité première est la matière. C'est de la matière que serait venu l'esprit... Pour Ruyer, la science, elle-même aujourd'hui, réfute le matérialisme.
La réalité se découvre avec un ''dehors '' ( la Matière) et un ''dedans'' ( la conscience). Découvrir le dedans à partir du dehors (qu’étudie la science), c’est « remettre la science à l’endroit » selon Ruyer.
Ruyer ne se fonde que sur la science... La science, à la différence de la religion ou de la pensée de Teilhard par exemple, ne parle pas de Christ, ou de Salut .. Elle déchiffre la pensée primordiale dont l’univers est le langage.
Le "dedans" (l'intériorité, la conscience, l'expérience subjective) doit être réintégré au ''dehors '' dans le monde tel qu'il nous apparaît avec ses lois physiques et ses structures rationnelles: et c’est « remettre la science à l’endroit ».
Penser à l'envers, c'est - Considérer la pensée et la conscience comme de simples produits de la matière, sans autonomie propre - Penser que l’univers est uniquement régi par des lois aveugles ( hasard et nécessité) - Séparer la perception, du sens et de l’intentionnalité dans la constitution du réel.
Penser à l'endroit, c'est -Reconnaître que la conscience est un élément fondamental de la réalité. - Intégrer une organisation immanente dans l'étude du vivant. - Concevoir la science comme un outil de description du dehors, et du dedans du monde.
Il s'agit d'admettre que : côté « envers », le savant en sait infiniment plus sur la chauve-souris que le chauve-souris elle-même. Mais, côté « endroit » de la chauve-souris, la chauve-souris le connaît mieux que personne au monde.
Raymond Ruyer conclue: « ça pense » dans l’univers, puisque je pense !
Raymond Ruyer et son temps
Avant de revenir à Raymond Ruyer, et à la vaste documentation que lui ont remise Yvain et Elaine; je vais m'intéresser aux scientifiques et philosophes qui ont participé par leur influence à ce courant que l'Université - un peu plus en France - tend à déconsidérer, parce qu'ils n'hésitent pas à faire cas de questions considérées métaphysiques.
Sur le campus de l'Université de Princeton, l'IAS ( Institute for Advanced Study ) se veut indépendant. Fondé en 1930, par des mécènes, il veut fournir un espace de recherche et de réflexion pour des chercheurs de haut niveau, indépendants des contraintes académiques traditionnelles. Albert Einstein, Alan Turing, J. Robert Oppenheimer, John Wheeler y ont travaillé; et actuellement l'IAS reste renommé pour son département de mathématiques, qui a attiré certains des plus grands mathématiciens du XXᵉ siècle, y compris John von Neumann (1903-1957) et Hermann Weyl (1885-1955).
John von Neumann est l'inventeur de l'architecture de l'ordinateur moderne. Il est aussi l'un des fondateurs de la '' théorie des jeux '', qui est maintenant une branche fondamentale de la théorie économique et de la psychologie comportementale. Hermann Weyl, a développé la géométrie riemannienne et de la topologie. Il est connu pour ses travaux sur les espaces de fibre et la géométrie des espaces de dimension supérieure. Il a cherché à relier la mathématique pure à des concepts philosophiques. Dans ses écrits, il a souvent abordé des questions concernant la nature de la réalité et la perception humaine...
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La manière dont notre cerveau produit la conscience demeure largement inexpliquée; aussi la conscience reste l'objet de l’un des plus grands mystères de la science. Une structure biologique complexe, peut-elle créer la conscience, cette expérience subjective et intangible ?
Gerald Maurice Edelman ( 1929 - 2014) est un biologiste américain. Il préconise de ne pas tomber dans le piège d’un cerveau conçu comme un ordinateur et met l’accent sur son développement dynamique et adaptatif.
Plusieurs scientifiques et penseurs remettent en question l'idée que la conscience soit un simple produit du cerveau. Ils suggèrent qu'elle pourrait avoir une dimension non locale et universelle, s'inscrivant dans une réalité plus large que le cerveau biologique.
En ces années 70, Sir John Eccles ( prix Nobel de médecine 1963) pense que l’esprit est indépendant du cerveau, mais interagit avec lui via des mécanismes subtils au niveau des synapses
Karl Pribram avec le physicien David Bohm, suggèrent que la mémoire et la conscience émergent d’un champ d’information non local. On pourrait citer encore: Roger Sperry, Francisco Varela, Wilder Penfield ...
Thomas Nagel, philosophe américain né en 1937, connu tout récemment pour son célèbre article "What is it Like to Be a Bat?" (1974), où il critique les approches matérialistes de la conscience; un réductionnisme qui tente d’expliquer la conscience uniquement par l’activité cérébrale.
Il existe, dit-il, des "vues subjectives" qui ne peuvent être entièrement comprises par des descriptions objectives. Même si nous comprenions scientifiquement son cerveau, nous ne saurons jamais ''ce que ça fait d’être une chauve-souris''.
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Je pourrais parler aussi de Arthur Koestler, dans, son livre "The Ghost in the Machine" (1967) il explorait des idées liées à la conscience et à la nature de l'esprit, influençant les discussions sur le panpsychisme. Son titre fait référence au dualisme cartésien qui sépare l'esprit et le corps.
Koestler propose le concept de "holon", il désigne une entité à double nature: à la fois un tout ( une unité) et une partie d'un ensemble plus vaste. Exemples: une cellule, un individu... Cela fait penser à la théorie des monades de Leibniz (1646-1716) et à toute organisation, dont les parties et le tout s'articulent dans une dynamique évolutive.
Charles Hartshorne (1897-2000) est un philosophe et théologien américain, influencé par Alfred North Whitehead et sa philosophie du processus. Il rejette la vision classique d’un monde composé de substances fixes. Chaque entité est un événement, une expérience, et non un simple objet figé.
La conscience elle-même est un processus dynamique, évoluant constamment. Et Dieu, est l'image d'une conscience suprême, qui intègre et ressent toutes les expériences de l’univers; et la conscience humaine participe à une réalité plus large.
Fritjof Capra (physicien américain né en 1939-) : Dans son livre Le Tao de la Physique (1975), Capra explore les liens entre la physique moderne, en particulier la physique quantique, et les anciennes traditions mystiques (comme le taoïsme, le bouddhisme, et d'autres philosophies orientales). Capra souligne des parallèles possibles entre les découvertes modernes sur la nature de la réalité et certaines conceptions spirituelles et mystiques de l’univers, selon laquelle la vérité profonde de l'univers peut être expérimentée par une forme de connaissance intuitive ou spirituelle.
La physique est en plein développement, et en reconversion.
Nous observons avec grand intérêt, les début des recherches entreprises par Stephen Hawking (1942-2018). Après avoir obtenu son doctorat, et malgré son handicap, Stephen est devenu chercheur à Gonville and Caius College de Cambridge. L'étude des singularités, concept physique et astronomique récent, lui permet de développer différentes théories, qui le mèneront plus tard du Big Bang aux trous noirs. En premier lieu, Roger Penrose (1931- ) et Stephen Hawking construisent la structure mathématique répondant à la question d'une singularité comme origine de l'Univers. Ensuite, à partir des années 1970, Hawking approfondit ses recherches sur les densités infinies locales, et ses études sur les trous noirs ont fait progresser bien d'autres domaines. Enfin, la théorie du tout, visant à unifier les quatre forces physiques, est au centre des dernières recherches de Hawking. Le but est de démontrer que l'Univers peut être décrit par un modèle mathématique stable, déterminé par les lois physiques connues, en vertu du principe de croissance finie, mais non bornée, modèle auquel Hawking a donné beaucoup de crédit.
En 1974, Hawking est l'un des plus jeunes membres élus de la Royal Society.
Penrose défend une vision platonicienne des mathématiques: « j'imagine que chaque fois que l'esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde platonicien des idées […] Quand nous « voyons » une idée mathématique, notre conscience pénètre dans ce monde des idées et prend directement contact avec lui. » ( dans L'Esprit, l'ordinateur et les lois de la physique)
En France, Gilbert Simondon (1924-1989) est reconnu comme un philosophe de la technique. Il insiste sur l'idée que la connaissance ne se déploie pas de manière linéaire ou stable, mais au contraire, elle est marquée par des ruptures, des transformations et des mutations.
Les techniques et les savoirs techniques se développent progressivement, selon un principe de mécanisme relationnel, qui déstabilise les approches réductrices (mécanisme, réductionnisme ou structure statique). Simondon met en avant un processus d’individuation, où les individus (qu'ils soient biologiques ou techniques) sont pris dans des relations d’émergence qui vont au-delà d’une simple mécanique déterminée. Pour lui, les formes et les concepts, ne sont pas préexistants, ils sont individuellement produits à travers un processus d’interactions et d’adaptations avec les réalités matérielles et sociales. Il propose une réflexion sur des systèmes complexes, où les éléments interagissent dans des processus de coévolution.
Gilles Deleuze (1925-1995) ajouterait que l’individuation n’est pas simplement le résultat d’un processus physique ou biologique (comme chez Simondon), mais aussi une force créatrice et transformatrice qui déstabilise et crée en permanence de nouveaux possibles.
L'approche de Suzanne Bachelard
A son retour de Nancy, Yvain est surpris d'être convoqué à l'Institut d'Histoire des Sciences et des Techniques (IHST) de la Sorbonne situé au 13, rue du Four, pour rencontrer sa directrice ( depuis 1971, à la suite de Georges Canguilhem), Suzanne Bachelard (1919-2007) : Philosophe et épistémologue, et fille de Gaston Bachelard.
Elaine a entendu parler d'elle. Il est coutume de dire que Georges Canguilhem, avait une approche plus ouverte sur l’indéterminisme, la complexité ou l’émergence de formes d’organisation non strictement mécanistes. De plus, dans ces années 1970, des courants émergents comme la théorie des systèmes, la cybernétique et les sciences cognitives commençaient à remettre en question une vision trop rigide de la rationalité scientifique.
Pourtant, l'approche de Suzanne Bachelard reste fortement axiomatique et rationnelle, notamment influencée par la logique mathématique et la philosophie analytique. Son travail sur la logique formelle et les mathématiques intuitionnistes (inspirées de Brouwer et Gödel) montre une fidélité à une vision structuraliste et mécaniste du raisonnement, laissant peu de place aux spéculations métaphysiques.
Yvain ne cesse pas d'être étonné, quand Suzanne Bachelard se montre informée de son voyage aux Etats-Unis, et à Nancy.
Elle dit ne pas être opposée aux communications entre Raymond Ruyer et l'IHST; mais....
Suzanne Bachelard, comme son père, dit-elle, croit que la science n’était pas seulement un ensemble de faits, mais qu’elle est aussi un processus de construction de la vérité. Comme son père, elle s'intéresse à la notion de rupture épistémologique dans la science. Comme Ruyer, elle cherche à comprendre comment la science évolue et comment les modèles scientifiques influencent notre compréhension du monde.
Cependant, elle tient à exprimer des divergences qui méritent, dit-elle, d'être soulignées:
La science n’est pas un terrain où l'on peut se permettre de glisser dans une ontologie aussi abstraite que le propose Ruyer. La science avance par la réfutation, par des méthodes rigoureuses et par l’évolution des savoirs. Certaines théories, bien que séduisantes d’un point de vue intellectuel, semblent déconnectées des réalités scientifiques que nous connaissons.
Elle fait référence à cette '' idée d'information consciente '' dans des structures matérielles. Ce genre de réflexion ne semble pas être une approche épistémologiquement saine. « Ne nous égarons pas dans un domaine où la pensée pure prend trop le dessus sur la réalité des données. »
Précisément, objecte Yvain, n'est-ce pas le rôle de la philosophie, de s'interroger sur les faits eux-mêmes. La science, loin de n’être qu’un ensemble d’observations et de lois purement mécaniques, est aussi une manière de structurer l’information qui constitue l’univers. Et c’est justement ce que propose Ruyer: que l’information soit le fondement même de toute réalité.
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La matière se réduit-elle à ce que l’on touche, à ce que l’on mesure? Quelle place ont la conscience et l'information parmi les propriétés des vivants? Ne vont-elles pas au-delà, dans toute la nature ?
Suzanne Bachelard répond: - penser de la conscience dans la matière, n'est-ce pas là une dérive métaphysique ? Nous devons nous en tenir aux observations concrètes de la science.
Yvain évoque la ''rupture épistémologique'' concept introduit par Gaston Bachelard, et appelle à une remise en question d'une conception linéaire et mécaniste des choses. La science a toujours été dans une démarche de réduction ( en décomposant les phénomènes complexes en éléments plus simples ) et de spécialisation, mais c’est là qu’elle se heurte à ses propres limites.
Nous devons dépasser le stade de la mécanique newtonienne, pour exploiter les découvertes récentes en biologie, en physique quantique, ou en cybernétique, qui montrent que la réalité elle-même est un enchevêtrement complexe d’informations en constante transformation.
Seulement, ce débat de nature épistémologique et qui intéresse la philosophie spéculative; n'en reste pas là. Et, la directrice de l'IHST va se montrer beaucoup plus directive...
Voilà ce que j'en ai compris. Elle en appelle à la responsabilité des intellectuels, dans un monde chaotique... Elle va relever le danger d’un savoir non maîtrisé et mal interprété, par le public.
Suzanne Bachelard insiste sur l’exigence d’un dépassement des expériences individuelles en science, tandis que Ruyer met en avant l’expérience vécue et la subjectivité comme fondement du sens. Elle ne croit pas et dit craindre une vision cybernétique du monde, une sorte de réseau d’intelligences interconnectées, sans régulation.
Elle conteste l'ordinateur comme outil d'émancipation, s'il devenait individuel. Que pourrait-il se passer si ,comme Ruyer l'avance, l’information et l’intelligence n'étaient pas reconnues comme simplement des données mécaniques, mais des structures porteuses de finalité ?
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Plus clairement, la directrice demande à Yvain et à Raymond Ruyer, d'empêcher la diffusion de documents, même à teneur scientifique, que n'auraient pas validés les responsables de l'Université de Princeton. Si tel était le cas, cette ''Gnose '' serait fortement désavouée par l'Université française, et vaudrait à ceux qui la défendraient la relégation dans un mysticisme de mauvais aloi !
Vous êtes peut-être étonnés de la réaction de la fille de Gaston Bachelard, devant la tentative de la philosophie de la science à admettre un nouveau paradigme scientifique de plus en plus formalisé par les scientifiques eux-mêmes
Mais je rappellerai l'anecdote que Michel Serres a rapportée alors qu'il présentait la deuxième partie de sa thèse, en 1968.
Dans cette thèse, intitulée "Hermès ou la communication", Michel Serres explore la notion de communication, et en particulier la manière dont celle-ci se manifeste dans les différentes formes de la science et du langage. L’idée fondamentale derrière cette thèse est que la communication est un principe structurant de la société et des sciences.
Dans le jury de la thèse, Suzanne Bachelard jouissait d'une certaine autorité, et avec elle certains membres du jury ont trouvé cette partie trop spéculative et difficilement applicable aux pratiques scientifiques concrètes. Le fait qu'il prenne une approche interdisciplinaire a aussi soulevé des préoccupations sur la rigueur méthodologique, car il était difficile de trouver des connexions claires entre les différentes disciplines qu'il abordait.
Un autre facteur de friction venait du style de Michel Serres, qui était assez personnel et libre, en dehors des canons académiques....
Raymond Ruyer
Yvain et Elaine ont été reçus par le professeur Raymond Ruyer à Nancy, dans son bureau de l'université. Il n'a pas été surpris par la raison de leur visite; et n'étant jamais allé à Princeton il était fort curieux de tous les détails qu'ils ont pu lui donner de leur visite.
Ce que je voudrais transcrire ici, ce sont les propres réflexions du philosophe qui ont étayé sa première observation des dossiers qu'ils étaient chargés de lui remettre.
Ruyer a confié les origines de ses convictions actuelles, et comment il est passé d’une pensée structuraliste (où l’être est entièrement défini par sa structure spatio-temporelle) à une pensée plutôt finaliste (où il reconnaît une dimension trans-spatiale et des principes organisateurs qui orientent l’évolution du vivant).
Quand Ruyer a commencé ses études, le sens de sa propre existence ne lui semblait pas être une question pertinente. La religion, Kierkegaard, et même l'existentialisme le choquaient. Le structuraliste qu'il était, avançait que « la forêt serait ce qu’elle est, même si elle comptait une feuille ou un arbre de moins »; c'est à dire que « le monde serait ce qu’il est, même si je n’existais pas... »
Si Dieu nous envoyait dans l'existence, sans notice explicative, c'est qu'il n'y a pas de notice. Il pensait alors que nous pouvons connaître « le côté structural d’une chose, la disposition dans l’espace de ses parties, sa construction et son fonctionnement dans le temps. « Pour comprendre une bicyclette, il suffit de regarder. »
Après avoir lu la physique d'Einstein, il en concluait que tout ce qui existe peut être compris en termes de structures spatio-temporelles. Puis, il va s'écarter de cette vision mécaniste.
A partir de 1950, Ruyer étudie la cybernétique de Wiener et la théorie de l'information de Shannon et Weaver, et propose sa propre philosophie de l'information et du « survol absolu ».
- Et si l'information constituait une propriété fondamentale de la réalité elle-même ? Avec des principes de développement et de formation inscrits dans des formes immatérielles ?
En étudiant l’embryologie et la biologie du développement, Ruyer réalise que les formes biologiques ne sont pas contenues entièrement dans l’espace-temps, mais suivent une sorte de plan invisible. Un peu comme si un œuf savait comment devenir un être vivant. Il prend conscience que l’émergence du vivant, ne peut pas être entièrement expliqués par des relations mécaniques entre des éléments matériels. Ce potentiel émerge du système en tant que tel. Il pense à une ''téléologie immanente'' inscrites dans la matière elle-même.
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Elaine revient à la ''forme '' d'Aristote, et Ruyer précise que pour lui, la forme est avant tout un principe organisateur immanent dans la matière, mais elle n’est pas équivalente à l'âme dans le sens traditionnel aristotélicien. Il n'assimile pas la forme à un principe vital ou spirituel comme le fait Aristote avec l’âme. La forme serait une dynamique interne qui façonne la matière vivante.
Pour Ruyer, je reprends: La ''forme'' n’est donc pas un principe extérieur ou transcendant qui anime la matière, mais un principe organisateur interne qui guide l’évolution et la structuration des systèmes vivants à travers le temps.
Et Ruyer continue, pour lui, il n'y a pas de raison de s'en tenir au monde physique que nous percevons, l'espace-temps classique... Pour expliquer l'organisation des formes dans le vivant, il propose une dimension non physique – qu'il nomme trans-spatiale – qui n'est pas un lieu, une entité matérielle, mais une structure d’information, une sorte de réserve de potentialités qui guide le développement des êtres vivants.
Qu'est-ce que cela signifie? - Et bien, que les structures biologiques ne sont pas simplement le produit du hasard et de l’évolution darwinienne, mais qu’il existe - selon ses mots - un "thème de développement".
Le Cercle de Pantemos ( suite)
* Autres protagonistes de cette affaire, les financiers et la politique. Ils sont représenté ici, par:
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Leon Kums, l'héritier français installé aux Etats-Unis d'une grosse fortune. C'est un esprit brillant, ne craignant pas la provocation intellectuelle. Il croit à l'avenir du Numérique, et perçoit une révolution industrielle ( et son potentiel économique et financier ) en ce qu'elle pénétrera le quotidien du grand public.
Pour l'heure, et pour le grand public, le numérique évoque plutôt les ordinateurs futuristes et l’intelligence artificielle dans des films comme 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) ou The Forbin Project (1970).
L'idée de Leon Kums, et celles de plusieurs intellectuels du Cercle, est de trier les informations concernant ces nouvelles théories ( fortes de leur pouvoir immédiat scientifique ) pour ne diffuser que celles qui se concrétiseraient, très prochainement, en objets de consommation.
Ainsi, ils prévoient de faire entrer sur le marché de consommation, des consoles de jeux , des calculatrices électroniques de poche, des lecteurs de vidéocassettes, des moyens mobiles de télécommunication. Il sera donc nécessaire de fournir des microprocesseurs, de la mémoire RAM, de l'affichage à cristaux liquides,, des batteries....etc
De leur avis, il est inutile d'évoquer les applications liées à: l'Intelligence artificielle et réseaux neuronaux, la fusion nucléaire, la Cryptographie, la Mécanique quantique appliquée (effet Josephson, supraconductivité à basse température), la génétique et biotechnologies. Laissons cela à la fiction, et gardons à l'écart les avancées de la recherche, en particulier celles sur d'éventuelles propriétés mentales attachées à des structures fondamentales de la réalité. Contentons-nous de garder la conquête spatiale comme vitrine du ''progrès''.
D 'autres penseurs - dont ceux qui ont convaincus Yvain et Elaine, de participer à leur action – militent pour diffuser le plus possible l'intégralité de l'information scientifique. Pourquoi ?
Dans le but: d'éviter de futurs monopoles; de promouvoir l'informatique personnelle comme outil de démocratie, et compter sur la mise en réseau.
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Il s'agit de ne pas laisser aux élites financières et politiques le seul accès aux avancées en cryptographie, télécommunications et intelligence artificielle, ce qui leur donnerait un pouvoir immense sur la gestion de l'information. Est sous-jacente la crainte d'une société sous surveillance totale, ( 1984 de Georges Orwell ) , d'une société sous la gouvernance d'une caste dominante, mieux informée et plus performante. Il est important d'éviter l'augmentation du décalage entre les nations, avec un risque accru de conflits géopolitiques: (espionnage, guerre, pression économique), et l'augmentation de la Fracture Est-Ouest.
Il est donc nécessaire de valoriser les échanges d'information entre universités, d'appeler au financement de la recherche publique; et d'utiliser le maximum d'énergies, de compétences, pour préparer la société future dans toutes ses composantes, psychologique, médicale, sociale, éducative...
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La grande majorité du Cercle de Pantenos, ont fourni à Elaine et Yvain, un ensemble représentatif de l'état de leur recherche et de leur réflexion, pour les diffuser à partir de la France.
La France est considéré par les intellectuels américains ( sauf par les philosophes dits analytiques ) comme bénéficiant d'une certaine autorité en philosophie. La philosophie des sciences y est représentée par des figures comme Bachelard, Canguilhem et Foucault. On pourrait citer également Deleuze, et Gilbert Simondon... Le Cercle a fourni à Elaine et Yvain, un nom: celui de Raymond Ruyer, un philosophe français connu par le Cercle pour être éloigné de la philosophie analytique anglo-saxonne. Il n'est ni marxiste, ni structuraliste, ni analytique. Il est remarqué pour son intérêt aux questions métaphysiques (finalité, conscience, organisation du vivant), sans-doute plus influent chez les scientifiques ( Henri Atlan, René Thom ...) que chez les philosophes.
Dans les années 1960 puis 1970, en France, il n'est pas bon pour un intellectuel de s'opposer au marxisme et de défendre l'économie de marché. En marge du canon académique, Ruyer ne s'inscrit nullement dans le prolongement du positivisme du XIXe siècle.