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Les légendes du Graal

simone weil

Abbaye de Solesmes

13 Mai 2024 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Solesmes, #Simone Weil

Après avoir obtenu sa mise à la retraite ; Lancelot ressent le besoin impérieux de plus de solitude. Il s'agit de marquer la fin d'une période, et le début d'une autre dans le cours de cette Quête.

Il le fait aussitôt, sous le signe de Simone Weil ( et de ses ouvrages), et de Solesmes.

Dans une lettre à la mère de Simone Weil datée du 11 février 1951, Albert Camus écrit : « Simone Weil est le seul grand esprit de notre temps. »

 

De l'arrivée sur le pont sur la Sarthe, se déploie la silhouette massive, haute et majestueuse de l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes, haut-lieu du chant grégorien, fondé au début du XIe siècle. Impressionnant !

Lancelot est accueilli par le père hôtelier, avec qui il a correspondu. Il dépose sa valise dans sa chambre et suit le moine qui le conduit dans l'abbatiale, étonnamment étroite pour cet ensemble monastique : il est frappé par l'odeur de la pierre, sans-doute de l'humidité, et surtout de l'encens. La lumière traverse des vitraux, et se reflète sur les murs des chapelles, aux motifs géométriques des années 30. Le chœur des moines date de dom Guéranger en 1865. Dom Guéranger (1805-1875), à qui on doit la vitalité de Solesmes, et en particulier ses recherches sur les origines du chant liturgique, et la restauration du chant grégorien.

Le père hôtelier présente Lancelot au père abbé, avant le repas, qui lui verse de l'eau sur les mains avec une aiguière à ablutions au-dessus de son bassin.

Les hôtes mangent au centre de l'immense réfectoire, entourés de tous les moines, dans le silence et accompagnés par une lecture spirituelle.

Lancelot va suivre, seul, dans le silence, la journée au rythme des cloches, et des offices ; en commençant par les matines à 5h30 ( autrefois au cours de la nuit).

 

Dans l'abbatiale, les hôtes ( masculins, logés) ont le droit de passer la petite barrière métallique, et s'asseoir avant les stèles des moines. Dans le chœur, on remarque un imposant pupitre ( un griffon) qui sert aux chantres lors des fêtes.

Les rituels des offices, et le déplacement des moines, sont adaptés au chant grégorien.

Lancelot n'est pas ordinairement assidu à la messe dominicale, même s'il reconnaît dans le rituel eucharistique, la place du Graal et surtout du mystère de l'incarnation. Il a plaisir à suivre dans son missel, un livre à couverture de cuir et papier bible, la traduction et selon les fêtes divers compléments marqués par les images de communion des amis ou de la famille...

Ici particulièrement, Lancelot goûte la beauté du chant, du geste, du rituel où tout est allégorie.

Lors des office se rassemble toute l'énergie produite par ce lieu monastique hors du temps, des bâtiments au travail et à la prière des moines ; jusqu'à, et surtout, l'offre pour chacun des bienfaits de l'Esprit-Saint.

Quel miracle, en ce milieu du XXe siècle, de trouver encore cette tradition doublement millénaire ; sachant qu'elle n'est faite que de simplicité, d'humilité, de joie et d'hospitalité...

Lancelot tente de faire corps à la musique grégorienne, et il s'imagine Simone Weil, à Solesmes ici, écoutant ces mêmes chants, en souffrant des maux de tête, et arrivant a les maîtriser par la contemplation du beau...

 

Lancelot se fait témoin de Simone Weil. Avec sa douleur et devant les yeux, ce Christ en croix ; soudain dans une intuition fulgurante, elle « comprend la possibilité d'aimer l'amour divin à travers le malheur ». Pendant la durée de cet éclair, Simone Weil a échappé aux lois de ce monde. « Instant d'arrêt, de contemplation, d'intuition pure, de vide mental, d'acceptation du vide moral. C'est par un de ces instants que l'homme est capable de surnaturel. »

Au transept sud de l'église, une impressionnante scène sculptée par un artiste inconnu de la renaissance , la mise au tombeau du christ, grandeur réelle. Se détache, en avant Marie-Madeleine confiante et en contemplation : image du moine, et peut-être de Simone Weil ?

Deux ''notables'', un sur la droite, Jean d'Armagnac, Seigneur de Sablé soutient le drap mortuaire, maintenu à gauche par Joseph d'Arimathie enturbanné, à ses côtés Nicodème. Marie, mère de Jésus, vacille soutenu derrière elle par le jeune saint Jean ; puis deux pleureuses.

En face, dans le transept nord, la ''chapelle des merveilles'' à la gloire de Marie. Sur son linceul, la ''dormition'' de la Mère de Dieu, avec au centre Saint-Pierre, image de l'Eglise, qui prend le relais...

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Le témoignage de Simone Weil.

8 Mai 2024 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Simone Weil, #Pètrement, #Solesmes

Lancelot

Lancelot prend sa retraite, et souhaite se replier à Fléchigné.

Geneviève a quitté le parti communiste en même temps que Dominique Desanti. C'est aussi avec elle, qu'elle a rencontré Simone de Beauvoir à l'époque du Congrès du Mouvement de la Paix, en 1955. Plusieurs fois, il lui arrivait de passer chez elle, rue Schoelcher, et d'aller manger dans un petit restaurant de la place Denferts-Rochereau. Dominique Desanti partait souvent à l'étranger, en particulier en Afrique.

Geneviève s'intéresse à l'action de l'inconscient, donc à la psychanalyse. Les relations entre Lancelot et elle s'apaisent ; sans-doute essaie t-elle de pratiquer son propre discours, à savoir qu'il est nécessaire dans le couple de préserver et reconnaître l'altérité de l'autre, et de ne pas limiter la liberté de l'autre en l'enfermant dans une seule histoire. Cela évoque le ''contrat sartrien'' du couple.

Geneviève se réfère souvent à l'ouvrage majeur de Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe.

Elaine de Sallembier

Geneviève occupera, avec sa fille, l'appartement boulevard Victor-Hugo ; Elaine fera très souvent le trajet entre Paris et Fléchigné.

Elaine poursuit ses études à la Sorbonne. Après avoir passé en 1962, le certificat d’études littéraires générales ( propédeutique), elle se décide pour des études d'Histoire.

 

Lancelot ressent le besoin de se consacrer à sa ''quête''. Même s'il eut la chance de l'avoir plus ou moins conduite tout au long des événements qui se sont présentées à lui au cours de sa vie, il regrette de n'avoir pas eu le temps d'approfondir certaines rencontres.

Comment ne pas contempler des existences comme celles de Simone Weil, de Camus qui ont été si brèves, inachevées sûrement.. ? Lancelot ressent le bonheur, mais aussi le malheur d'avoir raté l'occasion de donner du fruit à ces rencontres ; il reste leurs œuvres : cadeau inestimable. Lancelot invoque aussi Teilhard de Chardin, qui avec Simone Weil, nous offrent leurs réflexions à notre étude ( je parle de l'édition de leurs textes), alors qu'ils se sont retirés sans bruit...

 

Pour débuter cette nouvelle période de sa vie, Lancelot est décidé à passer quelques jours dans un monastère. Lequel ?

Alors qu'il recherchait des documents sur Simone Weil, à la Bibliothèque nationale de France, on lui indique une personne, conservatrice ici, qui a été l'une de ses amies d'études. Lancelot sollicite, ainsi un rendez-vous auprès de Melle Pètrement.

Simone Pètrement, agrégée de philosophie, connaît très bien le grec et on la dit spécialiste des origines chrétiennes du gnosticisme. Elle fut avec Simone Weil, étudiante au lycée Henri IV dans la khâgne d’Alain, et élève de l’École normale supérieure ( promotion 1927).

Après plusieurs échanges, Lancelot à la chance d'être invité dans son appartement, un dimanche soir, moment où Melle Pètrement reçoit des étudiants mineurs provinciaux d'Henri IV qui devaient avoir à Paris un correspondant, ce qui est le cas pour Pierre Magnard ( né en 1927).

Platon

Il profite ainsi de son témoignage quant au travail accompli par les deux Simone, sur leur lecture de Platon. Pour toutes les deux, le grand problème était celui du Mal. Que faisait Dieu ?

Alors que nous sortons à peine du ''désastre'', sans bien comprendre ce qui s'était passé... Simone Pètrement rappelle que cette question - qu'elles s’étaient toutes les deux posée - était d'où vient le Mal ? Comment le Mal est-il possible ? Que faisait Dieu ?

Et pour en revenir à la lecture de Platon ; '' il ne s'agit pas, comme beaucoup le font, en donner une lecture gnostique ou manichéenne, en donnant au mal une réalité. Ce travail, elles l'ont fait toutes les deux pour se convaincre que le Mal était irréel, que le Mal était un néant ; que le monde que les méchants croyaient bâtir était une nuée. Leur cité était bâtie d'illusions, elle n'existait pas. Il faut vous convaincre que le royaume du Mal est un royaume des ombres, et que ceux qui veulent s'en prévaloir se fondent sur le néant, et ne sont eux-mêmes que rien.'' ( propos recueillis par Pierre Magnard.)

 

Simone Pètrement raconte à Lancelot les circonstances du séjour de Simone Weil au monastère de Solesmes. Auparavant en juin 1937, elle racontait :« étant seule dans la petite chapelle romane du XIIe siècle de Santa Maria degli Angeli, incomparable merveille de pureté, où saint François a prié bien souvent, quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux. »

« En 1938 j’ai passé dix jours à Solesmes, du dimanche des Rameaux au mardi de Pâques, en suivant tous les offices. J’avais des maux de tête intenses ; chaque son me faisait mal comme un coup... »

Cependant, elle prend « une joie pure et parfaite dans la beauté inouïe du chant et des paroles ». L’expérience de sa propre souffrance physique, due a ses maux de tête violents, et la contemplation de la souffrance du Christ lui font découvrir la possibilité d’aimer l’amour divin a travers le malheur : « Il va de soi qu’au cours de ces offices la pensée de la Passion du Christ est entrée en moi une fois pour toutes ».

(…) « les histoires d’apparition me rebutaient plutôt qu’autre chose, comme les miracles dans l’Évangile. D’ailleurs dans cette soudaine emprise du Christ sur moi, ni les sens ni l’imagination n’ont eu aucune part ; j’ai seulement senti à travers la souffrance la présence d’un amour analogue à celui qu’on lit dans le sourire d’un visage aimé. »

 

Elle assiste à tous les offices et aux solennelles célébration de la Passion et de la Résurrection.

« Quand on écoute Bach ou une mélodie grégorienne, toutes les facultés de l’âme se tendent et se taisent, pour appréhender cette chose parfaitement belle, chacune à sa façon » (…) « Musique grégorienne. Quand on chante les mêmes choses des heures chaque jour et tous les jours, ce qui est même un peu au-dessous de la suprême excellence devient insupportable et s’élimine. »

 

Grâce à un retraitant anglais, qu'elle qualifie de messager, elle découvre les poètes métaphysiques anglais du XVIIe siècle, notamment George Herbert et son poème Love, qui va devenir très important, puisque dans les moments de crise de maux de tête, elle se réfugie dans la beauté de ses rimes, « Je me suis exercée à le réciter en y appliquant toute mon attention et en adhérant de toute mon âme à la tendresse qu'il enferme. »

« Je croyais le réciter seulement comme un beau poème, mais à mon insu cette récitation avait la vertu d'une prière. C'est au cours de ces récitations que, comme je vous l'ai écrit, le Christ lui-même est descendu et m'a prise. »

Julian of Norwich on Joy -Matthew Fox

Elle vit le détachement de son corps douloureux, et fait l’expérience de l’amour «transcendant».

 

Simone Weil raconte au père Perrin, sa grande surprise. Jamais, avoue-t-elle, elle n'avait prévu la possibilité d'un contact réel, « de personne à personne, ici-bas, entre un être humain et Dieu ». « J'avais vaguement entendu parler de choses de ce genre, mais je n'y avais jamais cru. »

- N'allez pas croire qu'elle se soit rendue aussitôt à cette révélation ! Son amour s'y rend, mais son intelligence s'y refuse. Elle décide alors de chercher ce que cette illumination peut receler de vérité, avec toute son attention. Elle ne craint pas de se lancer dans ce genre d'enquête ; puisque le Christ est vérité... C'est lui qu'elle trouvera en y accédant. C'est donc vers lui qu'elle reviendra, tout naturellement.

- Simone Weil, n'était pas « une âme faible », elle n'aurait pas cherché consciemment une consolation dans une religion.

« (...) la certitude d’avoir touché quelque chose de réel au-delà de la subjectivité (...) quelque chose au-delà de soi- même; (...) au-delà, mais par l’intérieur. Interior intimo meo. (...) On a touché en soi-même quelque chose de plus grand et de plus ancien que soi.»

Simone Pètrement ajoute, que c'est sa vie même - le fait qu’elle vit sa pensée avec une radicalité rare – qui nous indique la réalité et la véracité de son expérience spirituelle.

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Albert Camus – Simone Weil

3 Mai 2024 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1962, #Camus, #Simone Weil

L'année 1962 avait commencé avec des plasticages de l'OAS. Le 8 février une manifestation contre l'OAS était durement réprimée, huit personnes perdaient la vie.

En mars, après la signature des accords d'Evian qui accordaient l'indépendance à l'Algérie ; c'est l'armée française qui tirait sur une manifestation de pieds-noirs à Alger et tuait une cinquantaine de personnes. Les attentats et massacres ne cessent pas.

 

Le 4 janvier 1960, Albert Camus, à 47ans, disparaissait dans un accident de voiture. Lancelot regrette de ne pas l'avoir plus approché. Sa réflexion, à l'aube de cette nouvelle décennie nous manque.

Déjà, Camus, soulevait la question et le paradoxe de la violence terroriste. Ils se retrouvent dans la maxime du militant révolutionnaire qui serait : « sauver l’humanité en tuant quelques êtres humains », ''sauver'', alors que le résultat certain et concret est le massacre d'innocents.

Plus généralement la question concerne l'emploi de la violence pour atteindre un but politique. Sachant peut-être que pour un révolutionnaire ( ou un fasciste), il s'agit avant tout, de créer un climat d'insécurité... Le terroriste qui se pose en représentant du peuple, affirme qu'il est désintéressé, prêt au sacrifice de sa propre vie.

Quel pourrait être le contenu d'une politique, qui se fondrait sur l'exercice de la terreur ?

La torture, réhabilitée par l'actualité, interroge l'Etat lui-même..

Pour Camus, l'état se discrédite si lui-même utilise la torture, la répression aveugle, et donne raison à ceux qu'il combat, il appelle cela ''la solidarité du sang'' : « La face affreuse de cette solidarité apparaît dans la dialectique infernale qui veut que ce qui tue les uns tue les autres aussi, chacun rejetant la faute sur l’autre, et justifiant ses violences par la violence de l’adversaire. » (Camus, Chroniques Algériennes 1939-1958 )

« Le terrorisme détruit la politique au nom de la politique. »

 

Comment peut-on justifier sa conduite quand on ne croit ni en Dieu, ni au pouvoir de la raison ?

Après l'Absurde avec L'Etranger, et l'essai Le Mythe de Sisyphe de 1942 ; puis la Révolte avec  L'Homme révolté , Camus veut comprendre ce qui pousse des hommes à braver l’interdit du meurtre au nom de la justice. Avec la pièce Les Justes, et dans cet extrait (acte II), Camus illustre deux conceptions :

Stepan : L’Organisation t’avait commandé de tuer le grand-duc.

Kaliayev : C’est vrai. Mais elle ne m’avait pas demandé d’assassiner des enfants. […]

Dora [s’adressant à Stepan] : Ouvre les yeux et comprends que l’Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes.

Stepan : Je n’ai pas assez de cœur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera.

Dora : Ce jour-là la révolution sera haïe de l’humanité entière.

(...)

Kaliayev : « J’ai choisi de mourir pour que le meurtre ne triomphe pas. J’ai choisi d’être innocent ». (Camus, Les Justes (acte II)

Camus refuse le nihilisme. La vie, l'amour lui donnent « l'orgueil de sa condition d'homme. » (Noces suivi de L’Été )

 

Pourtant, Lancelot ne peut se satisfaire de ces raisons de vivre que Camus a exprimé dans ses livres.

Et c'est précisément, grâce à la collection Espoir que Camus porte chez Gallimard, que Lancelot est rappelé à l'enseignement et surtout au témoignage de Simone Weil.

Je rappelle que Lancelot par l'intermédiaire d'Auguste Detoeuf ( Alsthom) a rencontré cette jeune fille à l'étrange dégaine, qui faisait parler ceux qui fréquentaient l'ENS. Elle enseignait la philosophie à Bourges, et revenait alors à Paris, dont les usines étaient occupées, nous étions en 1936 ; et elle parlait de son expérience comme ouvrière. A ses yeux, Lancelot était alors un acteur du ministère Daladier de la défense, au sein du gouvernement Blum. Simone Weil, parlait d'aller en Espagne, s'engager auprès des républicains.

Ils avaient pris le temps de parler du « génie de la civilisation d'Oc », qui a su mêler « la chevalerie venue du Nord et les idées arabes, et qui ressemble à une petite réplique de la Grèce Antique ». Ils avaient échanger sur ''le Graal'' ; il parlait de ''La Coupe'', où elle préférait voir une Pierre, comme chez Parsifal. Elle relevait également, que la Question salvatrice, se rapportait à la découverte de l'attention à l'autre ( Quel est ton tourment ?). Elle l'avait prévenu : «  La quête du Graal, peut être un détournement, ou un dévoiement, de l’attention. Vouloir trouver le Graal, c’est privilégier la volonté au détriment de l’attention. », comme l'évoque le personnage de Gauvain...

En juin 1940, à Vichy Lancelot croisait Simone Weil, qui fuyait Paris avec ses parents.

 

Enfin, en 1942, Lancelot avait échangé avec Gustave Thibon leurs impressions sur cet « être supérieur'' comme il disait.

Bien plus tard, après la guerre, Lancelot apprit par Maurice Maillard, que Simone Weil était morte à Londres le 24 août 1943, à l'âge de 34 ans.

Simone Weil

Dès 1947, Gustave Thibon avait publié un recueil de pensées de Simone Weil, composé de divers passages tirés de ses carnets personnels écrits à Marseille entre oct. 1940 et avril 1942 et organisés par thèmes : La Pesanteur et la Grâce.

Ensuite, c'est Albert Camus, qui recevait un manuscrit présenté par Brice Parain, un philosophe proche d'André Weil, le frère mathématicien de Simone ; également ami du père Dubarle, dominicain que connaît bien Lancelot. Il propose le titre '' L'Enracinement'' à ce '' Prélude à une

déclaration des devoirs envers l’être humain'' qui sera publié en 1949, chez Gallimard.

Dans le cadre d'un travail d'une commission de réforme de l'Etat, où elle a été affectée en novembre 1942 à Londres, comme rédactrice ; elle écrit ce texte, qui deviendra son testament intellectuel, avec pour thèmes : l'oppression sociale, le travail physique (ouvrier et paysan), la religion, la beauté, le régionalisme, la science, la guerre, l'impérialisme, le colonialisme, le totalitarisme, etc...

Plutôt que ''devoirs'' Simone Weil eut préféré ''aspirations'' : elle parle d' « aspirations essentielles du peuple, éternellement inscrites au fond des âmes »

Elle réfléchit à ce qui '' entrave l’aspiration des êtres humains à la beauté, à la vérité et à la justice''

pour dessiner, ensuite, les contours d’une organisation sociale qui respecterait les hommes, respecterait les corps et, par-dessus tout, respecterait les âmes ; et satisfaire ce qui est « peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine » : le besoin d’enracinement .

Dès le début de l'ouvrage, elle affirme : « la notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative ».

14 janvier 1963 - le général dit non à l’Angleterre pour le Marché Commun

Finalement, sous la pression de la France, les six pays de la CEE ajournent les négociations sur l’adhésion du Royaume-Uni. Le rapport de Lancelot sur les possibilités d'un échange scientifique et nucléaire entre nos deux nations, est ignoré.

 

En 1963, Lancelot décide de se retirer d'une agitation politique et administrative qui n'échappe pas aux enjeux de pouvoirs, et dirigée principalement vers la satisfaction des attentes du consommateur toujours plus avide... Il s'agit sans-doute de l'émergence d'un nouveau monde, mais Lancelot se demande si nous prenons le temps de la réflexion. Quelle est la vision de l'avenir de cette nouvelle société, quel est son désir et pour quel futur ?

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1984 de George Orwell - 2

19 Mars 2024 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1984, #Orwell, #Réalité, #Simone Weil

La ''réalité en soi'' serait-elle dépendante de l'esprit humain ?

Évoquer la réalité ''en soi'' vient de Kant : ce serait dire qu'il y a, dans le monde, des faits entièrement indépendants du langage ou du cadre conceptuel que nous utilisons pour les décrire. Et bien, Kant pense que la réalité en soi, n'est pas connaissable.

Pourtant, un cadre conceptuel, comme la science, montre que la réalité est intelligible. La connaissance s'inscrit dans ce cadre et figure la coopération entre un être intelligent et son environnement intelligible. Même ainsi, cette connaissance, qui n'est peut-être que partielle, n'est pas seulement dépendante de l'esprit humain....

 

Pour en revenir à 1984, O'Brien, tente de persuader Smith que la réalité n'existe que dans l'esprit humain - mais pas dans l'esprit individuel, ce serait l'objet de désordres - dans l'esprit d'une institution ( un collectif immortel ) comme ici, le Parti. Tout ce que le Parti tient pour être la vérité, est la vérité. Il est impossible de voir la réalité si on ne la regarde pas avec les yeux du Parti.

Finalement, y aurait-il une réalité extérieure, hors celle décrite par le parti ? Non. Si la notion de Vérité a un sens, c'est celle que le Parti tient pour vrai, et qui justifie qu'il existe un ''Ministère de la Vérité''.

Le passé n'est qu'une représentation qui se fabrique dans l'esprit collectif et immortel du Parti.

 

Lancelot se souvenait de ses discussions avec l'abbé Degoué, qu'il eut la chance d'avoir comme maître à Fléchigné, alors que sévissait la Première Guerre.... Le prêtre lui présentait la philosophie idéaliste de Berkeley ( début 18è siècle). Elle pouvait se présenter ainsi : L'arbre que je perçois, n'est que cette somme de perceptions. La réalité ( la matière ) est un produit fabriqué par notre esprit.

- Alors, quand je ne regarde plus l'arbre, existe t-il encore ?

- Oui, si on considère que Dieu est à la source de mes idées, de mes perceptions. C'est Lui qui coordonne cette réalité.

Cet idéalisme outrancier, correspond à celui promu par Big Brother. La seule réalité est ce que perçoit le Parti.

 

Allons plus loin. Winston Smith interroge : - Big Brother existe-t-il ?

- Naturellement, il existe. Le Parti existe. Big Brother est la personnification du Parti.

- Existe-t-il de la même façon que j’existe ?

- Vous n’existez pas. !

« Vous n’existez pas », ne contenait-il pas une absurdité logique ? Se demande Winston...

 

Dans 1984, le rôle de la '' Police de la pensée '' n'est pas seulement d'arrêter, de punir, d'avoir des aveux publics ; c'est de contrôler, soigner, laver la pensée. L'individu, pour son bien, et le bien du collectif, doit croire sincèrement à ses aveux, il doit se repentir et finir par aimer ''Big Brother''.

Ce qu'il faut retenir de 1984, ce sont une série de thèmes : la novlangue, l'utilisation extrême de la propagande, de la censure et de la surveillance, les slogans qui signifient le contraire de ce qu'ils disent, la réécriture de l'histoire, la double pensée, le crime de la pensée, la police de la pensée, etc., qui interroge notre monde sur la véracité de ce qui est annoncé. C'est à dire, qui interroge notre confiance en une parole ; et en celui qui la porte... Il y a là un mal qui ronge notre temps, même en Eglise, sûrement...

 

Pour George Orwell, ( selon James Conant ( philosophe américain)) avoir une ''intelligence libre'', c'est « concevoir la vérité comme quelque chose d'extérieur à soi, comme quelque chose qui est à découvrir, et non comme quelques chose que l'on peut fabriquer » ou préfabriqué. Le totalitarisme veut briser la personne en détruisant « ses croyances fondamentales, celles où son identité est en jeu », en le détachant de la réalité, en interdisant l’expression de sa pensée, et en dictant ce qui doit être pensé.

 

Pour le Christ ( c'est à dire ''l'homme Jésus en Dieu'' ), devant la question de Pilate à un homme qu'il va condamner à mort :

- « Qu’est-ce que la vérité ? »...

Devant cette question, qui relativise toute vérité, qui affirme peut-être même qu'il n'y a pas de vérité. Ou encore, qu'il doit décider, lui, ce qu'est la vérité....

Le Christ répond : « Je suis la Vérité. ». Autrement dit : '' Je témoigne de la Vérité, « Le Père et moi, nous sommes un ». Il s'agit d'une vérité vivante parce qu'humaine, et ''Toute Autre'' parce que divine.

Simone Weil ( morte à 34ans, en 1942), est précisément pour Lancelot, alors qu'il redécouvre sa pensée, une chercheuse de Vérité ( du Graal ). Au nom de cette Vérité, elle fréquente les syndicalistes révolutionnaires (1935), elle s'engage sur le front espagnol (1936), elle rejoint la résistance à Londres. Elle interroge l’institution-Église et désavoue parfois ses choix. Elle dénonce l'endoctrinement de la pensée ; elle se retrouve souvent seule et incomprise.

Elle refuse que l'individu soit subordonné à la société, c'est l'enjeu de la démocratie. L'homme doit penser par lui-même, exercer son « attention » c'est à dire laisser disponible son esprit à recevoir la vérité.

Lancelot se souvient bien de son témoignage sur la souffrance qu'elle avait ressentie à l'usine, où le seul moyen de survivre était d'arrêter la pensée.

Ce qui la choquait, dans l'histoire de l’Église, c'est qu'elle ait brûlé des hérétiques, qu'elle condamne encore les ''mauvais croyants'', par cette formule « anathema sit », et qu'elle affirme que « hors de l’Église, point de salut ». Il y a , disait-elle, un « malaise de l’intelligence dans le christianisme », et « partout où il y a malaise de l’intelligence, il y a oppression de l’individu par le fait social, lequel tend à devenir totalitaire ».

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1942 – Vichy - Thibon

16 Août 2022 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1942, #Vichy, #Thibon, #Simone Weil

Lancelot retourne à Vichy. Il pense démissionner de ses fonctions, couper avec Vichy... Il voit Jérôme Carcopino, secrétaire d'état à la jeunesse et l'éducation, à qui il doit aussi remettre un courrier de son ancien étudiant Henri Marrou.

- J'ai beaucoup de respect pour lui - dit-il - ; j'admire sa liberté intellectuelle, la forme la plus accomplie de l'objectivité scientifique et de la droiture morale.

Lancelot se demande, sans l'exprimer, si Carcopino est au courant de son engagement contre la politique d'exclusion de Vichy... ?

Carcopino cependant ne craint pas de qualifier son poste actuel d' « instable galère » ...

Lancelot profite de la sympathie que le secrétaire d'état semble lui témoigner, pour l'interroger en toute franchise. Sa réponse :

- Pour beaucoup d'entre nous, hauts fonctionnaires, nous sommes ici par sens du devoir ; peut-être aussi par respect pour l'ordre public...

Quelle autre solution avons-nous ? L'Angleterre, le repli sur l'Afrique du nord signifieraient l'abandon de la gestion de notre pays aux allemands. Cela signifierait la violence totale pour nous libérer, la guerre civile. Je craindrais qu'alors, il n'y ait plus que deux solutions : le nazisme ou le communisme !

Carcopino propose à Lancelot, de continuer sa mission ; mais, en zone occupée ; pour étudier la situation actuelle des associations de jeunesse, et penser leur développement.

 

Avant de rentrer à Paris, sa mère souhaiterait revoir Gustave Thibon ; Lancelot lui, envisageait de revoir Marcel Légaut... Tous deux sont en accord pour visiter ces deux personnalités.

 

Gustave Thibon (1903-2001) , un étrange homme paysan et philosophe, qu'ils avaient rencontré chez Maritain, alors qu'il était émerveillé par ce jeune autoditacte et l'incitait à « travailler pour Saint-Thomas, et écrire».

 

Lancelot et Anne-Laure de Sallembier ont le privilège de pouvoir rouler avec une 11 CV équipée de bouteilles de gaz ( 150km d'autonomie). Il est interdit de circuler la nuit, et toute la journée du dimanche, et des fêtes.

 

Quand ils arrivent vers Saint-Marcel d'Ardèche, ils descendent vers le Mas de Libian, et croisent un cycliste que Anne-laure reconnaît aussitôt : cet homme de trente huit ans, au béret bleu qui laisse échapper des mèches de cheveux, et qui pédale avec frénésie, façon sportive, c'est bien lui. Demi-tour, et quand ils le rattrapent, Gustave Thibon leur fait signe de le suivre... Ils avaient raté le chemin de terre, à flanc de coteau ; et apparaît la vieille bâtisse familiale, une ferme bien modeste sur quatre hectares, dont deux de culture.

Ils vont rester deux jours, et beaucoup échangé dans une pièce carrelée qui, autrefois, servait à la culture du ver à soie ; aujourd'hui reconvertie en cabinet de travail, avec ses deux bibliothèques, ses chaises et ses deux fauteuils. M. Thibon père, est adorable, et tient absolument à leur parler de la vie des insectes, qu'il dit avoir observé toute sa vie. Il aime tout autant, semble t-il, la poésie... Lancelot et Anne-Laure sont en présence de deux générations d'esthètes. L'épouse de Gustave est très discrète.

Gustave Thibon est un autodidacte, il a appris l'italien et expérimenté avec des travailleurs de passage. Il a appris l'allemand, puis enchaîné avec le latin, la littérature française... Gustave et son père, connaissent par cœur presque tout Victor-Hugo!

Avec la biologie, il se passionne pour la philosophie, achète les ouvrages de Goblot, Challaye ; puis préfère passer aux textes originaux de Hegel, Bergson..., le soir, sous le rond de la lampe à pétrole.

Pourtant, dit-il: « La culture à elle seule ne mène à rien ».

Ah bon... ! Et ? Gustave Thibon, parle alors à mots couverts :

Je suis obligé d'évoquer, la foi... Vous pouvez me comprendre, sinon comment arriver à Thomas d'Aquin ? Il y a dans l'univers un ordre immanent, intelligible, et donc rationnel.

La conversion ne peut être intellectuelle. Dieu se donne lui-même... par la grâce. Je voulais comprendre ; j'ai écrit à Maritain... et vous connaissez la suite.

L'an dernier, en juillet 41; la grâce de cette guerre a été pour moi, la rencontre de Simone Weil, que vous connaissez, m'avez-vous dit, Lancelot...

- Rencontrer cette femme, ne peut vous laisser indifférent. Mais comment est-elle venue jusqu'ici ?

- Le Père Perrin m'a demandé d’accueillir une philosophe israélite qui avait connu l'expérience ouvrière et souhaitait à présent connaître le travail agricole.. J'ai hésité, le caractère juif n'est pas dans mes cordes ; et puis une agrégée de philosophie... Mon Dieu, elle se fait des illusions !

- Vous avez accepté..

- Pour faire plaisir à un ami ; et puis par charité pour ces gens qu'on persécute sans distinction...

Simone Weil et Lanza del Vasto, Marseille, 1941

Quand j'ai vu ce bout de fille, fagotée comme l'as de pique, discutant indéfiniment, refusant la chambre que je lui offrais pour dormir à la belle étoile: j'ai pensé que j'allais faire une partie de mon purgatoire sur terre ! Au bout de 48 heures, j'ai vu que j'avais un être supérieur comme je n'avais jamais rencontré.

 

Simone n'a pas réalisé l'équilibre que pratique spontanément l'homme de la terre entre la liberté et la nécessité ; il est à la fois celui qui veut et celui qui consent. Elle consent totalement, mais à une nécessité qu'elle se fixe elle-même. Dans les travaux des champs, sa bonne volonté est aussi grande que sa maladresse; et finalement j'ai préféré la dispenser des lourdes taches pour converser avec elle. Elle m'a aidé à traduire le grec que je maîtrise mal, et m'a commenté inlassablement Platon. Elle dit sans ménagement ce qu'elle pense ; mon père lui en veut beaucoup, c'était au sujet d'un poème de Hérédia.... ! De ma femme, elle a dit qu'elle lui semblait être dispensée du péché originel. Elle ne voulait pas manger plus les produits de notre ferme, que ce que les tickets de rationnement lui allouaient.. !

Elle n'a pas partagé pas ma passion pour Nietzsche. Elle voulait me vendre Homère, avec l'Iliade.

- A Vichy, on ne tarit pas d'éloges pour vous... On aime citer des passages de votre livre, '' Diagnostics '' écrit à la veille du désastre de mai 1940. Vous êtes le ''sage'' de notre temps ?

- Pas du tout ! Je suis trop attaché à l'Eglise, et à la monarchie ! Et, je ne suis pas de ce temps. Ce que j'ai à dire peut aider à nous questionner. Pour moi, le combat, l'aventure, sont intérieurs. Je réfléchis à l'échelle de Jacob et au combat avec l'ange ; chercher la Lumière n'est pas de tout repos. Ma ''Quête '' est celle du '' seul nécessaire ''.

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1938 – Bourbaki - Weil et Cavaillès

21 Décembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1938, #Bourbaki, #Simone Weil, #Cavaillès, #Dieulefit

Septembre 1938. Malgré sa fatigue, Elaine accepte de suivre Lancelot sur les routes de France pour rejoindre une localité de deux mille habitants - Dieulefit - qui se dit '' terre protestante, et bastion républicain''. Et, c'est pour visiter Simone Weil qui a accompagné son frère André à un congrès de la ''société secrète '' Bourbaki... Même si... Ils sont prévenus ! « les femmes et les visiteurs, sont susceptibles d'être parqués avec les animaux de la ferme comme figurants... », dixit André !

Bourbaki en sept. 1938, à Dieulefit.

 

Je rappelle, que le 10 décembre 1934 ( combien de ''10 décembre'' mémorables! ...), à Paris, au Café Capoulade, six jeunes mathématiciens – insatisfaits des manuels scolaires - ont voulu refonder la mathématique ( dans son unité et sa cohérence). Ils décident de rédiger en commun un traité d'analyse - intitulé '' les Éléments de mathématique'' - aussi moderne que possible, destiné à apporter une perspective nouvelle dans l'enseignement de cette branche. Leur approche ne se contente en effet pas de bâtir sur les acquis mais propose plutôt de tout revoir depuis le début. Le traité prend la mathématique à leur début et donne des démonstrations complètes, rigoureuses, indiscutables... .

La société est ''secrète'' parce que chaque membre est coopté, et doit sacrifier avec abnégation son individualité à un pseudo : ''Nicolas Bourbaki'' ; décrit par André, aux curieux, comme un auteur reclus passant ses jours à jouer aux cartes dans la banlieue parisienne de Clichy...

Lancelot pour oser visiter cette assemblée, a la chance de pouvoir se référer à des personnages respectés comme Painlevé, même si la ''théorie des fonctions de papa'' semble bien désuète ; ou s'associer à quelques commentaires au sujet de Emmy Noether, qu'avec Elaine ils avaient rencontré à Göttingen en 1931, et connue de plusieurs personnes ici.

Lancelot et Elaine, ont ainsi la chance de rencontrer de grands mathématiciens comme André Weil, Henri Cartan, Jean Delsarte, Jean Dieudonné ...

Intéressant, également, de savoir que nous sommes dans les locaux de l’école de Beauvallon créée par Marguerite Soubeyran dieulefitoise, en 1929.

Passée par une école d’infirmière à Paris, puis par l’institut Jean-Jacques-Rousseau de Genève, cette communiste, liée aux intellectuels et au milieu médical, fait venir à elle toutes les bonnes volontés ; pour créer la première ''école nouvelle'' ( pédagogie active) et mixte en France. L'anecdote dit : « Quand Marguerite rencontre sur un quai de gare Simone Monnier, en 1936, qui sera le troisième pilier de l’école de Beauvallon, celle-ci, dont le père est pasteur, lui avoue son amour des lettres : « eh bien, vous ferez une excellente prof de maths », lui répond Marguerite.

Des républicains espagnols - une vingtaine de femmes et leurs enfants - sont accueillis à Dieulefit par la municipalité.

Le climat favorable de la région semble redonner à Elaine quelques forces ; elle prend beaucoup de plaisir à découvrir les villages environnants comme Le Poët-Laval, ou l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Comps, isolée sur un promontoire, cet ancien prieuré est édifié selon un plan en croix grecque. Certains disaient même le plan rapporté d'Orient... Lancelot a beaucoup aimé cet endroit ; et ils ont longuement évoqué la vie du chevalier limousin Roger de Laron...

Si pendant la journée, Bourbaki fait des mathématiques, pendant les repas, Simone Weil, Elaine et Lancelot maintiennent le niveau en parlant philosophie.

Bien-sûr le lien est fait par les mathématiques, et par Jean Cavaillès, absent mais dont la pensée est explicitée par Simone. Pensée difficile qui – en toute humilité – ne peut être que survolée.

Jean Cavaillès

Cavaillès est spinoziste en particulier attaché à l'idée de ''nécessité'', et ''nécessaires'' sont aussi les enchaînements mathématiques. On peut prendre ''la'' mathématique comme le modèle par excellence de l'activité de la raison.

André Weil fait alors un laïus sur les activités mathématiques développées à Göttingen, notamment par Hilbert, et Emmy Noether qui ouvrent sur un nouveau monde, et rencontrent aussi les réflexions de Husserl ( la phénoménologie).

Précisément, Simone continue sur la notion de structure qui préside à l'organisation du savoir.

Cavaillès, dit-elle, fait l'hypothèse que la science est un objet sui generis, originale dans son essence. Les mathématiques sont un moyen pour savoir ce que veut dire penser, connaître.

Comme en science, philosopher serait plus une affaire de concepts, qu'un épanchement des états d’âme de l’intellect.

La nécessité caractérise la science. La démonstration est une nécessité produite, et au cœur de cet acte produit ( la démonstration) il y a la conscience.

Cette nécessité, remarque Simone Weil, elle la reconnaît dans le travail manuel. Plus généralement, « Dieu a confié tous les phénomènes sans exception aux mécanismes du monde ». On pourrait dire encore que le monde est régi par deux forces qui s’opposent : la pesanteur et la grâce.

Un dualisme, encore signifié par la force et le malheur : la force cause le malheur, mais sans force, comment sortir du malheur ? Ou, la nécessité intérieure opposée à la nécessité extérieure (force).

Lancelot ose rebondir pour exprimer ce qu'il en comprend : - Quand je comprends vraiment... il y a du divin.

André Weil ajoute : Parce qu'en Dieu tout est rigueur et nécessité.

Simone Weil continue : On en revient à Spinoza : « chacun fait ce qui suit de la nécessité de sa nature » (Éthique, IV, 37). Ma liberté - ce n'est pas de nier la nécessité - mais de la comprendre !

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1938 – Anschluss – S Weil - Thibon

16 Décembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1938, #Simone Weil, #Thibon, #Lavelle, #Anschluss

** L’Anschluss ( Annexion de l'Autriche) : À l'aube du samedi 12 mars 1938, l'armée allemande franchit les postes frontières autrichiens.

« M. Hitler a choisi l’heure favorable pour passer à l’action. Les perplexités où se débat la politique de l’Angleterre, qui va pouvoir se demander si, en fait, M. Eden n’avait pas raison ; une crise ministérielle stupide dans une France affaiblie par les conflits sociaux et de partis, ont fourni au Führer toutes les opportunités désirables d’agir impunément [...]. Un national-socialiste allemand, définissant dans un livre assez récent les ressorts de la politique hitlérienne, explique qu’elle a sans cesse tablé, avec quelque appréhension d’abord, puis hardiment après les premiers succès, sur l'indifférence ou l’irrésolution de l’Angleterre et sur le manque de réaction et le laisser-faire qui ont caractérisé la politique française depuis que s’est close l’ère Poincaré. » Le quotidien de la droite catholique La Croix du 13 mars 1938

 

Que faire contre Hitler ? Lancelot résume une discussion qu'il vient d'avoir avec un journaliste ( S. H.), qui craint que notre démocratie nous pousse dans les griffes du nazisme. Et, s'insurge que l'on fasse l'amalgame entre le fascisme ( avec l'exemple italien) et le national-socialisme.

L'Italie illustre pour lui cette tradition romaine, c'est à dire occidentale et chrétienne, et européenne. Notre civilisation est fondée sur l'amour grec de la raison, l'amour romain de la loi, et le christianisme. L'Allemagne reste barbare et ouverte vers l'Orient. Le nazisme est anti-chrétien, et le bolchevisme athée.

« Le fascisme italien s'applique à faire revivre une conception plus noble de l'Etat dans un pays qui tombait en décomposition; le nazisme tente d'exciter des instincts rapaces qui ont longtemps dominé l'âme allemande. Le fascisme organisa l'Italie corporativement; le nazisme brisa le syndicalisme et remplaça l'adhésion par l'adoration. L'une des premières réalisations du fascisme, ce fut la réconciliation de l'Eglise et de l'Etat; l'un des buts du nazisme est la déchristianisation de l'Allemagne. Le fascisme construit un Etat, entité précise; le nazisme déifie la race, entité indéterminée. Or, toutes ces différences sont essentielles, tandis que les ressemblances entre fascisme et nazisme ne sont qu'accidentelles et superficielles. »

S. H. prévoit que la Russie et l'Allemagne s'allieront contre nous, parce qu'ils ont la même idéologie !

 

Gustave Thibon (1903-2001), le ''philosophe-paysan'', converti au catholicisme et monarchiste remarque que chez les gens de droite, le mot «démocratie» est devenu synonyme de corruption et d'illusion en matière sociale.

C'est un lieu commun, dit-il, que « la démocratie a produit des résultats diamétralement opposés à « l'esprit » de la démocratie. L'idéal révolutionnaire a donné le jour à la soif de richesses matérielles du XIXe siècle et à l'appétit de jouissances immédiates du XXe. La fraternité a tourné à une séparation entre les classes et une atomisation des individus encore inédites dans l'histoire. »

Peut-être finalement la Démocratie ne serait qu'une parodie du christianisme ?

- En effet, les similitudes entre l'idéal chrétien et l'idéal démocratique s'avèrent frappantes. ?

- Précisément, c'est une partie du problème. La démocratie imagine un ''paradis'' uniquement terrestre « fait à la mesure de l'homme charnel et tombé, et où cet homme jouirait d'une plénitude divine sans aide extérieure ni purification intérieure, sans fouler aux pieds ses propres entrailles ni tendre ses mains vers un Dieu sauveur. »

En politique, parler de l'''homme nouveau'', ou du ''monde à venir'' c'est utiliser une force religieuse pour un ordre humain. On cherche le salut par la refonte du statut de la cité.

La Renaissance a découvert la religion de l'homme, et le paradis c'était la libération de la raison, et des sens … La révolution de 1789, laisse l'individu et décrit le paradis dans des cadres sociaux, c'est la religion de la Cité. « La société serait la cause première du mal, et du bien . Le salut, c'est être heureux ; et les hommes seront bons, parce qu'ils seront heureux.

Le problème, c'est qu'avec Dieu : il faut mettre du sien, il faut pâtir, se purifier, etc. Aide-toi, le ciel t'aidera..: Celui qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous, disait saint Augustin.

Et voici : il existerait un moyen pour s'en tirer de l'extérieur ? - Ce moyen existe, et c'est la réforme de la société... La facile refonte des lois dispense de l'impossible refonte des hommes. »

 

Simone Weil, assailli par une extrême fatigue, et de violents maux de tête, demande à son ministère un congé. Elle lit l'ancien et le nouveau Testament, les auteurs anciens et s'intéresse au Moyen-âge.

En avril 38, elle fait un séjour à l'abbaye de Solesmes : elle décrit à Lancelot la beauté des chants grégoriens en cette semaine sainte et son expérience de la « réalité du surnaturel ».

- Avec les offices de la passion, la pensée de la passion du Christ est entrée en moi pour toujours..

- Le malheur... Toujours la souffrance, le malheur.... ?

- Non... ! Au-delà du monde, des rapports de force qui nous gouvernent, au-delà du malheur, il y a le Bien.

- Le Bien ? Le Bien des philosophes ?

- Non plus … J'ai senti, -je ne me préparais pas à cela - , « une présence plus personnelle, plus certaine, plus réelle que celle d’un être humain, inaccessible et aux sens et à l’imagination, analogue à l’amour »

 

Simone Weil revient sur son expérience de l'usine, et aussi en Espagne... L'esclavage, l'encasernement ; c'est le malheur.

Simone Weil s'est aperçue que l'individu – dans un collectif structuré – peut perdre sa personnalité, jusqu'à se déshonorer par son suivisme. Il y a de l’idolâtrie dans le fascisme, et le communisme.

Elle va même jusqu'à envisager que le loi interdise à « un groupement d’exprimer une opinion ». La Démocratie peut devenir une idole, si elle est dirigée par des passions ; or «  un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective » !

Pour Platon, rappelle t-elle, la conscience n'est que personnelle. Un parti ne pense pas, il ne pense qu'à enrôler...

- Ce que vous dites du parti, vous pourriez le dire d'une Eglise... ?

- Exactement : dans les deux cas, la personne individuelle adhère à une pensée, ou à une croyance, sans en connaître tous les attendus, elle se range à des affirmations établies d’avance, et que parfois elle ne connaît pas.

- Vous allez un peu loin.. ! La personne a besoin de s'enraciner dans un groupe, une tradition...

- En effet, après avoir dit cela du collectif, je dois ensuite reconnaître que je valoriserai donc un groupe enraciné dans le passé, dans une culture... Je défendrais aussi des groupes de conviction, même religieux ; à condition qu'ils ne participent pas à la vie publique.

- Les élus de la nation appartiennent à des partis.. ?

- Ne pourraient-ils pas rester isolés ; en relation avec leurs électeurs uniquement ?

- Le syndicat assure la défense des travailleurs.

- Je préfère les corporations anciennes. Nos syndicats sont inféodés à l'URSS.

Simone Weil pense que la politique est une technique, non pas une vision du monde. L'essentiel est d'entretenir la liberté de la conscience personnelle. La conscience doit se soumettre aux lois, pour le bien commun ; ou se révolter.

 

Elaine qui participent à des cours privés de philosophie donnés par Louis Lavelle ( professeur au lycée Henri IV), est enthousiaste.

Ce professeur, est impressionnant, non seulement parce qu'il est très grand, et toujours concentré en lui-même, mais, parce qu'il fait cours sans aucun papier... Il communique ses pensées. Sa philosophie, est fondée sur cette vie quotidienne qui nous interpelle. Avec le langage courant, il aborde des questions métaphysiques. Il éveille – avec intelligence - à la profondeur.

Bien sûr, il cite Augustin et Pascal ; mais surtout Platon, Leibniz, Spinoza, Malebranche, Kant, Bergson et, beaucoup, Descartes.

Une réflexion du philosophe sur l'existence de Dieu est pour elle, une révélation : '' Dieu n'a pas d'existence, il a ( ou ''est'') une Présence. Dieu n'existe pas comme une créature, un être, un idéal ; mais plutôt comme une source, une fin ; enfin... pour nous ; parce que Dieu, c'est l'éternité..''

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La Question de la ''Quête du Graal'' – S. Weil.

1 Décembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1935, #Graal, #Quête, #Perceval, #Simone Weil

Lorsque Lancelot lui parle de son intérêt pour la littérature et la spiritualité médiévale ; Simone Weil montre alors un enthousiasme rare chez les intellectuels du moment : elle parle même du « génie de la civilisation d'Oc », qui a su mêler « la chevalerie venue du Nord et les idées arabes, et qui ressemble à une petite réplique de la Grèce Antique »

Pour Simone Weil, le Christianisme a redonné vie à l'héritage grec ( contre Rome). Ensuite, la renaissance carolingienne s'ouvrait à une civilisation de liberté spirituelle, la seule tradition chrétienne vivante et libre... Puis, l'Europe a fait le choix de la force, contre l’esprit, de « l’alliance du trône et de l’autel ». Alliance impossible, puisque ce n'est pas la même logique !

Le catharisme s'opposait à cela, en pays d'Oc « Les richesses spirituelles affluaient de toutes parts sans obstacle. La marque nordique est assez visible dans une société avant tout chevaleresque ; l’influence arabe pénétrait facilement dans des pays étroitement liés à l’Aragon ; un prodige incompréhensible fit que le génie de la Perse prit racine dans cette terre et y fleurit, au temps même où il semble avoir pénétré jusqu’en Chine. »

La « civilisation chevaleresque » de l’Occitanie médiévale s'opposait à la centralisation ; elle estimait que, ce que les seigneurs « désignaient par patrie ; ils l’appelaient langage » : un langage commun.

Le roman et les gothique représentent deux options religieuses antithétiques au sein du monde chrétien.

L'art roman, comme l'amour courtois est inspiré par l'amour surnaturel, qui est attente et nécessite le consentement. Les troubadours appelaient cet amour : Merci.

L'art roman, n’a aucun souci de la puissance ni de la force, mais uniquement de l’équilibre ».

A l'inverse, « Le Moyen Âge gothique, qui apparut après la destruction de la patrie occitanienne, fut un essai de spiritualité totalitaire » 

Lancelot, aborde le conte du Graal ''Perceval '' de Chrétien de Troyes. Simone Weil semble mieux connaître le Parsifal de Wagner. Il parle de La Coupe, et elle voit plutôt une Pierre.

Je rappelle qu'au château du Graal, Munsalvaesche, le roi du Graal, Anfortas, souffre d’une blessure faite par une lance empoisonnée, et dépérit. Parzival observe dans le château maintes choses merveilleuses, avec le Graal ( pas défini), qui pourvoit toute la compagnie abondamment de mets et de boissons. Parzival se garde de poser quelque question que ce soit... Le lendemain matin, le château est vide.

Au livre XV, Parzival retourne au château du Graal et par la question salvatrice : « Mon oncle, quel est ton tourment ? », délivre Anfortas de son supplice. 

 

Pour Simone Weil, le sujet de cette histoire c'est la découverte de l'attention à l'autre, la charité.

« La plénitude de l’amour du prochain, c’est simplement d’être capable de lui demander « Quel est ton tourment ? ». C’est savoir que le malheureux existe, non pas comme unité dans une collection, non pas comme un exemplaire de la catégorie sociale étiquetée « malheureux », mais en tant qu’homme, exactement semblable à nous, qui a été un jour frappé et marqué d’une marque inimitable par le malheur. Pour cela il est suffisant, mais indispensable, de savoir poser sur lui un certain regard. »

Anfortas

 

Le Conte du Graal, met en question une énigme à deux niveaux... Il ne s'agit pas seulement, de trouver une réponse à une question... Il s'agit d'abord de trouver la Question. Et la question n'est pas forcément la même pour chacun...

Pour Simone Weil, sans-doute, sa question concerne le mal, le malheur précisément.

Pour Perceval, j'y vois une question en lien avec la culpabilité ( la mort de sa mère) ; et la réponse en lien avec la Grâce...

Lancelot, cherchait encore sa question : elle commence à résonner ( raisonner) en lui : '' Qu'est-ce que l'homme '' ( l'homme que je suis...) ?

Il faut préciser que '' La Question '' n'est pas Le Graal.

 

Simone Weil, prévient Lancelot :«  La quête du Graal, peut être un détournement, ou un dévoiement, de l’attention. Vouloir trouver le Graal, c’est privilégier la volonté au détriment de l’attention. » ( M.Zinc) L'exemple type, dans le conte, en est Gauvain.

Au début de la Quête, « Perceval ne sait pas que les êtres existent... », insiste Simone Weil.

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1936 – la Guerre d'Espagne.

26 Novembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1936, #Guerre d'Espagne, #Mauriac, #Simone Weil

Interview - Hitler - Titayna 1936

L’entretien de Titaÿna - ( cette jeune femme reporter croisée lors de cette même soirée durant laquelle Lancelot a rencontré Elaine...) - qu'elle eut avec Hitler, est paru le 26 janvier 1936 en première page de Paris-Soir-Dimanche dont la formule, bien qu’il fût en noir et blanc, s’inspirait des magazines. L’article décrit « ce conducteur d’hommes », au « visage plein d’intelligence ». Sans la moindre réserve la journaliste le laisse présenter l’image qu’il entend donner de sa politique européenne, une politique de dialogue et de bonne volonté.

Un mois plus tard, Bertrand de Jouvenel, récidive et présente Hitler d’une manière flatteuse, donnant de lui l’image d’un « homme simple [qui] s’est fixé des tâches gigantesques : changer la mentalité du peuple allemand [et] mettre fin à la vieille haine franco-allemande ». Un portrait propre à encourager les partisans en France d’un rapprochement avec le régime hitlérien.

Face à une Allemagne qui se remobilise ; le 11 juin 1936, Bertrand de Jouvenel, décrit une France de deux millions de grévistes, qui attend dans une ambiance joviale de « pique-nique prolongé ».

Luchaire constate que si la France est coupée en deux : blancs et rouges ; il s'agit de prendre « position, avant tout chose, contre les fameuses deux cent familles qui manient sans contrôle la quasi totalité de la fortune française ». Le Front Populaire même s'il n'est qu'un assemblage de « vieilleries » l'intéresse ; mais il rejette l'alliance avec les communistes.

 

Pierre Laval, qui de par sa politique de déflation a facilité la victoire du Front Populaire, entre résolument dans l'opposition, face à Blum, Chautemps et Daladier.

Le Pélerin

L'Eté 1936, est marqué par la Guerre d'Espagne.

Lorsque Simone Weil rencontre Lancelot, elle se le représente comme un acteur politique dans le ministère de Daladier à la Défense nationale et de la Guerre au sein du gouvernement Léon Blum... Elle doute que le Front Populaire puisse changer la condition ouvrière ; et se plaint de la politique coloniale. Juillet 1936, elle est scandalisée du soulèvement militaire contre la jeune république espagnole et son gouvernement de « Frente Popular ».

La politique de non-intervention en Espagne, par crainte d'un embrasement guerrier, aboutit à un accord signé par 26 pays dont la France, l'Allemagne, l'Italie...

Simone Weil souhaite aller sur place, partager, voir, en s'engageant auprès des républicains.

Guernica - Picasso

Pendant la nuit du 14 au 15 août, jour de l'Assomption, a lieu le massacre de Badajoz commis par les troupes franquistes avec la complicité ( si ce n'est même au nom) de l'Eglise !

Lancelot et Elaine se félicitent des nouvelles positions de François Mauriac envers la politique étrangère ; il avait protesté contre l'agression de Mussolini envers l'Ethiopie,et désapprouve à présent les nationalistes de Franco, dans le Figaro puis dans Sept.

Déjà, ils avaient lu et apprécié son succès de librairie '' Le nœud de vipères'' sorti en 1932 : il s'agit d'une prise de conscience d'un certain pharisaïsme bourgeois qui subordonne avant toute morale, avant l'Evangile même, la transmission et la valorisation du patrimoine...

Mauriac n'a pas été enthousiaste de la victoire du Front populaire, mais au nom de l’humanisme chrétien il accompagne Jacques Maritain, Henri Guillemin ou Stanislas Fumet. Il attend ( lui aussi...) l'homme providentiel. André Tardieu - qui proposait une véritable réforme de l'Etat - aurait pu l'être, pense t-il.

Simone Weil revient assez déçue de son expérience espagnole ; qu'elle ne regrette pas, parce qu'elle contribue à penser le réel : ainsi, son idée de la révolution qui évolue vers même son impossible réalisation.

- Bien sûr, on prend conscience que la guerre c'est tuer ; mais pire, c'est de se rendre compte que ceux qu'on tue ne sont que ''choses-à-tuer ''.

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1936 - Simone Weil

11 Novembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1936, #Simone Weil

En janvier 1933, Daladier cherchait dans son ministère quelqu'un pour représenter les services de l'administration à une conférence d'un cercle de réflexion sur l'économie des anciens élèves de l'École polytechnique. C'est ainsi que Lancelot suivit, les l6 et 20 janvier 1933, le contenu très mathématique d'une théorie toute nouvelle et présentée de manière lumineuse par Edouard et Georges Guillaume, qui consistait à appliquer à l'économie les voies de la modélisation... La présentation assez convaincante alimentait le débat entre ''libéralisme'' et ''économie dirigée''.

Une remarque sur l'économie, et la vision (des années trente) que peut en avoir un chrétien sincère. La puissance de l'argent est telle, que l'Eglise rappelle sa position quant à '' l'Usure '' ; même si elle évolue et parle à présent de juste salaire, Pie XI dans Quadragesimo anno, condamne aussi bien le ''libéralisme amoral'', que le ''communisme athée''.

Maritain dans Esprit reproche au capitalisme, en mars 1933, « le principe contre nature de la fécondité de l'argent. ». L'idée assez anti-économique du néothomisme, n'incite pas vraiment Mounier, Maritain et de nombreux catholiques à proposer une politique économique pragmatique en ces temps de crise.

Auguste Detoeuf

L'actualité en ce 1er mai 1936, est la réunification de la CGT et la CGTU ( mars), et le premier tour des élections législatives le 26 avril qui place le Front Populaire en position de les emporter. Ce même jour, Lancelot ne pouvait manquer, dans ce même cadre de l'Ecole polytechnique, la conférence de Auguste Detoeuf qui proclamait la fin du libéralisme, «  le libéralisme est mort, il a été tué non par la volonté des hommes ou à cause d'une libre action des gouvernements mais par une inéluctable évolution interne ». Detoeuf est le directeur général d'Alsthom qui représente plus de 50% de l’industrie électromécanique française. Son management est anti-autoritaire, il croît en l'homme, au progrès, à la science et à la force du syndicalisme. Pour Detœuf, les rapports sociaux doivent relever d’un dialogue collectif entre organisations. « Le patron social ne s’occupe pas des syndicats. Le syndicat, c’est l’affaire des salariés. Le patron discute avec le syndicat lorsque celui-ci s’adresse à lui ; j’aimerais d’ailleurs beaucoup mieux que ce ne soit pas le patron qui discute, mais le représentant de la profession ».

Auguste Detoeuf participe à la création de '' Nouveaux Cahiers '', cette revue antibolchévique défend l’idée d’une gestion rationnelle et dirigée de l’économie. Parmi les collaborateurs de la revue, on trouve aussi bien Jacques Maritain que Boris Souvarine, communiste antisoviétique, et aussi Denis de Rougemont, Jean Paulhan ou Simone Weil ...

A l'occasion de réunions qui concernent l'équipement de la ligne Maginot pour laquelle Alsthom fournit en groupes électrogènes ; Lancelot revoit et sympathise avec Auguste Detoeuf, personnage attachant, plein d'humour amateur de mathématiques, et autant que de poésie et de musique.

Ce que Lancelot lui doit de très précieux, c'est la connaissance d'une jeune femme, que Boris Souvarine recommande au grand patron: une professeur agrégée de philosophie qui s'intéresse de près à la classe ouvrière , et qui a le projet de travailler en usine. Effectivement, Simone Weil (1909-1943) va travailler chez Alsthom comme 'ouvrière sur presse' à l’usine Lecourbe du 4 novembre 1934 au 5 avril 1935 avec une assez longue interruption pour maladie (otite et anémie) du 16 janvier au 23 février 1935 et une mise à pied du 8 au 18 mars 1935. Travail parcellaire, rebutant, dans un local mal isolé, mal chauffé, équipé de matériel vétuste ; les relations entre ouvriers sont impersonnelles et même âpres, dans une atmosphère tendue...

 

Lancelot avait déjà entendu parler de cette jeune fille à l'étrange dégaine, par ceux qui fréquentent l'ENS. En ce début du gouvernement par le Front Populaire, et alors qu'elle enseigne à Bourges, elle revient à Paris, dès qu'elle le peut. Elle fait la tournée des usines occupées, signe des articles Simone Galois ( du nom du jeune mathématicien)... Lancelot a le privilège de pouvoir passer un moment avec elle, lors de ses visites. Elle s'inquiète que Léon Blum ne s'attaque pas au colonialisme...

Très marquée par son expérience en usine, elle n'hésite pas à la partager. Cette expérience dit-elle, est celle du malheur - « C'est inhumain »....

'' Inhumain '' relève Lancelot. - Cela remettrait en question ce qui en nous est humain...

- Précisément : inhumain, parce que cela touche notre intégrité.

Lancelot se laisse aller à penser tout haut : - Cela blesse ce que je suis …. - A noter encore que l'inhumain, peut être calculé, rationnel, légal... Le fascisme ? … Et, si on parle d'humain, et donc d'in-humain... Cela interroge l'universel.. Et demande à préciser, ce qu'est la nature humaine... ?

Simone Weil, témoigne de ce qu'elle a découvert, en elle : - non pas la révolte ! Mais la docilité... ! - Et je vais certainement vous choquer, dit-elle, mais je sentais qu'à travers l'esclavage, je percevais le sentiment de ma dignité d'être humain !

- Pourtant, je ne vous sens pas vraiment aliénée...

- Après avoir vécu réellement cette souffrance ; je ne comprends pas à présent « Comment, après Platon, après Descartes, après les Lumières, le monde a-t-il pu inventer ce système: réduire une part de la population en bêtes de somme, en accessoires de machine à produire toujours plus, moins cher, plus vite ? En esclaves. »

- Précisez-moi, encore ce qui est inhumain, et en quoi cela atteint l'humain en vous ?

- L'aptitude à penser, et la liberté « comme rapport entre la pensée et l'action ». Et d'ailleurs, comment se révolter, chercher à s'affranchir de cette condition ; si l'esprit est tué dans l'oeuf ?

 

- Vous parliez du fascisme, mais pour ce qui du communisme, «Marx ne fait-il pas, de l'essor de l'industrie et des forces productives, « la divinité d'une nouvelle religion » dont les idoles sont des machines ? »

«Quand je pense que les grrrrands [sic] chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu'aucun d'eux – Trotski sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus - n'avait sans doute jamais mis le pied dans une usine et par suite n'avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers - la politique m'apparaît comme une sinistre rigolade. »

 

Simone Weil avance un élément important, à travailler : le ''Mal'' pour elle, n'appartient pas à des hommes particuliers, pour simplifier aujourd'hui les nazis, ou des « satans descendus sur terre détenteurs du mal absolu » ; le mal traverse chaque homme, il aux racines de l'humain...

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