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Les légendes du Graal

thibon

1942 – Vichy - Thibon

16 Août 2022 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1942, #Vichy, #Thibon, #Simone Weil

Lancelot retourne à Vichy. Il pense démissionner de ses fonctions, couper avec Vichy... Il voit Jérôme Carcopino, secrétaire d'état à la jeunesse et l'éducation, à qui il doit aussi remettre un courrier de son ancien étudiant Henri Marrou.

- J'ai beaucoup de respect pour lui - dit-il - ; j'admire sa liberté intellectuelle, la forme la plus accomplie de l'objectivité scientifique et de la droiture morale.

Lancelot se demande, sans l'exprimer, si Carcopino est au courant de son engagement contre la politique d'exclusion de Vichy... ?

Carcopino cependant ne craint pas de qualifier son poste actuel d' « instable galère » ...

Lancelot profite de la sympathie que le secrétaire d'état semble lui témoigner, pour l'interroger en toute franchise. Sa réponse :

- Pour beaucoup d'entre nous, hauts fonctionnaires, nous sommes ici par sens du devoir ; peut-être aussi par respect pour l'ordre public...

Quelle autre solution avons-nous ? L'Angleterre, le repli sur l'Afrique du nord signifieraient l'abandon de la gestion de notre pays aux allemands. Cela signifierait la violence totale pour nous libérer, la guerre civile. Je craindrais qu'alors, il n'y ait plus que deux solutions : le nazisme ou le communisme !

Carcopino propose à Lancelot, de continuer sa mission ; mais, en zone occupée ; pour étudier la situation actuelle des associations de jeunesse, et penser leur développement.

 

Avant de rentrer à Paris, sa mère souhaiterait revoir Gustave Thibon ; Lancelot lui, envisageait de revoir Marcel Légaut... Tous deux sont en accord pour visiter ces deux personnalités.

 

Gustave Thibon (1903-2001) , un étrange homme paysan et philosophe, qu'ils avaient rencontré chez Maritain, alors qu'il était émerveillé par ce jeune autoditacte et l'incitait à « travailler pour Saint-Thomas, et écrire».

 

Lancelot et Anne-Laure de Sallembier ont le privilège de pouvoir rouler avec une 11 CV équipée de bouteilles de gaz ( 150km d'autonomie). Il est interdit de circuler la nuit, et toute la journée du dimanche, et des fêtes.

 

Quand ils arrivent vers Saint-Marcel d'Ardèche, ils descendent vers le Mas de Libian, et croisent un cycliste que Anne-laure reconnaît aussitôt : cet homme de trente huit ans, au béret bleu qui laisse échapper des mèches de cheveux, et qui pédale avec frénésie, façon sportive, c'est bien lui. Demi-tour, et quand ils le rattrapent, Gustave Thibon leur fait signe de le suivre... Ils avaient raté le chemin de terre, à flanc de coteau ; et apparaît la vieille bâtisse familiale, une ferme bien modeste sur quatre hectares, dont deux de culture.

Ils vont rester deux jours, et beaucoup échangé dans une pièce carrelée qui, autrefois, servait à la culture du ver à soie ; aujourd'hui reconvertie en cabinet de travail, avec ses deux bibliothèques, ses chaises et ses deux fauteuils. M. Thibon père, est adorable, et tient absolument à leur parler de la vie des insectes, qu'il dit avoir observé toute sa vie. Il aime tout autant, semble t-il, la poésie... Lancelot et Anne-Laure sont en présence de deux générations d'esthètes. L'épouse de Gustave est très discrète.

Gustave Thibon est un autodidacte, il a appris l'italien et expérimenté avec des travailleurs de passage. Il a appris l'allemand, puis enchaîné avec le latin, la littérature française... Gustave et son père, connaissent par cœur presque tout Victor-Hugo!

Avec la biologie, il se passionne pour la philosophie, achète les ouvrages de Goblot, Challaye ; puis préfère passer aux textes originaux de Hegel, Bergson..., le soir, sous le rond de la lampe à pétrole.

Pourtant, dit-il: « La culture à elle seule ne mène à rien ».

Ah bon... ! Et ? Gustave Thibon, parle alors à mots couverts :

Je suis obligé d'évoquer, la foi... Vous pouvez me comprendre, sinon comment arriver à Thomas d'Aquin ? Il y a dans l'univers un ordre immanent, intelligible, et donc rationnel.

La conversion ne peut être intellectuelle. Dieu se donne lui-même... par la grâce. Je voulais comprendre ; j'ai écrit à Maritain... et vous connaissez la suite.

L'an dernier, en juillet 41; la grâce de cette guerre a été pour moi, la rencontre de Simone Weil, que vous connaissez, m'avez-vous dit, Lancelot...

- Rencontrer cette femme, ne peut vous laisser indifférent. Mais comment est-elle venue jusqu'ici ?

- Le Père Perrin m'a demandé d’accueillir une philosophe israélite qui avait connu l'expérience ouvrière et souhaitait à présent connaître le travail agricole.. J'ai hésité, le caractère juif n'est pas dans mes cordes ; et puis une agrégée de philosophie... Mon Dieu, elle se fait des illusions !

- Vous avez accepté..

- Pour faire plaisir à un ami ; et puis par charité pour ces gens qu'on persécute sans distinction...

Simone Weil et Lanza del Vasto, Marseille, 1941

Quand j'ai vu ce bout de fille, fagotée comme l'as de pique, discutant indéfiniment, refusant la chambre que je lui offrais pour dormir à la belle étoile: j'ai pensé que j'allais faire une partie de mon purgatoire sur terre ! Au bout de 48 heures, j'ai vu que j'avais un être supérieur comme je n'avais jamais rencontré.

 

Simone n'a pas réalisé l'équilibre que pratique spontanément l'homme de la terre entre la liberté et la nécessité ; il est à la fois celui qui veut et celui qui consent. Elle consent totalement, mais à une nécessité qu'elle se fixe elle-même. Dans les travaux des champs, sa bonne volonté est aussi grande que sa maladresse; et finalement j'ai préféré la dispenser des lourdes taches pour converser avec elle. Elle m'a aidé à traduire le grec que je maîtrise mal, et m'a commenté inlassablement Platon. Elle dit sans ménagement ce qu'elle pense ; mon père lui en veut beaucoup, c'était au sujet d'un poème de Hérédia.... ! De ma femme, elle a dit qu'elle lui semblait être dispensée du péché originel. Elle ne voulait pas manger plus les produits de notre ferme, que ce que les tickets de rationnement lui allouaient.. !

Elle n'a pas partagé pas ma passion pour Nietzsche. Elle voulait me vendre Homère, avec l'Iliade.

- A Vichy, on ne tarit pas d'éloges pour vous... On aime citer des passages de votre livre, '' Diagnostics '' écrit à la veille du désastre de mai 1940. Vous êtes le ''sage'' de notre temps ?

- Pas du tout ! Je suis trop attaché à l'Eglise, et à la monarchie ! Et, je ne suis pas de ce temps. Ce que j'ai à dire peut aider à nous questionner. Pour moi, le combat, l'aventure, sont intérieurs. Je réfléchis à l'échelle de Jacob et au combat avec l'ange ; chercher la Lumière n'est pas de tout repos. Ma ''Quête '' est celle du '' seul nécessaire ''.

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1938 – Anschluss – S Weil - Thibon

16 Décembre 2021 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1938, #Simone Weil, #Thibon, #Lavelle, #Anschluss

** L’Anschluss ( Annexion de l'Autriche) : À l'aube du samedi 12 mars 1938, l'armée allemande franchit les postes frontières autrichiens.

« M. Hitler a choisi l’heure favorable pour passer à l’action. Les perplexités où se débat la politique de l’Angleterre, qui va pouvoir se demander si, en fait, M. Eden n’avait pas raison ; une crise ministérielle stupide dans une France affaiblie par les conflits sociaux et de partis, ont fourni au Führer toutes les opportunités désirables d’agir impunément [...]. Un national-socialiste allemand, définissant dans un livre assez récent les ressorts de la politique hitlérienne, explique qu’elle a sans cesse tablé, avec quelque appréhension d’abord, puis hardiment après les premiers succès, sur l'indifférence ou l’irrésolution de l’Angleterre et sur le manque de réaction et le laisser-faire qui ont caractérisé la politique française depuis que s’est close l’ère Poincaré. » Le quotidien de la droite catholique La Croix du 13 mars 1938

 

Que faire contre Hitler ? Lancelot résume une discussion qu'il vient d'avoir avec un journaliste ( S. H.), qui craint que notre démocratie nous pousse dans les griffes du nazisme. Et, s'insurge que l'on fasse l'amalgame entre le fascisme ( avec l'exemple italien) et le national-socialisme.

L'Italie illustre pour lui cette tradition romaine, c'est à dire occidentale et chrétienne, et européenne. Notre civilisation est fondée sur l'amour grec de la raison, l'amour romain de la loi, et le christianisme. L'Allemagne reste barbare et ouverte vers l'Orient. Le nazisme est anti-chrétien, et le bolchevisme athée.

« Le fascisme italien s'applique à faire revivre une conception plus noble de l'Etat dans un pays qui tombait en décomposition; le nazisme tente d'exciter des instincts rapaces qui ont longtemps dominé l'âme allemande. Le fascisme organisa l'Italie corporativement; le nazisme brisa le syndicalisme et remplaça l'adhésion par l'adoration. L'une des premières réalisations du fascisme, ce fut la réconciliation de l'Eglise et de l'Etat; l'un des buts du nazisme est la déchristianisation de l'Allemagne. Le fascisme construit un Etat, entité précise; le nazisme déifie la race, entité indéterminée. Or, toutes ces différences sont essentielles, tandis que les ressemblances entre fascisme et nazisme ne sont qu'accidentelles et superficielles. »

S. H. prévoit que la Russie et l'Allemagne s'allieront contre nous, parce qu'ils ont la même idéologie !

 

Gustave Thibon (1903-2001), le ''philosophe-paysan'', converti au catholicisme et monarchiste remarque que chez les gens de droite, le mot «démocratie» est devenu synonyme de corruption et d'illusion en matière sociale.

C'est un lieu commun, dit-il, que « la démocratie a produit des résultats diamétralement opposés à « l'esprit » de la démocratie. L'idéal révolutionnaire a donné le jour à la soif de richesses matérielles du XIXe siècle et à l'appétit de jouissances immédiates du XXe. La fraternité a tourné à une séparation entre les classes et une atomisation des individus encore inédites dans l'histoire. »

Peut-être finalement la Démocratie ne serait qu'une parodie du christianisme ?

- En effet, les similitudes entre l'idéal chrétien et l'idéal démocratique s'avèrent frappantes. ?

- Précisément, c'est une partie du problème. La démocratie imagine un ''paradis'' uniquement terrestre « fait à la mesure de l'homme charnel et tombé, et où cet homme jouirait d'une plénitude divine sans aide extérieure ni purification intérieure, sans fouler aux pieds ses propres entrailles ni tendre ses mains vers un Dieu sauveur. »

En politique, parler de l'''homme nouveau'', ou du ''monde à venir'' c'est utiliser une force religieuse pour un ordre humain. On cherche le salut par la refonte du statut de la cité.

La Renaissance a découvert la religion de l'homme, et le paradis c'était la libération de la raison, et des sens … La révolution de 1789, laisse l'individu et décrit le paradis dans des cadres sociaux, c'est la religion de la Cité. « La société serait la cause première du mal, et du bien . Le salut, c'est être heureux ; et les hommes seront bons, parce qu'ils seront heureux.

Le problème, c'est qu'avec Dieu : il faut mettre du sien, il faut pâtir, se purifier, etc. Aide-toi, le ciel t'aidera..: Celui qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous, disait saint Augustin.

Et voici : il existerait un moyen pour s'en tirer de l'extérieur ? - Ce moyen existe, et c'est la réforme de la société... La facile refonte des lois dispense de l'impossible refonte des hommes. »

 

Simone Weil, assailli par une extrême fatigue, et de violents maux de tête, demande à son ministère un congé. Elle lit l'ancien et le nouveau Testament, les auteurs anciens et s'intéresse au Moyen-âge.

En avril 38, elle fait un séjour à l'abbaye de Solesmes : elle décrit à Lancelot la beauté des chants grégoriens en cette semaine sainte et son expérience de la « réalité du surnaturel ».

- Avec les offices de la passion, la pensée de la passion du Christ est entrée en moi pour toujours..

- Le malheur... Toujours la souffrance, le malheur.... ?

- Non... ! Au-delà du monde, des rapports de force qui nous gouvernent, au-delà du malheur, il y a le Bien.

- Le Bien ? Le Bien des philosophes ?

- Non plus … J'ai senti, -je ne me préparais pas à cela - , « une présence plus personnelle, plus certaine, plus réelle que celle d’un être humain, inaccessible et aux sens et à l’imagination, analogue à l’amour »

 

Simone Weil revient sur son expérience de l'usine, et aussi en Espagne... L'esclavage, l'encasernement ; c'est le malheur.

Simone Weil s'est aperçue que l'individu – dans un collectif structuré – peut perdre sa personnalité, jusqu'à se déshonorer par son suivisme. Il y a de l’idolâtrie dans le fascisme, et le communisme.

Elle va même jusqu'à envisager que le loi interdise à « un groupement d’exprimer une opinion ». La Démocratie peut devenir une idole, si elle est dirigée par des passions ; or «  un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective » !

Pour Platon, rappelle t-elle, la conscience n'est que personnelle. Un parti ne pense pas, il ne pense qu'à enrôler...

- Ce que vous dites du parti, vous pourriez le dire d'une Eglise... ?

- Exactement : dans les deux cas, la personne individuelle adhère à une pensée, ou à une croyance, sans en connaître tous les attendus, elle se range à des affirmations établies d’avance, et que parfois elle ne connaît pas.

- Vous allez un peu loin.. ! La personne a besoin de s'enraciner dans un groupe, une tradition...

- En effet, après avoir dit cela du collectif, je dois ensuite reconnaître que je valoriserai donc un groupe enraciné dans le passé, dans une culture... Je défendrais aussi des groupes de conviction, même religieux ; à condition qu'ils ne participent pas à la vie publique.

- Les élus de la nation appartiennent à des partis.. ?

- Ne pourraient-ils pas rester isolés ; en relation avec leurs électeurs uniquement ?

- Le syndicat assure la défense des travailleurs.

- Je préfère les corporations anciennes. Nos syndicats sont inféodés à l'URSS.

Simone Weil pense que la politique est une technique, non pas une vision du monde. L'essentiel est d'entretenir la liberté de la conscience personnelle. La conscience doit se soumettre aux lois, pour le bien commun ; ou se révolter.

 

Elaine qui participent à des cours privés de philosophie donnés par Louis Lavelle ( professeur au lycée Henri IV), est enthousiaste.

Ce professeur, est impressionnant, non seulement parce qu'il est très grand, et toujours concentré en lui-même, mais, parce qu'il fait cours sans aucun papier... Il communique ses pensées. Sa philosophie, est fondée sur cette vie quotidienne qui nous interpelle. Avec le langage courant, il aborde des questions métaphysiques. Il éveille – avec intelligence - à la profondeur.

Bien sûr, il cite Augustin et Pascal ; mais surtout Platon, Leibniz, Spinoza, Malebranche, Kant, Bergson et, beaucoup, Descartes.

Une réflexion du philosophe sur l'existence de Dieu est pour elle, une révélation : '' Dieu n'a pas d'existence, il a ( ou ''est'') une Présence. Dieu n'existe pas comme une créature, un être, un idéal ; mais plutôt comme une source, une fin ; enfin... pour nous ; parce que Dieu, c'est l'éternité..''

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