Les Années 1930 – à Paris, la vie intellectuelle 3
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La crise économique rend instable la vie politique. Le parti radical, toujours dominant gouverne avec la droite, mais il est en crise, d'autant que son électorat, les classes moyennes, perd en pouvoir d'achat. En 1932, le résultat des élections, avec le progrès de la SFIO, portent les radicaux vers la gauche.
Les ''non-conformistes'' lancent le ''ni droite, ni gauche'' dans un front commun de la jeunesse intellectuelle. Denis de Rougemont pense pouvoir réunir des jeunes de l'Action Française, des personnalistes d’Esprit et de l'Ordre Nouveau, et même des communistes ( comme Paul Nizan, par exemple) . Ils ont tous lu et partagé : Décadence de la nation française et Le Cancer américain de Robert Aron et Arnaud Dandieu dès 1931, La Crise est dans l'homme de Thierry Maulnier ou Le Monde sans âme d'Henri Daniel-Rops en 1932
Lancelot reste proche de Painlevé, fatigué il réussit à concilier la politique, et ses travaux personnels. Il soutient la vitalité de de l'aérien dans la défense de la nation ; et se passionne pour les travaux d'Einstein. En novembre 1931, il a participé au congrès du désarmement organisé par L’Europe nouvelle.
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Dans Notre Temps du 12 Octobre 1930, un article de Brossolette titrait : « Faites la guerre ou désarmez » Brossolette appelait au désarmement...
Lancelot a longuement échangé avec Painlevé sur le nationalisme allemand ; de nombreux renseignements, ciblent ''le projet de Zollverein '' austro-allemand, qui prévoit un '' Anschluss '' avec l’Autriche ; puis avec la Hongrie... Painlevé y voit le même scénario qu'en 1914 ; à ceci se combinent l'insatisfaction de l'Allemagne suite au traité de Versailles, la crise économique... Aussi, en réaction contre le succès nazi, Painlevé met en garde Lancelot contre un pacifisme intégral... Malade, il prend connaissance des résultats électoraux de la présidentielle de 1932, en Allemagne : 36,7% pour le NSDAP ; Hindenburg est réélu président du Reich.
Le 30 janvier 1933, Painlevé, alité, apprend qu'Adolf Hitler est nommé chancelier ; il prédit à Lancelot la mort de la civilisation européenne... Après avoir obtenu, les pleins pouvoirs, Hitler proclame le NSDAP, parti unique.
Painlevé tient absolument à soutenir les victimes de l'antisémitisme allemand. Anne-Laure le visite souvent, ils lisent ensemble, en allemand, Faust de Goethe. Il meurt le 29 octobre 1933. Le Parlement organise des funérailles nationales et une inhumation au Panthéon.
Le front de la jeunesse - instrument d'une rénovation politique, de la LAURS, aux mouvements fondés par Jean Luchaire et Otto Abetz - se divise sur l'idée de pacifisme. Le rêve européen semble s'évanouir ; mais reste l'ambition d'opposer au vieux monde, le front d'une jeunesse révolutionnaire.
Lancelot se souvient d'une soirée de l'Union pour la Vérité, en février 1933 avec des membres de la Jeune Droite comme Daniel-Rops, Maxence, Maulnier, avec Mounier et Izard d'Esprit, avec Rougemont, Dandieu de L'Ordre Nouveau, André Chamson
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Photo: Denis de Rougemont Avec Emmanuel Mounier (à droite) lors d’un congrès d’Esprit, 1934
Tout ceci reçoit le choc brutal du 6 février 1934 ; l'occasion de passer des cartels pacifistes de la fin des années vingt, au choix entre fascisme et anti-fascisme. Esprit refuse de se politiser, et Bergery, radical et ''jeune-turc'', fonde ''le front commun'' anti-fasciste. Rougemont ( L'Ordre Nouveau) maintient son appel à la '' Révolution spirituelle'' :
« Quand nous disons « spirituel d’abord », nous ne voulons pas qu’on entende intellectuel, idéaliste, clérical, ni surtout « spiritualiste ». ( …) Nous ne disons pas : « Esprit ! Esprit ! » Nous disons « spirituel ». Cet adjectif qualifie l’acte personnel, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, le sommet de ses hiérarchies, le fondement réel de sa liberté. On nous a reproché de ne pas définir la personne qui est à l’origine de toute notre construction. Répétons donc que pour nous : la personne c’est l’individu engagé dans le conflit créateur. Conflit qui se résout par l’acte,
(…) Une révolution n’est pas seulement une redistribution des biens matériels suivant une autre méthode que la capitaliste. Nous ne sommes pas disposés à défendre la répartition actuelle des richesses, mais nous exigeons que, sous le prétexte, trop souvent fallacieux, de doter l’homme de ces biens matériels, on ne le prive pas à jamais de toute possibilité spirituelle, non seulement d’en posséder, mais d’en concevoir d’autres. » « Spirituel d’abord », L’Ordre nouveau, Paris, n° 3, juillet 1933, p. 13-17. Texte rédigé avec Daniel-Rops.
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A ''Notre Temps'' chacun se disait ''réaliste'', et Luchaire ajoutait ''technique''. Il s'agirait alors de créer un ''Etat technique'' basé sur l'économie, loin des querelles religieuses... On s'interrogeait sur l'Etat moderne au titre du réalisme, doit-il employer des ''méthodes d'autorité''?
Luchaire projetait également une réorganisation politique ; envisageant que la ''nouvelle génération'' s'unisse par l'action sur le terrain pour une gauche unitaire, « sans se diviser, sans se combattre au nom de vieux dogmes, de vieilles idéologies et d'étiquettes vides de sens présent. » Luchaire, « La vraie "gauche unitaire" », Notre Temps, n°6, 15/02/1930.
Une réflexion qui s'adressait avant tout au parti Radical ; mais qui a eut peu d’effets...
De plus Pierre Brossolette, se demandait si Notre Temps n'excluait pas le socialisme ? ( lettre du 4 mai 1930). Il rejoignait l'idée de la nouvelle génération, mais contestait une unanimité de vues sur le plan politique.
En 1933, la question à propos du pouvoir national-socialiste en Allemagne, se pose. Luchaire maintient sa position du rapprochement entre les deux pays ; Brossolette le trouve gravement compromis.
La SFIO fait face en son sein à la contestation des ''néo-socialiste'' qui veulent une révolution constructive, technicienne, planifiée, et non-marxiste.... Luchaire se dit intéressé.
Au lendemain du 6 février 1934, Luchaire dénonce « une bande de factieux en révolte contre la légalité » et se fait le défenseur de la légalité républicaine. ( Notre Temps, n°36, 07/02/1934.)
Mais Luchaire persévère dans sa volonté d’un rapprochement toujours plus politique et Notre Temps devient une revue inconditionnellement favorable à Hitler et à sa politique révisionniste. À son tour le réarmement allemand est justifié ! Sans doute la revue est-elle financée, de façon occulte, par Otto Abetz. Telle est au moins la conviction de Brossolette !
Les Années 1930 – à Paris, la vie intellectuelle 2
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Paris est la ville des écrivains, et la Rive gauche, avec le Quartier latin, l'un de ses hauts lieux.
Le Quartier latin est toujours l'espace de l'Action Française, avec le local du 33 rue Saint-André-des-Arts, d'où peuvent partir des centaines d'étudiants armés de leur canne, après un appel à manifestation...
Charles Maurras, s'il n'est pas lui-même un ''politique'', reste le maître intellectuel de beaucoup de jeunes gens. « La doctrine de Maurras est la seule doctrine importante de la Cité de notre temps qui comporte une philosophie. Maurras a bâti le plus complet des systèmes politiques, artistiques et moraux (…) Une société doit vivre comme un organisme humain. Pour cela, il faut que nous reconnaissions nos limites. Il faut laisser à une caste, à une race, le soin et l’étude du gouvernement où nous ne connaissons rien. Il faut un roi. Ce roi sera absolu, tout lui appartiendra. Ne nous insurgeons pas contre cette idée. » R Brasillach, article dans Le Coq catalan
Même si Lancelot s'est écarté de cet engagement, il aime fréquenter les lieux de ces jeunes étudiants passionnés qui refont le monde de demain. Après des conférences rue Serpente, on s'invective sur l'urgence de réagir à une décadence qui fait l’unanimité
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A la sortie de l'ENS de la Rue d'Ulm, on est sûr de croiser le brillant et prometteur Robert Brasillach , et l'originale Simone Weil. Même si le seul bastion de gauche, y réside, Brasillach se sent chez lui: « Mais notre patrie restait toujours le Quartier Latin, notre jardin du Luxembourg, nos cafés, les étroites salles du boulevard Saint-Michel... »
Simone Weil est reconnaissable par sa dégaine, qui se veut le rejet de toute élégance avec son pantalon trop large, ses souliers plats et son béret noir. Ce qui l'intéresse défendre des idées : tout est action, même l'écriture... A t-elle prévenu Brasillach... ? L'art pour l'art, ça n'existe pas ; les écrivains sont responsables de ce qu'ils écrivent !
Pour l'instant Brasillach, ne s'intéresse pas vraiment à la politique. En 1931, à 22 ans, son premier livre ''Présence de Virgile'' est paru. Et en 1933, il vient de publier un roman ''Le voleur d'étincelles'', et a droit à quelques critiques bienveillantes...
Autre lieu en vogue parmi les intellectuels : Saint-Germain-des-Prés. Les artistes fréquentent Montparnasse. Chacun selon son clan, retrouve les siens à La Closerie des Lilas, la Rotonde, le Dôme, le Select, ou la Coupole.
Sur la rive droite : Cocteau vit dans une chambre que Coco Chanel lui prête rue du Faubourg Saint-Honoré ; Mauriac habite rue de la Pompe, puis rue Vaneau ; Morand partage son existence entre Londres, Venise et Paris, le comte Etienne de Beaumont demeure rue Duroc ; les Jouvenel avenue Suchet... Maurice Sachs plutôt à l'hôtel ; comme Drieu la Rochelle – bien que toujours marié à Olesia – il s'installe à l'hôtel des Navigateurs, puis à son retour d'Amérique latine, à l'hôtel d'Orsay. Avec l'aide de sa première femme, et de Victoria Ocampo ; il s'installe dans un deux-pièces salle de bains au 45, quai de Bourbon ( l'immeuble du prince Bibesco).
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Drieu applaudit ''Voyage au bout de la nuit '' le premier roman de Céline, publié en 1932. Brasillach, bien plus classique n'a pas aimé... Les communistes, Elsa Triolet et Aragon adorent et veulent le traduire en russe... Si Céline dénonce, il ne prend pas parti... On attend de lui qu'il définisse le sens de sa révolution... Même les catholiques, y voient du divin en creux...
Dans Le Figaro du 13 décembre, Georges Bernanos est enthousiaste : « œuvre extraordinaire », au « langage inouï, comble du naturel et de l'artifice, inventé, créé de toutes pièces à l'exemple de celui de la tragédie, […] fait pour exprimer ce que le langage des misérables ne saura jamais exprimer ». « Pour nous, la question n'est pas de savoir si la peinture de M. Céline est atroce, nous demandons si elle est vraie. Elle l'est. »
Il y a beaucoup d'occasions pour Lancelot de rencontrer des auteurs, et plus précisément des ''chercheurs''. Parfois l'échange permet d'entrer de plein pied, sur le terrain favori des recherches de l'un et de l'autre... Ce fut le cas, quand Jacques T. s'est intéressé de près à la Quête de Lancelot. Lui-même connaît bien la Légende arthurienne, et a publié en 1924, un ouvrage sur L'Illustre chevalier de France, qu'est Lancelot....
Ancien maître de la loge, Jacques T. s'est montré fort empressé pour parrainer Lancelot, à se faire initier à la loge '' Le Portique'' dont, Gustave-Louis Tautain, rédacteur en chef du "Monde nouveau", en est le vénérable. Cet atelier de la Grande Loge de France, correspond bien à la sensibilité du nouvel apprenti; des personnages à grande notoriété en font partie comme Oswald Wirth (1960-1943) ou Albert Lantoine (1869-1949); les travaux suivent le Rite écossais ancien et accepté; et plusieurs frères partagent un intérêt pour les activités de l’Ordre martiniste, comme Gustave-Louis Tautain. Lancelot soutiendra l'initiative de A. Lantoine, en 1937, avec sa Lettre au Souverain pontife .... Enfin, Le Portique pourrait être qualifiée de « Loge littéraire », puisqu'elle décerne, chaque année, un prix à une oeuvre publiée.
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Du discours prononcé par le frère orateur, lors de la réception des nouveaux initiés, Lancelot a noté ces phrases:
" (...) vous comprendrez de manière toute aristocratique que la Franc-maçonnerie n’est que la réunion des êtres de pensée, venus de tous les points du globe, de toutes les races, de toutes les croyances, pour, la main dans la main, faire avec bonne volonté, sans les entrechoquer l’échange courtois de leurs idées antagonistes."
"( ...) le rite consacré qui ne doit s’éteindre, et que personnifie excellemment la respectable Loge Le Portique, où je souhaite à votre esprit la grâce de s’y harmoniser en sagesse, force et beauté."
Parmi les frères présents, à noter François de Tessan, Michel Dumesnil de Gramont (1888-1953), que Lancelot croisera encore dans les couloirs ministériels; mais surtout, ce haut-fonctionnaire est un passionné de littérature et d'ésotérisme ( aujourd'hui, nous dirions de spiritualité). Il parle l'allemand et le russe et traduit les écrivains modernes russes. Surprise en enlevant le bandeau de retrouver des personnes croisées ou connues comme Brossolette, initié en 1927 à la loge Émile Zola, de la GLDF...
Les Années 1930 – à Paris, la vie intellectuelle 1
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Ses nouvelles fonctions au Ministère de la Guerre ne permettent pas à Lancelot de prendre publiquement position sur le plan politique. Et s'il doit être bien informé, il doit rester discret et abandonner tout désir de notoriété...
Les services français sont de plus sollicités par les politiques sur les intentions des dirigeants allemands... Lancelot se rend souvent en Allemagne ; il fait le lien entre le ministère et les diplomates, et beaucoup plus discrètement avec des informateurs, et des journalistes comme Xavier de Hauteclocque.
Ses interlocuteurs allemands, officiellement, sont très heureux de coopérer avec l'intelligentsia française... Lancelot organise des rencontres culturelles par le biais de l'ambassade à Berlin, facilite le séjour de jeunes universitaires comme celui de Raymond Aron, de 1931 à 1933.
A Paris, Lancelot retrouve les participants de la revue ''Notre Temps'', qui ouvre ses pages à de nombreux auteurs germanophones. La question du moment reste le règlement des réparations de l'Allemagne. Brossolette et Luchaire y consacrent de nombreux articles.
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Ne s'agit-il pas à présent de bâtir « un édifice nouveau à la place de l'ancien qui s'écroule ». Une attitude nouvelle permettrait de revoir la dette, de l'Allemagne vis à vis de la France ; et … de la France vis à vis des Etats-Unis ! Cette question est liée à celle du désarmement... Luchaire défend l'idée d'un arrangement avec l'Allemagne, à tout prix ; la France ayant tout à gagner de cesser d'être l'oppresseur. Brossolette alerte des dangers que représenterait le réarmement de l'Allemagne, mais pour Luchaire, il s'agit d'une question d'amour propre national, et non de résolution offensive.
Lancelot, finalement fréquente les milieux qui pour sa génération, sont moteurs dans l'action politique et intellectuelle du moment. Son milieu d'origine, une droite orléaniste et libérale, représente aujourd'hui une classe bourgeoise qui s'est très bien adaptée à la troisième République, elle a même coupé sur le plan politique, un peu moins sur le plan intellectuel, le lien avec l'Action Française …
Pour échapper à l'emprise marxiste ; beaucoup de jeunes se réfugient au Parti Radical, parti de gouvernement, avec la détermination d'intervenir sur les choix politiques qui ne sauraient être que déterminants en cette période de crise...
Dans les milieux que continuent de visiter Anne-Laure de Sallembier, il est toujours de l'habitude d'indiquer dans le Bottin mondain son jour de réception. On se reçoit, pour dîner et lire des textes des grand écrivains ''survivants''...
Les femmes peuvent porter successivement robe de sport pour le matin, robe de ville pour le shopping, robe de cocktail en fin d'après-midi, puis enfin robes du soir. L'innovation d'Elsa Schiaparelli, avec sa robe sirène : toute droite, permet aux élégantes de passer la journée sans changer de toilette. L'homme distingué a abandonné la jaquette, il se permet de paraître en pull-over, ou en chemise sport.
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François Mauriac apprécie les bars à la mode, et fréquente les Deux-Magots, comme beaucoup d'autres artistes ou intellectuels, Elsa Triolet, Louis Aragon, André Gide, Jean Giraudoux, Picasso, Fernand Léger…
Comme Lancelot, vous pouvez avoir la surprise de croiser André Gide, qu'il vous reconnaisse et vous invite à boire un porto dans un café ; surprise toujours qu'il vous écoute attentivement lui raconter les déboires maritaux d'Elaine...
Il conseille de lire Mauriac ; on y retrouve dit-il cette sorte d'angoisse qui n’appartient qu'aux chrétiens... Lui, il se dit bien heureux de s'en être échappé...
Gide ajoute « Ceux qui cherchent à voir avec ''les yeux de l'âme'', sont ceux qui n'ont jamais su vraiment regarder. » Lancelot ne partage pas cette vision. Le dieu dont parle Gide serait dissous dans la nature, et ce n'est de la foi dont nous aurions besoin, mais de l'attention. Ce dieu mérite t-il encore le nom de Dieu ?
Ils parlent de Thomas Mann, que Gide vient de rencontrer lors de son passage à Paris, et qu'il souhaite revoir. Il devrait aller à Berlin et Munich à la fin de l'été.
Gide raconte une soirée dans le salon de Mme B. où la présence de « trois princesses » est plus qu'il « ne peut supporter. ».. !
Quelques jours plus tard, Lancelot rencontre une jeune femme, amoureuse de l'auteur des '' Nourritures terrestres '', qui a abandonné mari et enfant à Avignon, pour se rapprocher de lui... Gide serait venu la visiter chez elle, en 1932, après un courrier qu'elle lui a envoyé ; elle avait vingt-cinq ans. Actuellement, elle travaille chez Gibert, où précisément Lancelot recherchait des ouvrages de Gide. La conversation s'est rapidement engagée, d'autant que chacun dit le connaître. Lancelot la croisera encore, et Yvonne D. s'arrangera pour ne jamais être bien loin de son auteur passionnément aimé.
Les Années 1930 - ''La Grande Peur des bien-pensants'' de Bernanos
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Quelques mois après leur retour, Anne-Laure de Sallembier reçoit Georges Bernanos à l'occasion de sa présence à Paris, pour la sortie de son dernier livre '' La Grande Peur des bien-pensants''.
Précédemment, sa mère avait offert à Lancelot les trois romans qui ont fait de Bernanos un écrivain reconnu , et pour le dernier, ''La Joie'', il reçut le Prix Fémina (1929) .
La lecture de ''Sous le soleil de Satan'' est de l'avis de Lancelot, celle qui l'a marqué le plus à cette époque. En effet, jusqu'à présent la littérature était fière d'affirmer une esthétique qui dépasse les contingences ( de Proust à Gide, Valéry...). Dans ce roman - ce qui enchantait Lancelot - de la boue d'un village d'Artois, d'un quotidien à « la solitude immense, déjà glacée, plein d'un silence liquide... »… surgissait le surnaturel. De plus, la question religieuse de la sainteté , n'était pas traitée dans une pieuse hagiographie, mais dans une traversée des maux d'une humanité inquiète. Satan, bien réel, n'est pas ici une figure de la sexualité, mais du désespoir .. Ici, le saint n'y est pas en paix. Ce n'est pas une mystique du salut et Donissan ne craint pas, même, de sacrifier le sien.
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Bernanos prend le parti de la révolte, non de la morale des bien-pensants.
Des critiques regrettent que ce roman soit mal composé, sans voir en quoi celui-ci est novateur : ce qui prime ce n'est pas l'intrigue comme terrain d'expression de personnages, mais la question métaphysique : « le tragique mystère du salut » selon les mots de Bernanos.
Ce ''salut'' qui ne serait pas individuel, mais collectif... !
Pour l'heure, ''La Grande Peur des bien-pensants'' un recueil d'articles ; mais qui doit se lire comme un roman, est soutenu par Léon Daudet dans L'Action française du 28 avril 1931.
Dans ce livre Bernanos tient à nous faire partager son enthousiasme pour Edouard Drumont. Il serait une « Espèce de chevalier français » en croisade contre la IIIème République.
- Drumont s'en prend aux gens raisonnables, aux prudents ; il n'a pas craint les procès, les duels... Il est ingérable : c'est ce que j'appelle un ''enfant humilié '' : Humilié par les atrocités de la répression de la Commune. Humilié par le parti clérical, quand il s'est présenté aux élections de 1890... Un beau personnage de roman, qui ne surmonterait pas son désespoir...
- En quoi, un homme « aigri, revenu de tout », mort, pourrait-il nous intéresser, aujourd'hui ?
- Mon ami, sachez que lorsque votre mère vous mettait au monde, la lecture de Drumont faisait partie du bagage intellectuel de tout royaliste de l’Action française. Mon père, le soir nous lisait La Libre Parole ( le journal de Drumont)... Drumont semblait maudit, pourtant il s'est jeté dans la mêlée politique... Il est peut-être une énigme pour vous ; pour moi, depuis les tranchées, beaucoup moins... Autant les bien-pensants le rejetteront, autant je m'y intéresserai.
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La pensée de Drumont n'est pas méthodique, comme celle de Maurras, elle est éruptive.
- Des nationalistes en France, ne craignent pas aujourd'hui de s'afficher ''fasciste'' – selon l'exemple italien – ou '' national-socialiste '' comme en Allemagne... Vous sentez-vous proche de Coty et sa campagne ''anti-juive'' ?
- Je dénonce la ''banque juive'' , c'est tout... ! Je dénonce notre élite conservatrice et son laïcisme républicain. Je hais l'injustice, la mauvaise foi, l'opportunisme... J'attends non pas des chemises brunes, mais des chevaliers ! Lancelot ! Tu vois bien ce que je veux dire.. ! ?
Drumont ,et moi avec ce livre je voudrais vous réveiller... Comme Drumont avec son livre '' La France juive '' ; d'ailleurs, son succès avait été immense. Il faut sauter à la gorge de la politique, de la finance...
- Je vous respecte infiniment ; j'entends très bien votre dénonciation... ; mais je ne vous suis pas, quand vous reprenez cette infâme rengaine de l'antisémitisme de Drumont qui accuse des gens qui se sont battus à vos côtés ; quand nous savons que Dreyfus, était innocent...
Je reviens d'Allemagne, et c'est comme si de Drumont, Hitler n'avait gardé qu'une chose, la haine et l'antisémitisme. En quoi, cette violence pourra t-elle abattre la dictature de l'argent ? En quoi, préfigure t-elle l'irruption du surnaturel, la radicalité du Christ ?
- Je ne veux abattre personne, individuellement. J'ai de la compassion pour chacun d'entre nous, jusqu'au plus vil... J'en veux à « la force immense, informe de l'argent »...
Ne succombez pas aux sirènes du pacifisme, une paix moderne qui annonce une ère d'esclavage, asservissement moderne de l'individu... Un monde sans mystique, un monde qui ne croit en rien, même l’Église s'est laissait corrompre par l'argent... Nous allons vers « l'Usine universelle, l'Usine intégrale »
Anne-Laure conclue cette discussion :
- Bernanos, vous revenez sans cesse à votre rêve d'enfant : une France chrétienne, aux valeurs chevaleresques... si éloignée de notre IIIème république !
Les années 30 – La TSF
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La TSF, merveilleuse... Lancelot le reconnaît bien volontiers, d'autant qu'il s'est lancé, en amateur, dans le bricolage sur de telles machines...
Elaine, très littéraire envisage le discours scientifique, comme une création de l'imagination humaine ; et ce qui l'interpelle, c'est sa déclinaison technique comme la radio ; et en particulier, ce qui invisible, se concrétise dans une voix venue d'on ne sait d'où... !
Elle s'adresse à Lancelot : - pourrais-tu tenter de m'expliquer ce qui se trame dans cet espace de réalité auquel je n'ai pas accès... ?
- Tu connais l'électricité, avec les charges électriques, l'aimant, la pile volta... On fait la connaissance du courant électrique avec Ampère vers 1820; ce qui permet de construire le télégraphe électrique, et communiquer par un code morse...
- L'aimant, c'est encore autre chose … ?
- On fait la relation entre charge électrique et aimant, quand on approche d'une aiguille aimantée un fil connectée à une pile ; aussitôt l'aiguille dévie.
- On a l'impression que cela bouge tout seul...
- Une particule chargée modifie son espace local, on parle de champ électrique ( autour d'un câble électrique ) quand s'exerce une force électrique exercée à distance... (comme on peut parler aussi du champ de la pesanteur...). Avec le câble, plus la ''tension'' est élevée plus le rayonnement du champ est important...
- Et donc, l'aimant... ?
- Il existe un champ magnétique autour d'un aimant... Un courant électrique crée également un champ magnétique ; plus ''l'intensité'' du courant est élevé plus le champ magnétique augmente...
- Tu parles de ''champ'', alors que d'habitude tu parles d'onde... ?
- Le champ c'est l'espace local, dont je parlais, le champ permet à l'onde de se déplacer. Mais, c'est un peu plus que cela, le champ a une valeur ; si la valeur change, cette variation se propage de proche en proche. Une charge crée un champ constant, qui n'est pas une onde... Une carte de France avec des températures, c'est un champ de température...
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- Une onde, ça bouge...
- Une onde, c'est comme une vague. C'est une variation qui se déplace ; il n'y a pas de matière qui se déplace... Le son, c'est une variation de la pression de l'air.
- Et j'ai entendu dire que la lumière était aussi une onde... ?
- Une onde électromagnétique... Voilà ce qu'écrit Maxwell en 1864 : « L'accord des résultats semble montrer que la lumière et le magnétisme sont deux phénomènes de même nature et que la lumière est une perturbation électromagnétique se propageant dans l'espace suivant les lois de l’électromagnétisme »
- L'électromagnétisme … ?
- Le physicien allemand Hertz ( 1888) a réussit à créer des ondes électromagnétiques, appelées les ondes hertziennes. Il les caractérise comme étant invisibles et se propageant à la même vitesse que la lumière en étant elles aussi susceptibles de se diffracter, de se réfracter ou bien de se polariser.
* A l'époque dans laquelle je retranscris ces propos en les adaptant, l'hypothèse de l'existence de l'Ether, comme support pour assurer la propagation des ondes, est partagée par tous...
- Et, concrètement un poste radio... ? Il est magique chez soi, à travers cette machine, d'écouter un concert ou une pièce de théâtre jouée au même moment... !
- Puisque tu parles de magie ; j'ai vu que ''Le Livre national '' édite cinq volumes de Gabriel Bernard, sur la question de la ''TSF humaine''. Ce sont des romans, dans lesquels l'auteur imagine que nous pourrions communiquer par la pensée les uns avec les autres, comme des postes de T. S. F.... De même que Jules Verne a pensé avant qu'ils n'existent, le sous-marin, le dirigeable, l'avion plus lourd que l'air... De même l'auteur, ici, exploite l'idée que, peut-être, produisons-nous des ondes par notre pensée ; et si nous étions maîtres de leur émission, et de leur réception ; nous accroîtrions nos possibilités humaines, au point de paraître comme de véritables magiciens.... !
- Et que se passerait-il si ces pouvoirs étaient au service de mauvaises intentions... ?
- Précisément, les romans envisagent une confrérie '' les chevaliers de l’étoile '', qui se font greffer un organe en forme d’étoile rose leur permettant à la fois de communiquer par télépathie et de lire les pensées...
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- En 1900, à ma naissance, le canadien Fessenden, réussit à faire voyager ( sur 80km) sa voix sur cette onde...
Mon premier poste était équipé d'un détecteur à galène ; je pouvais capter les ondes émises depuis la Tour Eiffel...
Donc, en faisant varier le courant, on fait varier le champ magnétique et on obtient une onde hertzienne; et c'est ce qui se passe à l'intérieur d'une antenne...
- A quoi servent ces tubes, ou ces lampes ?
- Elles sont le fruit d'une grande invention de Lee De Forest, l’audion, une lampe triode permettant d’amplifier les faibles signaux perçus. Elle remplace les détecteurs à galène.
Pour les inventer il a fallu précédemment connaître un peu mieux l'infiniment petit... L'atome n'est plus le plus petit grain possible de matière. Aujourd'hui l'atome est devenu très complexe : sa structure est comparable à celle d'un système planétaire comprenant un noyau central de charge positive ou « proton » autour duquel se meuvent des grains chargés d'électricité négative appelés « électrons ».
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La radio, ça commence par l'émission, donc un micro : il s'agit d' une membrane mobile reliée à une bobine à l'intérieur d'un aimant qui sert à transformer les vibrations de la voix en signaux électriques, ces signaux couplés à une antenne vont fabriquer une onde électromagnétique...
Seulement la voix a une fréquence plutôt basse, et l'antenne devrait être autant plus haute ( en fait de 60km de haut...!)... Pour qu'une antenne, disons de 10m de haut, émette des ondes électromagnétiques, il est nécessaire de faire circuler dans cette antenne un courant de haute fréquence... Pour cela il faut un oscillateur qui nous produit une onde porteuse... En retour pour retrouver notre voix et l'adapter à notre oreille, il faut ''démoduler'' l'onde reçue...
En ville, pour une bonne réception, le problème de l'antenne est résolu dans ce poste à lampes, par un cadre autour duquel est entouré un grand nombre de spires. Et là, c'est un "bouchon intercept" qui utilise la ligne électrique comme antenne !
Enfin, j'ai rajouté un amplificateur à lampes derrière pour sortir sur un haut parleur.
Les Années 1930 - la crise.
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A son retour d'Allemagne avec Lancelot, Elaine apprend que son mari, demande le divorce. Un divorce pour faute : adultère de l'épouse... Le courrier de justice, relayé par un cabinet d'avocats, a pour Elaine la violence d'un coup, auquel elle ne s'attendait pas en ce retour, de voyage si agréable et tellement passionnant...
Elle reçoit ensuite une lettre de celui qui se dit blessé de n'avoir pas été respecté dans un contrat moral de séparation, où son épouse ne devait pas s'afficher avec une liaison, semant ainsi le scandale et salissant son nom...
Elaine se rend compte très vite que toutes ses connaissance sont bien pl
us informées qu'elle ne l'imaginait. Elle apprend incidemment que son mari, se satisfait de cette séparation qu'il précipite, ne pouvant plus supporter ce lien marital avec ''une juive''... En effet - Lancelot l'ignorait - la mère d'Elaine était de sang juif avant de se convertir.... Cette nouvelle va entraîner chez Lancelot, une sensibilité pour une question, qui jusqu'à présent ne le concernait que d'assez loin...
Si ce divorce apporte beaucoup de trouble pour Elaine, Lancelot s'en satisferait, il permettrait de faire disparaître le spectre de ce mariage, qui ne cesse de tourmenter la relation avec sa maîtresse. Cependant, Lancelot reconnaît ne pas être, pour autant, tenté par le mariage, et encore moins par la paternité.
De son côté, des ennuis financiers s'annoncent avec une crise économique, à laquelle la France échappait jusqu'à présent... Le lundi 28 octobre 1929, jour de l’effondrement des marchés d’actions à Wall Street ; fut suivi en Autriche de la faillite de la Kreditanstalt le 11 mai 1931 ; puis de la dévaluation de la livre sterling en 1931, et se répercute en France...
L'avertissement de 1926, avait été surmonté ; et la France apparaissait comme un îlot de prospérité dans le monde. Notre pays essentiellement agricole, pouvait compter sur ses petites entreprises familiales. Une grosse partie de la fortune d'Anne-Laure de Sallembier, est impliquée dans ce type d'entreprises, textiles, qui répugnent au crédit bancaire et investissent peu ; aussi même sans la crise financière, elles étaient peu capables d'affronter la concurrence internationale, donc d'exporter.
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Dès 1930, les ventes sont devenues difficiles, la concurrence plus acharnée, les marges bénéficiaires plus maigres. Avec la crise, les exportation s'effondrent, la production baisse. Les colonies permettent de vendre le coton ; la soie s'effondre au profit de la rayonne.
L'industrie textile emploie un nombre important d'ouvriers, et la crise oblige à licencier... puis, à fermer.
Le remplacement de l'hôtel particulier familial, en un immeuble fut d'un bon rapport, investi dans l'immobilier. L'appartement avenue Victor-Hugo, permet à Anne-Laure de Sallembier de venir régulièrement, pour de courtes périodes, accompagnée de son fidèle chauffeur, jusqu'au décès de Painlevé ( mort le 29 octobre 1933 ). Les services du chauffeur sont indispensables, pour l'entretien de la voiture , et même pendant le trajet ; les pannes ( moteur, pneus...) sont fréquentes.
Le chauffage central, l'existence d'une salle de bains marquent les progrès de la vie quotidienne, à Paris.
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Le courant électrique ne vient d'arriver à Fléchigné, que depuis deux ans. Anne-Laure connaît certains hobereaux qui s'opposent à l'électrification parce qu'elle permettrait aux paysans de festoyer jusqu'à des heures indues...
Le soir où nous avons pu, dans la cuisine au-dessus de la grande table, allumer la lampe couronnée de son abat-jour, la pièce nous parut bien plus grande, et chacun se sentait surveillé, où qu'il se trouvait... Il n'était plus nécessaire de venir chercher le cercle de lumière de la lampe à pétrole...
L'adduction d'eau jusqu'à l'intérieur par un robinet dans plusieurs pièces, suivit d'une année. Cette facilité était déjà présente en ville, ou dans les hôtels qui indiquaient ''l'eau courante à tous les étages''...
A Paris, nous avions le téléphone automatique, c'est à dire qu'il disposait d'un combiné à cadran. Autre machine très populaire, n'en déplaise à Paul Léautaud, la TSF ; l'abbé Mugnier ne tarit pas d'éloges la télégraphie sans fil, qui lui a permis d'écouter chez Paul Valéry, un concert retransmis : « ces voix lointaines qu'on dirait dans la chambre voisine. Ce jeu des ondes est de la pure féerie réalisée, du merveilleux, du génie »
1930 - L'Allemagne - 9 - ''La Montagne Magique'' Thomas Mann (suite)
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Ensuite, Lancelot ose exposer à l'écrivain, la quête dont il est porteur depuis de nombreuses générations; et la lecture de son roman lui semble s'inscrire dans cette même recherche... Pense t-il qu'il est possible de faire le rapprochement...?
Thomas Mann, loin de se montrer sceptique, s'exclame qu'il s'agit tout à fait de cela ....
- Avec celui du temps, qui lui est lié, j'ai tenté d'aborder le thème de ce que l'on appelle en alchimie la '' sublimation '' . En effet, Hans Castorp est un héros ordinaire; pourtant dans l'atmosphère fébrile de sa réclusion hermétique, en haut de la montagne magique, cet homme simple connaît une sublimation qui le rend apte à des aventures morales, spirituelles, et sensuelles...
Le voyage long et sinueux qui conduit Hans Castorp ''là-haut'' est d'emblée comparé à celui d'Ulysse au royaume des ombres... Settembrini, le met en garde contre un séjour prolongé: " Evitez ce marécage, cet îlot de Circé, vous n'êtes pas assez Ulysse pour y séjourner impunément."
S'installe un rituel, au rythme des températures, des '' caprices du mercure ''... De nombreuses allusions parsèment le cours du récit, comme cet élévation de température qui annonce le processus de spiritualisation... Le médecin-chef est présenté comme un allié des puissances supérieures, le second officie en sous-sol, et ausculte les âmes...
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Naphta qui s'identifie à Hermès, puis Settembrini délivrent à Castorp une véritable leçon d'alchimie. Clawdia Chauchat, initiatrice à Eros et Thanatos, est vue par Settembrini comme la ''Béatrice'' qui guide le ''chercheur''...
- Pourtant, à la lecture du roman, Joachim, Clavdia Chauchat, Peeperkorn, Settembrini, sont des personnages bien réels...
- Vous me rassurez... Le roman utilise les méthodes du roman réaliste, mais en fait il n’en est pas un. Il passe au-delà du réalisme par le symbolisme, et fait du réalisme un vecteur d’éléments intellectuels et idéaux.
- Les personnages apparaissent au lecteur comme des porteurs de plus qu’eux-mêmes
- C'est cela, en fait, ils ne sont rien d’autre que des représentants, des émissaires de mondes des domaines de l’esprit.
A la sortie du livre, certaines personnes, et beaucoup de gens encore aujourd’hui, le voient comme une satire sur la vie dans un sanatorium pour patients tuberculeux...! Il a même causé une petite tempête dans les revues médicales.
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Mais la critique des méthodes thérapeutiques du sanatorium n’est qu’au premier plan du roman. Son actualité réside dans la qualité de ses arrière-plans. Settembrini, rationaliste et humaniste, relève ce qui peut y avoir de malsain dans un tel milieu ; il n’est cependant qu’une figure parmi tant d’autres , une figure sympathique, en effet, avec un côté humoristique; parfois un porte-parole pour l’auteur, mais en aucun cas l’auteur lui-même.
( Thomas Mann, parle de lui à la troisième personne... )
- Pour l’auteur, la maladie et la mort, et toutes les aventures macabres que son héros traverse, ne sont que l’instrument pédagogique utilisé pour l'aider à accomplir une sorte d'initiation, puis une évolution, à partir de ses propres compétences... Et, il semble que la méthode soit la bonne ; en effet, Hans Castorp, au cours de ses expériences, surmonte son attirance innée pour la mort et arrive à une compréhension d’une humanité qui n’ignore pas bien sûr la mort, qui ne méprise pas ce côté sombre et mystérieux de la vie ; mais en tient compte, sans la laisser prendre le contrôle de son esprit.
Ce qu’il comprend, c’est que l’on doit passer par l’expérience profonde de la maladie et de la mort pour arriver à une plus haute santé mentale, de la même manière qu’il faut avoir une connaissance du péché pour trouver la rédemption. « Il y a, dit Hans Castorp, deux modes de vie : l’un est le moyen régulier, direct et bon; l’autre est mauvais, il conduit par la mort, et c’est la voie du génie. » C’est cette notion de maladie et de mort comme voie nécessaire à la connaissance, à la santé et à la vie qui fait de La Montagne Magique un roman initiatique.
- Cela va vous intéresser.... C'est étrange que vous m'ayez parlé de ''Quête du Graal'' ...
J'ai reçu un manuscrit d’un jeune chercheur de l’Université Harvard, Howard Nemerov, intitulé « Le héros de la Quête, un Mythe comme symbole universel chez Thomas Mann », et il a considérablement rafraîchi la conscience que j'avais de mon travail... Nemerov place La Montagne Magique et son héros - un homme ordinaire - dans la lignée d’une grande tradition non seulement allemande mais universelle. Il s'agit de la légende de la Quête qui remonte très loin dans la tradition et le folklore. Faust est bien sûr le représentant allemand le plus célèbre de ce genre ; mais derrière Faust - l’éternel chercheur - se cache un groupe de compositions généralement connues sous le nom de Conte du Saint Graal ( ou Holy Grail romances) . Le héros, qu'il se nomme Gauvain, Perceval ou Galaad est ce héros en Quête qui parcourt le ciel et l’enfer, s'y accorde et conclut un pacte avec l’inconnu, avec la maladie et le mal, avec la mort et l’autre monde, avec le surnaturel, avec ce qui est nommé dans La Montagne Magique comme le «questionnable ». Le héros est toujours en quête du Graal, c’est-à-dire toujours ce qu'il y a de '' Plus Haut '': la connaissance, la sagesse, la consécration, la pierre philosophale, le ''aurum potabile '', l’élixir de vie.
Nemerov, et vous encore, déclarez que Hans Castorp est l’un de ces chercheurs. Peut-être avez-vous raison.
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Le Questeur de la légende du Graal, au début de ses pérégrinations, est souvent traité d’imbécile, de grand imbécile, d’imbécile rusé. Cela correspond à la naïveté et à la simplicité de mon héros. C’est comme si une faible conscience de cette tradition m’avait fait insister sur sa qualité.
Le personnage de Wilhelm Meister, de Goethe, n’est-il pas lui aussi un imbécile rusé ? Dans une large mesure, il est identifié à son créateur; mais même ainsi, il est toujours l’objet de son ironie. On voit ici que le grand roman de Goethe, tombe lui aussi dans la catégorie des ''Quester''. Et après tout, qu’est-ce que le Bildungsroman allemand (roman éducatif) - une classification à laquelle appartiennent à la fois La Montagne Magique et Wilhelm Meister - sinon la sublimation et la spiritualisation du roman d’aventure ?
Le chercheur du Graal, avant d’arriver au Château Sacré, doit subir diverses épreuves effrayantes et mystérieuses, comme celle qui se passe dans une chapelle de bord de route appelée l’Âtre Périlleux. Probablement ces épreuves étaient-elles à l’origine des rites d’initiation, les conditions de pouvoir approcher un mystère caché... L’idée de la Connaissance, de la sagesse, est toujours liée à « l’autre monde », et donc du côté de la nuit et de la mort.
Dans La Montagne Magique, on parle beaucoup de pédagogie alchimiste et hermétique, de la transsubstantiation. Et moi-même, naïf comme le chercheur, j’ai été guidé par une tradition mystérieuse, car ce sont ces mots mêmes ( de transsubstantiation) qui sont toujours utilisés en relation avec les mystères du Graal.
Ce n’est pas pour rien que la franc-maçonnerie et ses rites jouent un rôle dans La Montagne Magique, car la franc-maçonnerie est la descendante directe des rites initiatiques. En un mot, la montagne magique est une variante du sanctuaire des rites initiatiques, un lieu d’investigation aventureuse sur le mystère de la vie. Et mon Hans Castorp, le Bildungsreisende, a une ascendance chevaleresque et mystique très distinguée : il est le néophyte curieux typique , curieux dans un sens élevé du terme , qui embrasse volontairement, trop volontairement, la maladie et la mort, parce que son tout premier contact avec eux promet une illumination extraordinaire et une avancée aventureuse, liées bien sûr, à de grands risques.
Ce qu'écrit ce jeune Nemerov, à ce propos est juste; et je viens de le reprendre pour m'aider à vous l'expliquer ... Il m'a beaucoup aidé moi-même à comprendre cette part inconsciente de mon écriture dans ce roman...
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Hans Castorp est un questeur du Saint Graal. Peut-être si on lit mon livre avec ce nouveau point de vue. Peut-être, est-il possible au lecteur de découvrir ce qu’est le Graal...? La connaissance et la sagesse...
Mais le livre lui-même cherche, il interroge... Regardez dans le chapitre intitulé « Neige », où Hans Castorp, perdu sur les hauteurs périlleuses, rêve de l'humanité. S’il ne trouve pas le Graal, il le devine, dans son rêve mortel, avant d’être arraché de ses hauteurs vers le gouffre de la catastrophe européenne.
Il y a l'idée de la conception d’une humanité future qui traverse et survit à l'épreuve terrible de la maladie et de la mort. Le Graal est un mystère, mais l’humanité est aussi un mystère. Car l’homme lui-même est un mystère, et toute l’humanité repose sur la révérence devant le mystère qu’est l’homme. »
Sources : - Thomas Mann, Introduction à la 'Zauberberg',1939 - Conférence à l'université de Princeton.
Lancelot retourne à Berlin, pour assister le 20 août 1931, à la succession de M. de Margerie, par André François-Poncet (1887-1978) comme nouvel ambassadeur qui siège à Berlin au 5 Pariser Platz, près de la porte de Brandebourg en haut de l'avenue Unter den Linden. Il a reçu pour mission de coordonner la coopération et le rapprochement économique entre l’Allemagne et la France...
Heinrich Brüning (1885-1970) devenu chancelier d’Allemagne en mars 1930 tente de sortir son pays de la tourmente dans laquelle l'a plongé la crise économique; il souhaite la suppression des conditions du Traité de Versailles.
1931 - L'Allemagne - 8 – ''La Montagne Magique'' Th. Mann
Lancelot rejoint ensuite Munich, pour rencontrer André d'Ormesson (1877-1957), ministre plénipotentiaire chargé de la légation de Munich entre 1925 et 1933.
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L'actualité est à l’« incident Naviasky » survenu à la suite d'un cours de Hanz Nawiasky professeur de droit administratif sur « le Traité de Versailles et le traité de Brest-Litovsk ». Il défend la thèse de « la force qui crée le droit » ; c’est-à-dire l’idée que les vainqueurs imposent toujours les conditions de paix aux vaincu : « A Versailles, nous avons été traités de la même manière que nous avions employée envers les Russes à Brest-Litowsk ». Immédiatement, s'organisent de grandes manifestations patriotiques contre le Traité de Versailles et ses « défenseurs allemands ». Le recteur de l’université doit « appeler la police, pour évacuer les salles et les couloirs » et « suspendre les cours pendant 4 jours et procéder à une enquête contre le Professeur de droit international, M. Naviasky ».
En 1931 le parti nazi totalise environ deux cent mille adhérents, il s'implante assez vite, et les étudiants nazis de Munich ont réussi à devenir une force politique importante et représentent 35% des voix au conseil des étudiants de l’université.
Elaine et Lancelot retrouvent à Munich Jean Cavaillès qui parcourt aussi l'Allemagne pour ses recherches. Il a rendu visite à Husserl, suivi un cours d'Heidegger, et doit rencontrer le père jésuite Przywara, directeur spirituel d'Edith Stein...
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Ils se rendent tous les trois dans une brasserie de la vieille ville, et le hasard les amènent à entendre Adolf Hitler encadré par sa garde en uniforme. Son visage retient l'attention, autant par sa mâchoire que par son regard qui fixe le vide, il mine ses slogans et s'en prend aux parlementaires...
D'Ormesson est un ami de Thomas Mann, qui est installé avec sa famille dans une villa de la Poschingerstrasse à Munich. Lancelot s'arrange pour accompagner le ministre chez le prix Nobel de littérature ( depuis 1929); il n'en espérait pas tant...!
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Thomas Mann habite avec sa grande famille dans une maison dont le style correspond au goût de l’époque wilhelminienne et au climat culturel au temps de Guillaume II...
Le beau temps permet une visite du jardin ; et la présence d’un groupe de frênes sur le gazon devant sa maison, permet à l'écrivain de signaler à ses visiteurs français que c'est cet arbre qui fournit à Wotan la hampe de sa lance, et son bois desséché va permettre d’embraser le Walhalla; lui a son arbre préféré, et c'est un bouleau. Ils ont emménagé dans cette maison, qu'il a fait construire et entourée de deux cours d'eau, en 1914. Le matin, Thomas Mann, s'enferme dans son bureau pour travailler; et le laisse ouvert l'après-midi pendant lequel le couple lit, ou reçoit des amis,
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D’Ormesson évoque les troubles particulièrement violents des jeunes nazis à l’université...
Ces jeune nazis - pour désavouer l’humanisme et restaurer la barbarie en politique - brandissent les notions philosophiques à la mode du sang, de l’instinct, de la pulsion et de la violence. Ils le font contre les pensées prétendument abolies, les pensées de liberté et de démocratie. Ces jeunes, incapables de toute vie spirituelle, se fabriquent un culte romantique brutal du passé, un mélange de révolution et de réaction qui se donne des airs d’un avenir juvénile et s’entend ainsi à séduire. »
Thomas Mann s'inquiète des résultats des élections du Reichstag de septembre 1930... Effectivement, le parti national-socialiste remportera une spectaculaire victoire électorale : près de six millions et demi de voix contre 800 000 deux ans plus tôt, cent sept députés au Reichstag au lieu de douze.
Un mois plus tard, à Berlin, Thomas Mann va s'engager contre le national-socialisme dans un discours qu'il nomme « Un appel à la Raison » ; il appelle à s'unir autour de la social-démocratie, pour faire barrage au nazisme...
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Lancelot réussit à revenir le lendemain, avec Elaine, à Poschingerstrasse pour interroger Thomas Mann sur le livre qu'il classe parmi ses dix essentiels: ''La Montagne Magique'':
- « En 1912, ma femme souffrait d’une maladie pulmonaire, heureusement pas très grave; pourtant, il lui fallait passer six mois en haute altitude, dans un sanatorium de Davos. En mai et juin, j’ai donc rendu visite à ma femme pendant quelques semaines à Davos. Il y a un chapitre dans La Montagne Magique, intitulé « Arrivée », où Hans Castorp dîne avec son cousin Joachim dans le restaurant du sanatorium, et goûte non seulement l’excellente cuisine Berghof, mais aussi l’atmosphère du lieu et la vie « bei uns hier oben. » Si vous lisez ce chapitre, vous aurez une image assez précise de ma rencontre avec ce lieu étrange, et de mes propres impressions à ce sujet. Ces impressions sont devenues de plus en plus fortes au cours des trois semaines que j’ai passées à Davos... Ce sont les trois mêmes semaines que Hans Castorp devait à l’origine passer à Davos, bien que pour lui ils se soient transformés en sept années de conte ''magique''. Je peux même dire qu’elles auraient pu annoncer la même chose pour moi. L'une de ses expériences est un transfert assez exact à mon héros de ce qui m’est presque arrivé; je veux parler de l’examen médical du visiteur insouciant, et de la nouvelle qui en résulte, à savoir qu'il devient lui-même, un patient!
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En effet, j'étais là , au Berghof, depuis dix jours, et assis sur le balcon par un temps froid et humide, quand j’ai pris un coup de froid bronchique assez gênant. Deux spécialistes étaient dans la maison, le médecin en chef et son assistant, alors j’ai pris la décision de les consulter. J’ai accompagné ma femme au bureau, elle-même ayant été convoquée à l’un de ses examens réguliers. Le médecin en chef, qui ressemblait bien sûr un peu à Hofrat Behrens, m’a examiné et a découvert tout de suite un endroit soi-disant suspect dans mon poumon.
Si j’avais été Hans Castorp, la découverte aurait pu changer tout le cours de ma vie. Le médecin m’a assuré que je devrais agir sagement, c'est à dire rester ici six mois et suivre la cure. Si j’avais suivi ses conseils, qui sait, je serais peut-être encore là-bas! J’ai écrit Der Zauberberg à la place.
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« Le récit que j’ai planifié - et que j'ai immédiatement intitulé ''La Montagne Magique '' - ne devait être qu’un équivalent humoristique de la « Mort à Venise », un équivalent par son ampleur, c’est-à-dire une longue nouvelle... Son atmosphère devait être un mélange de mort et d’heureuse villégiature que j’avais éprouvé dans cet endroit étrange...
Quand je suis revenu à Munich, je me suis mis à travailler sur les premiers chapitres.
Puis, la Première Guerre mondiale éclata.
Il en a résulté deux choses : - cela a mis un terme immédiat à mon travail sur le livre, et - ce temps a incalculablement enrichi son contenu en même temps. Je n’y ai pas travaillé pendant des années.
Au cours de ces années, j’ai écrit Les Considérations d'un apolitique , une œuvre d’introspection douloureuse, dans laquelle j’ai cherché la lumière sur mes propres vues à propos du conflit. En fait, c'est devenu une préparation pour mon livre lui-même; une préparation qui a grandi énormément et consommé de grandes quantités de temps. Goethe a appelé un jour son Faust « cette plaisanterie très grave. » Eh bien, ma préparation concernait ce livre qui ne pouvait plus devenir une plaisanterie, ou une plaisanterie très grave...
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- Je comprends bien ce que Hans a pu ressentir... Il entre dans une nouvelle existence ; et, en relativement peu de temps, il se coupe de sa vie '' d'en-bas''.
- Exactement... Bien sûr, ce que j'ai décrit y compris la conception du temps, je l'ai faite à échelle réduite... Le traitement est long, sur plusieurs années; mais après les six premiers mois, le jeune homme n’a plus d'autre idée en tête que le flirt et le thermomètre sous sa langue. Après, encore six mois, il a même perdu la capacité de toute autre idée; il devient complètement incapable de vivre '' en-bas ''.
Des institutions comme le Berghof étaient un phénomène typique d’avant-guerre. Elles n’étaient possibles que dans une économie avantageuse pour les grandes fortunes qui fonctionnait alors. Ce n’est que dans ce cadre qu'il était possible pour des patients d’y rester année après année aux frais de la famille. La Montagne Magique est devenue le chant du cygne de cette forme d'existence.
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- Ce qui frappe le lecteur dès le début du livre, c'est que ''là-haut'', la notion de temps, change ... Joachim prévient Hans que tout ici devient étrange, en rapport avec la vie d'en bas... Le climat, et surtout le temps... Que sont trois semaines?: "trois mois sont pour eux ici, comme un jour"
- Oui, parlons du mystère de l’élément temps, traité de diverses façons dans le livre. C’est dans un double sens un temps romancé. D’abord dans un sens historique, en ce sens qu’il cherche à présenter la signification intérieure d’une époque, la période d’avant-guerre. Et deuxièmement, parce que le temps est l’un des thèmes du livre: le temps, traité non seulement comme une partie de l’expérience du héros, mais aussi en soi et à travers lui-même. Le livre lui-même est la substance de ce qu’il relate: il dépeint l’enchantement mystérieux de son jeune héros dans l’intemporel... Il essaie, en d’autres termes, d’établir un ''nunc stans'' magique ( un éternel-présent) pour utiliser une formule de la scolastique. Il prétend donner une parfaite cohérence au contenu et à la forme, à l’apparent et à l’essentiel; son but est toujours et constamment d’être celui dont il parle. »
- C'est tout à fait ça...! Le fond et la forme. C'est un livre '' magique ''!
1931 - L'Allemagne - 7 - Berlin
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C'est avec émotion, qu'au volant de sa berline Vivastella Lancelot et Elaine, entrent dans Berlin... Avant cela, ils ont eu la surprise de longer une suite de lacs et de plages, des coins isolés avec des naturistes ; et subitement, beaucoup de monde sur la plage de Wannsee.
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Avec l'unité de l'Allemagne (1871), Berlin est devenue à la mode. Avec la République de Weimar Berlin serait la '' ville la plus extraordinaire du monde'' !
Même après la Guerre, la vie culturelle devient brillante alors que la population est démoralisée par la défaite, privée de ressources de première nécessité, affaiblie par l'inflation et en proie aux heurts de factions révolutionnaires ennemies... A partir de 1924, Berlin renaît de ses difficultés, l'argent anglais et américain coule à flots... Chacun pense que la République est solide.
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Berlin qui n'a pas le passé de capitale, comme Paris, se développe et préfigure la modernité. Ce qui frappe, la propreté, l'animation des rues: il suffit de prendre un café au ''Cafe Kranzler'', pour le constater au carrefour le plus animé de Berlin: croisement de Unter den Linden et de Friedrichstrasse.
Lancelot tient à épater sa compagne et l'emmène au fameux Hôtel Adlon sur la célèbre avenue Unter den Linden. C'est le rendez-vous des hommes politiques, des journalistes, des écrivains, des artistes...
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Lancelot, finalement, en journée, trouve peu de temps pour visiter la ville, en compagnie d'Elaine. A l'ambassade il retrouve Xavier de Hauteclocque, qui passe quelques jours à Berlin, pour préparer un séjour plus long et s'intéresser au NSDAP. En soirée, il est chargé, tel un touriste français de visiter quelques lieux de sortie nocturne...
Elaine profite du confort hôtelier, puis de la capitale allemande, que ce soit dans les rues animées, jusque tard pour y voir la façade illuminée du grand magasin Hermann Tietz à la porte d'Hallesch ; ou en journée, flâner dans le Tiergarten, parc situé au centre de Berlin, et rêver devant l'étang aux poissons rouges, visiter le vieux Berlin...etc
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L'Eglise Kaiser Wilhelm rappelle la piété de l'impératrice. Cependant l'avant-garde prenait son essor ; n'oublions pas qu'avant la guerre, l'Expressionnisme est né avec Kandinsky...
On parle même de style Weimar. Avant la Guerre, les intellectuels croyaient en l’irrésistible marche en avant de l'humanité, forte du triomphe de la science.
Actuellement l'artiste qui fait scandale est George Grosz, il essuie divers procès, pour blasphème en 1928 et acquitté ; puis pour offense à la pudeur...
Dès que la nuit tombe un alignement impressionnant de globes lumineux s'allument d'un seul coup... La vie nocturne des cabarets, des théâtres, des cinémas prend le relais ; et tout ose se montrer sans distinction de classe.
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Pendant leur court séjour, Lancelot et Elaine goûtent les soirées qui se tiennent dans les hôtels, comme le Kaiserhof ou le Fürstenhof.
Le Kaiserhof est un hôtel, apprécié des diplomates et des aristocrates. Sa proximité avec le quartier du gouvernement en a fait un favori des politiciens.
On peut simplement boire un cocktail au bar de l’hôtel Eden considéré comme l’un des plus élégants de la ville, et les prix sont donc élevés. Des écrivains, acteurs et artistes à succès tels que Heinrich Mann, Albert Bassermann, Gustaf Gründgens ou Erich Maria Remarque, mais aussi des stars de cinéma comme Marlene Dietrich et Willy Fritsch se rencontrent ici.
Cependant, en 1931, le krach de Wall Street suivi de l'effondrement du commerce mondial remettent de nombreux chômeurs dans la rue... En effet, en mai 1931, avec la faillite d'une banque autrichienne, le krach financier touche l'Europe...
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À la merci de la fluctuation des devises, des voyageurs se trouvent coincés, n'ayant pas assez d'argent pour rentrer chez eux. Lancelot a croisé des jeunes hommes aisés d'Oxford, contraints de se présenter à l'ambassade parce qu'ils ne peuvent plus payer l'hôtel.
Des berlinois confirment que les gens ont peur de la pénurie et sont inquiets car i1s se souviennent de la période d'inflation.
Pour en revenir à la culture, L'Ange Bleu, sorti en 1930, et tiré d'un roman de Heinrich Mann, évoque la confusion qui règne dans l'âme allemande. La violence sous-jacente du film semble de mauvaise augure.
Avec le succès de son parti le NSDAP, Hitler tente de séduire l'armée et de la convaincre que ses propres troupes de choc n'ont aucune mauvaise intention à leur égard. De nombreux officiers pensent que la national-socialisme est peut-être le régime dont le pays a vraiment besoin.
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En octobre de cette même année (1931), Hindenburg rencontrera pour la première fois Hitler : « C'est – estime le président – quelqu'un d'étrange qui ne fera jamais un chancelier, tout au plus un ministre des Postes. ».
Hauteclocque tient absolument à ce que ses amis l'accompagnent dans un ''kneipe''; une sorte de pub où l'on boit de la bière et du schnaps. On échange facilement avec ses voisins; et dans l'arrière, des gens discutent politique ou jouent aux cartes. On peut même y danser, alors que cela n'y est pas autorisé.
On leur raconte le curieux accueil fait à Charlie Chaplin, qui est arrivé à Berlin ce 9 mars 1931, pour faire la promotion de son film ''Les lumières de la ville''... Des milliers de gens l'ont accompagné depuis la gare de Friedrichstrasse jusqu'à l'hôtel Adlon; mais parmi eux des nazis qui reprochent au '' juif Chaplin '' de détourner la jeunesse avec son personnage: Siegfried un juif, qui nuit à la race allemande...! Chaplin a quitté Berlin, plus tôt que prévu, sans attendre la présentation de son film...
Lancelot et Elaine quittent Xavier de Hauteclocque qui les invite tous les deux à son mariage avec Françoise de Pas, prévu le 5 décembre.
1930 - L'Allemagne - 6 - Weimar
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Il est important, pour Lancelot, de passer par Weimar. C'est ici, qu'en 1919 est ratifiée la nouvelle constitution de la République allemande; la même année un jeune architecte Walter Gropius fonde une école qui réunit les arts appliqués, et qu’il baptise le Bauhaus ...
Et surtout, Johann Wolfgang von Goethe (1749–1832), y a passé la plus grande partie de sa vie; et occupé des postes importants au sein du gouvernement jusqu’en 1786. En 1791, il est nommé directeur du théâtre de la cour de Weimar. Die Leiden des jungen Werthers (1774) est un roman épistolaire semi-autobiographique. Werther est un artiste sensible, mal à l’aise dans la société et désespérément amoureux de Charlotte, qui est fiancée à quelqu’un d’autre. Ce roman, avec le suicide du héros, a fait sensation dans toute l’Europe...
En 1786, Goethe visite l’Italie... Il revient guérit de ses goûts pour le '' Sturm und Drang '' et de ses idées sur l’art, au profit du « classicisme »...
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A Weimar, on y voit des maisons, de Goethe, de Schiller, de Nietzsche, de l'école du Bauhaus... qui sont devenus des musées.
L'hôtel - Gasthof Erbprinz - qui reçoit Elaine et Lancelot, est à la mesure de la ville: on ne compte plus les personnalités qui ont fait étape ici... En tant que français, ils ont la surprise d'occuper la chambre de Napoléon..!
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Entre ces murs, le grand-duc de Weimar Carl August, Goethe, Schiller et Wieland ont conversés... Des musiciens célèbres sont passés: Franz Liszt et Richard Wagner ensemble, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Hector Berlioz, Niccolò Paganini, Carl Maria von Weber. Plus récemment, les 21 et 22 septembre 1911, s'est tenu ici même, le troisième congrès psychanalytique réunit sous la présidence du jeune psychiatre suisse Carl Gustav Jung .
Sur la photo générale prise dans le jardin, on reconnait assise Lou Andréa-Salomé, et juste en-dessous de Freud, le hongrois Sándor Ferenczi; Jung est à droite de Freud...
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Enfin, sachez que ce bâtiment était la demeure, en 1708, de Johann Sebastian Bach - en tant que musicien de cour - et sa famille.
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La maison de Goethe, est une résidence de ville, avec un hall d'entrée imposant, des statues dans des niches et de larges escaliers... On discerne ici, un goût italien. Sa chambre est petite, avec un fauteuil confortable, où, le matin, Goethe prenait son café en lisant...
Son bureau, avec une table au centre, est très fonctionnel, et on imagine très bien Goethe et Schiller y travaillant...
Lancelot voit ici, en Goethe, l'idée de l'Europe de la Culture, avant d'être celle des états... Avec son ''Faust'' Goethe nous met en garde contre une folie que la sœur de Nietzsche n'a pas hésité à nous faire croire que son frère l'avait pensé... Si Friedrich Nietzsche, passa ses dernières années dans la ville de Weimar, il était alors gravement malade et souffrait de délires et d'aphasie...
Elaine et Lancelot aimerait se comparer à Lou et Nietzsche, quand ils vivaient à Tautenburg, les conversations, pouvaient durer dix heures par jour, et « nous mènent à ces abîmes », écrira Lou, « à ces lieux vertigineux que l’on a un jour escaladés seul pour sonder les profondeurs ». Ne pas oublier qu'à Weimar, la sœur du philosophe Elisabeth, veille sur les archives de Nietzsche... et qu'elle dénonçait déjà Lou comme "juive russe".
Élisabeth Förster-Nietzsche, de retour du Paraguay, après une faillite, et le suicide de son mari, se reconvertit avec une ''falsification '' de l'œuvre de son frère ( à sa merci), pour la rendre '' vendable et diffusable''.