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Les légendes du Graal
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La Chevalerie, l'honneur et la guerre de 1914. -1-

19 Novembre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Bernanos, #1914, #Guerre, #Chevalerie

Bernanos, comme J.B. sont des cavaliers, amoureux du cheval... Dans les dragons, ils pensaient éventuellement, affronter une mort glorieuse après une chevauchées lance au poing...

Bernanos est sorti anéanti de cette terrible expérience de quatre années. Loin de la gloire, il a rencontré le Mal... Ses romans, en particulier ''Sous le soleil de Satan '' et L'Imposture'' sont l'expression du combat spirituel au fond d'une tranchée... Une œuvre qui prend racine dans son enfance...

«  Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus. » dans 'Les Grands Cimetières sous la lune'

« Certes, ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la Maison du Père ».

« Pauvres petits garçons français, mis à la torture par les fabricants de morale civique, et qui n’auraient connu d’autre image de la France qu’un cuistre barbu qui parle de l’égalité devant la Loi, si le bonhomme Perrault – disons saint Perrault, puisqu’il est sûrement dans le Paradis ! – n’avait offert aux rois et aux reines exilés l’asile doré de ses contes, les châteaux du Bois dormant. Quel symbole ! les cuistres du siècle des cuistres poursuivant la majesté royale – leurs sabots à la main pour courir plus vite, les imbéciles – et la majesté royale déjà était à l’abri dans les pans de la robe des Fées. Le petit homme français, abruti de physico-chimie n’avait qu’à ouvrir le bouquin sublime, et dès la première page, il pourfendait les géants, il réveillait d’un baiser les princesses, il était amoureux de la Reine. [...] Je connais un jeune Lorrain de quatre ans qui, à ma demande : "Qu'est-ce qu'un roi ?" m'a répondu : "Un homme à cheval, qui n'a pas peur ! » : un chevalier ! » De 'Noël à la Maison de France', 1928, Essais et Ecrits de combat, I, Pléiade

Des contes, un roi, des chevaliers.... ? Ce n'est pas très sérieux.. !

« On peut faire très sérieusement ce qui vous amuse, les enfants nous le prouvent tous les jours.. » dit Bernanos... Adolescent, camelot du roi, il écrit - dans le journal Le Panache, revue royaliste illustrée, en 1907. - des nouvelles avec des chevaliers mourant à la guerre au service du trône de France. Pour Bernanos, la chevalerie c'est du sérieux...

Quand Bernanos parle d'Honneur, et pour donner corps au concept, il évoque la Chevalerie et le Moyen Age... Il n'est pas le seul...

 

Jeanne d'Arc et Maurice Barrès

Le chantre du patriotisme, son héraut : c'est Maurice Barrès (1862-1923)... Avant 1914, il est le maître à penser à droite et de certains à gauche...

« Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable. » Avis du jeune critique Léon Blum.

Avant et pendant la guerre, Maurice Barrès va être le 'propagandeur' de la guerre ; Romain Rolland le surnomme : « le rossignol des carnages... » Même à la fin de la Guerre, il reste le champion du « jusqu'auboutisme ».

Maurice Barrès est fasciné par les chevaliers, les croisades... En Orient, il en a cherché les traces ; et a exprimé son admiration dans '' Un jardin sur l’Oronte '', un roman qui présente dans un orient médiéval fantasmé, une histoire d'amour entre un chevalier et une sarrasine... En rapport avec la guerre, on peut y retrouver le goût de la gloire et de l'aventure.

 

Pendant toute la durée du conflit mondial, Barrès donne à L’Écho de Paris, des centaines d'articles... On peut lire, de Barrès, l'oraison funèbre de Paul Déroulède (1846-1914), en février 1914 ; il s'adresse au défunt : « Et maintenant, chevalier de la France, va rejoindre les grands chevaliers, tes pareils, la cohorte toujours accrue que mènent, depuis le fond des âges, les Roland, les Du Guesclin et les Bayard. » ( Chronique de la Grande Guerre, t. I,) Bernanos avait admiré Déroulède...

Il va comparer Péguy à Bayard, le capitaine Driant à Tristan ; et finalement tout soldat français... A un jeune soldat français, il écrit : « Cher enfant, Déroulède vous eût armé chevalier. […] je reconnais et salue (…) un des jeunes compagnons de Jeanne d’Arc, un de ces pages dont l’histoire n’a pas gardé le nom, et qui la comprenaient tout aisément, servaient sa gloire et sa tâche. » ( Chronique de la Grande Guerre, t.I )

Encore : … Nos soldats de 1914 possèdent intact l’héritage moral de nos vieux chevaliers (…). La civilisation des cathédrales n’est pas morte ! Nos soldats pratiquent toujours le code de la chevalerie et ses commandements précis. » ( Chronique de la Grande Guerre, t.I )

 

Enfin, Au printemps de 1919, à propos des aviateurs, Barrès notait dans ses Cahiers : « Les romans chevaleresques, vivre une vie de chevalier, conquérir le ciel, que cela est tentant ! Et de nos jours encore, je vois des gens qui réinventent une vie de chevalier »

 

Alors même que les armes parlent ; des spécialistes de l'art ou d'histoire rapportent que c'est en France, au Moyen-âge que la pensée chrétienne a trouvé sa forme parfaite ; au XIII e siècle, elle s'est exprimée au travers des cathédrales. Ils cessent d'employer l'adjectif ''gothique''... Les ravages exercés sur les cathédrales sont exploités dans la presse : la cathédrale blessée est souvent représentée, sous forme d’une allégorie féminine martyrisée... A la France : le Moyen Âge lumineux du temps des cathédrales et à l'Allemagne : les âges sombres des Grandes Invasions.

On retrouve la même symbolique en Angleterre et aussi aux Etats-Unis où la guerre est assimilée à une croisade contre le mal : c'est la « Pershing’s Crusaders »

 

Comme l'avait déjà observé Anne-Laure de Sallembier, et plus explicitement pendant la guerre, le chevalier arthurien est présenté comme le précurseur du gentleman britannique qui part à la guerre...

 

Jeanne d’Arc est un modèle pour tous les alliés : elle oppose à ses juges une foi inébranlable et symbolise le courage face au fanatisme. Sa vertu constitue l’ultime mode de l’expression chevaleresque.

Bernanos, décoré de sa croix de guerre, est défait... Le poilu n'est qu'un rouage d'une machine qui ne le considère que comme de la chair à canon. A la différence de Barrès, il ne s'est pas soustrait au destin tragique de sa génération.

L'après-guerre lui semble vide d'un pourquoi ? Pourquoi la guerre ? Pourquoi la Victoire ? Vide spirituel, et aussi intellectuel.

« De 1914 à 1918, l'arrière s'est parfaitement bien passé de nous. La mort de quinze cent mille des nôtres n'a rien changé à son aspect (…), je dis plus : ne fût-il pas revenu un seul d'entre nous, l'histoire de l'après-guerre n'en aurait pas été modifiée pour autant. Elle était faite par avance, et elle était faite sans nous ! » ''Les enfants humiliés: Journal 1939-1940''

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Mort au champ d'horreur...

14 Novembre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Guerre, #1914

Romain Roland (1866-1944) dénonce clairement comme responsables de la guerre les dirigeants de trois grands Etats : Allemagne, France, Grande Bretagne, ainsi que l’aveuglement et la complicité de leurs “élites” : clergé, enseignants, hommes politiques.

Dès 1915, il publie “Au-dessus de la mêlée” ; des articles considérés comme des actes de traîtrise...

Parodi lui reproche de n'avoir pas compris « que l’heure où une nation entre en lutte pour son existence ne saurait être celle de l’impartialité entière et de l’équité sereine », « Si la lutte ne se soutient que par la confiance en soi et l’enthousiasme, il est impossible de tendre toutes ses énergies contre l’ennemi et au même moment de s’attacher à le comprendre exactement et à le juger scrupuleusement : on dirait qu’à vouloir encore être avant tout clairvoyant ou juste, on se mette en dehors de son peuple et on ne soit plus entièrement patriote. »

Effectivement, Romain Rolland en Suisse, se permet une position, comme il le dit dans le titre, « au-dessus de la mêlée » ; c'est à dire au-dessus de la confusion... Il se situe hors conflit, et explique qu’il veut parler aux Allemands comme à des frères, de même culture, et qu’il refuse de succomber à l’animosité et à la haine.

Anne-Laure de Sallembier, par sa propre culture, ne comprend pas et ne partage pas l'argumentation belliciste de cette guerre. La durée du conflit, la maintient dans une retraite qui la coupe du ''grand monde'' qu'elle fréquentait... L'attente quotidienne, et l'angoisse de recevoir cette nouvelle de la mort de son compagnon, la maintient dans une mélancolie que seule la vie campagnarde peut lui permettre de supporter...

Cette nouvelle qu'elle redoutait, mais se préparait chaque jour à recevoir, est tombée avec la tournée du facteur, le matin d'une belle journée de printemps... Anne-Laure - n'étant pas l'épouse de J.B. (Jean-Baptiste de Vassy) - ne reçut pas la visite des gendarmes, ou du maire; mais une lettre de son colonel... Elle fut suivie de celle d'un ami pilote...

 

Les circonstances de la guerre, ont fait se croiser J.B. et Georges B.... Georges B. est alors journaliste, fortement engagé politiquement, il s'est fait remarqué par quelques articles... Et juste avant guerre, Léon Daudet, lui propose de diriger un hebdomadaire rouennais : l'Avant-garde de Normandie, avec l'objectif de le relancer... G.B. S'oppose – par presse interposée - à la bourgeoisie libérale, et aux radicaux-anticléricaux; et se distingue de Maurras qui, dit-il, méprise le peuple...

J.B. et Georges B. ont partagé ces premiers mois de guerre dans le même escadron de réserve des dragons.. Peut-être se sont-ils rencontrés sur ce qu'ils ont en commun, à savoir leur pensée politique et sociale, à contre-courant de l’idée courante et républicaine... Tous deux regrettent la dépossession progressive des états, au profit des forces industrielles et bancaires ; l'avènement triomphal de l'argent... Tous deux jugent sévèrement, la bourgeoisie qui s'enrichit ( la loi du plus fort...) et, l'Eglise qui qui ne s'y oppose pas... Si la société devient matérialiste, et athée ; elle sera amenée à devenir totalitaire, le politique se pliant aux règles économiques...

Tous deux échangent, sur leur compagne . G.B. vient de rencontrer Jehanne Talbert d'Arc ( descendante de Jeanne d'Arc) qui deviendra sa femme en 1917... J.B. sera resté fidèle à Anne-Laure. Indépendant, et passionné de sciences, il aura partagée avec elle l'essentiel : l'amour et la quête... Et, pour Lancelot, J.B. aura été et restera cette image paternelle fondatrice qui accompagne tout individu, s'il a eu la chance de grandir avec... Plus tard, Lancelot, se reposera sur ce lien tragique créé par la Guerre, pour retrouver en Georges Bernanos, non seulement des échos de son enfance ; mais un guide dans cette étrange période qui s'avère être une fin, et un début...

G.B. avant la guerre, vivait ses convictions dans l'action. Il croit avec Maurras, qu'il est possible de renverser la République. Il pense même, pouvoir faire une alliance avec des révolutionnaires pour proposer une synthèse monarchiste - sociale-syndicaliste avec un ciment chrétien. Bernanos fréquente alors le Cercle Proudhon, avec des disciples de Maurras, de Sorel et de Péguy... jusqu'en 1914 ; quand tous ces rêves furent humiliés !

G.B. et J.B. sont entrés dans les ténèbres de l'horreur ; tous deux dans les rangs du 6e régiment de dragons (anciennement les dragons de la reine … !).

 

C'est : 9,5 millions de morts ( + de 1,3 million en France) et disparus, soit plus de 6 000 morts par jour que l'on va comptabiliser..

Le sentiment qui empli la vie d'Anne-Laure de Sallembier pendant la Guerre, est la honte... Honte de cette brutalité, honte de ces hommes de pouvoir, intellectuels, savants et politiques... Honte de cette obscénité... Elle écrit même, quelque part, qu'elle ne comprends pas « que l'on puisse décréter indécente l'idée d'un corps de femme qui frémit d'aise ou de plaisir à la caresse d'un homme bienveillant, et non pas l'acte de guerre qui tranche le corps d'un homme, pour le rendre invalide ».. !

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1914 Comment justifier la Guerre ? 2

9 Novembre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1914, #Guerre, #Bergson, #Parodi, #Alain, #Philosophie

Et nos intellectuels ?

La Grande guerre va renverser le modèle ( jusqu'ici) ''dreyfusard '' et universel de l'intellectuel...

Aurions-nous perdu confiance en la civilisation européenne ?

Nos rencontres, nos débats, en Allemagne, n'exprimaient-ils qu'une partie de notre pensée, cachée derrière des apparences de civilité... ?

Henri Bergson

Nos discours aujourd'hui sont en rupture des réseaux

Henri Bergson, en séance de l’Académie des sciences morales et politiques : « La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage... »... Même Emile Boutroux, connaisseur de la philosophie allemande, présente la guerre sous le jour d'une croisade...

Les scientifiques se mettent au service de la nation en danger, en orientant leurs travaux sur de nouvelles armes

Sources : Les intellectuels français et la Grande Guerre, Christophe Prochasson

 

Le quotidien catholique La Croix, accuse la philosophie allemande, dont l'origine remonterait à Luther, pour donner Kant... Il dénonce le panthéisme officiel allemand, avec Fichte, Schelling, Hegel; et c'est Maritain qui affirme que Fichte nous montre « la liaison essentielle du pangermanisme avec la révolution luthérienne et kantienne ». Le philosophe conclut que « le poison panthéiste et hégélien a passé tout entier dans l’organisme intellectuel de l’Allemagne. […] A ce point de vue, on peut dire que c’est Hegel, avec derrière lui Kant et Luther, qui nous fait la guerre aujourd’hui. »

 

Dominique Parodi (1870-1955), professeur de philosophie, ( à Limoges de 1897 à 1899), - devenu inspecteur général de l’Instruction publique après la Première Guerre mondial - anticlérical, rationaliste et républicain ; s'interroge sur le ''problème moral'' de la Guerre, et tente de la justifier par la raison.

Agé de 44 ans, il n’est pas immédiatement mobilisable, mais il peut être appelé à servir dans la '' réserve de l’armée territoriale ''. Il est refusé à deux reprises par le conseil de révision... Il ressent une « angoisse de l’inaction» mêlée d’un sentiment de culpabilité...

Il s'oppose à toute mystique patriotique ( comme Bergson) ou guerrière...

 

Dominique Parodi face à ce qu'il nomme " la dimension spiritualiste et mystique de la morale allemande de la guerre '' défend la rationalité des principes de 1789 ; il tente d'identifier la « cause idéale (…) pour laquelle il vaut la peine de mourir et dont la défaite ferait qu’il ne vaudrait plus la peine de vivre. ». Il tente même de conjuguer : soumission à la censure, consentement intellectuel à la guerre et revendication d’une liberté critique à l’égard de certains discours bellicistes. Il reconnaît la faiblesse intrinsèque des démocraties en situation de guerre, lorsqu'elles restreignent la liberté d’expression ; mais la démocratie ne peut être incompatible avec une guerre patriotique et juste..

Dans cette guerre, il s'agit de montrer une '' altérité allemande irréductible '' et affirmer la légitimité d’une guerre du droit contre la force.

L'Allemagne justifierait sa guerre, par la suspension du droit au profit de la force ( brutale et divinisée...). La force crée le droit, une certaine nécessité fait loi. Ensuite le peuple allemand se considérerait comme un ''peuple élu'' ; à l'appui cette citation de Rudolph Eucken, l’un des philosophes allemands signataires du Manifeste des 93 : « Au peuple allemand, plus qu’à aucun autre peuple dans l’histoire, est confié le soin de l’âme intérieure et de la valeur propre de l’existence humaine. »

Il semble vrai que le vocabulaire employé par la propagande allemande soit celui d'un « combat pour l’existence » (Kampf um’s Dasein).

 

Finalement, Dominique Parodi refuse de voir la guerre comme moralement régénératrice, comme une réponse à la « crise morale » de l’avant-guerre.

Il semble que « la vie humaine a, du jour au lendemain, perdu toute importance», par nécessité la responsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle. La guerre demeure toujours « immorale », et doit être admise comme un « moindre mal ».

 

Le philosophe ALAIN ( pseudonyme d'Émile-Auguste CHARTIER) (1868-1951)

Brigadier artilleur, pendant la grande guerre, témoin d'atrocités, il publie un pamphlet ''Mars ou la guerre jugée''. Il témoigne que la guerre est le pire des maux : pire que l’injustice sociale et la misère… Pour ce qui est du soldat: « l’ordre de guerre a fait apparaître le pouvoir tout nu, qui n’admet ni discussion, ni refus, ni colère, qui place l’homme entre l’obéissance immédiate et la mort immédiate ».

Alain, impute aux humains la responsabilité de ces horreurs ; il ressent « le terrible remords d’avoir approuvé trop légèrement des discours emphatiques.. »

« La guerre prouve que ce sont les passions qui mènent le monde, et non pas la simple recherche de l’intérêt. L’homme est souvent prêt à tout sacrifier. D’ailleurs « si on explique la guerre par l’universel égoïsme, comment expliquera-t-on cet esprit de sacrifice sans lequel la guerre ne commencerait point ? » (Chap. XIX)

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1914 Comment justifier la Guerre ? 1

4 Novembre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #1914, #Guerre, #Union Sacrée

Au Moyen-âge, la mort fait partie de la vie... 1914, en ce temps de guerre, la mort semble réservée au ''front'' ( et là, elle est totale, civils et soldats...); à l'arrière - pour la famille - elle prend forme par la visite d'un officiel ou du facteur avec un courrier qui annonce une mauvaise nouvelle... La guerre, c'est la mort, continuellement présente dans nos pensées, et redoutée...

A Moyen-âge, la religion maintient la méditation autour des notions de périssable, d'éphémère... La mort touche toute personne, tout âge, toute condition... Que reste-t-il de la beauté et de la gloire humaines ? Alors on se plaint de la brièveté des choses terrestres et on espère dans le salut de l'âme..

 

Le maréchal Lyautey se serait exclamé le 3 août 1914, en apprenant la déclaration de guerre allemande : « Mais ils sont fous ! Une guerre entre Européens, c'est une guerre civile... C'est la plus énorme ânerie que le monde ait jamais faite ! » Il aurait repris cette phrase des carnets de Victor Hugo...

Nous savions que la guerre était imminente, mais nous n'y croyions pas ; et nous n'étions pas prêts...

Comment la justifiaient-ils … ? Pour résumer : « Nous combattons pour le droit et la civilisation. »

 

« C’est l’Allemagne qui porte, devant la conscience des peuples et la justice de Dieu, la responsabilité de cette lutte gigantesque. » Mgr Quillet (évêque de Limoges)

Commençons par le sacré ; en effet, il y a un mythe de la guerre, elle serait chargée de sens et de sacré ; et c'est dans cette ''mystique'' de la guerre la raison profonde du consentement au conflit, puis à la violence extrême... Ensuite, cela se décline en une perspective de victoire rapide, une sanctification du soldat ''héroïque'' et une diabolisation de l'ennemi par les atrocités qu'il commet...

Dans le temps, la propagande et la censure seront nécessaires ; même les combattants obéiront plus aux ordres par contrainte que par consentement...

Le clergé, plutôt hostile à la République, se porte présent au front, d'ailleurs les poilus réclament des prêtres pour se réconcilier avec Dieu... L'antisémitisme, lui-même semble être une page qui se tourne...

Fin juillet, La Croix, écrit que la France est « admirable » par son sang-froid, son « patriotisme indomptable et accepte la guerre sans la moindre faiblesse ». Le 1er août, La Croix écrit : « Notre unique pensée est pour la France […] C’est sur la France, malgré le gouvernement athée et persécuteur qui la défigure, que nous appelons les bénédictions du Très Haut. »

Le 6 août, La Croix, salue la formule de Raymond Poincaré : « l'Union sacrée » ; et le 19 août affirme avec satisfaction qu’en « redevenant tout à fait française, l’âme nationale se retrouve catholique ».

Face à l'avancée allemande vers Paris, Dans La Croix, Mgr Baudrillart explique que la crise actuelle est une crise philosophique, morale et religieuse ; l’alcoolisme, la stérilité volontaire, l’amour du plaisir, le matérialisme pratique, l’individualisme sont les causes de nos malheurs.

L’évêque d’Orléans, Mgr Touchet présente  le 2 février 1915 : Un catéchisme bref sur la guerre, composé de huit propositions fondamentales : 1° Dieu aime les soldats ; 2° Dieu qui aime les soldats n’aime pas cependant la guerre ; 3° Dieu n’aime pas la guerre mais la permet ; 4° Dieu permet la guerre parfois, mais l’interdit parfois ; 5° Dieu ne veut pas que la guerre soit conduite avec barbarie et dans l’oubli des principes de la loi morale ; 6° Aux nations qui violent la loi morale, Dieu inflige dès ici-bas un châtiment ; 7° La guerre doit aboutir à la paix, solide, durable ; 8° Tout le monde doit contribuer à la guerre dans les limites de ses moyens.

 

Le ''Grand Monde'' , généralement se caractérise par ses réseaux transnationaux. Il les ignore à présent, comme d'ailleurs la gauche internationaliste qui, intériorisant l’idée de nation, rallie elle aussi l’Union sacrée... Les grandes familles nobles, vont payer un lourd tribu à la guerre. L'aristocratie s'engage massivement dans la guerre à tous les échelons de la hiérarchie militaire, elle est très largement majoritaire parmi les officiers subalternes... Les jeunes officiers nobles sont fidèles à la cavalerie, mais qui s'avère peu efficace dans une guerre de position ; aussi, beaucoup vont se tourner vers l'aviation pour valoriser l'aspect glorieux de l'engagement... Georges de Morant a estimé qu’en 1916, 23% des nobles mobilisés ont été tués au front.

 

Cependant, les théâtres parisiens ont rouvert leurs portes dès la fin de 1914... S'agit-il de montrer aux ennemis que Paris ne s'inquiète pas... ? A moins que la haute société ne se libère de sa culpabilité à jouir de la vie pendant que d’autres meurent dans la boue... ? Même les soirées philanthropiques données à l’arrière par les femmes du monde tentent de prolonger un mode de vie d'un autre temps... Les femmes du monde continuent de se retrouver dans les stations à la mode, dans les grands hôtels et les villas.

A partir de 1914, la pression fiscale sur les hauts revenus du capital, va apparaître avec l'idée de redistribution des richesses...

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La Grande Guerre, Myrrha Borodine et le Graal. -2-

30 Octobre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Graal, #La Quête du Graal, #Myrrha Borodine Lot

Le Conte du Graal ( Chrétien de Troyes) - La procession du Graal.

La question de la porteuse du Graal. Le vase eucharistique est entre les mains d'une « demoiselle bêle et gente et bien asesmee » ; ce qui signifierait pour les ''folkloristes'' qu'il n'est pas signe chrétien, mais celte, puisque les femmes au Moyen-âge ne pouvaient porter le ciboire...

La réponse de Myrrha, est que tout, ici, est symbole ; et la porteuse du Graal est ici la « figure » de l'Église. Figure fréquente « d'une femme belle et d'allure noble, parfois couronnée, parfois nimbée seulement, personnifiant la Nouvelle Loi, en opposition à l'ancienne, à la Synagogue aux yeux bandés »...

Nous avons plusieurs exemples de cette représentation dans nos églises...

 

Pour ce qui est du Graal, le chrétien y voit ce qu'il contient : l'Hostie ou le Christ de la Présence réelle, et la Lumière qui en émane, manifeste la divinité...

- Et, le Graal chez Chrétien est-il saint en lui-même ou seulement à cause de son contenu?

Pour le chrétien, il s'agit d'un objet rituel, ''sacralisé'' lorsqu'il est en service ; mais ce n'est pas un objet ''magique'' en soi... Robert de Boron, en fait une ''relique'', puisque le Christ y mangea, et Joseph d'Arimathie y recueillit le sang des plaies du Christ...

Le Graal étant le ciboire, le tailloir doit-être la patène, sur laquelle s'effectue la fraction de l'hostie, au moment de la préparation des espèces. Le Graal ne contient que l'Hostie seule... La Lance, qui représente le principe de permanence, saigne perpétuellement et elle ouvre la marche au Château du mystère eucharistique.

Nous sommes à l'époque de l'apparition d'un nouveau culte : l'élévation-adoration de l'Hostie ; dévotion spécifiquement occidentale née au milieu du XIIè siècle, devenant plus tard l'Ostension, ce qui fut l'origine de la future Fête-Dieu.

Le cortège du Graal, offre un signe '' la Lance qui saigne'' ; et qui nous renvoie à la relique de la célèbre Lance d'Antioche rapportée en France dès la première Croisade.

La Lance, saigne, pleure le sacrifice et représente la Source du fleuve de rédemption qui va laver le monde : elle désigne le Baptême et l'Eucharistie.

Pour Myrrha, se noue une longue chaîne de symboles de l'arbre de vie du jardin d'Eden à l'arbre de la Croix ; et c'est toujours le double registre de l'intelligible et du sensible où s'épanouit le symbolisme originel singulièrement apte à saisir les rapports secrets des valeurs.

« Le fruit qu'Adam n'a pas goûté (celui de l'Arbre de Vie) a préfiguré le Corps du Seigneur qui aujourd'hui est posé sur votre langue et dans votre coeur» hymne de communion d'une liturgie jacobite syrienne...

C'est la même Lance qui tue et qui rend la vie, blesse, guérit et sauve...

 

N'oublions pas Perceval, malheureux spectateur d'une scène qu'il ne comprend pas...

 

Dans le Conte du Graal, Perceval, jeune homme impatient quitte brutalement sa mère, la Veuve-dame... A un jet de pierre, il se retourne et voit derrière lui sa mère qui vient de choir « pâmée » à l'entrée du pont-levis : elle gît là comme morte. « D'un coup de baguette, Perceval cingle son cheval sur la croupe : la bête bondit et l'emporte à grande allure parmi la forêt ténébreuse»... Le souvenir de ce corps inanimé va l’accompagner, et le culpabiliser...

Je ne reviens pas ici, sur tous les épisodes du conte, mais me questionne avec la lecture qu'en fait Myrrha, sur son aventure au Château du Graal.

Perceval se tait, alors qu'il ne manque pas de curiosité, il brûle du désir de connaître et d'interroger sur l'énigme du Cortège... Il se tait, parce que le prud'homme, Gornement de Gorre lui a enjoint de se méfier de parler : « Ne parlez pas trop volontiers. Qui parle trop prononce des mots qui lui sont tournés à folie. Qui trop parle fait un péché, dit le sage. »

D'ailleurs, comment pourrait-il savoir qu'il existe un lien entre ce défilé auquel l'assistance ne prête pas la moindre attention, et l'infirmité, si discrètement avouée, de l'hôte royal qui préside le magnifique festin

 

Ce qui hante Perceval, c'est sa mère, sa chute et ce qu'elle est devenue...

« Sans cesse il fait prière à Dieu, le Père Souverain, Lui demandant, s'Il le veut bien, de trouver sa mère en bonne vie et en santé. ». Il priait toujours quand, descendant d'une colline, il parvient à une rivière. L'eau en est rapide et profonde. Il n'ose s'y aventurer. "Seigneur, s'écrie-t-il, si je pouvais passer cette eau, je crois que je retrouverais ma mère si elle est encore en ce monde! »

 

Après sa visite ''manquée'' au château sa cousine inconnue, lui annonce à l'improviste la cruelle nouvelle : sa mère est morte de douleur « au chief du pont » où il l'avait vue tomber, où il l'avait abandonnée. Mort, qui de fait est la cause profonde de sa mésaventure au Château... Et c'est à présent, que le mystère lui est révélé, tout au moins en partie...

II lui fallait poser la double question libératrice, - pour le Graal, «.cui an an sert», et – pour la Lance, pourquoi saigne-t-elle ?

Son échec est lié à son « péché » … Péché ne signifiant pas une faute liée à la morale, mais à la culpabilité d'un acte ''existentiel'' qui n'était pas juste...

 

A présent... Le passé est bien mort pour lui. A nouveau il s'engage, plus seul que jamais, sans but devant lui, dans la Gaste forêt aventureuse. La rémission, la rédemption est par là...

 

Puis, un épisode que j'aime bien …. Celui des '' trois gouttes de sang sur la neige fraîchement tombée ''… Il voit le visage de la bien-aimée. Rêverie profonde, véritable extase à rapprocher de l'état de transe quasi mystique de Lancelot, dans La Charrette, à la vue subite de la reine Guenièvre, prisonnière de Méléagant, à la fenêtre de sa tour. Le même Lancelot - cette fois dans la Queste - se retrouve dans un état semblable, plus profond encore, lors de son unique vision du Graal.

 

Pour Perceval, c'est le retour prochain à Dieu et à l'Église, avec la rencontre d'un groupe de nobles pénitents, hommes et femmes, tous pieds nus. « Un des chevaliers, surpris péniblement par l'attitude de défi du chevalier, aborde l'impie qui n'a même pas désarmé « au grand jour où Jésus-Christ est mort pour nous»; et il lui parle gravement, rappelant en termes émus ce que fut, ce qu'est la Passion rédemptrice. Perceval l'écoute avec une attention passionnée, intense. A coup sûr, c'est la catéchèse la plus complète qu'il ait entendue de sa vie. L'effet en est instantané, foudroyant : « Et cil qui avoit nul espans/de jor ne d'ore ne de tans/tant avoit an son euer ennui » revient à lui subitement. C'est son chemin de Damas, c'est l'éblouissement de la Grâce. Et les larmes du repentir jaillissent, tombent en rosée sur ce cœur endurci et aride.

 

Perceval rejoint au plus vite un ermite ; et après deux jours de jeûne, ordonné comme pénitence, et de recueillement auprès de cet oncle-ermite, qui révèle à Perceval une partie du mystère eucharistique dont il fut l'aveugle témoin, le chrétien réconcilié communie - très probablement la première fois de sa vie - au matin de la Résurrection pascale.

L'exhortation du saint vieillard tient en trois mots : « Dieu croi, Dieu aime, Dieu adore » Puis, c'est l'oraison que l'ermite souffle à l'oreille à Perceval, si elle est de l'ordre du mystère, elle n'a rien à voir avec de « segretes paroles » du ''Joseph'' que doivent se transmettre les gardiens du Graal.

Ici, l'oraison a un caractère personnel intime : prière secrète d'intervention ou de secours immédiat d'une âme en péril : L'initiation propre, la voilà; c'est la Grâce renversant le dernier obstacle à sa libre expansion, ouvrant la vie et rendant la pleine liberté au vouloir humain.

 

De toute évidence, le premier en date des héros du Graal, Perceval, présente - face à Gauvain, incarnation du chevalier « terrien » - le type même de l'homme providentiel qui, à travers le sombre passage («Perceval»), poursuit seul la route de la souffrance purificatrice. Pour cette raison, il atteindra le but lointain, achèvera un jour ici-bas sa mission.

Sources : ( Le Conte del Graal de Chrétien de Troyes et sa présentation symbolique, par Myrrha Lot-Borodine)

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La Grande Guerre, Myrrha Borodine et le Graal. -1-

25 Octobre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Grande Guerre 14-18, #Myrrha Borodine Lot, #Graal, #La Quête du Graal, #Moyen-âge

Le père Degoué, simple abbé de Mayenne, représente ces amateurs anonymes qui après 1900, collectent par voie orale, littéraire ou souvent par les archives paroissiales, des témoignages sur les légendes locales... On les nomme ''folkloristes''; ils font partie de sociétés savantes et sont amenés à élargir leur recherche en empiétant sur l'Histoire...

Parallèlement et sans contact avec les précédents, l’université a développé avec prestige une discipline comme l'Histoire : discipline chargée d'un discours unificateur et moral sur le passé national ; lourde responsabilité en ces temps de conflit...

 

1914 : les historiens s'engagent à faire connaître les actuels ''crimes allemands'' en Belgique et dans le nord de la France... Ils se chargent d'expliquer comment les allemands se sont exclus de la civilisation et sont retournés à l'état de barbarie morale... Nous sommes dans la lignée d’Ernest Lavisse et d’Émile Durkheim...

Les historiens ''médiévistes'' ont dans le sein de la faculté une place d'excellence ; « ils apparaissent comme les détenteurs d’un savoir sur les origines de la nation qu’il faut désormais exhumer, approfondir et transmettre » ( Agnès Graceffa - Université de Lille  )..

 

La mobilisation, bien sûr, touche de façon importante les jeunes étudiants et chercheurs médiévistes.. En 1915, aucune thèse n’est soutenue à l’École des Chartes. Alors que le nombre moyen, avant-guerre, atteint presque la vingtaine, deux seules le sont en 1916. Les femmes sont devenues majoritaires, parmi les diplômés... Ferdinand Lot continue ses cours, même s'il est contraint parfois de les annuler faute d'auditeurs...

Ferdinand Lot (1866–1952) est un médiéviste de renommée internationale, chartiste, professeur à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) et en Sorbonne (1909), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1924).

F. Lot est qualifié de non-conformiste... Il partage avec les étudiants les résultats de son travail, et réalise avec eux un authentique enseignement de recherches. Ouvert d'esprit, le maître ne craint pas de s'engager... A côté de ses recherches historiques, il publie dans les annales de Bretagne et consacre des études approfondies à la littérature arthurienne et à la question du Graal.

Pendant ces années, il travaille en collaboration avec son épouse à un ouvrage important sur le Lancelot-Graal, qui paraîtra en 1918...

En 1909, Ferdinand Lot a épousé une jeune fille née à Saint-Pétersbourg 27 ans plus tôt : Myrrha Borodine. Venue en France pour préparer une thèse sous la direction de Joseph Bédier, elle devient une spécialiste de la littérature courtoise du Moyen Age.

Le couple va beaucoup recevoir en leur domicile - 53 rue Boucicaut, à Fontenay-aux-Roses - en particulier bien-sûr des membres de la communauté russe ; mais aussi des étudiants, des amis... Et en cette fin d'année 1914, Ferdinand Lot et sa femme vont participer à la création d'une institution créée en janvier 1915 pour accueillir les réfugiés du nord de la France et de Belgique. Situé à quelques mètres de son domicile, le Refuge Franco-Belge fonctionnera jusqu'en 1919.

Des réfugiés belges à Paris en 1914

 

En effet, fuyant l'avance allemande, 1/5 de la population belge (entre 1.300.000 et 1.500.000 personnes) va trouver refuge à l’étranger.

Anne-Laure est au courant de l'engagement de son amie Edith Wharton, l'écrivaine met à profit sa fortune pour aider les réfugiés à Paris...

Est-ce par le biais du refuge franco-belge directement, ou par l'intermédiaire d'une prise de contact du père Degoué, avec F. Lot sur le ''Lancelot''... ? Anne-Laure de Sallembier va recevoir à Fléchigné plusieurs familles belges, qui permettront d'ailleurs de continuer les travaux de la ferme, malgré l'absence des mobilisés...

Également, la région ouvre plusieurs hôpitaux de réserve, et beaucoup de femmes viendront y donner un coup de main, jour et nuit...

 

Savoir qu'un professeur d'université, un érudit, comme M. Ferdinand Lot s'intéresse à la Légende arthurienne, permet d'expliquer que la question n'est pas seulement d'ordre folklorique... D'ailleurs c'est naturellement que l'importance du Graal va être comprise et étudiée sur le niveau spirituel par la femme du professeur F. Lot, Myrrha, de confession orthodoxe.

En 1909, année de son mariage, elle suit les cours de Joseph Bédier et travaille une thèse sur La femme dans l’œuvre de Chrétien de Troyes. Pendant la guerre, elle collabore aux Etudes sur le Lancelot en prose, qui sera publié par F. Lot en 1918...

La rencontre de l'abbé Degoué avec Myrrha Lot-Borodine (1882-1954), va être décisive pour la suite de notre Quête...

 

Myrrha Borodine, née à Saint-Pétersbourg est issue d'une famille russe intellectuelle. Elle s'intéresse à la littérature courtoise du Moyen-âge. Avec son mari, elle entre dans le ''Cycle Arthurien'', puis dans la « haute aventure » du Graal, et se voue à ce type d'études.

Avec Etienne Gilson, elle approfondit la mystique cistercienne et l'apport de Saint Bernard.

Gilson reprend la spiritualité de Bernard, et parle de l'Amour du Bien qui subsiste en nous malgré le ''péché'' ; bien sûr l'amour est d'abord imparfait, en particulier avant de connaître Dieu – Bernard de Clairvaux (1090–1153) identifie, « aimer » Dieu, à « penser » Dieu ... Cet apprentissage à connaître Dieu, conduit Myrrha à décrire un processus de restauration, qui prend en compte que l'homme est fait à « l'image et ressemblance » de Dieu ; l'humain est appelé à une « divinisation »...

Myrrha retrouve symboliquement cette quête du Divin, dans le ''service d'amour '' courtois de la Dame... La Quête revient à chercher le secret de l'Amour ; et au Moyen-âge – et c'est très important - le signe ou symbole est réalité substantielle...

La table d'argent sur laquelle est posée le Saint Graal, est le symbole de la liturgie eucharistique

 

- Myrrha, comment en êtes-vous arrivée à La Quête... ?

- Il y eut pour moi le Moyen-âge énorme et magnifique: le roman courtois qui passionna ma jeunesse. Ensuite à l'âge de la maturité, l 'épopée mystique du Graal, quête des suprêmes valeurs par l'âme médiévales. Puis les études sur la spiritualité gréco-orientale s’imposèrent à moi durant de longues années. 

- Vous êtiez croyante... ?

- J'avais abandonné longtemps avant mon mariage toute pratique religieuse dans mon Eglise-mère

Mais, la Quête, m'amène à chercher et préciser les éléments fondateurs de la foi chrétienne.

- Quel élément, par exemple, vous permet de joindre le Graal à la foi chrétienne ?

- et bien … La Theosis chez les Pères grecs... C'est à dire cet appel de l'homme à rechercher le divin : on peut le nommer divinisation ou déification...

Recherche signifie aussi erreurs... Les leçons d'Etienne Gilson ou de Paul Alphandéry (1875-1932, historien et spécialiste du christianisme médiéval ) m'ont questionnée sur les dérives, les erreurs qui peuvent facilement se propager dans une religion

( sources : Ma mère, Myrrha Lot-Borodine. De Marianne Mahn-Lot )

 

Myrrha Borodine, sans rejeter l'apport celtique, fait du Graal un élément chrétien. Pour elle, les valeurs propres des deux civilisation sont foncièrement dissemblables ; et c'est le fond de l'argumentation de ses critiques folkloristes...

Il s'agit donc pour Myrrha de découvrir le sens d'une œuvre portant l'empreinte du génie médiéval fécondé par l'Église...

Pour cela, il faut tenter de comprendre la nature particulière du symbolisme au moyen âge, qu'elle rapproche à quelque chose que l'on connaît aujourd’hui : la spiritualité liée à patristique de l'Orient chrétien...

Le ''signe qui s'offre aux sens '' est une réalité substantielle exprimant l'essence même de la chose représentée. Le signe opère ce qu'il est, ou, le signe réalise ce qu'il symbolise... La réalité spirituelle se substitue au signe ; c'est ce qui s'exprime dans la transsubstantiation...

 

Un tel symbolisme, ne peut pas s'imposer, il nécessite de la part de celui ou celle qui veut en faire l’expérience, une libre création et nécessite « l'approfondissement des plans successifs sur lesquels il se projette tour à tour déclenchant le mouvement des « similitudes et senefiances », si chères aux auteurs des diverses versions de la Légende du Graal... » Aussi, faut-il admettre un symbolisme à plusieurs dimensions, qui monte de l'image au conceptuel et finit par embrasser la totalité des phénomènes s'offrant à un œil intérieur.

Toutes ces ''figures'' qui nuancent les vérités, tissent la Légende du Graal...

Légende, qui fait revivre le Mythe chrétien « par une méthode d'introspection intuitive (Einfühlung) adhérant au sujet en pleine et compréhensive sympathie. » Par exemple, nous pouvons dire que ce paysage est triste, au lieu de dire qu'il nous rend triste... ''Einfühlung'', introduit en philosophie en 1873, vient des romantiques allemands ( Robert Vischer (1847-1933), Theodor Lipps ); on le retrouve également dans l'empathie....

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L'Histoire de Lancelot, du pays de Passais -6- La Légende arthurienne

20 Octobre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Lancelot, #Fraimbault, #Mayenne, #Fléchigné

Il semble qu'il ait existé des récits antérieurs, puisque presque simultanément nous retrouvons le personnage de Lancelot, chez un autre auteur, Ulrich Von Zatzikowen, avec le '' Lanzelet ''..

Ulrich von Zatzikhoven mit Brille

Là aussi, nous avons une idée pour expliquer l'unicité des sources du même personnage... Ulrich von Zatzikhoven, prétend tenir le modèle et l'intrigue d'un modèle anglo-normand... Ce serait , en effet, un chevalier venu d'Angleterre, Hugues de Morville, qui les lui aurait soumis...

 

De retour de croisade, le duc Léopold V de Babenberg capture Richard 1er... Le roi d’Angleterre est ensuite prisonnier de l’empereur Henri VI au château de Trifels du 21 décembre 1192 au 4 février 1194. L’empereur le libère, échangé contre d'autres otages et un premier versement, en février 1194. Parmi ces otages : Hugues de Morville lord de Burgh-by-Sands. La vieille histoire de Lancelot se trouvait dans les bagages du baron d’origine normande, possiblement apparenté aux grands connétables d’Ecosse.

Le Roi Arthur et Lancelot

 

Revenons à la figure de Lancelot, personnage important de la Légende arthurienne. Il semble inconnu des récits anciens gallois, et du Brut de Wace ( 1155) - (Ce roman dédié à la reine d’Angleterre Aliénor d'Aquitaine relate l’histoire de l’ancêtre qu'il dit supposé du roi Henri II Plantagenêt, Arthur.)

Chez nous, il apparaît avec Chrétien de Troyes, dans Erec, et surtout dans le ''Chevalier à la Charette '' (vers 1170). Le thème ( en particulier son amour pour la reine Guenièvre...) lui est fourni par la Comtesse de Champagne ( fille de Louis VII et d'Aliénor d'Aquitaine)... Elle devait connaître cette histoire de la tradition des lais et des romans gallois ou anglo-normands antérieurs à l’œuvre de Chrétien...

D'ailleurs, nous l'avons vu, le personnage est déjà connu dans le Lanzelet d'Ulrich von Zatzikhoven. Et nous en apprenons un peu plus, à savoir : la dame du lac ( une ondine versée en magie...) emporte Lancelot enfant dans son pays marin « où elle règne sur dix mille dames dont aucune n'a vu d'homme ni connu son étreinte. »... La fée avait un projet : comme elle savait qu'il serait un chevalier sans pareil, et elle le destinait à délivrer son fils Mabuz de son puissant ennemi et voisin, le géant Iweret de Dodone. Lanzelet est élevé dans le pays de féerie. A l'âge de quinze ans, la fée lui apprend que le moment est venu pour lui de revenir dans le monde des mortels...

Son origine est gauloise, ses parents règnent sur une province de Gaule... Son nom qui fait donc référence à la Lance, évoque plus le monde celtique, que le monde romain.

Il devient au XIIIe siècle (1215-1235), le héros principal du '' Lancelot en prose '' ( ou Le Lancelot-Graal ).. Écrit en langue romane par un (ou plusieurs) auteur(s) anonyme(s), le récit s'étoffe: on lui donne une famille, un royaume, ainsi qu'une descendance et de nombreuses péripéties. Viviane est la fée marraine de Lancelot qui a enlevé l'enfant à ses parents pour l'emmener dans son royaume sous les eaux...

Lancelot et Guenièvre

 

Lancelot, le meilleur chevalier du monde, aurait pu être celui qui reprend le royaume d'Arthur et son épée, qui accomplit la Quête du Graal ( son premier nom est Galaad...)... S'il n'y avait pas adultère... !

Lancelot est fidèle à Guenièvre, à qui il doit d'avoir été fait chevalier... Guenièvre dans le monde celtique représente la souveraineté ; et c'est lui qui la sauve quand elle est enlevée par Méléagant. C'est en son nom qu'il se montre vainqueur dans tous les combats ; aussi, en concurrence avec le roi ; il se montre donc en égal ! Invincible ? Non... Lancelot est trompé par plusieurs femmes : Morgane, la Dame de Malehaut, la fille du Roi Pêcheur qui prenant l'apparence de Guenièvre devient la mère de son fils Galaad...

Lancelot - personnage complexe, héros ( presque parfait..) trop humain - prend conscience de son échec... Il reste un étranger, et rejoint la figure de l'ermite, en se retirant dans un monastère...

Lancelot est la maître du Passage, il lève les enchantements et libère celles et ceux qui en sont prisonniers, passent les frontière de l'autre-monde, finalement il quitte la chevalerie pour l'ermitage... Lancelot est attaché à la Lance. A Perceval (ou Galaad) est attribué le Graal ( du moins comme gardien)...

Ce rapprochement, dans la construction légendaire du chevalier Lancelot avec l'ermite Saint-Fraimbault de Lassay ; bien-sûr est récente ( relevée et argumentée, aujourd'hui, par Georges Bertin) et m'interpelle fortement, puisque si on relève que le choix du prénom du fils d’Anne-Laure de Sallembier - Lancelot, donc - rappelle cette Quête du Graal commencée il y a bien longtemps, comme on peut le lire ici... Cette Quête rencontre fortuitement plusieurs indices importants - autour du trèfle - comme des signes favorables...

- A Fléchigné, au-dessus d'une fenêtre, près de l'entrée principale du logis, on remarque un blason, sculpté avec bande et en chef et en pointe un trèfle.

Et sur le linteau de la porte est sculpté un triangle dominé par la figure d'un trèfle ( photos ci-dessous).

- Lancelot est représenté dans notre jeu de cartes ordinaire, comme étant le valet de trèfle...

- A l'Eglise de Saint-Fraimbault-de-Lassay, sur un mur extérieur, on peut voir la dalle funéraire présumée de l'ermite, portant la Coupe et le Trèfle...

 

A Fléchigné...

Où Lancelot découvre son nom: et, c'est précisément au détour d'une pierre tombale...

Voici ce qui est raconté dans la Vulgate, et en particulier le Lancelot : c'est lors de l'épisode de la ''Douloureuse garde'' que les habitants étant libérés des démons par le ''Blanc Chevalier'', le conduisent au milieu du cimetière où se trouve une dalle. Il y est gravé que le conquérant du château sera le seul à pouvoir la soulever et qu’il y trouvera son nom. Le Blanc Chevalier soulève facilement la dalle et lit cette inscription : « Ci reposera Lancelot du Lac, le fils au roi Ban de Benoïc ». Le Chevalier a désormais un nom et un blason.

Pour Lancelot ''de Fléchigné'', ce temps de retrait occasionné par la Grande Guerre, lui permet de s'identifier à Lancelot de Benoïc ; par cet éloignement des attitudes glorieuses partagées alors par une élite - comme la mère de Perceval, l'éloigne de la vaine gloire des chevaliers dont ont déjà été victimes son père et ses frères, et le retient en forêt, ou – comme le fils du roi Ban de Benoïc est soustrait à la guerre par la Dame du Lac... De plus, si Lancelot découvre son nom au dos d'une pierre tombale, le fils d'Anne-Laure va acquérir la maturité pour comprendre la réalité, l’ampleur de la Quête, et le lien qui l'unit à elle ...

 

C'est ainsi, que l'abbé Degoué, va s'emparer intellectuellement et religieusement du contenu de la légende du Graal; et préparer Lancelot à affronter ce nouveau monde qu'ouvre la fin de la Grande Guerre, et la continuer en ce siècle...

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L'Histoire de Lancelot, du pays de Passais -5- La Légende arthurienne

15 Octobre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Lieux de légende, #Perceval, #Lancelot, #Fraimbault

Pour nous, lecteurs, c'est au XIIe siècle que tout commence... C'est le temps de la transcription des légendes arthuriennes.. Elles deviennent mythes ( avec le Graal...), parce qu'elles sont l'expression mystérieuse d'une ''foi'' en ce temps là.... Je dis ''légendes'', parce qu'elles s'appuient sur des personnages, sur des lieux, qui ont laissé des traces...Il suffit de se promener autour de chez soi, pour rencontrer leurs sépultures, les localités, ou les châteaux où ils ont vécu, les chapelles ou églises qu'ils ont fondé...etc

Quand un lieu incarne une histoire qui vient de loin dans le temps, cette histoire devient une légende... Il ne s'agit pas ici de croyance, mais de l'aptitude à ressentir en soi, l'action d'une symbolique qui s'exprime à travers des images, des histoires, de la musique, de la peinture ...etc

 

L'ermite est une figure essentielle dans les récits autour des chevaliers de la Table Ronde. Il peut être lui-même un ancien chevalier ; il fournit l'accueil spirituel, le logis et même une formation...

Perceval, après son échec au château du Roi Pêcheur, alors que cinq années ont passé pendant lesquelles il s'est illustré par des exploits chevaleresques, semble avoir oublié, sa quête, Dieu et la religion... Perceval rencontre sur son chemin, trois chevaliers et dix dames qui portent le capuchon et marchent pieds nus, en acte de pénitence, ils lui apprennent que ce jour est le Vendredi Saint, et lui reprochent sa conduite... Enfin, ils lui indiquent comment aller chez un ermite.

Perceval décide de se repentir de ses péchés et va chez l'ermite... Il apprend qu'il est son oncle et que le roi Pêcheur est également son oncle et que le Saint Graal qu’il a vu dans le château contient l’hostie que l’on sert au père du roi Pêcheur depuis 12 ans et que c’est à cause de la douleur qu’il a donnée à sa mère, qu’il n’a rien demandé au sujet du Graal: là est son péché...

L'ermite lui enseigne à faire pénitence, à aimer et croire en Dieu, à honorer les hommes et les femmes d’honneur ; à secourir les filles, les veuves et les orphelins en difficulté ; et aujourd'hui, à déjeuner comme lui, et se préparer pour communier, le jour de Pâques...

 

Lors des aventures de Lancelot, la rencontre avec l'ermite ponctuent les épisodes... L'ermite est un chevalier âgé ; il lui donne de judicieux conseils pour prévoir la suite... Blessé, l'ermite du Plessis le soigne...
L'ermite n'hésite pas à se présenter pour faire des reproches, il prophétise... La figure de l'ermite va remplacer celle de Merlin. A côté de la forêt comme lieu des démons, du désert, de l'initiation; il y a la fontaine liée à l'ermitage, qui apporte la guérison...

Je pense à la fin du parcours de Lancelot, quand délaissé par Guenièvre, il fuit dans la forêt, devient homme-sauvage; puis, conduit à la repentance, s'isole jusqu'à la fin de ses jours...

Lassay est donc le lieu où s'établit Fraimbault, devenu ermite, au VIe siècle...

 

Fraimbault de Lassay ( Frambaldus de Laceio) dont le nom signifie littéralement le lancier du lac ( De fram baldo: le porteur de framée, lance de jet chez les germains.) (fram = la lance, baldo = porter, laceio = le lac)...

L'eau est dans cette histoire un élément important ; on la retrouvera dans l'image du trèfle ( en cartomancie, en alchimie, le trèfle évoque les esprits des eaux... )...

« certains cabalistes ont prétendu reconnaître dans les cartes, les esprits des quatre éléments. Les carreaux sont les salamandres, les cœurs sont les sylphes, les trèfles les ondins, et les piques les gnomes. » le dictionnaire infernal de Collin de Plancy 1863.

Dans les jeux de cartes, le Valet de trèfle, porte le nom de Lancelot. En cartomancie, le valet de trèfle peut annoncer une rencontre amoureuse ''embarrassante''..

 

Le personnage de Lancelot, apparaît en littérature sous la plume de Chrétien de Troyes, vers 1168 dans "Le chevalier à la charrette"...

Lancelot du Lac, le meilleur chevalier du Monde, fils de Ban de Banoïc, dont le château est entouré d'eau et de marais, est né aux'' marches'' de Gaule et de Petite Bretagne... On le retrouve, vers 1223, dans le roman en prose ''le Lancelot-Graal'' : une œuvre de référence, sans cesse adaptée jusqu'à nos jours (avec la version de Malory).

Selon la légende arthurienne, Lancelot est de la lignée de Joseph d'Arimathie, premier détenteur du Graal...

Georges Bertin, à la suite de René Bansard et de J.-Ch. Payen, relève une source d'inspiration probable pour Chrétien de Troyes, dans les récits qui entourent la vie de saint Fraimbault de Lassay.

Le chevalier sans nom, qui a pour patronyme, son attribut la lance ; nous ramène à Fraimbault de Lassay, (Frambaldus de Laceio ) ou le porteur de lance du lac... Tous deux sont issus de famille noble, et coupent le lien familial... Tous deux vivent l'initiation, par une mise en retrait chez la Dame du Lac, ou le monastère... Tous deux sont associés au conte de ''la Charette''... et tous deux finiront leurs jours comme moine...

La charrette des morts – dans les traditions locales - renvoie à celle qui vient de l’autre monde et que nul ne peut apercevoir sans mourir... La charrette des condamnés, également, est le symbole de la dégradation publique. Chrétien de Troyes nous l’explique, et décrit ce véhicule comme une marque d’opprobre, et... le moyen de parvenir dans l’au-delà. Lancelot demande au nain qui conduit la charrette infâme s’il n’a pas vu passer la reine... Le nain pour retrouver la reine, l'invite à monter dans la charrette... Lancelot hésite entre son '' honneur '' et son devoir de sauver la reine qu’il n’a jamais vue. Et, Lancelot devient le “ Chevalier de la charrette ” qui indique la dégradation, subie volontairement, et qui lui porte ombrage, même vis à vis de la Reine qu'il sauve pourtant... Gauvain, lui, refuse résolument de monter sur la charrette d’infamie...

Fraimbault, lui aussi fils d'un puissant, s’enfuit du palais paternel pour entrer au couvent. Son père le fait rechercher, et réfugié à Ivry-sur-Seine, il se terre dans une grotte, qu’une subite inondation du fleuve proche rend inaccessible.

Beaucoup plus tard, le saint doit charrier des pierres pour la construction d’une église, il demande à un charretier de l’aider au transport ; l’homme lui répond qu’il transporte déjà un mort dans sa charrette. En arrivant à destination, le charretier a la surprise de trouver son propre maître, mort au fond du véhicule, et revient supplier saint Fraimbault de rendre la vie au cadavre.

Cette charrette des morts, nous renvoie à celle qui vient de l’autre monde et que nul ne peut apercevoir sans mourir...

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L'Histoire de Lancelot, du pays de Passais -4- Saint-Fraimbault de Lassay

10 Octobre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Fraimbault, #Mayenne, #Passais, #Lassay, #Lieux de légende, #Lancelot

Le Passais, une région entre Normandie et Maine au sud de Domfront, est le lieu du début de cette histoire. ''passus'' signifie précisément ''passage'' ( je parlais aussi de ''passage'' pour ce temps Ve, VI e siècle..) ; nous sommes entre Normandie et Bretagne, pays de marches dit-on, la ''Marche '' d'un pays à un autre …

Et, curieux hasard... - mais, il n'y a pas de hasard – Fraimbault vient précisément de la ''Haute Marche'' nord du Limousin et nord de l'Auvergne... Je rappelle qu'un ancêtre de Lancelot de Fléchigné, est Roger de Laron, seigneur templier du nord-Limousin...

L'évêque du Mans, fait appel à des ermites pour christianiser cette région isolée, faite de collines et de landes, ce lieu de passage donc...

Saint Fraimbault ( Saint Frambourg chez les Francs) naît vers 500 ; son père gouverne une région correspondant à l'Auvergne pour le roi Clovis... De famille noble et riche, il est préparé pour briller à la cour royale... Il rompt avec sa famille, et devient tel un chevalier errant, animé d'une quête spirituelle, il choisit la solitude boisée du Passais...

Lassay est l'un des lieux où s'établit Fraimbault, devenu ermite, au VIe siècle... Mort en 570, il est enterré dans son monastère de Lassay.

On a identifié la pierre tombale de Saint Fraimbault, à une pierre intégrée dans un angle de la façade nord de l’église de Saint-Fraimbault-de-Lassay (pierre tombale mérovingienne de réemploi portant trèfle et graal)... De nombreux miracles eurent lieu sur son tombeau et les foules de pèlerins n'ont cessé d’affluer jusqu’à la fin du VIe siècle...

 

Le roi franc Clotaire ( un autre fils de Clovis) va réunifier le royaume des Francs ; scandaleux, sacrilège et meurtrier, on a vu qu'à la fin de sa vie il recherche la compagnie des saints, en particulier l'ermite Fraimbault... Et, peut être grâce à Radegonde, l'une et préférée de ses épouses, qui ayant fui la cour royale et s'est installée à Poitiers où elle a fondé l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers, dont elle est devenue simple religieuse. 

 

Grégoire le Grand (540-604) est fonctionnaire, préfet de la ville de Rome, il abandonne ses fonctions pour devenir moine... Mais, on le choisit comme pape, il proteste … Il va fixer la liturgie, réformer la discipline ecclésiastique, propager l'ordre bénédictin, envoyer des missionnaires, et encourager ainsi les bénédictins à faire œuvre civilisatrice...

De vieux mondes s'éteignent, au profit d'un monde nouveau , fondé sur une manière commune de penser, et de vivre... Une nouvelle civilisation s'élabore...

Boniface de Mayence (680-754), christianise les germains, et pourfend la religion païenne ; il sera assassiné... Il ne manque pas également de combattre ceux qui voudraient se servir de la nouvelle religion pour asseoir leur pouvoir...

Selon le propre témoignage de Boniface : à l'intérieur de l'Eglise règnent, la concussion, la simonie, les pratiques les moins avouables... Les évêques doivent leur existence à la ''générosité'' des puissants... Il cite Aldebert (vers 730) comme imposteur et hérétique qui élève des églises en son honneur, distribue des reliques personnelles ( cheveux, ongles...). Le Scot Clément ( vers 745), prêtre et faux évêque, hérétique et concubinaire ; Milon évêque de Trèves et de Reins, grand chasseur et jouisseur ; Gewiliob, évêque de Mayence, assassin....

Charles Martel (688-741), franc et ''maire du palais'' ( sorte d'intendant du roi) détient la réalité du pouvoir. Pépin le bref (714-768) dépose le roi, et ''acclamé'' reçoit l'investiture de Roi des Francs par le pape...

 

Vers l'an mil, c'est l'épouse d'Hugues Capet (~940-996), reine des Francs, fille du comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, petite-fille du chef viking Rollon... Adélaïde d'Aquitaine, qui demande que le corps de Saint Fraimbault soit transporté à Senlis ( son chef est conservé à Lassay), dans la chapelle royale; Senlis où Hugues Capet est acclamé et proclamé Roi en 987, pour contribuer à la prospérité de la famille royale...

 

Au XIIe siècle, Aliénor d'Aquitaine, d'abord comme reine de France puis comme souveraine anglo-normande, et après elle sa fille, Marie de Champagne vont poursuivre la dévotion... St Fraimbault a alors la même notoriété que Saint-Denis. En 1177 à Senlis, avec Louis VII, ont lieu les ostensions solennelles des reliques de St Fraimbault...

Henri II Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine font de fréquents séjours à Domfront, où naît leur fille Aliénor de Castille, en 1161... La cour d'Aliénor, puis de Marie de Champagne s'entourent des meilleurs écrivains dont Chrétien de Troyes, qui aurait transcrit en vers courtois l'histoire du Saint...

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L'Histoire de Lancelot, du pays de Passais -3- Le temps des ermites

5 Octobre 2020 , Rédigé par Régis Vétillard Publié dans #Fraimbault, #Mayenne, #Lancelot, #Lieux de légende

Cette histoire commence au temps du '' Passage '' … Le passage du temps des cultes celtes ou gallo-romains, aux cérémonies chrétiennes... Dès le VIe siècle, des saints ermites remplacent les druides les magiciens.

La forêt est vivante : elle accueille les ermites mais aussi les travailleurs du bois. C’est une zone de ramassage du bois mort, de coupes mais aussi d’élevage des porcs, des bovins et des chevaux.

C’est l’évêque du Mans qui, au VIe s., confie à Ernier la mission d’évangéliser le Passais en compagnie de Bômer et Fraimbault.

 

Le père Degoué tenter de répertorier les ermites à l'origine de l'évangélisation de la région. Il faut commencer par noter que les moines-ermite ne restent pas longtemps isolés, ils fondent une chapelle et attirent les paysans ( pagani=païens) par leurs vertus et leur pratique de la prière; ensuite ils visitent les néophytes, forment les catéchumènes, bénissent les sépultures... Et, une communauté s’installe, préfigurant la paroisse....

Ainsi, au VIe siècle, Ernier s’installe à Ceaucé, Auvieu à Mantilly. Dans la seconde moitié du VIIe siècle, Céneri s’installe dans la vallée de la Sarthe, Évremond en forêt d’Écouves et Évroul en forêt d’Ouche. Et, pour ce qui nous concerne ici, il s'agit de Saint-Fraimbault, né vers 500...

 

Rechercher des renseignements sur ces ''saints'', c'est se confronter à des récits merveilleux, ou du moins naïfs...

- Et, cela ne vous gène pas, mon père, dans vos recherches... ? Demande, Anne-Laure...

- Les ''légendes'' sont des récits à lire ( legenda), si nous les intégrons dans nos liturgies ce n'est pas pour leur valeur historique... Tenez ; puisque vous me parliez de votre ancêtre limousin Roger de Laron ; et bien nous pouvons douter que Saint-Martial qui vécut au IIIe siècle et premier évêque de Limoges - n'est-ce pas... ? - ait été selon la légende, l'enfant que Jésus montra digne du royaume des cieux et qui lui présenta la corbeille à la multiplication des pains...

Ce qui m'intéresse, c'est qu'à une place donnée, un temps donné, un personnage a été l'objet d'un culte... Comme on dit, rien ne peut lui disputer cette ''niche''... et surtout, dans notre recherche, la Légende appartient à notre sujet...

- On peut donc mêler le sérieux de la foi, et la légende... ?

- Il est rare que l'on ne quitte la légende, sans profit.... Vous le savez bien … !

 

Il est curieux d'ailleurs de se rendre compte que les légendes qui vous intéressent, comme celle du Roi Arthur ou Artus, utilisent un matériau qui date de cette période de passage... Artus a pu être ce roi semi-légendaire du Ve et VIe siècle, celte et gallois, il tente de prendre la tête de clans contre les conquérants anglo-saxons. Il périt dans cette lutte, mais son corps n'est pas retrouvé... Il reste son histoire, celle d'une cour brillante en son château de Caerléon, ou Camalot... Le roi qui participe à douze batailles, est blessé par trahison, mais est transporté dans l'île d'Avalon auprès de la fée Argante...

 

La Comtesse de Sallembier goûte à quel point son abbé s'est imprégné de la légende arthurienne....

- Mais, à part la période , il n'y a pas de rapport entre nos ermites et les chevaliers de la Table Ronde... !

- En êtes-vous si sûre... ? Il me semble, pourtant, que nous empruntions le même chemin.... Je vous assure.., soyez patiente.

Au cours de ces temps qui nous paraissent obscurs, et sans-doute assez déstabilisants, l'Eglise représente un roc de sécurité; et à l'intérieur de l'Eglise, l'institution monastique...

Nos ermites ont suivi l'exemple de Martin de Tours (316-397), ancien soldat, c'est lui qui a introduit le monachisme en Gaule. Résolu de se faire ermite, il a refusé la prêtrise et recherché la solitude qu'il a trouvé à Ligugé ( près de Poitiers). Il est rejoint par des disciples et son exemple est contagieux...

Saint-Benoît de Nursie (480-547) fonde l'ordre des bénédictins, et institue une ''règle'', base du monachisme occidental.

 

En ce ''Haut Moyen-âge'', peu de moines sont ordonnés, la célébration de la messe n'est pas la tâche propre des moines; et n'est pas journalière... Un moine peut être désigné par l'abbé pour l'ordination, sous la condition de n'être pas ''travaillé par la vaine gloire''... Il n'y a pas une seule manière de célébrer la liturgie, elles sont nombreuses en occident ( gallicane, ambrosienne, mozarabe, celtique, lyonnaise, romaine...)...

 

Radegonde (520-587), princesse, est la cinquième et avant-dernière épouse du roi franc, Clotaire, fils de Clovis... Radegonde, catholique, éprouve du dégoût pour la violence de son mari qui assassine ses plus proches ; et décide de prendre le voile et le cloître... Elle s’installe à Poitiers et fonde deux monastères...

Après avoir en vain essayé de récupérer son épouse, Clotaire soutient les fondations de Radegonde... Il va même rechercher la compagnie des saints ermites... Dans les dernières années de son règne, alors qu’il va guerroyer contre Chramme, Clotaire s’arrête auprès de Fraimbault installé dans une forêt du Maine. Cette halte montre que le roi le connaissait déjà de réputation. Au retour, il passe par les mêmes lieux, et annonce à Fraimbault qu’il lui fait don du domaine de Javron, au nord de l’actuel département de la Mayenne.

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