Lancelot de Fléchigné -3- Aldous Huxley
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Aldous Huxley ( 25 ans) est très aimable avec Lancelot ( 19 ans); il se montre disponible, lui prête bien volontiers Nancy et se montre curieux des impressions du jeune homme... Huxley est brun, très grand, avec une voix pleine et posée, il porte des lunettes et voit mal. La première fois qu'ils se sont croisés, il s'est présenté comme le jardinier du domaine.. !
En effet, c'est ici, qu'il a passé le temps de la guerre; refusé pour le combat, en raison de ses problèmes de vue.
Ses phrases sont ponctuées d'un long silence, avec un regard scrutateur. Il aime parler, quand il se sent écouté.. Son discours est brillant et force le respect... Son père, son grand-père sont des intellectuels reconnus ; il a perdu sa mère quand il avait quatorze ans, et son jeune frère s'est suicidé... Ses deux frères aînés sont biologistes et lui s'il a envisagé de suivre des études scientifiques, à présent, il a décidé qu'il écrirait...
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Huxley a obtenu une bourse d’études au Balliol College de l’Université d’Oxford, où il a étudié la littérature anglaise, lisant à l’aide d’une loupe et des gouttes pour les yeux qui dilataient ses pupilles. Il a également commencé à écrire de la poésie, et en 1916, a publié son premier livre, un recueil de poèmes intitulé The Burning Wheel ; la même année, il a obtenu son diplôme avec les honneurs.
A Garsington, Huxley a la chance d'y rencontrer Virginia Woolf, Bertrand Russell, T. S. Eliot et D. H. Lawrence...
En ce moment, il prend des notes pour écrire son premier roman... Ce sera un regard décalé de ce qu'il voit ici, peut-être même une parodie de cette manière de vivre... En effet, en 1921, quand le livre paraîtra ( Crome Yellow) , son contenu irritera beaucoup de ceux qui vivent ici...
Cette année 1919 est assez faste pour lui ; en plus de tout ce qu'il vit ici, le critique littéraire John Middleton Murry, réorganise le magazine littéraire Athenaeum et invite Huxley à le rejoindre... Enfin, alors même qu'il fréquente Nancy C. il est tombé amoureux de Maria Nys, une réfugiée belge invitée à séjourner dans le manoir de Garsington par Lady Ottoline Morrell. Ils se connaissent depuis 1916, se sont fréquentés, puis éloignés...
Finalement, en 1919, ils vont se marier.
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Dans son roman, Huxley décrit Crome à l'image de Garsington ; des écrivains y vivent, discutent et font la fête... Invité, un jeune poète naïf, Denis Stone est amoureux d'Anne Wimbush, la nièce de la dame du manoir, Priscilla Wimbush, une aristocrate mondaine, ''avec des manières''. Elle se plaît à ne s’intéresser qu'à des choses oiseuses, comme l'au-delà, le spiritisme et l’argent des paris. Se rapprochant de Virginia Woolf, Anne est féministe, elle est courtisée par Denis, mais ne semble pas se soucier de lui, lui préférant d'autres femmes... On y rencontre un libertin, un ascète et sa femme, un cynique et Mary Bracegirdle, une belle jeune femme naïve qui décide de se lancer dans une aventure amoureuse...
Dans une discussion avec Huxley, Lancelot écoute l'écrivain lui décrire un monde où la famille disparaîtra. Il faudra trouver d'autres valeurs, l'éros aura plus de place … Mais, l'essentiel, reste toujours de trouver un but à la vie humaine ; et il espère que cet essentiel ne puisse pas être aussi impermanent que l'amour humain …
Lancelot de Fléchigné -2- Bloomsbury
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Lancelot fait en 1919, l'expérience d'une courte année à l'université de Cambridge. Sa mère a eu l'opportunité de lui décrocher une chambre au Trinity Collège... Ces longs mois vont lui permettre un ensorcelant concentré de rencontres étonnantes...
Arrivé en Angleterre, il est accueilli par Vanessa Bell, restée en contact avec sa mère... Elle habite à présent une grande maison à Charleston près de Lewes à 70 miles de Londres avec son nouveau compagnon Duncan Grant et ses deux '' turbulents'' enfants de Clive, Julian et Quentin... Après la guerre et malgré les nombreuses disparitions parmi le groupe de Bloomsbury ; c'est ici que certains vont se retrouver... Lancelot a la chance d'y être facilement accueilli. Et aussi, à Garsington Manor, près d'Oxford, propriété de Lady Ottoline Morrell où se réunissent d'autres ou les mêmes membres du groupe...
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Aldous Huxley (1894-1963), y passe, alors, la majeure partie de son temps... C'est là, aussi, que Lancelot est happé par Nancy C., une jeune femme délurée, mariée en 1916 et déjà séparée en 1919... Son amant est mort en 1918 au combat en France... Avec la complicité du groupe, elle s’occupe du jeune homme. Elle fait, au jeune français, une demande un peu étonnante: accepte t-il qu'elle soit son amie de cœur et de tendresse, mais sans plus... ! D'ailleurs elle est ''en affair'' avec Huxley...
Lancelot, séduit par la belle, se laisse entraîner dans ce tourbillon empli de tendres complicités, d'échanges de poèmes, de baiser volés... Parfois il la surprend avec Aldous alors qu'il s'échangent des caresses qui lui sont refusées...
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Nancy a vingt-trois ans, soit quatre ans de plus que Lancelot... Elle s'amuse beaucoup de ce qu'il lui évoque du Moyen-âge... Elle-même assure qu'elle vient de cette époque : n'a t-elle pas vécu enfant. dans un château médiéval, Nevill Holt.. ? Sa naissance est due à l'adultère de sa mère avec le romancier George Moore, il était son ''Lancelot'' à elle, dans ce royaume de Nevill Holt, son père officiel n'étant qu'un vieil homme terrassé par les difficultés... Ensuite, sa mère s'est installée à Londres ; elles ont régné alors, toutes les deux, avant guerre, sur une cour qui se pressait dans leur palazzo vénitien. Paul Morand, s'en souviendra … Pour ce qui est de sa naissance, Nancy lui fait promettre de garder ce secret pour lui ; elle lui pose son doigt sur ses lèvres, puis l'embrasse... Alors, Lancelot se surprend, à lui mentir ; il déclare que son père n'est pas l’officiel M. de Sallembier ; mais un ''chevalier du ciel'', abattu par les allemands...
Lancelot a des difficultés à comprendre les personnes qui parlent vite, et peut-être, également, son anglais s'avère t-il insuffisant ; mais Nancy lui parle lentement, en confidence, son visage proche du sien... Elle lui parle des fêtes qu'organisait sa mère au château, des voyages où elle l'accompagnait en Allemagne, en France... Avec son amie Iris Tree, elles ont aimé se déguiser ; et Iris choisissait souvent de se vêtir comme un page ou un jeune chevalier... Comme Iris, Nancy écrit de la poésie... Ses poèmes ont déjà été publiés ; en 1916 dans le premier numéro de l’anthologie annuelle de poésie contemporaine, intitulée Wheels.
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Nancy lui susurre quelques poèmes à l'oreille... « There was a man, adventurous and free,/Evil of soul, grown into league with hell. » Il a du mal à comprendre, il embrasse sa bouche, et elle revient à son oreille...
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Photo par Lady Ottoline Morrell, avec Clive Bell, Huxley, Russell.. etc |
« Loved by a woman that no fear might quell ; / Their lives rose as the waves grow out at sea. »
Il rit. Elle continue, assène chaque vers comme un secret révélé... « they wandered through life's haunted rooms. / Each other's heart laid bare to each, and hid / In secrecy from all the rest, amid /
Their happiness and tragedies and glooms. »
Nancy explique à Lancelot, que la discontinuité de la langue causée par des ruptures de syntaxe, créent un espace poétique singulier. C'est ce que, à Bloomsbury, on appelle la « forme signifiante » ou ce que la forme apporte au contenu ; certains recherchent même à négliger le contenu, à l'effacer....
« Je suis Outlaw » dit-elle... Lancelot est subjugué par cette enchanteresse, mais il constate aussi, qu'il n'est qu'un jouet occasionnel, et qu'il ne peut rien espérer de plus; avec ce personnage bien plus imposant, que représente pour elle, Aldous Huxley...
Le début de la Quête de Lancelot de Fléchigné -1-
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En 1918, à la fin de la Guerre, Lancelot a dix huit ans ; il va bénéficier pendant ces années vingt, de « l’admirable foisonnement d’idées et d’œuvres de la période, » et de « la véritable liberté dont les gens ont joui alors » (Sartre)...
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Ce qui va suivre est une reconstitution de ce qu'a pu vivre Lancelot, à partir du journal, et des notes éparses qu'il a laissé ; afin d'enrichir et poursuivre la Quête...
Lancelot et sa mère, viennent de vivre - en retrait, à Fléchigné - pendant ces quatre ans, « un désert » selon l'expression d 'Anne-Laure. Pour le jeune homme, ce fut aussi un temps ''béni'', un présent inestimable qui prendra toute sa vie une valeur de plus en plus grande. Car enfin, il s'agissait de quitter Paris, et vivre proche d'une authenticité naturelle,, quitter le petit lycée avec sa rigidité infructueuse, et enfin bénéficier de la présence de sa mère...
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Il s'est arraché sans effort de la camaraderie ambiguë du collège, et y a gagné l'amitié amoureuse de Suzanne. Suzanne est la fille d'un couple, locataire d'une ferme appartenant au domaine de Fléchigné. Les bâtiments de la ferme, sont les plus proches voisins du manoir. Le mari, fermier, est parti au front ; il est rapidement tombé au « champ d'horreur ». Des réfugiés belges sont venus aider... Ces événements ont rapprochés les deux adolescents, qui utilisaient tous les stratagèmes pour se retrouver.
En 1914, Suzanne n'a que treize ans; elle aime écouter Lancelot lui rapporter le contenu de ses lectures, sa passion pour les chevaliers, les histoires du Graal …
Elle aime bien se serrer contre lui; mais le repousse s'il veut l'embrasser, car ce genre de choses s'apparente à ce dont il faut s'accuser quand on va à confesse... Oui, elle aime Lancelot, elle voudrait bien même, se marier avec lui...
Pourtant, une fin d'après-midi, avant de la quitter, il la serre contre lui :
- On peut bien s'embrasser sur la bouche, puisque que plus tard, on se mariera.
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- C'est pas possible...
- Pourquoi ?
- J'ai demandé à ma mère, si on pouvait se marier ensemble ; et elle m'a dit que ce n'était pas possible...
- Pourquoi... ?
- Parce que tu es noble... Tu devras te marier avec une fille noble … C'est ainsi...
- Si je suis noble, je peux faire ce que je veux.. ! Et, si je veux me marier avec toi, je le ferai !
Ils ont grandi ces quatre années ensemble. Ils se sont embrassés, et surtout ils ont parlé. Lancelot écrivait un journal ; il s'empressait ensuite de lui lire ses pensées, parfois des poèmes...
Déjà, Lancelot recherchait ''La Femme'' tandis que Suzanne attendait un ''amoureux'', c'est à dire un homme qui se destinait à elle.
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Ces quatre années furent un temps béni, aussi, pour tout ce qu'a pu lui apprendre l'abbé Degoué... Non pas, qu’il était savant de tout ce que Lancelot étudiait ; mais parce qu'il était son interlocuteur pour réfléchir, raisonner, rechercher un savoir dans la bibliothèque familiale ; et même enquêter pour approfondir une connaissance... Une pédagogie qui s'est avérée bien plus efficace que toutes les leçons dispensées au lycée...
Même s'il n'a pas perdu son temps, la guerre n'a t-il pas compromis la suite de ses études.. ?
L'abbé Degoué convainc la comtesse, que son fils, à dix-neuf ans, possède sans-doute plus de connaissances que la plupart des jeunes gens de son âge ; et si ce n'est de connaissances, de réflexion et de possibilité de raisonner, de progresser... De plus, sa jeunesse lui permet d'entreprendre sans préjugés, sans suivre les règles établies... Il aborde, questionne quiconque sans crainte de le déranger. Il dérange parfois, et s'en étonne...
Il devrait pouvoir poursuivre facilement des études à Paris. Mais, que souhaite t-il faire... ? Lancelot n'a aucun projet professionnel, seule sa curiosité le guide... Certains jours il voudrait persévérer dans les mathématiques ; d'autres, il se verrait bien comme ''homme de lettres'', ou mieux encore historien...
Lancelot n'est pas pressé ; et son premier désir serait d'aller en Angleterre, afin de pratiquer la langue anglaise ; et s'affirmer... En réaction, sans-doute, au voyage que sa mère et J.B. ont fait , sans lui … !
Anne-Laure de Sallembier craint la rencontre entre la liberté de mœurs de ses connaissance de Bloomsbury, avec la jeunesse de de son fils... Il pourrait être surpris, déboussolé...
La Chevalerie, l'honneur et la guerre de 1914. -2-
Les témoignages ont rapporté que c'était une guerre où l'on est tué, plus que l'on ne tue ; et sans voir l'ennemi. Le héros est un soldat qui s'offre aveuglément à suivre des ordres venus de l'arrière...
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Pendant ces quatre années, Anne-Laure n'était retourné à Paris, que très rarement et par obligation... Comment pouvait-elle à nouveau fréquenter le monde, côtoyer ces aristocrates, ou grands bourgeois et aussi leurs domestiques, maîtres d'hôtel et grooms; comme si de rien n'était...?
A Cochet (*) écrit que les Parisiens de 1916, ont perdu la conscience du drame humain... Que reste-t-il ? « Il semble donc qu'à Paris, la guerre se réduit à un thème décoratif, à des stéréotypes auxquels, par exemple, la mode féminine se conforme facilement. Le modèle national est le masculin, le militaire (…) »
« La mort de millions d'inconnus nous chatouille à peine » écrit Proust … « pour les autres, pour les Verdurin (ou pour Proust lui-même ?), les noyés du Lusitania, « les hécatombes de régiments anéantis », restent des notions, des images qui ne peuvent susciter que des « réflexions désolées », nécessairement conventionnelles. »
« Madame Verdurin, est contrariée par la guerre qui raréfie les fidèles de son salon (…), tandis que Proust affirme qu’« elle ne voulait pas les laisser partir, considérant la guerre comme une grande « ennuyeuse » qui les faisait lâcher. Aussi, elle aborde la guerre avec ironie."
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« Pour l'ensemble des non combattants, cette tranquillité morale - oscillant de l'oubli à l’indifférence - traduit aussi la confiance dans l'évidence de la victoire (…) ».
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Les Parisiens auraient-ils oublié en 1916 le risque permanent de la mort qu'assument les combattants ? On assiste à une scène typique de Proust avec un « pauvre permissionnaire » les « restaurants pleins et « les vitrines illuminées », qui regarde « se bousculer les embusqués retenant leurs tables » avant de se précipiter au cinéma. Il résume, selon Proust, toute « la misère du soldat », « non la misère du pauvre mais celle de l'homme résigné (…) »
Sources : (*) Cochet A., L'amour de la patrie dans « Le temps retrouvé » de Marcel Proust, 1998.,
Bernanos n'a pas abandonné, pour autant, son rêve d'enfant... Il condamne la ligne sociale conservatrice de l'Action Française, et envoie à Maurras, en 1919, sa lettre de démission...
« (…) Il ne faut plus décevoir les enfants de France, jamais. La seule tradition de ce peuple, qu’aucune secte, qu’aucun parti n’ose, n’est capable de revendiquer, la seule qu’aucun parti, qu’aucune secte ne saurait assumer, parce qu’elle ferait plus que les écraser, elle les rendrait ridicules, c’est celle de la chevalerie chrétienne française, C’est celle de la chrétienté, C’est celle de l’honneur de la chrétienté. » dans ' Nous autres Français '
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Sous le titre « Nous autres français » sont réunis des pamphlets de Georges Bernanos écrits en 1938 et 1939. Bernanos n'a alors rien perdu de ses convictions... Bien après la Grand Guerre, il s'engage alors, en 1936 contre la "Croisade" du général Franco, contre Maurras, et en général contre les milieux catholiques réactionnaires et conservateurs.
La religion n’est pas une idéologie, ni l’Eglise un parti. Seul l’esprit de la chevalerie chrétienne peut avoir un impact sur les forces politiques de droite ou de gauche, mais aussi sur l’Eglise. L’honneur n’est pas un concept qui s’explique par la logique ou par les raisons. Le concept appartient à une autre dimension, se situant au dessus des raisonnements intelligibles. Bernanos refuse de voir l’honneur comme un concept faisant parti d’une idéologie ou une doctrine quelconque. « Il n’est besoin que d’un court dressage pour faire un fanatique, au lieu que l’élaboration d’un type humain comparable à celui de l’ancien chevalier français reste le travail des siècles. » ( Nous autres Français, page 237 ).
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Donc - ce 11 novembre 1918 - ils annoncent qu'à 6 heures du matin, dans la clairière de Rethondes (forêt de Compiègne) des généraux ont signé l'armistice, dans un wagon-restaurant qui - avant la guerre - emmenait les Parisiens à Deauville. ...
Il y a comme une atmosphère d’irréel, difficile à disparaître, qui à force de s'être répandue sur toute chose a modifié le quotidien ...
Bernanos propose que l'on écrive sur le monuments aux morts : « La Victoire ne les aimait pas »
Winston Churchill a 44 ans ; après être allé au front, il est ministre de l’Armement ; il écrira : «Les cloches sonnèrent, et je n’éprouvai aucune allégresse. Rien ou presque de ce qu’on m’avait appris à croire n’avait survécu et tout ce que l’on m’avait appris à croire impossible était arrivé. […] La victoire était indiscernable de la défaite.»
Les vivants font la fête ; ils disent que c'était la «der des ders».
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La Chevalerie, l'honneur et la guerre de 1914. -1-
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Bernanos, comme J.B. sont des cavaliers, amoureux du cheval... Dans les dragons, ils pensaient éventuellement, affronter une mort glorieuse après une chevauchées lance au poing...
Bernanos est sorti anéanti de cette terrible expérience de quatre années. Loin de la gloire, il a rencontré le Mal... Ses romans, en particulier ''Sous le soleil de Satan '' et L'Imposture'' sont l'expression du combat spirituel au fond d'une tranchée... Une œuvre qui prend racine dans son enfance...
« Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus. » dans 'Les Grands Cimetières sous la lune'
« Certes, ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la Maison du Père ».
« Pauvres petits garçons français, mis à la torture par les fabricants de morale civique, et qui n’auraient connu d’autre image de la France qu’un cuistre barbu qui parle de l’égalité devant la Loi, si le bonhomme Perrault – disons saint Perrault, puisqu’il est sûrement dans le Paradis ! – n’avait offert aux rois et aux reines exilés l’asile doré de ses contes, les châteaux du Bois dormant. Quel symbole ! les cuistres du siècle des cuistres poursuivant la majesté royale – leurs sabots à la main pour courir plus vite, les imbéciles – et la majesté royale déjà était à l’abri dans les pans de la robe des Fées. Le petit homme français, abruti de physico-chimie n’avait qu’à ouvrir le bouquin sublime, et dès la première page, il pourfendait les géants, il réveillait d’un baiser les princesses, il était amoureux de la Reine. [...] Je connais un jeune Lorrain de quatre ans qui, à ma demande : "Qu'est-ce qu'un roi ?" m'a répondu : "Un homme à cheval, qui n'a pas peur ! » : un chevalier ! » De 'Noël à la Maison de France', 1928, Essais et Ecrits de combat, I, Pléiade
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Des contes, un roi, des chevaliers.... ? Ce n'est pas très sérieux.. !
« On peut faire très sérieusement ce qui vous amuse, les enfants nous le prouvent tous les jours.. » dit Bernanos... Adolescent, camelot du roi, il écrit - dans le journal Le Panache, revue royaliste illustrée, en 1907. - des nouvelles avec des chevaliers mourant à la guerre au service du trône de France. Pour Bernanos, la chevalerie c'est du sérieux...
Quand Bernanos parle d'Honneur, et pour donner corps au concept, il évoque la Chevalerie et le Moyen Age... Il n'est pas le seul...
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Le chantre du patriotisme, son héraut : c'est Maurice Barrès (1862-1923)... Avant 1914, il est le maître à penser à droite et de certains à gauche...
« Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable. » Avis du jeune critique Léon Blum.
Avant et pendant la guerre, Maurice Barrès va être le 'propagandeur' de la guerre ; Romain Rolland le surnomme : « le rossignol des carnages... » Même à la fin de la Guerre, il reste le champion du « jusqu'auboutisme ».
Maurice Barrès est fasciné par les chevaliers, les croisades... En Orient, il en a cherché les traces ; et a exprimé son admiration dans '' Un jardin sur l’Oronte '', un roman qui présente dans un orient médiéval fantasmé, une histoire d'amour entre un chevalier et une sarrasine... En rapport avec la guerre, on peut y retrouver le goût de la gloire et de l'aventure.
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Pendant toute la durée du conflit mondial, Barrès donne à L’Écho de Paris, des centaines d'articles... On peut lire, de Barrès, l'oraison funèbre de Paul Déroulède (1846-1914), en février 1914 ; il s'adresse au défunt : « Et maintenant, chevalier de la France, va rejoindre les grands chevaliers, tes pareils, la cohorte toujours accrue que mènent, depuis le fond des âges, les Roland, les Du Guesclin et les Bayard. » ( Chronique de la Grande Guerre, t. I,) Bernanos avait admiré Déroulède...
Il va comparer Péguy à Bayard, le capitaine Driant à Tristan ; et finalement tout soldat français... A un jeune soldat français, il écrit : « Cher enfant, Déroulède vous eût armé chevalier. […] je reconnais et salue (…) un des jeunes compagnons de Jeanne d’Arc, un de ces pages dont l’histoire n’a pas gardé le nom, et qui la comprenaient tout aisément, servaient sa gloire et sa tâche. » ( Chronique de la Grande Guerre, t.I )
Encore : … Nos soldats de 1914 possèdent intact l’héritage moral de nos vieux chevaliers (…). La civilisation des cathédrales n’est pas morte ! Nos soldats pratiquent toujours le code de la chevalerie et ses commandements précis. » ( Chronique de la Grande Guerre, t.I )
Enfin, Au printemps de 1919, à propos des aviateurs, Barrès notait dans ses Cahiers : « Les romans chevaleresques, vivre une vie de chevalier, conquérir le ciel, que cela est tentant ! Et de nos jours encore, je vois des gens qui réinventent une vie de chevalier »
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Alors même que les armes parlent ; des spécialistes de l'art ou d'histoire rapportent que c'est en France, au Moyen-âge que la pensée chrétienne a trouvé sa forme parfaite ; au XIII e siècle, elle s'est exprimée au travers des cathédrales. Ils cessent d'employer l'adjectif ''gothique''... Les ravages exercés sur les cathédrales sont exploités dans la presse : la cathédrale blessée est souvent représentée, sous forme d’une allégorie féminine martyrisée... A la France : le Moyen Âge lumineux du temps des cathédrales et à l'Allemagne : les âges sombres des Grandes Invasions.
On retrouve la même symbolique en Angleterre et aussi aux Etats-Unis où la guerre est assimilée à une croisade contre le mal : c'est la « Pershing’s Crusaders »
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Comme l'avait déjà observé Anne-Laure de Sallembier, et plus explicitement pendant la guerre, le chevalier arthurien est présenté comme le précurseur du gentleman britannique qui part à la guerre...
Jeanne d’Arc est un modèle pour tous les alliés : elle oppose à ses juges une foi inébranlable et symbolise le courage face au fanatisme. Sa vertu constitue l’ultime mode de l’expression chevaleresque.
Bernanos, décoré de sa croix de guerre, est défait... Le poilu n'est qu'un rouage d'une machine qui ne le considère que comme de la chair à canon. A la différence de Barrès, il ne s'est pas soustrait au destin tragique de sa génération.
L'après-guerre lui semble vide d'un pourquoi ? Pourquoi la guerre ? Pourquoi la Victoire ? Vide spirituel, et aussi intellectuel.
« De 1914 à 1918, l'arrière s'est parfaitement bien passé de nous. La mort de quinze cent mille des nôtres n'a rien changé à son aspect (…), je dis plus : ne fût-il pas revenu un seul d'entre nous, l'histoire de l'après-guerre n'en aurait pas été modifiée pour autant. Elle était faite par avance, et elle était faite sans nous ! » ''Les enfants humiliés: Journal 1939-1940''
Mort au champ d'horreur...
Romain Roland (1866-1944) dénonce clairement comme responsables de la guerre les dirigeants de trois grands Etats : Allemagne, France, Grande Bretagne, ainsi que l’aveuglement et la complicité de leurs “élites” : clergé, enseignants, hommes politiques.
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Dès 1915, il publie “Au-dessus de la mêlée” ; des articles considérés comme des actes de traîtrise...
Parodi lui reproche de n'avoir pas compris « que l’heure où une nation entre en lutte pour son existence ne saurait être celle de l’impartialité entière et de l’équité sereine », « Si la lutte ne se soutient que par la confiance en soi et l’enthousiasme, il est impossible de tendre toutes ses énergies contre l’ennemi et au même moment de s’attacher à le comprendre exactement et à le juger scrupuleusement : on dirait qu’à vouloir encore être avant tout clairvoyant ou juste, on se mette en dehors de son peuple et on ne soit plus entièrement patriote. »
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Effectivement, Romain Rolland en Suisse, se permet une position, comme il le dit dans le titre, « au-dessus de la mêlée » ; c'est à dire au-dessus de la confusion... Il se situe hors conflit, et explique qu’il veut parler aux Allemands comme à des frères, de même culture, et qu’il refuse de succomber à l’animosité et à la haine.
Anne-Laure de Sallembier, par sa propre culture, ne comprend pas et ne partage pas l'argumentation belliciste de cette guerre. La durée du conflit, la maintient dans une retraite qui la coupe du ''grand monde'' qu'elle fréquentait... L'attente quotidienne, et l'angoisse de recevoir cette nouvelle de la mort de son compagnon, la maintient dans une mélancolie que seule la vie campagnarde peut lui permettre de supporter...
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Cette nouvelle qu'elle redoutait, mais se préparait chaque jour à recevoir, est tombée avec la tournée du facteur, le matin d'une belle journée de printemps... Anne-Laure - n'étant pas l'épouse de J.B. (Jean-Baptiste de Vassy) - ne reçut pas la visite des gendarmes, ou du maire; mais une lettre de son colonel... Elle fut suivie de celle d'un ami pilote...
Les circonstances de la guerre, ont fait se croiser J.B. et Georges B.... Georges B. est alors journaliste, fortement engagé politiquement, il s'est fait remarqué par quelques articles... Et juste avant guerre, Léon Daudet, lui propose de diriger un hebdomadaire rouennais : l'Avant-garde de Normandie, avec l'objectif de le relancer... G.B. S'oppose – par presse interposée - à la bourgeoisie libérale, et aux radicaux-anticléricaux; et se distingue de Maurras qui, dit-il, méprise le peuple...
J.B. et Georges B. ont partagé ces premiers mois de guerre dans le même escadron de réserve des dragons.. Peut-être se sont-ils rencontrés sur ce qu'ils ont en commun, à savoir leur pensée politique et sociale, à contre-courant de l’idée courante et républicaine... Tous deux regrettent la dépossession progressive des états, au profit des forces industrielles et bancaires ; l'avènement triomphal de l'argent... Tous deux jugent sévèrement, la bourgeoisie qui s'enrichit ( la loi du plus fort...) et, l'Eglise qui qui ne s'y oppose pas... Si la société devient matérialiste, et athée ; elle sera amenée à devenir totalitaire, le politique se pliant aux règles économiques...
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Tous deux échangent, sur leur compagne . G.B. vient de rencontrer Jehanne Talbert d'Arc ( descendante de Jeanne d'Arc) qui deviendra sa femme en 1917... J.B. sera resté fidèle à Anne-Laure. Indépendant, et passionné de sciences, il aura partagée avec elle l'essentiel : l'amour et la quête... Et, pour Lancelot, J.B. aura été et restera cette image paternelle fondatrice qui accompagne tout individu, s'il a eu la chance de grandir avec... Plus tard, Lancelot, se reposera sur ce lien tragique créé par la Guerre, pour retrouver en Georges Bernanos, non seulement des échos de son enfance ; mais un guide dans cette étrange période qui s'avère être une fin, et un début...
G.B. avant la guerre, vivait ses convictions dans l'action. Il croit avec Maurras, qu'il est possible de renverser la République. Il pense même, pouvoir faire une alliance avec des révolutionnaires pour proposer une synthèse monarchiste - sociale-syndicaliste avec un ciment chrétien. Bernanos fréquente alors le Cercle Proudhon, avec des disciples de Maurras, de Sorel et de Péguy... jusqu'en 1914 ; quand tous ces rêves furent humiliés !
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G.B. et J.B. sont entrés dans les ténèbres de l'horreur ; tous deux dans les rangs du 6e régiment de dragons (anciennement les dragons de la reine … !).
C'est : 9,5 millions de morts ( + de 1,3 million en France) et disparus, soit plus de 6 000 morts par jour que l'on va comptabiliser..
Le sentiment qui empli la vie d'Anne-Laure de Sallembier pendant la Guerre, est la honte... Honte de cette brutalité, honte de ces hommes de pouvoir, intellectuels, savants et politiques... Honte de cette obscénité... Elle écrit même, quelque part, qu'elle ne comprends pas « que l'on puisse décréter indécente l'idée d'un corps de femme qui frémit d'aise ou de plaisir à la caresse d'un homme bienveillant, et non pas l'acte de guerre qui tranche le corps d'un homme, pour le rendre invalide ».. !
1914 Comment justifier la Guerre ? 2
Et nos intellectuels ?
La Grande guerre va renverser le modèle ( jusqu'ici) ''dreyfusard '' et universel de l'intellectuel...
Aurions-nous perdu confiance en la civilisation européenne ?
Nos rencontres, nos débats, en Allemagne, n'exprimaient-ils qu'une partie de notre pensée, cachée derrière des apparences de civilité... ?
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Nos discours aujourd'hui sont en rupture des réseaux
Henri Bergson, en séance de l’Académie des sciences morales et politiques : « La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Tout le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité, une régression à l’état sauvage... »... Même Emile Boutroux, connaisseur de la philosophie allemande, présente la guerre sous le jour d'une croisade...
Les scientifiques se mettent au service de la nation en danger, en orientant leurs travaux sur de nouvelles armes
Sources : Les intellectuels français et la Grande Guerre, Christophe Prochasson
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Le quotidien catholique La Croix, accuse la philosophie allemande, dont l'origine remonterait à Luther, pour donner Kant... Il dénonce le panthéisme officiel allemand, avec Fichte, Schelling, Hegel; et c'est Maritain qui affirme que Fichte nous montre « la liaison essentielle du pangermanisme avec la révolution luthérienne et kantienne ». Le philosophe conclut que « le poison panthéiste et hégélien a passé tout entier dans l’organisme intellectuel de l’Allemagne. […] A ce point de vue, on peut dire que c’est Hegel, avec derrière lui Kant et Luther, qui nous fait la guerre aujourd’hui. »
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Dominique Parodi (1870-1955), professeur de philosophie, ( à Limoges de 1897 à 1899), - devenu inspecteur général de l’Instruction publique après la Première Guerre mondial - anticlérical, rationaliste et républicain ; s'interroge sur le ''problème moral'' de la Guerre, et tente de la justifier par la raison.
Agé de 44 ans, il n’est pas immédiatement mobilisable, mais il peut être appelé à servir dans la '' réserve de l’armée territoriale ''. Il est refusé à deux reprises par le conseil de révision... Il ressent une « angoisse de l’inaction» mêlée d’un sentiment de culpabilité...
Il s'oppose à toute mystique patriotique ( comme Bergson) ou guerrière...
Dominique Parodi face à ce qu'il nomme " la dimension spiritualiste et mystique de la morale allemande de la guerre '' défend la rationalité des principes de 1789 ; il tente d'identifier la « cause idéale (…) pour laquelle il vaut la peine de mourir et dont la défaite ferait qu’il ne vaudrait plus la peine de vivre. ». Il tente même de conjuguer : soumission à la censure, consentement intellectuel à la guerre et revendication d’une liberté critique à l’égard de certains discours bellicistes. Il reconnaît la faiblesse intrinsèque des démocraties en situation de guerre, lorsqu'elles restreignent la liberté d’expression ; mais la démocratie ne peut être incompatible avec une guerre patriotique et juste..
Dans cette guerre, il s'agit de montrer une '' altérité allemande irréductible '' et affirmer la légitimité d’une guerre du droit contre la force.
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L'Allemagne justifierait sa guerre, par la suspension du droit au profit de la force ( brutale et divinisée...). La force crée le droit, une certaine nécessité fait loi. Ensuite le peuple allemand se considérerait comme un ''peuple élu'' ; à l'appui cette citation de Rudolph Eucken, l’un des philosophes allemands signataires du Manifeste des 93 : « Au peuple allemand, plus qu’à aucun autre peuple dans l’histoire, est confié le soin de l’âme intérieure et de la valeur propre de l’existence humaine. »
Il semble vrai que le vocabulaire employé par la propagande allemande soit celui d'un « combat pour l’existence » (Kampf um’s Dasein).
Finalement, Dominique Parodi refuse de voir la guerre comme moralement régénératrice, comme une réponse à la « crise morale » de l’avant-guerre.
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Il semble que « la vie humaine a, du jour au lendemain, perdu toute importance», par nécessité la responsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle. La guerre demeure toujours « immorale », et doit être admise comme un « moindre mal ».
Le philosophe ALAIN ( pseudonyme d'Émile-Auguste CHARTIER) (1868-1951)
Brigadier artilleur, pendant la grande guerre, témoin d'atrocités, il publie un pamphlet ''Mars ou la guerre jugée''. Il témoigne que la guerre est le pire des maux : pire que l’injustice sociale et la misère… Pour ce qui est du soldat: « l’ordre de guerre a fait apparaître le pouvoir tout nu, qui n’admet ni discussion, ni refus, ni colère, qui place l’homme entre l’obéissance immédiate et la mort immédiate ».
Alain, impute aux humains la responsabilité de ces horreurs ; il ressent « le terrible remords d’avoir approuvé trop légèrement des discours emphatiques.. »
« La guerre prouve que ce sont les passions qui mènent le monde, et non pas la simple recherche de l’intérêt. L’homme est souvent prêt à tout sacrifier. D’ailleurs « si on explique la guerre par l’universel égoïsme, comment expliquera-t-on cet esprit de sacrifice sans lequel la guerre ne commencerait point ? » (Chap. XIX)
1914 Comment justifier la Guerre ? 1
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Au Moyen-âge, la mort fait partie de la vie... 1914, en ce temps de guerre, la mort semble réservée au ''front'' ( et là, elle est totale, civils et soldats...); à l'arrière - pour la famille - elle prend forme par la visite d'un officiel ou du facteur avec un courrier qui annonce une mauvaise nouvelle... La guerre, c'est la mort, continuellement présente dans nos pensées, et redoutée...
A Moyen-âge, la religion maintient la méditation autour des notions de périssable, d'éphémère... La mort touche toute personne, tout âge, toute condition... Que reste-t-il de la beauté et de la gloire humaines ? Alors on se plaint de la brièveté des choses terrestres et on espère dans le salut de l'âme..
Le maréchal Lyautey se serait exclamé le 3 août 1914, en apprenant la déclaration de guerre allemande : « Mais ils sont fous ! Une guerre entre Européens, c'est une guerre civile... C'est la plus énorme ânerie que le monde ait jamais faite ! » Il aurait repris cette phrase des carnets de Victor Hugo...
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Nous savions que la guerre était imminente, mais nous n'y croyions pas ; et nous n'étions pas prêts...
Comment la justifiaient-ils … ? Pour résumer : « Nous combattons pour le droit et la civilisation. »
« C’est l’Allemagne qui porte, devant la conscience des peuples et la justice de Dieu, la responsabilité de cette lutte gigantesque. » Mgr Quillet (évêque de Limoges)
Commençons par le sacré ; en effet, il y a un mythe de la guerre, elle serait chargée de sens et de sacré ; et c'est dans cette ''mystique'' de la guerre la raison profonde du consentement au conflit, puis à la violence extrême... Ensuite, cela se décline en une perspective de victoire rapide, une sanctification du soldat ''héroïque'' et une diabolisation de l'ennemi par les atrocités qu'il commet...
Dans le temps, la propagande et la censure seront nécessaires ; même les combattants obéiront plus aux ordres par contrainte que par consentement...
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Le clergé, plutôt hostile à la République, se porte présent au front, d'ailleurs les poilus réclament des prêtres pour se réconcilier avec Dieu... L'antisémitisme, lui-même semble être une page qui se tourne...
Fin juillet, La Croix, écrit que la France est « admirable » par son sang-froid, son « patriotisme indomptable et accepte la guerre sans la moindre faiblesse ». Le 1er août, La Croix écrit : « Notre unique pensée est pour la France […] C’est sur la France, malgré le gouvernement athée et persécuteur qui la défigure, que nous appelons les bénédictions du Très Haut. »
Le 6 août, La Croix, salue la formule de Raymond Poincaré : « l'Union sacrée » ; et le 19 août affirme avec satisfaction qu’en « redevenant tout à fait française, l’âme nationale se retrouve catholique ».
Face à l'avancée allemande vers Paris, Dans La Croix, Mgr Baudrillart explique que la crise actuelle est une crise philosophique, morale et religieuse ; l’alcoolisme, la stérilité volontaire, l’amour du plaisir, le matérialisme pratique, l’individualisme sont les causes de nos malheurs.
L’évêque d’Orléans, Mgr Touchet présente le 2 février 1915 : Un catéchisme bref sur la guerre, composé de huit propositions fondamentales : 1° Dieu aime les soldats ; 2° Dieu qui aime les soldats n’aime pas cependant la guerre ; 3° Dieu n’aime pas la guerre mais la permet ; 4° Dieu permet la guerre parfois, mais l’interdit parfois ; 5° Dieu ne veut pas que la guerre soit conduite avec barbarie et dans l’oubli des principes de la loi morale ; 6° Aux nations qui violent la loi morale, Dieu inflige dès ici-bas un châtiment ; 7° La guerre doit aboutir à la paix, solide, durable ; 8° Tout le monde doit contribuer à la guerre dans les limites de ses moyens.
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Le ''Grand Monde'' , généralement se caractérise par ses réseaux transnationaux. Il les ignore à présent, comme d'ailleurs la gauche internationaliste qui, intériorisant l’idée de nation, rallie elle aussi l’Union sacrée... Les grandes familles nobles, vont payer un lourd tribu à la guerre. L'aristocratie s'engage massivement dans la guerre à tous les échelons de la hiérarchie militaire, elle est très largement majoritaire parmi les officiers subalternes... Les jeunes officiers nobles sont fidèles à la cavalerie, mais qui s'avère peu efficace dans une guerre de position ; aussi, beaucoup vont se tourner vers l'aviation pour valoriser l'aspect glorieux de l'engagement... Georges de Morant a estimé qu’en 1916, 23% des nobles mobilisés ont été tués au front.
Cependant, les théâtres parisiens ont rouvert leurs portes dès la fin de 1914... S'agit-il de montrer aux ennemis que Paris ne s'inquiète pas... ? A moins que la haute société ne se libère de sa culpabilité à jouir de la vie pendant que d’autres meurent dans la boue... ? Même les soirées philanthropiques données à l’arrière par les femmes du monde tentent de prolonger un mode de vie d'un autre temps... Les femmes du monde continuent de se retrouver dans les stations à la mode, dans les grands hôtels et les villas.
A partir de 1914, la pression fiscale sur les hauts revenus du capital, va apparaître avec l'idée de redistribution des richesses...
La Grande Guerre, Myrrha Borodine et le Graal. -2-
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La question de la porteuse du Graal. Le vase eucharistique est entre les mains d'une « demoiselle bêle et gente et bien asesmee » ; ce qui signifierait pour les ''folkloristes'' qu'il n'est pas signe chrétien, mais celte, puisque les femmes au Moyen-âge ne pouvaient porter le ciboire...
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La réponse de Myrrha, est que tout, ici, est symbole ; et la porteuse du Graal est ici la « figure » de l'Église. Figure fréquente « d'une femme belle et d'allure noble, parfois couronnée, parfois nimbée seulement, personnifiant la Nouvelle Loi, en opposition à l'ancienne, à la Synagogue aux yeux bandés »...
Nous avons plusieurs exemples de cette représentation dans nos églises...
Pour ce qui est du Graal, le chrétien y voit ce qu'il contient : l'Hostie ou le Christ de la Présence réelle, et la Lumière qui en émane, manifeste la divinité...
- Et, le Graal chez Chrétien est-il saint en lui-même ou seulement à cause de son contenu?
Pour le chrétien, il s'agit d'un objet rituel, ''sacralisé'' lorsqu'il est en service ; mais ce n'est pas un objet ''magique'' en soi... Robert de Boron, en fait une ''relique'', puisque le Christ y mangea, et Joseph d'Arimathie y recueillit le sang des plaies du Christ...
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Le Graal étant le ciboire, le tailloir doit-être la patène, sur laquelle s'effectue la fraction de l'hostie, au moment de la préparation des espèces. Le Graal ne contient que l'Hostie seule... La Lance, qui représente le principe de permanence, saigne perpétuellement et elle ouvre la marche au Château du mystère eucharistique.
Nous sommes à l'époque de l'apparition d'un nouveau culte : l'élévation-adoration de l'Hostie ; dévotion spécifiquement occidentale née au milieu du XIIè siècle, devenant plus tard l'Ostension, ce qui fut l'origine de la future Fête-Dieu.
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Le cortège du Graal, offre un signe '' la Lance qui saigne'' ; et qui nous renvoie à la relique de la célèbre Lance d'Antioche rapportée en France dès la première Croisade.
La Lance, saigne, pleure le sacrifice et représente la Source du fleuve de rédemption qui va laver le monde : elle désigne le Baptême et l'Eucharistie.
Pour Myrrha, se noue une longue chaîne de symboles de l'arbre de vie du jardin d'Eden à l'arbre de la Croix ; et c'est toujours le double registre de l'intelligible et du sensible où s'épanouit le symbolisme originel singulièrement apte à saisir les rapports secrets des valeurs.
« Le fruit qu'Adam n'a pas goûté (celui de l'Arbre de Vie) a préfiguré le Corps du Seigneur qui aujourd'hui est posé sur votre langue et dans votre coeur» hymne de communion d'une liturgie jacobite syrienne...
C'est la même Lance qui tue et qui rend la vie, blesse, guérit et sauve...
N'oublions pas Perceval, malheureux spectateur d'une scène qu'il ne comprend pas...
Dans le Conte du Graal, Perceval, jeune homme impatient quitte brutalement sa mère, la Veuve-dame... A un jet de pierre, il se retourne et voit derrière lui sa mère qui vient de choir « pâmée » à l'entrée du pont-levis : elle gît là comme morte. « D'un coup de baguette, Perceval cingle son cheval sur la croupe : la bête bondit et l'emporte à grande allure parmi la forêt ténébreuse»... Le souvenir de ce corps inanimé va l’accompagner, et le culpabiliser...
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Je ne reviens pas ici, sur tous les épisodes du conte, mais me questionne avec la lecture qu'en fait Myrrha, sur son aventure au Château du Graal.
Perceval se tait, alors qu'il ne manque pas de curiosité, il brûle du désir de connaître et d'interroger sur l'énigme du Cortège... Il se tait, parce que le prud'homme, Gornement de Gorre lui a enjoint de se méfier de parler : « Ne parlez pas trop volontiers. Qui parle trop prononce des mots qui lui sont tournés à folie. Qui trop parle fait un péché, dit le sage. »
D'ailleurs, comment pourrait-il savoir qu'il existe un lien entre ce défilé auquel l'assistance ne prête pas la moindre attention, et l'infirmité, si discrètement avouée, de l'hôte royal qui préside le magnifique festin
Ce qui hante Perceval, c'est sa mère, sa chute et ce qu'elle est devenue...
« Sans cesse il fait prière à Dieu, le Père Souverain, Lui demandant, s'Il le veut bien, de trouver sa mère en bonne vie et en santé. ». Il priait toujours quand, descendant d'une colline, il parvient à une rivière. L'eau en est rapide et profonde. Il n'ose s'y aventurer. "Seigneur, s'écrie-t-il, si je pouvais passer cette eau, je crois que je retrouverais ma mère si elle est encore en ce monde! »
Après sa visite ''manquée'' au château sa cousine inconnue, lui annonce à l'improviste la cruelle nouvelle : sa mère est morte de douleur « au chief du pont » où il l'avait vue tomber, où il l'avait abandonnée. Mort, qui de fait est la cause profonde de sa mésaventure au Château... Et c'est à présent, que le mystère lui est révélé, tout au moins en partie...
II lui fallait poser la double question libératrice, - pour le Graal, «.cui an an sert», et – pour la Lance, pourquoi saigne-t-elle ?
Son échec est lié à son « péché » … Péché ne signifiant pas une faute liée à la morale, mais à la culpabilité d'un acte ''existentiel'' qui n'était pas juste...
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A présent... Le passé est bien mort pour lui. A nouveau il s'engage, plus seul que jamais, sans but devant lui, dans la Gaste forêt aventureuse. La rémission, la rédemption est par là...
Puis, un épisode que j'aime bien …. Celui des '' trois gouttes de sang sur la neige fraîchement tombée ''… Il voit le visage de la bien-aimée. Rêverie profonde, véritable extase à rapprocher de l'état de transe quasi mystique de Lancelot, dans La Charrette, à la vue subite de la reine Guenièvre, prisonnière de Méléagant, à la fenêtre de sa tour. Le même Lancelot - cette fois dans la Queste - se retrouve dans un état semblable, plus profond encore, lors de son unique vision du Graal.
Pour Perceval, c'est le retour prochain à Dieu et à l'Église, avec la rencontre d'un groupe de nobles pénitents, hommes et femmes, tous pieds nus. « Un des chevaliers, surpris péniblement par l'attitude de défi du chevalier, aborde l'impie qui n'a même pas désarmé « au grand jour où Jésus-Christ est mort pour nous»; et il lui parle gravement, rappelant en termes émus ce que fut, ce qu'est la Passion rédemptrice. Perceval l'écoute avec une attention passionnée, intense. A coup sûr, c'est la catéchèse la plus complète qu'il ait entendue de sa vie. L'effet en est instantané, foudroyant : « Et cil qui avoit nul espans/de jor ne d'ore ne de tans/tant avoit an son euer ennui » revient à lui subitement. C'est son chemin de Damas, c'est l'éblouissement de la Grâce. Et les larmes du repentir jaillissent, tombent en rosée sur ce cœur endurci et aride.
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Perceval rejoint au plus vite un ermite ; et après deux jours de jeûne, ordonné comme pénitence, et de recueillement auprès de cet oncle-ermite, qui révèle à Perceval une partie du mystère eucharistique dont il fut l'aveugle témoin, le chrétien réconcilié communie - très probablement la première fois de sa vie - au matin de la Résurrection pascale.
L'exhortation du saint vieillard tient en trois mots : « Dieu croi, Dieu aime, Dieu adore » Puis, c'est l'oraison que l'ermite souffle à l'oreille à Perceval, si elle est de l'ordre du mystère, elle n'a rien à voir avec de « segretes paroles » du ''Joseph'' que doivent se transmettre les gardiens du Graal.
Ici, l'oraison a un caractère personnel intime : prière secrète d'intervention ou de secours immédiat d'une âme en péril : L'initiation propre, la voilà; c'est la Grâce renversant le dernier obstacle à sa libre expansion, ouvrant la vie et rendant la pleine liberté au vouloir humain.
De toute évidence, le premier en date des héros du Graal, Perceval, présente - face à Gauvain, incarnation du chevalier « terrien » - le type même de l'homme providentiel qui, à travers le sombre passage («Perceval»), poursuit seul la route de la souffrance purificatrice. Pour cette raison, il atteindra le but lointain, achèvera un jour ici-bas sa mission.
Sources : ( Le Conte del Graal de Chrétien de Troyes et sa présentation symbolique, par Myrrha Lot-Borodine)
La Grande Guerre, Myrrha Borodine et le Graal. -1-
Le père Degoué, simple abbé de Mayenne, représente ces amateurs anonymes qui après 1900, collectent par voie orale, littéraire ou souvent par les archives paroissiales, des témoignages sur les légendes locales... On les nomme ''folkloristes''; ils font partie de sociétés savantes et sont amenés à élargir leur recherche en empiétant sur l'Histoire...
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Parallèlement et sans contact avec les précédents, l’université a développé avec prestige une discipline comme l'Histoire : discipline chargée d'un discours unificateur et moral sur le passé national ; lourde responsabilité en ces temps de conflit...
1914 : les historiens s'engagent à faire connaître les actuels ''crimes allemands'' en Belgique et dans le nord de la France... Ils se chargent d'expliquer comment les allemands se sont exclus de la civilisation et sont retournés à l'état de barbarie morale... Nous sommes dans la lignée d’Ernest Lavisse et d’Émile Durkheim...
Les historiens ''médiévistes'' ont dans le sein de la faculté une place d'excellence ; « ils apparaissent comme les détenteurs d’un savoir sur les origines de la nation qu’il faut désormais exhumer, approfondir et transmettre » ( Agnès Graceffa - Université de Lille )..
La mobilisation, bien sûr, touche de façon importante les jeunes étudiants et chercheurs médiévistes.. En 1915, aucune thèse n’est soutenue à l’École des Chartes. Alors que le nombre moyen, avant-guerre, atteint presque la vingtaine, deux seules le sont en 1916. Les femmes sont devenues majoritaires, parmi les diplômés... Ferdinand Lot continue ses cours, même s'il est contraint parfois de les annuler faute d'auditeurs...
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Ferdinand Lot (1866–1952) est un médiéviste de renommée internationale, chartiste, professeur à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) et en Sorbonne (1909), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1924).
F. Lot est qualifié de non-conformiste... Il partage avec les étudiants les résultats de son travail, et réalise avec eux un authentique enseignement de recherches. Ouvert d'esprit, le maître ne craint pas de s'engager... A côté de ses recherches historiques, il publie dans les annales de Bretagne et consacre des études approfondies à la littérature arthurienne et à la question du Graal.
Pendant ces années, il travaille en collaboration avec son épouse à un ouvrage important sur le Lancelot-Graal, qui paraîtra en 1918...
En 1909, Ferdinand Lot a épousé une jeune fille née à Saint-Pétersbourg 27 ans plus tôt : Myrrha Borodine. Venue en France pour préparer une thèse sous la direction de Joseph Bédier, elle devient une spécialiste de la littérature courtoise du Moyen Age.
Le couple va beaucoup recevoir en leur domicile - 53 rue Boucicaut, à Fontenay-aux-Roses - en particulier bien-sûr des membres de la communauté russe ; mais aussi des étudiants, des amis... Et en cette fin d'année 1914, Ferdinand Lot et sa femme vont participer à la création d'une institution créée en janvier 1915 pour accueillir les réfugiés du nord de la France et de Belgique. Situé à quelques mètres de son domicile, le Refuge Franco-Belge fonctionnera jusqu'en 1919.
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En effet, fuyant l'avance allemande, 1/5 de la population belge (entre 1.300.000 et 1.500.000 personnes) va trouver refuge à l’étranger.
Anne-Laure est au courant de l'engagement de son amie Edith Wharton, l'écrivaine met à profit sa fortune pour aider les réfugiés à Paris...
Est-ce par le biais du refuge franco-belge directement, ou par l'intermédiaire d'une prise de contact du père Degoué, avec F. Lot sur le ''Lancelot''... ? Anne-Laure de Sallembier va recevoir à Fléchigné plusieurs familles belges, qui permettront d'ailleurs de continuer les travaux de la ferme, malgré l'absence des mobilisés...
Également, la région ouvre plusieurs hôpitaux de réserve, et beaucoup de femmes viendront y donner un coup de main, jour et nuit...
Savoir qu'un professeur d'université, un érudit, comme M. Ferdinand Lot s'intéresse à la Légende arthurienne, permet d'expliquer que la question n'est pas seulement d'ordre folklorique... D'ailleurs c'est naturellement que l'importance du Graal va être comprise et étudiée sur le niveau spirituel par la femme du professeur F. Lot, Myrrha, de confession orthodoxe.
En 1909, année de son mariage, elle suit les cours de Joseph Bédier et travaille une thèse sur La femme dans l’œuvre de Chrétien de Troyes. Pendant la guerre, elle collabore aux Etudes sur le Lancelot en prose, qui sera publié par F. Lot en 1918...
La rencontre de l'abbé Degoué avec Myrrha Lot-Borodine (1882-1954), va être décisive pour la suite de notre Quête...
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Myrrha Borodine, née à Saint-Pétersbourg est issue d'une famille russe intellectuelle. Elle s'intéresse à la littérature courtoise du Moyen-âge. Avec son mari, elle entre dans le ''Cycle Arthurien'', puis dans la « haute aventure » du Graal, et se voue à ce type d'études.
Avec Etienne Gilson, elle approfondit la mystique cistercienne et l'apport de Saint Bernard.
Gilson reprend la spiritualité de Bernard, et parle de l'Amour du Bien qui subsiste en nous malgré le ''péché'' ; bien sûr l'amour est d'abord imparfait, en particulier avant de connaître Dieu – Bernard de Clairvaux (1090–1153) identifie, « aimer » Dieu, à « penser » Dieu ... Cet apprentissage à connaître Dieu, conduit Myrrha à décrire un processus de restauration, qui prend en compte que l'homme est fait à « l'image et ressemblance » de Dieu ; l'humain est appelé à une « divinisation »...
Myrrha retrouve symboliquement cette quête du Divin, dans le ''service d'amour '' courtois de la Dame... La Quête revient à chercher le secret de l'Amour ; et au Moyen-âge – et c'est très important - le signe ou symbole est réalité substantielle...
La table d'argent sur laquelle est posée le Saint Graal, est le symbole de la liturgie eucharistique
- Myrrha, comment en êtes-vous arrivée à La Quête... ?
- Il y eut pour moi le Moyen-âge énorme et magnifique: le roman courtois qui passionna ma jeunesse. Ensuite à l'âge de la maturité, l 'épopée mystique du Graal, quête des suprêmes valeurs par l'âme médiévales. Puis les études sur la spiritualité gréco-orientale s’imposèrent à moi durant de longues années.
- Vous êtiez croyante... ?
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- J'avais abandonné longtemps avant mon mariage toute pratique religieuse dans mon Eglise-mère
Mais, la Quête, m'amène à chercher et préciser les éléments fondateurs de la foi chrétienne.
- Quel élément, par exemple, vous permet de joindre le Graal à la foi chrétienne ?
- et bien … La Theosis chez les Pères grecs... C'est à dire cet appel de l'homme à rechercher le divin : on peut le nommer divinisation ou déification...
Recherche signifie aussi erreurs... Les leçons d'Etienne Gilson ou de Paul Alphandéry (1875-1932, historien et spécialiste du christianisme médiéval ) m'ont questionnée sur les dérives, les erreurs qui peuvent facilement se propager dans une religion
( sources : Ma mère, Myrrha Lot-Borodine. De Marianne Mahn-Lot )
Myrrha Borodine, sans rejeter l'apport celtique, fait du Graal un élément chrétien. Pour elle, les valeurs propres des deux civilisation sont foncièrement dissemblables ; et c'est le fond de l'argumentation de ses critiques folkloristes...
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Il s'agit donc pour Myrrha de découvrir le sens d'une œuvre portant l'empreinte du génie médiéval fécondé par l'Église...
Pour cela, il faut tenter de comprendre la nature particulière du symbolisme au moyen âge, qu'elle rapproche à quelque chose que l'on connaît aujourd’hui : la spiritualité liée à patristique de l'Orient chrétien...
Le ''signe qui s'offre aux sens '' est une réalité substantielle exprimant l'essence même de la chose représentée. Le signe opère ce qu'il est, ou, le signe réalise ce qu'il symbolise... La réalité spirituelle se substitue au signe ; c'est ce qui s'exprime dans la transsubstantiation...
Un tel symbolisme, ne peut pas s'imposer, il nécessite de la part de celui ou celle qui veut en faire l’expérience, une libre création et nécessite « l'approfondissement des plans successifs sur lesquels il se projette tour à tour déclenchant le mouvement des « similitudes et senefiances », si chères aux auteurs des diverses versions de la Légende du Graal... » Aussi, faut-il admettre un symbolisme à plusieurs dimensions, qui monte de l'image au conceptuel et finit par embrasser la totalité des phénomènes s'offrant à un œil intérieur.
Toutes ces ''figures'' qui nuancent les vérités, tissent la Légende du Graal...
Légende, qui fait revivre le Mythe chrétien « par une méthode d'introspection intuitive (Einfühlung) adhérant au sujet en pleine et compréhensive sympathie. » Par exemple, nous pouvons dire que ce paysage est triste, au lieu de dire qu'il nous rend triste... ''Einfühlung'', introduit en philosophie en 1873, vient des romantiques allemands ( Robert Vischer (1847-1933), Theodor Lipps ); on le retrouve également dans l'empathie....